Peut-on rejeter Vatican II car il s’agit d’un concile pastoral ?

Réponse à une objection au sédévacantisme

*Nota bene : Nous nous plaçons dans cet article sur le plan du droit et non du fait. Dans les faits, le concile n’est pas infaillible puisque son enseignement n’a pas été promulgué par un Pape authentique (Paul VI en l’occurrence). Nous parlons donc de ce qui, en droit, c’est-à-dire eu égard aux principes qui régissent l’Eglise et à la nature des actes posés, aurait dû être infaillible.

L’idée selon laquelle Vatican II n’est qu’un « concile pastoral » et que l’on peut donc rejeter ses enseignements en sûreté de conscience, s’attaque au fondement même de la position « sédévacantiste ». En effet, si les passages problématiques du concile et les réformes qui suivirent n’engageaient pas en droit l’infaillibilité, les erreurs qui y sont contenues ne remettraient pas en cause l’autorité de celui qui les a promulgués. Ainsi, Paul VI et ses successeurs, qui ont dispensé ces faux enseignements et mis en œuvre ces lois mauvaises auraient conservé l’autorité pontificale et seraient demeurés vicaires de Jésus-Christ.

Pour répondre, il faut donc considérer deux choses :

  • La divinité de l’Eglise et son magistère en général
  • La qualification du concile en particulier

Enfin, une courte conclusion répondra à l’objection formulée contre la position sédévacantiste.


La divinité de l’Eglise et son magistère

Jésus-Christ a fondé l’Eglise catholique pour continuer son œuvre salvatrice [1] et lui a pour cela transmis son pouvoir  d’enseigner, de gouverner et de sanctifier les âmes. L’Eglise est divine et a une vocation surnaturelle : guider surement les âmes à Dieu en leur donnant les moyens du salut. Pour accomplir cette mission, Dieu l’assiste continuellement en demeurant avec elle.

« Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit, et leur enseignant à observer tout ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles »

Matth. XXVIII, 19-20

Pour aimer Dieu et nous sauver en l’atteignant comme notre fin, il faut d’abord le connaître dans son intimité puisqu’on ne peut atteindre ce qu’on ne connaît pas. Cette connaissance intime de Dieu nous dépasse et nous ne pouvons l’atteindre que parce que Dieu a parlé directement aux hommes en se révélant. C’est en cette adhésion de l’intelligence aux vérités révélées par Dieu que consiste la foi. L’Eglise, par son magistère, c’est-à-dire son enseignement, nous atteste avec certitude que telle ou telle vérité est révélée, et, par conséquent, oblige notre assentiment. L’Eglise est la règle prochaine de notre foi [2], la gardienne, la colonne et le fondement de la Vérité (1 Tim. III, 15). L’Eglise est un admirable trésor de Dieu, elle est un roc immaculé d’une importance capitale pour notre salut : elle éclaire et surélève nos intelligences par la conservation et l’explication du dépôt révélé, objet de la foi.

Jésus-Christ a donné à saint Pierre et à ses successeurs, les papes, la primauté suprême sur l’Eglise. Ils en sont les chefs, vicaires de Jésus-Christ.

« Et Moi, Je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre Je bâtirai Mon église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. Et Je te donnerai les clefs du royaume des Cieux ; et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aussi dans les Cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aussi dans les Cieux »

Matth. XVI, 18-19

Si l’Eglise n’était pas revêtue de l’autorité de Dieu, et si son magistère n’était pas la règle prochaine de notre foi, nous ne serions certains de rien : ni le culte, ni le canon des livres de la Bible, ni les dogmes fondamentaux de la religion, ne seraient certainement véridiques et agréables à Dieu. L’idée d’une « Tradition » qui servirait de règle prochaine de la foi ne nous sortirais pas de manière définitive du doute et de l’incertitude : nous en serions réduits, comme les sectes protestantes, à des divisions intestines et à des querelles pour savoir ce qui est vraiment traditionnel, ce qui a vraiment été cru « partout et toujours ». C’est pourquoi il a toujours été évident pour les catholiques (avant Vatican II) que l’enseignement ordinaire de l’Eglise était la règle prochaine de la foi, et que c’est l’Eglise enseignante qui a autorité pour savoir ce qui est traditionnel ou non, au sens de la Tradition apostolique.

« L’Eglise universelle ne peut se tromper, car elle est gouvernée par le Saint-Esprit, qui est l’Esprit de vérité : le Seigneur, en effet l’a promis à ses disciples en disant (Jean XVI, 13) : « Lorsqu’il viendra, l’Esprit de vérité, il vous enseignera toute la vérité ». »

Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, II-II, q. 1, a. 9

« Notre position est donc que l’Eglise ne peut absolument pas se tromper, ni dans les choses absolument nécessaires, ni dans les autres choses qu’elle nous propose à croire ou à faire, que ces choses soient expressément dans l’Ecriture ou qu’elles n’y soient pas. »

Saint Robert Bellarmin, Des conciles et de l’Eglise ; Lib. III : De l’Eglise militante répandue sur toute la terre, Ch. XIV : l’Eglise ne peut errer

« Vous avez ouï dire, Théotime, que dans les conciles généraux il se fait des grandes discussions et recherches de la vérité, par discours, raisons et arguments de théologie; mais la chose étant débattue, les pères, c’est-à-dire les évêques, et spécialement le pape, qui est le chef des évêques, concluent, résolvent et déterminent, et la détermination étant prononcée, chacun s’y arrête et acquiesce pleinement, non point en considération des raisons alléguées en la discussion et recherche précédente, mais en vertu de l’autorité du Saint-Esprit qui, présidant invisiblement dans les conciles, a jugé, déterminé et conclu par la bouche de ses serviteurs qu’il a établi pasteurs du christianisme. L’enquête donc et la discussion se font au parvis des prêtres, entre les docteurs; mais la résolution et l’acquiescement se font au sanctuaire, où le Saint-Esprit, qui anime le corps de l’Eglise, parle par la bouche de ses chefs, selon que notre Seigneur l’a promis »

Saint François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, Livre II, chap. XIV

« C’est Dieu, c’est Jésus-Christ qui a fondé sur la terre et constitué l’Église; et c’est lui qui a divisé l’Église en deux parties, unies mais distinctes. L’Église enseignante et l’Église enseignée. L’Église enseignée est formée des laïques et des simples prêtres, lesquels ne sont, en aucun cas, juges de la foi. L’Église enseignante, par laquelle Dieu enseigne et gouverne les fidèles répandus sur toute la terre, est composée du Pape et des Évêques ; et comme c’est Dieu lui-même qui parle par elle, qui, par elle, enseigne, commande, condamne, pardonne, tout ce que l’Église enseignante lie ou délie sur la terre, est en même temps infailliblement lié et délié dans les cieux. En d’autres termes, l’Eglise enseignante est infaillible; elle ne peut se tromper ni nous tromper; elle est immédiatement assistée de Dieu. Or, le Concile n’est autre chose que l’Église enseignante assemblée; et c’est pour cela que le Concile est infaillible, et que tous ses décrets, toutes ses décisions ont un caractère d’autorité souveraine et divine. Tout le monde doit s’y soumettre ; tout le monde, sans exception. Et c’est tout simple : qui a le droit de ne pas se soumettre à Dieu »

Mgr de Ségur, L’infaillibilité du Pape, Chap. I

L’Eglise est donc infaillible parce que Dieu est infaillible. Le pape seul et les évêques unis au pape sont infaillibles lorsqu’ils enseignent ce qu’il faut croire et ce qu’il faut faire parce qu’ils en ont divinement reçu la mission de Jésus-Christ, chef invisible de l’Eglise. Un catholique aime l’Eglise parce qu’il aime Dieu ; il croit et écoute ce que lui dit l’Eglise parce qu’il a confiance en Dieu, Amour subsistant et Vérité même. Le credo nous enseigne que l’Eglise est une, sainte, catholique et apostolique : elle ne peut pas donner de poison à ses fils, elle ne peut pas se contredire, elle ne peut pas enseigner l’erreur en matière de foi, elle ne peut pas inciter au mal par de mauvaises disciplines. Même dans son enseignement « pastoral » (c’est-à-dire par ses dispositions non dogmatiques, contingentes, liées au temps et au lieu), elle ne fait qu’appliquer pratiquement des principes certains. Ses lois disciplinaires, si elles peuvent être changées par l’autorité légitime, sont vierges de tout danger et ne peuvent conduire au mal. Le contraire s’opposerait à la mission et à la constitution divine de l’Eglise. C’est ce qu’a enseigné le pape Pie VI, en 1794, dans sa bulle Auctorem Fidei par laquelle il condamna la 78ème proposition du conciliabule janséniste de Pistoie tenu en 1786 :

« Le synode prescrit l’ordre des matières à traiter dans les conférences : il dit d’abord, que « dans chaque article, il faut distinguer ce qui se rapporte à la foi et à l’essence de la religion de ce qui est propre à la discipline » ; il ajoute que, « dans cette discipline même, il faut distinguer ce qui est nécessaire ou utile pour retenir les fidèles dans le bon esprit, de ce qui est inutile ou trop pesant pour la liberté des enfants de la nouvelle alliance, et encore plus de ce qui est dangereux et nuisible, comme conduisant à la superstition et au matérialisme » (ibid., § 4). Par la généralité des expressions, le synode comprend et soumet à l’examen, qu’il prescrit, même la discipline constituée et approuvée par l’Église, comme si l’Église, dirigée par l’Esprit de Dieu, pouvait établir une discipline non seulement inutile et trop onéreuse pour la liberté chrétienne, mais encore dangereuse, nuisible et conduisant à la superstition et au matérialisme. Cette proposition est fausse, téméraire, scandaleuse, pernicieuse, offensive des oreilles pies, injurieuse pour l’Église et pour l’Esprit de Dieu par qui elle est conduite, et erronée pour le moins »

Pie VI, Auctorem Fidei

Concluons avec Léon XIII :

« Il est donc évident, d’après tout ce qui vient d’être dit, que Jésus-Christ a institué dans l’Eglise un magistère vivant, authentique et, de plus, perpétuel qu’Il a investi de Sa propre autorité, revêtu de l’esprit de vérité, confirmé par des miracles, et Il a voulu et très sévèrement ordonné que les enseignements doctrinaux de ce magistère fussent reçus comme les Siens propres »

Satis Cognitum

« Quant à déterminer quelles doctrines sont renfermées dans cette révélation divine, c’est la mission de l’Eglise enseignante, à laquelle Dieu a confié la garde et l’interprétation de sa parole; dans l’Eglise, le docteur suprême est le Pontife Romain. L’union des esprits réclame donc, avec un parfait accord dans la même foi, une parfaite soumission et obéissance des volontés à l’Eglise et au pontife Romain, comme à Dieu lui-même »

Sapientiae Christianae

La qualification de Vatican II

Nous avons vu que l’infaillibilité du magistère de l’Eglise vient de Dieu. Il a pour objet les vérités révélées par Dieu et liées nécessairement à la révélation. Il a pour sujet le pape seul ou les évêques unis au pape. Il peut aussi s’exercer selon différents modes : solennel ou ordinaire. Ces subtilités ne doivent pas éclipser l’essentiel : l’Eglise est infaillible dans son enseignement sur la foi et les mœurs en vertu de l’assistance continuelle qu’elle reçoit de Dieu. Quand elle donne un tel enseignement, le fidèle doit le recevoir dans la lumière de la foi comme une vérité certaine.

Le concile Vatican II se tient du 11 octobre 1962 au 8 décembre 1965. Il réunissait 2450 pères conciliaires et a mené à la « promulgation » de quatre constitutions, trois déclarations et neuf décrets. Normalement, un tel concile œcuménique est l’expression du magistère solennel de l’Eglise enseignante. Cependant, l’absence de définition solennelle et la déclaration de Paul VI lors d’une audience du 12 janvier 1966 [3] le classe plutôt au sein du Magistère ordinaire et universel de l’Eglise. Cette expression est utilisée par le Concile Vatican I (1870) pour expliciter les modes d’exposition des vérités de foi. La Députation de la foi, commission de 24 membres chargée de donner aux Pères conciliaires le sens exact des textes, s’appuie sur la lettre envoyée par Pie IX à l’archevêque de Munich pour expliquer ce qu’est le magistère ordinaire et universel :

« Quand il ne s’agirait que de la soumission qui doit se manifester par l’acte de foi divine, on ne pourrait pas la restreindre aux seuls points définis par les décrets des conciles œcuméniques ou des Pontifes romains et de ce Siège apostolique ; il faudrait encore l’étendre à tout ce qui est transmis comme divinement révélé par le magistère ordinaire de toute l’Eglise dispersée sur la terre »

Pie IX, Tuas Libenter, 1863

Le Magistère ordinaire et universel est donc l’enseignement quotidien de l’ensemble des évêques unis au pape. Comme le signale Pie IX, Les évêques sont habituellement dispersés sur la terre lorsqu’ils exercent ce magistère. Cependant, l’union physique (un concile) de l’Eglise enseignante (pape et évêques) n’abolit pas leur union formelle (accord moral sur ce qui est enseigné) dans l’enseignement. Ces qualifications désignent des modes d’exercice accidentels du Magistère. Solennel ou ordinaire, papal ou universel (évêques unis au pape), en concile ou dispersé sur la terre, c’est la nature de l’acte magistériel et de son contenu qui est essentiel. Ce qui doit faire l’objet d’un acte de foi et d’un assentiment religieux des fidèles, c’est la vérité révélée par Dieu ou rattachée à la révélation, indépendamment de la manière dont elle est présentée par le pape et l’Eglise. C’est l’enseignement du Concile Vatican I sur l’objet de la foi :

« Est à croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la Parole de Dieu ou écrite ou transmise, et que l’Eglise, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel, propose à croire comme divinement révélé. »

Constitution Dei Filius

C’est ce que confirme Léon XIII en reprenant les enseignements du Concile Vatican I :

« Quand il s’agit d’établir les limites de l’obéissance, que personne ne s’imagine que la soumission à l’autorité des pasteurs sacrés et surtout du Pontife Romain s’arrête à ce qui concerne les dogmes, dont le rejet opiniâtre ne peut aller sans le crime d’hérésie. Il ne suffit même pas de donner un sincère et ferme assentiment aux doctrines qui, sans avoir été définies par un jugement solennel de l’Eglise, sont cependant proposées à notre foi, par son magistère ordinaire et universel, à la croyance des fidèles comme étant divinement révélées ; et que l’on doit croire, selon le décret du Concile du Vatican de foi catholique et divine »

Léon XIII, Sapientiae Christianae

Le concile Vatican II aurait donc dû jouir de l’infaillibilité toutes les fois où il affirme dans ses enseignements que telle ou telle vérité est révélée par Dieu ou rattachée à la révélation. Or, ce lien avec la révélation est affirmé dans de nombreux documents issus du concile. Ceci est normal, puisqu’un concile a justement pour but de proposer aux fidèles des vérités à croire pour éclairer leur intelligence avec certitude dans la voie du salut. Prenons par exemple la déclaration Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse, « promulguée » le 7 décembre 1965 par Paul VI :

« Le Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. […] Il déclare en outre que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité de la personne humaine telle que l’on fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même. […] Cette doctrine de la liberté a ses racines dans la révélation divine, ce qui, pour les chrétiens, est un titre de plus à lui être saintement fidèles […] L’Eglise, donc, fidèle à la vérité de l’Evangile, suit la voie qu’ont suivie le Christ et les Apôtres lorsqu’elle reconnaît le principe de la liberté religieuse comme conforme à la dignité de l’homme et à la Révélation divine, et qu’elle encourage une telle pratique »

Déclaration Dignitatis Humanae

Le concile affirme ici l’existence d’un droit à la liberté religieuse inhérent à la nature même de l’homme. Il ne s’agit nullement d’une tolérance de fait pour éviter un plus grand mal mais d’un droit inaliénable et indépendant des circonstances. Ce droit inconditionnel attaché à la nature humaine est explicitement enseigné comme étant contenu dans la Parole de Dieu où il trouverait son fondement et sa justification. Par conséquent, il doit faire l’objet d’un acte de foi divine et catholique de la part des fidèles.

Paul VI confirme « la promulgation » de ce texte en vertu de sa suprême autorité :

« Tout l’ensemble et chacun des points qui a été édictés dans cette déclaration ont plu aux Pères conciliaires. Et Nous, en vertu du pouvoir apostolique que nous tenons de Christ, en union avec les vénérables Pères, Nous les approuvons, arrêtons et décrétons dans le Saint-Esprit, et Nous ordonnons que ce qui a été établi en concile soit promulgué pour la gloire de Dieu. Rome, à Saint-Pierre, le 7 décembre 1965, Moi, Paul, Evêque de l’Eglise catholique. »

Déclaration Dignitatis Humanae

Loin d’être un conseil purement pratique ou pastoral, la liberté religieuse est définie par celui qui aurait dû jouir de l’autorité pontificale comme un droit naturel explicitement contenu dans la Révélation.

Si par pastoral, il faut entendre ordinaire, non solennel, alors nous concédons que Vatican II soit pastoral. Si il faut entendre non-doctrinal (et que serait-il alors ? Pourquoi aurait-il eu lieu ? De quoi aurait-il parlé ?), ne s’imposant en aucune façon à la foi des croyants, nous nions. Vatican II n’est pas pastoral en tant que tel tout comme il n’aurait pas dû être infaillible dans la moindre de ses phrases. En revanche, en tant que concile théoriquement promulgué par l’autorité du pape et en vertu du magistère vivant et infaillible dont Jésus-Christ a doté l’Eglise, ses enseignements en matière de foi et de morale auraient dû être infaillibles et impérer conséquemment un acte de foi de la part des fidèles. Par ailleurs, il fût compris comme telle par les pères conciliaires, les théologiens et les imposteurs qui se succédèrent sur le siège apostolique. [4] Citons Yves Congar, peritus au concile, « élevé au cardinalat » par Jean-Paul II en 1994 :

« Vatican II a été doctrinal. Le fait qu’il n’ait pas « défini » de nouveaux dogmes ne retire rien à sa valeur doctrinale, selon la qualification que la théologie classique donne, de façon différentiée, aux documents qu’il a promulgués. Certains sont « dogmatiques », ils expriment la doctrine commune, ils seraient comparables aux grande encycliques doctrinales (qu’ils citent d’ailleurs souvent), à cela près qu’ils expriment, par la voie (et la voix) du magistère extraordinaire l’enseignement de ce que Vatican I a appelé « le magistère ordinaire et universel ». Tel est le statut de Lumen Gentium, des parties doctrinales de Dei Verbum, de la Constitution sur la liturgie et de Gaudium et spes, mais aussi de plusieurs « décrets » et de la déclaration Dignitatis Humanae personae. D’autres textes ou parties de ces mêmes documents sont de nature purement « pastorale » c’est-à-dire donnant, selon la prudence surnaturelle des pasteurs réunis en concile, des directives en matière pratique. »

Yves Congar, Le Concile de Vatican II, édit. Beauchesne, 1984, p.64

Si donc l’on rejette à bon droit le concile et ses suites qui subvertissent objectivement la foi catholique et entraînent une destruction du culte et de la morale, il faut rejeter du même coup l’autorité de ceux qui en sont responsables. Autrement, on en vient à défendre par naïveté ou par entêtement des absurdités injustifiables, on se perd dans des gauchissements de la doctrine catholique en s’éloignant toujours plus de la vérité.

Mathis C.


[1] « L’Eglise, c’est Jésus-Christ répandu et communiqué » écrivait Bossuet.

[2] Ce que nous croyons à proprement parler est la Parole de Dieu, objet de notre foi. Cette parole est toute entière contenue dans la Sainte Ecriture et dans la Tradition, c’est la règle éloignée de la foi. Pour la connaître avec certitude nous avons besoin que le magistère de l’Eglise nous dise avec une autorité infaillible où se trouve la parole de Dieu et comment nous devons l’interpréter; que ce même magistère nous dise encore tout ce qui lui est contraire et qu’il faut éviter, c’est la règle prochaine de la foi. Saint Pie X rappelait lors d’une visite à des étudiants cet enseignement fondamental pour tout bon chrétien : « Le premier et le plus grand critérium de la foi, la règle suprême et inébranlable de l’orthodoxie est l’obéissance au magistère toujours vivant et infaillible de l’Église établie par le Christ « columna et firmamentum veritatis, la colonne et le soutien de la vérité ».  Nous renvoyons le lecteur à un autre article sur la règle de notre foi : https://www.sodalitium.eu/regle-de-foi/ 

[3] « Etant donné son caractère pastoral le Concile a évité de proclamer selon le mode extraordinaire des dogmes dotés de la note d’infaillibilité. Toutefois le Concile a attribué à son enseignement l’autorité du magistère suprême ordinaire ; cet enseignement est manifestement authentique et doit être accepté par tous les fidèles suivant les normes que lui a attribuées le Concile, compte tenu de la nature et du but de chaque document » (La Documentation Catholique, n° 1466, 1966, p.420)

[4] Le 30 janvier 2021, François recevait au Vatican l’Office national italien de la catéchèse. Il rappelait que le concile faisait partie du magistère et qu’à ce titre, il n’était pas négociable : « C’est le magistère : le Concile est le magistère de l’Eglise. Sois tu restes avec l’Eglise et donc tu suis le Concile, et si tu ne suis pas le Concile ou si tu l’interprètes à ta façon, comme tu veux, tu ne restes pas avec l’Eglise. Nous devons être exigeants sur ce point, sévères. Le Concile ne doit pas être négocié, pour avoir plus de ceci… Non, le Concile est ainsi. » https://fr.zenit.org/2021/01/30/le-pape-exhorte-leglise-a-ne-pas-avoir-peur-decouter-les-questions-les-fragilites-les-incertitudes/ 

Traditionis Custodes : Les traditionalistes doivent faire un choix

Réflexions sur le motu proprio Traditionis Custodes (16/07/2021)


Ce document était attendu depuis un moment : il fait suite à une grande « enquête sur le rite extraordinaire » commandée par Bergoglio aux différentes conférences épiscopales le 7 mars 2020. Le motu proprio Summorum Pontificum (2007) de Benoît XVI avait donné lieu à une « régularisation » ou « légalisation » du culte catholique suivant le rite tridentin, apanage de quelques communautés qui vivent et agissent en marge des structures officielles du catholicisme depuis le Concile Vatican II et l’instauration obligatoire du Novus Ordo Missae en 1969. En 2007, quand Benoît XVI émet son motu proprio pour autoriser officiellement la pratique du rite tridentin, ces traditionalistes, restés attachés à « l’ancien rite » et à la foi catholique telle qu’elle a toujours été enseignée, ont presque tous exulté (y compris la FSSPX, héritière de Mgr Lefebvre), ne voyant pas ou feignant de ne pas voir l’absurdité de la situation, sa fragilité et son hypocrisie. 13 ans plus tard, le constat de cette absurdité et de cette hypocrisie est fait par les conciliaires eux-mêmes, qui cherchent à limiter drastiquement les dispositions du motu proprio précédent. Serait-ce l’occasion pour les traditionalistes de réfléchir en profondeur à leurs engagements, à leur foi et à la nature véritable de la crise de l’Eglise ? Quelle conclusion logique faut-il tirer de la détestation des autorités conciliaires à l’égard de la vraie liturgie catholique ?

Le motu proprio de Benoît XVI était déjà une hypocrisie et une absurdité

Les traditionalistes ont commencé leur combat en refusant une « messe protestante », une « messe bâtarde » (l’expression est de Mgr Lefebvre), qui n’est que l’expression sensible et extérieure de la « foi » bâtarde et protestante promue par Vatican II. Lex orandi, lex credendi : la loi de prière est la loi de croyance ; la liturgie est l’expression et l’illustration de ce que l’on croit. Par ses innombrables omissions et ses nouveautés, le rite de Paul VI s’éloigne « de manière impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe »(1). Par extension, Vatican II s’éloigne de manière impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique … Liberté religieuse, œcuménisme de type « théorie des branches », collégialité épiscopale, laïcité, exaltation du judaïsme talmudique, soutien intellectuel et pratique au mondialisme maçonnique athée, dévalorisation de la vie intérieure et de la mortification au profit de « l’action » et de la « positivité », effacement de l’objectivité de la morale au profit de la subjectivité et des sentiments (au point que la contraception artificielle, la sodomie ou le suicide peuvent devenir un « bien subjectif »), tout ceci est contenu dans Vatican II et/ou dans l’enseignement des successeurs de Paul VI.

Par les desseins miséricordieux de la Providence, qui a permis que l’Eglise soit infiltrée de l’intérieur et sabordée par ses pires ennemis (exactement comme le craignait Saint Pie X), cette infiltration et ce sabordage ont été rendus particulièrement visibles et évidents, avec la réforme liturgique de 1969. Nos jeunes générations ne se représentent pas bien à quel point la réaction au nouveau missel a été massivement défavorable chez les catholiques, particulièrement en France. Entre ceux qui s’interrogent sur la pertinence du changement, ceux qui abandonnent la pratique religieuse par dégoût pour cette désacralisation, ceux qui demandent timidement le maintien de certaines pratiques anciennes et ne comprennent pas l’abandon brutal de plusieurs siècles de tradition liturgique, il y eut aussi ceux qui refusèrent catégoriquement toute participation à cette liturgie protestante et commencèrent à s’organiser en groupes de « résistants », bien convaincus qu’il ne s’agissait pas seulement de préférences esthétiques personnelles mais de questions relatives à la foi catholique elle-même, dans toute sa profondeur, et donc du salut de leur âme dont dépend la profession de la foi.

Le temps passant ces « résistants » se sont organisés en groupes différents et ont précisé leur position doctrinale vis-à-vis de la crise de l’Eglise et de la trahison de ses autorités. Ils sont devenus les « sédévacantistes », la FSSPX, la FSSP, l’IBP et d’autres groupes plus ou moins « régularisés » vis-à-vis de la Rome conciliaire, qui tolère avec une forme de résignation et non sans un certain mépris leur « différence liturgique » et leur « sensibilité droitière ». Après avoir tenté sans succès d’interdire brutalement, à renfort de menaces et de sanctions spectaculaires, l’usage de la liturgie tridentine et la défiance à l’égard de Vatican II au nom de la doctrine catholique reçue avant le concile, les conciliaires (à partir de Jean-Paul II) ont opté pour une stratégie plus diplomatique et ont cherché à donner un « cadre » à ces groupes et à ces pratiques en dissonance avec l’esprit de Vatican II. Joseph Ratzinger, devenu « pape », a acté de manière officielle cette « réconciliation » et cette « légalisation » par le motu proprio de 2007. 

Le 30 mars 1987, à la demande de Mgr Thomas évêque de Versailles, le Père Bruno de Blignères est expulsé manu militari de l’église Saint-Louis du Port-Marly, pendant qu’il célèbre la Messe

Mais qui ne voit que le motu proprio de Benoît XVI oblige ces traditionalistes à renier les engagements et les principes du combat qui les a poussés à rejeter la nouvelle liturgie ? Ratzinger, qui n’est un « conservateur » que pour l’œil non averti, était connu comme l’un des penseurs les plus progressistes pendant le concile Vatican II, un véritable et pur moderniste (2). Le principe qui sous-tend la « légalisation » de la liturgie tridentine est le suivant : ce rite est aussi bon et légitime que le nouveau, dans l’absolu ; et pour autant il ne faut pas les considérer sur un strict pied d’égalité, car le nouveau rite est le rite ordinaire de la liturgie romaine, tandis que la liturgie tridentine n’existe que sous un régime dérogatoire, elle est le rite extraordinaire. Accepter le régime du motu proprio signifie, pour les traditionalistes, accepter que la « nouvelle messe » qu’ils ont rejeté et combattu est « aussi bonne » que la vraie Messe et même supérieure en dignité en tant que rite ordinaire de l’Eglise universelle.

Personne ne devrait être content dans cette situation absurde. Ni les traditionalistes, ni les modernistes.

Pourquoi tant de traditionalistes ont chanté le Te Deum, ont sabré le magnum de champagne, à l’occasion de cette « concession » de la part de la Rome conciliaire, qui est plutôt au fond une capitulation de la part des traditionalistes ? Ont-ils oublié les principes qui motivent leur combat, et qui font constater que le nouveau rite est équivoque, scandaleux, dangereux du point de vue de la foi et même probablement invalide ? Comment peut-on se contenter et se réjouir d’une telle situation, si l’on est convaincu que le nouveau rite est mauvais ? La réponse est simple : il faut ou bien se convaincre que finalement le nouveau rite n’est pas mauvais, ou bien être hypocrite et accepter en apparence la dignité du nouveau rite tout en pensant autrement en secret. Ainsi semblent faire beaucoup de prêtres et de fidèles des groupes dits « ralliés », qui critiquent en secret Vatican II et sa liturgie, tout en professant extérieurement d’une union et d’une obéissance à l’égard de ce qu’ils estiment être le Saint-Siège. Ils font mine « d’en être », sans en être vraiment, en conservant leur propre manière de voir les choses. Comme si le Pape et l’Eglise pouvaient enseigner des hérésies et promulguer une liturgie mauvaise : il faut, pour défendre une telle position, ressusciter les arguments mille fois réfutés des gallicans et des jansénistes contre l’autorité et les prérogatives du successeur de Saint Pierre, contre la sainteté et l’infaillibilité de l’Eglise.

Du côté des modernistes, le motu proprio de Benoît XVI est très mal vu. Pourquoi donner du crédit et du soutien à ces groupuscules d’extrême-droite, qui sont contre le progrès et contre l’amour ? Ils ralentissent l’œuvre de Vatican II. Bien qu’intellectuellement parlant, on puisse être un vrai moderniste et reconnaître un certain intérêt et une certaine légitimité au rite tridentin (comme Ratzinger), en pratique ce que ce rite représente est trop en rupture avec le modernisme et la religion de Vatican II pour qu’il soit en affection chez la plupart de ses partisans. En définitive, ce que les modernistes reprochent principalement aux traditionalistes, c’est d’adhérer à la théologie catholique d’avant Vatican II, dont la Messe tridentine est l’expression : ainsi le professeur Massimo Faggioli explique les inquiétudes du Vatican vis-à-vis des traditionalistes de cette manière : « You can have that latin mass, you cannot have the theology of the 16th century that was at the basis of latin mass »(3). La Messe en latin, passe encore ; mais la théologie antiprotestante des papes, des docteurs et des saints du XVIème siècle, pas question.

Ce rite a été abandonné par Paul VI et ses suivants parce qu’il était trop attentatoire aux croyances des protestants, qu’il était nuisible à l’œcuménisme : pourquoi autoriser sa diffusion s’il va contre les principes et les objectifs de Vatican II ? Cette situation de coexistence des deux rites est perçue par la plupart comme une bizarrerie, quasiment un attentat à « l’unité de l’Eglise » dans sa loi de prière. Plusieurs posent ouvertement la question de savoir si les communautés traditionnalistes sont en communion avec l’Eglise catholique : quand Vatican II donne la certitude que les protestants et les schismatiques orientaux sont membres de l’Eglise, apparemment l’appartenance des traditionalistes à l’Eglise fait débat !(4)

L’actuelle décision de François de briser les dispositifs établis par son prédécesseur et de placer sous un contrôle beaucoup plus drastique les groupes traditionalistes n’est que l’aboutissement naturel d’une situation qui était, dès le départ, incohérente et bancale. La stratégie de Benoît XVI, qui consiste à amadouer les traditionalistes pour mieux les contrôler, ne porte pas les fruits attendus. Les modernistes commencent à le dire de plus en plus fortement : le sempiternel « dialogue œcuménique », si richement mené à l’égard des sectateurs de Luther et de Photius, ne peut pas être mené avec les traditionalistes parce qu’ils sont trop « de droite ». Les conciliaires progressistes reconnaissent (avec raison) qu’ils sont plus proches des libéraux de toute confession, que des catholiques trop fortement attachés au catholicisme. François a multiplié ces derniers temps les déclarations très hostiles et à peine voilées à l’égard des catholiques « trop conservateurs », considérés comme des pharisiens ou des personnes cliniquement malades. La rupture de fait et l’impossibilité d’une conciliation entre ces deux camps, que tout oppose au point de vue des idées, va se traduire de plus en plus dans le droit conciliaire. Et pour les traditionalistes, il faudra finir par sortir de ce statu quo insensé et inique entre ceux qui veulent détruire la foi et ceux qui veulent la défendre.

Le motu proprio de François ne fait que mettre le « traditionalisme » devant ses propres contradictions

Les traditionalistes qui avaient exulté en 2007 se trouvent à présent désemparés. Pour beaucoup d’entre eux, c’est peut-être la disparition pure et simple de leur « paroisse » qui les attends. Pour tous, on attendra d’eux des gages explicites de soumission à Vatican II et à la nouvelle liturgie. Certains sont littéralement excédés, et ne comprennent pas qu’un pape puisse à ce point persécuter l’usage des saintes et émouvantes cérémonies de la liturgie tridentine, et les doctrines qu’elles expriment. 

Mais faut-il s’étonner de cette situation ? Absolument pas, disions-nous plus tôt.

Les conciliaires s’opposent à la liturgie tridentine, parce qu’elle est explicitement incompatible avec le protestantisme, elle choque les « frères séparés »(5). Ils veulent faire plaisir aux protestants avec leur « nouvelle messe », parce qu’ils considèrent que le protestantisme est légitime et que les protestants sont véritablement membres de l’Eglise : on ne parle plus « d’œcuménisme du retour », mais d’œcuménisme de l’approfondissement ou de la perfection du lien déjà existant.

Luther et le Cardinal Cajetan

Les traditionalistes sont, a priori, conscients que ces idées sont contraires à la foi catholiques, condamnées par le magistère de l’Eglise et par la voix unanime des docteurs et des saints catholiques des derniers siècles. Pourquoi s’étonnent-ils d’être persécutés par les défenseurs de l’hérésie ?

Pourquoi les traditionalistes s’attendent, de la part des défenseurs de l’hérésie, à ce qu’ils leur concèdent un quelconque droit à exister dans la dénonciation de l’hérésie et la profession de la doctrine catholique intégrale ? Pourquoi se réjouissent-ils quand les défenseurs de l’hérésie font mine de leur donner un semblant d’existence, et s’attristent-ils quand les défenseurs de l’hérésie leur dénient les concessions précédemment faites ?

Voilà la grande contradiction du traditionalisme « rallié » : ils recherchent l’approbation … de leurs ennemis, de ceux contre qui ils luttent. Au moins de ceux contre qui ils luttaient initialement. Si la « nouvelle messe » ne posait pas un grave problème de conscience, il n’y aurait aucune raison d’être traditionaliste, les traditionalistes ne seraient que des schismatiques, des extravagants, des fous. Si la « nouvelle messe » était vraiment bonne et sainte, comme l’affirme le motu proprio de Benoît XVI, le traditionalisme est alors relégué au rang de fantaisie droitière pharisaïque : c’est ainsi qu’il est considéré par le clergé conciliaire.

Cette « relation » entre les traditionalistes et les autorités conciliaires est profondément incohérente. Au fond, qu’ils en soient conscients ou non, les traditionalistes qui recherchent l’approbation de la Rome conciliaire ne cherchent qu’une chose : un sentiment de régularité et de normalité institutionnelle. Ils ne cherchent pas sincèrement à obéir au pape : ils cherchent à avoir le sentiment que le pape est d’accord avec eux. Ils veulent avoir le sentiment qu’il y a une continuité entre l’Eglise d’avant et celle d’après Vatican II. Ils veulent avoir le sentiment que tout est normal, que Vatican II n’est qu’une regrettable imperfection humaine dans l’histoire de l’Eglise et qu’elle n’engage pas son autorité infaillible, ou bien que Vatican II n’est pas fondamentalement incompatible avec leur « sensibilité intégriste ». Ils veulent avoir le sentiment que l’on peut pratiquer la foi catholique intégrale sans passer pour un fou et un sectaire. Ils passeront quand même pour des fous et des sectaires auprès des autorités ecclésiastiques actuelles, et seront traités comme tels …

Ce sentiment ne peut qu’être fragile et illusoire, parce que les personnes dont ils veulent l’approbation ne recherchent plus le bien de l’Eglise et la fin pour laquelle elle a été instituée. Ce fait est manifeste depuis le concile Vatican II. Ces personnes ont usurpé les institutions de l’Eglise, sa structure, pour défendre d’autres doctrines et d’autres finalités que celles de l’Eglise du Christ : la nouvelle religion humanitaire, œcuméniste et laxiste enfantée par le modernisme et la conjuration antichrétienne. Ce sont les ennemis déclarés de Dieu : ils ne recherchent pas sa gloire, mais cherchent à plaire au monde, ils suivent sans discernement ses lubies et ses modes intellectuelles impies, ils aiment ce monde maudit et anathématisé par Jésus-Christ lui-même, sans comprendre son vide profond et sa laideur. Ils détestent le renoncement et la mortification des saints des siècles passés, parce qu’ils n’ont pas la même foi que les saints des siècles passés. Ils détestent aussi leur zèle pour la lutte contre l’hérésie et les fausses religions, leur zèle pour la condamnation des mauvais discours et des mauvais livres, parce qu’ils croient à la « liberté de pensée », suivant la mode du temps et contre le magistère de la sainte Eglise. Ils ne veulent pas ce que veulent les catholiques : la gloire de Dieu, l’exaltation de la foi et l’extirpation des hérésies, la conversion des pêcheurs et le salut des âmes. Voici ce qu’ils veulent : la gloire de l’homme, l’effacement de la foi et la libre prolifération des hérésies, le contentement des pécheurs dans leurs péchés, l’oubli des fins dernières et du jugement de Dieu (remplacés par une croyance au salut universel inconditionnel)(6).

On ne peut pas être pape et poursuivre objectivement, de manière habituelle, quelque chose de contraire au bien de l’Eglise et à sa finalité. C’est tout simplement un empêchement, un obex à l’autorité pontificale. Cet argument développé par Mgr Guérard des Lauriers prouve de manière philosophiqueplus que théologique combien il est impossible que Paul VI et ses successeurs soient papes.  Et si l’on se posait la question, juste et légitime question, de savoir où se trouvent l’autorité et la juridiction dans l’Eglise actuellement en crise (car elles ne peuvent disparaître, de droit divin), la « thèse de Cassiciacum » y répond en toute conformité avec la théologie catholique, le magistère de l’Eglise et la philosophie de Saint Thomas : https://www.sodalitium.eu/lexplication-thomiste-de-letat-actuel-de-lautorite-leglise/

Deux alternatives logiques : accepter Vatican II et la nouvelle messe, ou accepter le constat de la vacance du Saint-Siège

La position de la FSSPX, qui est malheureusement celle vers laquelle vont se tourner par défaut beaucoup de « ralliés » malmenés par les nouvelles restrictions, ne peut pas être une alternative logique, conforme à la raison et à la foi. Ces « ralliés » ont accepté de se rallier par esprit « romain », par opposition à la dérive schismatique de la FSSPX qui sacre des évêques en faisant comme si le pape n’existait pas ; par esprit romain (c’est-à-dire par esprit catholique, suivant le principe de la foi en l’autorité suprême du Pape) ils doivent choisir entre la soumission réelle, extérieure et intérieure, à ce qu’ils pensent être l’autorité de l’Eglise, ou bien le sédévacantisme, c’est-à-dire la claire conscience de l’impossibilité qu’un pape enseigne des hérésies et détruise la liturgie catholique, et en conséquence le constat que le Saint-Siège est vacant au plus tard depuis 1965, date de la promulgation de Vatican II, contenant notamment la fausse doctrine de la liberté religieuse. Conclusion difficile, déchirante, mais froidement logique, et conforme aux principes de la doctrine catholique, face au problème évident et toujours plus grave de la crise de l’Eglise.

La raison pour laquelle tant de traditionalistes se refusent, avec une obstination parfois passionnée, à considérer l’hypothèse du sédévacantisme, est liée à ce dont nous parlions plus haut : la recherche d’un sentiment de régularité et de normalité institutionnelle, la recherche d’une vaine et illusoire approbation de la part de ceux qui occupent les structures institutionnelles de l’Eglise. Et donc, dans cette recherche, le sédévacantisme est vu comme la pire chose possible : d’après cette doctrine, il n’y a actuellement plus de régularité et de normalité dans l’Eglise, chacun est comme livré à lui-même en l’absence d’autorité régnante… Comme si depuis Vatican II, les fidèles étaient bien guidés et n’étaient pas livrés à eux-mêmes, quand les « papes » enseignent des doctrines condamnées par le magistère de l’Eglise et promulguent une liturgie si douteuse qu’il a fallu créer des groupes séparés pour pouvoir continuer à enseigner la vraie doctrine et pratiquer la vraie liturgie contre le « courant dominant du catholicisme ». Sentiment fragile et illusoire disions-nous : au fond, la vie des communautés ralliées diffère peu, en pratique, de la vie des communautés sédévacantiste, la différence réside surtout sur un bout de papier (7). Maintenant que le bout de papier va être déchiré, les ralliés vont-ils réfléchir sérieusement à la gravité de la crise actuelle de l’Eglise catholique, et aux conclusions que doivent nous faire admettre la théologie catholique face à cette crise ?

Nous espérons que les traditionalistes profiteront de ces évènements douloureux pour comprendre que cette recherche est sentimentale, qu’elle vise à procurer un sentiment de confort psychologique, mais que la raison et la foi ensemble se liguent pour discréditer ce sentiment. Il ne faut pas chercher le confort, mais la vérité : tous les traditionalistes seront d’accord avec ce principe, sur le papier. Si une vérité est inconfortable, elle n’en est pas moins vraie, et elle mérite que l’on se prive du confort que nous cherchons, pour accepter l’inconfort de la croix. On ne se sauve pas sans la croix, on ne se sauve pas sans la souffrance : les traditionalistes connaissent ce principe. C’est effectivement une souffrance et un inconfort d’être privé d’autorité et de cadre ecclésiastique légitime, privé de régularité, privé de la sécurité que procure la soumission à une institution visible et forte. Mais si telle est la réalité, on ferait offense à Dieu en ne vivant pas en conformité avec cette réalité.

Nous espérons, sincèrement et charitablement, que ces évènements soient l’occasion pour le plus grand nombre des traditionalistes, qui depuis des années combattent sincèrement pour garder la foi dans un monde apostat, de considérer sérieusement qu’il est impossible qu’un véritable pape persécute la liturgie catholique pour imposer à la place une fausse liturgie protestante, qu’il est impossible qu’un pape enseigne dans l’exercice de son ministère les fausses doctrines qui justifient son amour du protestantisme. Et donc, qu’il est impossible que François soit actuellement pape, vicaire de Jésus-Christ et successeur de Saint Pierre dans l’autorité apostolique. Nous prions pour que le grand saint Pie X, qui a pressenti et cherché à empêcher le noyautage des institutions ecclésiastiques par les modernistes, intercède pour nous tous et nous obtienne d’être vraiment fidèles à son combat, et à tous les sacrifices qu’exigent la défense de la vérité.

Jean-Tristan B.


Il est impossible qu’un arbre bon produise de mauvais fruits. Placé dans un mauvais terrain, un arbre bon meurt, mais jamais il ne produit de mauvais fruits. Nous ne pouvons donc pas imputer les désordres dont nous sommes les spectateurs navrés, nous ne pouvons pas les imputer aux malheurs des temps ou à toutes sortes de causes extrinsèques. Non, les malheurs de l’Église, ils viennent de ce que, à l’origine, au sommet, il y a une viciosité radicale qui découle de l’esprit de Satan qui est le père du mensonge, et non pas de l’ESPRIT SAINT qui est l’ESPRIT de VÉRITÉ.

Efforçons-nous discrètement mais fermement, de porter le jugement que nous avons à porter sur la situation, dans la lumière de la très sainte Foi. Efforçons-nous, avec intrépidité, avec courage, avec simplicité et en allant jusqu’au bout de nous-mêmes, jusqu’au bout de nos forces, usque ad mortem si le Bon Dieu nous le demande, de joindre le témoignage de l’action à la profondeur de la conviction.

R.P. Guérard des Lauriers 1977
Lire le sermon entierhttps://www.sodalitium.eu/sermon-du-r-p-guerard-des-lauriers/


1 Bref examen critique du nouvel Ordo Missae, signé par les cardinaux Ottaviani et Bacci, rédigé principalement par le Père Michel-Louis Guérard des Lauriers alors professeur à l’Angelicum(1969). Le texte est disponible ici :https://laportelatine.org/documents/crise-eglise/nouvelle-messe/le-bref-examen-critique-du-nouvel-ordo-missae


2 Le « dossier Ratzinger» est vaste et il faudrait une vie pour exhumer toutes ses citations modernistes. Par rapport au sujet qui nous intéresse, il est manifeste que Ratzinger n’aime pas les traditionalistes, il les considère comme dangereux et sectaires. Le but de sa politique est de les amadouer, et de noyer leur résistance par une série de mesures qui leur sont en apparence favorables. Voici ce qu’il déclarait en 1982 : « We must be on gard against minimizing these movements [that oppose Vatican II]. Without a doubt, they represent a sectarian zealotry that is the anthitesis of Catholicity. We cannot resist them too firmly.”. (Joseph Ratzinger, Principles of Catholic Theology, Ignatius Press, 1987, pp.389-90 – Traduit de l’original allemande Katolische Prinzipienlehre, 1982). Citation issue du dossier de “Novus Ordo Watch” sur Ratzinger, précieuse mine d’informations pour qui veut comprendre qui est réellement le « pape intégriste » : https://novusordowatch.org/benedict-xvi/


3 https://www.youtube.com/watch?v=5UI3FJJ8SNo
Cet entretien a lieu dans le contexte des restrictions et régulations imposées par François début 2021 à propos de la célébration dans le « rite extraordinaire » dans la basilique Saint Pierre. Faggioli (partisan enthousiaste de Vatican II) explique que le cœur du problème n’est pas que François n’aime pas cette forme du rite, mais qu’il n’aime pas la théologie qui la sous-tend. Pour pouvoir dire la messe en latin en étant agréé par les autorités conciliaires, il faut préalablement donner des garanties d’être suffisamment moderniste, d’accepter toutes les concessions qu’imposent l’esprit moderne : c’est ce qui attends les communautés ralliées actuellement.


4 Voir le document émis par la « conférence des évêques de France » dans le cadre de l’enquête demandée par François sur l’application du motu proprio de Benoît XVI. Une mine d’or pour comprendre la mentalité des conciliaires, qui mériterait un commentaire dédié.
https://fsspx.news/sites/sspx/files/202012synthesecefsummorumpontificium.pdf


5 Un exemple de témoignage pour illustrer cette idée : dans l’Osservatore Romano du 19 mars 1965, Mgr Bugnini, secrétaire du Conseil pour l’application de la Constitution sur la liturgie et sous-secrétaire de la congrégation des Rites pour la liturgie, principal auteur de la réforme liturgique, présenteles modifications qui ont été apportées à certaines des oraisons solennelles du Vendredi saint. Il explique ses motivations œcuménistes : « L’Église a été guidée par l’amour des âmes et le désir de tout faire pour faciliter à nos frères séparés le chemin de
l’union, en écartant toute pierre qui pourrait constituer ne serait-ce que l’ombre d’un risque d’achoppement ou de déplaisir. » (Osservatore Romano, 15 mars 1965).
Le même Bunigni déclare au long de ses mémoires que la réforme de la semaine sainte est un prémice de la réforme générale de la liturgie qu’il dirigera ensuite.


6 Veut-on un exemple pour illustrer à quel point « l’œcuménisme »de Vatican II est contraire au salut des âmes ? François a déclaré en 2016, alors en déplacement à Tbilissi en Géorgie, qu’il ne fallait pasconvertir les orthodoxes, et mieux encore : que le prosélytisme était un grand péché contre l’œcuménisme. Les citations sont consultables ici : https://novusordowatch.org/2016/10/francis-converting-orthodox-sin-against-ecumenism/


7 Nous ne disons pas cela pour dire que le « bout de papier » n’est pas important. Au contraire, du point de vue de Dieu, il est très important de savoir si l’on se déclare en communion avec François ou non. Nous voulons plutôt insister sur le fait que les ralliés s’imaginent qu’ils sont dans la régularité, l’obéissance et la communion, alors qu’en pratique ils se permettent de critiquer les « papes » et qui plus est des « papes saints », de critiquer un « Concile œcuménique », ils essayant de vivre comme si Vatican II n’avait pas existé : les conciliaires ont raison de s’interroger sur la réalité de leur communion avec eux, vu le faible degré d’alignement entre les ralliés et Vatican II.

De la possibilité d’un pape schismatique

Cajetan et le « schisme capital »

Beaucoup de « catholiques conciliaires » estiment que le sédévacantisme est une absurdité, voire une hérésie, au motif qu’il est impossible que Dieu permette une défaillance de l’élu au souverain pontificat en matière de foi, ou permette qu’il se sépare volontairement de l’unité de l’Eglise. Une fois élu, le nouveau pape serait comme physiquement empêché de perdre la foi ou de se séparer de l’Eglise : il est pape « malgré lui » et quoi qu’il puisse vouloir en son for intérieur. Il n’a plus de libre-arbitre sur cette question.

Cette idée se base sur une série de confusions et d’erreurs :

  • La confusion entre l’aspect matériel de la papauté (l’élection) et son aspect formel (l’autorité), comme s’il suffisait d’être élu à la papauté pour devenir Pape ipso facto.
  • L’ignorance ou l’omission du principe suivant lequel il est nécessaire que l’élu accepte la charge de souverain pontife pour recevoir l’autorité et les grâces spéciales associées à son ministère : tant que l’élu accepte de recevoir la charge du souverain pontificat, il sera assisté personnellement par le Saint-Esprit pour son enseignement ; mais s’il refuse cette charge, il ne sera pas plus infaillible qu’un homme ordinaire.
  • La confusion entre les promesses du Christ concernant l’infaillibilité et l’indéfectibilité de l’Eglise, qui sont bien réelles et basées sur les Saintes Ecritures, et une supposée promesse d’indéfectibilité individuelle pour la personne élue au souverain pontificat : le Christ promet que l’Eglise ne faillira pas, mais il ne promet pas qu’un pape ne puisse pas se séparer de l’Eglise et perdre sa charge par ses fautes personnelles
  • Une vision trop humaine et temporelle de l’unité de l’Eglise, qui consiste à faire croire qu’il est « nécessaire » que l’Eglise ait toujours un chef visible, sans quoi les chrétiens seraient désemparés. On veut bien reconnaître qu’il y a eu des périodes de vacance du Saint-Siège plus ou moins longues, jusqu’à 2 ou 3 ans dans les premiers siècles, mais il ne serait pas possible que cela dure « trop longtemps ». En vérité, si une telle situation peut durer deux ans, il est métaphysiquement possible qu’elle dure cent ans, sans que l’unité substantielle de l’Eglise soit altérée.

Ces distinctions (matière et forme de la papauté, infaillibilité de l’Eglise et faillibilité individuelle de l’élu au souverain pontificat) sont celles de la théologie catholique : elles n’ont pas été inventées par Mgr Guérard des Lauriers ou quelque autre personnalité postérieure à Vatican II, pour tenter de donner une explication à la crise de l’Eglise, mais elles sont discutées dans des ouvrages de théologie respectés et antérieurs à Vatican II.

Il apparaît, pour un grand nombre de théologiens catholiques, et contrairement à l’opinion anti-sédévacantiste précitée, qu’il est tout à fait possible :

  • Qu’une personne élue au souverain pontificat ne devienne pas Pape (parce qu’elle refuse la charge explicitement, ou bien parce qu’il y a dans ses qualités essentielles ou dans sa volonté un obstacle incompatible avec l’autorité pontificale : par exemple, le fait d’être privé de raison, ou le fait d’être hérétique)
  • Qu’un véritable Pape perde sa charge :
    • Par renonciation
    • Par hérésie (cas discuté notamment par Saint Robert Bellarmin)
    • Par schisme

Le dernier point (la possibilité qu’un pape devienne schismatique) nous intéresse particulièrement, parce qu’il fait écho à la thèse de Cassiciacum : selon cette thèse, l’élu actuel au souverain pontificat est schismatique et ceux qui le déclarent pape et offrent le sacrifice en union avec lui agissent de manière (au moins matériellement) schismatique : c’est le « schisme capital », schisme par la tête, dont parle Mgr Guérard. Aussi étrange que cette possibilité puisse paraître (un pape schismatique semble être une contradiction dans les termes, car on est schismatique à partir du moment où l’on refuse de se soumettre au pape : comment un pape pourrait-il désobéir à lui-même ?), elle a été affirmée comme une possibilité réelle par plusieurs théologiens, en particulier le cardinal Thomas Cajetan (1469-1534). Il se n’agit pas de dire que le pape est en contradiction avec lui-même, mais que l’homme désigné pour être souverain pontife est en contradiction avec la papauté, de telle sorte qu’il n’est lui-même plus pape et qu’il se sépare de l’Eglise, quand bien même il serait « l’occupant du Saint-Siège ».


Luther devant le cardinal Cajetan pendant la controverse de ses 95 thèse
s, Ferdinand Wilhelm Pauwels, 1870

Dans son livre « L’Eglise du Verbe incarné » (1952), Charles Journet fait la synthèse de ces opinions dans les termes suivants :

De la possibilité d’un Pape schismatique

1 – Les anciens théologiens (4), qui pensaient, à la suite du Décret de Gratien, pars I, dist. XV, c. VI, que le pape, infaillible comme docteur de l’Église, pouvait cependant pécher personnellement contre la foi et tomber dans l’hérésie (5), admettaient à plus forte raison que le pape pouvait pécher contre la charité, même en tant qu’elle fait l’unité de la communion ecclésiastique, et tomber dans le schisme (6).

L’unité de l’Église, disaient-ils, subsiste quand le pape meurt. Elle pourrait donc subsister même quand un pape céderait au schisme (7).

Mais, demandaient-ils, comment le pape serait-il schismatique ? Il ne peut se séparer ni du chef de l’Église, à savoir de lui-même, ni de l’Église, car où est le pape, là est l’Église.

A quoi Cajetan répond que le pape pourrait rompre la communion en renonçant à se comporter comme chef spirituel de l’Église, décrétant par exemple d’agir comme pur principe temporel. Pour sauver sa liberté, il éluderait alors les devoirs de sa charge ; et s’il y mettait de la pertinacité, il y aurait du schisme (8). Quant à l’axiome : où est le pape, là est l’Église, il vaut lorsque le pape se comporte comme pape et chef de l’Église : autrement, ni l’Église n’est en lui, ni lui en l’Église (9).

2 – On dit parfois que le pape, ne pouvant désobéir, n’a qu’une porte d’entrée dans le schisme (10). Des analyses que nous avons faites, il résulte plutôt qu’il peut, lui aussi, pêcher de deux manières contre le communion ecclésiastique : 1° en brisant l’unité de connexion, ce qui supposerait chez lui la volonté de s’arracher à l’invasion de la grâce en tant qu’elle est sacramentelle et fait l’unité de l’Église ; 2° en brisant l’unité de direction, ce qui se produirait, selon la pénétrante analyse de Cajetan, s’il se rebellait comme une personne privée contre le devoir de sa charge, et refusait à l’Église, – en tentant de l’excommunier toute entière ou simplement en choisissant délibérément de vivre en pur prince temporel -, l’orientation spirituelle qu’elle est en droit d’attendre de lui au nom d’un plus grand que lui, du Christ même et de Dieu.

3 – La supposition d’un pape schismatique nous révèle davantage, en le cernant d’un jour tragique, le mystère de la sainteté de cette unité d’orientation qui est nécessaire à l’Église ; et peut-être pourrait-elle aider l’historien de l’Église, – ou plutôt le théologien de l’histoire du Royaume de Dieu -, à illuminer d’un rayon divin les plus sombres époques des annales de la papauté, en lui permettant de montrer comment elle a été trahie par certains de ses dépositaires.

C’est en refusant d’être chefs spirituels et en se comportant en purs princes temporels que les papes, au dire des anciens théologiens, étaient tentés de faire schisme. Aujourd’hui ce danger paraît aboli. En vertu de sa loi génératrice, l’Église tend à devenir à la fois toujours plus visible et toujours plus indépendante des formations temporelles (11). Le vœu de Moehler de voir un temps où le chef de l’Église serait autorisé à n’être que chef de l’Église (12) est exaucé. Certaines aberrations semblent désormais impossibles.

(4) Turrecremata, Cajetan, Banez.

(5) Cf. L’Eglise du Verbe incarné, t. I, p. 596.

(6) Cette possibilité n’est pas admise universellement. Cependant, dit M.-J. Congar, « à l’envisager d’une manière purement théorique, elle ne paraît pas douteuse ». Loc. Cit., col. 1306. Ell est enseignée par Suarez, De charitate, disp. 12, sect. I, n° 2, T. XII, p. 733.

(7) Cajetan, II-II, qu. 39, a. I, n° VI.

(8) « Persona papae potest renuere subesse officio papae… Et si hoc in animo pertinaciter gereret, esset schismatic us per separationem sui ab unitate capitis. Ligatur siquidem, persona sua, legibus officii sui quad Deum ». Ibid.

(9) Ibid.

(10) « Il y a, dit Suarez, De charitate, disp. 12, sect. I, n°2n t. XII, p. 733, deux façons de devenir schismatique : 1° sans nier que le pape est chef de l’Église, ce qui serait déjà l’hérésie, on agit comme s’il ne l’était pas : c’est la façon la plus fréquente ; 2° on refuse d’entrer en communion avec le corps de l’Église par la participation des sacrements… De cette seconde façon le pape pourrait être schismatique, par exemple, en tentant d’excommunier toute l’Église, ou en renversant tous les rites traditionnels ». Selon Suarez, le pape ne pourrait dont pécher contre l’unité de direction. Mais il apporte en exemple ce que nous regardons précisément comme un péché contre l’unité de direction.

(11) Voir plus haut, p. 47.

(12) Joseph-Emile Vierneisel, Actualité de Moehler, dans L’Église est une, Paris, 1939, p. 303.

Charles Journet, L’Eglise du Verbe incarné. Tome 2, pp. 839-841.

Notons au passage que Charles Journet, un « catholique libéral » qui fut « élevé au cardinalat » par Paul VI, exprime dans le troisième paragraphe son opinion personnelle erronée (et même condamnée par le magistère de l’Eglise [1]), sur l’opportunité et le bienfait de la perte du pouvoir temporel par l’Eglise ; mais c’est une autre question que celle qui nous occupe présentement.

Charles Journet est parfois invoqué par les partisans de l’impossibilité radicale du sédévacantisme, en tant que défenseur de la « thèse de l’acceptation universelle ». Nous voyons ici qu’en réalité, Charles Journet s’accorde avec la théologie catholique antérieure pour dire qu’il est possible qu’un pape se sépare de l’Eglise, sans d’ailleurs donner de précisions sur les effets de cette séparation et le rapport de celle-ci avec l’acceptation pacifique et universelle : est-ce qu’il faut qu’une majorité de fidèles catholiques (ou d’évêques) se rende compte que le pape est devenu schismatique – ou l’a toujours été, et donc n’a jamais été véritablement pape – pour que le fait devienne une certitude suivie d’effets pratiques ? Il n’en est nullement question ici. Reste cette possibilité de principe suivant laquelle un pape peut se séparer de l’Eglise en devenant schismatique, s’il refuse les devoirs de sa charge : la conclusion nécessaire de ce principe est qu’il cesse d’être pape (n’étant plus membre de l’Eglise, il ne peut pas en être le chef : cf. Saint Robert Bellarmin), à partir du moment où il refuse les devoirs spirituels de sa charge.

Dans le troisième paragraphe, Journet tient des propos qui indiquent assez clairement qu’il est prêt à envisager que certains papes particulièrement scandaleux dans l’histoire de l’Eglise aient pu être schismatiques(ce qui veut dire, nous le rappelons, que ces papes n’étaient pas réellement papes): selon lui cette supposition d’un pape schismatique peut « aider l’historien de l’Eglise » à « montrer comment elle [la papauté] a été trahie par certains de ses dépositaires». Charles Journet dit, ni plus ni moins, que l’on peut se permettre de douter que certains papes du passé aient été réellement papes, que c’est peut-être un moyen légitime d’expliquer les périodes de crises les plus graves qu’a traversé la papauté. Quid de « l’acceptation pacifique et universelle » de ces papes excessivement désintéressés du bien spirituel de l’Eglise ? Il y a visiblement, pour Charles Journet, d’autres principes et d’autres critères qui permettent de déterminer si quelqu’un qui est pape « en apparence » est pape réellement, ou qui peuvent susciter à tout le moins des doutes et des interrogations légitimes sur le fait qu’un homme réputé pape ait été réellement pape.

Si l’on analyse un peu ce principe (le pape se sépare de l’Eglise s’il refuse les devoirs de sa charge) et ses conclusions, il apparaît de manière frappante qu’un des principes centraux de la « thèse de Cassiciacum» était déjà exprimé par des théologiens du XVIe siècle tels que Cajetan ou Suarez. Charles Journet, avec son prisme libéral, concentre son analyse du problème du « pape schismatique » sur la dichotomie entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Mais le principe est plus général : pour recevoir l’autorité pontificale, l’élu au souverain pontificat doit, en plus d’être élu suivant les règles canoniques (ce qui constitue la matière de la papauté, selon les termes de Saint Antonin de Florence), accepter sa charge, ce qui signifie que l’élu doit accepter de poursuivre le bien de l’Eglise et la fin pour laquelle l’Eglise a été instituée : le salut des âmes, la défense de la foi, la gloire de Dieu. C’est ce que l’on peut comprendre derrières les termes employés par Cajetan et Journet, quand ils disent que le pape doit « se comporter comme chef spirituel de l’Eglise ». Et si le pape, ou celui qui semble l’être, s’oppose à cette finalité de l’Eglise de manière évidente et visible (par exemple – l’exemple est de Suarez, pas des traditionalistes du XXe siècle ! – en renversant tous les rites traditionnels touchant l’administration des sacrements), il serait à considérer comme schismatique.

Cajetan et Suarez admettent implicitement le principe suivant lequel il faut avoir la volonté objective et manifeste de procurer le bien de l’Eglise pour pouvoir être pape, et si cette volonté fait défaut, l’élu est un usurpateur de la papauté et un schismatique au moins matériellement (pour que le schisme soit formel, il faut la pertinacité, comme dans le cas de l’hérésie). C’est donc à la condition expresse de cette adhésion de la volonté à la poursuite du bien de l’Eglise que Dieu impose à l’élu l’autorité pontificale : autrement, il en est privé, et demeure « pape matériellement » puisque élu, sans l’être formellement.

Notons qu’il ne suffit pas d’un assentiment verbal extérieur à la réception de la charge pontificale : un homme pourrait extérieurement accepter l’élection au souverain pontificat, en ayant intérieurement l’intention de poursuivre un autre but et une autre fin que celle de l’Eglise : par exemple, la seule intention d’accroître le pouvoir et la gloire temporelle de la papauté, sans lien avec sa mission spirituelle, comme le ferait un athée (cas décrit par Cajetan et Journet) ; ou bien l’intention de défendre des hérésies, d’utiliser la structure et la hiérarchie de l’Eglise pour propager une autre doctrine que celle de l’Eglise (cas décrit par le P. Guérard). Ces obstacles intérieurs de la volonté empêchent absolument la personne, même élue de la manière la plus canonique, de recevoir l’autorité pontificale et les grâces associées.

Sans chercher à tout prix des « arguments d’autorité » en faveur du sédévacantisme ou d’une explication de la crise actuelle de l’Eglise (le plus important dans ce contexte reste de remonter aux principes), il reste très intéressant de constater que l’idée qu’un pape puisse se séparer de l’Eglise par défaut d’intention de remplir la charge spirituelle qui lui incombe n’est pas étrangère à la théologie catholique. En ceci comme dans tout le reste, les « guérardiens » ou « sédévacantistes » ne sont ni des novateurs, ni des esprits imbus d’hérésie : il faut accuser Journet, Cajetan et Suarez de verser dans l’hérésie, si l’on considère qu’il est hérétique d’envisager qu’un homme « réputé pape » par une majorité de catholiques puisse être en réalité en état de schisme avec l’Eglise. Journet admet plus ou moins explicitement que ce principe (de la possibilité d’un pape schismatique) peut être invoqué pour mettre en doute l’autorité pontificale de certains papes du passé qui ont agi (ou semblent avoir agi) de manière fondamentalement contraire au bien de l’Eglise.

En cette époque où la plupart des traditionalistes adoptent les positions des gallicans et des jansénistes sur la papauté pour trouver une explication à la crise de l’Eglise, nous pouvons voir que la vraie et saine théologie catholique est déjà suffisamment riche pour permettre d’expliquer ce qui se passe actuellement dans l’Eglise.

Jean-Tristan B.


[1] Son opinion fait écho à plusieurs propositions condamnée dans le Syllabus de Pie IX (1864) :
XXVII. Les ministres sacrés de l’Église et le Pontife Romain doivent être exclus de toute gestion et possession des choses temporelles.
LXXV. Les fils de l’Église chrétienne et catholique disputent entre eux sur la compatibilité du pouvoir temporel avec le pouvoir spirituel.

Ce qui signifie : le pontife romain ne doit pas être exclu de toute gestion et possessions temporelles pour remplir avec perfection sa mission de chef spirituel de l’Eglise, comme le prétendent les Möhler et les Journet ; le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel sont compatibles, et ce point de doctrine n’est pas sujet à libre discussion entre catholiques.

L’anneau de l’œcuménisme

Paul VI offre son anneau épiscopal au primat anglican (1966)

Le 24 mars 1966, une rencontre de la plus haute importance est organisée entre Paul VI et l’archevêque anglican de Cantorbéry, Michael Ramsey. Vatican II est le Concile de l’œcuménisme : environ trois mois après la clôture du Concile, la rencontre (organisée par le « secrétariat pour l’unité des chrétiens ») fait en quelques sortes office d’ouverture du « dialogue œcuménique » avec les anglicans au niveau de la hiérarchie ecclésiastique. Paul VI prépare pour cette occasion un geste fort, qui a visiblement surpris Ramsey lui-même.

Après avoir dirigé conjointement avec Ramsey un « service liturgique œcuménique », Paul VI a demandé à Ramsey de retirer son anneau. Paul VI prend ensuite la main droite de Ramsey, et impose sur son doigt, en lieu et place de l’anneau qu’il vient de retirer, l’anneau épiscopal qu’il portait personnellement en tant qu’archevêque de Milan. Ramsey, après avoir pris le temps de réaliser la portée du geste, aurait apparemment « fondu en larmes », et les deux hommes se sont ensuite tenus un moment dans les bras [1]. Ramsey portera l’anneau pour le restant de sa vie, et le lègue ensuite à l’archevêché de Cantorbéry. Aujourd’hui encore, il est de coutume lorsque « l’archevêque » de Cantorbéry rencontre le « Pape » de porter cet anneau spectaculairement offert par Paul VI dans la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs.

Que signifie ce geste ? Que signifient les larmes de Ramsey ? C’est ce que nous nous proposons d’étudier présentement.

On sait que d’autres cadeaux ont été échangés entre les deux protagonistes. Si l’histoire a bien retenu l’affaire de l’anneau épiscopal, il semble difficile de savoir précisément quels autres présents les deux hommes ont pu échanger. Certains témoignages font état du fait que Paul VI aurait offert à Ramsey … un calice. C’est l’affirmation du « cardinal » Francesco Coccopalmerio [2], président du « Conseil pontifical pour les textes législatifs » entre 2007 et 2018, qui en fait un argument en faveur de l’abandon de la doctrine de l’Eglise sur les ordinations anglicanes, à laquelle il ne croit déjà plus lui-même, comme beaucoup d’œcuménistes. Nous aurions pu parler du « calice de l’œcuménisme » si nous étions plus certains que cette donation ait vraiment eu lieu. Retenons simplement la chose comme possible et vraisemblable : ce serait en effet cohérent avec l’imposition de l’anneau épiscopal, comme nous allons le voir.

Qu’est-ce qu’un anneau épiscopal ?

L’anneau en or porté par les évêques est l’un des symboles par excellence de l’épiscopat, aux côtés de la mitre, de la crosse et de la croix pectorale. L’usage pour les évêques de porter un anneau en signe de leur dignité est attesté dès le IVème siècle. L’imposition de l’anneau devient peu à peu une partie intégrante de la liturgie du sacre épiscopal : on le trouve dans d’anciens sacramentaires du VIIIe et du IXe siècles [3]. Dans le rituel pontifical romain, on trouve le texte suivant pour l’imposition de l’anneau : « reçois l’anneau, qui est le sceau de la fidélité : aussi longtemps que tu gardes intégralement, paré d’une foi pure, l’Épouse de Dieu, c’est à dire la Sainte Église » .

Extrait du Pontificale Romanum

Cet anneau revêt également une symbolique nuptiale : l’évêque est comme marié à la Sainte Eglise, qu’il doit protéger et aimer fidèlement comme un mari aime et protège son épouse. L’anneau est d’ailleurs porté sur l’auriculaire, de la même manière que l’anneau nuptial. Comme ordinairement le sacre épiscopal s’accompagne de l’imposition d’une juridiction ordinaire sur un diocèse, la symbolique retient surtout les « épousailles » entre l’évêque et son Eglise particulière, son diocèse, bien que le sacre puisse prendre lieu dans un autre cadre (par exemple lorsqu’un prêtre reçoit le sacre épiscopal à l’occasion de sa promotion au cardinalat, il n’est pas lié à une Eglise locale mais à l’Eglise universelle). En signe de respect pour la dignité épiscopale, il est de coutume pour les fidèles ou les clercs de rang inférieur de baiser l’anneau de l’évêque pour le saluer.

Que peut signifier l’imposition de l’anneau par Paul VI ?

Ce geste ne peut signifier qu’une chose, et le monde entier n’a pas compris autre chose que cela : Paul VI exprime le fait qu’il considère Ramsey comme un évêque. Ramsey le comprend et en est ému aux larmes : c’est en effet un « immense progrès » dans la voie vers « l’union des églises » en comparaison à l’époque de Pie XII. Paul VI offre à Ramsey, il faut même dire impose à Ramsey un objet qui est attribut par excellence de l’épiscopat, et dont l’imposition n’a lieu normalement que dans le cadre liturgique très solennel du sacre épiscopal. Un objet qui a une symbolique nuptiale, signifiant la force de l’union qui doit lier l’évêque à la Sainte Eglise : en prenant en compte cette signification, on notera que Paul VI ne considère pas simplement Ramsey comme validement évêque, mais qu’il le considère aussi comme membre de l’Eglise. Il ne faut pas s’en étonner, cette idée est conforme à la nouvelle doctrine de Vatican II sur la communion imparfaite, sur le fait que les baptisés sont tous membres de l’Eglise même les schismatiques [-> voir article dédié].

Il serait hors de propos de prétendre que Paul VI a simplement voulu offrir un objet précieux à son interlocuteur en signe de la grande sollicitude qu’il lui porte, ou bien par convenance en raison du rang de l’invité. Il aurait pu offrir un tableau, un manuscrit précieux, et encore serait-il difficilement concevable qu’aucun de ces objets ait pu être offert sans qu’il n’y ait dans ce don une signification symbolique particulière. Et comme nous le notions, il ne s’agit pas simplement d’un cadeau, Paul VI impose lui-même l’anneau à l’évêque (ce qui est une manière plus directe et plus personnelle de reconnaître sa qualité d’évêque, que s’il avait simplement offert l’anneau par un intermédiaire), de manière publique et avec l’intention que le geste soit vu et commenté.

Le geste et l’anneau qui en est l’objet sont aujourd’hui encore, du côté anglican comme du côté conciliaire, le symbole qui marquent le point de départ du « dialogue œcuménique » entre ces deux confessions. De plus si l’offrande du calice, rapportée par Coccopalmerio, est bien avérée, c’est un signe supplémentaire et encore plus explicite en faveur de l’idée selon laquelle il considère le primat anglican comme véritablement évêque (le calice est symbole par excellence du sacerdoce et du pouvoir exclusivement sacerdotal de confectionner l’eucharistie). Paul VI reconnaît manifestement le primat anglican comme véritablement évêque, doué de la plénitude du sacerdoce : où est le problème, dira-t-on ? Les schismatiques peuvent bien être validement prêtres et évêques. Mais les anglicans ne sont pas comparables aux schismatiques d’Orient sur la question des rites d’ordination.

Le problème se situe au niveau de la foi catholique elle-même : le Pape Léon XIII a enseigné infailliblement pour dire que les ordinations anglicanes étaient absolument invalides, en clair un catholique est tenu à croire qu’il est impossible que « l’archevêque de Cantorbéry » soit prêtre et évêque. Les néo-modernistes rejettent frontalement cet enseignement qui est un obstacle à leur conception de l’œcuménisme : Francis Clark peut par exemple écrire, dans la revue Gregorianum en 1964, que « le problème des ordinations anglicanes » est « un obstacle particulièrement regrettable à de meilleurs rapports entre l’Eglise catholique et les Eglises de la Communion anglicane » [4]. Le « cardinal » Johannes Willebrands, qui fut l’un des organisateurs de la rencontre entre Paul VI et Ramsay en tant que membre du « secrétariat pour l’unité des chrétiens », et ensuite spécialisé dans le « dialogue œcuménique » avec les anglicans, n’est pas d’un avis différent. Il déclare en 1985 que la discussion sur la validité des ordres anglicans est marquée par un « nouveau contexte » lié au « développement de la pensée » chez les anglicans et les catholiques concernant la nature de l’Eglise, de l’Eucharistie et du Sacerdoce : derrière ce langage mystifiant, il faut comprendre qu’il s’agit pour ces personnes de dire que l’on peut encore discuter de la validité des ordinations anglicanes, et donc qu’ils ne croient pas à la définition de Léon XIII [5]. Willebrands ne fait d’ailleurs que s’appuyer le « rapport final » de la Commission internationale anglicane-catholique romaine (ARCIC), une instance officielle de dialogue oecuménique [6]. Paul VI manifeste, dans ses actes plus que dans ses paroles, qu’il est totalement aligné sur leurs positions. Yves Congar peut dire en effet, dans son article sur l’œcuménisme de Paul VI (Publications de l’Ecole Française de Rome, 1984), que ce dernier « désirait rouvrir la question des ordinations anglicanes » [7]. Mais cette question est-elle seulement « rouvrable » ?

Léon XIII et les ordinations anglicanes : un débat définitivement tranché

Le 18 septembre 1896, le Pape Léon XIII publie une lettre apostolique au sujet des ordinations anglicanes, suite à long examen impliquant les travaux d’une commission ad hoc composée de théologiens soutenant l’une ou l’autre des positions (pour ou contre la validité des ordinations anglicanes) [8]. Déjà à cette époque, les précurseurs de Vatican II souhaitaient que l’Eglise reconnaisse la validité des ordinations anglicanes à une fin œcuménique : ce sont dans ces milieux modernistes ou crypto-modernistes que l’opinion se diffuse et prends de la force, alors même que plusieurs décisions ecclésiastiques importantes font état de l’invalidité des rites anglicans (la pratique continuelle de l’Eglise catholique à l’égard des prêtres anglicans qui se convertissent au catholicisme était de les réordonner systématiquement) et que l’opinion commune était en faveur de l’invalidité.

Paradoxalement, la lettre apostolique est publiée suite à la requête de personnalités qui étaient convaincues que l’examen de la question pencherait en faveur d’une déclaration de l’Eglise sur la validité des ordinations anglicanes : Fernand Portal côté catholique, et Lord Halifax (Charles Lindley Wood) côté anglican, pionniers du « dialogue œcuménique ». Fernand Portal sera plus tard sanctionné pour modernisme, sous le pontificat de saint Pie X (en 1908). Il est considéré aujourd’hui encore comme un des pères de l’œcuménisme défendu par Vatican II. Ce « retournement de situation » rappelle d’ailleurs la publication de l’encyclique Mirari vos (1832) par Grégoire XVI suite aux requêtes de Lamennais, Montalembert et Lacordaire qui pensaient tout bonnement que le Pape allait bénir leurs idées libérales. Ici, le sujet est plus précis et restreint que dans Mirari vos, et la réponse en est d’autant plus claire.

Par plusieurs formules sans équivoque, Léon XIII indique dans la lettre apostolique son intention de trancher le débat définitivement, c’est-à-dire qu’il engage son infaillibilité. Pour rappel, selon le Concile Vatican I, les conditions pour qu’un enseignement soit dit ex cathedra sont les suivantes : il faut que le Pape parle

  • En tant que Pape (et pas en tant que personne privée)
  • A l’Eglise universelle (plutôt qu’à un groupe restreint de personnes)
  • En définissant
  • Sur une question relative à ce qu’il faut croire (la foi) ou à ce qu’il faut faire (les mœurs) [9]

La question ici est de savoir ce qu’il faut croire en tant que catholique concernant la validité des ordinations anglicanes, question qui a une importance pratique de premier ordre puisqu’elle conditionne l’accès aux sacrements pour une nation entière, séparée de Rome depuis longtemps. Bien que la matière de l’enseignement ne soit pas directement une vérité révélée, elle tombe dans le domaine de ce que l’on appelle les « faits dogmatiques », des faits qui sont connexes à des vérités révélées et qui peuvent également faire l’objet de définitions infaillibles du magistère de l’Eglise. Ici le fait dogmatique est que les ordinations anglicanes sont invalides, les vérités révélées connexes étant les suivantes :

  • La forme d’un sacrement doit signifier explicitement la grâce qu’il procure
  • La grâce propre du sacrement de l’Ordre est le pouvoir de consacrer l’Eucharistie

Léon XIII manifeste donc son intention de s’exprimer en tant que Pape, à l’intention de tous les chrétiens, pour trancher sur cette question (c’est à dire pour définir) :

« C’est donc avec bienveillance que Nous avons consenti à un nouvel examen de la question, afin d’écarter à l’avenir, par l’autorité indiscutable de ce nouveau débat, tout prétexte au moindre doute. »

Placuit igitur de retractanda causa benignissime indulgere: ita sane, ut per summam novae disquisitionis sollertiam, omnis in posterum vel species quidem dubitandi esset remota.


Le cadre dans lequel le Pape s’exprime (lettre apostolique) est suffisamment démonstratif en lui-même de l’intention d’enseigner en tant que Pape à l’Eglise universelle : ce document n’est pas une lettre privée, destinée à un nombre restreint de destinataires, dans laquelle le Pape exprime ses opinions personnelles. Par endroits, le Pape prends la peine de préciser qu’il s’exprime en vertu de sa suprême autorité : « c’est en qualité et avec les sentiments de Pasteur suprême que Nous avons entrepris de montrer la très certaine vérité d’une affaire aussi grave ». C’est un document donnant l’occasion d’une définition dogmatique et qui a vocation à être promulgué dans toute la chrétienté. Le préambule de la lettre contient la formule caractéristique des bulles qui établissent une décision disciplinaire ou dogmatique précise : « ad perpetuam rei memoriam », « à la mémoire éternelle de la chose », qui peut se comprendre comme une invocation « pour que la chose [définie dans cette bulle] soit perpétuellement remémorée ».

Léon XIII va même jusqu’à dire que la question a en réalité déjà été tranchée par l’autorité suprême de l’Eglise, et que ce n’est que par ignorance de ces définitions que certains catholiques ont pu croire que la question pouvait être sujette à de libres débats :

« Cela étant, il est clair pour tous que la question soulevée à nouveau de nos jours avait été bien auparavant tranchée par un jugement du Siège Apostolique ; la connaissance insuffisante de ces documents explique peut-être comment certains écrivains catholiques n’ont pas hésité à discuter librement sur ce point.»

Quae quum ita sint, non videt nemo controversiam temporibus nostris exsuscitatam, Apostolicae Sedis iudicio definitam multo antea fuisse documentisque illis haud satis quam oportuerat cognitis, fortasse factum ut scriptor aliquis catholicus disputationem de ea libere habere non dubitant.

La définition de Léon XIII n’est donc qu’un rappel ou une clarification d’un enseignement catholique. Les formules d’ordination utilisées par le rite anglican, pour l’ordination sacerdotale comme pour le sacre épiscopal, présentent un défaut de forme et un défaut d’intention : ce qui fait l’essence du sacrement à conférer n’est pas mentionné dans l’Ordinal anglican. Le pouvoir exclusivement sacerdotal  de consacrer et d’offrir le sacrifice eucharistique n’est pas mentionné dans la nouvelle forme du rite, ce qui le rend invalide. Le Pape délivre donc la définition suivante :

«  C’est pourquoi, Nous conformant à tous les décrets de Nos prédécesseurs relatifs à la même cause, les confirmant pleinement et les renouvelant par Notre autorité, de Notre propre mouvement et de science certaine, Nous prononçons et déclarons que les ordinations conférées selon le rite anglican ont été et sont absolument vaines et entièrement nulles. »

Itaque omnibus Pontificum Decessorum in hac ipsa causa decretis usquequaque assentientes, eaque plenissime confirmantes ac veluti renovantes auctoritate Nostra, motu proprio certa scientia, pronunciamus et declaramus, ordinationes ritu anglicano actas, irritas prorsus fuisse et esse, omninoque nullas.

Il ne saurait être envisageable, au regard de la foi catholique, d’admettre la moindre discussion sur une définition aussi claire et aussi définitive de la part de l’autorité enseignante infaillible de l’Eglise. « Rome a parlé : la cause est entendue », disent les catholiques. « Rome a parlé … on peut encore en discuter » disent de leur côté les modernistes comme Congar, Willebrands ou Coccopalmerio, parce qu’ils n’accordent pas l’assentiment de leur foi aux définitions du magistère de l’Eglise. Ils sont chaleureusement encouragés dans cette négation du magistère par l’exemple de Paul VI, qu’ils n’hésitent pas à invoquer pour invalider l’enseignement de Léon XIII et de ses prédécesseurs : ils savent, autant que quiconque, qu’un geste peut en dire plus que de longs discours, et que les « grands gestes œcuméniques » de Paul VI donnent raison à leur fausse théologie.

Jean-Tristan B.


[1] Des articles qui relatent cette rencontre : https://www.lemonde.fr/archives/article/1966/03/24/double-rencontre-entre-paul-vi-et-le-dr-ramsey_2700655_1819218.html, http://www.natcath.org/NCR_Online/archives2/2003d/101703/101703e.htm

[2] https://www.thetablet.co.uk/news/7068/anglican-orders-not-invalid-says-cardinal-opening-way-for-revision-of-current-catholic-position-. Francesco Coccopalmerio a d’ailleurs été ordonné prêtre par Montini, le futur Paul VI, le 28 juin 1962 à Milan, et a occupé divers postes de responsabilité pour l’archidiocèse de Milan.

[3] Article de la Catholic Encyclopedia sur les anneaux : https://www.newadvent.org/cathen/13059a.htm

[4] https://www.jstor.org/stable/23572984?seq=1

[5] https://www.usccb.org/committees/ecumenical-interreligious-affairs/anglican-orders-report-evolving-context-their

[6] https://www.anglicancommunion.org/media/105260/final_report_arcic_1.pdf

[7] https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1984_act_72_1_2442

[8] Une traduction en français est disponible à cette adresse : https://laportelatine.org/documents/magistere/leon-xiii/lettre-apostolique-apostolicae-curae-1896; l’original en latin sur le site du Vatican : http://www.vatican.va/content/leo-xiii/la/apost_letters/documents/litterae-apostolicae-apostolicae-curae-13-septembris-1896.html

[9] Constitution dogmatique Pastor Aeternus (Concile du Vatican, 18 juillet 1870) :
« Le Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu’une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par toute l’Église, jouit, par l’assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église. »

Les schismatiques sont-ils membres de l’Eglise ?

Paul VI contre le magistère

Les schismatiques, volontairement séparés de l’unité catholique, sont-ils membres de l’Eglise du Christ ? Réponse de l’Eglise catholique : non. Réponse de Paul VI : oui.

Qui sont ceux qui n’appartiennent pas à la Communion des saints ?
Ceux qui n’appartiennent pas à la communion des saints sont dans l’autre vie les damnés, et en cette vie ceux qui n’appartiennent ni à l’âme ni au corps de l’Église, c’est-à-dire ceux qui sont en état de péché mortel et se trouvent hors de la véritable Église.


Qui sont ceux qui se trouvent hors de la véritable Église ?
Ceux qui se trouvent hors de la véritable Église sont les infidèles, les juifs, les hérétiques, les apostats, les schismatiques et les excommuniés.


Qu’est-ce que les schismatiques ?
Les schismatiques sont les chrétiens qui, ne niant explicitement aucun dogme, se séparent volontairement de l’Église de Jésus-Christ ou des légitimes pasteurs.

Grand catéchisme de Saint Pie X, Chapitre 10, §6

La question de la nature de l’Eglise du Christ, de son identité avec l’Eglise catholique romaine, et du rapport qu’entretiennent les schismatiques d’Orient (entre autres communautés chrétiennes) avec l’Eglise du Christ, est l’objet d’âpres débats depuis Vatican II. Parmi les conciliaires, les progressistes disent que Vatican II enseigne que les schismatiques font partie de l’Eglise du Christ, les conservateurs (du moins certains) veulent prétendre que Vatican II n’enseigne rien de nouveau concernant cette question ecclésiologique tranchée depuis longtemps, et que le Concile ne dit en rien que les schismatiques font partie de l’Eglise. Pour éclairer « l’effort d’interprétation » des textes de Vatican II, personne n’est mieux placé que Paul VI : il est celui qui a promulgué le Concile. Ses commentaires sur les textes conciliaires ont plus de valeur que ceux de n’importe qui d’autre. Or voici ce que Paul VI déclare dans une audience générale du premier juin 1966 :

« Le Concile, et avant lui la tradition chrétienne, nous dit que les fidèles sont incorporés dans l’Église par le baptême (. . .) Alors, tous ceux qui sont baptisés, même s’ils sont séparés de l’unité catholique, sont-ils dans l’Église, dans la vraie Église, dans l’unique Église? Oui. C’est là une des grandes vérités de la tradition catholique, confirmée à plusieurs reprises par le Concile (cf. Lumen Gentium 11, 15; Unitatis redintegratio, 3; etc.). Cette vérité se rattache à l’article du Credo que nous chantons à la messe : « Je crois en un seul baptême pour la rémission des péchés ».

Audience générale du 1.6.1966 : Documentation catholique, n° 1474

Cette déclaration est d’une grande clarté, et nous pourrions nous arrêter ici sans la commenter. Mais pour prévenir toute tentative « d’interpréter dans le sens de la continuité » une déclaration aussi limpide en faveur de l’hérésie, nous prendrons le temps de la décomposer et de l’analyser.

Voici le raisonnement contenu dans la déclaration sous forme de syllogisme :

  • Majeure. Par le sacrement du Baptême, le baptisé est incorporé dans l’Eglise.
  • Mineure. Or les chrétiens qui sont séparés de l’unité catholique (c’est à dire les schismatiques) sont baptisés.
  • Conclusion. Donc les schismatiques sont membres de l’Eglise.

Et Paul VI insiste pour dire que c’est bien ce que Vatican II enseigne.

Le raisonnement est faux, car la majeure est incomplète : le Baptême seul ne suffit pas pour être incorporé dans l’Eglise. Il faut pour être membre de l’Eglise ces trois conditions nécessairement réunies ensemble :

  • Le Baptême
  • La profession de la vraie foi
  • L’adhésion à la communion catholique

Quelqu’un qui est baptisé, professe la vraie foi mais se sépare de l’unité catholique, est hors de l’Eglise. Le schisme, au même titre que l’excommunication, sépare automatiquement quelqu’un de l’Eglise : autrement dit, les schismatiques ne sont pas membres de l’Eglise. Cet enseignement est rappelé par le Pape Pie XII dans l’encyclique Mystici Corporis :

 « Seuls font partie des membres de l’Église ceux qui ont reçu le baptême de régénération et professent la vraie foi, qui, d’autre part, ne se sont pas pour leur malheur séparés de l’ensemble du Corps, ou n’en ont pas été retranchés pour des fautes très graves par l’autorité légitime ».

Encyclique Mystici Corporis, 29 juin 1943

Faudrait-il comprendre la déclaration de Paul VI dans le sens que tous ceux qui sont baptisés, et qui bien qu’étant visiblement et extérieurement séparés de la communion catholique, sont invisiblement et intérieurement unis à l’âme de l’Eglise par suite d’une ignorance invincible sur leur erreur et d’un désir implicite d’être catholique ? C’est la théorie d’Arnaud Dumouch concernant l’enseignement de Vatican II sur les schismatiques membres de l’Eglise. Cette théorie, qui part du principe que tous les schismatiques sont de bonne foi (ce qui est insoutenable : lorsque l’Eglise condamne le schisme et les schismatiques, elle condamne donc quelque chose qui n’existe pas ? ou bien à partir de Vatican II, tous les schismatiques sont soudainement devenus de bonne foi ?), n’est pas fidèle aux propos de Paul VI précédemment cités : « Alors, tous ceux qui sont baptisés, même s’ils sont séparés de l’unité catholique, sont-ils dans l’Église, dans la vraie Église, dans l’unique Église? Oui. ». Paul VI ne parle nullement d’une disposition intérieure qui conditionnerait l’effet d’incorporation automatique à l’Eglise qu’il prête au Baptême. Il n’y a pas de « et », pas de condition supplémentaire. Rajouter un « et » implicite dans sa déclaration, c’est trahir l’unité de son propos : il cherche à expliquer que le Baptême incorpore à l’Eglise. Il dit sans équivoque : « les fidèles sont incorporés dans l’Église par le baptême » , « tous ceux qui sont baptisés sont dans l’Eglise », et précise que c’est l’enseignement de Vatican II. Nous lisons bien : « tous ». Il n’est pas possible de prétendre que Paul VI admet implicitement des limites ou des distinctions sur cette question de l’incorporation à l’Eglise par le Baptême  : par le langage qu’il emploie, il exclut justement ces distinctions. Pourquoi dirait-il « tous » si en réalité, il ne pensait pas que « tous » les baptisés étaient membres de l’Eglise ? Les mots ont un sens précis. Voudrait-on avoir l’impudence de faire dire à Paul VI l’inverse de ce qu’il dit ?

Ce propos, pris comme tel, est gravement erroné en matière de foi, étant donné que l’Eglise enseigne exactement l’inverse, à savoir que tous ceux qui sont baptisés ne sont pas dans l’Eglise : ils peuvent s’en séparer par l’hérésie et/ou par le schisme. Paul VI dit très explicitement que le schisme, la désunion d’avec l’Eglise catholique romaine, ne sépare pas de la véritable Eglise : et cette déclaration n’a rien d’étonnant, elle est cohérente avec l’ensemble de la nouvelle ecclésiologie de Vatican II sur la « communion imparfaite » et sur l’absence d’identité absolue entre l’Eglise catholique romaine et l’Eglise du Christ (cette dernière étant une réalité plus large incluant de manière réelle mais diminuée les autres dénominations chrétiennes). Dans cette optique, le schisme est bien un problème que l’on cherche à résoudre : mais il n’est pas question de le résoudre suivant cette mentalité « périmée » du retour des égarés à l’unité catholique. Car d’une part la responsabilité du schisme est partagée (c’est à cause des péchés de l’Eglise catholique que les schismes ont lieu : préalablement au retour à l’unité, il faut de la part de l’Eglise catholique des amendements et des réparations), d’autre part l’Eglise perd qualitativement en catholicité à l’occasion des schismes (chercher la réunion des chrétiens est donc, pour l’Eglise catholique, chercher à retrouver des éléments de doctrine et de vie religieuse qu’elle aurait perdus : le dialogue est à double sens), enfin – et surtout – les schismatiques font toujours partie de l’Eglise du Christ, par conséquent il serait déplacé de leur demander de « revenir dans l’Eglise » dont il sont toujours membres par leur Baptême : il faut chercher la communio perfecta, la pleine communion, quand il existe déjà une « communion imparfaite ». Ce sont les principes de l’œcuménisme tels que promus par Vatican II et ses faux pontifes.

Cette doctrine est absolument et radicalement incompatible avec la doctrine catholique, exposée dans le catéchisme de Saint Pie X et l’encyclique Mystici Corporis, parmi beaucoup d’autres documents du magistère. Puissent les générations présentes de chrétiens le comprendre et le vivre.

Pour conclure ce propos, nous souhaitons nous unir à la prière que l’Eglise adresse au Seigneur à l’intention des hérétiques et des schismatiques, dans les grandes oraisons du Vendredi Saint : les conciliaires diront qu’elle relève de « l’œcuménisme du retour » que Vatican II a rendu caduc, nous dirons plutôt qu’elle respire la foi et la charité puisées dans la vie même de Dieu, qui appelle toutes les âmes sans exception à la profession de la vraie foi à la communion avec l’Eglise catholique, unique bergerie du Bon Pasteur, unique arche du salut.

« Prions également pour les hérétiques et les schismatiques, afin que le Seigneur notre Dieu les arrache à toutes leurs erreurs, et qu’il daigne les ramener à notre sainte mère l’Eglise catholique et apostolique.
Dieu tout-puissant et éternel, qui sauvez tous les hommes, et ne voulez pas qu’aucun périsse, jetez les yeux sur les âmes séduites par les artifices du démon ; afin que, déposant toute la perversité de l’hérésie, leurs cœurs égarés viennent à la résipiscence, et retournent à l’unité de toute vérité. »

Jean-Tristan B.

Bientôt un leader socialiste béatifié ?

Julius Nyerere déclaré « vénérable » en 2005

C’est une information qui est apparemment passée en faisant peu de bruit dans le monde médiatique occidental : en mai 2005, la Congrégation pour la cause des Saints émets un décret d’héroïcité des vertus en faveur de Julius Nyerere (1922-1999), président de la république de Tanzanie entre 1964 et 1985.

Il s’agit de la deuxième étape de la procédure devant mener à la canonisation : dans un premier temps, le fidèle dont on ouvre la cause de béatification et de canonisation est appelé « serviteur de Dieu ». Après une première phase d’étude, un premier décret établissant de la vie exemplaire de l’intéressé est émis, qui lui donne droit au titre de « vénérable », la cause de béatification proprement dite commence ensuite d’être instruite : vu les procédures actuelles, il ne manque plus, pour passer à l’étape suivante, qu’un miracle soit attribué à la personne, ou qu’on établisse qu’un miracle a eu lieu par son intercession, pour que le titre de bienheureux lui soit accordé et que son culte soit autorisé canoniquement. Ce « décret d’héroïcité des vertus » n’est pas du tout émis à la légère, il fait suite à des enquêtes sévères impliquant l’intervention de théologiens, d’évêques et de cardinaux.

Autrement dit, Julius Nyerere est déjà quasiment béatifié, ce n’est qu’une question de temps. Mais il sera, et il est déjà très difficile, pour quelqu’un qui veut croire que les « papes » de Vatican II sont la véritable  autorité de l’Eglise catholique,  d’admettre que cet homme puisse être un saint. Il est déjà proprement incroyable que le décret d’héroïcité des vertus ait pu être émis, car l’intéressé n’est rien de moins qu’un des principaux leaders socialistes de l’histoire de l’Afrique, et pas seulement sur un plan purement politique mais aussi sur un plan idéologique. Julius Nyerere, surnommé dans son pays « l’instituteur » (mwalimu) était un homme instruit et lettré, qui a laissé à la postérité des livres et des discours : il a théorisé pour la Tanzanie le Ujamaa, socialisme à l’africaine, comme Kim Il-Song a théorisé pour la Corée le Juche. Nous présenterons quelques extraits de ses discours pour mesurer le degré d’opposition et de contradiction de sa pensée avec celle de l’Eglise catholique.

La cause de béatification est portée par ses compatriotes qui le considèrent comme le « père de la nation » et se souviennent avec émotion de son désintéressement, de sa générosité, de sa simplicité malgré les responsabilités qu’il occupait. C’est oublier que ce « père de la nation » a précipité leur pays dans une ruine insondable pour avoir voulu y appliquer une sorte de communisme à la chinoise, et que le pays ne s’est relevé un tant soit peu qu’après avoir renié entièrement ces doctrines économiques absurdes, injustes et contre-nature. La propagande du régime tanzanien en faveur du « culte de la personnalité » de Nyerere doit jouer pour beaucoup dans cette amnésie. Qu’il ait pu être un homme simple et désintéressé, respectueux dans sa vie privée des pratiques de l’Eglise catholique, n’est pas suffisant pour en faire un saint, ni même un vénérable : voyez ce qui suit, pour vous en convaincre.

Il est impossible d’être catholique et socialiste

En plusieurs endroits la doctrine socialiste a été explicitement condamnée par le magistère de l’Eglise catholique, comme contraire à la loi naturelle : c’est un enseignement infaillible relatif aux mœurs. L’encyclique Rerum novarum du Pape Léon XIII (1891), portée sur la question sociale, condamne fermement le socialisme comme un remède pire que le mal en présence (la misère ouvrière et les pratiques injustes des magnats de la finance et de l’industrie). Nous ne citons qu’un passage qui prouve suffisamment combien la condamnation est explicite et circonstanciée :

« De tout ce que Nous venons de dire, il résulte que la théorie socialiste de la propriété collective est absolument à répudier comme préjudiciable à ceux-là mêmes qu’on veut secourir, contraire aux droits naturels des individus, comme dénaturant les fonctions de l’Etat et troublant la tranquillité publique

Léon XIII, Rerum Novarum (1891)

Dans l’encyclique Quadragesimo Anno (1930), le Pape Pie XI se fait encore plus précis, et parle de formes atténuées ou mitigées de socialisme qui ne sont pas non plus acceptables. Entre l’époque de Léon XIII et celle de Pie XI, le mouvement socialiste s’est scindé en une branche réformiste (ceux que nous appelons aujourd’hui socialistes) et une branche révolutionnaire (les communistes). Pie XI explique bien, à l’intention de qui voudrait prétendre que le socialisme réformiste est une voie acceptable pour les catholiques, que le poison de l’erreur est toujours présent dans cette forme atténuée, et qu’il n’est pas possible pour un catholique de marcher de front avec ces socialistes, et encore moins de se déclarer socialiste.

« Mais que dire, si, pour ce qui est de la lutte des classes et de la propriété privée, le socialisme s’est véritablement atténué et corrigé au point que, sur ces deux questions, on n’ait plus rien à lui reprocher ? S’est-il par-là débarrassé instantanément de sa nature antichrétienne ? Telle est la question devant laquelle beaucoup d’esprits restent hésitants. Nombreux sont les catholiques qui, voyant bien que les principes chrétiens ne peuvent être ni laissés de côté, ni supprimés, semblent tourner les regards vers le Saint-Siège et Nous demander avec insistance de décider si ce socialisme est  suffisamment revenu de ses fausses doctrines pour pouvoir, sans sacrifier aucun principe chrétien, être admis, et en quelque sorte baptisé. Voulant, dans Notre sollicitude paternelle, répondre à leur attente, Nous décidons ce qui suit : qu’on le considère soit comme doctrine, soit comme fait historique, soit comme « action », le socialisme, s’il demeure vraiment socialisme, même après avoir concédé à la vérité et à la justice ce que Nous venons de dire, ne peut pas se concilier avec les principes de l’Église catholique : car sa conception de la société est on ne peut plus contraire à la vérité chrétienne.

Selon la doctrine chrétienne, en effet, le but pour lequel l’homme, doué d’une nature sociale, se trouve placé sur cette terre, est que, vivant en société et sous une autorité émanée de Dieu, il cultive et développe pleinement toutes ses facultés à la louange et à la gloire de son Créateur, et que, remplissant fidèlement les devoirs de sa profession ou de sa vocation, quelle qu’elle soit, il assure son bonheur à la fois temporel et éternel. Le socialisme, au contraire, ignorant complètement cette sublime fin de l’homme et de la société, ou n’en tenant aucun compte, suppose que la communauté humaine n’a été constituée qu’en vue du seul bien-être. »

Pie XI, Quadragesimo Anno (1930)

Plus loin Pie XI donne une formule qui rends impossible tout équivoque, suivant laquelle catholique et socialiste sont des termes définitivement contradictoires :

« Que si le socialisme, comme toutes les erreurs, contient une part de vérité (ce que d’ailleurs les Souverains Pontifes n’ont jamais nié), il n’en reste pas moins qu’il repose sur une théorie de la société qui lui est propre et qui est inconciliable avec le christianisme authentique. Socialisme religieux, socialisme chrétien, sont des contradictions : personne ne peut être en même temps bon catholique et vrai socialiste. »

Le souverain pontife récapitule ensuite ses propos sur le socialisme et dit :

« Nous avons fait ensuite l’examen du communisme et du socialisme, et toutes leurs formes, même les plus mitigées, se sont révélées très éloignées de l’Évangile. »

Voilà le cœur du problème en somme : si « personne ne peut être en même temps bon catholique et vrai socialiste », si le socialisme est irrecevable parce que « sa conception de la société est on ne peut plus contraire à la vérité chrétienne », s’il n’est pas permis même de soutenir une forme atténuée et mitigée de socialisme, n’importe quelle forme de socialisme, à plus forte raison il n’est pas possible d’avoir pratiqué héroïquement les vertus surnaturelles en ayant milité toute sa vie en faveur d’un socialisme décomplexé et destructeur.

Le socialisme de Julius Nyerere

Il serait vain de prétendre que le socialisme de Julius Nyerere est autre que le socialisme condamné par Pie XI, qu’il y a eu entre temps des évolutions significatives qui rendent le socialisme « baptisable ». Le socialisme de Nyerere entre dans la catégorie du « socialisme mitigé », dont les pires énormités sont tempérées par un semblant de bon sens et de sentiments humains, mais restant toujours irrecevable car contraire à la justice, à certains principes de la loi naturelle, et reposant en dernière instance sur une conception de la vie humaine qui est incompatible avec la doctrine chrétienne. Pour s’en convaincre, nous pouvons étudier quelques extraits de la « déclaration d’Arusha » de 1967, discours-programme de Nyerere et du TANU (Tanganyika African National Union), dont la première partie prends la forme d’un « credo socialiste » et inclus les déclarations suivantes :

« 5. That all citizens together possess all the natural resources of the country in trust for their descendants


6. That in order to ensure economic justice the State must have effective control over the principal means of production; and


7. That it is the responsibility of the State to intervene actively in the economic life of the Nation so as to ensure the well being of all citizens and so as to prevent the exploitation of one person by another or one group by another, and so as to prevent the accumulation of wealth to an extent which is inconsistent with a classless society »[1]

Ce que nous pouvons traduire par :

5. Que les citoyens, tous ensemble, ont la possession de toutes les ressources naturelles du pays en fiducie [2] pour leurs descendants ;

6. Que pour assurer la justice économique, l’Etat doit avoir le contrôle effectif sur les principaux moyens de production ;

7. Qu’il est de la responsabilité de l’Etat d’intervenir activement dans la vie économique de la Nation, afin d’assurer le bien-être de tous les citoyens, d’empêcher l’exploitation d’une personne par l’autre ou d’un groupe par l’autre, et d’empêcher l’accumulation de richesse dans une mesure qui serait incompatible avec une société sans classes.

Il y a dans ces déclarations plusieurs erreurs condamnées ou réfutées par Léon XIII et Pie XI :

  • Le principe suivant lequel l’ensemble des ressources naturelles appartiennent confusément à l’ensemble des citoyens : ce qui est une négation pratique du droit de propriété sur les terrains agricoles et autres surfaces susceptibles de procurer des ressources exploitables par l’homme [3] ;
  • Le principe suivant lequel les principaux moyens de production économique doivent se placer sous le contrôle direct de l’Etat : c’est une des erreurs les plus ruineuse du socialisme au point de vue de l’efficacité économique, et celle-ci n’est nullement atténuée dans le « socialisme  africain » de Nyerere.
  • Le principe suivant lequel il y aurait des limites, qui seraient comme fixées par la loi naturelle, à l’enrichissement légitime de certains individus plus travailleurs, plus doués, plus intelligents ou plus chanceux que d’autres : il faut que l’Etat leur empêche de poursuivre leur réussite économique, qu’ils ne puissent pas s’enrichir au-delà d’un certain montant de richesses. Les seules limites fixées par la loi naturelle sont en réalité celles de la manière dont la richesse est obtenue : il n’est jamais permis de s’enrichir en employant des moyens immoraux, qui porteraient un préjudice au prochain, à soi-même, au bien public ou à la loi de Dieu d’une manière générale. D’un point de vue spirituel, celui est attaché de manière immodérée à la poursuite de l’enrichissement, même purement légitime, court des risques de commettre des péchés et de se couper des sources de la grâce : c’est le problème de la mondanité, de l’attachement excessif aux choses créées et de la diminution proportionnelle de l’attachement à Dieu. Mais l’Etat ne peut pas interdire à quelqu’un  de continuer à s’enrichir s’il le fait par des moyens licites, sous le prétexte que sa réussite ferait ombrage aux autres : il serait contraire à la justice de priver un individu du fruit légitime de ses efforts [4].
  • Enfin le principe suivant lequel il ne doit pas exister de classes sociales : « a classless society », c’est le projet final du socialisme. Là non plus le « socialisme africain » de Nyerere ne comporte pas d’atténuation par rapport au socialisme originel. Il relève pourtant du simple bon sens de dire que l’existence de différentes classes sociales au sein des nations, l’existence d’une élite dans une société, est non seulement une « nécessité historique », dans le sens que même les sociétés qui ont tenté d’abolir l’aristocratie ont mécaniquement recréé une autre aristocratie [5] ; mais c’est aussi et surtout une véritable « nécessité naturelle » harmonieuse et ordonnée au bien commun : pas simplement une « usurpation » de certains individus mal intentionnés, un mécanisme qui serait dû au fond corrompu de la nature humaine, mais un ordre naturel ordonné à la vertu[6]. Un projet de société « sans classe » est formellement contraire à la doctrine sociale de l’Eglise catholique.

Ces déclarations font-elles de Nyerere un « vrai socialiste » ? Ou bien simplement un honnête homme trompé par une vague apparence de bien, et employant de mauvais mots pour désigner des projets et des désirs qui relèvent du christianisme ? Si l’engagement socialiste de Nyerere pouvait encore faire l’objet d’un doute, la déclaration d’Arusha comporte un passage intitulé « Le socialisme est une foi » (Socialism is a Belief), et disant en substance que le socialisme n’était pas simplement une idéologie abstraite, ou un ensemble de mesures pragmatiques décorrélées les unes des autres, mais bien un système complet qui devait se vivre, et se vivre d’abord à l’échelle individuelle comme une croyance religieuse :

«Socialism is a way of life, and a socialist society cannot simply come into existence. A socialist society can only be built by those who believe in, and who themselves practice, the principles of socialism. (…) The first duty of a TANU member, and especially of a TANU leader, is to accept these socialist principles, and to live his own life in accordance with them. (…) The successful implementation of socialist objectives depends very much up the leaders, because socialism is a belief in a particular system of living, and it is difficult for leaders to promote its growth if they do not themselves accept it.»

Voilà ce qui s’appelle de la dévotion.

Julius Nyerere fut donc un vrai socialiste, en paroles, en pensées et en actes. Il a été le principal artisan de la ruine de son pays, et tandis que le peuple se montrait récalcitrant face à la mise en place de la collectivisation, qui est nécessairement synonyme de spoliation, et de la politique de « villagisation » forcée des habitants des campagnes (il s’agissait d’arracher les populations de leurs habitats ordinairement très dispersés pour les placer dans des villages centraux, construits de toutes pièces et plus faciles à gérer), le régime tanzanien a fait recours à la force armée dans le cadre de « l’opération Dodoma » en 1974. Les belles paroles pacifistes et même « respectueuses de la propriété individuelle » de la déclaration d’Arusha laissent place à la réalité destructrice du socialisme : vols et spoliations, déplacements forcés de populations avec recours à la force, puis effondrement de l’économie.

Se peut-il qu’un vrai socialiste soit un bon chrétien ? Ce n’est pas moi, mais Pie XI qui réponds : c’est impossible.

Le laïcisme de Julius Nyerere

Plus intéressant encore que le sujet du socialisme, qui rends déjà impossible la cause de béatification de Nyerere et son statut de « vénérable », il apparaît que l’intéressé adhérait à d’autres erreurs plus graves encore, également condamnées par le magistère de l’Eglise catholique. Julius Nyerere défends sans aucun filtre toutes les erreurs contenues dans Vatican II, sans le « vernis protecteur » d’une pseudo-orthodoxie destinée à calmer les inquiétudes des catholiques conservateurs : liberté religieuse, liberté de pensée et d’expression, laïcisme, vision humanitaire et naturaliste du rôle social de l’Eglise catholique. Peut-être est-ce principalement pour cela que l’on instruit actuellement sa cause de béatification : il est un parfait zélateur de la nouvelle religion conciliaire, qui a rigoureusement mis en pratique en tant que chef d’Etat la véritable doctrine sociale de Vatican II.

Une des particularités du « socialisme à l’africaine » de Nyerere est qu’il n’est pas hostile à la religion. Le régime autorise toutes les religions, et utilise dans ses discours et ses procédures officielles un registre religieux « œcuménique » capable de mettre d’accord les chrétiens, les musulmans et les païens animistes : partout l’on fait référence à Dieu [7], à des principes et des valeurs communes aux grandes religions. En cela le modèle de société proposé par Nyerere a quelque chose de très ressemblant avec le système américain : il existe en Tanzanie comme aux Etats-Unis une sorte de « religiosité civique » qui ne relève d’aucune obédience religieuse en particulier, mais est susceptible de les mettre toutes d’accord. C’est le « paradis terrestre » que poursuit Vatican II, la « bonne laïcité » qui fait marcher main dans la main toutes les religions dans la poursuite du bien-être de l’humanité.

La séparation de l’Eglise et de l’Etat et la laïcité sont au cœur de la constitution promulguée par Nyerere pour l’état tanzanien, et des principes du TANU d’une manière générale. Dans le quotidien de ce parti unique The Nationalist, en 1965 un éditorial intitulé « Religion and Politics » exprime la même conception de l’union de l’Eglise et de l’Etat que celle du « pape » François, qui dit que les états confessionnels vont « contre l’histoire » et qu’un état doit être laïc [8] :

« History has shown how disastrous it is to mix politics and religion. (…) That is why it is imperative that religion must be isolated from the political life of our country »
« L’histoire a montré combien il est désastreux de mélanger politique et religion. (…) C’est pour cela qu’il est impératif que la religion soit tenue à l’écart de la vie politique de notre pays. » [9]

Pour Nyerere donc, il est inconcevable que l’Eglise se mêle des affaires de l’Etat. Mais qu’en est-il de l’inverse ? L’Etat doit-il laisser l’Eglise tout à fait autonome dans la formation de ses prêtres, dans l’enseignement de la doctrine chrétienne ? Apparemment, non … Julius Nyerere s’est personnellement impliqué pour que l’église de Tanzanie soutienne sa politique socialiste, et pour que les séminaristes soient formés au socialisme. Selon le politologue David Westerlund, Nyerere aurait déclaré dans une discussion avec des supérieurs catholiques au palais présidentiel : « Je serais très heureux si les séminaires pouvaient produire des prêtres socialistes », « I should be very happy if the Seminaries could turn out socialist priests ».

Mais il y a plus encore. De manière autonome par rapport à l’Amérique latine, Nyerere semble avoir développé une sorte de « théologie de la libération » qui fait de l’Eglise un instrument de l’émancipation temporelle des peuples contre les classes supérieures, comme s’il s’agissait de la principale raison de l’Incarnation du Dieu éternel et du principal message de l’Evangile. Il prononce en 1970 un discours ahurissant, d’autant plus ahurissant qu’il est prononcé en dehors du cadre de la politique tanzanienne et dans un contexte purement « catholique », à New York devant les membres de la société missionnaire Mary Knoll :

« Only by activities in these fields can the church justify its relevance in the modern world. For the purpose of the church is Man—his human dignity and his right to develop himself in freedom. For all human institutions including the church, are established in order to serve man. And it is the institution of the church, through its members, which should be leading to attack on any organization, or any economic, social, or political structure which oppresses men, and which denies to them the right and power to live as the sons of a loving God »


« C’est seulement par ses activités dans ces domaines [l’action sociale humanitaire] que l’ Église peut justifier de sa pertinence dans le monde moderne. Car l’objectif de l’Église est l’homme – sa dignité humaine et son droit à se développer dans la liberté. Car toutes les institutions humaines, l’Église incluse, sont établies pour servir l’homme. Et c’est l’institution de l’Église qui, à travers ses membres, devrait pousser pour attaquer toute organisation, ou toute structure économique, politique, sociale qui oppresse les hommes, et qui leur dénie le droit et le pouvoir de vivre comme les fils d’un Dieu d’amour). »

On ne saurait formuler plus clairement le fond de la religion conciliaire. Le but de l’Eglise est l’homme, sa dignité humaine, son droit à se développer dans la liberté :  le but de l’Eglise est le développement naturel de l’homme. L’Eglise ne justifie sa « pertinence » dans le monde moderne que par des activités dans ce champ humanitaire. Ce que par, « only by », est proprement incroyable dans la bouche d’un supposé catholique. Comme si la fin surnaturelle de l’Eglise avait soudainement disparu avec l’entrée dans le monde moderne, et que tout d’un coup cette Eglise n’avait plus de « pertinence » que sur le terrain de l’instauration du socialisme. Comme si le but de l’Eglise n’était pas d’abord et avant tout Dieu et sa gloire, la mise en relation de l’humanité avec Dieu, la glorification de Dieu par le salut des âmes. Nyerere révèle qu’il considère l’Eglise en tant qu’« institution humaine » comme les autres. Et comme toutes les institutions fondées par l’homme, elle doit servir l’homme… «for all humain institution including the Church, are established to serve man ». L’aspect surnaturel de l’Eglise ici occulté :

  • Dans son origine (l’Eglise est fondée par Jésus-Christ en tant que Dieu et en vertu de son autorité divine souveraine, elle est d’institution divine et non point humaine),
  • Dans sa nature actuelle (elle est une société divine et humaine, principalement divine par nature en tant que vivifiée par le Saint-Esprit, et non point simplement divine par origine),
  • Dans sa finalité (elle a pour fin le salut des âmes et la gloire de Dieu, et non point la poursuite du bien-être humain, bien qu’accidentellement l’action de l’Eglise dans le monde est un bienfait objectif pour l’humanité sur un plan purement naturel).

Ce sont bien ces tendances et ces idées que l’on retrouve chez les partisans les plus zélés de Vatican II. La « pertinence » de l’Eglise à notre époque, c’est de s’occuper des migrants, de la dégradation de l’environnement, de la persécution des Yézidis ou des Rohingyas, et de la construction de la « paix mondiale » par la coopération de toutes les religions. Sauver les âmes de l’enfer éternel, promouvoir la restauration de toutes choses en Jésus-Christ en vue de la vie éternelle, c’est apparemment une préoccupation d’intégriste figé dans le passé. Il serait pourtant bien difficile de lire honnêtement les évangiles et d’en conclure que le Christ s’est incarné, est mort sur la Croix et a institué l’Eglise pour l’établissement d’une société sans classes ou la lutte contre le réchauffement climatique !

Conclusion : de nouveaux saints pour une nouvelle religion

A notre avis, le décret sur l’héroïcité des vertus émis en faveur de Julius Nyerere n’a rien d’une bizarrerie ou d’une irrégularité venant de la part des conciliaires. Contenter le patriotisme des tanzaniens ne peut pas constituer en soi un motif proportionné pour que des théologiens, « cardinaux » et « évêques » déclarent qu’un leader socialiste est un modèle de vertu pour l’Eglise universelle et qu’il faut poursuivre son procès en béatification. C’est parce que Nyerere a parlé et agi en conformité avec leurs propres principes, principes faux et condamnés par le magistère de l’Eglise, qu’il est question d’en faire un modèle. Ce ne serait point la première fois que les conciliaires béatifient ou canonisent des personnes qui ne peuvent pas être des saints, en raison de leur vie scandaleuse et indépendamment de leurs possibles bonnes intentions, mais qui ont été des défenseurs zélés de la nouvelle religion conciliaire, religion humanitaire et œcuméniste. En premier lieu bien sûr, tous les « papes » depuis Vatican II : Jean XXIII, Paul VI, et Jean-Paul II sont déjà « saints », Jean-Paul Ier est « bienheureux » et Benoît XVI et François sont « sur la liste d’attente » d’après le propos à peine ironique dudit François [10]. A présent, nous nous demandons quelle sera l’excuse des herméneutes de la continuité lorsque ce qui est pour eux l’autorité de l’Eglise portera sur les autels un socialiste laïciste qui estime que la place de l’Eglise dans le monde moderne ne se justifie que par ses œuvres humanitaires : s’agira-t-il de dire que la condamnation du socialisme par Pie XI n’était pas infaillible ? Ou bien de prétendre avec la FSSPX que les béatifications et canonisations ne sont pas des faits dogmatiques qui exigent l’assentiment absolu de la foi ? Puissent-ils plutôt réaliser qu’il est impossible, sous tout rapport, que l’Eglise canonise un socialiste. Le fait qu’un socialiste soit déclaré « vénérable » est déjà, présentement, un problème grave. Nous prions pour que le peuple chrétien ouvre les yeux, et réalise l’immense supercherie qui est en train de se réaliser sous leurs yeux et sous les apparences de la légitimité hiérarchique catholique : si cette « béatification » pouvait aider à lever le voile qui aveugle tant de catholiques, faute de mieux nous l’appelons de nos souhaits.

Jean-Tristan B. 




[1] Le texte complet est disponible ici : https://www.marxists.org/subject/africa/nyerere/1967/arusha-declaration.htm

[2] La fiducie (trust) est un concept juridique anglo-saxon désignant une opération par laquelle une personne (le constituant) confie une propriété de biens ou de droits à un tiers (le fiduciaire) qui emploie ces propriétés ou ces biens au bénéfice d’autres personnes. Dans ce contexte, il s’agirait de dire que « l’ensemble des citoyens » aurait reçu (de qui ?) les ressources naturelles en fiducie, pour les gérer au bénéfice des générations futures.  

[3] Léon XIII dit la chose suivante dans l’encyclique Rerum novarum que Dieu, qui a « donné la terre aux hommes », ne la leur donne pas sous la forme d’une propriété diffuse universelle, mais il laisse les hommes libres de délimiter des propriétés : « Qu’on n’oppose pas non plus à la légitimité de la propriété privée le fait que Dieu a donné la terre au genre humain tout entier pour qu’il l’utilise et en jouisse. Si l’on dit que Dieu l’a donnée en commun aux hommes, cela signifie non pas qu’ils doivent la posséder confusément, mais que Dieu n’a assigné de part à aucun homme en particulier. Il a abandonné la délimitation des propriétés à la sagesse des hommes et aux institutions des peuples.» Il est donc erroné de prétendre que l’ensemble des citoyens a un droit de propriété (inhérent ou délégué, comme dans le cas d’une fiducie) sur l’ensemble des ressources naturelles.

[4] C’est précisément en cela que le système de « l’état-providence », émanation du socialisme, qui préconise des taux de taxations incroyablement élevés et toujours plus élevés à mesure de l’importance des revenus générés par une personne en situation de « réussite économique », est d’une grande injustice. Par ces mesures, l’entreprenariat est découragé et quasiment criminalisé : comme si ceux qui parvenaient à s’enrichir devaient en avoir honte, et payer à la société une sorte d’amende toujours plus grande à mesure qu’ils arrivent à s’extraire de la condition du commun.

[5] Ce phénomène est désigné par le sociologue Robert Michels, désabusé du socialisme, comme la « loi d’airain de l’oligarchie » : toute organisation quelle qu’elle soit, qu’elle prétende prendre la forme d’une autocratie ou d’une démocratie, aura toujours une minorité de personnes puissantes à sa tête. Elle pourra avoir un point de départ égalitaire utopique : au bout d’un certain temps de développement, une aristocratie se formera. Cette vérité s’applique aussi bien à la pseudo-démocratie occidentale actuelle qu’aux régimes monarchiques de l’Europe chrétienne : même l’absolutisme de Louis XIV repose sur un réseau complexe d’élites sans lesquelles le roi ne peut pas exercer son pouvoir, ou que le roi ne saurait contrarier sans qu’il s’en suive des conséquences fâcheuses pour le bien public. L’absolutisme d’ailleurs doit beaucoup à une caste de légistes et de magistrats qui depuis le XIIIe siècle ont conseillé les rois et défini le cadre conceptuel de cet absolutisme. La nature sociale de l’homme inclut cette nécessité de l’aristocratie, aussi bien à petite échelle dans n’importe quelle groupe humain (entreprise, association) qu’à l’échelle d’une nation entière.

.[6] Toujours Léon XIII dans Rerum novarum : « Dans le corps humain, les membres malgré leur diversité s’adaptent merveilleusement l’un à l’autre, de façon à former un tout exactement proportionné et que l’on pourrait appeler symétrique. Ainsi, dans la société, les deux classes sont destinées par la nature à s’unir harmonieusement dans un parfait équilibre. Elles ont un impérieux besoin l’une de l’autre : il ne peut y avoir de capital sans travail, ni de travail sans capital. La concorde engendre l’ordre et la beauté. Au contraire, d’un conflit perpétuel il ne peut résulter que la confusion des luttes sauvages. Or, pour dirimer ce conflit et couper le mal dans sa racine, les institutions chrétiennes ont à leur disposition des moyens admirables et variés. »

[7] Les peuples animistes d’Afrique croient tous en l’existence d’un Dieu unique, Créateur Tout-puissant, bien qu’ils ne l’adorent pas et qu’ils se préoccupent au quotidien d’autres « entités » (esprits, ancêtres). Les références à Dieu dans l’hymne national ou dans les discours du régime ne devraient pas choquer les animistes tanzaniens.

[8] https://www.la-croix.com/Religion/Pape/Le-pape-Francois-La-Croix-Un-Etat-doit-etre-laique-2016-05-16-1200760526

[9] Les citations qui suivent se trouvent dans cet article de Marie-Aude Fouéré sur « La fabrique d’un saint en Tanzanie » : https://journals.openedition.org/eastafrica/609?lang=en

[10] https://www.leparisien.fr/societe/le-pape-francois-se-dit-sur-liste-d-attente-pour-devenir-saint-17-02-2018-7564872.php

La liberté religieuse et Pie XI

Nous sommes tombé sur un commentaire (erroné) de l’encyclique Mit brennender sorge qui prétend démontrer que Pie XI avait approuvé la liberté religieuse. Nous avons souhaité y répondre pour défendre la sainte doctrine, mais aussi la mémoire du Pape Pie XI


Commençons par une citation de l’encyclique :

« Il vous faudra veiller d’un œil particulièrement attentif, Vénérables Frères, à ce que les concepts religieux fondamentaux ne viennent pas à être vidés de leur contenu essentiel et détournés vers un sens profane […] La  » foi « consiste à tenir pour vrai ce que Dieu a révélé et propose par son Église à la croyance des hommes. C’est la  » conviction solide des choses invisibles « . (Hebr., XI, 1.) La joyeuse et fière confiance dans l’avenir de son peuple, qui tient au cœur de chacun, signifie toute autre chose que la foi dans le sens religieux du mot. Donner l’un pour l’autre, vouloir remplacer l’un par l’autre, et exiger là-dessus [sur la base de cette confusion] d’être reconnu par les disciples du Christ comme un  » croyant « , c’est un jeu de mots vide de sens, quand ce n’est pas la confusion voulue des concepts, ou quelque chose de pire ».

Pie XI nous explique ce qu’est la foi et dit à ceux qui confondent la « fière confiance dans l’avenir de [leur] peuple » avec la foi, qu’ils ne peuvent réclamer le titre de croyant parce que leur « croyance » n’a aucun rapport avec la foi religieuse. Chose qui semble indiquer que le croyant est, dans cette encyclique, celui qui a la foi (telle que définie dans l’extrait, donc la foi catholique). Nous verrons plus bas que cette indication, insuffisante en elle-même, est confirmée par le texte.

Pie XI écrit ensuite plus loin :

« Le croyant a un droit inaliénable à professer sa foi et à la vivre comme elle veut être vécue. Des lois qui étouffent ou rendent difficile la profession et la pratique de cette foi sont en contradiction avec le droit naturel ».

Si les explications précédentes font pencher la balance en faveur d’une certaine interprétation, celles qui suivent permettent de trancher sans l’ombre d’un doute.

Il faut donc ajouter d’une part, que Pie XI utilise le mot « croyant(e) » [abstraction faite des deux passages précités] 4 fois dans l’encyclique, que chaque fois, il s’agit de désigner un sujet catholique.

D’autre part, que le mot « foi », abondamment utilisé, n’est pas détachable de la Vraie Religion, et cela, chaque fois qu’il est employé (hormis certains [rares] passages où il est question de la seule « foi en Dieu »(1), passages qui ne doivent pas être interprétés comme une « défense de la foi théiste », voir explication ci-dessous).

(1) Encore que, même ici, si le lien avec la Vraie Religion n’est pas explicite il est sous-jacent.


Partant du fait que Pie XI distingue en deux parties la « Vraie foi en Dieu » et la « Vraie foi au Christ », certains affirment que l’encyclique « défend la foi théiste ». Ce raisonnement est erroné, déjà parce que dans la première partie (« La Vraie foi en Dieu »), il s’agit pour Pie XI de dénoncer une fausse vision de Dieu [et c’est semble-t-il, une réfutation ciblée du « christianisme positif », ce  « nouveau paganisme agressif », auquel Pie XI oppose le (vrai) Dieu catholique], non pas de défendre positivement la foi théiste qui d’ailleurs « ne peut se maintenir longtemps pure et sans alliage si elle n’est soutenue par la foi au Christ ». Si Pie XI oppose la foi en Dieu à une « foi » panthéistique et idolâtrique, il ne le fait pas pour « défendre la foi théiste » mais pour avertir d’un danger qui corrompt la foi catholique, puisque ladite foi catholique présuppose une croyance en Dieu et donc une juste connaissance de ses attributs.

Pie XI précise dans cette même première partie sur la « Vraie foi en Dieu » que « Notre Dieu est le Dieu personnel, surnaturel, tout-puissant, infiniment parfait, unique dans la Trinité des Personnes, et tripersonnel dans l’unité de l’Essence divine, le Créateur de tout ce qui existe, le Seigneur et Roi et l’ultime consommateur de l’histoire du monde, qui n’admet ni ne peut admettre à côté de lui aucun autre dieu [En lien avec l’interprétation de l’extrait précité « Le croyant à un droit […] avec le droit naturel », on peut préciser que si le vrai Dieu n’admet aucun autre dieu, il serait tout à fait étonnant que Pie XI, lui, admette un droit inaliénable à professer une foi purement théiste, détachée de tout lien avec la Sainte Trinité] ».

Enfin, l’encyclique traite de la situation de l’Église catholique dans l’empire allemand, des problèmes de compatibilité entre le nazisme et le catholicisme, et souvent, il est question de dénoncer les conséquences néfastes qui en résultent pour les catholiques allemands : jamais il n’est fait mention des conséquences pour les autres confessions.

Voir dans cette encyclique une défense de la liberté religieuse pour les juifs [ou tout autre communauté religieuse] est un non-sens absolu. Sur ce point on ne trouvera pas d’échappatoire en relevant que Pie XI insiste sur la valeur de l’Ancien Testament, cette insistance vise, une fois de plus, à avertir des dangers qui guettent l’intégrité de la foi catholique ; les seuls juifs auxquels cette insistance nous fait penser, ce sont les vrais juifs de l’Ancien Testament.

Laissons d’ailleurs Pie XI nous éclairer sur le but de cette encyclique :

« Mais le but de la présente lettre, Vénérables Frères (2), est autre. De même que vous êtes venus Nous faire, à Notre chevet de malade, une visite affectueuse, de même, à Notre tour, Nous Nous tournons aujourd’hui vers vous et, par vous, vers les Catholiques d’Allemagne qui, comme tous les fils souffrants et opprimés, sont plus particulièrement présents au coeur du Père Commun. En cette heure où votre foi est éprouvée, comme l’or, au feu de la tribulation et de la persécution, tant ouverte que cachée, à l’heure où votre liberté religieuse est victime d’un investissement organisé sous mille formes, à l’heure ou pèse lourdement sur vous le manque d’un enseignement fidèle à la vérité et de normales possibilités de défense, vous avez doublement droit à une parole de vérité et de spirituel réconfort de la part de celui dont le premier prédécesseur s’entendit adresser par le Sauveur cette parole si pleine :  » J’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point, et toi, à ton tour, confirme tes frères. » (Luc, XXII, 32.) ».

(2) Les « Vénérables Frères » auxquels Pie XI s’adresse ici sont les « Archevêques et Évêques d’Allemagne et autres Ordinaires en paix et Communion avec le Siège Apostolique ».

En conclusion : il ne fait aucun doute, au regard du texte et du contexte, que dans la phrase « Le croyant a un droit inaliénable à professer sa foi et à la vivre comme elle veut être vécue », « le croyant » et « sa foi » désigne respectivement « le fidèle » et « sa foi catholique ».

Les soutiens d’une autre thèse, s’appuient [notamment] sur l’utilisation du mot « croyant » dans une autre encyclique (Divini Redemptoris).

Cet argument n’a qu’une valeur relative, prime évidemment le sens [non équivoque, nous l’avons vu] donné à l’intérieur de l’encyclique commentée.

Hugo Ch.