Foi et Raison

Sommaire
I. Les théories erronées sur les rapports entre la raison et la foi 
II. Le réalisme de saint Thomas d’Aquin
III. Le rôle de la raison en matière de religion


Il vous est sans doute déjà arrivé d’entendre des paroles de cette sorte à la télévision, dans la rue, entre amis ou en famille :

« Mais enfin, tu ne peux pas dire ça, c’est contre la science, c’est une mentalité religieuse ! Nous sommes au XXIème siècle, plus au Moyen-Âge ! »

« Je suis rationnel, pas religieux »

« C’est religieux et dogmatique, pas scientifique ! »

« Je ne crois que ce que je vois. » ou encore « Les dogmes religieux sont absurdes. ».

Les personnes qui s’expriment ainsi n’ont la plupart du temps aucune idée précise et véritable de ce qu’est la religion ou la science. Ce sont des phrases toutes faites répétées sans réflexion, à tort et à travers, exactement ce qui est reproché à la religion (à tort). Le serpent se mord la queue !

Cependant, elles peuvent facilement déstabiliser un catholique sincère mais novice, ou tout homme de bonne volonté désireux de défendre la vérité. C’est la raison pour laquelle il faut aborder cette question avec sérénité et intelligence pour être prêt à répondre à ce genre de formules. Avoir des connaissances solides sur ce sujet permet aussi de renforcer nos convictions, notre capacité de réflexion et notre bon sens.

Ainsi, nous montrerons que nos certitudes (notre foi comme nos connaissances naturelles) s’appuient sur des fondements sérieux et sur une réflexion cohérente et rigoureuse. Puissent alors ces personnes se remettre en question et admettre que pour connaître ce qui est vrai, il ne suffit pas de répéter aveuglément des slogans, il faut encore en montrer la pertinence ! Voyons donc quels sont, dans la réalité, les rapports entre foi et raison, science et religion : Opposition ? Complémentarité ? C’est l’intention de dégager une solution raisonnable à ce problème qui nous pousse à mettre ce petit travail entre vos mains. Bonne lecture !

I. Les théories erronées sur les rapports entre la raison et la foi 

A. Le rationalisme 1

La première attitude à l’égard de ce problème est l’attitude rationaliste ou naturaliste. Selon elle, la raison naturelle de l’homme est la seule règle de la vérité et tous les autres types de connaissances sont à rejeter. C’est donc une négation a priori, avant même tout examen réfléchi, de l’existence de Dieu et de la possibilité d’une révélation. C’est pourquoi on l’appelle naturalisme, car elle rejette a priori ce qui est au-dessus des forces de l’homme et de la nature, c’est-à-dire le surnaturel. Ses défenseurs opposent la foi (donc la religion) et la raison (donc la science) et donnent une primauté absolue à la seconde sur la première. Pour eux, tout ce qui dépasse la raison est forcément faux. Certains naturalistes vont même jusqu’au relativisme : en plus de rejeter la légitimité de la religion, il refuse à la raison sa capacité de connaître véritablement les choses telles qu’elles sont.

Quelques exemples : 

  • Au Vème siècle avant notre ère, les sophistes de l’antiquité grecque comme Protagoras et Gorgias, véritables initiateurs du naturalisme et du relativisme. Pour eux, l’homme est la mesure de toute chose et la vérité est ce qui paraît tel à chacun, sans critère objectif discernable. En plus de ruiner les forces de la raison, ils bannissent la possibilité d’une révélation surnaturelle qui dépasse l’homme et s’impose à lui.
  • Au XVIIème siècle, Spinoza et son Traité théologico-politique.
  • Les penseurs rationalistes du XVIIIème siècle comme Kant, Diderot ou Voltaire. Ils prétendent que la religion et ses dogmes s’opposent à la science et aux progrès de la raison. Pour eux, la religion serait faite pour les gens simples et crédules. Il faut détruire l’influence de l’ordre surnaturel pour établir le règne de la pure raison : révolte de l’individu contre toute autorité, soit en obéissant qu’à soi (libéralisme) soit en rejetant les droits de l’Église (laïcisme).
  • Les modernistes de la fin du XIXème siècle comme Alfred Loisy, George Tyrrell, Romolo Murri ou Buonaiuti, jusqu’à aujourd’hui, qui estiment que les dogmes et les mystères de la religion, supérieurs à la raison, ne sont que des symboles nés du sentiment religieux. Ces symboles sont utiles et nécessaires pour la religion, ils n’ont en revanche aucune réalité objective et la science doit les écarter. Ainsi verrez-vous des chrétiens modernes dire que la résurrection de Jésus-Christ est une invention de ses disciples. Une invention sincère et utile, mais une invention qui n’a pas eu lieu historiquement. Ils distingueront le Jésus-Christ de la religion et celui de l’histoire, ils soumettront tous les dogmes catholiques au diktat de la raison, refusant l’existence réelle de tout ce qui la dépasse2.  
  • La plupart des tenants du positivisme, qui s’en tient exclusivement à la valeur des faits étudiés par les sciences, c’est-à-dire aux connaissances que la critique kantienne avait seules pleinement justifiées (ou cru avoir pleinement justifiées), bornant la connaissance aux phénomènes, excluant la possibilité de remonter à des causes spirituelles (donc à la connaissance des concepts et de Dieu) et rejetant toute possibilité d’une révélation. Sous toutes ses formes et tous ses dérivés proches ou lointains : le positivisme sociologique dans sa pureté d’Auguste Comte ; le darwinisme de Buffon, Lamarck ou Darwin ; l’agnosticisme de Spencer et Huxley ; le socialisme athée de Karl Marx ; l’école anglaise de Stuart Mill et l’utilitarisme de Jeremy Bentham ; l’école sociologique d’Émile Durkheim ; l’école rationaliste et scientiste des francs-maçons de la IIIe République française, d’Ernest Renan. 
  • Enfin, issu d’un mélange explosif de toutes ces théories (et de bien d’autres), l’esprit massivement diffusé dans les sociétés occidentales contemporaines et largement adopté par le commun des mortels : la science s’oppose à la religion et celle-ci ne peut en aucun cas s’imposer comme une vérité objective. C’est la position de toutes les autorités en place, qui ont banni Dieu et la religion de leurs discours et de leur conduite : hommes politiques, juges, journalistes, médecins, scientifiques ou « philosophes ». « Soyons rationnels ! » disent-ils.

Cette attitude rationaliste ou naturaliste est donc la plus répandue dans l’époque moderne.

B. Le fidéisme3

La deuxième attitude est le fidéisme issu de la réforme protestante. Elle consiste à placer la foi et le surnaturel au-dessus de tout jusqu’à mépriser et piétiner la raison. L’usage de la raison, autonome en philosophie comme instrumental en théologie, sera donc banni. Le fidéisme semble donc être l’inverse du rationalisme à l’égard de la foi et de la révélation. Mais en fait, il est aussi son frère jumeau dans l’erreur. Les deux attitudes opposent la raison et la foi et jugent que la révélation non seulement dépasse la raison, mais est aussi absurde. Pour les rationalistes (qui nient le surnaturel) comme pour les fidéistes (qui exagèrent le surnaturel et nient plus ou moins le naturel), la foi est absurde et contraire à la raison. Face à ce dilemme, les premiers laissent tomber la foi pour la raison, les seconds laissent tomber la raison pour la foi. Les uns comme les autres coupent la réalité pour ainsi dire en deux, comme si une chose et son contraire pouvaient être vrais pour le même sujet, en même temps et sous le même rapport. Malgré l’absurdité supposée de la foi, les modernistes rationalistes admettent que Jésus-Christ a fait des miracles (en tant que religieux) et en même temps qu’il n’en a pas fait (en tant que citoyen ou scientifique) ; les fidéistes purs admettent que le mystère de la Sainte Trinité est vrai (qu’il y ait en Dieu une unique nature en trois personnes) et en même temps qu’il est absurde, donc qu’il n’est pas… et partant sacrifie la raison qu’ils jugent entièrement mauvaise et incapable de quoique ce soit. 

Quelques exemples :

  • Au XVIème siècle Luther, qui appelle la raison « la plus féroce ennemie de Dieu » juge « qu’elle est directement opposée à la foi » et « doit être tuée et enterrée » et Calvin qui explique que « la pire des pestes est la raison humaine ». Pour eux, la foi est l’adhésion à l’irrationnel…
  • Au XIXème siècle, le père de l’existentialisme Kierkegaard, qui se réclame de la réforme pure et originelle.
  • Au XXème siècle, Karl Barth, pasteur protestant de la même veine.
  • Ajoutons ici aussi les modernistes. Cela peut paraître contradictoire puisque nous les avons déjà classés parmi les rationalistes. En fait, tout se tient, et tout tend à montrer que le modernisme est bien « l’égout collecteur de toutes les hérésies », selon les mots de saint Pie X. En effet, le modernisme ne s’attaque pas à tel ou tel vérité de foi, il change radicalement la notion même de foi, entraînant de fait l’écroulement de tout l’édifice des vérités révélées. Plus haut, nous avons vu que le modernisme était agnostique et rationaliste: l’intervention de Dieu dans l’histoire (par une révélation par exemple) serait inconnaissable puisque nos connaissances se borneraient aux phénomènes sensibles. Il n’y aurait donc aucun critère objectif permettant de discerner la véracité d’une révélation divine (son fait). Par conséquent, on doit expulser tous les phénomènes surnaturels de nos démarches scientifiques. Voici le rationalisme: comme homme, le surnaturel n’est pas et ne saurait être démontré. Mais le modernisme n’abdique cependant pas la religiosité. Il se dit encore chrétien et homme de foi. Comment parvient-il à faire ce tour de passe-passe, puisque le contenu de la révélation est en soi inconnaissable comme objet extérieur et intelligible ? Il recourt à l’expérience et au sentiment religieux. Le contenu de la religion (donc la révélation) serait déterminé au fil du temps par les besoins naturels et sentimentaux issus du subconscient des fidèles (ce que saint Pie X appelle « l’immanence vitale »). Il serait le fruit non d’une révélation extérieure, objective et intelligible, (donc immuable et indépendante de nos sentiments et désirs) ce qui irait contre l’exigence moderne de rationalité agnostique; mais d’un mouvement vital intérieur se traduisant par des expressions dogmatiques symboliques. Le besoin et le sentiment religieux font naître des dogmes de la conscience aveugle des fidèles, au gré de l’évolution des circonstances. Il n’y a plus rien d’objectif et d’immuable, tout est subjectif et changeant. Comme cette révélation intérieure est vitale (c’est-à-dire spontanée, incontrôlée, irréfléchie, plus ou moins vague et indescriptible) et répond à un besoin, elle s’impose comme telle et sans réflexion, indépendamment de la cohérence de son contenu. Voici le fidéisme: comme religieux, il faudrait admettre même des choses jugée absurdes car elle seraient imposées par le sentiment religieux. Ces vérités religieuses sont relatives et peuvent changer au gré des fluctuations de la vie des fidèles et de leurs exigences du moment. Comme les sentiments et les mouvements vitaux évoluent, les expressions religieuses qu’ils expriment évoluent aussi. Leur contradiction n’est pas un problème, puisque la religion n’est pas affaire de vérité mais de sentimentalité: on retrouve le fidéisme qui accepte le contradictoire et l’absurdité. La conséquence: Dieu n’est plus un être transcendant et parfait (l’acte pur de saint Thomas) qui se manifeste librement et gratuitement aux hommes (ce qui implique que la nature humaine n’exige pas cette révélation et cette participation à l’ordre surnaturel qui est un don, donc qui est indépendant de nous. Cela implique aussi qu’il n’y ait qu’une seule vérité et donc qu’une seule vraie religion); c’est une manifestation sentimentale des exigences humaines (ce qui implique que toutes les religions peuvent être légitimes, elles ne sont que des expressions particulières du sentiment religieux de différents peuples à différentes époques: qui pourrait oser dire que le sentiment religieux du protestant ou du musulman est moins fort que celui du catholique? Ce qui implique aussi que Dieu n’est plus transcendant, indépendant et parfait mais que c’est l’homme qui se forme un Dieu selon ses besoins et ses désirs subjectifs: Dieu est exigé par la nature en tant que besoin, il se confond avec l’homme en tant qu’expression sentimentale: le modernisme est donc un naturalisme et un panthéisme.)

II. Le réalisme de saint Thomas d’Aquin4

A. Le rejet du rationalisme et du fidéisme

Pour saint Thomas, ces deux attitudes sont inacceptables car elles sont incohérentes et illogiques. Saint Thomas ne tire aucune conclusion a priori, il essaie d’éclairer tous les problèmes posés avec une intelligence lumineuse et une incomparable prudence. Tout d’abord, il admet l’existence d’une unique réalité. Ainsi, deux propositions contradictoires ne peuvent être vraies en même temps. L’absurde n’a donc aucune consistance réelle, il ne peut pas exister car il implique une contradiction indépassable. Ainsi, un rond-carré ne peut exister, c’est absurde. Le rond et le carré s’excluent mutuellement, par conséquent, un rond-carré ne signifie rien. La foi ne peut donc pas être absurde car ce serait dire qu’elle n’est rien. Donc les fidéistes purs de la réforme se trompent.

Ensuite, la négation a priori des rationalistes est illégitime car elle ne repose sur aucun motif raisonnable. En effet, pour avoir le droit de rejeter le surnaturel, il faudrait que la raison humaine soit la raison absolue et totale, infaillible et omnisciente, capable de tout connaître de fond en comble. Alors seulement, le surnaturel, comme contenu supérieur à la raison, serait inexistant, puisqu’en dehors du champ intégral de celle-ci, qui sonde l’être sous tous ses rapports. Or, l’expérience quotidienne et le bon sens nous disent que la raison humaine est limitée, fragile et faillible. Nous nous trompons souvent et nous ne connaissons rien intégralement, même parmi les choses accessibles à la raison. Donc il n’est pas permis de nier quoique ce soit a priori, à moins que cette chose soit absurde (comme le rond-carré ; l’effet sans cause etc.). Le caractère incompréhensible (au sens de supérieur à la raison) d’une chose n’implique pas son inexistence. En niant a priori le surnaturel et la foi, le rationalisme procède de manière irrationnelle. En effet, la négation, au lieu de sortir de l’enquête, la domine et la dirige ; elle est érigée en principe absolu, en dehors et au-dessus de toute discussion : c’est une préférence irrationnelle et un choix capricieux tout à fait injustifié.

B. La solution thomiste

Se hissant comme sur un sommet surplombant ces deux vallées de perdition intellectuelle, saint Thomas propose une solution cohérente en adéquation avec la réalité et ses principes immuables. Tout d’abord, nous remarquons qu’il existe deux chemins différents pour connaître avec certitude la réalité. Soit par un constat ou une démonstration nous donnant l’évidence de la chose en elle-même, et c’est la science au sens large (j’existe; il fait beau; 2+2 = 4); soit par un témoignage crédible, sans que nous puissions constater ou démontrer la chose par nous-mêmes, et c’est la foi au sens large (La Révolution française a commencé en 1789; Hugues Capet a été couronné en 987). Si nous trouvons la solution d’un problème de mathématique par l’application d’un théorème adéquat, nous en avons la science via une connaissance intrinsèque. Nous pouvons dire que nous savons que cette solution est vraie. Si, ignorant encore des mathématiques, un enfant demande à son père de lui donner la solution d’un problème, il lui fera confiance en croyant son témoignage. Il aura raison de lui faire confiance car son père est digne de foi et qu’il est raisonnable de le croire. Il aura aussi la vraie solution du problème. En revanche, il ne l’aura pas acquise par lui même, mais par une foi humaine. Le chemin du savoir comme celui de la croyance, nous le voyons, peut permettre d’avoir une certitude. La condition est la même dans les deux cas : raisonner pour démontrer la vérité en elle-même ou raisonner pour démontrer la véracité du témoin et, partant, la vérité de ce qu’il dit. La finalité est aussi la même : avoir une certitude. Pour saint Thomas, l’existence de Dieu peut être démontrée par la raison naturelle. Il est donc objet de science (contre les fidéistes). On y arrive en appliquant les principes les plus essentiels de la raison (le principe de causalité par exemple) à l’expérience la plus immédiate (la réalité du mouvement ou l’ordre de l’univers par exemple). On s’élève ainsi, par une démonstration a posteriori et sans aucun préjugé indu (à partir des seules évidences : l’expérience et les principes), des choses qui sont mues au premier Moteur immobile, des causes subordonnées à la Cause première, des êtres contingents à l’Être nécessaire, des degrés de perfection au souverain Parfait, de l’ordre de l’univers à l’Intelligence ordinatrice. Cependant, cette connaissance scientifique nous amène à connaître le vrai Dieu comme Être suprême, créateur et parfait souverain, à travers ses créatures, non comme Dieu Trinitaire, Incarné, et Sauveur. Cette connaissance naturelle de Dieu avait aussi été atteinte par des philosophes non chrétiens (Aristote par exemple). Il est donc nécessaire, pour avoir une connaissance pour ainsi dire intime de Dieu, que Dieu lui-même nous la révèle. Alors, Dieu sera aussi objet de foi (contre les rationalistes). Dieu en lui-même (Une Nature en trois Personnes, Père, Fils et Saint-Esprit ; le Fils fait Homme en unissant la nature humaine et la nature divine dans la seule Personne du Verbe) est inaccessible à la raison humaine, il la surpasse de part en part. C’est par un acte gratuit et plein d’amour, la Révélation, que Dieu s’est fait connaître en lui-même aux hommes. C’est par un acte non moins gratuit et non moins plein d’amour qu’il a donné à leur intelligence la lumière de la foi qui la proportionne pour ainsi dire à la hauteur des vérités auxquelles il faut adhérer. La foi n’est pas un élan aveugle du subconscient ni un saut dans le vide. La révélation est rationnellement crédible (les « motifs de crédibilité » étudiés par l’apologétique) et son Auteur ne l’est pas moins (par analogie avec le cas du père évoqué plus haut, nous démontrons que Dieu est le plus crédible des témoins, ne pouvant ni se tromper, ni nous tromper). Lorsque nous demandons par exemple à un bon ami des nouvelles d’un parent, nous faisons un acte de foi humaine en son témoignage. Nous savons que cet ami est d’une grande probité: toujours égal à lui-même, constant, stable et équilibré, la farce n’est pas dans son caractère, resplendissant qu’il est de grâce et de vérité. Il ne nous passerait même pas par la tête une seconde de remettre en doute ses dires, par exemple: tel parent est désormais marié et a un fils. Nous serions même en quelque sorte obligé d’adhérer en conscience à ce témoignage au-delà de tout soupçon… sous peine d’agir imprudemment en niant indûment une vérité. Nous n’hésiterions d’ailleurs pas à la répandre: « un tel a désormais un fils, c’est merveilleux! », et notre interlocuteur de le répandre à son tour. Sans jamais avoir l’évidence de la réalité que nous n’avons pas pu constater par nous-mêmes, nous croyons cela vrai et de fait cela est vrai. Cette croyance nous dépasse en quelque sorte mais est précédé et s’appuie sur un acte de science par lequel on en démontre les motifs de crédibilité qui rendent cette croyance certaine. De manière analogue dans la révélation, avant d’y adhérer, nous prouvons par la seule raison que Dieu est le témoin le plus crédible qui soit et que c’est bien Dieu qui a révélé ce à quoi nous adhérons. L’acte de foi est donc un acte prudent et raisonnable qui nous pousse à adhérer, au moyen de notre intelligence et de notre volonté mues par la grâce, à Dieu lui-même se révélant. C’est la foi divine.

« Qu’une chose doive être crue, ce n’est pas la foi qui le voit, c’est la raison » Cardinal Pie, Discours et instructions.

« Celui qui croit une chose ne la croirait pas s’il ne voyait que cette chose doit être crue, soit à cause de signes évidents, soit pour un autre motif du même genre. » Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa-IIae, qu. I, art.4

« Dresser l’une contre l’autre la religion et la science, c’est surtout le fait de gens mal instruits dans l’une et dans l’autre. » P.Sabatier

Nous voyons comme cette solution est féconde et comme elle évite les excès de part et d’autre. La foi dépasse la raison (la Sainte-Trinité, l’Incarnation, sont des mystères) mais n’est pas absurde. Foi et raison ne peuvent se contredire car il existe une unique réalité qu’elles perçoivent sous différents rapports. La raison et la foi sont complémentaires, comme l’ordre naturel et l’ordre surnaturel : la foi suppose la raison car elle s’y enracine une fois celle-ci bien disposée. Cependant la foi éclaire, illumine et transcende la raison par une connaissance bien supérieure à ses exigences naturelles. Enfin, la foi jouit d’une certitude absolue car elle se fonde sur l’infaillibilité et la bonté de Dieu, elle aura donc un droit de contrôle sur les démarches de la raison (tout en laissant ces démarches autonomes en elles-mêmes). Saint Thomas fait donc une part à la raison et à la foi, excellentes toutes deux et unies par la vérité, tout en précisant ce qui les distingue. Ne pas accepter cette complémentarité reviendrait à refuser la réalité et à soutenir des absurdités. Ainsi l’avaient bien compris Bossuet et Chesterton :

« Les absurdités où les libertins tombent en niant la religion deviennent plus insoutenables que les vérités dont la hauteur les étonne ; et pour ne vouloir pas croire à des mystères incompréhensibles, ils suivent l’une après l’autre d’incompréhensibles erreurs. » – Bossuet, Oraison funèbre de la Princesse palatine, 1ère partie

« Quand on cesse de croire en Dieu, ce n’est pas pour croire en rien. C’est pour croire en n’importe quoi. » Chesterton (c’est du moins à lui qu’on l’attribue)

III. Le rôle de la raison en matière de religion

La raison et la foi ne peuvent donc pas se contredire. La foi, parce que son objet proprement dit est supérieur à la raison, la dépasse infiniment. En revanche, elle ne la contredit pas et ne propose à aucun moment l’absurdité au croyant. En effet, toutes les deux ont été données par Dieu à l’homme : la raison comme propriété naturelle due, la foi comme vertu surnaturelle gratuite ; et toutes les deux ont pour objet des choses réelles soient créées par Dieu et accessibles aux lumières naturelles de l’homme (la raison), soient Dieu lui-même en tant qu’il se révèle et inaccessibles aux lumières naturelles de l’homme (la foi). Donc, l’une ne saurait contredire l’autre. Le mystère et le supra-rationnel (ce qui dépasse l’entendement humain) est tout autre chose que l’absurde et l’irrationnel (qui implique contradiction et violation des premiers principes de l’être), il est simplement une part de la réalité que l’homme ne peut ni atteindre ni comprendre par lui-même. 

Ensuite, la raison et la foi coopèrent et se complètent admirablement par de multiples façons. Voyons-en quelques-unes. 

  1.  La raison peut démontrer les vérités philosophiques qui forment l’essentiel du spiritualisme réaliste (existence, spiritualité et immortalité de l’âme ; existence d’un Dieu personnel et transcendant, créateur et rémunérateur ; existence de la liberté humaine et de la morale naturelle, donc du mérité et du démérite, de la récompense et du châtiment). Ces démonstrations sont encore extérieures à la foi. Elles sont souvent utilisées en apologétique avant l’exposition des motifs de crédibilité proprement dits.
  2. La raison peut fournir des motifs de crédibilité de la foi (les miracles, les prophéties, le « Fait de l’Église ») pour établir le caractère légitimement croyable du catholicisme dans son ensemble. Ceci est encore purement philosophique et naturel. Mais une fois exposés, ces motifs de raison amènent l’homme sincère au seuil de la foi surnaturelle. Il est en effet rationnellement convaincu que l’unique Dieu de vérité et d’amour est l’Auteur de la religion catholique. Il est donc disposé, malgré l’absence d’évidence intrinsèque des mystères qui le dépassent infiniment, à embrasser tout ce que Dieu a révélé. Cette adhésion se fait sur l’autorité même de Dieu dont il a prouvé la véracité. Une motion de sa volonté et, par-dessus-tout, la motion de la grâce divine qui met la foi dans son âme complètent son chemin spirituel et illustrent à merveille la complémentarité entre raison et foi. 
  3. Le contenu de la foi s’exprime par des formules intelligibles accessibles au sens commun. il s’exprime avec des mots compréhensibles à la raison et par lesquels on s’élève par analogie au surnaturel proprement dit. Il faut donc développer et utiliser sa raison pour recevoir la foi. Ainsi, comme la foi est reçue dans l’intelligence, celle-ci joue un rôle de premier plan dans l’acte de foi. Parce que c’est aux hommes que Dieu se révèle, il adapte la communication de la vérité aux propriétés naturelles de ces hommes. De plus, le principe de non-contradiction étant inhérent au fonctionnement naturel de l’intelligence qui répugne à concevoir l’absurdité au sens strict (rond-carré; le tout est plus petit que la partie etc.), la foi ne peut en contenir si elle s’y enracine. Par exemple : En Jésus-Christ il y a deux natures en une personne. Chacun de ces mots est en soi compréhensible par la raison. Nous savons ce qu’est une nature, nous saisissons le sens de la numération, la notion de personne nous est aussi familière. S’il y a mystère (qu’une unique personne puisse posséder deux natures nous dépasse), il n’y a pas de contradiction (ce n’est pas deux natures en une nature par exemple). Si les formules sont assimilées naturellement par le sens commun, leur sens réel est élevé à l’ordre surnaturel par l’analogie de la foi. Ainsi, ce qu’une personne est dans l’ordre naturel créé, une personne divine l’est proportionnellement dans l’ordre surnaturel divin. Cette implantation féconde de la foi dans l’intelligence est ce qu’on appelle l’intelligence de la foi, intelligence que le fidéisme et le rationalisme démolissent. 
  4. La raison, mue et informée par la foi, peut chercher un motif vraisemblable aux données contenues dans la Révélation, données qui dépendent en fait d’une libre décision divine et échappent souvent à l’esprit humain.
  5. Le mystère est supra-rationnel mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons rien en savoir. Ce n’est pas un « vide absolu » qui nous condamnerait au silence ou au verbalisme. Travaillant en esprit de foi et retaillant en quelque sorte ses concepts et ses vues sur mesure, l’intelligence, qui n’aboutit certes pas à nous en faire voir clairement le cœur, ni même à nous en donner l’évidence, peut arriver à en acquérir une idée analogique, qui tend à être une explication, un peu comme un polygone inscrit dans un cercle tend à la limite à être un cercle. Ainsi des notions issues de la philosophie rationnelle comme celles de nature, de personne, de substance ou d’accident permettront de mener des analyses théologiques à propos de la Trinité, de l’Incarnation ou de l’Eucharistie. La foi n’est pas un impensé total. La théologie est justement là pour réfléchir sur les données de la foi.
  6. La raison peut établir que les mystères ne sont pas contradictoires et que les objections contre ces mystères sont erronées. (Ainsi l’Église réfute les attaques que les musulmans font à la Trinité en montrant qu’elles ne tiennent pas. S’il est impossible de prouver un mystère par définition, il est possible de défendre sa légitimité et sa convenance.)
  7. Les divers éléments contenus dans la révélation sont à l’état « brut » (Sainte Écriture et paroles de Jésus-Christ, enseignements des Pères, décrets des conciles). Il faut les coordonner, les rattacher par des liens de principe à conséquence. C’est un des principaux rôles de la théologie. 
  8. Enfin, en partant d’une proposition révélée et d’une proposition connue par la raison naturelle, on obtiendra, par voie déductive, une conclusion qui participera à la fois de la lumière révélée et de la lumière rationnelle. Par exemple : Jésus-Christ est un homme (proposition révélée), or les hommes ont une âme (proposition connue par la raison), donc Jésus-Christ a une âme (conclusion théologique). Ou encore : L’Eglise et le Pape sont infaillibles (proposition révélée), or Vatican II et ses papes successifs enseignent des erreurs opposées à la foi (proposition connue par la raison), donc Vatican II et ses papes successifs ne représentent pas l’Église et ne sont pas de vrais Papes (conclusion théologique).

Nous voyons que la foi et la raison, loin de s’opposer, s’épousent et se complètent admirablement dans le sujet humain pour la plus grande gloire de Dieu. Soyons donc raisonnables et mettons l’intelligence à la première place dans notre vie. Soyons fidèles et laissons la foi pénétrer notre intelligence, celle-ci n’en sera que plus forte. Nous devons être bien convaincus que le rejet de la religion, tantôt fanatique et militant, tantôt dédaigneux et paresseux, n’a pas sa source autre part que dans l’ignorance, l’orgueil et les attaches passionnelles. La raison n’y a jamais sa part. D’ailleurs, si la géométrie s’opposait autant à nos passions et à nos intérêts immédiats que la religion et la morale, elle serait tout autant contestée malgré toutes les démonstrations (et nous verrions des libertins dire que 2+2=4) … Avouer que la somme des angles d’un triangle est égale à 180° n’a en effet pas la même implication que d’accepter que Dieu existe et qu’il s’est révélé dans le catholicisme. Ceci explique peut-être cela ?

Lien vers une vidéo sur l’harmonie entre foi et raison, par M. l’Abbé Dutertre :

Cours extraits de trois ouvrages traitant la question des rapports entre foi et raison, philosophie et religion, philosophie et théologie. Nous en conseillons vivement la lecture :

  • Louis Jugnet, Pour connaître la pensée de saint Thomas d’Aquin, « Chapitre 1 : Foi et Raison » (nous lui empruntons la plupart de nos vues, surtout dans la partie III, jusqu’à recopier parfois texto.)

Mathis C.


 1 Dans son bref Eximiam Tuam de 1857, Grégoire XVI parle du « système erroné et très pernicieux du rationalisme, souvent condamné par le Siège apostoliques », pour mettre en échec les erreurs d’Antoine Günther. Dans le Syllabus de Pie IX publié en 1864, sont condamnés le rationalisme absolu dans la première partie, le rationalisme modéré dans la deuxième. Sont condamnées par exemple les thèses suivantes : « La raison humaine, considérée sans aucun rapport à « Dieu », est l’unique arbitre du vrai et du faux, du bien et du mal : elle est à elle-même sa loi » ou « La foi du Christ est en opposition avec la raison humaine, et la révélation divine non seulement ne sert de rien, mais encore elle nuit à la perfection de l’homme ». Le concile Vatican I (1870) renouvelle ces condamnations. Léon XIII, saint Pie X et leurs successeurs se sont élevés contre le rationalisme.

2 Saint Pie X a condamné le modernisme en 1907 dans une encyclique fameuse et profonde, Pascendi Dominici gregis. Le modernisme y est dénoncé comme étant « la synthèse de toutes les hérésies ». L’année suivante, en 1908, Alfred Loisy est excommunié. En 1950, dans son encyclique Humani Generis, Pie XII condamne les erreurs modernes qui menacent les fondements de la foi. Parmi elle, la nouvelle théologie, fille du modernisme, et la critique moderniste des Saintes Écritures.

3 En défendant la légitimité de la réflexion théologique depuis son institution, l’Église écarte de facto le fidéisme. Elle a toujours enseigné que la foi et le mystère dépassaient la raison sans la contredire. Les papes des XIXème et XXème siècles l’ont du reste nominalement dénoncé, surtout dans ses formes plus récentes (le fidéisme et le traditionalisme du XIXème siècle) qui, sans nier la non-contradiction foi-raison, ont tendance à raboter le rôle, la puissance et l’importance de l’ordre naturel et de la raison (Pie IX par le concile Vatican I, saint Pie X, Pie XII…).

4 La doctrine, les principes et la méthode de saint Thomas d’Aquin ont été pleinement adopté par l’Église au moins à partir du Concile de Trente (1545 – 1563), quand saint Pie V le déclara Docteur de l’Église (1567) et que la Somme théologique devint la référence absolue dans les séminaires. En 1879, l’Encyclique Aeterni Patris de Léon XIII promeut la philosophie de saint Thomas et prescrit son étude dans les écoles et les séminaires. On y lit que « quiconque s’y est tenu ne s’est jamais écarté du sentier de la vérité et que quiconque l’a attaquée a toujours été regardé comme suspect d’erreur. »En 1914, le Motu Proprio Pastoris Angelici de saint Pie X prescrit que dans les écoles de philosophie et les séminaires seraient enseignés et tenus religieusement les principes et les grands points de la doctrine de saint Thomas d’Aquin, et que, dans les centres d’études théologiques, la Somme théologique serait le livre de texte. Enfin, le Code de droit canon de 1917, préparé par saint Pie X et promulgué par Benoît XV, prescrit en son canon 1366, §2 : « Les professeurs doivent ordonner les études de philosophie rationnelle et de théologie, de même que la formation des élèves dans ces disciplines, selon la méthode du docteur angélique, et s’en tenir religieusement à sa doctrine et à ses principes. ». 

Le schisme dans le schisme

L’état actuel de la « communion orthodoxe »


Les schismatiques orientaux, que l’on appelle improprement «orthodoxes», portent bien leur nom de schismatiques : non seulement parce qu’ils sont séparés de l’unité de l’Église catholique depuis des siècles, mais aussi parce que leur mentalité et leurs constitutions contiennent le germe de dizaines d’autres schismes, et les privent de toute unité effective au sein même de leur parti. Au gré des passions nationales et politiques, de nouvelles «églises particulières» se forment, se divisent, et s’affrontent les unes contre les autres.

La notion «d’autocéphalie», qui veut dire pour une église «être sa propre tête», est un principe central de l’ecclésiologie des schismatiques orientaux. Pour eux l’Eglise fondée par Jésus-Christ est une société de constitution aristocratique, dans laquelle le pouvoir juridique et spirituel suprême appartient à certains évêques successeurs des apôtres : ils ont en général le titre de «patriarche», sinon celui de métropolite ou d’archevêque, et ont d’autres évêques sous leur juridiction. Leur idée est de dire que les patriarches sont les successeurs du «Collège des Apôtres», collège égalitaire dans lequel toute préséance ne serait qu’honorifique. Il n’y a aucun chef suprême dans cette organisation : chaque église autocéphale est entièrement autonome, au niveau juridique et même au niveau dogmatique et spirituel. Et donc, que se passe-t-il en cas de litiges entre deux patriarcats, ou de problèmes de juridiction internes ? Qui serait capable de restaurer l’ordre dans l’Eglise universelle ? Qui a le pouvoir de déterminer les contours de l’autocéphalie, ou d’ériger de nouveaux patriarcats ? Bonne question … La réponse est simple : rien ni personne n’est en mesure d’assurer l’ordre et l’unité entre ces différentes «églises autonomes», ni non plus de définir ce qui fonde juridiquement l’autocéphalie, il suffit pour s’en convaincre d’observer l’état actuel du monde «orthodoxe». Les dissensions et les schismes se multiplient, et s’aggravent avec le temps qui passe : nous nous proposons ici de les recenser, de manière non exhaustive (il faudrait maîtriser les langues des pays concernés pour être mieux informés de leur «actualité religieuse»), afin d’illustrer le caractère désastreux de cette doctrine de «l’autonomie ecclésiastique».

En théorie, personne n’a autorité pour décider qui est autocéphale ou qui dépend de quelle juridiction : une certaine coutume fait du patriarche de Constantinople l’autorité morale garante de l’ensemble de la «communion orthodoxe» et habilitée en dernière instance à régler les conflits de juridiction, mais cette coutume est contestée et les Russes en particulier la considèrent comme obsolète. En pratique, c’est l’autorité civile qui décide ou qui fait pression : les différentes juridictions autocéphales et les différents «schismes internes» sont purement et simplement le reflet de la situation politique des territoires concernés. Le césaropapisme du temps de l’empire byzantin est toujours présent dans la vie de ces «églises orthodoxes» : leur soumission plus ou moins totale aux autorités temporelles influe sur tous les domaines de la vie ecclésiale.

C’est encore un sujet sur lequel l’histoire du christianisme démontre la supériorité intrinsèque de la religion catholique et des principes de son ecclésiologie, par rapport à ceux des soi-disant orthodoxes : la primauté du Pape dans l’Eglise, et la primauté du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, sont les deux principes qui ont fait fleurir la chrétienté du Moyen-Age, qui ont donné naissance à une société si propice à la vie religieuse et aux œuvres de bien pour la gloire de Dieu. Il n’y aurait sans doute pas autant de saints dans le calendrier si saint Grégoire VII, la bête noire des schismatiques, des protestants et des gallicans qui en font un «horrible tyran», n’avait pas défendu avec autant de courage et de fermeté la primauté pontificale. Mais cela est encore un autre sujet : contentons-nous pour le moment de montrer les schismes internes aux schismatiques.

Bartholomée de Constantinople et Cyrille de Moscou.
Source de l’image : https://www.cath.ch/newsf/eglises-orthodoxes-russes-en-europe-pas-la-majorite-des-2-3-pour-rejoindre-moscou/

  • Schisme russo-ukrainien. Au jour du 15 octobre 2018, le patriarcat de Moscou rompt la communion avec le patriarcat œcuménique de Constantinople. Le conflit entre les deux juridictions, qui se disputent en quelques sortes la primauté symbolique sur l’ensemble des «orthodoxes» (avec la théorie très populaire faisant de Moscou la «Troisième Rome»), était larvé depuis des siècles : à présent, le schisme est officiel. C’est de loin le schisme le plus considérable des derniers siècles, étant donné le poids démographique et symbolique de la Russie dans le « monde orthodoxe », et la place qu’occupe la Russie sur la scène internationale. La « communion orthodoxe » de Constantinople perds d’un seul coup 50 à 60% de ses membres. Par ailleurs d’autres juridictions autocéphales prennent parti pour les Russes, ou affichent une position mitigée entre les deux camps, ce qui brouille encore les lignes de la « communion orthodoxe ». [1]
    • L’Eglise orthodoxe d’Albanie rejoint franchement le schisme russe, en signifiant sa rupture de la communion par une lettre adressée au patriarche de Constantinople le 14 janvier 2019 et rendue publique le 7 mars 2019. [2]
    • L’Eglise de Serbie joue double jeu. Traditionnellement très russophile, la Serbie avait condamné fermement l’érection d’une église autocéphale en Ukraine (qui fait écho à ses propres problèmes de juridiction avec le Monténégro et la Macédoine du Nord). Elle n’a pas rompu officiellement avec Constantinople pour autant, et continue de donner des gages d’amitié et de communion aux deux partis.
    • Le patriarcat de Roumanie, deuxième juridiction du « monde orthodoxe » par le nombre de fidèles (environ 20 millions) temporise également. Les Roumains se posent en observateurs critiques de la situation : ils accusent les deux partis (Moscou et Constantinople) de ne pas avoir su gérer adroitement la situation. Les Roumains reconnaissent sur le principe la légitimité de l’autocéphalie ukrainienne, mais attendent de la part du patriarcat de Kiev des garanties écrites concernant leur autorité sur les 127 paroisses roumaines situées sur le territoire ukrainien (Bucovine du nord). [3]
    • Le patriarcat de Bulgarie est fortement divisé entre ses éléments russophiles et ses éléments « non-alignés ». Certains clercs avaient vigoureusement fait campagne pour que l’Eglise de Bulgarie condamne l’autocéphalie ukrainienne, qui n’a pas été possible en raison de l’opposition de l’autre tendance. Par défaut, le synode bulgare a pour l’instant une position de neutralité. Cette crise est le reflet de la division entre un parti russophile et un parti européiste au sein de la population bulgare, qui se manifeste jusqu’au sein du haut clergé. [4]
    • Le patriarcat de Géorgie, qui vit dans un climat d’hostilité ou du moins de froideur vis-à-vis de Moscou, n’a pas pour autant pris publiquement position sur la question du schisme ukrainien : le patriarche a pris soin de démentir une rumeur selon laquelle il s’apprêtait à reconnaître la légitimité de l’autocéphalie ukrainienne. Le patriarche géorgien n’avait pas pris part au grand « concile panorthodoxe » de 2016, ce qui montre par ailleurs la froideur de ses relations avec Constantinople. De toutes les « églises autocéphales », elle semble être celle qui se sent le moins concernée par la querelle entre Moscou et Constantinople.
    • Le métropolite de Pologne déclare craindre le « chaos » engendré par cette décision, et ne reconnaît pas la légitimité du nouveau patriarche ukrainien. [5]
    • Les patriarcats grecs d’Antioche et d’Alexandrie ont manifesté leur « grande inquiétude » vis-à-vis de la volonté de Constantinople de séparer l’Ukraine du territoire de Moscou. Un peu plus tard en 2019, un synode des évêques de quatre sièges autocéphales anciens (Antioche, Alexandrie, Jérusalem et Chypre) vise à porter la voix de « l’unité du monde orthodoxe », et entend se poser en médiateur entre Constantinople et Moscou, sur fond de message œcuméniste plus large à destination des « autres Eglises chrétiennes ». [6]
  • Schisme monténégrin. En 1993, dans le sillage de la dislocation de la Yougoslavie, des clercs monténégrins restaurent une « église autocéphale » qui n’est pas reconnue par Constantinople. Cette « Eglise du Monténégro » est reconnue par l’église d’Ukraine (le schisme ukrainien antérieur à l’autocéphalie reconnue par Constantinople), ainsi que par l’église de Macédoine. Environ un tiers de la population du Monténégro suit cette église au détriment de l’église serbe. [7]
  • Schisme macédonien. En 1967 l’archevêché d’Ohrid proclame unilatéralement son indépendance vis-à-vis de l’église serbe : il revendique l’autocéphalie et devient « l’Eglise orthodoxe de Macédoine ». Elle est la seule église reconnue par le gouvernement de Macédoine du Nord et rassemble la majorité de la population du pays.
  • Schisme tchéco-slovaque. En janvier 2014, l’élection de l’archevêque slovaque Rotislav à la tête de la « juridiction autocéphale des Terres tchèques et de Slovaquie » est contestée par d’autres évêques tchèques de cette juridiction. Les Slovaques reconnaissent Rotislav comme patriarche légitime, les Tchèques ne le reconnaissent pas et demandent à Constantinople d’arbitrer le différent. Entre temps, le slovaque Rotislav a officiellement soutenu le schisme russe et appelé à condamner toute tentative visant à « légaliser les schismatiques ukrainiens ». [8]
  • Schisme abkhaze. L’Abkhazie est un petit état du Caucase, indépendant de facto de la Géorgie depuis 1992, mais dont la souveraineté n’est reconnue que par sept autres états. La situation de guerre avec la Géorgie a abouti à l’expulsion de tout le clergé géorgien, et à l’organisation d’une vie ecclésiale de facto indépendante : en 2009 l’autocéphalie de «l’Eglise orthodoxe abkhaze» est déclarée unilatéralement, et n’est reconnue ni par le patriarcat géorgien ni par le patriarcat russe. Un schisme apparaît au sein même de ce schisme : le «Saint Métropolitanat d’Abkhazie» fait concurrence à «l’Eglise orthodoxe abkhaze», et parvient à se placer sous la protection canonique de Constantinople, tandis que le second groupe dépends de manière officieuse de la Russie. [9]
  • Schisme antiochien. En 2015, le patriarcat d’Antioche rompt la communion avec le patriarcat de Jérusalem, avec lequel il se partage les différents pays du Moyen-Orient, à la suite d’un différend qui les a opposés concernant la juridiction du Qatar. [10]
  • Schisme américain. En 1970, le patriarcat de Moscou reconnaît l’autocéphalie de «l’Eglise orthodoxe en Amérique». Fort contestée, cette autocéphalie est notamment refusée par Constantinople, et n’est reconnue que par les juridictions qui se trouvaient à l’époque sous influence russo-soviétique : les églises bulgare, géorgienne, polonaise et tchéco-slovaque.
  • Schisme français. La situation de « l’Eglise catholique orthodoxe de France » (ECOF), petit groupe d’environ 4000 fidèles, semble illustrer l’absurdité qu’il y a pour des ressortissants de nations catholiques à vouloir « rejoindre la communion orthodoxe », étant donné que nul ne sait dire ce qui définit réellement cette communion. Elle est fondée par le prêtre moderniste Louis-Charles Winnaert, qui avait apostasié de la religion catholique en 1919 et avait depuis erré entre les anglicans, les vieux-catholiques et les occultistes théosophiques de «l’Eglise catholique libérale». Winnaert développe à partir de 1927 le souci de rejoindre la «communion orthodoxe» tout en ayant une expérience religieuse authentiquement «gallicane» : il invente un «rite des Gaules», et veut se placer sous les hospices de la Russie tout en maintenant cette identité particulière. Son «église» est reconnue par le patriarcat de Moscou entre 1936 et 1953. Puis l’ECOF se place en 1957 sous la juridiction de «l’Eglise orthodoxe russe hors frontières», qui était le schisme des clercs russes qui avaient préféré l’exil à la domination du communisme. En 1966 cette communion est rompue. Toujours à la recherche d’une protection canonique, l’ECOF se met finalement sous l’égide du patriarcat de Roumanie en 1972 : elle devient un diocèse de cette juridiction. Mais en 1993, le patriarcat de Roumanie rompt la communion avec l’ECOF. Elle semble être depuis lors dans une sorte d’autocéphalie de facto … Qui voudrait se «convertir à l’orthodoxie» en France aurait alors le choix entre ce groupe, d’autres groupes français étranges et sans reconnaissance canonique comme «l’Eglise orthodoxe celtique», et des dizaines d’autres paroisses ethniques, qui dépendent des différentes juridictions autocéphales : église russe, église de Constantinople, église roumaine, église serbe, église bulgare, etc … qui peut-être ne s’estiment pas toutes en communion les unes avec les autres.

Voici donc le modèle de « synodalité » auquel nous convient Vatican II et les modernistes, qui fustigent la « tyrannie pontificale » et le « centralisme romain », tout comme leurs amis les schismatiques. Ceux-ci ressemblent à des enfants qui, s’étant soustraits à l’autorité de leur père, se sentent soulagés et libres de faire tout ce qui leur plaît : ces enfants donc commencent à se disputer et à se déchirer entre eux de manière interminable, personne n’ayant à leur yeux une autorité légitime pour arbitrer les différents, et pour ramener chaque membre de la famille à la considération du bien commun et de l’unité. Ils devraient plutôt comprendre que se soumettre à un père n’est pas une torture ou un empiétement sur nos droits fondamentaux, même si cela demande un peu d’humilité et d’abnégation : il s’agit d’une nécessité harmonieusement ordonnée au bien du tout et des parties. Dieu a voulu que l’Eglise ait un père en la personne de saint Pierre et de ses successeurs : l’humble soumission au pontife romain a toujours été un principe de paix, d’ordre, d’unité et de sainteté pour des générations de chrétiens fidèles, à commencer par la génération des Pères de l’Eglise, et il est vraiment pénible de voir de plus en plus de «catholiques», ignorants de leur propre histoire, faire leurs les reproches amers et injustifiés des schismatiques contre Rome.

La «collégialité» des conciliaires n’est qu’une version un peu améliorée de cette fausse ecclésiologie : elle inclut la primauté réelle (et pas simplement honorifique) de juridiction de l’évêque de Rome, successeur de saint Pierre, mais la réduit beaucoup et augmente en contrepartie le pouvoir et l’autonomie de chaque évêque diocésain. L’Eglise des collégialistes est une sorte de monarchie parlementaire, ou moins que cela, car le pape n’est que «le premier du Collège des évêques», Collège qui devient, dans cette nouvelle doctrine, sujet de pouvoir plénier et universel sur l’Eglise. Chaque évêque recevrait directement son autorité de Dieu, par le biais du sacre épiscopal : cela rapproche beaucoup les conciliaires des schismatiques et de leur doctrine de l’autocéphalie. La véritable eccésiologie catholique n’enseigne pas du tout cela : l’Eglise est une monarchie absolue, fondée sur saint Pierre par Jésus-Christ comme nous le voyons dans l’évangile, dans laquelle toute juridiction relève du pape en dernière instance. La doctrine de l’Eglise est que la juridiction de l’évêque résident vient directement du Pape, par le «mandat romain», et non pas du sacre épiscopal (qui confère la plénitude du sacerdoce, mais pas de juridiction particulière). Et au delà de la question de l’origine de la juridiction épiscopale, il n’y a aucun domaine dans lequel un évêque pourrait résister à la juridiction suprême du Pape (contrairement à ce qu’affirmaient les gallicans de la Petite-Église, qui eux défendaient cette fausse théorie d’une juridiction autonome venant du sacre épiscopal : c’est en soi un principe infini de schisme, si chaque évêque pouvait décider que le pape empiétait sur ses droits propres et refuser de lui obéir).

Contempler les divisions interminables du monde « orthodoxe » est un moyen efficace de considérer, par comparaison, à quel point la constitution divine de l’Eglise, qui fait de cette société une monarchie absolue, est pleine de sagesse et est vraiment propre à procurer le bien des fidèles et l’unité du monde chrétien. Ceux qui prétendent que l’Eglise catholique doit s’inspirer des «orthodoxes» et de leur «synodalité» pour réaliser l’idéal de l’unité du monde chrétien s’aveuglent complètement : seule la soumission commune au successeur de saint Pierre pourrait être un véritable principe d’unité, et l’Eglise avant Vatican II n’a jamais entendu l’«œcuménisme» autrement que comme le retour dans la communion romaine des chrétiens séparés. Puissions-nous le comprendre et le vivre : prions chaque jour pour le retour des égarés dans la véritable Église, et pour que cette Eglise retrouve un chef visible qui soit capable de ramener les brebis à l’unité.

Jean-Tristan B.


[1]https://www.la-croix.com/Religion/Orthodoxie/Entre-Moscou-Constantinople-monde-orthodoxe-divise-2018-10-19-1200977224

[2]https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=https%3A%2F%2Fmospat.ru%2Ffr%2F2019%2F03%2F09%2Fnews171254%2F#federation=archive.wikiwix.com

[3]https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/mediateur-ou-spectateur-l-eglise-orthodoxe-roumaine-face-au-conflit-politico-religieux-en-ukrain

[4]https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/l-eglise-orthodoxe-bulgare-face-l-autocephalie-de-l-eglise-orthodoxe-d-ukraine

[5]https://www.la-croix.com/Religion/Orthodoxie/nouvelle-Eglise-dUkraine-fait-peur-orthodoxes-polonais-2019-01-08-1200993950

[6]https://www.terresainte.net/2019/04/unite-des-primats-dalexandrie-antioche-jerusalem-chypre/

[7]https://journals.openedition.org/balkanologie/595

[8]https://en.wikipedia.org/wiki/Rastislav_(Gont)

[9]https://fsspx.news/fr/news-events/news/un-schisme-intra-orthodoxe-69832

[10]https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Actualite/Monde/Le-Patriarcat-orthodoxe-d-Antioche-rompt-la-communion-avec-le-Patriarcat-de-Jerusalem-2015-07-09-1332919

Les miracles de Jésus-Christ

Nous avons vu que les Évangiles jouissaient d’une parfaite intégrité (le texte n’a pas été altéré dans son fond depuis sa rédaction), d’une totale authenticité (les auteurs sont bien les premiers disciples de Jésus qui ont écrit sur lui au 1er siècle, peu de temps après sa mort) et d’une indiscutable véracité (Les récits évangéliques sont vrais et les auteurs dignes de confiance). Avec constance, Jésus s’est affirmé envoyé de Dieu, Messie, Fils de Dieu, Dieu lui-même. Dans la section consacrée à l’étude de la personne même de Jésus, nous avons vu à quel point sa physionomie, sa doctrine et sa conduite étaient ravissantes, en bonté, en vérité et en beauté. Ces seuls critères permettent à tout un chacun de conclure à la divinité de Jésus-Christ et de sa religion, par conséquent à la nécessité de se faire son fidèle disciple. 

En effet, Jésus possède une science merveilleuse et une intelligence lumineuse. Il n’a pas pu se tromper en des domaines aussi graves que la nature et la volonté Dieu, la destinée des hommes, les obligeant à réformer leur vie et à tout abandonner pour le suivre ; ceci pendant trois ans et sans relâche aucune ! Il aurait prêché une chose qu’il savait fausse ou indémontrable, cela démontrerait un défaut d’intelligence et une grande perversité morale. Il eût commis des crimes contre Dieu en usurpant ses droits, contre les hommes en les trompant, contre lui-même en s’exposant à la damnation. Au contraire, ses amis comme ses ennemis admettent la merveille, l’unité et l’harmonie de sa doctrine, des dogmes et des préceptes qu’il a enseignés avec prudence et régularité. Jésus a fait preuve d’une sainteté héroïque envers Dieu, en l’honorant avec amour, envers le prochain en l’irradiant de sa bonté, de sa charité et de ses conseils avec douceur et fermeté, envers lui-même en pratiquant l’humilité, l’obéissance et la mortification. Sa science éminente est incompatible avec l’erreur, le doute et le balbutiement hasardeux du discours. Il savait donc tout ce qu’il disait et en mesurait pleinement la portée. Son éminente sainteté est incompatible avec l’hypocrisie, le mensonge et l’ambition personnelle. Il disait donc toujours la vérité avec une franche sincérité. Admettre sa science et sa sainteté et nier sa divinité, c’est se confiner à défendre une absurdité. Il se dit Fils de Dieu, c’est qu’il l’est. D’autre part, pourquoi avoir persévéré avec une telle constance et une telle humilité dans une doctrine qu’il savait fausse alors même que cette doctrine était pour lui-même un sujet de persécution et de condamnation ? Enfin, nous avons vu que le miracle ne pouvait avoir que Dieu pour cause. De plus, nous savons que Dieu est la Vérité même. Or, cette science et cette sainteté miraculeuses et uniques dans toute l’histoire de l’humanité auraient-elles été soutenues par Dieu si le message de Jésus était faux ? Non, évidemment.

Mais nous pouvons ajouter des preuves externes et plus impressionnantes pour les sens. Jésus lui-même les a utilisés afin de montrer de manière irrécusable sa divinité. Ce sont les miracles d’ordre physique. Si Jésus a véritablement opéré de tels miracles, alors Dieu était avec lui, c’est une conclusion que nous sommes contraints de tirer, comme nous l’avons déjà montré précédemment. Or, si Dieu était avec Jésus, ce que Jésus a dit est vrai et nous devons embrasser sa religion. Voyons ceci plus en détails. 

Les miracles d’ordre physique opérés par Jésus

I. Les faits miraculeux attribués à Jésus.

Nous verrons d’abord ceux que Jésus a accomplis sur les corps, c’est-à-dire les miracles d’ordre physique ; il suffit de lire l’Évangile pour voir qu’ils furent très nombreux, et encore, saint Jean nous avertit qu’ils sont loin d’être tous racontés dans ce livre (Saint Jean, XXI, 25). Ils furent aussi mêlés à tous les évènements de la vie du Maître, donnés comme preuve de ses enseignements, et entrent, comme des parties indispensables, dans la trame du récit.

A. Jésus opéra des miracles sur les éléments de la nature : 

  • Changement de l’eau en vin aux noces de Cana (Saint Jean, II, 1, 11) ; 
  • Tempête apaisée (Saint Matthieu, VIII, 24, 26) ; 
  • Marche sur les flots (Saint Matthieu, XIV, 25) ; 
  • Deux pêches miraculeuses (Saint Luc, V, 1, 11 ; Saint Jean, XXI, 3, 11)
  • Les deux multiplications des pains, le figuier desséché, etc.

B. Il en opéra un bien plus grand nombre sur le corps humain :

  1. Soit pour opérer des guérisons de malades, de lépreux, de paralytiques, de sourds-muets, d’aveugles, d’hydropiques ;
  1. Soit pour en chasser les démons, esprits mauvais qui les possédaient et les torturaient (par exemple : Saint Luc, VIII, 33, 37 ; Saint Marc, V, 1, 2, 20 ; IX, 14, 29) ;
  1. Soit, enfin, pour opérer des résurrections, exerçant ainsi sa puissance sur la mort elle-même. L’Évangile rapporte trois résurrections :
  • Celle du fils de la veuve de Naïm (Saint Luc, VII, 11, 17) ;
  • Celle de la fille de Jaïre, chef de la Synagogue (Saint Matthieu, IX, 18, 26 ; Saint Marc, V, 21, 43 ; Saint Luc, VIII, 40, 56) ;
  • Celle de Lazare à Béthanie (Saint Jean, XI, 1, 44).

N.B. – On pouvait ajouter les miracles opérés par Dieu à l’occasion de Jésus : à sa naissance (apparition des anges et de l’étoile) ; à son baptême (voix du Père et manifestation du Saint-Esprit par une colombe) ; à sa Transfiguration (le fait même et l’apparition de Moïse et d’Élie) ; à sa mort –ténèbres, voile du Temple déchiré, résurrection des morts) ; à sa résurrection et à son ascension (apparition d’anges).

II. Ce qu’il faut penser de ces faits.

Après ce qui a été dit dans la section sur les miracles en général, il nous suffira de montrer ici la vérité historique, théologique et apologétique des faits miraculeux rapportés dans l’Évangile et attribués à Jésus. Pour cela, nous n’aurons qu’à appliquer les principes donnés à ce propos. 

1. Vérité historique

Ces faits sont certains historiquement. Ce sont des faits réels qui nous ont été rapportés tels qu’ils ont eu lieu. 

A. Les faits ont été dûment constatés. En effet, ce sont des faits :

a) sensibles, extraordinaires, donc faciles à constater ; (Les faits, si ils sont extraordinaires, s’entourent cependant toujours de circonstances bien précises et d’une entière simplicité. En effet, les faux miracles, les supercheries, les mythes païens ou certains récits apocryphes (les récits évangéliques qui ne sont pas approuvés par l’Eglise et donc ne sont pas inspirés par Dieu, n’ont pas leur place dans la Sainte Écriture) sont toujours entourés de circonstances (temps, lieu, coutumes, culture, etc.) très vagues et souvent incohérentes. De plus, ils relèvent souvent bien plus du sensationnel qui flatte la curiosité et joue sur l’imagination que d’une profonde simplicité au service d’une cause noble et juste. Les récits évangéliques sont empreints de cette précision (ils correspondent aux travaux archéologiques, à la culture et aux coutumes de l’époque, aux temps et aux lieux historiques, etc.) et de cette simplicité : rien n’est superficiel, rien n’est ajouté pour flatter la vanité, rien n’est sur-joué et farfelu, tous les détails racontés ont toute leur place et aucun détail inutile ne trouve la sienne. Jésus, par humilité, demande même parfois que ces miracles ne soient pas connus. Rien de commun avec un imposteur. Enfin, les faits sensibles et extraordinaires qui sont en dehors du cours ordinaire des choses sont vérifiables et expérimentés encore aujourd’hui. L’image unique du saint-suaire est miraculeuse. Les miracles de Lourdes ne peuvent être remis en cause, pas plus que les miracles qui eurent lieu lors de l’apparition de Fatima en 1917 au Portugal. Ce sont les plus connus, mais de très nombreux faits miraculeux dûment constatés parsèment l’histoire. Ces faits incontestables ont eu lieu. Or, même sans émettre d’hypothèse sur leur origine et leur but, leur réalité historique suffit pour ne jamais nier a priori et sans examen un miracle. Donc, l’historicité des miracles opérés par Jésus ne peut être mise à mal par une simple négation de principe qui sent plus la mauvaise foi et la négligence que l’amour de la vérité et l’humilité.)

b) d’importance et de conséquences graves, donnés comme preuves à une doctrine élevée, difficile et austère : donc on y aura fait grande attention avant de les accepter (on ne pouvait se contenter de dire : « ah oui impressionnant ce miracle, bravo vraiment je vous félicite », puis continuer son chemin comme si de rien n’était ! Si ce miracle était réel, il impliquait que la doctrine de Jésus venait de Dieu et était vraie et par conséquent qu’il fallait changer entièrement de vie. Dans une semblable situation et avec des circonstances si graves, il était impossible de laisser place au doute, l’examen du miracle devait être soumis à un examen rigoureux et à une réflexion sérieuse.)

c) opérés publiquement, en présence d’adversaires (par exemple : la guérison de l’aveugle-né, du paralytique, la multiplication des pains, la résurrection de Lazare). (Or, aucune protestation contre la réalité de ces faits n’a eu lieu à l’époque. Nous ne retrouvons nulle trace, nul document qui attesterait d’une quelconque remise en cause de la réalité de ces faits ! Même les adversaires de Jésus-Christ, l’historien juif Flavius Josèphe par exemple, n’ose pas nier la réalité historique de ces miracles, ils se contentent naïvement de les attribuer au démon. Cette attribution est évidemment vaine, eu égard aux principes que nous avons énoncés dans la section générale sur les miracles. La foule était à chaque fois nombreuse, composée de divers peuples qui ont par la suite diffusé ces miracles dans leurs contrées et sont parfois morts pour en défendre l’authenticité. Enfin, êtes-vous capables de citer un seul et unique exemple de faits miraculeux opérés en public et ayant conquis une foule si nombreuse qu’elle a formé une immense société religieuse aux quatre coins du monde, société dont la croissance s’est faite avec une doctrine de paix, de renoncement et d’amour, hormis celui de Jésus-Christ et de ses disciples en religion ? Si une personne quelconque essayait de faire des miracles ou de tromper les gens en leur faisant croire à ses miracles, serait-elle suivit ? Pourrait-elle être à l’origine d’une religion organisée, cohérente, florissante et féconde en sainteté ? D’une religion qui prêche le renoncement et les efforts ici-bas pour une récompense au ciel ? Qui impose l’amour des ennemis, tendance qui paraît si contraire à la manière dont le genre humain a toujours agi ? Pourrait-elle s’être attaché une foule immense de fidèles disciples prêts à mourir pour lui et pour sa doctrine, avec constance à travers le temps et l’espace ? Ce faussaire pourrait-il avoir des apôtres et des martyrs, tous exemplaires en droiture et en honnêteté, tous désintéressés, raisonnables et équilibrés, plein d’humilité et d’amour de la vérité, qui donneraient leur vie pour lui ? En tout cas, nous n’en avons aucun exemple historique. Le seul est celui de Jésus-Christ. Les faussaires sont souvent des déséquilibrés qui créent des sectes et exploitent les pauvres gens crédules ou en détresse. Ils ne produisent aucun fruit et ne jouissent d’aucune crédibilité sérieuse. Mahomet n’a fait aucun miracle constatable et a répandu sa doctrine charnelle et facile à suivre par les armes. Jésus-Christ, galiléen, sans naissance et sans richesse, né dans une humble famille de Nazareth, petit hameau sans ressources dont les habitants étaient méprisés par les judéens et les élites juives, porteur d’une doctrine de renoncement, de paix et d’amour qui visait plutôt le ciel que la terre, est aujourd’hui l’homme le plus connu de l’humanité, celui dont l’on chante le plus haut les louanges, celui pour qui l’on érige temples les plus glorieux et au nom de qui l’on fait les actions les plus saintes. Il y aurait disproportion patente entre cet effet si gigantesque en magnificence et en fruits de bonté et cette cause si humble et si petite qu’est l’enfant de la grotte de Bethléem. Seule l’assistance de Dieu et la réalité publique des miracles peuvent expliquer cela. Donc Jésus-Christ a bien opéré des miracles en public, miracles dûment constatés et dûment diffusés. Ô bonté de Dieu !)

B. Les faits ont été véridiquement transmis. Ils sont contenus dans les évangiles, dont la véracité a été démontrée. La fidélité dans la transmission du récit est garantie, d’ailleurs :

a) par l’importance des faits et la place de premier plan qu’ils occupent dans l’ouvrage ;

b) par les preuves de sincérité des narrateurs (simplicité, précision du récit, héroïsme calme jusque dans le martyre) ;

c) par le soin et la surveillance dont amis et adversaires ont entouré ce livre.

2. Vérité théologique.

Ces faits sont vraiment des miracles. Les faits innombrables, allégués comme tels en l’Évangile, sont de vrais miracles, ayant Dieu seul comme cause principale et propre et opérés par Lui en dehors du cours ordinaire des choses.

A. Arguments positifs (constatation directe d’une action divine extraordinaire) :
  1. Les faits énoncés comme miraculeux dans l’Évangile s’opposent aux lois de la nature, clairement connues sur ces points : par exemple, la résurrection d’un cadavre, la guérison subite d’un aveugle-né sans moyen approprié ;
  2. Il n’y a dans les récits de l’Évangile que des circonstances en lesquelles jamais le fait ne se produit selon le cours ordinaire des choses ; la cause (par exemple : une parole, un geste) est sans aucune proportion naturelle avec l’effet ;
  3. Le sujet aussi est impuissant à recevoir l’effet. La disproportion existe soit pour recevoir l’effet lui-même (par exemple : le cadavre, pour recevoir la vie) ; soit pour recevoir cet effet instantanément (par exemple : changement instantané de l’eau en vin). Pour les résurrections, d’autres arguments encore seront donnés à propos de la résurrection de Jésus lui-même.
B. Arguments négatifs (par exclusion des causes inférieures à Dieu).
  1. Les miracles de Jésus ne sont pas explicables par les forces naturelles cachées et encore inconnues. Les causes naturelles agissent toujours suivant un déterminisme rigoureux (les mêmes causes, dans des circonstances identiques, produisent les mêmes effets). Or, dans les narrations évangéliques :
  • Parfois des causes et des circonstances naturellement différentes amènent le même effet (des aveugles, par exemple, sont guéris tantôt par une simple parole, tantôt par un attouchement) ;
  • Ailleurs, le même moyen (une simple parole) produit des choses aussi différentes que sont une résurrection et l’arrêt subit d’une tempête ;
  • Ailleurs encore, aucun moyen n’est employé (par exemple, dans le miracle de Cana), et l’effet se produit.
  1. Il faut de même exclure toute explication par des phénomènes hypnotiques. Tout le démontre impossible :

1° soit les œuvres elles-mêmes, qui souvent sont totalement disproportionnées, par exemple les résurrections et les miracles sur les choses ;

2° soit le mode opératoire : ici, il est souvent nul ou très varié, alors que la technique hypnotique est minutieuse et précise ;

3° soit les sujets, qui sont très divers, et non pas spécialement choisis comme nerveux : les miraculés de Jésus ne sont pas des « médiums » ;

4° soit le caractère instantané des guérisons, qui n’existe jamais dans les cas d’hypnotisme, de l’aveu même des spécialistes de la psychothérapie.

  1. Exclusion du démon :

1° Il faut d’abord remarquer que, dans beaucoup de miracles de Jésus, le démon se combattait lui-même (expulsions des démons) ;

2° Jésus fait des œuvres que le démon est radicalement incapable de faire (résurrections) ; ou que Dieu ne laisserait pas faire au démon parce qu’elles troubleraient les lois de la nature (par exemple : la marche sur les eaux.)

3° D’ailleurs, aucune empreinte de mal n’apparaît, ni en Jésus lui-même, ni en ses miracles, comme il le faudrait s’ils étaient diaboliques. Au contraire, Notre-Seigneur est très saint et sa doctrine est irréprochable. Tout s’oppose donc à ce qu’il soit l’instrument du démon.

Il est donc nécessaire d’admettre que les faits attribués à Jésus et opérés par Lui sont des faits en dehors du cours ordinaire des choses et exigent une intervention spéciale de Dieu lui-même.

3. Vérité apologétique.

Ces miracles sont faits pour prouver la divinité de Jésus et de sa doctrine. Ces évènements, réels et vrais miracles sont faits dans un but déterminé : prouver la divinité de la révélation chrétienne et de Jésus lui-même. Ils sont mis en relation de preuve à thèse avec cette révélation.

A. Relation explicite.
  1. Pour tous les miracles de Jésus en général :

1° Jésus met une relation générale de preuve à thèse entre sa doctrine et sa personnalité divine, d’une part, et tous ses miracles, ses œuvres, d’autre part : « Croyez à mes œuvres », dit-il sans cesse. « Les œuvres propres à mon Père et que je fais témoignent pour moi. » « Allez, rapportez ce que vous voyez et entendez : les aveugles recouvrent la vue ; les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés ; les sourds entendent ; les morts ressuscitent. » (Saint Matthieu, XI, 5 ; Saint Jean, V, 36 ; X, 25 ; X, 37, 38 ; XIV, 12 ; XV, 22, 24, etc.)

2° A son appel, ou, mieux, à son commandement (fait en son nom propre, d’ailleurs), le miracle se produit aussitôt.

3° Aucune intention spéciale de Dieu, différente de celle indiquée par Jésus ou s’y opposant, n’est manifestée et n’apparaît pour les miracles du Christ. Dès lors, les trois conditions nécessaires pour la valeur apologétique des miracles sont remplies dans ceux de Jésus ; ils prouvent donc la divinité de ses enseignements et, aussi comme Il l’affirme, la divinité de sa personne.

  1. Spécialement cette mise en relation est extrêmement lumineuse :

1° Dans la guérison de l’aveugle-né : « Crois-tu au Fils de Dieu ? » (Saint Jean, X, 36.)

2° Dans la guérison du paralytique : « Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme peut remettre les péchés. » (Saint Marc, II, 10, 11.)

3° A la résurrection de Lazare (Saint Jean, XI), où des affirmations très nettes sont répétées plusieurs fois (Lire le chapitre entier de saint Jean. Par exemple : 

« Jésus leur dit : Cette maladie (celle de Lazare) ne va pas à la mort ; mais elle est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle. » (Saint Jean, XI, 4.) 

« Marthe, la sœur du mort, lui dit : Seigneur, il sent déjà mauvais ; car il y a quatre jours qu’il est là. Jésus lui dit : Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? Ils enlevèrent donc la pierre. Et Jésus, levant les yeux en haut, dit : Père, je vous rends grâces de ce que vous m’avez écouté. Pour moi, je savais que vous m’écoutez toujours ; mais je parle ainsi à cause du peuple qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est vous qui m’avez envoyé. Ayant dit cela, il cria d’une voix forte : Lazare, viens dehors. Et aussitôt le mort sortit, ayant les pieds et les mains liés de bandes, et le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : Déliez-le, et laissez-le aller. Beaucoup donc d’entre les Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et de Marthe, et qui avaient vu ce qu’avait fait Jésus, crurent en lui. » (Saint Jean, XI, 39-45.)

D’ailleurs, tous les disciples l’ont bien compris ainsi et croient en Lui dès son premier miracle (Saint Jean, II, 11). Nicodème le lui dit clairement : « Maître, nous savons que vous êtes venu de Dieu pour nous enseigner, car nul ne peut faire les miracles que vous faites, si Dieu n’est pas avec lui. » (Saint Jean, III, 2). Les foules étaient dans l’admiration et disaient : « N’est-ce point là le Fils de David ? »

B. Relation implicite. La mise en rapport explicite faite par Jésus est encore confirmée de plusieurs façons :
  1. Dieu, en accordant un tel pouvoir au thaumaturge qui se dit constamment son fils unique, sanctionne cette affirmation. Si elle était fausse, Dieu soutiendrait le mensonge, ce qui est impossible.
  1. Jésus, d’ailleurs, accorde à Ses disciples le pouvoir de faire des miracles pour donner la foi en Lui (Saint Matthieu, XVI, 17 ; Saint Jean, XIV, 12). Donc les siens ont le même but.
  1. Ses miracles étaient prophétisés et réalisent ces prophéties. Il le rappelle (Saint Matthieu, XI, 5).
  1. Comme on l’a vu, Dieu fait des miracles à l’occasion de la naissance et de la mort de Jésus ou en d’autres circonstances se rapportant à Lui. Donc, Dieu s’est engagé en sa faveur. Il faut donc conclure que les miracles physiques de Jésus prouvent sa divinité. Ils en sont la « signature divine », indubitable et éclatante.

L’existence de l’âme

Sommaire
· L’enseignement du sens commun
· Le principe vital, la gradation des êtres et des vies
· Un principe évident et incontestable
· L’intelligence et la connaissance spéciale des choses
· La volonté libre
· La spiritualité de l’âme
· L’immortalité de l’âme
· Conclusion


L’âme, son existence et sa nature

Poser la question de l’âme, de son existence et de sa nature, c’est se demander ce qu’est l’homme et ce qui fait sa spécificité. La réponse doit être solidement fondée car elle commandera en grande partie son comportement. Si l’homme est une bête comme les autres, il ne saurait avoir d’autres soucis que sa propre conservation matérielle et son bon plaisir. S’il a une âme spirituelle faisant de lui un être personnel et responsable, il vivra en réfléchissant et se posera la haute question de sa raison d’être et du sens de sa vie. Si cette âme est immortelle et survit à la vie physique, il devra, à moins d’être inconscient, préparer cette entrée dans l’éternité.

Nous montrerons que l’homme a bel et bien une place particulière dans le monde, qu’il a une âme spirituelle et immortelle qui le distingue des autres êtres et qu’il doit impérativement en tenir compte.

L’enseignement du sens commun

Pour la philosophie traditionnelle, la connaissance naturelle et spontanée du monde, fournie par l’expérience sensible éclairée par les premiers principes du réel (identité, causalité etc…), s’appelle le sens commun. On l’appelle familièrement bon sens.
Ce bon sens nous dit que l’homme est essentiellement différent des animaux. 

  • Il a des idées abstraites, il pose des actes libres
  • Il a conscience d’exister et perçoit en lui un principe irréductible à son corps
  • L’homme est un être culturel qui progresse et développe une civilisation

Il est donc doté d’un corps et d’un esprit, ou « âme spirituelle », qui font de lui une personne ; c’est un animal rationnel. Du reste, la majorité des peuples ont cru et croient à l’existence et à l’immortalité de l’âme, c’est pour cela qu’ils entourent la mort de cérémonies solennelles. Ce témoignage du sens commun rend au moins légitime la question posée et refuse les négations a priori. Nous nous demanderons :

  • Si l’homme possède un principe vital qui le distingue essentiellement des autres
  • Si ce principe vital est spirituel et immortel

Le principe vital, la gradation des êtres et des vies

Pour savoir avec certitude si une chose existe, il faut faire des observations pour espérer soit la voir directement, soit découvrir les traces de son existence. Il faut ensuite utiliser des principes évidents et incontestables de la raison et du réel pour tirer des conclusions conformes à la réalité, c’est-à-dire des conclusions vraies (voir la notion de vérité). Qu’est-ce que nous observons ?

  • Nous observons que nous existons et que d’autres êtres existent. Nous distinguons ces êtres par leurs qualités extérieures et immédiatement sensibles (forme, odeur, couleur, bruit, texture…). Ces qualités particulières et concrètes font de ces êtres des individus particuliers et concrets.
  • Nous observons des types et des familles d’êtres. Certains sont inanimés (de in, « sans, privé de » anima, « âme, ce qui fait qu’on vit »), tels sont les minéraux, les gaz, les liquides. Nous disons que ce sont des choses. D’autres sont animés (possession d’une âme) par un principe vital qui les fait vivre, ils se nourrissent, assimilent la nourriture, se développent, se reproduisent et meurent ; tels sont les plantes, les animaux et les hommes. Ce sont des êtres vivants. C’est la classification et la gradation des êtres, fruit d’observations élémentaires confirmées par la connaissance scientifique.
  • Nous observons aussi des différences parmi ces êtres vivants. Certains ne font que vivre (nutrition, croissance, reproduction, mort), ce sont des végétaux. D’autres possèdent, en plus des fonctions vitales essentielles, des sens qui leur permettent d’avoir une connaissance sensible, connaissance qui se borne aux qualités extérieures qui frappent les sens : forme, couleur, son etc…, ce sont des animaux. 
  • Nous observons que cette connaissance sensible est beaucoup plus développée chez les animaux que chez les hommes. Songez par exemple à l’ouïe et au flair d’un chien ou encore à la vue perçante de certains rapaces qui peuvent percevoir à plusieurs dizaines de mètres et en plein vol des petits mulots dans les herbes sèches. De plus, les animaux, sans avoir rien appris, savent faire en naissant tout ce qu’ils auront à faire durant leur vie, ils sont instinctivement et biologiquement conditionnés pour cela. Un petit chiot élevé seul par des hommes développera rapidement les tendances et les facultés propres aux chiens. Le petit d’homme ne sait quant à lui presque rien faire en naissant, pas même se diriger vers le sein maternel, il doit être protégé et éduqué plus que tout autre. Un homme qui grandirait sans éducation serait très vite abruti et irrattrapable. Malgré ces handicaps, les hommes mangent, chassent, élèvent et dominent les animaux les plus rapides et les plus forts, ils leur sont supérieurs. Si ce n’est pas grâce à leurs capacités sensorielles et instinctives, à quoi est-ce dû ?

Nous allons voir que ce qui explique la supériorité de l’homme sur les autres animaux, c’est :

  • Son intelligence, qui lui procure une connaissance spéciale des choses
  • Sa volonté, qui lui permet de se déterminer librement

L’homme est un être vivant car il se nourrit et se reproduit. Il est aussi un animal, car il a une connaissance sensible. Mais n’est-il que cela ? Actuellement, vous voyez l’aspect extérieur du texte et des lettres qui sont sous vos yeux, vous pouvez toucher et sentir les touches de votre clavier, et entendre le son produit par votre ordinateur. Vous pouvez même, grâce à vos sens internes, associer chacune de ces données sensibles à un même objet, l’ordinateur. Mais vous bornez-vous à cela, comme le ferai le chien qui est sur vos genoux ? Evidemment non ! Vous mettez, derrière chaque mot, un concept abstrait qui exprime une réalité, vous concevez la nature et la raison d’être de l’ordinateur indépendamment des qualités concrètes et particulières du vôtre, vous avez l’idée d’ordinateur. C’est une connaissance intellectuelle, elle est immatérielle.

Les fonctions et les opérations de chaque être montrent que le principe vital qui les anime est différent et proportionné à ces opérations. Pour faire une chose, il faut être capable de la faire, en avoir la force et le pouvoir ; pour se déplacer par soi-même, il faut avoir la force motrice ou faculté motrice; pour voir, il faut avoir la vue. La faculté possède toujours une relation proportionnée à son objet : L’objet de la vue est la couleur et les yeux captent la lumière renvoyée par les choses vues ; cette lumière est faite d’ondes qui appartiennent aux phénomènes physiques car elles sont mesurables. L’objet de la vue (couleur par la lumière) étant matérielle et sensible, la vue est une faculté purement matérielle et sensible. Si les animaux ont une connaissance sensible que les végétaux n’ont pas, c’est qu’ils possèdent une faculté et un principe que les végétaux n’ont pas, on l’appelle âme sensitive. De même, l’homme, pour expliquer ses opérations intellectuelles, doit posséder un principe proportionné et de même nature, on l’appelle âme spirituelle. C’est la gradation des vies :

  • Vie végétative ou êtres animés d’une âme végétative
  • Vie sensitive ou êtres animés d’une âme sensitive
  • Vie spirituelle ou êtres animés d’une âme spirituelle

Un principe évident et incontestable

Voici un principe incontestable sans lequel la démonstration serait incompréhensible. Il est évident par lui-même, nous l’utilisons et l’expérimentons tous quotidiennement, sans même en avoir conscience.

  • Agere sequitur esse, « l’agir suit l’être ».

Il signifie que tout être agit et opère en fonction de ce qu’il est, de sa nature. Ainsi la nature d’un être est connue par la nature des opérations qui lui sont propres et la nature des opérations est révélée par les caractères de leur objet. Il montre aussi que tout effet (l’acte, l’agir, l’opération) a nécessairement une cause proportionnée ; si un effet a une perfection que la cause ne peut lui fournir, cette perfection supplémentaire n’a ni cause ni raison d’être et par conséquent ne peut exister. Il est donc lié au principe de causalité qui nous dit que du néant, sans cause, rien ne provient. Ainsi pour savoir si un objet est dur ou mou, nous utilisons notre toucher, nous ne tendons pas l’oreille ; pour chauffer, nous prenons du feu, pas de la glace ; pour chasser des animaux véloces, nous dressons un chien, pas un canard ou un perroquet ; pour résoudre un problème mathématique, nous demandons de l’aide à un homme, pas à notre chat. De même, un médecin légiste pourra, à partir d’un impact de balle dans un mur, en déduire la nature de la force, de la balle, et de l’arme car la nature de l’impact est une conséquence de la nature de la force, de la balle et de l’arme. L’impact est proportionné à la balle et à la force. Un pistolet à eau ne peux par exemple rien contre un mur en béton. ceci ne témoigne que d’une chose : l’agir suit l’être et toute effet a une cause proportionnée. Les opérations réalisées sont des effets de la nature des êtres et des facultés, cette nature est toujours proportionnée à l’opération. Si ce rappel paraît ridicule, c’est tout simplement parce que ce principe est premier et évident et qu’il est impossible de s’en passer dans nos actions les plus extraordinaires comme dans nos agissements les plus courants. Cette impression de ridicule témoigne aussi du ridicule dont font preuve les négateurs de ce principe. Souvent, ils le nient par indifférence, obstination ou peur d’en tirer des conclusions qui leur déplaisent. De fait, les conclusions qui s’imposent pourraient remettre en cause de façon vertigineuse tout le sens de leur vie.

Si nous montrons que l’homme a des activités proprement spirituelles et irréductibles à la matière, nous montrons que la faculté qui produit ces opérations est elle-même spirituelle et qu’elle trouve sa source dans un principe irréductible à la matière. Nous appelons ce principe âme spirituelle. C’est ce qu’il reste à montrer.

L’intelligence et la connaissance spéciale des choses

Continuons nos observations et voyons si l’homme possède, comme nous l’avons affirmé, une connaissance essentiellement différente et supérieure à celle des animaux. 

Les animaux, surtout les vertébrés et les mammifères supérieurs, sont dotés de sens plutôt perfectionnés qui leur donnent des informations sur le monde extérieur. Ces informations sont centralisées et exploitées par leur cerveau. En revanche, ces sens captent uniquement des informations sur les qualités matérielles des choses, leurs caractères physiques. Ces qualités connues par les sens sont extérieures, concrètes et particulières, elles ne permettent que de connaître des individus particuliers. Les animaux les plus développés peuvent aussi se former une image de choses vues, c’est l’imagination ; ils peuvent se souvenir des choses vues, c’est la mémoire ; ils peuvent même associer des images entre elles et réaliser des opérations complexes. Cependant, ces images ne dépassent jamais les caractéristiques matérielles et l’aspect sensible et singulier des choses, les animaux n’accèdent jamais à l’immatériel et à l’universel.

L’homme, lui, possède aussi des sens et toute sa connaissance prend nécessairement racine dans le sensible. Mais, par son intelligence, il peut dépasser cet aspect sensible pour sonder la nature (l’essence) des choses. Parmi toutes les qualités particulières et concrètes captées par les sens, l’intelligence discerne une note générale, une nature commune à une catégorie d’êtres qu’elle exprime par une idée abstraite qui transcende l’espace, le temps et les apparences. Ainsi, nous connaissons des hommes petits, grands, barbus, chétifs, corpulents, blancs, noirs, bruns, roux, ou encore amputés d’un membre. Parmi ces caractères individuels qui frappent les sens, l’intelligence (de inter/intus « parmi, dans », legere « lire ») lit et abstrait l’idée générale d’homme, animal rationnel, commune à tous. Ce concept d’homme est immatériel et universel car il est détaché des spécificités matérielles de chaque homme (taille, couleur, corpulence) et s’applique à tous les hommes. Cette idée contient la raison d’être de l’homme, sa nature profonde, décantée et épurée des caractères sensibles et généraux de l’homme ou image commune de l’homme (sa forme générale, ses membres, sa taille moyenne, sa consistance…) que certains animaux peuvent percevoir. L’idée, contrairement à l’image, ne fait plus aucune référence au sensible. On peut imaginer l’une : en fermant les yeux, on se représente très bien l’image commune de l’homme ; on doit penser l’autre : impossible de se représenter de manière imagée « l’animal » en général, sans imaginer côte à côte tous les animaux que nous connaissons. Impossible aussi de se former une image sensible de « la rationalité ». On peut en revanche les penser et les définir. L’intelligence peut ainsi définir par le jugement et utiliser par le raisonnement des notions purement abstraites et universelles, détachées de toutes caractéristiques matérielles et circonstancielles. Par exemple, l’idée d’être, de justice, de devoir, de beauté, de bonté ou encore d’immatérialité, comme nous venons de le démontrer.

L’animal, lui, est incapable d’abstraire et de généraliser des idées car il n’a pas d’intelligence. Pour en être certain, continuons nos observations et essayons de discerner les signes de cette connaissance spéciale (intellectuelle, spirituelle) des choses. Ces signes, la parole, le progrès, la religiosité, entre de nombreux autres, sont des conséquences immédiates de l’intelligence, de sorte que tout être intelligent les manifeste ; ils en sont aussi des signes, de sorte que leur manifestation prouve l’existence d’une intelligence.

— La parole peut être vocale, écrite ou mimée. Dans chacun des cas, elle est un moyen par lequel l’homme exprime ses pensées et communique ses idées. Ce moyen (lettres, agencement des lettres, son associé aux lettres etc…) est purement conventionnel et abstrait, il dépend de la volonté et de l’entente des hommes. De fait, une même idée peut être exprimée différemment selon les pays (alphabets différents, langue différente…). Parmi ces signes nés de décisions et d’articulations abstraites, l’homme saisit le sens profond et abstrait des idées communiquées et les communique à son tour. Le langage manifeste donc bien la présence d’une intelligence. L’animal, lui, ne possède pas de langage construit, rationnel et articulé ; les cris qu’ils poussent expriment des émotions corporelles ou instinctives, pas des idées ; il ne parle pas car il n’a rien à dire !


Le progrès,  surtout dans le domaine technique, est un fait proprement humain. L’homme utilise la roue, disque muni d’un axe de rotation, depuis plusieurs millénaires. Peu à peu, des nouveaux outils ont fait leur apparition, l’horloge au XIIIè siècle, la locomotive à vapeur au XIXè, et ce jusqu’aux très récents téléphones portables. Les abeilles, organisées de façon très complexe (la reine ; les ouvrières réparties en nettoyeuses, soignantes, fabricantes de cire et de gelée royale, collectionneuses et réceptionneuses de pollen ; les mâles), fonctionnent ainsi depuis toujours, elles n’ont jamais changé leur manière de faire car elles en sont incapables, elles obéissent à leur instinct ; entièrement déterminé depuis sa conception, chaque individu reproduit le mode de vie de ses prédécesseurs. Seul l’homme progresse car le progrès nécessite de procéder à des opérations purement intellectuelles et immatérielles. Pour progresser, il faut d’abord idéaliser et conceptualiser le but recherché, c’est-à-dire percevoir, au-delà de notre expérience sensible quotidienne et immédiate, une raison plus haute à atteindre ; par exemple, se déplacer plus rapidement et plus facilement, en vue d’être efficace, fait émerger l’idée générale et abstraite d’outil, objet fabriqué et ordonné en vue d’une opération déterminée. Ensuite, il faut, parmi les matériaux qui nous entourent, discerner les plus aptes à la réalisation du but ; ce discernement s’opère par un raisonnement à propos de la relation commune qu’entretiennent ces matériaux au but recherché. Enfin, il faut concevoir l’activité qui permettra d’orienter les moyens choisis vers leur fin, il faut percevoir la manière dont ces matériaux peuvent être agencés et organisés pour orienter ces moyens en vue d’atteindre la fin recherchée. Toutes ces opérations, conceptualiser la fin et l’idée, discerner l’aptitude et ordonner les moyens, établir une relation au but, toutes ces opérations intellectuelles et spirituelles sont des conditions sine qua non au progrès. C’est pour cela que seul l’homme progresse, car seul l’homme possède une intelligence immatérielle. Nous n’avons jamais trouvé la trace d’un outil pensé et conservé comme tel chez le singe. S’il peut recourir à un bâton occasionnellement pour résoudre un problème par association d’images, il ne tire aucun enseignement général de son expérience et ne peut pas concevoir l’idée d’outil. Chez les hommes, cet enrichissement se transmet par l’éducation et au fil des générations par l’instruction, augmentant le capital collectif de la pensée. C’est pourquoi toute société humaine développe une civilisation. Si quelqu’un vous parle de l’intelligence des babouins ou des macaques, demander lui : où est leur civilisation ? 

La religiosité est si caractéristique de l’homme que certains le définissent comme un animal religieux. Toutes les civilisations montrent des signes de croyances religieuses ; au contraire, aucun animal n’a jamais fourni un seul signe de religiosité. La religion est fondée sur des réalités spirituelles. Dieu est mystérieux et surnaturel, c’est un pur esprit (voir l’existence de Dieu), il dépasse par conséquent toute conception sensible. De plus, la religion implique des rites qui régissent les relations entre l’homme et Dieu, ces rites (prières, sacrifices, génuflexions etc…) expriment toujours des réalités spirituelles très élevées : l’adoration, le remerciement, le repentir, la demande, l’immortalité.

Tous ces signes montrent bien que l’homme possède une connaissance spéciale des choses, qu’il la possède grâce à son intelligence et que cette connaissance est abstraite et immatérielle, c’est-à-dire spirituelle. S’il possède, comme les animaux, des sens qui lui fournissent des informations sensibles, il peut aller au-delà et sonder la nature profonde et la raison d’être des choses. Ce type de connaissance n’est pas d’un degré supérieur à celle des animaux, comme si l’homme avait des facultés sensorielles plus aiguisées et plus performantes, elle est d’une nature radicalement et absolument différente. De fait, elle a des conséquences tout aussi radicalement et essentiellement différentes : le langage articulé, la religiosité, le progrès, la science, l’art, la morale ou la civilisation. Cette connaissance d’un ordre radicalement différent n’exige-t-il pas l’existence d’un principe tout aussi radicalement différent ? Pour avoir une connaissance abstraite et universelle des choses, indépendamment des conditions de la matière, ne faut-il pas posséder une faculté tout aussi indépendante de ces conditions ? Comment nos sens, faits pour connaître les choses immédiates, sensibles et singulières, pourraient-ils s’élever comme par magie à une connaissance immatérielle ? Ce serait comme dire qu’un singe pourrait devenir un génie du rang de Dante ou de Michel-Ange ou qu’une paire de lunettes de soleil permettrait de sonder les reins et les cœurs de chacun; il y aurait manifestement abîme et disproportion entre la cause et l’effet.

La volonté libre

L’homme possède aussi une volonté qui lui permet de se déterminer librement et qui fait de lui une personne responsable, capable de dire : je choisis, je décide, je dois, j’ai mal fait; capable d’assumer la conséquence, le mérite ou le démérite de ses choix.

La matière inerte (minéraux, astres…) n’a pas la capacité de se mouvoir par elle-même et sa mise en mouvement obéit à un stricte déterminisme régi par des lois. Si vous lâchez un caillou à deux mètres du sol, celui-ci, en fonction des conditions extérieures (température, vitesse du vent, poids et forme du caillou etc…), tombera nécessairement en obéissant aux lois de la gravité sans qu’« il » puisse faire autrement. Il n’a pas de volonté libre. Remarquez ici que tous les corps (objets, minéraux, végétaux, animaux, hommes…) sont soumis aux lois physiques. L’homme et le chat, pas plus que le caillou, ne pourront éviter une chute. Même l’oiseau qui vole y est soumis et ce n’est qu’avec des forces physiques qui contrebalancent la gravité (courants d’air chaud, mouvement et constitution des ailes, nature et instinct de l’oiseau) qu’il peut voler. L’homme a su, malgré de médiocres prédispositions, à partir de l’observation du vol d’oiseau, abstraire l’idée de vol et concevoir l’idée lointaine d’objet volant. En se projetant dans l’avenir et en dépassant toutes les possibilités de sa nature sensible et instinctive, par l’exercice de son intelligence et la seule force de sa volonté, par une aspiration et une motion spirituelle, l’homme a réussi à voler avec un outil, l’aéroplane, appareil de navigation aérienne. A-t-on déjà vu des progrès d’une telle complexité chez un animal quelconque ?

Les êtres doués de connaissance tendent et agissent toujours en vue d’un bien connu car on ne peut rien vouloir qu’on ne connaisse au préalable. Ainsi le chien, s’il ne ressent pas la faim ou s’il ne renifle pas une odeur alléchante, c’est-à-dire, s’il n’a aucune connaissance sensible du bien (la nourriture), il ne peut pas s’y porter. De même, si nous imaginons un homme sourd-muet, aveugle, sans sensibilité ni odorat, dépourvu de tout moyen de connaissance, il sera comme paralysé et absolument incapable d’agir en vue d’un bien quelconque. Il sera réduit à l’état de légume.

Si nous agissons toujours en vue d’un bien connu, notre action sera nécessairement proportionnée et conforme à ce bien. A l’aide de simples observations et de ce principe élémentaire, nous verrons que l’homme possède, contrairement aux animaux, une volonté libre.

  • Les animaux, simplement dotés d’une connaissance sensible, ne peuvent que tendre vers des biens sensibles. Cette tendance est leur appétit sensible ou instinct. Celui-ci les incline aveuglément vers les biens matériels qui correspondent à leur nature. Cette inclination est irrésistible, ils ne peuvent pas passer outre et dépasser leurs tendances sensibles. Un chien est par exemple incapable, s’il a faim et est en bonne santé, c’est-à-dire si aucun mouvement corporel plus important n’y contrevient, de ne pas manger sa nourriture pour une raison plus haute. Il pourrait se « laisser mourir » à la mort de son maître (ce qui est rare), mais cette tristesse serait purement sensible. Elle correspondrait à la perte d’un bien sensible et n’aurait pas de comparaison possible avec un jeûne ou une grève de la fin, qui eux sont entrepris pour des motifs spirituels et par une motion spirituelle. Ce n’est pas un simple sentiment qui fait entreprendre ces actions, mais une action volontaire et soutenue dans le temps, dans laquelle la domination de l’esprit sur le corps et les sensations est manifeste. A l’inverse, dans la tristesse mortelle du chien, c’est simplement qu’une sensation plus forte domine sur ses sensations instinctives ordinaires. Vous ne verrez jamais votre chien jeûner et dépasser ses inclinations sensibles et naturelles pour un bien spirituel supérieur. Il ne se lèvera pas un jour, de bonne humeur, ayant pris la ferme résolution de se mettre au régime. L’homme lui, indépendamment des désirs de son corps, peut décider librement de se mettre au régime, puis décider librement d’y mettre un terme, et enfin choisir à nouveau de s’y remettre. Les animaux ne sont donc pas libres, ils ne peuvent pas faire de choix libres et conscients, leur instinct les détermine et les ordonne irrésistiblement aux biens sensibles qui conviennent à leur nature. 
  • Les hommes, dotés d’une connaissance sensible et d’une connaissance intellectuelle, possèdent logiquement deux tendances : un appétit sensible et instinctif qui les porte vers des biens sensibles, un appétit intellectuel qui les porte vers des biens spirituels connus par leur intelligence. Ainsi, un homme affamé et décharné devant un plat chaud aura du mal à ne rien manger. De même, l’instinct et les passions de l’homme le pousse parfois à agir de manière aveugle et incontrôlée. Cet appétit sensitif lui rappelle qu’il possède un corps, des sens, des passions, au même titre que les animaux. En revanche, l’homme, par son intelligence et sa raison, connaît des biens spirituels vers lesquels il peut tendre en posant des actes délibérés. Il peut donc se comporter instinctivement ou de façon raisonnée et délibérée. La lutte entre ses passions sensibles (amour, désir, espoir, désespoir, jouissance, haine, aversion, audace, crainte, souffrance, colère, paresse, sensualisme etc…) et sa raison qui lui dit ce qu’il doit faire est parfois violente et signifie clairement l’existence en lui de deux principes irréductibles : l’un matériel, l’autre spirituel. Quand un étudiant doit rendre un devoir, il sait qu’il faut le faire, que c’est précisément son devoir et que c’est ce qui est bien. Sa paresse et sa sensualité, sa recherche de confort ou de plaisirs immédiats (regarder des séries, dormir et se prélasser, etc.) paraissent parfois l’empêcher de fournir un effort volontaire pour ce bien spirituel supérieur. En revanche, malgré l’effort et la motion spirituelle contre-instinctive à fournir, il peut le faire : il a le choix. S’il va à l’encontre de ce que lui dicte son appétit sensible et qu’il suit ce que lui dicte sa raison, on dit familièrement qu’il se fait violence. Malgré cette souffrance corporelle immédiate, il en retire, une fois son devoir rendu et bien fait, une fois sa note reçue, une satisfaction et une joie intérieure plus profonde et plus haute qu’un simple plaisir sensible. C’est la joie qui découle du devoir bien fait, cette joie est une conséquence spirituelle (on peut souffrir et être joyeux) d’une cause spirituelle (choix libre à l’encontre de l’appétit sensible). Pareillement, respecter les conventions et les marques de respect en société (saluer un ami; se tenir modestement à table ou en classe; observer le silence; obéir, révérer ou remercier un supérieur; etc.) montre que l’homme agit délibérément, même lorsque ce conventions vont à l’encontre de ses désirs immédiats (être patient en attendant le repas quand on a faim; ne pas frapper un homme que nous n’apprécions pas; être capable de se sacrifier et de souffrir pour le bien d’un ami, d’une famille, d’une patrie, d’une vérité; etc.). Cette connaissance de biens spirituels permet donc à l’homme de choisir librement en agissant même contre son instinct ; nous en avons d’innombrables témoignages, l’homme peut, nous l’avons dit, se sacrifier volontairement en faisant le don de sa vie par honneur ; il peut décider de faire une grève de la faim par idée de justice ; il peut souffrir les châtiments corporels les plus déplaisants tout en demeurant paisible et profondément joyeux par amour, tels ont été les martyrs de la foi. Dès qu’il pose un acte réfléchi et volontaire, il aurait aussi pu ne pas le faire, c’est la liberté psychologique qui le rend responsable de ses actes. Sa libre détermination dépasse donc les fatalités de la matière et de la sensibilité. Elle est réellement indépendante des conditions matérielles. Elle suppose nécessairement une faculté et un principe du même ordre, tout aussi indépendant de la matière. Du reste, l’existence de sociétés humaines et de lois démontrent la réalité de la liberté humaine, et partant, de la spiritualité de son âme. A quoi serviraient les lois si les hommes n’étaient pas libres mais entièrement déterminés par leur instinct ? A rien, puisqu’elles sont justement là pour donner un ordre et indiquer la voie à suivre pour atteindre le bien commun. Si elles indiquent la voie à suivre, c’est précisément que l’homme peut ne pas la suivre et qu’il doit s’y conformer librement. A-t-on déjà vu les animaux, depuis des milliers d’années qu’ils vivent parmi nous, rédiger un code de lois ? A-t-on déjà retrouver une seule ligne ou un seul symbole qui exprimerait un ordre à suivre ? Si rien de tel n’existe, c’est précisément parce que les animaux sont instinctivement déterminés à agir conformément à leur fin et qu’ils n’ont nulle besoin qu’on la leur rappelle explicitement et qu’on les encourage à y concourir! Enfin, qui prendrait au sérieux une groupe d’homme faisant comparaître des animaux devant un juge ? Ce serait absurde, car nous savons très bien que le juge a pour fonction de punir la violation d’une loi. Or, si la violation d’une loi est punie, c’est qu’elle procède d’un acte libre que nous pouvons légitimement attribué à un homme responsable. Rien de tel pour les animaux, totalement dépourvus de liberté!

La spiritualité de l’âme

Nous avons montré que l’homme était un être tout à fait singulier. En effet, parmi les êtres corporels que nous observons dans le monde, lui seul possède :

  • Une intelligence qui lui offre une connaissance spéciale des choses
  • Une volonté qui lui permet de se déterminer librement

De plus, ces deux facultés ont l’air très nobles et capables de très grandes choses dont les fruits sont visibles à travers les civilisations. Elles échappent aux propriétés de la matière, la volonté au déterminisme, l’intelligence aux bornes du donné sensible, concret et immédiat. Malgré leur distinction, elles sont aussi intimement liées et dépendantes l’une de l’autre. Elles constituent une unité et procèdent d’un unique principe. Si l’homme ne pouvait opérer de choix en fonction de son intelligence, celle-ci serait impuissante et inutile; à l’inverse, tout choix suppose nécessairement un discernement intellectuel préalable. Cette unité correspond à une identité, un « moi » qui permet de dire « je » et qui demeure identique tout au long de la vie, malgré les évolutions du corps et le renouvellement des cellules. Cette substance unique possède ces deux facultés et est de même nature. Nous l’appelons âme, et cette âme est spirituelle. Voyons cela plus en détail.

Appliquons à ces observations des principes évidents et incontestables pour tout homme droit et honnête qui sait que leur négation annihile par le fait même toute intelligibilité du réel, tout bon sens quotidien et condamne toute entreprise à l’absurde.

L’âme correspond à la structure propre de l’être vivant, elle est le principe vital d’unité qui fédère les organes entre eux et fait que l’être vit, qu’il possède les propriétés propres à la vie. « Avoir une âme » et être « vivant » sont deux synonymes. Cette âme semble donner aux êtres vivants des propriétés et des facultés différentes. La nature de ces propriétés et de ces facultés ne peut s’expliquer que par la nature même du principe duquel elles procèdes, en l’occurrence l’âme (ce qui fait que l’être est un et vivant et qu’il possède l’énergie nécessaire pour agir). Car comme nous l’avons vu, on ne peut donner ce qu’on n’a pas, le mode d’agir suit le mode d’être, tout effet a une cause proportionnée et toute faculté est proportionnée à son objet.

La connaissance sensible est donc le fruit d’une faculté proportionnée, la faculté sensible ou sens. Si un être possède une connaissance sensible des choses, c’est parce qu’il a des sens, agere sequitur esse, l’agir suit l’être. Or les animaux et les hommes possèdent un telle connaissance. Donc les animaux et les hommes ont des sens, faculté nécessairement de même nature que les objets connus : corporels, corruptibles, matériels.

La connaissance intellectuelle est aussi le fruit d’une faculté proportionnée. Si un être possède une connaissance intellectuelle des choses, c’est-à-dire une connaissance dont l’objet propre est l’être, la nature des choses, nature que nous avons vu être spirituelle, universelle, détachée des particularités sensibles, c’est parce que cet être a une intelligence. Or, nous l’avons établi avec certitude, parmi les êtres corporels, seul l’homme possède une intelligence, faculté qui procède nécessairement d’un principe de même nature que les objets connus : immatériels, incorruptibles. De plus, pas sa volonté, l’homme peut se déterminer librement en vue de biens spirituels, il peut le faire en allant contre son instinct et ses inclinations sensibles. Donc l’homme possède un principe de vie qui permet de rendre compte de ces opérations intellectuelles, l’homme a une âme spirituelle.

Une réflexion droite et honnête conduit donc aux mêmes enseignements que ceux du sens commun. Elle nous apprend que l’homme est bien composé de deux éléments intimement unis qui font de lui une personne.

  • Un élément matériel, son corps, qui lui donne des sens et le soumet aux lois physiques.
  • Un élément spirituel, son âme intelligente et libre, qui l’affranchit des lois physiques et font de lui un être essentiellement supérieur et différent des autres.

L’immortalité de l’âme

Il est désormais certains que l’homme possède une âme et que cette âme est spirituelle. L’immortalité de l’âme humaine est une conséquence de sa spiritualité.

Nous avons dit que les êtres vivants possédaient tous une âme. Cette âme est le principe qui fait d’eux des êtres cohérents, unifiés et doués de fonctions vitales. La mort est donc propre aux êtres vivants et correspond à la cessation de l’exercice des fonctions vitales. La mort est la perte du principe vital d’unité qui permettait leur exercice. Il faut donc rappeler la nature du principe vital de chaque être vivant pour savoir ce qu’il advient de lui après sa séparation d’avec le corps.

  • Chez les végétaux, il maintient l’unité organique et permet l’exercice des fonctions vitales essentielles (nutrition, croissance, reproduction). A la mort, les parties de l’organisme se désagrègent et se décomposent ; le principe vital, purement lié aux activités matérielles, n’a plus de raison d’être et disparaît.
  • Chez les animaux, il maintient l’unité organique, permet l’exercice des fonctions vitales et fait fonctionner les sens. Principe de vie matériel sans facultés spirituelles à exercer, il n’a plus rien à faire : comme chez les végétaux, il disparaît avec la désagrégation du corps.
  • Chez l’homme, le principe de vie est spirituel, nous l’avons amplement démontré. Spirituel, il n’a pas les caractéristiques de la matière, il n’est donc ni divisible, ni corruptible, ni réductible en particules désagrégées. De plus, nous avons déjà prouvé que ce principe de vie permet des activités proprement spirituelles. Ces activités le différencient essentiellement des autres êtres corporels et lui permettent de penser l’abstrait et l’universel, de se déterminer librement au-delà du déterminisme de la sensibilité, d’aimer un bien spirituel. Séparé du corps, ce principe de vie a donc encore une raison d’être puisqu’il réalisait ces activités proprement spirituelles sans l’aide directe et immédiate du corps et des sens. Séparée du corps, l’âme peut donc encore penser et aimer le bien spirituel connu. Par sa nature indivisible et incorruptible, l’âme humaine ne peut pas être soumise à la décomposition corporelle ; Par ses activités spirituelles, elle conserve une raison d’être. Elle est donc immortelle, c’est-à-dire non soumise à la corruption et à la disparition, nécessairement maintenue dans l’existence pour l’éternité. Nous disons qu’elle est subsistante par soi, per se subsistens. La vie, si elle commence au berceau, ne s’arrête donc pas à la tombe… Pensons-y!

De plus, partout et toujours, on a cru à une vie à venir. Partout et toujours, les hommes ont aspiré au bonheur parfait et à l’éternité. Partout et toujours, ils ont cru que leurs choix libres leur apporteraient du mérite ou du démérite qui sera gage d’une récompense ou d’une peine toutes deux éternelles. Voyant souvent le mal triompher ici-bas, les méchants écraser les bons, la justice bafouée de toute part, les hommes pleins de bon sens et remplis de sagesse ont compris qu’il existait une vie éternelle après la mort, vie dans laquelle la justice et les droits de chacun seront rétablis conformément à la vérité. Si cela n’était pas vrai, à quoi bon être honnête si c’est pour être moqués et méprisés. Si cela n’était pas vrai, à quoi bon l’existence d’une loi naturelle sans juge pour la sanctionner ? D’ailleurs, Dieu étant le législateur suprême et le souverain maître de toutes choses, la bonté et la justice, ils ont compris que c’était auprès de lui que se consumerait leur véritable bonheur. Partout et toujours, ils ont prié et vénéré les morts. Cette idée si élevée, qui semble avoir été le ferment des plus grandes civilisations, qui semble faire l’unanimité parmi l’immense diversité du genre humain, cette idée semble plus tenir du sens commun que du hasard. Le matérialisme qui proclame que la mort est une fin totale est contraire à la réflexion et au sens commun de l’humanité. Disons-le, il est absolument certain que l’âme humaine est immortelle, c’est-à-dire qu’elle survit à la vie physique. Elle continuera nécessairement une existence personnelle et continuera d’exercer ses très hautes activités de connaissance et d’amour dans l’autre vie. Cette conclusion n’est que le fruit d’observations incontestables et de réflexions de bon sens : L’âme humaine est spirituelle et immortelle !

Conclusion

Notre âme spirituelle, de laquelle procède les facultés intellective et volitive, nous confère une place toute particulière parmi les autres êtres corporels. Elle nous permet de nous poser des questions et d’y répondre, elle nous permet de saisir le vrai et de chercher le bien ; en somme, elle fait toute notre dignité et nous rend responsables de nos actes. Si nous sommes dignes et responsables, si notre âme est immortelle, si nous pouvons nous poser des questions et y répondre ; ne devons-nous pas vivre avec dignité et responsabilité ? Ne devons-nous pas nous demander ce qu’il adviendra de cette âme ? C’est ce qu’ont fait les grands hommes et les grands héros. Mus par une haute idée de l’homme, de sa dignité et du sens de sa vie, ils ont vécu au service de causes justes. Contre toutes les épreuves et les contrariétés, ils ont eu soif de justice et savaient qu’un jour ou l’autre, ils en répondraient devant l’Eternel.

Jésus l’a dit : « Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme ? » (S. Mt. XVI, 26)

Mathis C.

Illustrations : Le Poème de l’âme – Louis Janmot