La recherche de la vérité

Sommaire
· Définitions sur la vérité
· Des degrés de certitude
· Les vérités abstraites et spirituelles sont les plus certaines
· Plusieurs points de vue, pas plusieurs vérités
· Relativisme en paroles, réalisme en pratique !
· Une réalité extérieure qui s’impose à nous
· Méthodologie pour la recherche de la vérité


[Jésus dit :] Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité.  Quiconque est de la vérité écoute ma voix. Pilate lui dit : qu’est-ce que la vérité ?

Jean XVIII, 37-38

Pour Ponce Pilate, la question est rhétorique : aussitôt après l’avoir posée, il se détourne de Jésus pour revenir vers les Juifs qui le lui avaient amené. La quête de la vérité ne l’intéresse pas.

Mais pour vous lecteur, nous espérons que la question n’est pas rhétorique : vous cherchez peut-être la vérité, et vous avez de la peine à la trouver, vous avez de la peine même à mettre une définition sur ce terme dans un monde où l’agnosticisme et le relativisme sont devenus des sortes de dogmes religieux, que l’on ne peut pas remettre en cause sans devenir aux yeux des autres un extrémiste.

Celui qui a une quelconque croyance religieuse doit, pour être accepté socialement, présenter sa foi comme n’engageant que lui-même et relevant de son appréciation personnelle des choses, comme si elle ne dépendait pas d’une vérité objective.

Jésus dit pourtant : quiconque est de la vérité, quiconque est du « parti » de la vérité, écoute ma voix. Vous vous demandez peut-être quel est ce parti et s’il vaut la peine d’être rejoint. Dans ce cas, nous espérons que ce qui suit vous sera utile.

Des définitions

Il est rare que nous passions un jour sans prononcer le mot « vérité », sans l’entendre ou le lire, car ce terme est d’un emploi nécessaire pour parler des choses de la vie de tous les jours. En cette époque de « fake news » et de « fact checking », il acquiert même une sorte de caractère polémique : chacun fait profession d’être défenseur de la vérité.

Mais nous ne réfléchissons pas à une définition précise du terme, et lorsqu’il s’agit de réfléchir sur « ce qu’est la vérité », de philosopher sur le sujet, c’est presque toujours pour employer un langage fumeux, revenant à dire qu’il n’y a pas de vérité ou qu’on ne sait pas ce qu’est la vérité.

Sauf lorsqu’il s’agit de dénoncer les « fake news » !

Nous vous proposons une définition précise.

La vérité est la retranscription exacte ou le reflet, dans notre esprit, de la réalité, de ce qui est réellement. En latin :adequatio rei et intellectus, l’adéquation entre la chose (une réalité extérieure indépendante de nous) et l’intellect (notre capacité d’abstraction de sujet pensant).

C’est-à-dire que notre esprit est dans le vrai, que nous disons la vérité, lorsque ce qui est dans notre esprit et ce qui en sort (par la parole) est conforme à la réalité. On dit qu’une proposition ou un principe est « une vérité » lorsque, dans le domaine précis de cette proposition ou de ce principe, l’idée est conforme à ce qui est réellement.

Par exemple : dire que le point d’ébullition de l’eau se situe à 100°C à pression atmosphérique normale, c’est une vérité, continuellement vérifiable par l’expérience. Mais on peut dire aussi que c’est «la vérité» de manière plus générale, dans le sens que sur cette question précise du point d’ébullition de l’eau, il n’y a pas d’autre pensée conforme à la réalité que celle qui consiste à dire que ce point d’ébullition se trouve à 100°C.

Peut-être vous aviserez-vous de douter et de dire : « dire que l’eau bout à 100°C, ce n’est pas vrai, car suivant la pression atmosphérique, le point d’ébullition change». Vous n’avez pas vu la deuxième partie de notre proposition : « à pression atmosphérique normale ». Dire que l’eau bout à 100°C est vrai sous le rapport d’une condition atmosphérique ordinaire ; ce n’est pas vrai sous le rapport d’une autre condition, par exemple si l’on se trouve à 2000 mètres d’altitude.

Le fait qu’une chose puisse être vraie sous un certain rapport et fausse sous un autre rapport, dans un autre référentiel, n’est absolument pas un problème quant à la question de savoir s’il existe une vérité : je suis grand par rapport à une fourmi, je suis petit par rapport à une montagne, il ne s’agit pas de dire que je suis « petit » et « grand » en même temps et sous le même rapport.

L’eau peut bouillir à 100°C sous un certain rapport et à 85°C sous un autre.

Vous direz peut-être : il n’y a pas de « condition atmosphérique ordinaire », cette notion est simplement une convention humaine arbitraire et pas le reflet d’une réalité.

Nous vous répondons : c’est un terme humain qui correspond à une réalité bien qu’il soit entaché d’une certaine imprécision : on pourrait qualifier cette réalité plus précisément en employant des unités de mesure de la pression atmosphérique, de l’altitude, ou autre.

Peut-être que ce n’est pas 100°C mais 99,99999999°C dans la plupart des cas, qu’importe : dans la grosseur du trait, cela reste un principe vérifiable.

Cet exemple nous permets d’établir plusieurs choses :

Premièrement, que les « vérités scientifiques », qui sont censées être les seules propositions recevables par l’esprit de l’homme moderne et civilisé, sont en fait presque toujours entachées d’une certaine imprécision.

Ce n’est pas du relativisme que de le dire : c’est simplement qu’il est difficile de faire correspondre très exactement l’esprit humain avec cette réalité matérielle changeante et complexe qu’est l’univers.

Les vérités de la science physique ne sont pas parmi les vérités les plus « fortes », les mieux établies dans l’esprit humain, parce que leur objet est difficile d’accès.

Il y a des domaines de la réalité qui sont de nature à susciter dans l’esprit humain des pensées beaucoup plus précises et exactes de vérité, parce qu’ils sont plus abstraits et détachés de la matière, donc plus directement conformes à la nature de l’esprit : les mathématiques, la philosophie (nous en reparlerons).

Deuxièmement, que « la vérité » ce n’est pas seulement une grande question métaphysique, cela concerne d’abord et premièrement des choses de la vie ordinaire.

Pour faire cuire vos pâtes vous devez porter l’eau à son point d’ébullition, donc vous devez utiliser des outils particuliers pour chauffer cette eau : cuisinière, plaques de cuisson.

Vous vivez en fonction de cette vérité qui est dans votre esprit : vous savez que la réalité fonctionne ainsi, vous savez qu’il faut chauffer l’eau un certain temps et avec une certaine intensité pour parvenir à votre fin, qui est de faire cuire les pâtes.

Si dans ce domaine précis, vous refusez la vérité, par exemple vous choisissez pour vous une croyance selon laquelle l’eau n’a pas besoin d’être chauffée mais qu’il suffit de chanter dessus pour qu’elle bouille, vous passerez des heures à chanter sur votre eau et il ne se passera rien… c’est dommage.

Il vaut mieux, en toutes choses, chercher à connaître la vérité et à vivre en conformité avec elle.

Troisièmement, que l’on peut déjà à partir de cet exemple expliquer une méthodologie de la recherche de la vérité : pour conformer notre esprit à la réalité (puisque la vérité réside dans cette conformation, dans cette adéquation), il faut 1) se baser sur l’expérience, sur des choses immédiatement constatables, 2) faire des raisonnements.

C’est ce que l’on appelle, dans le premier cas, l’évidence immédiate (l’esprit trouve directement la réalité à l’aide des sens : par exemple, mon thermomètre placé dans l’eau affiche 100°C tandis qu’elle commence à bouillir, je le vois, et je sais que mon thermomètre fonctionne bien).

Dans le second cas, l’évidence médiate ou indirecte : l’esprit trouve la réalité en tirant d’une chose concrète un principe abstrait, en concluant de manière logique à l’existence d’un principe universel : si l’expérience de faire bouillir l’eau avec un thermomètre dans une condition atmosphérique normale donne toujours 100°C, ce n’est pas simplement que mon eau ce jour-là a bouilli à 100°C, c’est que d’une manière générale cet élément qu’on appelle l’eau est déterminé par nature à bouillir à telle température sous le rapport de telle condition atmosphérique.

Du particulier au général : c’est le raisonnement par induction, je remonte au principe à partir d’une multiplicité d’expériences.

Si je me trouve à l’autre bout de la terre mais que les conditions atmosphériques sont les mêmes que l’endroit où j’ai fait bouillir de l’eau la dernière fois, je sais que cette eau que je trouve à l’autre bout de la terre a le même point d’ébullition que l’autre eau : du général au particulier, c’est le raisonnement par déduction.

Des degrés de certitude

Comme nous le disions, cet exemple n’est pas tout à fait heureux : cette vérité sur le point d’ébullition de l’eau, pour pratique qu’elle soit, n’est pas extrêmement précise.

Il est beaucoup plus certain que 2 + 2 font 4 qu’il n’est certain que « l’eau bout à 100°C », car il faut toujours prendre en compte un certain référentiel. Mais alors, il n’y a pas de « vérité absolue et unique » sur ce sujet ?

Ce n’est pas ce que nous disons : sur ce point précis de la réalité, notre esprit s’approche de la réalité très fortement bien qu’il peine à s’y conformer de manière absolue (cf. la définition de la « condition atmosphérique normale »).

Ce qui est imprécis et hésitant, ce n’est pas la réalité en elle-même : c’est l’état de notre esprit, qui cherche à se conformer à cette réalité. Il y a certainement une manière plus précise et exacte de dire que l’eau bout à 100°C dans une pression atmosphérique normale : cette vérité existe, et on s’en rapproche avec cette proposition.

2 + 2 = 4. Voici quelque chose de beaucoup plus certain : parce qu’ici on ne se préoccupe plus des contingences de la matière, mais simplement d’étudier des principes abstraits.

Ceux qui disent : « mais là aussi, ce n’est vrai que selon un certain référentiel » se trompent. L’arithmétique, et les autres disciplines des mathématiques, ne sont pas des conventions sociales : ce qui est conventionnel, c’est d’appeler « deux » le deux, et « quatre » le quatre, d’utiliser le symbole « + » pour exprimer le principe de l’addition, mais derrière les mots et les symboles il y a une réalité abstraite universelle, si bien que l’on peut faire de l’arithmétique dans n’importe quelle langue : le mot change, la réalité désignée est la même.

Aujourd’hui, les mathématiciens s’amusent à faire des thèses entières en prenant des référentiels absurdes, par exemple en partant du principe que 2 + 2 = 5 : c’est simplement un jeu intellectuel, pour des génies un peu désabusés, ce sont de fausses mathématiques parce qu’elles ne reflètent pas la réalité.

Pendant ce temps, on emploie continuellement les vraies mathématiques pour interagir avec la réalité : sans mathématiques, pas d’industrie, pas de fiscalité, pas de comptabilité, pas de progrès technique : et c’est encore la meilleure preuve que la science mathématique correspond à la réalité, pour abstraite et invisible qu’elle soit, que de pouvoir constater à quel point elle a des conséquences pratiques et universelles dans la vie humaine.

Celui qui affecte de se moquer de l’arithmétique en disant qu’elle est une convention arbitraire utilise l’arithmétique tous les jours sans s’en rendre compte, et tout ce qui se passe autour de lui a une certaine part avec les principes de l’arithmétique.

Mais il y a des choses encore plus certaines que les mathématiques. Prenons ce principe :  « Les choses sont ce qu’elles sont, et ne sont pas ce qu’elles ne sont pas » : c’est un truisme, direz-vous.

Oui, c’est une banalité si l’on veut, mais cela reste une vérité métaphysique absolument certaine et universelle : elle s’applique à tout, on ne peut pas lui trouver d’exception. Pour l’exprimer encore plus précisément : « une chose ne peut pas, en même temps et sous le même rapport, être et ne pas être ».

Les mathématiques ne s’appliquent qu’à étudier la réalité sous le rapport de la numération. La philosophie s’applique à étudier la réalité … en tant que réalité : c’est le degré le plus haut de la connaissance. La science physique étudie les lois de la matière, la biologie étudie les lois de la vie, la science mathématique étudie les lois de la numération, etc… tandis que la science philosophique, car il s’agit bien d’une science si l’on est réaliste, étudie les « les lois des lois », les principes qui régissent toutes les dimensions de la réalité.

C’est pourquoi une certitude philosophique, une vérité dans le domaine philosophique, est beaucoup plus certaine qu’une vérité dans le domaine des sciences appliquées : elle est plus directement conforme à la réalité que l’esprit humain essaye de connaître.

Cela ne veut pas dire qu’il est plus facile d’atteindre la vérité en philosophie qu’en mathématiques : cela veut dire qu’il est possible d’exprimer des propositions ayant un degré de certitude absolu, une fois qu’on les a bien comprises.


A gauche de l’image, Pythagore est en train d’écrire. Extrait de la fresque de Raphaël L’école d’Athènes.

Les vérités abstraites et spirituelles sont les plus certaines

« L’eau bout à 100°C dans une condition atmosphérique normale » : c’est une certitude pratique et approximative, qui pourrait être précisée ou discutée dans certaines limites. « Les choses sont ce qu’elles sont, et ne sont pas ce qu’elles ne sont pas », « deux plus deux font quatre » : ce sont des certitudes absolues, indiscutables sous aucun rapport, parce qu’elles ne dépendent pas des contingences de la matière : les vérités abstraites et spirituelles sont plus certaines que les vérités appartenant aux sciences expérimentales, parce que les principes qu’elle étudie sont plus généraux et moins particuliers.

L’esprit humain est capable, par l’effort conjoint de la constatation sensible (évidences immédiates) et du raisonnement (évidences médiates), d’établir en lui de très solides et très indubitables vérités : l’agnosticisme, qui affecte d’être une posture « rationnelle » ou « rationaliste », suivant laquelle on ne peut pas trouver la vérité avec certitude dans des domaines qui dépassent la pure constatation sensible, n’est conforme ni à la raison ni à l’expérience : les deux nous indiquent que les certitudes les plus fortes et les plus solides qui siègent dans l’esprit humain appartiennent à un domaine abstrait et insensible, par exemple les mathématiques, qui sont en elles-mêmes invisibles et purement abstraites mais qui ont des applications pratiques continuelles et splendides dans la vie humaine.

Voici le point de vue que nous défendons, qui est celui du réalisme philosophique, nous préciserons du réalisme spiritualiste : il n’y a pas de séparation étanche entre le « monde » des réalités sensibles et immédiatement accessibles, et celui des réalités invisibles et abstraites.

Il est commun pour les hommes de notre temps de séparer les deux de manière étanche, d’être très réaliste et pragmatique pour ce qui concerne les choses sensibles, et de « planer totalement » lorsqu’il s’agit de parler des choses invisibles et spirituelles :  lorsque l’on parle de philosophie ou de religion, tout d’un coup on abandonne le bon sens et on se livre à des considérations complètement absurdes et insondables.

Tel homme sera dans la vie de tous les jours un entrepreneur brillant, très réaliste lorsqu’il s’agit des affaires et des investissements : il sera dans sa vie privée adepte du yoga, du karma, de l’horoscope, ou de toutes sortes d’autres choses dont la véracité et l’efficacité spirituelle n’est ni prouvée ni prouvable, et il ne prétend pas qu’elles soient prouvées ou prouvables, il y adhère simplement parce que cela lui « parle ».

Nous sommes contre cette distinction : il faut être réaliste aussi bien dans les choses pratiques que dans les choses spirituelles, parce qu’il ne s’agit que d’étudier deux dimensions d’une même réalité.

Chercher à connaître la vérité en matière de philosophie et de religion, c’est chercher à connaître, suivant les données de l’expérience et les principes accessibles par la raison, la réalité telle qu’elle est, et non pas telle que l’on voudrait qu’elle soit.

Plusieurs points de vue, pas plusieurs vérités

« Chacun sa vérité », « j’ai ma vérité, tu as la tienne » : il n’est pas rare d’entendre ces paroles, lorsqu’il s’agit de parler de religion, de morale ou de philosophie.

Elles se basent sur une incompréhension du terme « vérité » : dans ce contexte, on pense souvent que « vérité » signifie simplement une chose à laquelle nous croyons et qui nous tient à cœur, qui nous motive, qui nous plaît, une doctrine avec laquelle nous essayons de guider notre vie.

Mais c’est bien une incompréhension : suivant la définition de la vérité comme l’adéquation entre l’intelligence subjective et la réalité objective, il ne peut pas exister « plusieurs vérités » en même temps et sous le même rapport. Parce qu’il n’existe pas « plusieurs réalités » : nous vivons tous dans une même réalité, que nous cherchons à comprendre et à connaître, et s’il existe plusieurs interprétations ou plusieurs croyances sur le sens qu’il faut donner à cette réalité, ce n’est pas que cette réalité correspond en même temps à ces différentes croyances, mais plutôt qu’il y a des croyances vraies et des croyances fausses : ainsi par exemple dans le débat sur les « fake news », il n’est pas question de considérer que les défenseurs de « théories du complot » et les défenseurs des « versions officielles » aient en même temps raison, qu’ils aient chacun « leur vérité » … au contraire, il est bien évident pour tout le monde que certains ont raison, et que d’autres ont tort, quel que soit d’ailleurs le parti où l’on se place dans la querelle. Ce principe vaut pour tous les domaines de la vie, il vaut donc a fortiori pour la philosophie et la religion.

Il peut exister une multitude de croyances contradictoires, qui guident la vie de peuples entiers depuis de nombreux siècles : telle partie du monde croit en l’islam, telle autre en l’hindouisme.

Ces croyances contradictoires ne peuvent pas être toutes vraies en même temps et sous le même rapport : parce qu’il n’est pas possible, par exemple, que Dieu soit en même temps transcendant (comme dans la doctrine catholique : Dieu est radicalement distinct, indépendant et supérieur par rapport aux créatures) et en même temps immanent (comme dans l’hindouisme : chaque créature « est Dieu », il n’y a pas de distinction radicale entre les deux). Les deux idées s’excluent absolument : elles ne peuvent pas être toutes les deux conformes à la réalité.

Relativisme en paroles, réalisme en pratique !

Beaucoup ont le relativisme sur les lèvres : impossible, dit-on, de savoir si Dieu existe, de savoir s’il y a une vraie religion, de savoir s’il y a une vraie morale, de savoir s’il y a une vraie doctrine politique, de savoir même s’il y a une vraie réalité, une vraie vérité … on affecte de douter de tout, on prétend que le doute est la base de la maturité intellectuelle et du progrès scientifique,  on prétend « qu’il n’y a de science que de réfutable », que ce qui est vrai aujourd’hui sera faux demain, qu’il y a de la fécondité dans la contradiction. On l’affecte et on le prétend : ce sont des paroles.

Dans les faits, personne n’y croit véritablement. Il est impossible de vivre en conformité avec le relativisme : ce serait cesser de vivre. Il est possible d’être relativiste le temps d’une discussion mondaine, pour avoir l’air philosophe : mais les choses se compliquent lorsqu’il est question de faire des affaires, de mener à bien des projets immobiliers, d’investir en bourse, de poursuivre une formation universitaire ou professionnelle, de concevoir des machines, de programmer un site web, d’organiser ses prochaines vacances, d’éduquer des enfants, d’avoir une relation harmonieuse avec son conjoint, de gagner un procès, de gagner un match de football, de trouver un fournisseur d’abonnement téléphonique … en bref, dans tous les domaines de la vie, on ne peut pas être relativiste : il y a une réalité tangible, qui s’impose à nous que nous le voulions ou non, que l’on doit chercher à connaître objectivement et sans préjugés au risque de commettre des erreurs immédiatement dommageables à nos intérêts et ceux de nos proches.

Tout le monde est réaliste, tant qu’il en va de nos intérêts personnels. Si la majorité de nos contemporains ne sont pas réalistes en philosophie et en religion, c’est parce qu’il leur semble qu’une telle démarche irait contre leur intérêt et leur goût : je ne veux pas me soumettre à une autorité ou à un dogme, je ne veux pas qu’on me dise ce que je dois faire, je veux penser librement.

Ce n’est pas un point de vue rationnel : c’est plutôt un rejet de la rationalité, une « démission de l’intelligence », le refus qu’il puisse y avoir une vérité intangible à laquelle il faille se soumettre, parce que s’y soumettre pourrait contrarier notre confort, notre plaisir et notre volonté propre.

Mais dans d’autres domaines, par exemple dans le domaine de la défense des mesures sanitaires contre le covid-19, comme leur intérêt et leur cœur se porte vers ces mesures, il est hors de question pour eux de prétendre qu’il puisse y avoir plusieurs points de vue valables, plusieurs « vérités » acceptables concernant la réalité de la crise sanitaire : ils n’hésitent pas à employer le discours, les méthodes et les procédés des civilisations « inquisitoriales », « dogmatiques », « absolutistes », « dictatoriales » contre ceux qui ne croient pas dans la réalité de la crise sanitaire.

Nous disions « relativisme en paroles, réalisme en pratique » : nous pouvons dire également « libéralisme en paroles, intégrisme en pratique ». Lorsqu’il s’agit de la crise covid, il n’y a plus ni liberté de pensée, ni liberté d’expression, ni liberté de faire ce qui nous plaît au détriment de principes moraux universels et intangibles : les discours complotistes doivent être réfutés, muselés et réprimés, ceux qui enfreignent les mesures doivent être poursuivis et châtiés sévèrement, toute la population doit être éduquée et informée de la réalité de l’épidémie et des mesures à prendre, il faut être prêt à tous les sacrifices pour prendre acte de cette réalité.

En cela les covidistes sont cohérents avec une exigence fondamentale de l’esprit humain : il ne peut pas y avoir plusieurs vérités parce qu’il n’y a qu’une seule réalité qui s’impose à tous qu’on le veuille ou non, et les opinions fausses sont dangereuses parce qu’elles poussent les hommes à agir en difformité avec la réalité, et ainsi faisant à se nuire à eux-mêmes et à nuire à tous les autres. Sur le principe, les catholiques du Moyen-Age n’en disaient pas moins !

Le Pape et l’inquisiteur, Jean-Paul Laurens

Une réalité extérieure qui s’impose à nous

Dans ces domaines pratiques que nous venons d’évoquer, le bon sens nous défend de privilégier notre vision subjective des choses à une réalité objective qui n’est peut-être pas facile à connaître, mais que l’on doit chercher à connaître le mieux possible pour pouvoir espérer quelque succès. Si je veux entreprendre dans un domaine particulier, je dois faire une étude de marché : c’est-à-dire, essayer de connaître le plus objectivement et le plus précisément possible la réalité de ce marché, pour me plier à cette réalité : cette réalité ne dépend pas de moi, mon esprit n’a pas le pouvoir de la modifier ou de la contrôler.

Je dois me positionner en conséquence de cette réalité extérieure, sinon mes investissements seront hasardeux et mes efforts probablement inutiles.

Dans l’entreprenariat, le risque doit être contrôlé, l’ignorance totale n’est pas permise. On ne peut pas se permettre de laisser au hasard, à une croyance injustifiée ou à la fantaisie de notre humeur une affaire aussi grave.

Pourtant c’est ce que beaucoup de gens font en matière de morale et de religion : ils vivent « au hasard », suivant leur fantaisie, suivant des croyances personnelles qu’ils se sont fabriquées ou qu’ils ont trouvé chez un maître quelconque, et qu’ils observent simplement parce qu’elles leur plaisent, parce que cela leur parle.

Et c’est de la folie : parce que s’il y a une réalité objective dans les affaires, on ne comprend pas pourquoi il n’y aurait pas de réalité objective concernant l’ordre du monde, son origine et sa finalité.

Le monde des affaires et le « monde de la religion » appartiennent à un même univers, à une même réalité : c’est simplement que le monde des affaires se circonscrit à un aspect particulier de la vie, tandis que la philosophie, la religion et la morale ont pour objet la vie dans son ensemble.

Quel entrepreneur voudrait d’une doctrine sur sa discipline qui serait belle et pleine d’attrait, mais prouvée par rien du tout, et ayant toutes les chances d’être le simple fruit de la fantaisie de l’esprit humain ? Serait-il prêt à emprunter 300 000€ à sa banque sans avoir une forme de certitude pratique qu’il pourra les rembourser ? C’est cette certitude qu’il lui faut, peu importe ce que lui disent les beaux-parleurs et les charlatans qui lui proposent de le rendre riche en un clin d’œil. Il est prêt à accepter un certain degré de risque et d’inconnu, mais pas à risquer tout sur de belles paroles : « c’est du bon sens ».

Méthodologie pour la recherche de la vérité

Ce qui vaut pour l’entreprenariat vaut pour tout le reste : si vous n’acceptez pour seule règle de votre pensée que le bon sens, vous finirez par trouver la vérité. Et tandis qu’en matière économique vous n’aurez que des certitudes limitées et approximatives, étant donné le caractère contingent et évolutif de votre objet d’étude, en matière de réalités spirituelles universelles, vous pourrez trouver des certitudes indubitables, car votre objet d’étude est immuable et éternel.

Pour qui cherche donc sincèrement la vérité dans ces matières très élevées, il faut avoir à peu près la même approche que lorsque l’on cherche la vérité en matière de conjoncture économique et de compréhension des marchés : il faut utiliser les données de l’expérience et de la raison, en se basant sur des sources fiables. Nos préjugés, nos sentiments, nos répugnances, ne valent pour rien dans cette recherche : il n’importe que de comprendre la réalité telle qu’elle est, et de s’y conformer, sous peine de faire fausse route.

Mais pour autant, ne soyons pas dupes : dans ces matières très élevées, tout ne se limite pas à l’usage de la raison. Raisonner sur l’économie, sur la science physique ou sur les mathématiques ne vous engage à rien : c’est quelque chose de plaisant, vous vous cultivez.

Mais raisonner sur les grandes vérités sur l’origine et la fin de l’univers, sur le sens de la vie humaine, cela pourrait vous engager à des changements concrets dans votre vie, à des sacrifices : peut-être que déjà, il y a un conflit qui s’opère en vous entre votre intelligence qui est attirée par ces démonstrations sensées et raisonnables, et votre partie charnelle et sensible qui ne veut que « profiter de la vie » et laisser de côté ces grandes questions si pesantes et si sérieuses.

Il faut entrer dans la recherche de la vérité avec un cœur humble et sincère : mieux vaut trouver une vérité déplaisante, que de vivre honteusement dans un mensonge qui nous plaît.

Mieux vaut avouer s’être trompé, peut-être s’être trompé la plus grande partie de sa vie, que de continuer avec obstination et orgueil à défendre des choses fausses. Il faut aimer la vérité par principe, même si on n’est pas encore sûr de connaître la vérité, que l’on pense pouvoir se tromper : aimer la vérité par-dessus tout, parce qu’il est bien certain qu’il y a une vérité, et qu’au prix de quelques efforts on peut la trouver.

Parce que l’homme est un être doué d’intelligence et de volonté, qui sont les facultés qui le distinguent du reste du règne animal, il faut que les deux fonctionnent ensemble : la volonté doit dicter à l’intelligence de chercher la vérité comme sa fin, elle doit aimer la vérité et haïr le mensonge. Si la volonté se perd à mi-chemin dans l’amour de quelque chose qui relève du mensonge, l’intelligence ne parviendra pas à voir la réalité.

En parlant de ceux qui aiment la vérité, même s’ils ne l’ont pas encore trouvée, le Christ dit :

« Quiconque est de la vérité écoute ma voix ».


Le Christ quittant le prétoire, Gustave Doré

Jean-Tristan B.


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