Saint Louis-Marie Grignon de Monfort (1673-1716): sa vie, son héritage, sa spiritualité

Sommaire

  • Le jeune Louis-Marie
  • La consécration à Marie et le séminaire
  • Les Filles de la Sagesse
  • Les missions dans l’Ouest et l’influence contre-révolutionnaire
  • La persécution et le rappel à Dieu
  • La spiritualité monfortaine

Le 28 avril est un grand jour pour les dévots de Marie. C’est la fête de saint Louis-Marie Grignon de Monfort (1673-1716). Voici un résumé de sa vie, de son héritage, et de sa spiritualité.

Le jeune Louis-Marie

Saint Louis-Marie Grignon de Monfort est né à Montfort-sur-Meu, tout proche de Rennes, le 31 janvier 1673. Il fait son entrée au collège des jésuites Saint Thomas Becket de Rennes à 12 ans : son obéissance, son intelligence et sa charité rayonnent. Aîné d’une fratrie de huit enfants (dont un fils se fit dominicain et trois filles devinrent religieuses), Louis-Marie n’était pas destiné au sacerdoce par son père, qui s’opposa violemment à sa vocation au départ. Néanmoins, en écoutant les récits d’un prêtre local, l’abbé Julien Bellier, sur sa vie de missionnaire itinérant, il fut enflammé de zèle pour prêcher des missions.

À 19 ans, il se consacre entièrement à Marie en faisant le vœu de tout lui confier et de ne jamais plus rien posséder en propre. Il se dira désormais « Louis-Marie de Monfort, esclave indigne de Jésus en Marie ». Il rejoint ensuite Paris à pied en 1693, puis entre au séminaire de Saint-Sulpice en 1695. Son séjour à Saint-Sulpice lui donne l’occasion d’étudier la plupart des ouvrages disponibles sur la spiritualité et, en particulier, sur la place de Marie dans la vie chrétienne, surtout après sa nomination en tant que bibliothécaire. Il a également eu le temps de développer des compétences de catéchiste, notamment auprès de la jeunesse désœuvrée de la paroisse Saint-Sulpice.

Les Filles de la Sagesse

Ordonné prêtre en juin 1700, il célèbre sa première Messe à l’autel de la Sainte Vierge de l’église Saint-Sulpice, puis devient aumônier de l’hôpital général de Poitiers en 1701, avant d’en prendre la direction en 1703. Cette même année, il fonde avec Marie-Louise Trichet la Congrégation des Filles de la Sagesse. La règle de la Congrégation s’exprime en ces termes, montrant que la Croix est au cœur de la spiritualité monfortaine: « La Congrégation de la Sagesse est particulièrement chargée de montrer Jésus-Christ au monde, comme la Sagesse de Dieu, Sagesse qui, par les douleurs, l’indigence, et la folie de la croix, est venue combattre la sagesse orgueilleuse du monde, son estime des richesses et son amour du plaisir« . Avant Vatican II, ces religieuses étaient répandues tout autour du globe, avec trois objectifs principaux, toujours selon la Règle : « 1° l’instruction et l’éducation de la jeunesse ; 2° le soin des pauvres et des malades ; 3° le renouvellement des âmes dans les retraites« . Aujourd’hui, les Filles de la Sagesse de la Maison Sainte-Anne, installée au lieu-dit Saint-Maurice, à 17 km du lieu natal de saint Louis-Marie, forment une communauté restée entièrement fidèle à l’esprit montfortain. Elles expliquent par ailleurs avec raison qu’elles sont « dociles au Magistère des légitimes successeurs de saint Pierre et refusent de suivre la doctrine et les réformes qui ont ravagé l’Église depuis Vatican II ». Vous en apprendrez plus sur leurs activités en visitant ce très bon site.

Les missions dans l’Ouest et l’influence contre-révolutionnaire

Entre 1705 et 1716, saint Louis-Marie se consacre à sa vocation de missionnaire dans l’Ouest de la France (Poitou, Bretagne, Anjou, Rochelle), en donnant plus de 200 missions. Il fut rapidement éprouvé par la Croix. Son grand succès a attiré la jalousie d’une partie du clergé, et au début du carême 1706, il lui fut interdit de prêcher davantage de missions dans le diocèse de Poitiers. Il décida donc de partir faire un pèlerinage à Rome, pour demander au Saint-Père, le pape Clément XI, ce qu’il devait faire. Le Pape reconnut sa véritable vocation et, lui disant qu’il y avait de la place pour son apostolat en France et que cet apostolat était même nécessaire, le renvoya avec le titre de Missionnaire Apostolique. Il fut très vite connu à travers la région et au sein des foyers les plus modestes comme « le bon Père de Monfort ». L’impressionnant Calvaire de Pontchâteau, érigé en 1709 à son initiative et avec l’aide d’une foule nombreuse, est un signe admirable de son œuvre dans la région (cf. photo ci-dessous). A nouveau interdit temporairement et injustement de prêcher à cette époque, il approfondit le mystère de la participation au Sacrifice de la Croix et rédige un chef d’œuvre spirituel, la Lettre circulaire aux amis de la Croix.

Saint Louis-Marie fonde officiellement la Compagnie de Marie en 1713, dans l’objectif de former des missionnaires pour évangéliser l’Ouest. Les Pères René Mulot (1683-1749) et Adrien Vatel ont fait partie de ses plus fidèles disciples, continuant son œuvre après sa mort. Le Père de Monfort est un grand artisan de l’attachement puissant de l’Ouest français au catholicisme, encore en partie aujourd’hui. C’est pour cela que l’histoire lui attribue une grande part dans la résistance farouche et courageuse à la Révolution française (1789) dans ces contrées (chouannerie, guerres de Vendée). En effet, l’évangélisation des diocèses de Luçon, La Rochelle, Angers et Nantes a permis d’affermir la foi et de faire fleurir une vie chrétienne solide parmi la population, ce qui sema les germes féconds d’une admirable fidélité au catholicisme sur plusieurs générations, et alimentera largement la résistance à la Révolution d’inspiration satanique (non serviam, le refus de Dieu). Les « Mulotins », nom donné aux missionnaires monfortains à partir du nom du Père René Mulot (supérieur de la Compagnie de Marie de 1722 à 1749), ont évangélisé la future Vendée militaire. Malgré leur petit nombre (4 en 1723, et jusqu’à 13 en 1749, sans jamais aller bien au-delà), les missions se succèdent sans interruption jusqu’à la Révolution : on n’en compte pas moins de soixante-dix à quatre-vingts par décennie sur l’ensemble de la région (soit environ 500 missions entre 1720 et 1789), surtout dans les campagnes (cf. carte ci-dessous).

Les notes prises par le Père Pierre-François Hacquet sont très instructives à cet égard. Il dirige de nombreuses missions entre 1740 et 1780 (il prêche dans 274 missions pendant cette période), et il recense les peuples qui ne sont pas réceptifs à la prédication des missionnaires. C’est notamment le cas du sud de la Vendée et des Deux-Sèvres, dont nous savons qu’elles ne prendront presque pas part à l’insurrection de mars 1793. A l’inverse, les lieux où le Père Hacquet trouve un peuple docile et fervent seront des terres d’insurrection contre-révolutionnaire. Il y a donc un lien direct entre succès des missions et terre d’insurrection.

La persécution et le rappel à Dieu

Au fil des missions, saint Louis-Marie Grignon de Monfort est persécuté par les jansénistes, qui veulent empêcher son zèle de répandre le sang du sauveur par le cœur de Marie. Il subit trois tentatives d’assassinat et un empoisonnement, qui l’affaiblira jusqu’à sa mort. Sa vie est une vie de dénuement absolu, de persécution universelle et de don total à Dieu par Marie : il a bien fait toutes choses, sans jamais se plaindre. Son dicton : « PAS DE CROIX, QUELLE CROIX! » (réfléchissons-y…).

Lors de sa dernière mission à Saint-Laurent-sur-Sèvre (diocèse de La Rochelle), il rend son âme à Dieu le 28 avril 1716, à 43 ans, sous les coups de la maladie et de l’épuisement, en chantant paisiblement avec les fidèles qui l’assistaient : « Allons, mes chers amis, Allons en Paradis… » Louis-Marie a été béatifié par Léon XIII en 1888, puis canonisé par Pie XII en 1947.

La spiritualité monfortaine

La spiritualité monfortaine a deux piliers: 1) la Croix et 2) la sainte Vierge. Ces deux piliers s’unissent dans la notion de « saint esclavage de Jésus en Marie », par lequel on accepte de renoncer à tout en sacrifiant sa volonté propre en tout et en confiant tout ce que nous sommes, tout ce que nous avons et tout ce que nous faisons à Marie, en vue d’accomplir la volonté de Dieu. Saint-Louis-Marie Grignon de Monfort est l’auteur d’un grand classique de la vie spirituelle : le Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge. Cette œuvre n’a cependant été découverte et publiée qu’à partir de 1843 – soit plus d’un siècle après sa mort! -, participant grandement au renouveau extraordinaire de la piété mariale qui s’est observé dans la seconde moitié du XIXème siècle et le début du XXème.

Voilà l’essentiel de sa pensée sur Marie :
1. Pleine de grâce, elle est le trésor de Dieu. En la louant, on loue le chef d’œuvre de Dieu.
2. Elle a engendré le chef de l’Eglise, elle engendre aussi logiquement les membres, nous.
3. Jésus est venu par Marie. Il s’est incarné avec le consentement de Marie, il s’est fait connaître par Marie, il a fait son premier miracle par Marie, il s’est donné sur la croix par Marie. Ainsi, nous devons de la même manière aller à Jésus par Marie, connaître Jésus par Marie, nous donner à Jésus par Marie. Dieu l’a voulu ainsi.
4. Marie est comme une « relation à Dieu ». Elle est toute relative à Dieu et fait tout pour Dieu et en vue de Dieu. Elle fait sa volonté en absolument tout, sans exception. En l’aimant, en apprenant d’elle et en moulant notre cœur sur le sien par une véritable dévotion à une si bonne mère, on est sûr de grandir en sainteté !

La recherche de la vérité

Sommaire
· Définitions sur la vérité
· Des degrés de certitude
· Les vérités abstraites et spirituelles sont les plus certaines
· Plusieurs points de vue, pas plusieurs vérités
· Relativisme en paroles, réalisme en pratique !
· Une réalité extérieure qui s’impose à nous
· Méthodologie pour la recherche de la vérité


[Jésus dit :] Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité.  Quiconque est de la vérité écoute ma voix. Pilate lui dit : qu’est-ce que la vérité ?

Jean XVIII, 37-38

Pour Ponce Pilate, la question est rhétorique : aussitôt après l’avoir posée, il se détourne de Jésus pour revenir vers les Juifs qui le lui avaient amené. La quête de la vérité ne l’intéresse pas.

Mais pour vous lecteur, nous espérons que la question n’est pas rhétorique : vous cherchez peut-être la vérité, et vous avez de la peine à la trouver, vous avez de la peine même à mettre une définition sur ce terme dans un monde où l’agnosticisme et le relativisme sont devenus des sortes de dogmes religieux, que l’on ne peut pas remettre en cause sans devenir aux yeux des autres un extrémiste.

Celui qui a une quelconque croyance religieuse doit, pour être accepté socialement, présenter sa foi comme n’engageant que lui-même et relevant de son appréciation personnelle des choses, comme si elle ne dépendait pas d’une vérité objective.

Jésus dit pourtant : quiconque est de la vérité, quiconque est du « parti » de la vérité, écoute ma voix. Vous vous demandez peut-être quel est ce parti et s’il vaut la peine d’être rejoint. Dans ce cas, nous espérons que ce qui suit vous sera utile.

Des définitions

Il est rare que nous passions un jour sans prononcer le mot « vérité », sans l’entendre ou le lire, car ce terme est d’un emploi nécessaire pour parler des choses de la vie de tous les jours. En cette époque de « fake news » et de « fact checking », il acquiert même une sorte de caractère polémique : chacun fait profession d’être défenseur de la vérité.

Mais nous ne réfléchissons pas à une définition précise du terme, et lorsqu’il s’agit de réfléchir sur « ce qu’est la vérité », de philosopher sur le sujet, c’est presque toujours pour employer un langage fumeux, revenant à dire qu’il n’y a pas de vérité ou qu’on ne sait pas ce qu’est la vérité.

Sauf lorsqu’il s’agit de dénoncer les « fake news » !

Nous vous proposons une définition précise.

La vérité est la retranscription exacte ou le reflet, dans notre esprit, de la réalité, de ce qui est réellement. En latin :adequatio rei et intellectus, l’adéquation entre la chose (une réalité extérieure indépendante de nous) et l’intellect (notre capacité d’abstraction de sujet pensant).

C’est-à-dire que notre esprit est dans le vrai, que nous disons la vérité, lorsque ce qui est dans notre esprit et ce qui en sort (par la parole) est conforme à la réalité. On dit qu’une proposition ou un principe est « une vérité » lorsque, dans le domaine précis de cette proposition ou de ce principe, l’idée est conforme à ce qui est réellement.

Par exemple : dire que le point d’ébullition de l’eau se situe à 100°C à pression atmosphérique normale, c’est une vérité, continuellement vérifiable par l’expérience. Mais on peut dire aussi que c’est «la vérité» de manière plus générale, dans le sens que sur cette question précise du point d’ébullition de l’eau, il n’y a pas d’autre pensée conforme à la réalité que celle qui consiste à dire que ce point d’ébullition se trouve à 100°C.

Peut-être vous aviserez-vous de douter et de dire : « dire que l’eau bout à 100°C, ce n’est pas vrai, car suivant la pression atmosphérique, le point d’ébullition change». Vous n’avez pas vu la deuxième partie de notre proposition : « à pression atmosphérique normale ». Dire que l’eau bout à 100°C est vrai sous le rapport d’une condition atmosphérique ordinaire ; ce n’est pas vrai sous le rapport d’une autre condition, par exemple si l’on se trouve à 2000 mètres d’altitude.

Le fait qu’une chose puisse être vraie sous un certain rapport et fausse sous un autre rapport, dans un autre référentiel, n’est absolument pas un problème quant à la question de savoir s’il existe une vérité : je suis grand par rapport à une fourmi, je suis petit par rapport à une montagne, il ne s’agit pas de dire que je suis « petit » et « grand » en même temps et sous le même rapport.

L’eau peut bouillir à 100°C sous un certain rapport et à 85°C sous un autre.

Vous direz peut-être : il n’y a pas de « condition atmosphérique ordinaire », cette notion est simplement une convention humaine arbitraire et pas le reflet d’une réalité.

Nous vous répondons : c’est un terme humain qui correspond à une réalité bien qu’il soit entaché d’une certaine imprécision : on pourrait qualifier cette réalité plus précisément en employant des unités de mesure de la pression atmosphérique, de l’altitude, ou autre.

Peut-être que ce n’est pas 100°C mais 99,99999999°C dans la plupart des cas, qu’importe : dans la grosseur du trait, cela reste un principe vérifiable.

Cet exemple nous permets d’établir plusieurs choses :

Premièrement, que les « vérités scientifiques », qui sont censées être les seules propositions recevables par l’esprit de l’homme moderne et civilisé, sont en fait presque toujours entachées d’une certaine imprécision.

Ce n’est pas du relativisme que de le dire : c’est simplement qu’il est difficile de faire correspondre très exactement l’esprit humain avec cette réalité matérielle changeante et complexe qu’est l’univers.

Les vérités de la science physique ne sont pas parmi les vérités les plus « fortes », les mieux établies dans l’esprit humain, parce que leur objet est difficile d’accès.

Il y a des domaines de la réalité qui sont de nature à susciter dans l’esprit humain des pensées beaucoup plus précises et exactes de vérité, parce qu’ils sont plus abstraits et détachés de la matière, donc plus directement conformes à la nature de l’esprit : les mathématiques, la philosophie (nous en reparlerons).

Deuxièmement, que « la vérité » ce n’est pas seulement une grande question métaphysique, cela concerne d’abord et premièrement des choses de la vie ordinaire.

Pour faire cuire vos pâtes vous devez porter l’eau à son point d’ébullition, donc vous devez utiliser des outils particuliers pour chauffer cette eau : cuisinière, plaques de cuisson.

Vous vivez en fonction de cette vérité qui est dans votre esprit : vous savez que la réalité fonctionne ainsi, vous savez qu’il faut chauffer l’eau un certain temps et avec une certaine intensité pour parvenir à votre fin, qui est de faire cuire les pâtes.

Si dans ce domaine précis, vous refusez la vérité, par exemple vous choisissez pour vous une croyance selon laquelle l’eau n’a pas besoin d’être chauffée mais qu’il suffit de chanter dessus pour qu’elle bouille, vous passerez des heures à chanter sur votre eau et il ne se passera rien… c’est dommage.

Il vaut mieux, en toutes choses, chercher à connaître la vérité et à vivre en conformité avec elle.

Troisièmement, que l’on peut déjà à partir de cet exemple expliquer une méthodologie de la recherche de la vérité : pour conformer notre esprit à la réalité (puisque la vérité réside dans cette conformation, dans cette adéquation), il faut 1) se baser sur l’expérience, sur des choses immédiatement constatables, 2) faire des raisonnements.

C’est ce que l’on appelle, dans le premier cas, l’évidence immédiate (l’esprit trouve directement la réalité à l’aide des sens : par exemple, mon thermomètre placé dans l’eau affiche 100°C tandis qu’elle commence à bouillir, je le vois, et je sais que mon thermomètre fonctionne bien).

Dans le second cas, l’évidence médiate ou indirecte : l’esprit trouve la réalité en tirant d’une chose concrète un principe abstrait, en concluant de manière logique à l’existence d’un principe universel : si l’expérience de faire bouillir l’eau avec un thermomètre dans une condition atmosphérique normale donne toujours 100°C, ce n’est pas simplement que mon eau ce jour-là a bouilli à 100°C, c’est que d’une manière générale cet élément qu’on appelle l’eau est déterminé par nature à bouillir à telle température sous le rapport de telle condition atmosphérique.

Du particulier au général : c’est le raisonnement par induction, je remonte au principe à partir d’une multiplicité d’expériences.

Si je me trouve à l’autre bout de la terre mais que les conditions atmosphériques sont les mêmes que l’endroit où j’ai fait bouillir de l’eau la dernière fois, je sais que cette eau que je trouve à l’autre bout de la terre a le même point d’ébullition que l’autre eau : du général au particulier, c’est le raisonnement par déduction.

Des degrés de certitude

Comme nous le disions, cet exemple n’est pas tout à fait heureux : cette vérité sur le point d’ébullition de l’eau, pour pratique qu’elle soit, n’est pas extrêmement précise.

Il est beaucoup plus certain que 2 + 2 font 4 qu’il n’est certain que « l’eau bout à 100°C », car il faut toujours prendre en compte un certain référentiel. Mais alors, il n’y a pas de « vérité absolue et unique » sur ce sujet ?

Ce n’est pas ce que nous disons : sur ce point précis de la réalité, notre esprit s’approche de la réalité très fortement bien qu’il peine à s’y conformer de manière absolue (cf. la définition de la « condition atmosphérique normale »).

Ce qui est imprécis et hésitant, ce n’est pas la réalité en elle-même : c’est l’état de notre esprit, qui cherche à se conformer à cette réalité. Il y a certainement une manière plus précise et exacte de dire que l’eau bout à 100°C dans une pression atmosphérique normale : cette vérité existe, et on s’en rapproche avec cette proposition.

2 + 2 = 4. Voici quelque chose de beaucoup plus certain : parce qu’ici on ne se préoccupe plus des contingences de la matière, mais simplement d’étudier des principes abstraits.

Ceux qui disent : « mais là aussi, ce n’est vrai que selon un certain référentiel » se trompent. L’arithmétique, et les autres disciplines des mathématiques, ne sont pas des conventions sociales : ce qui est conventionnel, c’est d’appeler « deux » le deux, et « quatre » le quatre, d’utiliser le symbole « + » pour exprimer le principe de l’addition, mais derrière les mots et les symboles il y a une réalité abstraite universelle, si bien que l’on peut faire de l’arithmétique dans n’importe quelle langue : le mot change, la réalité désignée est la même.

Aujourd’hui, les mathématiciens s’amusent à faire des thèses entières en prenant des référentiels absurdes, par exemple en partant du principe que 2 + 2 = 5 : c’est simplement un jeu intellectuel, pour des génies un peu désabusés, ce sont de fausses mathématiques parce qu’elles ne reflètent pas la réalité.

Pendant ce temps, on emploie continuellement les vraies mathématiques pour interagir avec la réalité : sans mathématiques, pas d’industrie, pas de fiscalité, pas de comptabilité, pas de progrès technique : et c’est encore la meilleure preuve que la science mathématique correspond à la réalité, pour abstraite et invisible qu’elle soit, que de pouvoir constater à quel point elle a des conséquences pratiques et universelles dans la vie humaine.

Celui qui affecte de se moquer de l’arithmétique en disant qu’elle est une convention arbitraire utilise l’arithmétique tous les jours sans s’en rendre compte, et tout ce qui se passe autour de lui a une certaine part avec les principes de l’arithmétique.

Mais il y a des choses encore plus certaines que les mathématiques. Prenons ce principe :  « Les choses sont ce qu’elles sont, et ne sont pas ce qu’elles ne sont pas » : c’est un truisme, direz-vous.

Oui, c’est une banalité si l’on veut, mais cela reste une vérité métaphysique absolument certaine et universelle : elle s’applique à tout, on ne peut pas lui trouver d’exception. Pour l’exprimer encore plus précisément : « une chose ne peut pas, en même temps et sous le même rapport, être et ne pas être ».

Les mathématiques ne s’appliquent qu’à étudier la réalité sous le rapport de la numération. La philosophie s’applique à étudier la réalité … en tant que réalité : c’est le degré le plus haut de la connaissance. La science physique étudie les lois de la matière, la biologie étudie les lois de la vie, la science mathématique étudie les lois de la numération, etc… tandis que la science philosophique, car il s’agit bien d’une science si l’on est réaliste, étudie les « les lois des lois », les principes qui régissent toutes les dimensions de la réalité.

C’est pourquoi une certitude philosophique, une vérité dans le domaine philosophique, est beaucoup plus certaine qu’une vérité dans le domaine des sciences appliquées : elle est plus directement conforme à la réalité que l’esprit humain essaye de connaître.

Cela ne veut pas dire qu’il est plus facile d’atteindre la vérité en philosophie qu’en mathématiques : cela veut dire qu’il est possible d’exprimer des propositions ayant un degré de certitude absolu, une fois qu’on les a bien comprises.


A gauche de l’image, Pythagore est en train d’écrire. Extrait de la fresque de Raphaël L’école d’Athènes.

Les vérités abstraites et spirituelles sont les plus certaines

« L’eau bout à 100°C dans une condition atmosphérique normale » : c’est une certitude pratique et approximative, qui pourrait être précisée ou discutée dans certaines limites. « Les choses sont ce qu’elles sont, et ne sont pas ce qu’elles ne sont pas », « deux plus deux font quatre » : ce sont des certitudes absolues, indiscutables sous aucun rapport, parce qu’elles ne dépendent pas des contingences de la matière : les vérités abstraites et spirituelles sont plus certaines que les vérités appartenant aux sciences expérimentales, parce que les principes qu’elle étudie sont plus généraux et moins particuliers.

L’esprit humain est capable, par l’effort conjoint de la constatation sensible (évidences immédiates) et du raisonnement (évidences médiates), d’établir en lui de très solides et très indubitables vérités : l’agnosticisme, qui affecte d’être une posture « rationnelle » ou « rationaliste », suivant laquelle on ne peut pas trouver la vérité avec certitude dans des domaines qui dépassent la pure constatation sensible, n’est conforme ni à la raison ni à l’expérience : les deux nous indiquent que les certitudes les plus fortes et les plus solides qui siègent dans l’esprit humain appartiennent à un domaine abstrait et insensible, par exemple les mathématiques, qui sont en elles-mêmes invisibles et purement abstraites mais qui ont des applications pratiques continuelles et splendides dans la vie humaine.

Voici le point de vue que nous défendons, qui est celui du réalisme philosophique, nous préciserons du réalisme spiritualiste : il n’y a pas de séparation étanche entre le « monde » des réalités sensibles et immédiatement accessibles, et celui des réalités invisibles et abstraites.

Il est commun pour les hommes de notre temps de séparer les deux de manière étanche, d’être très réaliste et pragmatique pour ce qui concerne les choses sensibles, et de « planer totalement » lorsqu’il s’agit de parler des choses invisibles et spirituelles :  lorsque l’on parle de philosophie ou de religion, tout d’un coup on abandonne le bon sens et on se livre à des considérations complètement absurdes et insondables.

Tel homme sera dans la vie de tous les jours un entrepreneur brillant, très réaliste lorsqu’il s’agit des affaires et des investissements : il sera dans sa vie privée adepte du yoga, du karma, de l’horoscope, ou de toutes sortes d’autres choses dont la véracité et l’efficacité spirituelle n’est ni prouvée ni prouvable, et il ne prétend pas qu’elles soient prouvées ou prouvables, il y adhère simplement parce que cela lui « parle ».

Nous sommes contre cette distinction : il faut être réaliste aussi bien dans les choses pratiques que dans les choses spirituelles, parce qu’il ne s’agit que d’étudier deux dimensions d’une même réalité.

Chercher à connaître la vérité en matière de philosophie et de religion, c’est chercher à connaître, suivant les données de l’expérience et les principes accessibles par la raison, la réalité telle qu’elle est, et non pas telle que l’on voudrait qu’elle soit.

Plusieurs points de vue, pas plusieurs vérités

« Chacun sa vérité », « j’ai ma vérité, tu as la tienne » : il n’est pas rare d’entendre ces paroles, lorsqu’il s’agit de parler de religion, de morale ou de philosophie.

Elles se basent sur une incompréhension du terme « vérité » : dans ce contexte, on pense souvent que « vérité » signifie simplement une chose à laquelle nous croyons et qui nous tient à cœur, qui nous motive, qui nous plaît, une doctrine avec laquelle nous essayons de guider notre vie.

Mais c’est bien une incompréhension : suivant la définition de la vérité comme l’adéquation entre l’intelligence subjective et la réalité objective, il ne peut pas exister « plusieurs vérités » en même temps et sous le même rapport. Parce qu’il n’existe pas « plusieurs réalités » : nous vivons tous dans une même réalité, que nous cherchons à comprendre et à connaître, et s’il existe plusieurs interprétations ou plusieurs croyances sur le sens qu’il faut donner à cette réalité, ce n’est pas que cette réalité correspond en même temps à ces différentes croyances, mais plutôt qu’il y a des croyances vraies et des croyances fausses : ainsi par exemple dans le débat sur les « fake news », il n’est pas question de considérer que les défenseurs de « théories du complot » et les défenseurs des « versions officielles » aient en même temps raison, qu’ils aient chacun « leur vérité » … au contraire, il est bien évident pour tout le monde que certains ont raison, et que d’autres ont tort, quel que soit d’ailleurs le parti où l’on se place dans la querelle. Ce principe vaut pour tous les domaines de la vie, il vaut donc a fortiori pour la philosophie et la religion.

Il peut exister une multitude de croyances contradictoires, qui guident la vie de peuples entiers depuis de nombreux siècles : telle partie du monde croit en l’islam, telle autre en l’hindouisme.

Ces croyances contradictoires ne peuvent pas être toutes vraies en même temps et sous le même rapport : parce qu’il n’est pas possible, par exemple, que Dieu soit en même temps transcendant (comme dans la doctrine catholique : Dieu est radicalement distinct, indépendant et supérieur par rapport aux créatures) et en même temps immanent (comme dans l’hindouisme : chaque créature « est Dieu », il n’y a pas de distinction radicale entre les deux). Les deux idées s’excluent absolument : elles ne peuvent pas être toutes les deux conformes à la réalité.

Relativisme en paroles, réalisme en pratique !

Beaucoup ont le relativisme sur les lèvres : impossible, dit-on, de savoir si Dieu existe, de savoir s’il y a une vraie religion, de savoir s’il y a une vraie morale, de savoir s’il y a une vraie doctrine politique, de savoir même s’il y a une vraie réalité, une vraie vérité … on affecte de douter de tout, on prétend que le doute est la base de la maturité intellectuelle et du progrès scientifique,  on prétend « qu’il n’y a de science que de réfutable », que ce qui est vrai aujourd’hui sera faux demain, qu’il y a de la fécondité dans la contradiction. On l’affecte et on le prétend : ce sont des paroles.

Dans les faits, personne n’y croit véritablement. Il est impossible de vivre en conformité avec le relativisme : ce serait cesser de vivre. Il est possible d’être relativiste le temps d’une discussion mondaine, pour avoir l’air philosophe : mais les choses se compliquent lorsqu’il est question de faire des affaires, de mener à bien des projets immobiliers, d’investir en bourse, de poursuivre une formation universitaire ou professionnelle, de concevoir des machines, de programmer un site web, d’organiser ses prochaines vacances, d’éduquer des enfants, d’avoir une relation harmonieuse avec son conjoint, de gagner un procès, de gagner un match de football, de trouver un fournisseur d’abonnement téléphonique … en bref, dans tous les domaines de la vie, on ne peut pas être relativiste : il y a une réalité tangible, qui s’impose à nous que nous le voulions ou non, que l’on doit chercher à connaître objectivement et sans préjugés au risque de commettre des erreurs immédiatement dommageables à nos intérêts et ceux de nos proches.

Tout le monde est réaliste, tant qu’il en va de nos intérêts personnels. Si la majorité de nos contemporains ne sont pas réalistes en philosophie et en religion, c’est parce qu’il leur semble qu’une telle démarche irait contre leur intérêt et leur goût : je ne veux pas me soumettre à une autorité ou à un dogme, je ne veux pas qu’on me dise ce que je dois faire, je veux penser librement.

Ce n’est pas un point de vue rationnel : c’est plutôt un rejet de la rationalité, une « démission de l’intelligence », le refus qu’il puisse y avoir une vérité intangible à laquelle il faille se soumettre, parce que s’y soumettre pourrait contrarier notre confort, notre plaisir et notre volonté propre.

Mais dans d’autres domaines, par exemple dans le domaine de la défense des mesures sanitaires contre le covid-19, comme leur intérêt et leur cœur se porte vers ces mesures, il est hors de question pour eux de prétendre qu’il puisse y avoir plusieurs points de vue valables, plusieurs « vérités » acceptables concernant la réalité de la crise sanitaire : ils n’hésitent pas à employer le discours, les méthodes et les procédés des civilisations « inquisitoriales », « dogmatiques », « absolutistes », « dictatoriales » contre ceux qui ne croient pas dans la réalité de la crise sanitaire.

Nous disions « relativisme en paroles, réalisme en pratique » : nous pouvons dire également « libéralisme en paroles, intégrisme en pratique ». Lorsqu’il s’agit de la crise covid, il n’y a plus ni liberté de pensée, ni liberté d’expression, ni liberté de faire ce qui nous plaît au détriment de principes moraux universels et intangibles : les discours complotistes doivent être réfutés, muselés et réprimés, ceux qui enfreignent les mesures doivent être poursuivis et châtiés sévèrement, toute la population doit être éduquée et informée de la réalité de l’épidémie et des mesures à prendre, il faut être prêt à tous les sacrifices pour prendre acte de cette réalité.

En cela les covidistes sont cohérents avec une exigence fondamentale de l’esprit humain : il ne peut pas y avoir plusieurs vérités parce qu’il n’y a qu’une seule réalité qui s’impose à tous qu’on le veuille ou non, et les opinions fausses sont dangereuses parce qu’elles poussent les hommes à agir en difformité avec la réalité, et ainsi faisant à se nuire à eux-mêmes et à nuire à tous les autres. Sur le principe, les catholiques du Moyen-Age n’en disaient pas moins !

Le Pape et l’inquisiteur, Jean-Paul Laurens

Une réalité extérieure qui s’impose à nous

Dans ces domaines pratiques que nous venons d’évoquer, le bon sens nous défend de privilégier notre vision subjective des choses à une réalité objective qui n’est peut-être pas facile à connaître, mais que l’on doit chercher à connaître le mieux possible pour pouvoir espérer quelque succès. Si je veux entreprendre dans un domaine particulier, je dois faire une étude de marché : c’est-à-dire, essayer de connaître le plus objectivement et le plus précisément possible la réalité de ce marché, pour me plier à cette réalité : cette réalité ne dépend pas de moi, mon esprit n’a pas le pouvoir de la modifier ou de la contrôler.

Je dois me positionner en conséquence de cette réalité extérieure, sinon mes investissements seront hasardeux et mes efforts probablement inutiles.

Dans l’entreprenariat, le risque doit être contrôlé, l’ignorance totale n’est pas permise. On ne peut pas se permettre de laisser au hasard, à une croyance injustifiée ou à la fantaisie de notre humeur une affaire aussi grave.

Pourtant c’est ce que beaucoup de gens font en matière de morale et de religion : ils vivent « au hasard », suivant leur fantaisie, suivant des croyances personnelles qu’ils se sont fabriquées ou qu’ils ont trouvé chez un maître quelconque, et qu’ils observent simplement parce qu’elles leur plaisent, parce que cela leur parle.

Et c’est de la folie : parce que s’il y a une réalité objective dans les affaires, on ne comprend pas pourquoi il n’y aurait pas de réalité objective concernant l’ordre du monde, son origine et sa finalité.

Le monde des affaires et le « monde de la religion » appartiennent à un même univers, à une même réalité : c’est simplement que le monde des affaires se circonscrit à un aspect particulier de la vie, tandis que la philosophie, la religion et la morale ont pour objet la vie dans son ensemble.

Quel entrepreneur voudrait d’une doctrine sur sa discipline qui serait belle et pleine d’attrait, mais prouvée par rien du tout, et ayant toutes les chances d’être le simple fruit de la fantaisie de l’esprit humain ? Serait-il prêt à emprunter 300 000€ à sa banque sans avoir une forme de certitude pratique qu’il pourra les rembourser ? C’est cette certitude qu’il lui faut, peu importe ce que lui disent les beaux-parleurs et les charlatans qui lui proposent de le rendre riche en un clin d’œil. Il est prêt à accepter un certain degré de risque et d’inconnu, mais pas à risquer tout sur de belles paroles : « c’est du bon sens ».

Méthodologie pour la recherche de la vérité

Ce qui vaut pour l’entreprenariat vaut pour tout le reste : si vous n’acceptez pour seule règle de votre pensée que le bon sens, vous finirez par trouver la vérité. Et tandis qu’en matière économique vous n’aurez que des certitudes limitées et approximatives, étant donné le caractère contingent et évolutif de votre objet d’étude, en matière de réalités spirituelles universelles, vous pourrez trouver des certitudes indubitables, car votre objet d’étude est immuable et éternel.

Pour qui cherche donc sincèrement la vérité dans ces matières très élevées, il faut avoir à peu près la même approche que lorsque l’on cherche la vérité en matière de conjoncture économique et de compréhension des marchés : il faut utiliser les données de l’expérience et de la raison, en se basant sur des sources fiables. Nos préjugés, nos sentiments, nos répugnances, ne valent pour rien dans cette recherche : il n’importe que de comprendre la réalité telle qu’elle est, et de s’y conformer, sous peine de faire fausse route.

Mais pour autant, ne soyons pas dupes : dans ces matières très élevées, tout ne se limite pas à l’usage de la raison. Raisonner sur l’économie, sur la science physique ou sur les mathématiques ne vous engage à rien : c’est quelque chose de plaisant, vous vous cultivez.

Mais raisonner sur les grandes vérités sur l’origine et la fin de l’univers, sur le sens de la vie humaine, cela pourrait vous engager à des changements concrets dans votre vie, à des sacrifices : peut-être que déjà, il y a un conflit qui s’opère en vous entre votre intelligence qui est attirée par ces démonstrations sensées et raisonnables, et votre partie charnelle et sensible qui ne veut que « profiter de la vie » et laisser de côté ces grandes questions si pesantes et si sérieuses.

Il faut entrer dans la recherche de la vérité avec un cœur humble et sincère : mieux vaut trouver une vérité déplaisante, que de vivre honteusement dans un mensonge qui nous plaît.

Mieux vaut avouer s’être trompé, peut-être s’être trompé la plus grande partie de sa vie, que de continuer avec obstination et orgueil à défendre des choses fausses. Il faut aimer la vérité par principe, même si on n’est pas encore sûr de connaître la vérité, que l’on pense pouvoir se tromper : aimer la vérité par-dessus tout, parce qu’il est bien certain qu’il y a une vérité, et qu’au prix de quelques efforts on peut la trouver.

Parce que l’homme est un être doué d’intelligence et de volonté, qui sont les facultés qui le distinguent du reste du règne animal, il faut que les deux fonctionnent ensemble : la volonté doit dicter à l’intelligence de chercher la vérité comme sa fin, elle doit aimer la vérité et haïr le mensonge. Si la volonté se perd à mi-chemin dans l’amour de quelque chose qui relève du mensonge, l’intelligence ne parviendra pas à voir la réalité.

En parlant de ceux qui aiment la vérité, même s’ils ne l’ont pas encore trouvée, le Christ dit :

« Quiconque est de la vérité écoute ma voix ».


Le Christ quittant le prétoire, Gustave Doré

Jean-Tristan B.


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Prouver l’existence de Dieu

Sommaire
Principes généraux
Preuves philosophiques
Preuves psychologiques et morales


L’être ne peut pas provenir du néant

La théologie catholique, qui reprend à son compte les acquis de la philosophie réaliste grecque (Socrate, Platon et Aristote), énumère traditionnellement 5 preuves ou « voies » qui font conclure par la seule raison qu’il existe un Dieu tout-puissant, créateur et ordinateur du monde : la preuve par la causalité (Dieu cause première), la preuve par le mouvement (Dieu premier moteur), la preuve par l’ordre du monde (Dieu intelligence ordinatrice), la preuve par la contingence (Dieu seul être nécessaire), la preuve par les degrés de perfection (Dieu être parfait et Acte pur). Il existe également, chez Saint Thomas d’Aquin ou chez les apologètes des siècles suivants, des raisonnements et des principes qui complètent ces preuves philosophiques, mais en se basant sur des considérations propres à la nature humaine : les preuves dites « psychologiques », par exemple celle qui fait découvrir l’existence de Dieu à travers l’aspiration des hommes au bonheur parfait, ou encore la preuve de l’existence de Dieu par l’objectivité de la loi morale.

Le Père Réginald Garrigou-Lagrange, spécialiste de la philosophie de Saint Thomas d’Aquin, après avoir longtemps discouru et enseigné sur le sujet, résume toutes les preuves de l’existence de Dieu à un seul principe :

« le plus ne sort pas du moins, ou mieux, le plus parfait ne peut pas être produit par le moins parfait, comme par la cause pleinement suffisante qui en donne raison ; en d’autres termes : le supérieur comme tel ne peut pas s’exprimer par l’inférieur ».

R.P. Réginald Garrigou Lagrange O.P., Dieu accessible à tous, 2015 (réédition), éditions Quentin Moreau, p.12

Nous pouvons reformuler encore plus simplement et universellement ce principe : l’être ne peut pas provenir du néant. Si quelque chose existe, et que cette chose a un jour commencé d’exister, il faut qu’il existe autre chose d’antécédent qui rende raison de son existence. Cette chose antécédente doit contenir en elle-même un principe qui la rend capable de « donner naissance » à la chose suivante : la cause est par nature supérieure à l’effet, parce qu’un être ne peut pas donner à un autre des perfections qu’il ne possède pas lui-même.

Ce principe peut sembler très abstrait, mais en réalité, il s’applique à absolument tout, tout le temps, depuis toujours et pour toujours. Aucune réalité n’échappe à cette loi. A tel point que ceux-là même qui tentent de la nier sont obligés, pour cela, d’employer des idées et des termes qui n’ont aucun sens à moins de ne considérer que le principe qu’ils cherchent à nier est vrai : leur esprit est, comme celui de tous les êtres humains, incapable de fonctionner en dehors des principes premiers de la raison que sont le principe d’identité (une chose est ce qu’elle est, et n’est pas ce qu’elle n’est pas) et le principe de causalité (tout effet a une cause proportionnée qui rends raison de son existence), principes résumés en dernière instance par ce que nous disions plus haut : l’être ne peut pas provenir du néant. Lorsque que quelqu’un dit « ce n’est pas vrai », quelle que soit la chose qu’il cherche à nier, il raisonne suivant le principe d’identité. Lorsque quelqu’un dit « l’être peut provenir du néant », il raisonne suivant le principe de causalité, même s’il raisonne à contre-courant de la réalité.

Nous appliquons sans cesse ce principe dans la vie quotidienne : il ne se passe pas un jour sans que tous les êtres humains ayant l’usage de la raison ne se demandent quelle est la cause d’un phénomène qu’ils observent ou qu’ils subissent, ou bien quelle serait la cause à « activer » pour produire un effet qu’ils cherchent à atteindre. Il est absolument évident aux yeux de tous que si une chose existe, quelle qu’elle soit, elle n’existe pas « par elle-même » simplement mais il existe autre chose d’antécédent qui rends raison suffisante de son existence : « Je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait point d’horloger ». L’horloger est un être qui dispose en lui-même de la faculté de produire l’horloge : on ne peut pas envisager qu’un effet résulte d’une cause qui ne lui est pas supérieure en nature. L’horloge produite, pour parfaite qu’elle soit dans son ordre, est moins parfaite que l’horloger, parce qu’elle n’a pas, entre autres choses, la faculté de donner elle-même naissance à d’autres horloges : l’horloge est définitivement un être inférieur à l’horloger.

L’horloger de Suisse, Norman Rockwell (détail du tableau)

Il est également évident que si l’on veut obtenir un bien, remplir un objectif quelconque, il faudra mettre en œuvre les moyens proportionnés aux fins que l’on se propose d’atteindre, autrement dit ordonner les causes aux effets. Pour créer une horloge, l’horloger sait qu’il doit ordonner tel composant, tel type de métal, d’une manière déterminée au but qu’il se propose d’atteindre.

Dans ces exemples, le principe général admis implicitement par tous est donc le suivant : l’être ne peut pas provenir du néant. Rien ne produit rien : si quelque chose existe, il existe autre chose qui rends raison de son existence. Et si l’on ne fait strictement « rien », il ne se passera strictement rien. C’est suivant ces exigences fondamentales de la réalité que les scientifiques passent leur vie à chercher la cause des phénomènes physiques, biologiques, chimiques ou autre qu’ils observent, qui ne peuvent pas « provenir de nulle part ». C’est suivant cette même exigence que les hommes travaillent en vue d’obtenir certaines fins, et répètent à l’envi « qui ne tente rien n’a rien ».

Ce principe, appliqué à la question de l’existence de l’univers, doit nous mener au raisonnement suivant : l’univers, être contingent et fini qui a un jour commencé d’exister (1), ne peut pas trouver en lui-même la raison suffisante de son existence, pas plus qu’une horloge ne puisse trouver sa raison d’être en elle-même, comme si on pouvait expliquer son existence sans remonter à l’horloger. Pourtant, l’univers existe : il faut nécessairement, pour rendre raison de son existence, qu’il existe un être supérieur qui l’ait causé, car l’être ne peut pas provenir du néant. Un être supérieur, car le plus ne sort pas du moins. Mais cet être supérieur antécédant à l’univers n’est pas simplement un créateur fini, qui aurait pu lui-même être créé par un autre : si l’on pousse le principe d’identité et le principe de causalité jusque dans leurs dernières conclusions, il faut admettre qu’il existe, à l’origine de tout, un être qui seul trouve sa raison d’être en lui-même, qui seul ne soit pas causé, et seul soit absolument parfait et capable de causer tout ce qui existe hors de lui. C’est cet être que l’on appelle Dieu.

(1) L’univers a commencé un jour d’exister, même du point de vue des scientifiques athées. La « théorie de l’Expansion de l’Univers » suppose bien un commencement de l’univers.


Si ces raisonnements ne vous semblent pas encore suffisamment clairs, nous espérons que l’une ou l’autres des preuves vous fera fera ressentir plus clairement combien le bon sens amène à la certitude qu’il existe un Dieu. Des ouvrages d’une grande qualité existent sur le sujet et sauraient vous expliquer mieux que nous le fond de ces grandes questions (voir sur la page Documents la rubrique Apologétique). Nous ne faisons que résumer ce qu’ils disent de manière à toucher un public plus large.

Pour les lecteurs catholiques, nous rappelons que l’Eglise enseigne avec autorité qu’il est possible d’arriver par la seule raison à la certitude absolue de l’existence de Dieu, et non point simplement à une explication probable ou vraisemblable de l’existence de Dieu, comme le pensent fautivement un nombre toujours plus grand de catholiques. Voici à ce sujet un extrait du serment antimoderniste de Saint Pie X (« étrangement » supprimé par Paul VI) :

Et d’abord, je professe que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être certainement connu, et par conséquent aussi, démontré à la lumière naturelle de la raison « par ce qui a été fait » [Rm 1,20], c’est-à-dire par les œuvres visibles de la création, comme la cause par les effets.

Motu proprio Sacrorum antistitum, 1910

Pour être sérieusement antimoderniste, c’est à dire être capable de résister, dans l’ordre religieux ou dans tout les autres domaines de la vie, à ce que le monde moderne comporte de mauvais et de pervers, et être capable de proposer quelque chose de mieux (ce serait peu de choses de simplement dénoncer et condamner, s’il n’y avait pas en contrepartie des propositions positives à émettre), il faut à notre avis commencer par remettre Dieu au centre de tout, et donc remettre Dieu au centre de nos esprits : comprendre à quel point tout vient de Dieu, tout parle de Dieu, tout doit mener à Dieu. Il n’y aura pas de restauration de la société s’il n’y a pas d’abord, à ce niveau, une restauration des intelligences.

Dans ce monde dominé par des doctrines d’inspiration kabbalistique, nous noterons avec intérêt que que la « Genèse » de la Kabbale repose sur le principe suivant lequel l’être primordial créateur, Adam Kadmon, est issu de la contraction de l’En Sof, c’est à dire … du néant (2). Si l’on estime que ces doctrines mettent « tout à l’envers » dans l’ordre des valeurs et des principes fondamentaux de la vie humaine, alors pour « remettre les choses à l’endroit », il faut prendre le problème à la racine : non, il est absolument impossible et absurde que Dieu qui est l’être même ait pu « provenir du néant ». Dire que le « principe premier transcendant » est assimilable au néant, c’est la première et la plus fondamentale des absurdités, contraire au sens commun et à toute forme de réalité. Commencer par remettre l’être suprême, transcendant et créateur au centre de tout, comprendre à quel point son existence est évidente et nécessaire : voici ce que nous devrions faire, pour fonder la lutte contre les principes faux du monde moderne, et proposer en contrepartie les vérités éternelles qui seules sont capables de procurer la paix aux individus et aux sociétés, dès cette vie terrestre, et dans la vie du siècle à venir.

(2) Voici une explication du célèbre kabbaliste Charles Mopsik sur l’En Sof :
« Ce principe ne peut être identifié au Dieu des croyances et des pratiques religieuses. Rien ne saurait le définir et la notion même d’existence ne lui est pas applicable. Aussi, les cabalistes se sont demandé : comment faire pour que ce principe primordial et caché, dont on ignore même s’il existe, puisse vraiment avoir un sens pour nous les hommes ? Ce sont eux qui donnent un sens aux mots et aux choses qu’ils éprouvent. La pure transcendance n’a aucun intérêt et n’est rien (elle est même appelée parfois « néant ») ».


Preuves philosophiques

Les preuves physiques ou philosophiques de l’existence de Dieu sont des preuves a posteriori. Cela veut dire qu’elles s’appuient avant tout sur l’observation du monde et l’expérience. Ces données expérimentales sont par exemple : l’existence du monde, le changement, les enchaînements de causes, la contingence des êtres, l’ordre de l’univers. En plus cette expérience incontestable, elles utilisent les premiers principes de l’être qui sont tout autant incontestables. Ces principes sont : 1° le principe d’identité (une chose est ce qu’elle est et pas une autre) et le principe de non-contradiction (une chose ne peut pas, en même temps et sous le même rapport, être et ne pas être) qui sont identiques mais formulés différemment (l’un positivement, l’autre négativement), 2° le principe de causalité (du néant, sans cause, rien ne provient ou tout ce qui commence d’être, donc tout ce qui est contingent, a une cause proportionnée), 3° le principe de raison suffisante (tout ce qui est à de quoi être), 4° le principe de substance (il n’y a pas de changement sans chose qui change), enfin 5° le principe de finalité (aucun agent n’agit si ce n’est en vue d’une certaine fin, et tout ordre suppose un ordonnateur). Ces principes sont saisis intuitivement et immédiatement par l’intelligence (dès ses premiers pas chez l’enfant, l’intelligence les saisit au contact du réel, sans évidemment les formuler ainsi… mais comme exigence foncière et vitale de la raison) en tant que réalités premières, nécessaires et universelles sans lesquelles toutes les autres réalités ne seraient pas (et que ces réalités supposent donc forcément). Tous nos actes (fonctions vitales, connaissances, pensées, opérations extérieures, science etc.), du plus élémentaire au plus complexe, les suppose et les implique. Ce sont des évidences, au même titre (et même plus fondamentalement) que nos observations. A partir de ces données évidentes (observation et principes) mises en relations, on formule un raisonnement qui nous donne une conclusion déjà implicitement contenue ces données. Sans être une évidence au sens propre (une réalité qui n’exige pas de démonstration, étant antérieure à toutes les réalités pour nous), l’existence de Dieu découle naturellement de données évidentes, et jouit à ce titre d’une certitude absolue. Sa saisit appartient aussi aux données du sens commun, c’est-à-dire aux réalités auxquelles l’utilisation naturelle et spontanée de l’intelligence peut parvenir sans difficulté. Affirmer l’existence de Dieu et de ses attributs est inévitable et obligatoire pour rendre compte du réel en bonne intelligence. C’est ce qu’exprime bien le Père Jolivet:

Dieu tel que la raison le démontre ne représente pour nous qu’une hypothèse nécessaire. Mais nous ajouterons deux remarques. Nous observons, en premier lieu, qu’une hypothèse nécessaire, c’est-à-dire telle qu’en dehors d’elle le réel ne puisse être intelligible, est une véritable preuve. De toutes les choses qui ne s’éprouvent pas, soit qu’elles dépassent essentiellement l’expérience sensible, soit que par accident elles échappent à notre expérience individuelle, nous ne pouvons avoir d’autre preuve que rationnelle, mais quand cette preuve est donnée, nous la tenons pour décisive… Par suite, une expérience que conclut la raison fondée sur l’expérience peut bien recevoir, si l’on veut, le nom « d’hypothèse ». Cette hypothèse en fait est une certitude puisque sans elle le réel serait inintelligible. Que cette existence soit ensuite éprouvée, c’est un surcroît de preuve, mais ce n’est pas une condition sine qua non de la valeur de nos conclusions rationnelles. Par elle-même, et en dehors de l’expérience supplémentaire, la preuve vaut toujours. Il nous semble que l’hésitation de certains philosophes sur ce point provient d’une confusion entre l’hypothèse scientifique et l’hypothèse métaphysique. La première exige, en effet, d’être vérifiée par l’expérience pour avoir le droit d’être affirmée vraie, parce qu’elle a pour objet le monde de la contingence. Les lois physiques ne sont pas des expressions de la raison absolue: elles pourraient être autres sans contradiction. Très souvent même elles ne sont que de pures expressions symboliques du réel phénoménal. Par suite, dans le domaine physique, l’expérience sensible est le seul critère valable de l’hypothèse. Il n’en va pas de même au point de vue métaphysique. Les lois ou les existences métaphysiques que démontre la raison fondée sur l’expérience, ont une valeur absolue, parce que la démonstration porte, non plus sur les phénomènes, ou monde de la contingence radicale, mais sur les principes universels et premiers de l’être, c’est-à-dire sur le monde intelligible, domaine absolu de la raison soustraite à la contingence. L’hypothèse, en cet ordre, quand elle est nécessaire, c’est-à-dire, d’une part, quand elle est la seule possible, et que, d’autre part, sans elle, la contradiction s’installe au sein de l’être, devient une certitude, et même, en droit, la plus haute certitude dont nous soyons capables. Et l’expérience directe (quand elle est possible) des réalités conclues par la raison métaphysique, ne peut rein y ajouter qu’un surcroît accidentel et nullement requis.

Père René Jolivet, Etudes sur le problème de Dieu dans la philosophie contemporaine, Vitte, 1932

Ou encore le Père Garrigou Lagrange :

Il faut choisir: Dieu, ou l’absurdité radicale.

R.P. Réginald Garrigou Lagrange O.P., Dieu accessible à tous, 2015 (réédition), éditions Quentin Moreau

Ainsi, nous remontons, à partir des seules évidences exposées ci-dessus, sans présupposés indus, des effets à la cause. Et ainsi nous nous élevons des choses qui sont mues au premier Moteur immobile, des causes subordonnées à la Cause première, des êtres contingents à l’Être nécessaire, des degrés de perfection au souverain Parfait, de l’ordre de l’univers à l’Intelligence ordinatrice.

L’exposé qui suit reprend en substance les travaux de l’abbé Robert et du chanoine Texier, dont vous trouverez les liens dans notre bibliothèque. Nous nous sommes permis d’ajouter des choses entre parenthèses ou dans le texte lui-même.

Le premier moteur

L’observation la plus vulgaire et l’expérience scientifique la plus rigoureuse proclament que les choses de cet univers sont en mouvement. En effet, les choses les plus microscopiques (atomes, électrons, molécules) comme les immensités de l’univers (planètes, étoiles, galaxies) sont en mouvement. Elles bougent, elles croissent et s’altèrent, elles naissent et meurent. Mais ce mouvement, d’où vient-il? Appartient-il essentiellement aux êtres qui se meuvent? En d’autres termes, les choses de ce monde sont-elles elles-mêmes le principe adéquat du mouvement dont elles sont le sujet? Sont-elles à la fois moteur d’où le mouvement procède et le mobile qui le reçoit? On ne saurait le soutenir sans contredire le bon sens et la raison.

Qu’est-ce que le mouvement? Nous appelons de ce nom toute mutation ou tout changement en vertu duquel une chose va d’un lieu à un autre (mouvement local), ou bien passe d’un état à un autre pour acquérir ce qu’elle n’avait pas et pour devenir ce qu’elle n’était pas (mouvement substantiel ou de génération/corruption; mouvement quantitatif ou d’accroissement/diminution; mouvement qualitatif). Soit un bloc de marbre dont on fait une statue. Avant le changement, le bloc possède une aptitude réelle à devenir un objet d’art, après le changement, il est le chef-d’oeuvre admiré de tous. Pendant le changement, il passe d’un état à un autre, de l’état de perfection possible et réalisable dont il était auparavant susceptible, à l’état de perfection actuelle et réalisée que maintenant il possède de fait, de l’état inachevé à l’état achevé, il passe  » de la puissance à l’acte », pour parler le langage des philosophes. Ce passage de la puissance à l’acte est le mouvement.

Mais est-il possible que le bloc de marbre informe passe de lui-même de la puissance à l’acte, ou mieux, se transforme en statue? Le bon sens et la raison répondent négativement, puisque aucun être ne peut se donner une réalité ou une perfection qu’il n’a pas. La bloc de marbre, pur devenir oeuvre d’art, doit subir l’action du ciseau manier par l’intelligence et la force du sculpteur. Il faut donc admettre que, pour passer d’un état à un autre, toute chose doit recourir à une cause extérieure, autrement dit: tout être en mouvement est mû par un autre. D’autre part, on le constate facilement, le monde est composé d’êtres qui sont à la fois moteurs et mobiles, moteurs par rapport à un mobile qu’ils meuvent, mobiles par rapport à un moteur qui les meut.

Cependant allons-nous remonter par la pensée de moteur en moteur indéfiniment et sans nous arrêter jamais (à la fois dans le temps et actuellement)? Ne devons-nous pas plutôt conclure qu’il doit exister nécessairement au-dessus de tous ces moteurs dont l’un pousse et meut l’autre, un moteur premier, indépendant, qui les domine tous qui imprime à tous et à chacun d’eux, par l’intermédiaire de certains autres, le mouvement que lui-même ne reçoit pas, parce qu’il n’a pas besoin de le recevoir, entendu qu’il en est la source inépuisable? Sans lui le mouvement des autres est inexpliqué et inexplicable. Or ces mouvements innombrables sont donc lui est aussi. Lorsqu’on voit, échelonnés sur le flanc d’une colline, une série de réservoir dont le supérieur alimente l’inférieur, on en conclut, sans qu’on ait besoin de le voir et sans crainte d’erreur cependant, qu’il y a quelque part là-haut, sur le sommet, un réservoir plus vaste, un réservoir-source dont les eaux jaillissantes se répandent sur les bassins inférieurs, de l’un à l’autre jusqu’au dernier. Supprimer cette source; tous les bassins qu’elle alimentait seront à sec. Ainsi en est-il de toute série de moteurs actuellement et essentiellement subordonnés. Supprimer le premier, les autres n’agissent plus; ils n’existent plus, du moins comme moteurs. Or ce premier moteur, source de tout mouvement, nous l’appelons Dieu.

Premier moteur indépendant et dont dépendent tous les autres, Dieu ne peut donc pas changer, il est immuable. Le changement étant le passage de la puissance à l’acte, ce premier moteur est forcément un acte pur, c’est à dire pure perfection. Il ne peut rien perdre ni rien acquérir puisqu’il est déjà la plénitude de la perfection. Il donne sans rien recevoir.

La cause première

La science et l’expérience s’accordent encore pour admettre dans le monde une série de causes efficientes subordonnées. Les créatures les plus petites ou les plus imparfaites comme les créatures les plus complexes, un grain de sable, un moucheron, un homme ou un ange par exemple, exigent tout un ensemble d’influences cosmiques et de conditions naturelles dépendantes les unes des autres, nécessaires à leur production (naissance, apparition), à leur conservation et à leur action. Il en va ainsi pour absolument tous les êtres organiques et inorganiques qui s’étalent sous nos yeux.

Mais ces influences dépendantes l’une de l’autre, ces causes subordonnées, ne peuvent pas être causes d’elles-mêmes, car la cause est avant l’effet (au moins d’une antériorité de nature, si ce n’est d’une antériorité de temps) et le sujet (la pierre, le grain de sable, l’homme…) qui subit l’effet est incapable de se donner lui-même ce qu’il n’a pas; et, si ces causes subordonnées se donnaient l’existence, elles seraient antérieurs à elles-mêmes, ce qui est absurde et impossible.

Il faut donc admettre que cet ensemble presque infini (des milliards de milliards à la seconde partout dans l’univers!) de causes subordonnées et dépendantes l’une de l’autre, n’existant par par soi, dépendent de causes supérieures et antérieures qui, à leur tour, sont subordonnées à d’autres. Mais on ne peut aller à l’infini dans la série des causes! Tôt ou tard, on se heurte à une cause non causée qui a l’être par soi et qui le donne et le conserve aux autres, sans laquelle aucune existence ne subsiste. Cette source première de tout être et de toute activité, cause première de toutes choses, à la fois dans le passé et dans le présent, nous l’appelons Dieu.

L’être nécessaire

Tous les êtres qui nous entourent, et nous-mêmes, nous pourrions ne pas exister: l’existence de ces personnes et de ces choses n’est pas nécessaire, car elles n’ont pas en elles-mêmes, dans leur nature, une explication suffisante de leur existence. Elles sont contingentes. La nature d’un arbre, par exemple, fait qu’il est arbre, c’est-à-dire un végétal à tige ligneuse; elle nous dit ce qu’il est (son essence), s’il existe, mais elle n’exige pas qu’il soit (son existence): elle n’explique pas le fait de son existence: voilà la constatation tirée de l’expérience et de la réalité.

Or, pour tout ce qui existe, il y a nécessairement une explication de cette existence. Si cette explication ne se trouve nullement dans la nature de cet être, elle réside en un autre. N’étant pas son existence et n’exigeant pas en soi d’exister, cet être a nécessairement reçu son existence car on ne peut pas se donner ce qu’on a pas.

Donc, aucun des êtres qui nous entourent ne possédant en lui-même cette explication, elle se trouve nécessairement dans un autre Être distinct du monde et qui, par sa nature, suffit à expliquer et leur existence et la sienne propre: car cet Être a pour nature même d’exister, il est l’Existence, il ne peut pas ne pas exister; Il est est nécessaire; c’est Dieu. Et si dans un seul point du temps et de l’espace rien ne fut alors éternellement rien ne serait puisque du néant sans cause rien ne provient. Or des choses sont donc cet Être existant par soi existe forcément et cette existence est forcément éternelle. Le temps implique nécessairement l’éternité comme le contingent implique le nécessaire.

L’être souverainement parfait

Parmi les êtres créés qui composent l’univers, nous observons une certaine gradation, différents degrés de perfection. Nous constatons de la vie, de la beauté, de la bonté, de la sainteté, de la sagesse à divers degrés dans divers créatures. En revanche, toutes ces créatures ne sont pas La Vie, La Beauté, La Bonté ou La Sainteté, ils y participent simplement selon leurs propres limites, sans en épuiser jamais les richesses. Les uns sont supérieurs ou inférieurs au autres, aucun n’est absolu, tous sont relatifs.

Or, toute comparaison et toute gradation supposent un dernier terme, une source plénière : le relatif suppose un absolu; l’imparfait, un parfait; le fini, un infini. Sans cela, ces degrés de perfection seraient inexplicables et n’auraient aucune raison d’être. N’étant pas eux-mêmes la perfection souveraine (La Vie, La Bonté…), ils n’ont pu se la donner ou la tirer du néant, ils l’ont forcément reçue d’un autre.

Il doit donc y avoir quelque part une plénitude d’être, c’est-à-dire un être absolu, simple et sans gradation ni composition, parfait et infini, d’où tous les autres découlent comme de leur source unique. « Il y a quelque chose, écrit saint Thomas, qui est le Vrai, le Noble, et par conséquent l’être par excellence, qui est cause de ce qu’il y a d’être, de bonté et de perfection dans tous les êtres et c’est cette cause que nous appelons Dieu. »

L’intelligence ordinatrice

On constate aisément dans le monde qui nous entoure, dans chaque être et en nous-mêmes, un ordre merveilleux. Que l’on étudie l’instinct des animaux; que l’on contemple les merveilles du monde astral et des globes innombrables qui enchevêtrent leurs mouvements de toutes sortes à des vitesses vertigineuses et avec une constance extraordinaires; qu’on se transporte dans le monde biologique et qu’on envisage le corps humain: notre œil, appareil photographique si merveilleusement organisé et impossible à reproduire comme tel; notre oreille, piano microscopique si prodigieusement accordé; notre cœur, nos appareils respiratoires, digestifs et autres qui sont autant d’usines si complexes, si efficaces et si parfaitement agencées; que l’on admire la vie en général, son dynamisme interne avec la reproduction, l’assimilation nutritive, la croissance, la régénération physiologique! autant de réalités qu’aucune intelligence humaine n’a jamais su réaliser et ne saura jamais réaliser. on reste toujours frappé de cette adaptation continuelle de moyens en vue d’une fin. La science nous montre sans cesse davantage que tout obéit à des lois de plus en plus générales qui mettent l’unité dans la variété; tout constitue un organisme puissant et grandiose où chaque rouage, chaque organe est parfaitement adapté à son but; cet ordre est universel dans la monde. Cet ordre est aussi essentiel au monde. S’il n’existait pas ou s’il existait autrement, le monde serait différent de ce qu’il est.

Or tout ordre dénote une fin, un but qu’on désire atteindre et des moyens proportionnés pour l’atteindre. Il suppose donc une intelligence qui a vu ce but et proportionné ces moyens. En effet, si vous trouver un livre dans la rue, vous comprenez rapidement qu’un être intelligent a eu l’intention d’écrire ce livre en disposant les lettres et les mots de manière à donner un sens à son oeuvre. Un seul mot, une seule phrase supposeraient déjà l’action d’une telle intelligence. Si un ami vous suggérait que ce livre s’est fait progressivement, par la force du temps et le travail des siècles, ou bien par une rencontre fortuite de papier (déjà confectionné de manière fortuite à partir d’un arbre coupé et transformé de manière fortuite lui aussi), d’encre (évidemment produite par hasard elle aussi), d’une pointe de stylo quelconque (qui aurait eu la chance d’être bougé pour former les lettres par hasard et surtout d’avoir de l’encre en sa pointe, la chance!) et de beaucoup d’autre conditions… vous le prendriez pour un fou. Et pourtant combien l’univers (et même la moindre portion de matière inerte avec ses atomes, ses molécules, ses propriétés; ou le moindre organisme vivant avec son ADN qui exige une minutieuse, extraordinaire et inimaginable correspondance entre chaque nucléotide et chaque chaînon, puis entre chaque brin moléculaire et entre chaque chromosome… au sein d’un noyau cellulaire tout aussi complexe. Une seule erreur empêcherait l’être vivant d’être ce qu’il est et pourtant les êtres se succèdent depuis des générations! ) est-il plus complexe qu’un simple livre… combien donc l’univers a-t-il été créé par une intelligence et une puissance infiniment plus grandes que celles d’un homme. L’ordre du monde exige donc une intelligence pour le concevoir, en même temps qu’une puissance pour le réaliser. De tout évidence cette intelligence n’est pas l’intelligence humaine : c’est une intelligence bien supérieure à la nôtre, puisque nous avons beaucoup de peine à découvrir, les unes après les autres, et toujours avec admiration, les diverses lois de ce monde immense, depuis les infiniment grands jusqu’aux infiniment petits. Et la puissance qui a réalisé cet ordre est aussi bien supérieures à la nôtre car nous n’apprendrons que peu à peu à agir partiellement que les forces de la nature. Comme cet ordre est essentiel au monde et non surajouté aux êtres, il doit nécessairement venir de l’auteur du monde. Or cet auteur du monde doit avoir, comme il a été déjà démontré, une nature infinie, nécessaire et parfaite.

Donc il existe un esprit infini, une intelligence parfaite et toute-puissante, créatrice et conservatrice du monde et de son ordre. Au spectacle de la nature, Dieu nous apparaît comme « l’invisible évident ».

Un athée demanda à l’astronome Athanasius Kircher S.J. qui avait fait la belle mappemonde
posée sur sa table. — Personne, répondit le savant, elle s’est faite par elle-même. — Quelle folie, allons !
Je ne suis pas un enfant… — Tu ne crois pas que cette mappemonde s’est faite par elle-même. Pourquoi
donc dis-tu que le monde n’a pas été créé par Dieu mais s’est fait tout seul ?

Père Tomaso Dragone, Explication du catéchisme du saint Pie X, « Question 1: Qui nous a créés?, Exemple »

Preuves psychologiques et morales

Ces preuves ne sont que des confirmations des preuves précédentes. Elles montrent par certains faits combien l’idée de Dieu et le sentiment de son existence sont naturels à l’homme. C’est donc qu’il peut y arriver aisément par l’examen des choses et l’utilisation de son esprit. Elles montrent aussi l’existence de Dieu comme nécessaire pour l’exécution logique et raisonnable de diverses actions ou tendances qui entrent dans l’activité proprement humaine, rationnelle et libre: les actions et tendances religieuses et morales qui sont naturelles à tous les hommes.

Le consentement universel

Malgré les négations peu sincères ou trop intéressées de quelques groupes ou personnes isolés, tous les peuples, à toutes les époques et sous toutes les latitudes ont reconnu (bien que se trompant souvent sur sa vraie nature) l’existence d’un Dieu, être suprême, créateur et conservateur du monde.

Vouloir expliquer une affirmation aussi constante et aussi universelle par la duperie, la crainte ou l’ignorance ne présente évidemment aucune valeur scientifique.

La seule explication possible et solide, c’est que tous les hommes se servent de la lumière naturelle de leur intelligence: s’appuyant sur le principe de causalité, ils ont conclu que le monde où ils vivaient était un oeuvre et que, pour faire et conserver cette oeuvre, il fallait un ouvrier infini et tout-puissant. La croyance en Dieu est donc une sorte de cri de la nature, conclusion légitime de l’exercice normal de nos facultés intellectuelles.

On dit souvent que le consentement universel au sujet de l’existence de Dieu est l’effet des « préjugés de l’éducation », de « l’ignorance de peuples » et des « superstitions de la foule ».

Mais si l’éducation a été la cause de la propagation de la croyance en Dieu, il faut admettre que les éducateurs (les parents ou leurs légitimes représentants) ont cru unanimement à l’existence d’un être suprême communément appelé Dieu. Dans ce cas, comment expliquer cette unanimité parmi les éducateurs, puis parmi les anciens éducateurs de ces éducateurs, et ainsi de suite? D’ailleurs, les préjugés et l’éducation varient chez tous peuples. Une cause aussi disparate aurait-elle pu produire un effet toujours identique, invariable, comme le consentement universel?

L’ignorance des peuples est la cause des erreurs et des absurdités concernant la nature de Dieu (polythéisme, panthéisme, idolâtrie, anthropomorphisme etc.). Mais pour constater son existence, le bon sens de chaque homme, si inculte qu’on le suppose, suffit à la rigueur.

La peur et la superstition n’ont pas non plus inventé l’existence de Dieu. En effet, la crainte, bien loin de créer l’idée de Dieu, la suppose déjà existante. Au reste, cette crainte conduit plutôt à la négation qu’à l’affirmation de Dieu, car l’impie nie Dieu parce qu’il en a peur. Enfin, la peur produite par des phénomènes impressionnants (tempêtes, orages, catastrophes naturelles, etc.) et supposément inexpliquées dans des temps reculés, reste une réaction passionnelle, brève et changeante. Comment un simple sentiment réactif et changeant (donc propre à chaque individu et très divers selon les lieux et les temps) aurait pu donner lieu à un système de croyance plus ou moins cohérent, justifié tant bien que mal selon les peuples et affirmer avec constance. Les activités religieuses (amour, sacrifice, prière, vertu, spiritualité) relèvent d’un ordre supérieur à la sensibilité et ne peut donc s’expliquer entièrement par elle.

La constatation d’une loi morale

Tous les hommes reconnaissent, de quelque façon, la loi morale de la conscience, avec son obligation et ses sanctions.

Or il n’est pas de loi sans législateur; pas de sanction sans rémunérateur sage, puissant et juste: sans cela la morale n’a plus de sens.

C’est donc que les hommes reconnaissent plus ou moins confusément l’existence d’un maître suprême et législateur en même temps que rémunérateur de l’homme.

Les aspirations vers l’infini

Tous les hommes aspirent à une vérité toujours plus complète et claire, à un bonheur toujours plus parfait, comme s’ils étaient faits pour l’infini: « Malgré moi, l’infini me tourmente » dit le poète. C’est donc que dans la nature humaine, il y a de façon universelle un mouvement de tendance vers une fin dernière parfaite. De plus, ce désir de bonheur total et d’infini n’est jamais comblé sur terre. La vie apporte toujours son lot de souffrances et le bonheur dont on peut profiter est toujours limité en intensité et en durée.

Or une tendance naturelle, comme celle-ci, exige et suppose un objet réel.

Ces aspirations éprouvées dans toute l’humanité exigent donc qu’existe un être infini et parfait pour les combler: Dieu.

Les erreurs de Vatican II

Texte tiré du document « Vatican II, le Pape et la FSSPX » de Mgr Sanborn.

La liberté religieuse

L’enseignement de Vatican II sur la liberté religieuse, contenu dans Dignitatis Humanæ, affirme presque mot à mot la doctrine même qui avait été condamnée par le pape Pie VII dans Post Tam Diuturnas, par le pape Grégoire XVI dans Mirari Vos, par le pape Pie IX dans Quanta Cura, et par le pape Léon XIII dans Libertas Præstantissimum. L’enseignement de Vatican II sur la liberté religieuse contredit aussi la royauté de Jésus-Christ dans la société exprimée dans Quas Primas du pape Pie XI, et contredit également l’attitude et la pratique constante de l’Église vis-à-vis de la société civile

La collégialité

L’enseignement de Vatican II concernant la collégialité modifie la constitution monarchique de l’Église Catholique, qui a été établie par le Divin Sauveur. La doctrine de Vatican II, confirmée par le Code de Droit Canonique de 1983, qui stipule que le sujet (le possesseur) de l’autorité suprême de l’Église est le collège des évêques avec le pape, est contraire à la doctrine définie par le Concile de Florence et le Concile Vatican I.

La Nouvelle Messe et les changements liturgiques

Les changements liturgiques de Vatican II reflètent les erreurs doctrinales que je viens de mentionner. La nouvelle liturgie est une liturgie œcuménique, qui cherche à effacer toutes les doctrines qui sont proprement catholiques, et à faire de la liturgie catholique une forme de culte qui n’offenserait aucun Protestant. C’est un culte centré sur l’homme, dépouillé de tout symbolisme du surnaturel. L’Ordo Missae de Paul VI est une discipline liturgique mauvaise, parce que (1) il contient une définition hérétique de la Messe ; (2) il fut composé dans le but exprès de créer une liturgie œcuménique, qui plaise aux Protestants, dépouillée des vérités catholiques concernant le sacerdoce, le Saint Sacrifice de la Messe, et la Présence Réelle du Christ dans la Sainte Eucharistie ; (3) il fut composé avec l’aide et l’impulsion de six ministres Protestants, ce qui montre l’esprit hérétique dans lequel il a été conçu et formulé ; (4) ses auteurs ont systématiquement supprimé de son prières et leçons les doctrines qui seraient offensives aux hérétiques ; (5) elle enseigne, à la fois par ses omissions et par son symbolisme et ses gestes, des hérésies et des erreurs concernant le sacerdoce, le Saint Sacrifice de la Messe, et la Présence Réelle du Christ dans la Saint Eucharistie.
En outre, il est très probablement invalide en raison d’un défaut d’intention qu’il provoque chez celui qui le célèbre, et en raison, au moins dans le vernaculaire, d’une altération blasphématoire des mots du Christ dans la formule de consécration

L’œcuménisme

L’enseignement de Vatican II concernant l’œcuménisme, qui stipule que les religions non- catholiques sont un moyen du salut, est complètement hérétique. Cette doctrine contredit directement l’enseignement de l’Église, à savoir, qu’il n’y a pas de salut en dehors de l’Église Catholique, appelé par le pape Pie IX un dogme Catholique très bien connu. En outre, les pratiques œcuméniques qui ont résulté de cette doctrine hérétique sont directement contraires à Mortalium Animos du pape Pie XI.

En complément, nous vous conseillons ce site répertoriant les problèmes de Vatican II http://www.etudesantimodernistes.fr/vatican-ii.html



https://data.over-blog-kiwi.com/1/99/48/58/20160418/ob_51652e_mgr-sanborn-resistance-et-indefect.pdf

Pourquoi être catholique plutôt qu’orthodoxe (5/7)


Raisons historiques : la chrétienté affirme la papauté


6- Les Papes et l’âge d’or de la chrétienté

Le Pape Honorius III et Saint François d’Assise

Si la papauté était une invention diabolique issue de la soif de pouvoir des Latins, il s’en serait suivi comme conséquence logique que le monde catholique, dirigé par ce pouvoir tyrannique et injuste, se serait séparé de Dieu et aurait sombré dans la décadence la plus terrible à partir du moment où les “prétentions excessives” du pape auraient causé sa séparation de l’Eglise universelle. C’est ainsi que certains ignorants parlent de l’histoire de l’Occident depuis le schisme. 

Pourtant, si l’on s’efforce d’étudier honnêtement l’histoire de cette période, c’est exactement l’inverse qui se produit : le renforcement de la papauté, l’affirmation de plus en plus claire de ses pouvoirs, coïncide avec l’âge d’or de la chrétienté. Et nous ne parlons pas ici d’un âge d’or purement matériel ou extérieur, mais bien d’un âge d’or de la vie spirituelle, de la vie religieuse, de la justice chrétienne, de la ferveur et de la charité. Les XIIe et XIIIe siècles sont les siècles les plus glorieux de l’Occident chrétien, conséquences directes de la réforme grégorienne et de la liberté de l’Eglise permise par la lutte des papes contre les abus des pouvoirs temporels. Cet âge d’or est spécialement un âge d’or de la vie religieuse, avec la création de nouveaux ordres religieux actifs et contemplatifs, qui ont transformé le monde par leurs prières, leurs sacrifices, leurs œuvres de bienfaisance, leurs écrits et leurs exemples. Dans les siècles suivants, spécialement les XVIe et XVIIe siècles, un immense élan missionnaire a apporté la foi jusque dans les parties les plus reculées de l’Amérique et de l’Asie, bien souvent au prix de la vie des missionnaires qui meurent en martyr aux mains des païens, comme les Apôtres de Jésus-Christ aux débuts de l’Eglise. Tous les ordres religieux missionnaires travaillent en étroite collaboration avec la papauté, qui les approuve, les encourage, les finance, les envoie directement en mission dans certains endroits. Cet élan missionnaire continue et gagne de nouveaux horizons aux XIXe et XXe siècles, alors même que le monde entier commence à s’enliser dans le laïcisme et le rationalisme.

On peut voir à travers les âges, et spécialement à partir de la réforme grégorienne (c’est à dire du XIe siècle qui est aussi l’époque du schisme), la papauté agir constamment sur ces différents fronts : 

1- La défense de la loi de Dieu face aux puissants du monde. On a vu depuis l’antiquité des papes s’opposer courageusement aux empereurs, aux rois, à des chefs barbares ou à d’autres sortes de seigneurs temporels, chaque fois que l’orthodoxie et les droits de l’Eglise étaient mis en cause. Tous les papes n’ont pas eu le même courage, la même vigueur et la même prudence ; mais à l’échelle de l’histoire de la papauté, on peut voir que l’institution en elle-même a constamment défendu la loi de Dieu contre les lubies des puissants, contre les mondains, contre les novateurs. Elle a combattu avec une spéciale vigueur la franc-maçonnerie et les sociétés secrètes, alors même que le pouvoir temporel de Rome était réduit à néant par l’agression de ces forces occultes, et que ces sociétés et leur esprit avaient de fait pris le contrôle du monde entier. 

2- La promotion de la vie religieuse. Des ordres religieux tels que les Cisterciens, les Carmes, les Franciscains et les Dominicains ont été, depuis toujours, directement soutenus par les Papes qui n’hésitaient pas à confier des responsabilités importantes aux membres de ces ordres. Les papes ont toujours enseigné la supériorité de la vie religieuse sur l’état laïc ou même sur le simple état clérical, et contribué à guider de nombreuses âmes vers le chemin du renoncement total au monde et du don de sa propre vie pour le salut des âmes.  

3- L’élan missionnaire. Le Saint-Siège a toujours été fidèle à la mission apostolique de porter l’évangile à toutes les nations. Au cours des siècles, Rome envoie de courageux missionnaires en Amérique, en Asie, en Afrique et en Océanie, dans des territoires parfois complètement étrangers à l’influence politique et culturelle de l’Occident. Il n’a jamais suffi à la papauté de se contenter d’évangéliser les peuples conquis, comme faisaient les Russes ; il faut évangéliser le monde entier, et l’on voit à travers les siècles les papes soutenir continuellement les efforts des missionnaires. 

4- La lutte contre les hérésies. Ceci est la grande gloire de Rome, si on ne devait n’en garder qu’une, qui est d’avoir toujours condamné les hérésies et défendu la foi orthodoxe, avec la même fermeté et la même constance à travers les siècles. Les Pères de l’Eglise avaient tous reconnu en Rome le siège de la véritable orthodoxie, le refuge sûr contre les fausses doctrines des hommes, et l’on voit des évêques aussi glorieux que Saint Athanase et Saint Jean Chrysostome recourir à Rome comme à l’ultime marteau des hérésies. 

5- Les œuvres de bienfaisance temporelle. Concernés d’abord par la propagation de la foi et la défense de la vraie doctrine, les papes se sont aussi souvent distingués pour les œuvres de charité envers les pauvres, mais aussi pour tout type d’œuvres bienfaisantes dans l’ordre temporel : soutien de l’art et de la littérature, soutien de toutes les sciences naturelles (l’Académie pontificale des sciences, fondée en 1603, est la toute première académie scientifique d’Europe), travail à la paix entre les peuples et entre les princes. Ainsi le pape n’était pas seulement le Père de tous les chrétiens dans un sens spirituel et religieux, mais aussi, souvent, dans un sens temporel, ne dédaignant jamais une occasion d’améliorer la vie terrestre des chrétiens, comme un père qui se soucie du bien de ses enfants sous tout rapport. 

Un “orthodoxe” ou un protestant qui fait preuve d’honnêteté intellectuelle sera capable de reconnaître que la papauté a fait de grandes choses pour la propagation de la foi dans le monde et dans les sociétés qui étaient sous son influence, pour le soulagement des maladies et de la pauvreté, ainsi que pour la culture des sciences et des arts. S’il voulait toujours rejeter le principe de la papauté, il lui faudra au moins reconnaître que l’histoire a compté de “grands papes” qui ont œuvré avec toute la sincérité de leur âme à la propagation de la foi chrétienne, et ont obtenu en cette matière de grands résultats, car ceci appartient strictement à l’ordre des faits.

Des exemples de cette honnêteté sont rares, mais on les trouve par exemple dans la biographie de Grégoire VII écrite par le luthérien Martin Johannes Voigt : étudiant les documents historiques de l’époque, il ne peut qu’admettre que les légendes que l’on colporte sur le saint pape dans son pays (l’Allemagne) et chez tous les ennemis du catholicisme (protestants, orthodoxes, gallicans) sont sans fondement et que Grégoire VII, quoi que l’on pense de la papauté, était un vénérable homme de Dieu, humble et détaché du monde, dont la principale préoccupation était le salut des âmes, et dont la seule faiblesse était une bonté légèrement excessive. Voigt n’en conclus pas qu’il faut être catholique (il considère malheureusement que Grégoire VII est un chrétien “aussi admirable que Luther”) mais son étude historique montre que les faits sont du côté du catholicisme. 

Il est frappant de voir à quel point le grand nombre, y compris des catholiques, ignorent tout ou quasiment tout de l’histoire de l’Eglise. Cette ignorance joue beaucoup à notre avis dans l’attrait pour “l’orthodoxie” (et, accessoirement, dans le succès des doctrines lefebvristes qui insultent et diminuent la papauté) : car qui connaît l’histoire de l’Eglise peut contempler les gloires de la papauté, et s’y attacher comme une source évidente de bienfaits pour le salut des âmes et le respect de la loi de Dieu dans les sociétés. Le catholique qui connaît l’histoire de la papauté s’y attache par un amour filial et reconnaissant, et ne supporte pas les mensonges et les affronts des schismatiques, qui accusent de tous les maux une institution qu’ils ne connaissent pas et que leurs propres pères honoraient avec la même révérence filiale que les catholiques d’après le schisme.


7- Les saints affirment la papauté

Cet argument ne résonnera peut-être pas autant chez tout le monde. A titre personnel, ce seul argument est suffisant pour nous convaincre absolument et définitivement qu’il est impossible que la véritable Eglise soit la “communion orthodoxe” à l’exclusion de l’Eglise catholique, qui elle aurait sombré dans l’hérésie.

Une église hérétique ne pourrait pas produire autant de fruits de sainteté, indiscutablement documentés par des témoignages de première main. De véritables saints, remplis de l’amour de Dieu et de la lumière du Saint-Esprit, ne pourraient pas donner un témoignage continuel et explicite en faveur d’une doctrine hérétique et d’un faux chef de l’Eglise. Or tous les saints que nous connaissons, dont la vie est documentée dans le cadre des procès de canonisation, étaient en communion avec le Saint-Siège, et certains d’entre eux ont professé de manière particulièrement explicite et insistante qu’il était nécessaire d’être en communion avec le Saint-Siège pour sauver son âme. 

Une objection surgira immédiatement de la part des schismatiques : nous avons aussi nos saints ! Ils sont la preuve que notre église est la vraie ! A cette objection, il suffit de répondre :

  • Que les “églises orthodoxes” n’ont aucune procédure spéciale pour la canonisation, et qu’il n’existe rien qui puisse ressembler aux procès de canonisation tels qu’ils existent dans le catholicisme depuis le Moyen-Age. Chez les orthodoxes un “saint” est quelqu’un qui a une simple réputation de sainteté, quelqu’un dont on estime que le corps est miraculeusement conservé, ou quelqu’un que les évêques d’une église particulière auront décidé d’honorer d’un culte pour une raison ou une autre, par exemple pour des raisons politiques (cf. la Serbie du XIIIe siècle), et il n’y a pas vraiment moyen de savoir si les différents témoignages populaires à son égard sont basés sur des faits réels, ou sur des exagérations et des inventions. 
  • Qu’en contrepartie le nombre de saints catholiques dont la vie est connue avec un niveau de détail très précis, avec un recueil de témoignages oculaires de première main et de témoins indépendants les uns des autres, est immense en comparaison des quelques “saints” postérieurs au schisme que le folklore orthodoxe se plaît à honorer.
  • Que si les “saints orthodoxes” sont aussi véridiques que les saints catholiques, cela voudrait dire à tout le moins que l’Eglise catholique reste une véritable église chrétienne bénie par Dieu (ce qui est loin d’être la position officielle des  “orthodoxes”, qui considèrent que Rome est hérétique et séparée de l’Eglise, bien que certains d’entre eux aient exprimé une opinion contraire). 

On peut citer certains saints catholiques très célèbres dont la réputation n’est pas due uniquement à “l’imagination enflammée des catholiques” puisqu’elle a été confirmée par des témoignages extérieurs au catholicisme : par exemple Saint François d’Assise, Saint Dominique, Saint François de Sales, Saint Ignace de Loyola, tous les saints missionnaires. Tous les hommes qui ont rencontré ces personnages, y compris des mauvais chrétiens, des païens, des hérétiques ou autres ennemis de l’Eglise, ont été impressionnés par leur vertu éclatante, qui était un signe évident de leur parfaite union à Dieu, de l’intensité de leur vie surnaturelle.

On pourrait tenter de dire : ils étaient des chrétiens sincères et des hommes très vertueux, qui sont restés unis à Rome par ignorance. S’il n’y en avait eu que deux ou trois, pourquoi pas : le problème est qu’il y en a des centaines, et que pour beaucoup d’entre eux il est évident que leur union à Rome n’était pas justifiée par une ignorance de l’histoire de l’Eglise ou des dogmes de la foi : bien au contraire, leur union à Rome était motivée par des connaissances précises et exprimée en des termes très forts. Beaucoup ont été des apologètes du Saint Siège, notamment contre les protestants. Saint Alphonse de Liguori, qui est peut-être l’un des plus grands saints et des plus grands docteurs de l’Eglise, a spécifiquement écrit contre les “orthodoxes” et la révolte photienne, dans son Histoire des hérésies et leur réfutation.

Saint Alphonse en extase devant le Saint Sacrement

Il est impossible qu’autant de saints, autant d’hommes parfaitement unis à Dieu, qui souvent ont réalisé des miracles attestés par de nombreux témoins, aient erré ensemble sur une question aussi importante que celle de savoir quelle est la véritable Eglise. Leur témoignage est plutôt une preuve que pour être un ami de Dieu, il faut être uni au successeur de Saint Pierre. En sens contraire, on n’a jamais vu un tel niveau de vertu chez les tristes apologètes de “l’orthodoxie”, qui font de la haine de Rome l’essence de leur religion, et qui s’enferment volontairement dans les horizons étroits du nationalisme.

Est-il seulement possible qu’un Saint François d’Assise apparaisse dans une église schismatique et hérétique ? Non, c’est absolument impossible, et la simple contemplation de ce fait suffit à détruire en un instant toutes les fausses doctrines des schismatiques, comme un château de carte soufflé par le vent.


8- Les miracles se produisent dans la communion catholique

Le miracle est le signe de Dieu. Par les miracles Dieu a indiqué dans l’Ancien Testament, ainsi que lors de son Incarnation et de sa venue sur terre, qu’il était le seul Seigneur et que sa parole était véridique. Par ses miracles Dieu a confirmé l’Eglise naissante, les apôtres convertissant les foules par leurs miracles. Par ses miracles Dieu montre aux hommes, à travers les siècles, quelle est la véritable Eglise. 

Les “orthodoxes” prétendent certes avoir des miracles. Mais c’est également le cas des protestants et des musulmans. La différence entre ces “miracles” et ceux des catholiques, c’est que dans le premier cas il n’y a aucune espèce d’examen sérieux pour savoir s’il s’agit d’un véritable miracle ou non, il faut se contenter de la foi d’un témoin isolé, ou de simples apparences superficielles. Comme dans le cas de la canonisation, il n’existe pas chez les schismatiques de procédure d’examen spécifique comme il en existe dans l’Eglise catholique. L’Eglise catholique est loin d’être d’un enthousiasme débridé vis à vis de tout ce qui pourrait avoir l’air d’être un “miracle catholique” propre à légitimer sa mission : en réalité, l’Eglise catholique est méfiante et circonspecte par défaut, et se réserve le droit, par exemple, d’autoriser ou d’interdire une dévotion liée à un supposé miracle ou à une supposée apparition dans le peuple catholique. Les autorités de l’Eglise se sont souvent montrées sévères à l’égard de supposées manifestations miraculeuses, de peur qu’il ne se cache dans ces faits des mensonges, des exagérations ou encore des manifestations démoniaques. 

Chez les schismatiques, il n’y a pas de distinction entre ce qui serait chez les catholiques un “récit populaire” de miracle, avec toutes les exagérations possibles de l’imagination d’un peuple enclin à la superstition et avide de merveilleux, et un miracle “scientifiquement établi”, où des témoins fiables sont invoqués, où l’absence de cause naturelle possible est suffisamment établie, et où l’on peut voir de bons fruits spirituels comme conséquence de ces miracles.

Si les schismatiques veulent refuser les miracles catholiques, ils devront adopter les méthodes de la critique rationaliste athée, de la “zététique”, pour mettre en doute l’indubitable et refuser l’évidence, en endurcissant leur cœur. Ils ne se rendent pas compte que cette méthode critique détruit plus encore leurs propres “miracles” que, par exemple, ceux de Lourdes qui sont établis par des constats médicaux rigoureux.

Que l’on considère simplement Lourdes, et les miracles qui s’y sont produits de manière continuelle depuis les apparitions du XIXe siècle, ou l’histoire de la médaille miraculeuse de la rue du Bac : la simple considération de ces faits suffit à établir que l’Eglise catholique est la véritable Eglise, surtout si l’on considère qu’il n’existe rien d’équivalent dans n’importe quelle autre “église chrétienne”. 

Dans la basilique de Notre-Dame-du-Rosaire de Lourdes, un ex-voto remercie la Sainte Vierge pour la conversion d’un prêtre schismatique russe

A plusieurs reprises dans l’histoire des hommes, Dieu a donné des miracles qui ont spécifiquement pour but de montrer que le catholicisme est la vraie religion, par opposition à des “doctrines chrétiennes” concurrentes telles que le protestantisme. 

Voici un exemple : François de Sales, évêque de Genève, était parti prêcher la foi catholique à Thonon, dans un pays qui était alors opiniâtrement attaché au calvinisme. Dans un premier temps, ses bonnes manières, sa douceur et sa vertu évidente lui ont attiré la sympathie de la population, mais peu de conversions : ce peuple était attaché par principe au protestantisme, de simples discours ne suffisent pas à les convaincre d’abandonner la doctrine de leurs pères. Un jour, une de celles qui écoutait ses prédications a le malheur de perdre son fils, peu de temps après sa naissance et avant d’avoir pu le baptiser : au comble du désespoir, elle se tourne vers l’évêque et lui promets qu’elle deviendra catholique s’il peut rendre son fils à la vie. Le saint entre humblement en prière, et l’enfant reprend vie : il y a plusieurs témoins qui assistent à la résurrection. Ce n’est pas seulement la mère consolée qui se convertit à la doctrine du saint, mais tout le pays en masse : les témoignages de l’époque nous disent qu’il n’y a pas assez de prêtres dans la ville pour accueillir toutes les demandes d’abjuration. Ces âmes simples étaient encore capables d’appliquer le principe que Nicodème exposait, lorsqu’il témoignait de sa foi à Jésus : Maître, nous savons que Vous êtes venu de la part de Dieu comme docteur; car personne ne peut faire les miracles que Vous faites, si Dieu n’est avec lui » (Jn III, 2).


9- Le schisme oriental est toujours synonyme d’une soumission des autorités religieuses au pouvoir temporel

Il est frappant de comparer l’évolution respective de la chrétienté dans l’Occident catholique et dans l’Orient “orthodoxe” : dans l’Occident catholique, le renforcement du pouvoir pontifical coïncide avec la liberté de l’Eglise (qui est moins entravée par ses protecteurs temporels devenus souvent abusifs) ; dans l’Orient, avant le schisme et d’autant plus après, la mainmise des autorités temporelles sur les affaires de l’Eglise se renforce à outrance et prend des proportions ridicules.

Les schismatiques prennent de grands airs en se posant en défenseurs de la tradition des Pères, authentiques successeurs des apôtres, dans la pratique les églises schismatiques sont une réunion de sociétés confuses et faibles, soumises aux différents pouvoirs temporels des pays où elles comptent une majorité de fidèles. Il est rare de voir un évêque schismatique s’opposer aux abus du pouvoir temporel. En sens contraire, chez les catholiques on rencontre de multiples exemples, renouvelés à travers les siècles, d’une courageuse opposition aux autorités temporelles fautives, poussée jusqu’au martyr dans le cas de Saint Martin Ier (mort en captivité après avoir été persécuté par l’empereur monothélite Constant II), Saint Thomas Becket (persécuté par le roi Henri II d’Angleterre) ou Saint Stanislas (tué par le roi Boleslas II de Pologne), pour ne citer que quelques exemples.

Le meurtre de saint Thomas Becket (Albert-Pierre Dawant, 1879)

Le césaropapisme de l’époque byzantine n’a jamais quitté la mentalité des nations schismatiques. L’exemple le plus répugnant de cette lâche soumission des autorités religieuses aux pouvoirs temporels est à l’origine de la permission du divorce chez les schismatiques : malgré les paroles explicites de Notre-Seigneur sur l’indissolubilité absolue du lien conjugal, et l’impossibilité d’un “remariage” licite, par lâcheté vis à vis de la législation civile impie, les églises byzantines se sont mises à tolérer l’intolérable en bénissant de fausses unions adultères, et en leur donnant le nom de mariage. Les sectateurs de Photius continuent de suivre cette règle, inscrite dans le droit canon des schismatiques depuis le XIIe siècle, qui s’accommode de l’ancienne législation païenne, et foule aux pieds la loi divine enseignée par Jésus-Christ lui-même lorsqu’il était sur terre. On peut voir d’ailleurs certains schismatiques s’embarrasser en disant qu’il est en effet évident, d’après les paroles du Christ et la Tradition des Pères, que le mariage est indissoluble et que le remariage est un péché : et de dire ensuite que “par miséricorde” et pour éviter un plus grand mal on peut bénir des remariages … comme si bénir le péché était un acte de miséricorde ! Luther présentait des raisonnements similaires lorsqu’il conseillait la bigamie au landgrave Philippe de Hesse. C’est un exemple éclatant de lâcheté face aux vices des hommes, et spécialement des hommes puissants, pas un exemple de miséricorde.

Le simple fait d’ailleurs que le divorce-remariage, qui est intrinsèquement immoral, soit inscrit dans le droit canon “orthodoxe” suffit à prouver que “l’Eglise orthodoxe” n’est pas la véritable Eglise instituée par Dieu et protégée par le Saint-Esprit : de l’aveu même de certains schismatiques, leur Église a inscrit dans sa loi la bénédiction du péché. Elle n’a donc pas la sainteté que le Concile de Nicée décrit comme note de la véritable Eglise. 

On peut citer bien d’autres exemples du césaropapisme dans l’histoire des églises schismatiques.

Les Serbes, après avoir obtenu leur “autocéphalie” au début du XIIIe siècle, ont canonisé tous les rois de la dynastie Nemanjic (dynastie dont faisait également partie le premier patriarche autonome, Sava de Serbie), y compris un roi divorcé et remarié à de multiples reprises (Stefan Uros II – qui a entre autres choses effectué un mariage forcé et invalide avec une religieuse catholique, Élisabeth de Hongrie), et un roi excommunié par Constantinople qui était disposé à reconnaître l’autorité du Pape peu de temps avant sa mort (Stefan Uros IV – reconnaître le Pape est censé être une faute grave pour les schismatiques !). “L’Église orthodoxe serbe” à cette époque ne semble n’exister que pour légitimer les dynastes de leur peuple, quoi que ceux-ci puissent faire, en totale indifférence d’ailleurs aux injonctions du “patriarche œcuménique” de Constantinople. 

L’histoire du “patriarcat œcuménique” depuis la chute de Constantinople aux mains des Turcs est le triste spectacle d’une totale soumission aux envahisseurs musulmans : les patriarches devaient mendier, ou littéralement acheter leur investiture au sultan, et celui-ci faisait et défaisait les patriarches selon son bon vouloir. Des complots et des cabales faisaient se disputer différents concurrents au titre de patriarche de Constantinople, dont seul celui reconnu par le sultan avait des chances de faire asseoir sa légitimité dans le monde “orthodoxe”. La Russie a été et est encore aujourd’hui un cas d’école de césaropapisme. Les évêques russes se sont dans l’ensemble pliés, de gré ou de force, à tout ce que le tsar ou même le dictateur communiste attendait d’eux. La théorie de la “Troisième Rome” donne la folie des grandeurs au tsar plus encore qu’au métropolite russe : il est le nouveau César, et s’occupe des affaires de l’Eglise comme les premiers Césars chrétiens. A plusieurs reprises, le tsar dépose le patriarche lorsque celui-ci le contrarie : ainsi Philippe II fut déposé par Ivan le Terrible, Job par Dimitri II, Nikon par Alexis Ier. A partir du XVIIIe siècle sous le règne de Pierre le Grand, le césaropapisme devient institutionnel : le patriarcat de Moscou est aboli, et remplacé par un système dans lequel le contrôle de l’état est très étroit (le “Très Saint Synode”, qui fonctionne comme une sorte de vulgaire ministère de la religion). Suite à la révolution russe, le pouvoir communiste fait déposer le patriarche Tikhon, et ses successeurs sont favorables au pouvoir soviétique. Le patriarche actuel Kirill a d’ailleurs parlé en des termes élogieux de Staline. Kirill se fait le relais inconditionnel des revendications du nationalisme russe : on le voit ainsi déclarer solennellement en 2018 que l’autocéphalie de l’Ukraine est “interdite par Dieu” car on ne peut pas “diviser la sainte Russie”. De telles paroles devraient choquer : elles montrent à quel point le temporel prend le dessus sur le spirituel chez les schismatiques.


Pourquoi être catholique plutôt qu’orthodoxe (4/7)

5- Les Pères affirment la procession éternelle du Saint-Esprit par le Père et le Fils

L’affirmation de la procession du Saint-Esprit par le Père et par le Fils (Filioque) par les Pères de l’Eglise est tellement évidente et universelle que les schismatiques ne peuvent pas prétendre que cette idée n’est pas présente chez les Pères : à la place, ils créent de nouvelles distinctions pour prétendre que les Pères ne parlent pas vraiment d’une procession relationnelle, par exemple en prétendant que les citations des Pères sur la procession du Saint-Esprit par le Fils expriment en réalité la “procession économique”, c’est à dire le don du Saint-Esprit au monde, et non pas une procession éternelle. Comme de coutume, les Grecs s’efforcent à travers milles arguties de faire apparaître les sujets polémiques comme plus complexes qu’ils ne le sont réellement, à grand renfort d’érudition et de développements verbeux. Ils ne mettent pas leur science au service de la vérité, malheureusement, mais au service de la révolte de Photius qu’il faut justifier à tout prix.

Il existe pourtant des citations des Pères de l’Eglise qui parlent de manière absolument claire d’une procession éternelle du Saint-Esprit par le Père et par le Fils, pourvu que l’on prête attention au contexte et aux termes qui sont employés. Nous proposons quelques citations de Pères grecs, pour insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une “invention latine”, qui sont suffisamment claires pour comprendre que le sujet est bien les relations éternelles des Trois personnes de la Trinité et non simplement le don du Saint-Esprit au monde, et que les Pères enseignent bien clairement que le Fils participe à la procession du Saint-Esprit.


1- Saint Epiphane de Salamine (374)

L’Esprit est de Dieu et Esprit du Père ainsi qu’Esprit du Fils, pas par quelque mélange mais comme le corps et l’âme en nous. L’Esprit est au milieu [entre le] du Père et du Fils, étant du Père et du Fils (ἐκ τοῦ Πατρὸς καὶ τοῦ Υἱοῦ), troisième par la désignation.

Ancoratus, 8

Certes le Père existe depuis toujours ainsi que le Fils, et l’Esprit spire du Père et du Fils (ἐκ Πατρὸς καὶ Υἱοῦ πνἐει), mais ni le Fils ni l’Esprit ne sont créés.

Ancoratus, 75

De tous les Pères de l’Église, Saint Epiphane est peut-être celui qui affirme le plus clairement la procession du Saint-Esprit ab utroque, par le Père et par le Fils. Ses propos sont peut-être encore plus proches du ex Patre Filioque procedit de la liturgie latine que ne le sont ceux de Saint Augustin.

Saint Epiphane s’exprime aussi en faveur de la double procession dans son grand ouvrage contre les hérésies, le Panarion ou Adversus haereses (377), disant dans le chapitre 62 contre les Sabelliens que le Saint-Esprit “procède du Père et reçoit du Fils, n’est pas différent du Père et du Fils, est vraiment de la même essence et de la même divinité, est du Père et du Fils (ἐκ Πατρὸς καὶ Υἱοῦ)” ; également, dans le chapitre 69 contre les Ariens : “le Père est lumière, le Fils est lumière du Père, le Saint-Esprit est lumière et source venant d’une source, du Père et de l’unique engendré (ἐκ τοῦ Πατρὸς καὶ τοῦ Mονογενοῦ)”. 


2- Saint Grégoire de Nysse (c. 370-390)

En effet, l’Esprit Saint, qui prend sa subsistance de Dieu le Père par le Fils, est élevé au-dessus de tout le créé et est, en lui-même, incommensurable et incompréhensible.

Ὁ τοίνυν Παρὰ τοῦ Πατρὸς καὶ διὰ τοῦ Υἱοῦ τὴν οὐσίαν ἔχων Ἅγιος Πνεῦμα, ὑπὲρ πάσης τῆς κτίσεως ἀνυπέρβλητος αὐτὸς καὶ ἀνεξιχνίαστος ὑπάρχει.

Sur l’Esprit-Saint, Patrologia Graeca, Grégoire de Nysse, Vol. 45, col. 132C-132D, PG 45, 132C132D

Le texte grec ne laisse pas l’ombre d’un doute : τὴν οὐσίαν ἔχων se traduit plus littéralement par “a la substance” ; c’est dans ce sens que le terme οὐσία est employé par l’Eglise pour définir que le Fils est consubstantiel au Père, ὁμοουσίος. Saint Grégoire de Nysse dit donc que l’Esprit-Saint possède la substance “depuis le Père” (Παρὰ τοῦ Πατρὸς), “par le Fils” (διὰ τοῦ Υἱοῦ). Si certains “orthodoxes” veulent encore insister sur une distinction entre le Filioque et le διὰ τοῦ Υἱοῦ, en prétendant que le premier est inacceptable, il leur faudra reconnaître a minima que l’idée d’une distinction de relation entre le Fils et le Saint-Esprit (qui ne procèdent pas du Père exactement de la même manière et dans le même ordre), et l’idée que le Fils a un rôle dans la procession du Saint-Esprit, se trouve dans la théologie orientale et n’est absolument pas une invention de Saint Augustin et des Latins, mais bien un enseignement de la Tradition apostolique. Or Photius, par un raisonnement tout à fait personnel, rejette l’idée de la distinction de relations, et rejette par conséquent la Tradition apostolique et l’enseignement des Pères. 


3- Saint Cyrille d’Alexandrie (c. 424-428)

Ainsi, cet Esprit procède du Fils, immuable, indivisible et inséparable, étant en Lui, venant de Lui et étant contemplé à travers Lui, existant en trois personnes et formant l’unité de la Trinité.

Τοῦτο οὖν τὸ πνεῦμα πρὸς τὸν Υἱὸν προπορεύεται ἀναλλοίωτον καὶ ἀδιάστατον καὶ ἀμερίστως, δι’ αὑτοῦ ὂν καὶ ἐξ αὐτοῦ καὶ διὰ αὐτοῦ θεωρούμενον, τρία ὑπάρχοντα πρόσωπα, καὶ μίαν τῆς τριάδος θεότητα.

Thesaurus de sancta et consubstantiali trinitate

Nous voyons dans cet extrait que Saint Cyrille parle de l’existence intime de la Trinité et des Personnes qui la composent. Il ne dit nullement que le Saint-Esprit vient du Fils “vers le monde”, mais simplement qu’il “procède du Fils” (πρὸς τὸν Υἱὸν προπορεύεται), qu’il “vient de Lui” (ἐξ αὐτοῦ), tout en existant avec Lui dans la Trinité éternelle et immuable.


4- Saint Maxime le Confesseur (c. 640-660)

Le Saint-Esprit procède non seulement du Père, mais aussi du Fils, indivisiblement, sans confusion, sans séparation, incompréhensiblement, le bon, l’unique engendré.

Τὸ Ἅγιον Πνεῦμα ἐκπορεύεται οὐ μόνον ἐκ τοῦ Πατρὸς, ἀλλὰ καὶ ἐκ τοῦ Υἱοῦ ἀδιαιρέτως, ἀχωρίστως, ἀσυγχύτως, ἀσυγνώτως, τὸν ἀγαθόν, τὸν μονογενῆ.

Lettre à Marinus

Ce texte est spécialement précieux pour sa négation explicite de la fausse doctrine des schismatiques sur la procession du Saint-Esprit “par le Père seul” à l’exclusion du Fils. Saint Maxime dit bien qu’il procède (ἐκπορεύεται – “sort de”, “vient de”) “non seulement “(οὐ μόνον) du Père “mais aussi”(ἀλλὰ καὶ) “du Fils” (ἐκ τοῦ Υἱοῦ). 

La lettre de Saint Maxime à Marinus traite précisément du sujet de la procession éternelle du Saint Esprit, sujet qu’il décrit comme éminemment mystérieux et difficile, et il est bien clair encore une fois que cette discussion est sans rapport avec le don du Saint-Esprit au monde : sinon, il ne vaudrait pas la peine de dire que ce sujet dépasse l’intelligence humaine.

Ailleurs dans cette lettre, Saint Maxime rappelle l’existence d’un consensus des Pères de l’Eglise sur le fait qu’on ne doit pas rejeter la procession du Saint-Esprit par le Fils [1], même si les détails de cette mystérieuse relation ne font pas l’objet d’un accord unanime entre les Pères. Chose importante : nous évoquions plus haut la distinction entre le Filioque (procède du Père et du Fils) et le διὰ τοῦ Υἱοῦ (procède du Père par le Fils). Saint Maxime évoque cette distinction, mais précisément pour dire qu’on ne doit pas rejeter la proposition “le Saint-Esprit procède du Fils”, sans préciser qu’il procède du Père “par le Fils”. Il condamne par anticipation Photius et sa fausse doctrine du ἐκ μόνου τοῦ Πατρός (du Père seul). 


5- Annexe : Le Filioque dans les professions de foi et dans la liturgie (VIe-IXe siècles)

La présence de la doctrine du Filioque chez les Pères et tellement évidente que ce sujet n’a pas été le principal point d’attaque des Grecs contre les Latins, lors des différents débats consécutifs au schisme de 1054 : le problème soulevé par les Grecs était plutôt l’ajout du Filioque dans le Credo qui leur paraissait être une violation des décrets des conciles de Nicée et de Constantinople. La réponse à cette objection réside simplement dans les arguments déjà exposés sur l’autorité suprême de Saint Pierre : à partir du moment où l’on reconnaît cette autorité, il n’y a rien de choquant à ce que des modifications et des précisions soient apportées aux décrets des Conciles des siècles passés par les papes, surtout si c’est pour se prémunir d’une nouvelle hérésie qui est apparue entre temps. 

Cet ajout est d’ailleurs plus ancien qu’on ne le pense parfois. La présence du Filioque dans les professions de foi est attestée en Occident dès le VIe siècle.

D’abord dans le fameux Symbole d’Athanase, cité pour la première fois par Saint Césaire d’Arles en 542, qui affirme “Pater a nullo est factus … Fílius a Patre solo est … Spíritus Sanctus a Patre et Fílio”.

Ensuite, le IIIe Concile de Tolède (589), moment du triomphe du christianisme orthodoxe contre l’arianisme en Espagne, est connu pour avoir anathématisé, dans son 3ème canon, ceux qui refusent d’admettre que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils ; et peu après s’est diffusée en Espagne la pratique de chanter le Credo durant la célébration de la Messe, par imitation de l’usage oriental. Mais ce Credo contenait le Filioque car il semble qu’à l’époque, dans le méandre des différents manuscrits et traductions, les clercs Wisigoths considéraient que le Filioque faisait partie de l’original grec du symbole de Nicée-Constantinople. La doctrine exprimée fait en tout cas partie d’un dépôt de foi bien antérieur au concile de Tolède puisqu’elle est déjà enseignée par Tertullien, Saint Ambroise et Saint Augustin.

Le chroniqueur Saint Bède le Vénérable, dans son Histoire ecclésiastique du peuple anglais (v. 737) rapporte que le concile de Hatfield (680), sous la direction de Théodore de Cantorbéry (qui est un grec originaire de Tarse), rappelle les doctrines des précédents conciles œcuméniques et déclare que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils.

A partir de la fin du VIIIe siècle se manifeste un débat, qui n’est pas doctrinal mais disciplinaire, sur l’usage du Filioque dans le Credo liturgique, promu par Charlemagne dans l’empire carolingien (le royaume franc ayant probablement été influencé par l’usage wisigoth), refusé par l’empire byzantin mais aussi par le pape jusqu’au XIe siècle, du moins dans le cadre de la liturgie romaine, puisque le pape permet aux églises qui le souhaitent d’utiliser le Filioque. Ce débat est l’occasion de révéler que cette doctrine du Filioque était largement acceptée par l’ensemble des chrétiens avant Photius, qu’elle se diffusait paisiblement en Occident et en Orient, et que si débat doctrinal il y avait c’était pour savoir s’il fallait dire que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, ou du Père par le Fils, la première formule étant plus usitée en Occident et la seconde en Orient, les papes n’ayant condamné aucune des deux formules. Les Francs attachent de l’importance à cette question du Filioque dans le cadre de la lutte contre l’adoptianisme, comme une manière d’insister sur la divinité éternelle du Fils, sur son rôle essentiel dans la Trinité. Ainsi Charlemagne demande à l’évêque Théodulfe d’Orléans une compilation de textes des Pères en faveur du Filioque en 809. C’est Photius qui innove en condamnant le Filioque : dans le cadre de ses différends juridictionnels avec Rome, la question du Filioque est mise sur le tapis et pour la première fois Photius entreprends de condamner le Filioque d’un point de vue doctrinal, pas simplement du point de vue de la pratique liturgique comme c’était le cas auparavant en Orient et en Occident. Les missionnaires Francs de Bulgarie utilisaient le Filioque dans la liturgie, ce qui a été l’occasion de cette diatribe de Photius.

Il aurait été bien en peine de fournir un travail équivalent à celui de Théodulfe : aucun Père ne condamne le Filioque en effet, et c’est sur la base de son jugement personnel qu’il prétend expliquer que cette doctrine diminue la parfaite monarchie du Père. Il s’agit bien plus d’un prétexte pour justifier sa révolte, son ambition et son mépris pour les Latins, que d’une préoccupation sincère pour l’orthodoxie. On voyait le même Photius, au début de son investiture, tenter d’entrer dans les bonnes grâces de Rome et prétendre être un bon catholique, avant de se retourner contre le pape une fois que ses ambitions ont été contrariées, comme Luther plusieurs siècles après lui, et comme tant d’autres hérétiques avant eux qui tentèrent dans un premier temps de se faire approuver par Rome.

Jean-Tristan B.


[1] Lettre de Saint Maxime le Confesseur à Marinus sur la procession du Saint-Esprit : « La
question que vous me posez, très cher ami, est grande et difficile. Elle est grande en
raison de la majesté du sujet lui-même et de l’impossibilité de le sonder en
profondeur. Elle est difficile parce que notre esprit, étant donné sa petitesse, ne peut
pas atteindre l’immensité des choses divines. Quant à la procession du Saint-Esprit, il
est évident que nous devons admettre qu’il procède de Dieu au sens où nous le
comprenons, mais il est impossible d’en dire davantage. Il est en effet faux de dire
que le Saint-Esprit ne procède pas du Fils. C’est le seul point sur lequel les Pères de
l’Église sont unanimes
, même si, bien sûr, il ne s’agit pas d’une seule et même chose
que de dire que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils et de dire qu’il procède du
Fils. Il est bien clair que le Saint-Esprit procède de Dieu au sens où nous l’entendons ;
nous devons toutefois nous garder de trop nous enorgueillir, car cela est au-delà de
notre intelligence. Voilà ce que nous enseignent les divines Écritures et les saints
Pères. Je vous le dis sans détour, mais je ne peux rien ajouter d’autre à cela. Que
Dieu, qui est sans commencement et infini, nous accorde de partager un jour la
connaissance parfaite de la divine Trinité.

ΜΑΞΙΜΟΣ ΕΠΙΣΚΟΠΟΣ ΑΝΤΙΟΧΕΙΑΣ,
ΠΡΟΣ ΜΑΡΙΝΟΝ : Εἰδεῖν παρὰ τοῦ Πατρὸς τὸ πνεῦμα κατὰ τὴν προσδοκίαν τοῦ λόγου,
τὸ ὁμοούσιον αὐτῷ καὶ τῷ πατρί, θείῳ τρόπῳ προσφυές, τῇ τοῦ ἀγαθοῦ τῶν οὐρανίων
τέκνων θελήσει μεταλαβεῖν καὶ μάθειν ἐπιχειρεῖς, ἄθεος μὲν ὤν, καὶ θείας τῆς
ἀγαθότητος ἀφωρισμένος. ὅθεν ἀνεψιοῦ πνεύματι, οὐ τῷ μηδαμινῷ ἐκείνου φύσεως
μερίσματι, τῷ ἀχωρίστως ἀγαθῷ, μὴ διαιρεθεῖσαν ἀπὸ τοῦ τελείου αὐτοῦ γένους
ἀνθρωπίνου, τῷ μετ’ οὐδεμιᾶς ἀμίξουσα τῶν προστάξεων καὶ λόγων τοῦ Πατρὸς καὶ
τοῦ Υἱοῦ κατὰ πνευματικὴν καὶ θείαν πρόνοιαν δι’ αὐτοῦ συγκρίνεις, τὸ τοῦ μαθεῖν
πρόθυμον ἔχων; _ Πᾶς νοῦν ἔχων εὐσεβὴς τῶν ἱερῶν ἀγγείων τὰ κατ’ αὐτοῦ, τίς αὐτῷ
θέσις ἂν εἴη; Ὅτι εἰ δυνατόν, ὡς λέγεις, θείου φωτὸς πλάσματα καὶ κατ’ αὐτοῦ
συγγένειαν, τὴν μὲν ὡς Πατρὶ τὴν δὲ ὡς Υἱῷ τῇ τοῦ πνεύματος θελήσει μεταλαβεῖν. Εἰ δὲ
τοῦτο ἀδύνατον, ὡς ἀπολογεῖσαι τὰ τῶν οἰκονομιῶν τοῦ θεοῦ δογματικῶς λέγετε, τὴν
μὲν φύσιν αὐτοῦ μὴ συγγενῆ τῇ Πατρὶ λαμβάνετε, τὴν δὲ ἀφωρισμένην μὲν ἀπὸ τοῦ
παναγίου τριάδος γένους, μίαν ἅπασιν, τὴν τῶν θείων οὐσιῶν ἐπινοίαν συμβιβάζουσαν,
μὴ τοῦ πνεύματος τὴν θελητικὴν πρὸς τὴν τοῦ πατρὸς παραπειρασμένην προσδοκίαν
πρὸς τὴν Υἱοῦ διακρατήσασαν προσλαμβάνεσθαι, μὴ περὶ τῆς κατὰ τὴν φύσιν καὶ τὸν
τρόπον τῆς ἐκ τοῦ Πατρὸς διὰ τοῦ Υἱοῦ προβολῆς τοῦ Πνεύματος ἐκφόρου διαλογισμοῦ
δεδημιουργημένην ἐπινοεῖσθαι, καὶ μεταξὺ τῆς κατ’ αὐτοῦ συγγενείας καὶ τῶν τούτου
πρὸς Πατέρα παραπειρασμάτων ἐκ τῶν προστάξεων διαφορὰν τοποθετεῖν; Ἢ τίς,
φίλτατε Μάρινε, τούτων ἀπολογίαν ἀστιχεῖς

Pourquoi être catholique plutôt qu’orthodoxe (3/7)

4- Les Pères affirment positivement la papauté, en rappelant son lien avec Saint Pierre

Il faut dès à présent couper court à l’objection qui prétend que ces citations ne sont pas “suffisamment claires” ou pas suffisamment explicites sur le primat romain, qu’elle peuvent être interprétées différemment, ce qui voudrait donc dire qu’il s’agit d’une extrapolation tardive de la part des Latins. Les schismatiques voudraient voir un Père déclarer la papauté en des termes aussi explicites que le Concile Vatican I.

Cette objection est aussi infondée que l’objection de certains ariens ou protestants contre la doctrine de la Trinité : le Christ n’a jamais dit “Il y a un seul Dieu en Trois Personnes”, en effet ; mais si l’on étudie en profondeur toutes ses déclarations, et tout l’enseignement apostolique, il n’y a pas d’autre interprétation possible des paroles du Christ sur sa propre divinité et sur le Saint-Esprit, que la doctrine de la Trinité des personnes dans l’unité de nature, de sorte que le Concile de Nicée n’a pas “inventé une nouvelle doctrine” mais simplement rendu plus clair ce qui était déjà contenu dans le dépôt de la foi, bien que tous les chrétiens de l’avaient pas compris ou n’avaient pas voulu l’accepter. 

Nous verrons ici que le contexte de ces citations et les termes qu’elles mobilisent doivent faire conclure que les premiers chrétiens croyaient en un primat romain, tant sous le rapport de l’enseignement de la foi que sous un rapport disciplinaire, bien que cette doctrine soit parfois affirmée en des termes moins clairs qu’elle ne l’a été à partir de la révolte de Photius (et c’est justement l’attitude de Photius vis à vis de Rome qui est novatrice, pas les prétentions de Rome à une autorité sur l’Eglise universelle).

Nous listerons dans l’ordre chronologique quelques citations fameuses des Pères et d’auteurs chrétiens qui précèdent l’époque de Photius à propos des successeurs de Saint Pierre, avec quelques commentaires. Cette liste n’est pas exhaustive et il existe bien d’autres citations utiles à démontrer notre propos, mais nous ne sélectionnons que celles qui nous semblent les plus importantes et les plus explicites. 


1- Saint Ignace d’Antioche (c. 110) :

Ignace […] à l’Église qui préside dans la région des Romains, digne de Dieu, digne d’honneur, digne d’être appelée bienheureuse, digne de louange, digne de succès, digne de pureté, qui préside à la charité, qui porte la loi du Christ, qui porte le nom du Père ; je la salue au nom de Jésus-Christ, le fils du Père ; aux frères qui, de chair et d’esprit, sont unis à tous ses commandements, remplis inébranlablement de la grâce de Dieu, purifiés de toute coloration étrangère, je leur souhaite en Jésus-Christ notre Dieu toute joie irréprochable

Lettre d’Ignace aux Romains

Le glorieux Ignace d’Antioche, martyrisé à Rome dans les années 110, est le second successeur de Saint Pierre sur le siège épiscopal d’Antioche, après Saint Evode : il est vraisemblablement un disciple direct des Apôtres, et fait partie à ce titre de ceux que l’on appelle les “pères apostoliques”. Le fait qu’il indique que Rome “préside à la charité” pourrait passer comme une simple formule de politesse, si on ne s’attardait pas un instant sur le contexte : Ignace est l’évêque d’Antioche, qui est entre tous les sièges épiscopaux l’un des plus glorieux, car il a été fondé par Saint Pierre avant que celui-ci ne s’installe à Rome, et “ce fut à Antioche que, pour la première fois, les disciples furent appelés chrétiens” (Actes XI, 26). Il reconnaît pourtant à Rome une forme de préséance, et pas des moindres : la charité est la plus importante de toutes les vertus (I Cor XIII, 13), elle est spécialement liée à tout ce qui touche au culte de Dieu, au souci de sa gloire, à la soumission à ses ordres, à l’ordination de toutes les actions humaines à Dieu.

Soit l’on peut considérer qu’Ignace parle du fait que les Romains sont plus saints que les autres chrétiens – mais pourquoi cela ? cette interprétation plait-elle vraiment aux “orthodoxes” ? ; Soit l’on peut considérer qu’Ignace parle du fait que l’Eglise de Rome a une ordination spéciale à Dieu, quelque chose de plus sacré et de plus saint par essence qui fait qu’elle a une préséance entre toutes les Églises : elle préside à l’Eglise universelle en tant que celle-ci est la “société de la charité”, la société des enfants de Dieu. 

Ignace a rédigé de multiples épîtres aux différentes églises qu’il rencontrait lors de son ultime voyage jusqu’à Rome, en multipliant les formules élogieuses : pourtant, il nous semble que dans aucune autre épître il n’indique qu’une église “préside” sous quelque rapport que ce soit. Ignace ne dit pas que Rome préside en dignité par rapport à son rang politique de capitale de l’empire, mais bien “en charité”, c’est-à-dire relativement à l’ordination à Dieu. Ce “détail” n’est pas  anodin : il y a un lien direct à établir entre cette “primauté de l’amour” et la triple profession de Saint Pierre en Jean XXI : “m’aimes-tu plus que ceux-ci ?” ; Jésus-Christ demande précisément à Pierre de présider aux autres apôtres en charité.


2- Saint Irénée de Lyon (c. 170-200)

Ainsi donc, la Tradition des apôtres, qui a été manifestée dans le monde entier, c’est en toute Église qu’elle peut être perçue par tous ceux qui veulent voir la vérité (…) Mais comme il serait trop long, dans un ouvrage tel que celui-ci, d’énumérer les successions de toutes les Églises, nous prendrons seulement l’une d’entre elles, l’Église très grande, très ancienne et connue de tous, que les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul fondèrent et établirent à Rome; en montrant que la Tradition qu’elle tient des apôtres et la foi qu’elle annonce aux hommes sont parvenues jusqu’à nous par des successions d’évêques, nous confondons tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, ou par infatuation, ou par vaine gloire, ou par aveuglement et erreur doctrinale, constituent des groupements illégitimes : car avec cette Église, en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s’accorder toute Église, c’est-à-dire les fidèles de partout, — elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des apôtres

Contre les hérésies III, 3, 2

Les schismatiques s’offusquent que ce passage soit utilisé en défense de la primauté romaine : ils prétendent d’une part que Rome n’est listée que comme une église parmi d’autres par St Irénée, d’autre part que la principale raison pour laquelle Rome est mentionnée avec cette prééminence est le fait qu’il s’agissait à l’époque de la capitale de l’empire. Ils accusent donc les Latins d’extrapolation ; une brève analyse du contexte et des termes employés par St Irénée suffisent à dissiper cette accusation, et à montrer qu’il y a bien quelque chose de spécial dans l’Eglise de Rome qui n’est pas lié au statut politique de la ville

Quant au premier point, Saint Irénée dit certes que toutes les églises sont dépositaires de la Tradition des apôtres, par le principe de la succession apostolique ; mais il affirme également que si l’on n’en devait retenir qu’une seule, en étant certain d’y trouver la véritable doctrine apostolique, il faudrait choisir Rome : il indique par là que Rome est en un certain sens “plus apostolique” que les autres Églises, comme en atteste le titre traditionnel de sedes apostolica, “siège apostolique”, utilisé spécifiquement (y compris par plusieurs auteurs orientaux) pour parler de la chaire de Rome. Secondement, St Irénée affirme 1) qu’il faut être d’accord avec Rome en raison de son origine plus excellente, c’est à dire en raison de sa filiation avec Saint Pierre, qu’il vient de rappeler, et pas en raison de son statut géographique et politique dans l’empire romain ; 2) spécifiquement, que toute Église doit nécessairement s’accorder avec cette Eglise : St Irénée ne dit pas simplement “tout chrétien doit s’accorder avec l’Eglise de Rome”, mais “toute Église”, introduisant ainsi une hiérarchie entre les Eglises concernant l’enseignement apostolique. Rome est plus apostolique, plus excellente par origine, à tel point que les autres Églises doivent s’accorder avec elle.

D’où peut-on conclure, en lisant ce texte, que l’Eglise de Rome a une prééminence en raison de sa position géographique et de l’importance politique de la ville ? Une telle interprétation n’est due qu’à la fantaisie et à la mauvaise foi des schismatiques. 

Saint Irénée continue son développement et mentionne ensuite un évènement très important de l’histoire de l’Eglise primitive, qui est à lui seul déjà suffisant pour démontrer la primauté de Rome sur les autres Églises : 

“Sous ce Clément, donc, un grave dissentiment se produisit chez les frères de Corinthe ; l’Église de Rome adressa alors aux Corinthiens une très importante lettre pour les réconcilier dans la paix, renouveler leur foi et leur annoncer la Tradition qu’elle avait naguère reçue des apôtres”

Saint Clément, second successeur de Saint Pierre après Saint Lin, est celui qui a pris l’initiative de régler le différend de l’Eglise de Corinthe, de rappeler les Corinthiens aux enseignements apostoliques, et de mettre fin à la division. L’épître de Clément a marqué les Corinthiens à tel point qu’elle était utilisée lors des lectures durant la liturgie. Ce fait est spécialement important car il a lieu vers l’an 95, c’est-à dire du vivant de l’apôtre Saint Jean, une des “colonnes de l’Eglise”, le “disciple que Jésus aimait” :  pourquoi St Jean ne s’est pas occupé des problèmes de l’Église de Corinthe ? St Irénée semble dire que l’initiative revient à Rome de s’être exprimée sur les différends de Corinthe : mais si c’étaient les Corinthiens qui avaient pris l’initiative de demander une intervention de Rome, ce serait tout aussi probant pour démontrer l’existence d’une primauté romaine spécialement pour ce qui concerne les conflits de juridiction et de doctrine. Pourquoi Rome avant Saint Jean ? En raison de son origine plus excellente, qui fait qu’avec Rome doit nécessairement s’accorder toute Église.

Nous mentionnons au passage les arguties mensongères de certains schismatiques qui contestent que convenire ad soit traduit par “s’accorder avec”, et veulent lui donner un sens littéral de “venir à Rome physiquement” : nous ne comprenons pas comment certains peuvent accorder du crédit à des explications aussi stupides. St Irénée aurait dit que “les églises doivent venir à Rome physiquement car il s’agit de la cité la plus ancienne et la plus excellente de l’empire” ? Nous avons ici un exemple de ce que la mauvaise foi humaine peut produire de plus ridicule : pour nier l’évidence, on en vient à faire des traductions qui font fi même des termes employés par l’auteur et du contexte dans lequel il s’exprime (il parle de l’enseignement apostolique, et du fait qu’il choisit l’Église de Rome comme étant représentative plus que toute autre de cet enseignement), en inventant des mythes qui les confortent dans leur fausse doctrine. Les catholiques n’ont pas besoin de ces acrobaties et de ces artifices : il nous suffit d’interpréter ces phrases et ces mots dans leur sens le plus commun, et en adéquation avec leur contexte.


3- Tertullien (c. 200)

Quel est l’homme sensé qui croira qu’ils aient ignoré quelque chose, ceux que le Christ établit comme maîtres, qui furent ses compagnons, ses disciples, ses amis inséparables ? (…) Pierre aurait ignoré quelque chose, lui qui fut appelé la pierre sur laquelle l’Église devait être édifiée, qui reçut les clefs du royaume des cieux et le pouvoir de lier et de délier dans les cieux et sur la terre ?

Prescription contre les hérétiques, XXII

Le célèbre apologète Tertullien fut d’abord un défenseur de l’Eglise apostolique, avant de rejoindre la secte montaniste vers l’an 212, séduit par son esprit rigoriste. Dans cet extrait, il démontre clairement que contrairement au mythe véhiculé par les schismatiques, il n’est pas étranger au christianisme apostolique de considérer que lors du passage en Matthieu XVI, le Christ donne à Saint Pierre des pouvoirs personnels et spécifiques, et ne fait pas simplement une déclaration symbolique sur le fait que “la foi” est la pierre sur laquelle est fondée l’Église. Ici, nous lisons bien de la part de Tertullien que “Pierre” lui-même est “la pierre sur laquelle l’Église devait être édifiée”.   

Mais il apparaît que Tertullien parle encore plus clairement de l’autorité de Saint Pierre après sa révolte contre l’Eglise, en contestant les revendications de l’évêque de Rome : 

J’apprends qu’un édit est affiché, et même qu’il est péremptoire. Le souverain Pontife, c’est-à-dire l’évêque des évêques, parle en ces termes: « Quant à moi, je remets le péché de l’adultère et de la fornication à ceux qui ont fait pénitence. »

De pudicitas, 1

Tertullien critique vraisemblablement un édit du pape Zéphyrin (198-217), et dénie à l’Église le droit de remettre certains péchés tels que l’adultère. D’autres disent qu’il critique un évêque africain, mais le contexte et les termes spécifiques employés rendent cette hypothèse peu probable. Dans le même traité De pudicitas, il évoque le passage de Matthieu XVI : 

Maintenant, je prends acte de ta déclaration, pour te demander à quel titre tu usurpes le droit de l’Eglise. Si de ce que le Seigneur a dit à Pierre: « Je bâtirai mon Eglise sur cette pierre; Je t’ai donné les clefs du royaume des Cieux, » ou bien: « Tout ce que lu lieras ou délieras sur la terre, sera lié ou délié dans les cieux; » tu t’imagines orgueilleusement que la puissance de lier et de délier est descendue jusqu’à toi, c’est-à-dire à toute l’Eglise, qui est en communion avec Pierre, quelle est ton audace de pervertir et de ruiner la volonté manifeste du Seigneur, qui ne conférait ce privilège qu’à la personne de Pierre? « C’est sur toi que je bâtirai mon Église,» lui dit-il; c’est à toi que je donnerai les clefs, » et non à l’Eglise. « Tout ce que tu lieras ou que tu délieras; etc. » mais non pas tout ce qu’ils lieront ou délieront.”

De pudicitas, 22

L’interprétation de ce passage peut prêter à confusion : dans l’hypothèse peu probable où Tertullien  s’attaque à un évêque africain, ici il lui rappelle qu’il n’a pas reçu le pouvoir qui appartient à Pierre seul et à ses successeurs (mais on se demande pourquoi un tel rappel, si par ailleurs il s’est séparé de l’Eglise). Dans l’hypothèse plus sûre où il s’attaque au pape, ici il nie que le pouvoir de Pierre se soit transmis et déclare qu’il n’appartenait qu’à la personne de Pierre. Ce qui nous indique qu’à cette époque, autour de l’an 215, l’évêque de Rome revendique le “pouvoir des clés” donné à Saint Pierre en Matthieu XVI, ce que Tertullien critique comme une dérive orgueilleuse. Mais nous savons en réalité, comme pour le cas de Photius, de quel côté se trouve véritablement l’orgueil. 


4- Saint Cyprien de Carthage (c. 250)

Ainsi, déserteurs de l’Évangile et de la loi de Jésus-Christ, ils s’obstinent à se dire chrétiens; ils marchent dans les ténèbres, et ils croient jouir de la lumière. L’ennemi les flatte, il les trompe, cet ennemi qui, selon l’apôtre, se transfigure en ange de lumière, qui transforme ses ministres eux-mêmes en prédicateurs de la vérité, donnant la nuit au lieu du jour, la mort au lieu du salut, le désespoir à la place de l’espérance, la perfidie. sous le voile de la foi, l’antéchrist sous le nom adorable du Christ. C’est ainsi qu’au moyen d’une vraisemblance menteuse, ils privent les âmes de la vérité. Cela arrive, mes frères bien aimés, parce qu’on ne remonte pas à l’origine de la vérité; parce qu’on ne cherche pas le principe, parce qu’on ne conserve pas la doctrine du maître céleste. Si on se livrait à cet examen, on n’aurait besoin ni de longs traités, ni d’arguments. Rien de plus facile que d’établir sur ce point la foi véritable. Dieu parle à Pierre: Je te dis que tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église et les puissances des enfers n’en triompheront jamais. Je te donnerai les clefs du royaume du Ciel, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le Ciels et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le Ciel (Matt., XVI.). Après sa résurrection, il dit au même apôtre : Pais mes brebis. Sur lui seul il bâtit son Église, à lui seul il confie la conduite de ses brebis. Quoique, après sa résurrection,. il donne à tous ses apôtres un pouvoir égal, en leur disant : Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie; recevez le Saint-Esprit, les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez (Joan., XX), cependant, afin de rendre l’unité évidente, il a établi une seule chaire et, de sa propre autorité, il a placé dans un seul homme le principe de cette même unité. Sans doute les autres apôtres étaient ce que fut Pierre; ils partageaient le même honneur, la même puissance, mais tout se réduit à l’unité. La primauté est donnée à Pierre, afin qu’il n’y ait qu’une seule Église du Christ et une seule chaire. Tous sont pasteurs; mais on ne voit qu’un troupeau dirigé par les apôtres avec un accord unanime. L’Esprit-Saint avait en vue cette Église une, quand il disait dans le Cantique des cantiques: Elle est une ma colombe, elle est parfaite, elle est unique pour sa mère; elle est l’objet de toutes ses complaisances (Cant., VI). Et celui qui ne tient pas à l’unité de l’Église croit avoir la foi! Et celui qui résiste à l’Église, qui déserte la chaire de Pierre sur laquelle l’Église repose, se flatte d’être dans l’Église!

De l’unité de l’Eglise

Nous avons souhaité garder cette longue citation sans la tronquer car elle permet de lever le voile sur un problème souvent soulevé par les schismatiques, celui de l’égalité des pouvoirs entre les apôtres et leurs successeurs, évoqué ici par Saint Cyprien. Ici on voit affirmés par Saint Cyprien deux principes, qui ne sont pas contradictoires puisqu’ils sont exposés en même temps comme des vérités révélées : d’une part le fait que les apôtres ont reçu les mêmes pouvoirs du Christ et sont tous pasteurs, d’autre part le fait qu’à Pierre seul a été remis le primat, afin qu’il soit un principe d’unité pour toute l’Eglise. Les schismatiques veulent prétendre que seule la première proposition fait partie de la Tradition apostolique, les voilà réfutés de la manière la plus claire possible par un évêque du IIIe siècle, puisqu’il explique que les deux principes ne sont pas contradictoires et sont même complémentaires. Les apôtres en effet ont reçu le pouvoir d’ordre ainsi qu’une certaine juridiction sur les fidèles, mais ils sont tous inférieurs à Pierre sous le rapport de cette juridiction, et lui seul est le principe de l’unité de l’Eglise. Saint Cyprien a des termes extrêmement durs contre ceux qui refusent l’autorité de Pierre, les appelant “déserteurs de l’évangile”, flattés par le démon, disant qu’ils “donnent la mort au lieu du salut”, parce qu’ils ne conservent pas la doctrine du maître céleste si clairement apparente dans les évangiles, disponibles à l’examen de tous : “Si on se livrait à cet examen, on n’aurait besoin ni de longs traités, ni d’arguments”. Cette phrase semble dirigée directement contre la passion des Grecs pour les interprétations alambiquées et les longues dissertations, qui masquent le véritable sens des évangiles ou des paroles des Pères.

Le fait que Saint Cyprien aurait lui-même désobéi à Rome en d’autres occasions ne prouverait pas qu’il ne croyait pas à la primauté, et qu’il faut donner une interprétation alambiquée à ses diverses déclarations sur le sujet (car on trouve, en effet, d’autres déclarations tout aussi explicites de sa part au sujet de la primauté romaine) : ce ne serait pas la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’un homme n’est pas exactement cohérent avec ses propres principes, et Saint Cyprien est saint par son martyr avant tout, pas nécessairement pour l’ensemble de sa vie et de son ministère. Il nous a légué néanmoins un témoignage fort, plus explicite encore que celui de Saint Irénée sur l’existence d’une primauté pétrinienne instituée par Dieu dans l’Eglise : La primauté est donnée à Pierre, afin qu’il n’y ait qu’une seule Église du Christ et une seule chaire


5- Saint Optat de Milève (c. 364-367)

Vous ne pouvez vous excuser sous prétexte d’ignorance ; car vous savez que la chaire épiscopale de Rome a été donnée d’abord à Saint Pierre, qui l’a occupée comme Chef de tous les Apôtres. C’est dans cette chaire unique que l’unité devait être conservée par tous, de peur que chacun des Apôtres ne prétendit se rendre indépendant dans la sienne. Dès lors celui-là est nécessairement schismatique et prévaricateur, qui ose élever une autre chaire contre celle-ci qui est unique

Traité contre les donatistes

Ce passage est spécialement intéressant car il affirme sans équivoque : 

  • Le fait que Saint Pierre est chef des apôtres. 
  • Le fait que la chaire de Rome est le centre de l’unité, en tant qu’elle est la chaire de Saint Pierre.
  • Le fait que cette chaire est “unique”, qu’elle n’est pas simplement un siège épiscopal parmi d’autres. 
  • Le fait que cette réalité est universellement connue par tous les chrétiens : “vous ne pouvez vous excuser sous prétexte d’ignorance”.
  • Le fait qu’il était nécessaire même pour les Apôtres d’être uni à la chaire de Saint Pierre, qu’il n’est pas possible que l’Eglise soit constituée de chaires épiscopales entièrement indépendantes les unes des autres.
  • Le fait que ceux qui élèvent leur chaire contre celle de Rome sont “schismatiques” et “prévaricateurs”. 

Même avec toute la mauvaise foi du monde, il nous semble bien difficile de donner un autre sens à ce passage de Saint Optat qu’une affirmation de la primauté romaine basée sur Saint Pierre (sans rapport avec une “primauté honorifique” basée sur le prestige de Rome), et une condamnation de ceux qui ne sont pas unis à cette chaire comme des schismatiques. Le contexte de la déclaration de Saint Optat est précisément la condamnation du schisme des donatistes, il oppose leur particularisme à l’universalité de l’Eglise basée sur la communion avec la chaire de Saint Pierre. 


6- Saint Ambroise de Milan (c. 380)

Si quelqu’un objecte à l’Eglise qu’elle peut se contenter de Jésus-Christ pour Chef et pour Époux unique, et qu’il ne lui en faut point d’autre, la réponse est facile. Jésus-Christ est pour nous non seulement l’Auteur mais encore le vrai Ministre intérieur de chaque Sacrement. C’est vraiment Lui qui baptise et qui absout, et néanmoins, Il n’a pas laissé de choisir des hommes pour être les ministres extérieurs des Sacrements. Ainsi, tout en gouvernant Lui-même l’Eglise par l’influence secrète de son esprit, Il place aussi à sa tête un homme pour être son Vicaire et le dépositaire extérieur de sa Puissance. A une Eglise visible, il fallait un Chef visible. Voilà pourquoi notre Sauveur établit Saint Pierre Chef et Pasteur de tout le troupeau des Fidèles, lorsqu’Il lui confia la charge de paître ses brebis. toutefois Il le fit en termes si généraux et si étendus qu’il voulut que ce même pouvoir de régir toute l’Eglise passât à ses successeurs.

Saint Ambroise voulait-il parler dans ce passage “des évêques” d’une manière générale, successeurs de Saint Pierre dans le sens le plus large du terme, c’est-à dire successeur des Apôtres ? Certains veulent le prétendre. Ils ne se rendent pas compte qu’ils font mentir le sens apparent du texte.

Ils oublient en effet un “détail” qui n’en est pas un : Saint Ambroise dit que “un homme” a été nommé “chef visible de l’Eglise”. Il ne dit pas “des hommes chefs de l’Eglise”, ni “un homme chef d’une Église”, mais : “un homme chef de l’Eglise”. Il a établi Saint Pierre “chef et pasteur de tout le troupeau des Fidèles”, pas chef d’une Eglise particulière. 

A ceux qui ne veulent pas à tout prix refuser la vérité, il apparaîtra de manière suffisamment claire que Saint Ambroise, comme d’autres Pères avant et après lui, considère que Saint Pierre a reçu une charge spécifique de gouverner toute l’Eglise et qu’il l’a transmise à ses successeurs. 


7- Saint Zosime (c. 418)

Bien que la tradition des pères ait reconnu au Siège apostolique une telle autorité que personne n’a osé mettre en cause son jugement, et qu’elle ait toujours observé cela par des canons et des règles, et que, par ses lois, la discipline ecclésiastique en vigueur jusqu’ici manifeste au nom de Pierre, dont elle descend elle-même ; l’antiquité canonique, du consentement de tous, a dévolu un tel pouvoir à cet apôtre, à qui Jésus-Christ Notre-Seigneur a conféré le privilège de lier ou de délier. Ce privilège appartient également par droit d’héritage à ses successeurs sur son siège. Pierre continue toujours à porter la sollicitude de toutes les Églises, mais il veille avec un soin particulier sur le Siège de Rome qui est le sien propre ; il ne souffre ni défaillance ni incorrection dans les jugements doctrinaux émanés de la Chaire qu’il a honorée de son nom et constituée sur des fondements inébranlables

Lettre 12 Quamvis Patrum à Aurélien et au concile de Carthage, 21 mars 418, PL, XX, 675-677 ; DS 221

Cette lettre du pape Zosime contient plusieurs affirmations précieuses : 

  • La “tradition des pères” reconnaît une autorité souveraine au Siège de Rome : ce pape du Ve siècle, d’ailleurs d’origine grecque, affirme que c’est une tradition apostolique de croire à une autorité spéciale de Rome, au point que “personne n’a osé mettre en cause son jugement”. 
  • Le pouvoir de Saint Pierre affirmé en Matthieu XVI, le “pouvoir de lier et de délier”, est transmis aux successeurs de Saint Pierre sur le Siège de Rome.
  • Par protection spéciale du Ciel, les jugements doctrinaux du Siège de Rome ne souffrent ni défaillance ni incorrection. 

Les textes que nous avons étudiés jusqu’ici sont surtout importants pour établir la croyance des premières générations de chrétiens dans la primauté de juridiction de l’évêque de Rome sur l’ensemble de l’Eglise. Ce texte est également utile pour prouver que les premiers chrétiens croyaient à l’infaillibilité du pape en matière doctrinale : il n’y a “ni défaillance ni incorrection” dans les jugements doctrinaux du Siège de Rome. A ceux qui prétendent que cette doctrine est une invention du Moyen-Âge latin, voici pour les réfuter une citation d’un Grec de l’antiquité. 


8- Saint Léon le Grand (c. 450)

Comme mes prédécesseurs l’ont fait pour les vôtres, j’ai moi-même délégué à votre charité le pouvoir de représenter mon propre gouvernement, afin que vous puissiez me venir en aide dans la charge qui nous incombe en vertu de l’institution divine à veiller sur toutes les églises. Vous serez ainsi présent aux églises qui sont les plus éloignées de nous, comme si vous les visitiez à notre place. (…) Cette union demande sans doute l’unanimité de sentiments dans le corps entier, mais surtout le concert entre les évêques. Quoique ceux-ci aient une même dignité, ils ne sont pas cependant tous placés au même rang, puisque parmi les apôtres eux-mêmes il y avait différence d’autorité avec ressemblance d’honneur, et que, quoiqu’ils fussent tous également choisis, un d’entre eux néanmoins jouissait de la prééminence sur tous les autres. C’est sur ce modèle qu’on a établi une distinction entre les évêques, et qu’on a très-sagement réglé que tous ne s’attribueraient pas indistinctement tout pouvoir, mais qu’il y en aurait dans chaque province qui auraient le droit d’initiative par-dessus leurs confrères, et que les évêques établis dans les villes les plus considérables, auraient aussi une juridiction plus étendue, en servant ainsi comme d’intermédiaire pour concentrer dans le siège de Pierre le gouvernement de l’Eglise universelle, et maintenir tous les membres en parfait accord avec leur chef

Lettre 14 à Anastase, évêque de Thessalonique, chapitres 11 et 12, PL, 54/668, 675-676

La pape Saint Léon le Grand (440-461), qui est considéré comme un saint par les schismatiques, figure pourtant parmi les témoins de la doctrine de la primauté pontificale, en paroles comme en actions.

Dans la présente lettre, il est question de la nomination d’un légat du Pape en Orient : Saint Léon explique les raisons doctrinales qui justifient que l’évêque de Rome puisse interférer d’aussi prêt dans les affaires des autres évêques.

L’évêque de Rome a reçu, “en vertu de l’institution divine”, une charge spéciale de veiller sur toutes les Églises. Les Apôtres et leurs successeurs les évêques, malgré leurs pouvoirs similaires, ne sont pas exactement égaux : il y a entre eux des hiérarchies d’institution humaine (les provinces ecclésiastiques et les patriarcats, dans lesquels un évêque a la prééminence sur les autres), et une hiérarchie d’institution divine (dans laquelle le Siège de Pierre domine sur tous les autres, afin d’assurer l’unité).

Le Pape Léon précise, ce qui est fort intéressant, que l’institution des provinces ecclésiastiques sert “d’intermédiaire pour concentrer dans le siège de Pierre le gouvernement de l’Eglise universelle” : la hiérarchie entre les évêques permets un gouvernement plus efficace dans l’Église, les archevêques et les patriarches pouvant rendre compte au Pape du gouvernement de contrées qui ne peuvent pas être gérées directement par le Pape. 


9- Saint Pélage Ier (c. 558-561)

Mais chaque fois qu’un doute s’élève sur une chose relative à un Concile universel, lorsqu’il s’agit de recevoir un enseignement du Concile que l’on ne comprend pas, ceux qui désirent promptement le salut de leur âme doivent s’accorder avec l’explication du Siège apostolique.

Sed quoties aliqua de universali synodo aliquibus dubitatio nascitur, ad recipiendam de eo quod non intellegunt, rationem, aut sponte ii qui salutem animae suae desiderunt, ad apostolicam sedem pro recipienda ratione conveniant

Lettre IV [alias V] au Patrice Narcès, PL 69, colonne 397

Le pape Pélage réaffirme ici, en écrivant à un proche de l’empereur Justinien Ier (le général Narsès, impliqué dans la reconquête byzantine de l’Italie) contre le schisme de Paulin d’Aquilée, que le pontife romain possède une autorité doctrinale supérieure dans toute l’Eglise : c’est le pape qui a autorité pour expliquer l’enseignement des Conciles, ou clarifier les doutes relatifs à la doctrine apostolique. Il affirme également, en quelques sortes, qu’il est nécessaire au salut de se laisser guider par le Siège apostolique : “ceux qui désirent le salut de leur âme” (ii qui salutem animae suae desiderunt), doivent aller au siège apostolique pour recevoir l’explication des enseignements des Conciles (ad apostolicam sedem pro recipienda ratione conveniant). 


10- Saint Euloge d’Alexandrie (c. 580-600)

Ce n’est ni à Jean ni à aucun autre des disciples que le sauveur a dit : “Je te donnerai les clefs du royaume des cieux, etc.”, mais c’est à Pierre seul, qui devait le renier, expier sa faute par les larmes de la pénitence, afin qu’il fut plus indulgent à l’égard des pécheurs.

Saint Euloge fut patriarche melkite d’Alexandrie entre 580 et 608. De ses écrits on ne trouve que peu de traces, on connaît surtout ceux qui sont cités et commentés par Photius. Photius commentait ce passage en exprimant son désaccord avec le patriarche d’Alexandrie, estimant que le “pouvoir des clés” désigne le pouvoir de lier et de délier les péchés que tous les apôtres ont reçu ainsi que les évêques leurs successeurs. Nous pouvons donc voir ici que Euloge, proche du pape Saint Grégoire le Grand, et malgré son statut de patriarche, croit que Pierre seul à l’exclusion des autres apôtres a reçu “le pouvoir des clés”, un gouvernement suprême sur l’Église. 


11- Saint Théodore Studite (c. 810)

Au très saint et souverain Père des Pères, à mon Seigneur Léon, Pape apostolique, Théodore, très humble prêtre et higoumène de Stoudion. Puisque c’est à Pierre le grand que le Christ notre Dieu, après lui avoir donné les clés du royaume des cieux, a conféré la dignité de chef du troupeau, c’est à Pierre, c’est-à-dire à son successeur, qu’il faut soumettre toutes les nouveautés hérétiques introduites dans l’Église universelle par ceux qui s’écartent de la vérité.

 Έπειδήπερ Πέτρω τώ μεγάλω δέδωκε Χρίστος ό Θεός μετά τας κλείς της βασιλείας τών ουρανών και το της ποιμνιαρχίας αξίωμα’ προς Πέτρον ήτοι τον αύτοΰ διάδοχον ότιοΰν καινοτομούμενον έν τη Καθολίκί) ‘Εκκλησία παρά τών άποσφαλλομένων της αληθείας άναγκαϊον άναφέρεσθαι.

Lettres, livre Ier, 33 ; P. G., t. XCIX, col. 1017 Β

Le meilleur “argument ad hominem” en faveur du catholicisme vis à vis des schismatiques orientaux est peut-être la doctrine de Saint Théodore Studite. Ces schismatiques honorent Saint Théodore comme une des plus grandes gloires de l’orthodoxie, un intrépide défenseur de la foi et du culte des icônes. Or Saint Théodore, comme d’autres saints du monastère du Stoudion, témoigne à plusieurs reprises de sa foi en la primauté et même l’infaillibilité pontificale. Confrontés aux défaillances du patriarche de Constantinople et à la violence des persécutions temporelles contre l’orthodoxie, les Studites ont compris mieux que d’autres la nécessité de s’appuyer sur le successeur de Saint Pierre, “roc de la foi”, centre de l’unité chrétienne et de la doctrine apostolique, qui continue d’enseigner la vérité quand le monde entier s’effondre. 


12- Théodore Abu Qurrah (c. 800-830)

Un exemple de témoignage des pouvoirs universels de la papauté extérieur au monde latin, et antérieur à la réforme grégorienne ou à la controverse photienne, est celui de Théodore Abu Qurrah, aussi appelé en Occident Aboucara (v. 750-v. 820). Aboucara est un personnage particulièrement intéressant : de formation gréco-syriaque (il se décrit lui-même comme un disciple de Saint Jean Damascène, ce qui doit s’entendre d’une manière symbolique car ce dernier est mort en 749), il écrit en langue arabe, et controverse contre les très nombreuses sectes, fausses religions et hérésies qui pullulent en Orient, spécialement à Harran, la ville dont il était évêque, en défendant toujours la doctrine catholique.

Le fait qu’il ait été confronté à tant de sectes différentes l’a poussé à donner à son exposé de la foi un caractère spécialement logique et exhaustif : précurseur de la scolastique en un certain sens, il utilise la raison et la philosophie d’Aristote (qui était mise en avant par les Arabes en ce temps) pour défendre les vérités de la foi, et aborde toutes choses d’une façon systématique et complète. Ceci explique qu’il a parlé plus abondamment de certains sujets sur lesquels d’autres Pères n’avaient auparavant pas jugé utile de s’attarder, ou n’en avaient pas eu l’occasion. Étant sans cesse au contact des fausses doctrines, Aboucara est poussé par une exigence apologétique spécialement forte.

Il est surtout connu pour sa controverse contre l’islam, qu’il a eu le courage de porter jusque devant le calife abasside Al-Mamun, dans une époque d’intenses débats intellectuels en Orient. Il est l’héritier d’une glorieuse tradition intellectuelle syriaque dont St Jean Damascène a été le plus grand représentant (“Le Damascène” et son “Exposé de la foi orthodoxe” est l’un des auteurs les plus cités par Saint Thomas d’Aquin dans la Somme théologique ; il semble en effet que l’exposé du Damascène soit la première “somme théologique” de l’histoire, le premier écrit qui expose de manière systématique et logique les différents dogmes de la foi). 

Avec Aboucara, apologète melkite du IXe siècle, nous sommes très loin, géographiquement et a fortiori intellectuellement, de la culture latine. Pourtant voici ce qu’Aboucara écrit, dans sa magistrale Démonstration de la foi de l’Eglise

Il faut noter que les Apôtres avaient pour chef saint Pierre à qui le Christ avait dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l’enfer ne triompheront point d’elle » (Matth., XVI, 18); à qui il dit aussi trois fois, après sa résurrection, près de la mer de Tibériade : « Simon, m’aimes-tu ? (Si tu m’aimes) Pais mes agneaux, mes béliers et mes brebis. » (Joan., xxi, 15-18.) Il lui dit ailleurs : « Simon, Satan a demandé de vous cribler comme on crible le blé, et j’ai prié pour toi afin que tu ne perdes pas ta foi; mais, à l’instant, tourne-toi vers tes frères et affermis-les. » (Luc, XXII, 31.)Vous voyez bien que saint Pierre est le fondement de l’Eglise propre au troupeau (des fidèles), et celui qui a sa foi ne la perdra jamais; c’est lui aussi qui est chargé de se tourner vers ses frères et de les affermir. Les paroles du Seigneur : « J’ai prié pour toi afin que tu ne perdes pas ta foi; mais tourne-toi à l’instant vers tes frères et affermis-les », ne désignent pas la personne de Pierre ni les Apôtres eux-mêmes. Le Christ a voulu désigner par ces mots ceux qui tiendront la place de saint Pierre à Rome et les places des Apôtres. (…) Il est donc de toute évidence que ces mots désignent les successeurs de saint Pierre, qui ne cessent en effet d’affermir leurs frères et ne cesseront jamais jusqu’à la fin des siècles.”

Aboucara continue appuie ensuite son propos par une énumération des interventions des successeurs de Saint Pierre en défense de la foi : 

Vous savez bien que lorsque Arius se révolta, une assemblée fut réunie contre lui par l’ordre de l’évêque de Rome. Le saint Concile l’a condamné et a fait cesser son hérésie; (…) Ainsi lorsque Macédonius se révolta au sujet du Saint-Esprit, une assemblée fut réunie contre lui à Constantinople par l’ordre de l’évêque de Rome; ce concile rejeta l’hérésiarque et l’Église accepta sa décision comme elle avait accepté celle du premier. (…) Lorsque Nestorius se révolta en disant du Christ ce qu’il en a dit, l’Eglise rejeta sa doctrine et la porta, selon sa coutume, au saint concile, qui fut réuni à Ephèse par ordre de l’évêque de Rome (…) Lorsque Eutychès et Dioscore se révoltèrent en disant du Christ ce qu’ils en avaient dit, l’Eglise a repoussé leur hérésie et les Saints Pères se sont levés contre eux. Mais l’Eglise n’a pas accepté leur doctrine ni celle de ceux qui les contredisent, elle les a fait traduire au jugement du saint concile, selon sa coutume. Le quatrième concile a été réuni alors à Chalcédoine par l’ordre de l’évêque de Rome; il les a excommuniés et a fait cesser leur hérésie (…) Quand Macaire, Cyrus et Sergius se révoltèrent et enseignaient leurs erreurs au sujet du Christ, l’Eglise refusa d’accepter leur opinion et plusieurs Pères s’élevèrent contre eux pour les discuter et repousser leur hérésie. Mais l’Eglise n’a pas accepté absolument leur opinion ni celle de leurs adversaires; elle les a portées au concile, selon sa coutume. Alors le Ve concile a été convoqué à Constantinople par l’ordre de l’évêque de Rome qui les a excommuniés et fait cesser leur hérésie (…)

Il conclut sa profession de foi, en rappelant qu’elle est fondée sur Saint Pierre : 

Mais, nous, orthodoxes et enfants de la sainte Eglise, nous rendons gloire et action de grâces au Christ, notre Dieu, qui nous a accordé la bonne volonté et l’obéissance aux saints conciles que le Saint-Esprit a fait parler. Nous sommes dans sa maison et dans le bercail de ses troupeaux. Par sa protection,nous sommes sauvés de Satan qui, comme un loup dévorant,rôde autour de nos âmes pour surprendre celui qui se hasarde à sortir de l’Église et en faire sa proie. Nous supplions notre Seigneur et notre Dieu Jésus-Christ de nous affermir pour toujours sur le roc de son Église sainte et de nous faire boire la liqueur de sa douce doctrine. Nous serons ainsi enivrés de son amour qui remplit nos âmes et nos cœurs de joie et de bonheur en nous portant à lui obéir par l’observation de ses commandements, pour vivre éternellement et hériter son royaume céleste préparé pour tout ce qui a été édifié sur le fondement de saint Pierre par le Saint-Esprit. Esprit-Saint, faites-nous connaître le Christ, le Fils éternel de Dieu, qui s’est incarné de la Vierge Marie par le Saint-Esprit pour notre salut.

À lui soit la gloire, la puissance, la majesté et l’adoration, avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles.

Ainsi soit-il.

Ce témoignage de foi éclatant est plus que suffisant pour prouver que la papauté et les prétentions qu’elle a eu contre les “orthodoxes” n’ont pas été “inventées par les Latins” à une époque tardive : si un disciple de Saint Jean Damascène, de culture grecque, syriaque et arabe, parle en des termes aussi limpides de la papauté un demi-siècle avant la révolte de Photius, c’est bien que cette doctrine fait partie d’un dépôt de foi qui dépasse l’Occident latin.

On peut voir d’ailleurs une similitude de sentiments entre l’apologète melkite et les moines du Stoudion dont il est contemporain : peut-être était-il familier de leur doctrine, ou peut-être a-t-il simplement reçu cette même doctrine apostolique d’une source indépendante, de ses maîtres syriaques ou grecs. 


13- Photius lui-même affirme la primauté pontificale (c. 860)

Pour faire taire définitivement ceux qui prétendent que la primauté pontificale est une idée complètement étrangère aux Pères et aux chrétiens d’Orient, nous invoquons le témoignage de Photius lui-même : cet homme néfaste s’est séparé de Rome pour des raisons étrangères à la foi, et sa construction d’un arsenal théologique anti-romain n’intervient qu’après qu’il se soit vu refuser par le pape l’investiture en tant que patriarche de Constantinople. Dans un premier temps, Photius a enseigné, en unisson avec toute la tradition apostolique : 

  • Que Saint Pierre est le chef des Apôtres.
  • Que l’évêque de Rome est le successeur de Saint Pierre dans sa primauté. 

L’étude du R. P. Martin Jugie sur le sujet, dans laquelle les lecteurs pourront trouver toutes les citations originales en grec et bien d’autres citations encore, a de quoi ébranler toute la “mythologie” des schismatiques sur leur père fondateur, et confirmer le fait que la primauté romaine était acceptée par tous les orthodoxes avant les innovations de Photius.  Il a soutenu l’action de Grégoire Asbestas qui, en invoquant explicitement les canons du Concile de Sardique, en appelle à l’autorité du pape pour juger en appel la sentence de déposition du patriarche Ignace à son égard. Puis, après avoir lui-même usurpé le trône d’Ignace, Photius tente de se faire reconnaître par Rome et envoie une lettre pleine de respect à celui qu’il considère, à l’évidence, comme le successeur de Saint Pierre. Une partie de son argumentation contre Ignace est précisément le fait que celui-ci n’aurait pas respecté les prérogatives de l’évêque de Rome ! Avant que la condamnation définitive à son égard n’ait lieu, on trouve de la part de Photius une lettre au pape Nicolas Ier, déclarant que celui-ci et ses prédécesseurs avait reçu “la primauté”, bien qu’il glisse cette déclaration au milieu d’une critique sur le respect des canons :

les vrais canons doivent être gardés par tous, mais principalement par ceux que la Providence a amené à gouverner les autres; et parmi ces derniers, ceux qui ont en partage la primauté doivent briller entre tous par leur fidélité à les observer, car plus ils sont hauts placés, plus ils doivent s’attacher à la règle. (…) C’est pourquoi Votre Béatitude, prenant soin de faire observer la discipline ecclésiastique et suivant la droite ligne des canons, ne doit pas recevoir indistinctement sans lettres de recommandation ceux qui vont d’ici à Rome

P.G., t. CII, 596, 609

Ces actions et ces déclarations ne sont pas simplement des convenances ou des ruses : elles expriment simplement la manière dont les chrétiens orthodoxes considèrent le pape à l’époque, Photius compris, c’est à dire comme le successeur de Saint Pierre, héritier de la primauté et père de tous les chrétiens, doté d’une juridiction suprême, capable de briser en appel la sentence d’autres évêques, capable même de décider du sort du très puissant patriarcat de Constantinople. 

Le vendredi saint de l’année 861, Photius prêche un sermon sur l’espérance et la miséricorde dans l’église Sainte-Irène à Constantinople. Il invoque l’exemple du reniement de Saint Pierre, en disant que Dieu lui a donné la dignité de chef des apôtres et de pierre fondamentale de l’Eglise malgré ses péchés :

Voyez Pierre, leur disait-il; à la voix d’une servante, il renia son Maître, déclarant avec serment ne pas le connaître. Mais il lava la souillure de son apostasie par des larmes si abondantes qu’il ne déchut point de sa dignité de coryphée du chœur apostolique, qu’il a été établi pierre fondamentale de l’Eglise et qu’il a été proclamé par Celui qui est la Vérité même porte-clefs des cieux

S. ARISTARCHIS, t. I, p. 481-482

L’expression “coryphée” (κορυφαῖος, “chef de chœur”)  pour désigner Saint Pierre est d’ailleurs empruntée à Saint Jean Chrysostome. 

Dans la question 97 à Amphiloque, il déclare que Dieu a permis la chute de Pierre justement parce qu’il avait prévu de lui donner la primauté, et de le rendre compatissant pour les pécheurs dans son gouvernement : 

C’est dit-il, parce que Pierre devait recevoir le gouvernement de l’univers. Instruit par sa propre expérience, il se montrerait ainsi plein de bonté et d’indulgence à l’égard des pécheurs pénitents

Quaestio XCVII ad Amphilochium, P. G., CI, 608 C

Ce n’est que plus tard, après sa condamnation et déposition par le pape en 863, que Photius rédige un opuscule A ceux qui disent que Rome est le premier siège, dans lequel il laisse libre cours à son mépris des Latins et parle en des termes amers et violents. Il reprend le mythe de la “primauté de Saint André” par rapport à Saint Pierre, inventé du durant le schisme d’Acace (484-519), contredisant ce qu’il avait auparavant enseigné sur la primauté de Saint Pierre parmi les apôtres.

Quant à savoir si Photius considérait l’évêque de Rome comme le successeur de Saint Pierre, on peut dire qu’il connaissait ce principe aussi bien que tous les chrétiens de son temps, et qu’il l’affirme même dans son libelle contre la primauté : “Si Rome est le premier siège parce qu’elle reçut pour évêque le Coryphée, la primauté reviendra plutôt à Antioche. Pierre fut, en effet, évêque d’Antioche, avant de l’être de Rome”. Il appelle à plusieurs reprises le siège de Rome “trône apostolique par excellence”, même après le schisme, reconnaissant cette filiation avec Saint Pierre.  

Notons que Photius, qui était un homme orgueilleux, ambitieux et perfide, qui a changé de positions plusieurs fois suivant les circonstances (se montrant très courtois avec Rome dans les moments où il avait l’espoir d’être reconnu comme le patriarche légitime de Constantinople), n’était pas très aimé même parmi les schismatiques et n’a gagné leur admiration qu’assez tard dans l’histoire, quand ils ont senti le besoin de solidifier leur théologie anti-romaine. Ce n’est qu’à partir de 1911 que “Saint Photius” est fêté dans le calendrier de l’église de Constantinople. Il est en effet leur fondateur d’un point de vue logique et doctrinal, et il leur faut sauver Photius pour continuer d’être schismatiques, car si Photius est condamnable ils le sont autant que lui. Le schisme de 1054 est une conséquence directe des écrits et des scandales de Photius, bien que l’Eglise de Constantinople se soit réconciliée avec Rome et ait maintenu la communion jusqu’à cette date, non sans difficultés ; les arguments et surtout l’état d’esprit de Photius ont laissé des traces durables et préparé, par une espèce de mépris par principe des Latins et de tout ce qui vient d’Occident, la séparation finale. 


Conclusion

Nous avons vus de multiples témoignages patristiques, dont certains sont extérieurs à l’Occident, qui établissent sans discussion possible : 

  • Que l’on accordait à l’évêque de Rome une place spéciale et sans équivalent dans l’Eglise en raison des paroles de l’évangile contenues en Matthieu XVI où sont imposées à Saint Pierre “les clés du royaume des cieux”. 
  • Que cette primauté est d’abord une primauté de juridiction, une capacité à juger des causes relatives à n’importe quelle autre partie de l’Eglise, spécialement pour trancher un conflit n’a pas pu se résoudre au niveau local. 
  • Que cette primauté s’accompagne aussi d’un pouvoir spécial d’enseigner la vraie doctrine chrétienne, sans risque de corruption. Les jugements doctrinaux du Siège apostolique ont toujours été reconnus, par les véritables orthodoxes, comme des jugements définitifs. 

Si des discussions continuent d’avoir lieu sur la nature “papiste” des différents extraits que nous avons discutés, ce n’est pas parce que ceux-ci seraient fondamentalement ambigus, insuffisants ou mal traduits. C’est plutôt, nous devons l’admettre, parce que certains refusent par principe l’idée de la papauté. Ils ont endurci leur cœur et fait profession de lutter contre la vérité apparente pour défendre des doctrines qui leur plaisent davantage, pour des raisons étrangères au zèle pour la foi ; certainement pas en raison d’un souci de rigoureuse fidélité aux témoignages des Pères.

Jean-Tristan B.

Pourquoi être catholique plutôt qu’orthodoxe (2/7)


Raisons patristiques : les Pères affirment la papauté


3- Les Pères affirment négativement la papauté, en ne protestant pas contre les prétentions de Rome

Avant d’étudier les témoignages positifs des Pères en faveur de la papauté, il nous faut nous arrêter sur un point qui est rarement évoqué, et qui a pourtant toute son importance dans le débat entre catholiques et schismatiques : où sont les témoignages des pères contre la papauté ? 

La réponse est très simple, il n’y a jamais eu de protestation des Pères à l’égard des titres et des prétentions de l’Eglise de Rome, qui – contrairement à la légende moderne colportée par les universitaires de gauche et par les ennemis de l’Eglise en tout genre – ne sont pas soudainement apparus au milieu du Moyen-Age, sous l’impulsion des moines de Cluny et de la réforme grégorienne, alors que l’ensemble des chrétiens auraient auparavant vécu sous le régime de la “pentarchie”, où les 5 patriarches les plus éminents de la chrétienté (Rome, Constantinople, Jérusalem, Antioche, Alexandrie) auraient dirigé l’Eglise sur une sorte de pied d’égalité. Cette conception de la pentarchie relève largement du mythe, car il a bien toujours existé une primauté de juridiction et de magistère de l’évêque de Rome (spécialement visible dans le fait que les évêques d’Orient y compris ceux de Constantinople, d’Antioche et d’Alexandrie recourent sans cesse à Rome 1) pour trancher les conflits et surmonter leurs difficultés internes, et 2) pour condamner les hérésies), qui n’est pas une simple primauté honorifique due au statut politique de Rome, mais une primauté due aux pouvoirs que le Christ a donné à Saint Pierre. 

Les schismatiques répondront peut-être qu’il n’y a pas eu de protestation contre la papauté car à cette époque les évêques de Rome n’avaient pas été gagnés par la “folie des grandeurs” de la réforme grégorienne, par les “idées extrémistes” du moine Hildebrand, devenu pape sous le nom de Grégoire VII. Si “folie des grandeurs” il y a, force est de constater qu’elle a commencé bien avant Cluny et qu’on en trouve des traces non équivoques dès l’antiquité, tout au long du Haut Moyen-Age, et pas uniquement en Occident. En vérité, ce que l’on constate dans l’histoire ancienne de l’Eglise est que les véritables orthodoxes ne contestent jamais les prérogatives de Rome, tandis que seuls les esprits teintés de schisme et d’hérésie se plaignent d’un “abus de pouvoir” ou d’une mauvaise interprétation des évangiles en faveur de la primauté pontificale.

L’étude de Mgr Batiffol sur les titres de l’évêque de Rome dans l’antiquité et le début du Moyen-Age (Cathedra Petri, 1938) nous fournit de nombreux et éclairants exemples sur cette primauté romaine revendiquée et manifestée dès l’antiquité, et jamais contestée par les véritables orthodoxes. Une autre étude de ce type, plus élargie, a été réalisée en 2003 par Scott Butler et John Collorafi (Keys over the Christian world: Evidence for Papal Authority [33 A.D.- 800 A.D.] from Ancient Latin, Greek, Chaldean, Syriac, Armenian, Coptic and Ethiopian documents). Nous en recommandons la lecture à ceux qui souhaitent approfondir le sujet.

Pour cet article nous ne sélectionnons que quelques exemples d’histoire ancienne de l’Église, dont certains datent d’avant que l’Église ait développé le moindre lien avec les autorités de l’empire romain, dans lesquels il est évident que Rome a revendiqué une primauté, non seulement en paroles mais en actes, et que cette primauté n’a pas fait l’objet d’une contestation forte et durable, l’ensemble des chrétiens la considérant comme normale même si certains ont contesté parfois la manière ou le sujet sur lesquels elle s’appliquait. Le principe de la primauté romaine était, implicitement ou explicitement, accepté par les chrétiens les plus sérieux, y compris en Orient.

Il est absurde de prétendre que ce principe est lié au prestige politique de la ville, dans un contexte où cette ville, mondialement réputée pour ses mœurs débauchées, est le siège d’un empire païen persécuteur, et aussi – ce qui ne manque pas d’importance – dans un contexte où la chrétienté romaine est beaucoup plus culturellement influencée par l’Orient que l’inverse (la liturgie même de l’église de Rome est en grec jusqu’au IVème siècle, et beaucoup de papes sont d’origine orientale). Rome, d’une manière générale, est d’un prestige culturel inférieur à l’Orient et les Romains de la haute société parlent grec en signe de distinction. Il n’y a aucune “primauté honorifique” crédible qui puisse être attachée à Rome par opposition aux autres sièges apostoliques avant que l’empire romain ne devienne chrétien. Seule la transmission du pouvoir de la primauté de Saint Pierre aux évêques de Rome peut expliquer ce qui s’est passé dans les épisodes d’histoire (très) ancienne de l’Église ci-dessous. 


1- La controverse sur la date de Pâques (c. 190)

Alors que l’Eglise vivait encore dans les catacombes, les contacts humains et épistolaires entre les différentes Églises et spécialement entre Rome et les Églises d’Orient étaient permanents. L’Occident et l’Orient ont en ce temps-là un mode de calcul différent pour la date de Pâques, l’Orient suivant l’ancienne coutume juive. Ce sujet inquiétait les papes du IIème siècle qui craignaient de voir une différence aussi importante entre l’Orient et l’Occident dans la loi de prière.

Le pape Victor Ier (189-199) s’empare de ce sujet d’une manière violente et excommunie les évêques d’Asie mineure : comment interpréter une telle action ? Il est impossible que l’évêque de Rome ait pris cette initiative si extrême, s’il n’estimait pas (et si l’ensemble des chrétiens n’estimaient pas) qu’elle était fondée en droit. Cette décision, sans doute excessive, fut contestée par les intéressés : mais il est fort intéressant d’étudier dans quels termes prennent place la contestation. Eusèbe de Césarée, dans le Vème tome de son Histoire ecclésiastique, explique que les Asiates ont contesté la violence de l’action, mais pas les pouvoirs de l’évêque de Rome : on ne voit aucun de ces anciens pères, bien qu’ils expriment un fort désaccord, contester comme le fit Photius que l’évêque de Rome ait même le droit d’excommunier un autre évêque en dehors de sa juridiction territoriale spécifique. Voyez le passage d’Eusèbe : 

Sur ce, le chef de l’église de Rome, Victor, entreprend de retrancher en masse de l’unité commune les chrétientés de toute l’Asie ainsi que les églises voisines, les tenant pour hétérodoxes. Il notifie par lettres et déclare que tous les frères de ces pays-là sans exception étaient excommuniés. Mais cela ne plut pas à tous les évêques, ils l’exhortèrent au contraire à avoir souci de la paix, de l’union avec le prochain et de la charité : on a encore leurs paroles ; ils s’adressaient à Victor d’une façon fort tranchante. Parmi eux encore se trouve Irénée, il écrivit au nom des frères qu’il gouvernait en Gaule. Il établit d’abord qu’il faut célébrer seulement le jour du dimanche le mystère de la Résurrection du Seigneur ; puis, il exhorte Victor respectueusement à ne pas retrancher des églises de Dieu tout entières qui gardent la tradition d’une coutume antique et donne beaucoup d’autres avis

Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, V, 24

Ainsi les évêques concernés, par la voix du grand Saint Irénée, “exhortent respectueusement” le pape de “ne pas retrancher des églises”. Si n’importe quel autre évêque, même un patriarche, avait pris une décision similaire en dehors de sa province ecclésiastique, il aurait été rappelé au fait que ses pouvoirs ne sont pas illimités. Ici pourtant, l’évêque de Rome excommunie les évêques d’Asie, bien loin du “patriarcat occidental” dont aiment parler les schismatiques modernes, et se voit respectueusement demander par Saint Irénée de lever son excommunication, ce qui sous-entend que celle-ci a une forme de validité, autrement il suffirait de l’ignorer. Si les chrétiens d’Orient avaient été animés à l’époque des mêmes sentiments que Photius, le schisme général entre Rome et l’Orient aurait commencé en 190. La manière dont a agi Victor Ier contre les Asiates est sans doute plus choquante que la manière dont a agi le pape Nicolas Ier à l’égard de l’usurpateur Photius. Pourtant, les vénérables Pères de l’Eglise apostolique n’ont pas entrepris à cette occasion de nier que Rome soit “le premier siège”. Suite à cette controverse, l’usage oriental de la célébration de la Pâque s’est peu à peu entièrement aligné sur celui de l’Eglise de Rome. 


2- La controverse sur le Baptême des hérétique (c. 250)

Dans la tourmente des persécutions de Dèce (249-250), de nombreux chrétiens ont malheureusement apostasié en acceptant de brûler un grain d’encens aux idoles. Une fois la persécution terminée, nombreux sont ceux qui demandent à être pardonnés et réintégrés dans la communion de l’Eglise. Le statut de ces lapsi divise : certains estiment que l’attitude de l’Eglise, qui consiste à accorder l’absolution aux apostats, est trop laxiste, parmi eux Novatien qui fait schisme et prétend être l’évêque légitime de Rome, et refuse d’accepter à la communion les lapsi pénitents.

A mesure que les persécutions s’éloignent, la secte de Novatien commence rapidement à s’étioler. De nombreux novatianistes veulent revenir dans l’Eglise : la question se pose de savoir s’il est nécessaire de baptiser à nouveau ceux qui ont été baptisés dans la secte novatienne. Saint Cyprien, et avec lui de nombreux évêques africains, défend l’opinion selon laquelle ce second baptême est nécessaire. Le Pape Etienne Ier (254-257) non seulement défend la doctrine contraire (selon laquelle le baptême des hérétiques et des schismatiques est valide, et qu’il est sacrilège d’effectuer un second baptême), mais impose aux autres évêques de rétracter la doctrine du second baptême. S’en suit une lutte passionnée avec le pape qui mène l’Eglise africaine au bord du schisme. 

De cet épisode, les schismatiques tentent parfois de puiser des preuves de “l’opposition de Saint Cyprien à la primauté romaine”. La question est en réalité complexe et Saint Cyprien, bien qu’il ait pu agir avec un mauvais esprit, n’a jamais véritablement cherché à réfuter la doctrine de la primauté. 

On pourrait tenter par exemple d’utiliser ce passage  :

Il ne faut point se retrancher derrière la coutume, mais vaincre par la raison. Pierre, que le Seigneur a choisi tout d’abord, et sur lequel il a bâti son Église, se trouvant par la suite en désaccord avec Paul au sujet de la circoncision, ne montra point d’arrogance ou de prétention insolente ; il ne dit point qu’il avait la primauté, et que les nouveaux-venus et les moins anciens devaient plutôt lui obéir, et il ne méprisa point Paul, sous le prétexte qu’il avait été persécuteur de l’Église, mais il se rendit de bonne grâce à la vérité et aux justes raisons que Paul faisait valoir. Il nous donnait ainsi une leçon d’union et de patience, et nous apprenait à ne point nous attacher avec obstination à notre propre sentiment, mais à faire plutôt nôtres, quand elles sont conformes à la vérité et à la justice, les idées bonnes et salutaires qui peuvent nous être suggérées par nos frères et nos collègues

Saint Cyprien, épître 71

Ce massage montre plutôt : 

  • Que Saint Cyprien est d’accord pour dire que “le Seigneur a bâti son Eglise sur Pierre”.
  • Que le pape de l’époque revendique la primauté.
  • Que Saint Cyprien ne dit pas qu’il est faux que Pierre ait la primauté, mais exhorte son successeur à agir avec humilité en acceptant les suggestions qui viennent de l’extérieur si elles sont vraies et justes, au lieu d’imposer toujours son avis au nom de la primauté. 

Saint Cyprien reste attaché à ses positions et convoque un concile des évêques d’Afrique, de Numidie et de Maurétanie en septembre 256, pour affirmer plus solennellement la doctrine du second baptême. Le concile s’ouvre sur une déclaration qui semble critiquer l’attitude du pape : “car nul d’entre nous ne se pose en évêque des évêques, nul ne tyrannise ses collègues ni ne les terrorise pour contraindre leur assentiment, vu que tout évêque est libre d’exercer son pouvoir comme il l’entend, et ne peut pas plus être jugé par un autre que juger lui-même un autre”. La critique n’est pas directe mais simplement suggérée, car le contexte de la déclaration est un propos plus général sur le fait que chaque évêque participant à ce concile local est amené à exprimer librement son opinion sans craindre d’être persécuté. Cependant le terme “évêque des évêques” et le vocabulaire de la “tyrannie” et de la contrainte sont probablement un écho du ressentiment de Cyprien contre les revendications du pape.

Saint Cyprien et les évêques africains étaient-ils alors dans une position analogue à celle de Photius, niant la primauté du pape et rejetant ses enseignements ? Ce n’est pas ce que nous apprend l’histoire de cette controverse. Saint Jérôme, écrivant environ un siècle et demi plus tard[1], nous apprend que :

  • Saint Cyprien et le concile de Carthage ont envoyé leur décret conciliaire au pape.
  • Que le pape (Sixte II, successeur d’Etienne) a refusé leur doctrine.
  • Que ces évêques rétractèrent leur opinion suite à la condamnation du Pape, pour accepter la doctrine de la validité du baptême conféré en dehors de l’Eglise.

La controverse s’est donc terminée, après plusieurs remous, par une acceptation de l’enseignement du pape de Rome. Nous avons conservé très peu de traces des interventions de Rome dans cette controverse, en dehors d’une citation du pape Etienne dans une épître de Saint Cyprien ; il est possible qu’à un moment donné, le pape – qui jusque là tentait de convaincre ceux de l’opinion adverse plutôt que de leur imposer une doctrine – a clairement usé de son autorité apostolique pour trancher le débat, et que Saint Cyprien – qui connaissait mieux que quiconque le principe de la primauté, exprimé dans son traité sur l’unité de l’Eglise – a fini par accepter de se rétracter.


3- La controverse arienne et le concile de Sardique (343)

Après la condamnation de l’arianisme par le concile de Nicée (325), un grand nombre d’évêques orientaux se sont malheureusement laissés séduire par des versions « modérées » de l’hérésie arienne et ont activement combattu les défenseurs de l’orthodoxie, dont le plus célèbre fut Saint Athanase, évêque d’Alexandrie entre 328 et 373.

L’empereur Constantin a légalisé le christianisme (313), soutenu l’Eglise et demandé la convocation du Concile de Nicée, mais il est cependant fort novice en théologie et n’est pas lui-même pas véritablement chrétien (il sera baptisé sur son lit de mort par un évêque arien). Pour des raisons non exactement élucidées, peut-être parce qu’il se préoccupe surtout de l’unité extérieure des chrétiens et que l’arianisme modéré est devenu la position majoritaire, il finit par renverser sa politique pour défendre les ariens. Ainsi dans les dernières années de la vie de Constantin (330-337), le parti des ariens devient le plus puissant dans la chrétienté.

Les ariens entreprennent de déposer Saint Athanase lors du concile d’Antioche (335), dirigé par Eusèbe de Nicomédie. A partir de ce moment, l’évêque de Rome entreprend, de sa propre autorité, de briser les décisions illégitimes des évêques d’Orient. Nous voyons le pape prendre fait et cause pour Saint Athanase, et agir véritablement comme s’il était l’autorité suprême dans l’Eglise ; qualité qui ne lui était contestée, en réalité, que par les sympathisants de l’arianisme.

L’historien Socrate de Constantinople (qui écrit son Histoire ecclésiastique vers 440) commente le conciliabule d’Antioche en disant qu’il est illégitime précisément parce que l’évêque de Rome n’était ni présent ni représenté :

Jules Evêque de Rome n’y assista point non plus, et n’y envoya personne en sa place, bien que selon un ancien Canon, il n’était pas permis de rien ordonner dans l’Eglise, sans le consentement de l’Evêque de Rome.

Socrate le Scholastique, Histoire ecclésiastique, Livre II, chapitre 8 dans PG, 67/195

De « l’ancien canon » mentionné par Socrate, nous ne savons rien de précis. Ce commentaire est simplement un témoignage supplémentaire que la primauté du pape était crue par les premiers chrétiens, au point d’être inscrite dans le droit ecclésiastique et ce avant le concile de Sardique dont nous discuterons bientôt. L’historien Sozomène (qui écrit aussi dans les années 440-450) rapporte substantiellement la même chose que Socrate, savoir que le pape a condamné le concile de Tyr et a rappelé qu’il était contraire aux canons de prendre une décision aussi grave pour l’Eglise que la déposition du patriarche d’Alexandrie sans son accord.

En 340, le pape tient un concile à Rome qui annule les décisions du concile de Tyr et rétablit Saint Athanase dans son droit. Pour donner un caractère plus solennel encore aux nouvelles définitions contre l’arianisme, les Occidentaux (surtout Saint Ossius de Cordoue, bras droit du pape ayant joué un rôle important lors du Concile de Nicée), appuyés par les empereurs Constant et Constance, souhaitent réunir un concile œcuménique. La localisation de Sardique (nom antique de Sofia, dans l’actuelle Bulgarie), entre Occident et Orient, est choisie pour permettre au plus grand nombre d’évêques de s’y rendre. La majorité des évêques d’Orient, sympathisants de l’arianisme, n’y participent malheureusement pas, ne supportant pas la présence de Saint Athanase, et multipliant les injures et les attaques contre Rome. C’est un véritable schisme entre l’Occident et la majeure partie de l’Orient qui s’en suit.

Le concile de Sardique rassemble néanmoins, d’après Sozomène, environ 300 évêques d’Occident et 76 d’Orient. D’autres historiens diminuent beaucoup le nombre d’évêques présents, mais cette question a peu d’importance. Les canons de ce concile relative à l’autorité du pontife de Rome (qui n’est par ailleurs même pas présent) témoignent de la foi des chrétiens de l’époque en une autorité suprême du successeur de Saint Pierre, contestée seulement par les sympathisants de l’arianisme :

3. (…) Si cependant un évêque pense qu’il fut condamné pour une affaire, qui à son avis n’est point mauvaise, mais bonne, en sorte que le jugement doive être révisé, s’il plaît à votre charité, honorons la mémoire de l’apôtre Pierre, et que les juges eux- mêmes écrivent à Jules, évêque de Rome, afin que le tribunal, le cas échéant, soit à nouveau constitué par les évêques de la province voisine et que lui-même envoie des arbitres; mais si un pareil tribunal ne peut être constitué -car c’est à lui de décider si l’affaire a besoin d’être révisée -, ce qui fut déjà décidé ne doit pas être remis en question et le décret rendu sera confirmé

Le 3e canon du concile de Sardique déclare que l’évêque de Rome a le pouvoir de réviser en appel la sentence d’un autre évêque, et que c’est « honorer la mémoire de l’apôtre Pierre » que de déclarer ce pouvoir. D’autres canons du même concile entrent dans le détail de ce thème de l’appel à Rome en cas de conflit de juridiction au niveau provincial.

Certains voudraient voir dans ces canons, et pourquoi pas dans la personne d’Ossius, l’origine de « l’invention de la papauté », dans le sens qu’un pouvoir de ce type n’existait pas auparavant et qu’il aurait été arbitrairement attribué à l’évêque de Rome par le concile de Sardique. Ces menteurs sont réfutés par le récit de Sozomène et de Socrate le Scolastique, qui témoignent que c’est en vertu d’un « ancien canon » que l’évêque de Rome proteste contre l’illégitimité du concile oriental réuni contre Athanase plusieurs années avant le concile de Sardique, et que ce pape Jules revendique à ce moment un droit de contrôle sur ces décisions qui pourtant ne relèvent pas de sa province ecclésiastique ou de son « patriarcat occidental ». Nous avons vu, dans les exemples précédents, que cette revendication du pape à réguler les affaires de l’Eglise universelle s’est déjà manifestée aux IIe et IIIe siècles. Le concile de Sardique ne fait donc que confirmer des notions déjà existantes dans la mentalité chrétienne et dans le droit canon. 

Nous voyons dans cette affaire que Saint Athanase et tous les orthodoxes acquiescent, tacitement par leur silence, ou explicitement par leur ratification, au pouvoir suprême de l’évêque de Rome dans l’Eglise, un pouvoir tel que celui-ci peut briser en appel n’importe quelle sentence prononcée à un niveau inférieur de la hiérarchie ecclésiastique.


4- L’affirmation de la papauté par le concile de Rome (382)

Peu de temps après le Ier concile de Constantinople (381), l’empereur Théodose Ier réunit un autre synode à Constantinople, auquel le pape ne participe pas : Damase Ier réunit plutôt un concile à Rome, qui est surtout célèbre pour avoir été l’occasion de la définition du canon des Saintes Ecritures. Le concile déclare en outre :

La sainte Église romaine n’a pas été placée en avant des autres par quelque décision synodale mais a obtenu le premier rang par la voix évangélique de notre Seigneur et Sauveur, puisqu’il dit : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église et les portes de l’enfer ne prévaudront pas sur elles, et je te donnerai les clefs du Royaume des cieux et tout ce que tu auras lié sur terre sera lié aussi dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur terre sera aussi délié dans les cieux » (Matthieu 16, 18). La société du très bienheureux Paul, le vase d’élection, lui a été ajoutée, lui qui, combattant, n’a pas été couronné à un (moment) différent, comme les hérésies (le) coassent, mais (l’a été) au même moment, en un seul et même jour, par une mort glorieuse, avec Pierre, dans la ville de Rome, sous le César Néron. Ils consacrèrent également la susdite sainte Église romaine au Seigneur Christ et la placèrent devant toutes villes dans le monde entier par leur puissance (praesentia) et leur triomphe à vénérer. Le premier rang de l’apôtre Pierre revient donc à l’Église romaine, qui n’a ni tache, ni ride, ni rien de ce genre (voir Éphésiens 5, 27). Le deuxième siège a été consacré au nom du bienheureux Pierre par son disciple et évangéliste Marc à Alexandrie, lui qui, envoyé par l’apôtre Pierre, a prêché la parole de vérité et a consommé le glorieux martyre en Égypte. Et c’est du bienheureux Pierre qu’à Antioche on tient l’honorabilité du troisième siège, parce que c’est là-bas qu’il s’était rendu avant d’habiter à Rome et (parce que) c’est là-bas que pour la première fois le nom de chrétiens s’est manifesté (Actes 11, 26) (comme celui d’) une nouvelle nation

Texte tiré du Decretum Gelasianum, 3, éd. E. von Dobschütz, Leipzig, 1912, p. 7 ; “Latin Lists of the Canonical Books. I. The Roman Council under Damasus, A.D. 382”, introd. et éd. C. H. Turner, Journal of Theological Studies, 1, 1899, p. 560.

Il apparaît donc que dès le IVème siècle, les papes énoncent ouvertement la doctrine finalement rejetée par Photius au IXème siècle, et par ses héritiers du XIème siècle, en déclarant que la primauté de Rome provient du premier rang de l’apôtre Pierre, et des paroles prononcées par le Christ sur « les clés du royaume des cieux ».


Conclusion

Ces différents épisodes de l’histoire de l’Eglise nous apprennent   :

  • Que la prétention à la primauté de la part de Rome existe depuis l’antiquité la plus reculée (exemples des IIème, IIIème et IVème siècles).
  • Que cette prétention n’a rien à voir avec la place de la ville dans l’empire romain, mais est explicitement reliée aux paroles de l’évangile sur Saint Pierre.
  • Que cette prétention à la primauté n’a pas suscité, parmi les Pères de l’Eglise et plus généralement parmi les orthodoxes, de condamnation ou de réfutation.
  • Que les protestations des premiers chrétiens contre les actions de Rome
    • Ne portent pas sur le principe même de la primauté.
    • Se plaignent de la sévérité de certains papes, mais sans nier leur droit à agir pour réguler les affaires des Eglises à travers le monde.
    • Ont tendance à cesser une fois que Rome a exprimé sa volonté de manière suffisamment ferme, et que ceux qui entendent cette volonté sont suffisamment pieux et orthodoxes.

Nous avons donc une affirmation au moins négative de la papauté de la part des Pères qui ne protestent pas contre ces revendications continuelles à la primauté de juridiction et même à l’autorité doctrinale suprême de la part de Rome. Nous verrons, dans la partie suivante, que plusieurs Pères ont plutôt explicitement soutenu ces revendications.

Jean-Tristan B.


[1] Blessed Cyprian… condemning the baptism of heretics, sent [the acts of] an African Council on this matter to Stephen, who was then bishop of the city of Rome, and the twenty-second from Blessed Peter; but his attempt was in vain. Eventually the very same bishops, who had laid down with him that heretics were to be rebaptized, returning to the ancient custom, published a new decree. [Contra Lucif., 23. PL 23: 186]

Pourquoi être catholique plutôt qu’orthodoxe (1/7)

12 raisons de rejeter le schisme oriental

Il se manifeste ces derniers temps une étrange sympathie pour les “orthodoxes” dans les milieux catholiques conservateurs ou traditionalistes, ce qui est un grave paradoxe quand on considère que la raison d’être du traditionalisme est principalement le rejet de l’œcuménisme de Vatican II, de cette sympathie excessive pour les “frères séparés” qui pousse à rejeter la doctrine catholique sur la nature de l’Eglise et la nécessité d’être en communion avec le Saint-Siège pour être un véritable chrétien et sauver son âme. 

On considère qu’il y a “peu de différences” entre ces “orthodoxes” et les catholiques, qu’ils sont plus proches de notre foi que ne l’est Vatican II, qu’ils sont dignes d’admiration. Cette sympathie grandit chez certains jusqu’au point de provoquer une apostasie : un rejet du catholicisme pour rejoindre la soi-disant orthodoxie, car l’orthodoxie aurait “conservé la vraie foi” tandis que Rome s’égare non seulement depuis Vatican II, mais même depuis le Moyen-Age ou la fin de l’empire romain.

Face à cette dangereuse tendance, qui procède de l’ignorance des choses de la foi et de l’affaiblissement de la charité, nous avons souhaité rappeler pourquoi, en présence de Dieu, nous devons absolument être catholiques et pas “orthodoxes” si nous voulons sauver notre âme. 

Nous prions Dieu et ses saints de dissiper les mensonges des schismatiques, qui cachent sous milles arguties et sophismes subtils leur orgueil et leur nationalisme, qui sont la seule cause de leur rejet de l’autorité bienfaisante et sanctifiante du bienheureux Pierre : car en effet, ni les saintes écritures, ni la lecture des saints Pères, ni la considération de l’histoire de l’Eglise, ni la raison et la logique ne permettent de rejeter l’autorité de Pierre et de ses successeurs sur l’ensemble de l’Eglise.

Comme nous aurons l’occasion de le voir, les schismatiques ont pour procédé de refuser le sens évident des textes polémiques ou problématiques, et de complexifier excessivement le sujet afin de le faire apparaître comme plus embrumé qu’il ne l’est réellement, et prétendre que les Ecritures ou les Pères parlent d’un tout autre sujet que ce qui est immédiatement apparent. Les catholiques pour leur part se contentent d’interpréter ces citations suivant leur sens évident et en lien avec leur contexte immédiat et éloigné, suivant les règles classiques de l’interprétation, puisqu’ils ne cherchent pas à cacher dans l’obscurité les vérités que contiennent ces citations. 

Puissent les chrétiens ne pas tomber dans les pièges des schismatiques, ne pas se laisser détourner par les quelques apparences de piété et de tradition qu’ils mettent en avant, et rester ou revenir dans le giron de l’unique et véritable Église, hors de laquelle il n’y a point de salut, celle que Jésus-Christ a fondé sur Pierre. Ainsi soit-il.  


SOMMAIRE

  • I- Raisons scripturales
    • 1- La papauté est affirmée dans les Évangiles
    • 2- La papauté est visible dans les Actes des Apôtres
  • II – Raisons patristiques
    • 3- Les Pères affirment négativement la papauté, en ne protestant pas contre Rome
    • 4- Les Pères affirment positivement la papauté, en défendant Rome
    • 5- Les Pères affirment le Filioque
  • III – Raisons historiques
    • 6- La bienfaisance de Rome dans l’histoire de la chrétienté
    • 7- Les saints affirment la papauté
    • 8- Les miracles se produisent dans la communion catholique
    • 9- La soumission des schismatiques au pouvoir temporel
  • IV – Raisons intrinsèques
    • 10- La monarchie est le gouvernement le plus parfait
    • 11- Les chrétiens ont besoin d’une autorité juridictionnelle suprême
    • 12- Les chrétiens ont besoin d’une autorité doctrinale suprême

Raisons scripturales : les Écritures affirment la papauté

Saint Pierre et Jésus, Eglise Saint-Germain-l’Auxerrois (Paris)

1- La papauté est affirmée dans les Évangiles

Les Évangiles comportent deux principaux passages relatifs au primat de Saint Pierre. Le premier est celui de la promesse du primat, ou de la désignation de Pierre, comme devant recevoir une autorité suprême (Mt XVI, 13-20). Le second est l’imposition du primat, après la Résurrection, suite à la triple profession de Pierre (Jn XXI, 15-17).

Les protestants et les schismatiques veulent prétendre que ces textes, surtout Matthieu XVI, sont purement symboliques et n’ont aucun rapport avec la personne de Pierre spécifiquement. Pourtant tous les passages de la Bible, même ceux qui ont le sens symbolique le plus riche, ont aussi un sens littéral qui n’est pas contradictoire avec le sens symbolique. Il appartient en dernière instance à l’Église d’interpréter authentiquement les Saintes Écritures, mais même en l’absence du jugement de l’Église, il existe des règles ordinaires d’interprétation, et celles-ci n’excluent pas par défaut le sens littéral ou apparent.  

Une lecture honnête de ces passages, sans a priori, suffit à comprendre qu’il y a plus qu’un symbole, et que le Christ a un dessein particulier sur Pierre qui n’est pas le même dessein que pour les autres apôtres. Notre Seigneur impose certains pouvoirs aux apôtres collectivement, mais impose certains pouvoirs à Pierre spécifiquement à l’exclusion des autres, ainsi qu’il est visible dans ces deux passages des Évangiles. 

On peut voir dans le premier texte : 

  1. La raison pour laquelle Jésus donne à Simon cet étrange surnom de Cephas (“pierre” en araméen). Jusqu’ici, l’Évangile dit simplement que le Christ a imposé ce surnom à Simon fils de Jean, sachant qu’il ne s’agit pas d’un prénom à l’époque, mais bien d’un surnom qui évoque la pierre physique (Jn I, 42). Par ailleurs, dans la culture juive, le changement de nom n’est pas anodin : il signifie par exemple l’accession à une nouvelle fonction, ou un changement radical de vie, comme lorsque Saul devient Paul. Aucun autre apôtre n’a reçu du Christ un tel changement de nom : il y a donc une raison spéciale à cette particularité du nouveau nom de Simon. Dans ce passage, le Christ dévoile la raison de ce changement de nom, qu’il a décidé de sa propre autorité, et la nature de la fonction associée : il destine “Pierre” à être le fondement de son Église.
  1. Que la fonction de Pierre a un lien spécial avec la foi : en effet, le Christ déclare que Pierre sera le fondement de son Église après avoir obtenu de lui une profession de foi éclatante, que les autres apôtres n’ont pas été en mesure de fournir : “Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant”.  Notre Seigneur répond : “Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas, parce que ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais Mon Père qui est dans les Cieux” : ainsi le Christ dit à Pierre qu’il a professé la foi exacte par l’inspiration directe de Dieu, et non pas par ses propres forces. Il s’agit d’une préfiguration de l’infaillibilité pontificale. 
  1. Que Jésus promet de donner à Pierre une forme d’autorité suprême sur l’Église : “je te donnerais les clés du royaume des Cieux”. Le sens de cette expression s’éclaire assez naturellement lorsqu’on la compare à d’autres passages des Écritures. Tout d’abord les clés, lorsqu’elles sont en lien avec une entité politique telle qu’une ville ou un royaume, symbolisent dans la Bible (et plus généralement dans les civilisations qui ont connu des cités fortifiées) l’autorité suprême sur cette entité. Ensuite, le royaume des Cieux doit s’entendre ici comme l’Église, et non comme le paradis, bien que le folklore chrétien représente Saint Pierre comme ayant les clés des “portes du paradis”, ce qui relève du symbole. Le contexte nous permet de comprendre que le Christ parle ici d’une société humaine (puisqu’elle est sujette à des “clés”, comme une cité qui possède des portes), c’est-à-dire l’Église qu’il projette d’instituer. L’interprétation la plus simple et évidente de ce passage est donc : Jésus promet de donner à Pierre l’autorité suprême sur l’Église. Il n’y a pas d’autre manière cohérente d’interpréter cette phrase, surtout en considérant sa seconde partie sur le fait de “lier” et de “délier”, qui évoque dans la phraséologie juive les actes de gouvernement et de législation.
  1. Que l’autorité que Jésus promet à Pierre est spécialement étendue et universelle : “tout ce que tu lieras sur terre sera lié dans le Ciel, tout ce que tu délieras sur terre sera délié dans le Ciel”. Qu’on médite un instant cette phrase : prise dans son sens littéral, il n’y a aucune limitation posée à cette autorité des clés. Nous lisons bien “tout” serait susceptible d’être lié ou délié, selon le pouvoir qui lui a été donné. Ainsi on peut dire que la théocratie pontificale (qui n’est pas un dogme de foi) trouve son origine dans une lecture littérale de la Bible : les catholiques du Moyen Âge n’ont pas tiré de nulle part l’idée que le Saint Père possède un pouvoir suprême sur “tout”, même en matière temporelle. Même si l’on ne voulait limiter cette autorité qu’à la sphère ecclésiastique, qu’au “royaume des Cieux”, on voit qu’elle est absolument suprême dans ce domaine. 

On peut voir dans le second :

  1. Que le Christ prend à part Pierre spécifiquement, dans une scène où tous les apôtres sont présents, pour demander de lui des sacrifices et un dévouement supplémentaire : m’aimes-tu plus que ceux-ci
  1. Que le Christ demande spécifiquement le consentement de Pierre à sa volonté, en réitérant la même question à trois reprises : m’aimes-tu ? L’amour, dit Saint Thomas, consiste à vouloir le bien de la personne aimée, et à le poursuivre et le procurer autant qu’il est possible. Le Christ demande donc à Pierre s’il est prêt à poursuivre son bien, et par extension le bien de son Église : à la profession de Pierre, le Christ répond en lui commandant de “paître”, de prendre soin de son troupeau. L’un des effets de l’amour entre deux êtres est l’union des volontés : le Christ demande à Pierre cette union de sa volonté à la sienne, concernant le bien du troupeau à paître. Nous trouvons donc dans l’Évangile le principe de l’acceptation de l’élection par le pape, par l’adhésion de sa volonté au bien de l’Église et à la fin pour laquelle elle a été instituée. 
  1. Que le Christ commande spécifiquement à Pierre de paître son troupeau, ce qui est une manière symbolique, et néanmoins non équivoque, de désigner l’ensemble de ceux qui croient en lui, tous les fidèles réunis dans l’Église : il ne fait pas de doute que c’est à ce moment que le Christ réalise la promesse faite à Pierre en Matthieu XVI ; après avoir promis à Pierre “les clés du royaume des Cieux”, le pouvoir de lier et de délier, voilà à présent qu’il commande à Pierre de “paître” son troupeau (c’est-à-dire son Église, le royaume des Cieux précédemment mentionné), peu de temps avant de quitter la terre dans sa glorieuse Ascension. L’Évangile relate donc le moment où Pierre a effectivement reçu du Christ l’autorité qu’il lui avait promise avant sa Crucifixion. 
  1. Que le Christ distingue les agneaux et les brebis, ce qui pourrait sembler à première vue comme une distinction anodine. Mais nous savons que chaque parole du Christ est pesée, et que les mots qu’il prononce ne sont pas employés au hasard. Ainsi, cette distinction entre “agneaux” et “brebis” est traditionnellement interprétée comme une distinction entre les simples fidèles (les agneaux, qui sont plus petits et moins forts) et le clergé, spécialement les évêques (les brebis, qui sont la partie mûre et forte du troupeau). L’Évangile suggère donc également que l’autorité de Pierre ne s’étend pas seulement aux simples fidèles, mais également aux évêques, aux “brebis” fortes qui ont néanmoins elles aussi besoin d’être soignées par le pasteur. 

Jésus-Christ n’a pas dit : je te donnerais un primat honorifique entre les apôtres tes pairs ; mais : je te donnerais les clés du royaume des Cieux. Il n’a pas dit : ta parole a une valeur honorifique supérieure entre les apôtres, qui sera de nature à apaiser les conflits ; mais : tout ce que tu lieras sur terre sera lié dans le Ciel, tout ce que tu délieras sur terre sera délié dans le Ciel, ce qui signifie en des termes particulièrement solennels l’imposition d’une autorité suprême : comme si le Ciel lui-même obéirait aux commandements de Pierre, tant l’autorité que le Christ lui promet est grande. Le Christ n’a pas dit à tous les apôtres ensemble : paissez mes agneaux, paissez mes brebis ; mais à Pierre seul : pais mes agneaux, pais mes brebis.

Il se trouve des protestants assez obtus pour reconnaître que Pierre a reçu l’autorité suprême du Christ, mais que cela devait servir uniquement à l’établissement de l’Église, et qu’à la mort de Pierre il n’y avait plus besoin d’un tel pouvoir et qu’il s’est éteint. Les “orthodoxes” contrairement aux protestants sont censés reconnaître le principe de la succession apostolique : le Christ donne aux apôtres certains pouvoirs qu’ils transmettent à leurs successeurs, dont la légitimité est attestée par l’unanimité des premiers chrétiens qui parlent des évêques comme les successeurs des apôtres. Ils devraient donc logiquement reconnaître le principe de la transmission du pouvoir de Pierre à ses successeurs ; et nous verrons plus tard que cette transmission a été effectivement reconnue par plusieurs Pères de l’Eglise.


2- La papauté est visible dans les Actes des apôtres

On trouve également dans les actes des apôtres certains signes des pouvoirs spéciaux de Saint Pierre par rapport aux autres Apôtres.

  1. Lors du premier concile de l’histoire de l’Église, qui se tient à Jérusalem pour trancher la question du maintien des pratiques judaïques dans les communautés chrétiennes (Actes XV), on constate que 1) Pierre est le premier à s’exprimer entre tous les apôtres, 2) Il s’exprime pour mettre fin à une dispute, 3) Tous les assistants se taisent suite à l’intervention de Pierre, 4) Jacques intervient dans un second temps pour soutenir le propos de Pierre. L’intervention de Jacques est souvent interprétée par les modernistes ou autres négateurs de la primauté pontificale comme une “preuve de la collégialité” et de l’égalité entre les apôtres : ce n’est pourtant pas ce que l’on voit dans le texte des Actes, puisque c’est bien Pierre qui condamne les judaïsants d’abord, et Jacques intervient pour confirmer le propos de Pierre, ce qui ressemble au déroulement des autres conciles œcuméniques dans lesquels le pape donne la direction avec la participation des différents évêques. 
  1. Saint Paul, après sa conversion et son séjour en Arabie, s’est rendu auprès de Saint Pierre spécifiquement avant de commencer son apostolat : Ensuite, trois ans plus tard, je vins à Jérusalem pour voir Pierre, et je demeurai auprès de lui quinze jours ; mais je ne vis aucun autre des Apôtres, sinon Jacques, le frère du Seigneur. (Gal I, 18-19). Notons bien le “pour voir Pierre”, qui n’est pas “pour voir les apôtres” ou “un apôtre”, il y a donc une raison qui l’a poussé à se recommander à Pierre spécifiquement. C’est seulement à partir de ce séjour à Jérusalem auprès de Pierre que Paul commence sa mission auprès des Gentils. 
  1. Dans la même Épître, Saint Paul évoque deux choses qui sont souvent interprétées à tort comme des arguments pour diminuer l’autorité pontificale : 1) le fait que sa mission a été confirmée par les “colonnes de l’Église”, Pierre, Jacques et Jean (Gal II, 9) ; 2) le fait qu’il s’est opposé de front à Pierre en critiquant vivement sa conduite à l’égard des judaïsants (Gal II, 11-14). Quant au premier point, il n’y a rien qui soit contradictoire avec la primauté pontificale d’appeler certains évêques et apôtres des “colonnes de l’Eglise”, ce genre d’expression a pu être employé à d’autres époques pour désigner des théologiens et des saints éminents. On voit par ailleurs dans les Actes et dans l’histoire de l’Église primitive qu’il y a bien une hiérarchie entre ces “colonnes”, et que Pierre est le premier et le seul qui a manifestement une primauté sur les autres. Quant au second point, saint Paul n’a pas critiqué un enseignement de Pierre, mais une action pratique et un problème disciplinaire : Il serait donc ridicule de fonder un prétendu “droit de s’opposer au pape” (sous-entendu, de s’opposer à ses enseignements et de refuser ses ordres) sur le fait que Paul a critiqué la politique de Pierre à l’égard des judaïsants. On peut être en désaccord avec les actes prudentiels du pape, sa manière de gérer tel ou tel problème ; cela n’a rien à voir avec le fait de corriger ses enseignements ou de refuser les lois qu’il a promulguées.

Jean-Tristan B.

Pour en finir avec Archidiacre


L’impasse de l’herméneutique de la continuité en 10 points

Un certain « Archidiacre », de son vrai nom Jérôme Ferrier, et son serviteur « semper papiste » / « catholique lorrain » / « quiche lorraine » se font connaître depuis des années sur internet comme les ennemis mortels du sédévacantisme ou du traditionalisme d’une manière générale, menant un apostolat très actif contre cette position, estimant être en possession d’une réfutation définitive du traditionalisme par la solution dite de « l’herméneutique de la continuité », qui consiste à interpréter Vatican II comme étant en parfaite continuité avec la Tradition catholique.

Cette position, qui semble procéder d’une bonne intention (sauvegarder la foi catholique et la fidélité à la hiérarchie ecclésiastique) et qui a malheureusement le pouvoir de séduire certains traditionalistes par l’apparence de sérieux qu’elle comporte et les questions graves qu’elle soulève (l’obéissance à l’Eglise, la possibilité d’errer dans son jugement privé, etc.), n’a en réalité qu’une apparence de sérieux et comporte de très graves problèmes à la fois internes (concernant ses postulats et sa logique) et externes (concernant son rapport avec la réalité qu’elle cherche à expliquer).

Cet article ne vise pas à être exhaustif dans l’exposition et la réfutation des problèmes posés par  l’herméneutique de la continuité, ni à répondre aux objections qu’elle soulève contre le sédévacantisme (ce qui pourrait faire l’objet d’autres développements), mais à donner une liste de principes qui permettent déjà de comprendre que cette position est, en réalité, absolument insoutenable pour un catholique soucieux de la défense de la foi et de la fidélité à l’Eglise. Ses conséquences pratiques, qui sont de pousser les derniers catholiques sérieux à se soumettre aux modernistes qui détruisent l’Eglise et scandalisent les âmes depuis plus de 60 ans, sont spécialement désastreuses et méritent que cette position soit énergiquement combattue.

Sommaire
I. Le principe fondamental de l’herméneutique de la continuité est vicié.
1) Interpréter le magistère est détruire la notion même de magistère
2) Il est déjà un problème en soi que Vatican II soit si ambigu qu’il puisse être interprété de différentes manières.
3) L’existence même de l’herméneutique de la continuité est une preuve que Vatican II pose problème.

II. L’état d’esprit fondamental de cette position est fidéiste.
4) La raison humaine peut parvenir à la certitude de certaines vérités sans avoir besoin d’une autorité.
5) Il n’est pas pieux d’interpréter pieusement des actions qui sont évidemment mauvaises.

III. Cette position repose sur la négation de la réalité.
6) La majorité des conciliaires n’accepte pas la position d’Archidiacre.
7) Cette position n’offre aucune explication sérieuse au problème du modernisme dans le clergé.
8) Cette position nie le scandale objectif dans les actions des pontifes conciliaires.
9) La contradiction entre Vatican II et le magistère de l’Eglise n’est pas simplement apparente.
10) L’histoire de Vatican II, et du monde catholique depuis Vatican II, contredisent définitivement les postulats fantaisistes de l’herméneutique de la continuité.

« Il y a dans le Coran bien des choses indignes de Dieu. (…) Il y a dans le Coran nombre de mensonges. (…) On trouve une infinité de contradictions dans le Coran. (…) Le paradis que le Coran promet est un paradis qui ferait rougir de honte les bêtes elles-mêmes. »
Saint Alphonse de Liguori, Les Vérités de la Foi, Partie 3, Chapitre 4

Partie I. Le principe fondamental de l’herméneutique de la continuité est vicié.

  • 1) Interpréter le magistère est détruire la notion même de magistère.
    L’Eglise a reçu de Jésus-Christ la charge d’interpréter infailliblement le dépôt de la Foi, en enseignant les fidèles avec clarté et certitude sur le contenu et la portée de ce dépôt. Les Saintes Ecritures sont, par nature, sujette à diverses interprétations, parfois une très grande latitude d’interprétation est permise aux catholiques sur des sujets qui n’ont pas fait l’objet de définitions magistérielles (par exemple, lorsqu’il s’agit d’interpréter les prophéties de l’Apocalypse). Mais le magistère est par nature une clarification du dépôt de la foi (Saintes Ecritures et Tradition), il est la règle prochaine de la foi, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une interprétation privée, sous peine de perdre toute sa valeur autoritative. La raison d’être du magistère est précisément de mettre fin aux interprétations privées, de donner aux fidèles une norme de pensée directive, claire et définitive, qui ne peut pas être interprétée mais doit simplement être reçue dans son sens premier et évident, comme étant l’enseignement de Dieu lui-même.  Par conséquent, le premier et plus fondamental principe de « l’herméneutique de la continuité », qui consiste à dire que l’on doit « interpréter le magistère » dans un certain sens, est absolument faux, et mène en à l’absurdité et à la contradiction : car il peut y avoir autant de « bonnes interprétations du magistère » qu’il y aura « d’herméneutes de la continuité », si c’est un acte de jugement privé qui doit redonner au magistère son véritable sens.
  • 2) Il est déjà un problème en soi que Vatican II soit si ambigu qu’il puisse être interprété de différentes manières.
    La Sainte Église a condamné plusieurs propositions non pour leur contenu évident, mais simplement pour leur formulation dangereuse qui était de nature à encourager l’hérésie [1], faire déshonneur à certaines vérités révélées, ne pas suffisamment condamner certains erreurs, etc… les censures théologiques réservées à ces formulations sont : ambigüe (ambigua), captieuse (captiosa), malsonante (male sonans), offensive des oreilles pies (piarum aurium offensiva).  Nous citons la Catholic Encyclopedia à l’article des censures théologiques :

Une proposition est ambiguë lorsqu’elle est formulée de manière à présenter deux ou plus interprétations possibles, l’une d’entre elles étant condamnables ; captieuse lorsque des termes acceptables sont utilisées pour exprimer une idée condamnable ; malsonnante lorsque des termes inconvenants sont utilisés pour exprimer des vérités par ailleurs acceptables ; offensive lorsque les expressions employées sont de nature à choquer le sens catholique et la délicatesse de la foi.

Catholic Encyclopedia

Combien de propositions de Vatican II ne tombent pas au moins sous le coup de ces censures ? Si tel n’était pas le cas, comment se pourrait-il que la majorité des conciliaires aient une interprétation hérétique de Vatican II ? Il y a bien, à la racine, un problème grave de formulation dans la plupart des documents de Vatican II, et nous croyons qu’il serait une insulte à Dieu, et qu’il serait contraire à l’infaillibilité négative des actes de l’autorité ecclésiastique, de soutenir qu’il est possible que le magistère infaillible de la Sainte Eglise, guidée par le Saint-Esprit, puisse contenir des propositions par nature ambiguës, captieuses ou malsonnantes, de sorte qu’elles laisseraient la plupart des fidèles dans le danger immédiat d’une mauvaise interprétation.

3) L’existence même de l’herméneutique de la continuité est une preuve que Vatican II pose problème.
Il n’a jamais existé dans l’histoire de l’Eglise une position théologique affirmant qu’il était nécessaire d’interpréter le nouveau magistère en continuité avec l’ancien magistère, car il a toujours été absolument évident, de par la nature même du magistère,  que les nouveaux enseignements magistériels étaient en continuité avec les anciens. Les protestants ont prétendu que l’Eglise s’était éloignée de son ancien enseignement, mais ils l’ont fait en rejetant la notion même de magistère, sans s’appuyer sur du magistère plus ancien (en faisant l’affirmation purement gratuite que l’Eglise apostolique partageait leurs croyances, et en interprétant de manière partiale certains Pères de l’Eglise). La nouveauté introduite par Vatican II est, au moins, la perte de cette claire évidence de la continuité avec le magistère antérieur [2].

Partie II. L’état d’esprit fondamental de cette position est fidéiste.

  • 4) La raison humaine peut parvenir à la certitude de certaines vérités sans avoir besoin d’une autorité.
    • Un des postulats non formulés et implicites de la position d’Archidiacre est que la raison humaine, qui pousse la plupart des personnes ayant étudié Vatican II (progressistes, indifférents ou conservateurs/traditionnalistes) à conclure que sa doctrine s’éloigne très distinctement de la doctrine enseignée auparavant par l’Eglise catholique (sur des sujets tels que la liberté religieuse, l’œcuménisme ou le judaïsme), que cette raison humaine est si faible et corrompue qu’elle est généralement incapable d’accéder à la vérité, surtout en matière religieuse, de sorte qu’il est en pratique nécessaire que l’esprit humain se repose sur une autorité pour parvenir à des conclusions certaines. Ainsi, les archidiacriens passeront leur temps à exhorter à la soumission et l’obéissance à ce qui est perçu comme « l’autorité », tout raisonnement subsidiaire n’étant qu’un accessoire visant à justifier et donner un aspect crédible à cette autorité.
    • Il devrait être inutile de représenter à quel point cette attitude est contraire à toute la Tradition catholique et au magistère même de la Sainte Eglise, qui a plusieurs fois jeté l’anathème sur ceux qui niaient que l’on puisse accéder à certaines vérités religieuses par le simple raisonnement, spécialement contre la doctrine agnostique (au sens étymologique de « l’impossibilité de connaître ») des modernistes, et qui a loué la doctrine intellectualiste de Saint Thomas d’Aquin (qui a une grande confiance dans la capacité de la raison humaine à atteindre le réel) chaque fois qu’il était possible de le faire. La manière catholique de procéder face à l’erreur n’est pas premièrement d’exhorter à la soumission et à l’abandon du raisonnement, mais plutôt d’exposer la crédibilité intrinsèque des doctrines catholiques (et pas seulement la crédibilité de l’autorité ecclésiastique), de réfuter les erreurs dans leurs fondements logiques – c’est ainsi que l’on voit les papes du XVIe siècle envoyer d’abord des théologiens controverser contre Luther et les autres réformateurs, avant que le Concile de Trente ne définisse ses célèbres anathèmes.
    • Le procédé des herméneutes est inverse : ils commencent par jeter des anathèmes et appeler à la soumission à l’Eglise, puis à justifier après coup par quelques raisonnements hasardeux, qui sont en réalité plus des hypothèses que des affirmations sur le véritable sens de Vatican II, la crédibilité intrinsèque des doctrines enseignées. L’essentiel des arguments des « herméneutes » archidiacriens consistent à établir que Vatican II est l’autorité et donc qu’il faut s’y soumettre, au lieu d’établir que le contenu intelligible de Vatican II est positivement défendable (il est en effet beaucoup plus difficile de manœuvrer sur ce second terrain et d’impressionner le public que sur le premier). Il y a, à la racine de leur démarche et dans le fond de leur argumentation, cette idée que la raison humaine n’est pas fiable et qu’il faut nécessairement la plier à une autorité. Nous notons que ce sont presque toujours des profils scrupuleux qui sont sensibles à leurs arguments, précisément parce que le scrupule est une incapacité à utiliser correctement la raison pour déterminer ce qui est bien ou mal, déterminer le vrai et le faux dans un certain domaine, et que le seul remède aux scrupules est l’humble soumission à un directeur spirituel. Encore faut-il que ces âmes sachent déterminer suffisamment quel genre de directeur et quel genre d’autorité sont susceptibles de prendre véritablement soin de leur âme.
  • 5) Il n’est pas pieux d’interpréter pieusement des actions qui sont évidemment mauvaises.
    • Archidiacre et ses partisans aiment parler du « devoir de pieuse interprétation » concernant les actions du prochain (en l’occurrence, les actions des « papes » et prélats conciliaires), qui consiste à supposer, autant que possible, un motif honorable à une action douteuse du prochain. L’inverse de cette attitude étant le soupçon ou le jugement téméraire, qui consiste à supposer ou à affirmer une intention mauvaise chez le prochain pour une action insignifiante ou objectivement bonne. Ils estiment donc qu’il est de leur devoir d’interpréter toutes les actions et paroles inqualifiables de Bergoglio dans un sens parfaitement catholique, comme s’il était un honorable défenseur de la foi qui commettait des  maladresses. Notons deux choses :
      1. la contradiction quelque peu hypocrite de ceux qui prétendent qu’ils appliquent la « pieuse interprétation » conformément à la morale catholique, tout en insultant les traditionnalistes en disant sans plus de formalités qu’ils sont hérétiques et schismatiques : des termes extrêmement graves, qui impliquent l’affirmation d’une intention gravement mauvaise, sinon on utiliserait des termes plus mitigés pour distinguer le fait objectif qui peut être schismatique ou hérétique et l’intention des personnes qui pourrait être bonne (comme ils savent si bien le faire à propos des « frères séparés », qu’ils n’osent plus appeler hérétiques ou schismatiques). Nous ne nous permettons pas pour notre part d’affirmer que ces gens sont hérétiques, bien qu’ils défendent des doctrines insoutenables, car il ne nous appartient pas de juger l’intention avec laquelle ils défendent Vatican II, et nous supposons d’ailleurs qu’ils défendent ces doctrines avec une bonne intention. Cette présomption ne semble pas fonctionner dans l’autre sens.
      2. l’absurdité d’appliquer la « pieuse interprétation » à des actions qui sont par nature mauvaises et qu’on ne peut pas raisonnablement expliquer sans un certain degré de mauvaise intention, ou qui ont des conséquences si désastreuses qu’il n’est pas besoin de discuter sur la validité de l’intention des personnes pour condamner avec violence leur action. L’obligation morale de la pieuse interprétation se limite à des actions qui sont objectivement bonnes ou dont la malignité est fondamentalement douteuse, ainsi le jugement téméraire est le jugement qui consiste à mettre des motifs pervers derrière une action innocente, neutre ou de matière légère. Considérer que deux personnes qui vivent dans l’adultère vivent dans l’habitude du péché mortel, ce n’est pas un jugement téméraire, c’est un constat nécessaire (car il ne peut pas exister une « ignorance invincible » de la loi naturelle chez des êtres capables d’utiliser leur raison). Considérer qu’un homme d’Eglise qui embrasse le Coran devant le monde entier peut le faire avec une autre intention que de donner l’image d’une bénédiction de l’islam par l’Eglise catholique, chose absolument impie et dégoutante qui ferait frémir d’horreur tous les saints et les papes des siècles passés, c’est simplement nier la réalité, car ce geste ne peut pas raisonnablement signifier autre chose.
    • Nous ne citons ici qu’une des actions parmi les plus choquantes des pontifes de Vatican II, parmi les nombreuses actions et paroles qui prouvent chaque jour qu’ils n’ont aucune intention de poursuivre le bien de l’Eglise et de défendre la doctrine catholique : le sujet n’est pas, d’ailleurs, d’établir le degré de malignité de leurs actions, simplement de constater qu’ils vivent dans une intention objective qui est contraire au bien de l’Eglise, et donc qu’ils ne peuvent pas, en l’état actuel, recevoir l’autorité du Christ pour régner sur son Eglise. Constater cela n’a rien à voir avec un jugement téméraire au sens de la théologie morale, et ce n’est pas Archidiacre et « le lorrain » qui sont en mesure de nous donner des leçons sur le fait d’interpréter pieusement les actions et les paroles du prochain.  

Partie III. Cette position repose sur la négation de la réalité.

  • 6) La majorité des conciliaires n’accepte pas la position d’Archidiacre.
    On pourrait réfuter l’herméneutique de la continuité simplement en citant des autorités conciliaires, tant cette position est minoritaire et même marginale dans le monde catholique d’aujourd’hui. Ses partisans semblent avoir une telle assurance que l’on voudrait croire que leur position est la position officielle de l’Eglise catholique, qu’ils sont les fidèles interprètes des desseins de la hiérarchie et du sentiment commun des fidèles. Il n’en est rien : la majorité des fidèles et la majorité de la hiérarchie, y compris Bergoglio et ses prédécesseurs, sont évidemment plus « à gauche » qu’eux et admettent sans problème qu’il y a une contradiction entre Vatican II et le magistère antérieur. Pour ne citer qu’une de ces autorités, et pas des moindres : « En liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions du monde, Gaudium et Spes est une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-Syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l’Église avec le monde tel qu’il est devenu depuis 1789. » (Joseph Ratzinger, Les principes de la théologie catholique).
  • 7) Cette position n’offre aucune explication sérieuse au problème du modernisme dans le clergé.
    Pour les partisans d’Archidiacre, le fait que la majorité du clergé conciliaire soit grevé à des degrés plus ou moins graves par le modernisme, le libéralisme et toutes autres sortes de doctrines folles et perverses, est soit une réalité qu’ils cherchent à nier (en prétendant contre l’absurde que « l’Eglise se porte bien », que la foi rayonne partout y compris dans le clergé, etc.), soit une chose dont ils reconnaissent l’existence mais dont ils cherchent absolument à enlever la responsabilité aux plus hauts degrés de la hiérarchie (surtout à celui qu’ils pensent être le pape). Un prêtre traditionaliste allemand répondait par dérision, à ceux qui disaient que Paul VI n’était pas responsable de la crise de l’Eglise, qu’il « ne savait pas » ce qui se passait : « ah, si seulement le Fürher avait su ! » – autrement dit : prétendre que Paul VI n’est pas responsable de l’explosion du modernisme dans le clergé est aussi ridicule que de prétendre, par exemple, qu’Hitler n’est pas responsable des actions commises par le régime nazi. Dans toute société, c’est le chef qui doit être tenu pour responsable des dysfonctionnements quand ils répandus partout et qu’ils corrompent le fonctionnement ordinaire de cette société, au point de causer un tort immense à la majorité des sujets : pourquoi en serait-il tout d’un coup autrement avec les pontifes conciliaires ? C’est encore une sévère négation de la réalité, que de prétendre qu’il n’y a pas de lien de cause à effet entre la doctrine et les exemples des pontifes de Vatican II, d’une part, et la doctrine et les actions de la plupart des clercs conciliaires d’autre part. La soi-disant « mauvaise interprétation » de Vatican II n’est visiblement pas mauvaise au point que l’autorité se soit  donnée des moyens de la combattre efficacement.
  • 8) Cette position nie le scandale objectif dans les actions des pontifes conciliaires.
    Nous avions évoqué plus haut la question de la pieuse interprétation et du jugement téméraire. Mais cette question est en réalité secondaire dans le problème qui nous occupe. Archidiacre et le lorrain s’évertuent à sauver la pureté de l’intention des pontifes conciliaires lorsqu’ils effectuent des paroles ou des gestes de profonde vénération à l’égard des fausses religions et des hérésies, l’essentiel du problème réside dans les conséquences pratiques des actions des pontifes sur la foi des fidèles : elles sont évidemment et irrémédiablement désastreuses, elles doivent évidemment être dénoncées et combattues par ceux qui sont encore attachés à la foi catholique. Il y a dans ces actions un scandale immense et objectif, qui appelle une réaction proportionnée, et une réflexion sérieuse sur l’intention réelle de ces personnes qui prétendent être les vicaires de Jésus-Christ : est-il seulement possible qu’un pape manifeste, de manière habituelle et publique, de la sympathie pour les fausses religions, au point d’entraîner la plupart des catholiques à considérer que ces fausses religions sont bonnes ? Est-ce seulement compatible avec l’autorité pontificale ? La question n’est même pas de savoir s’ils ont une intention subjectivement mauvaise dans cette entreprise, mais de constater l’extrême divergence entre les devoirs d’un souverain pontife et l’intention objective de Jean-Paul II ou de François. L’aspect objectif de la question est évacué par les partisans de cette position, qui essayent par exemple de sauver les réunions d’Assise en expliquant dans une improbable démonstration que ces réunions doivent être qualifiées de « coopération matérielle éloignée » aux faux cultes  – outre l’aspect ridicule de cette démonstration, elle nie les conséquences pratiques et immédiates des scandales de Jean-Paul II.
  • 9) La contradiction entre Vatican II et le magistère de l’Eglise n’est pas simplement apparente.
    Pour en revenir au postulat de départ de « l’herméneutique de la continuité » qui consiste à réconcilier avec le dogme catholique toutes les « contradictions apparentes » de Vatican II n’est pas seulement erroné d’un point de vue logique (cf. point n°1), elle l’est aussi et surtout d’un point de vue factuel : ce qui est libellé comme « contradiction apparente » est en réalité une contradiction nette et évidente, et les rédacteurs de Vatican II en avaient plus ou moins conscience : ainsi Congar, qui haïssait le Syllabus et les définitions antimodernes des papes,  raconte dans ses mémoires qu’il n’avait pas pu établir que la liberté religieuse soit fondée sur la Révélation, bien que cela soit affirmé dans le texte conciliaire.  « Gaudium et spes est un contre-Syllabus » disait Ratzinger (cf. point 6). N’importe quel historien ou sociologue, étranger ou familier au monde catholique, sait que Vatican II est un changement radical dans l’attitude de l’Eglise face au monde moderne, et sait que ce « monde moderne » se définit d’abord par un ensemble de doctrines et de principes, et que Vatican II a cherché d’une manière ou d’une autre à s’accommoder à ces principes et ces doctrines, pourtant condamnés par les papes du XIXe et du XXe siècle. Ceci appartient à l’ordre des faits et si être un « herméneute de la continuité » signifie nier ce fait et nier les contradictions textuelles évidentes, par exemple entre les définitions de Pie IX et celles de Vatican II sur la liberté religieuse,  cela signifie que l’herméneutique de la continuité est un système faux, car il n’est pas possible qu’une doctrine vraie ait pour fondement la négation d’un fait évident et universellement constaté. Contra factum non fit argumentum : on ne peut pas bâtir toute une argumentation sur la négation d’un fait. Une bonne manière d’élucider le « véritable sens » des textes de Vatican II est de voir comment ils ont été appliqués par la hiérarchie conciliaire, et ils ont en effet été appliqués suivant leur sens évident : le Vatican a forcé l’Espagne de Franco à  autoriser d’autres cultes que le catholicisme, au nom du « droit à la liberté religieuse » ; le nouveau concordat de 1984 avec l’Italie inaugure la neutralité religieuse de la première nation catholique du monde (dont le catholicisme état auparavant religion d’état), avec une référence explicite à Vatican II et à la liberté religieuse comme principe directeur de cette révision du concordat [3].
  • 10) L’histoire de Vatican II, et du monde catholique depuis Vatican II, contredisent définitivement les postulats fantaisistes de l’herméneutique de la continuité.
    Les herméneutes vivent dans un monde imaginaire, un monde dans lequel Vatican II fut une paisible assemblée des défenseurs de la foi, qui se réunirent pour rappeler les grandes vérités chrétiennes au monde moderne dans un langage plus adapté à l’époque actuelle. Il suffit de lire les mémoires de ceux qui ont participé à la rédaction de Vatican II [4], ou simplement de lire n’importe quel livre d’histoire sérieux sur le sujet [5], pour comprendre que Vatican II est bien le résultat du triomphe d’une faction « progressiste » (si l’on ne veut pas dire moderniste), encouragée et protégée par Jean XXIII puis par Paul VI, sur une faction « conservatrice » qui elle incarne, en fait, les positions et les croyances que les catholiques ont toujours tenu jusqu’ici sur le monde moderne, les fausses religions, les sectes hérétiques et schismatiques. Il y a donc eu un changement radical initié par une clique de théologiens condamnés à l’époque de Pie XII et accueillis voir même appelés au Vatican par Jean XXIII. Jean XXIII et Paul VI eux-mêmes étaient parfaitement conscients de cette situation, et sympathisants du groupe de théologiens qui ont introduit dans le texte de Vatican II des notions novatrices telles que le droit naturel à la liberté religieuse, la distinction réelle entre l’Eglise du Christ et l’Eglise catholique, l’innocence du peuple juif dans la crucifixion, le fait qu’une secte schismatique puisse être l’instrument du salut des âmes. Il y a eu ensuite un changement liturgique radical, en continuité avec les changements théologiques et suivant des principes modernistes : au vu de la documentation historique dont nous disposons, il est pareillement ridicule et insoutenable de prétendre que cette réforme liturgique ait été menée suivant les principes catholiques traditionnels, et qu’elle n’ait rien à voir avec le protestantisme ou l’accommodation aux lubies du monde moderne impie. Toute l’histoire du catholicisme depuis 60 ans est une négation des postulats de l’herméneutique de la continuité.
« Planter, c’est avoir l’espérance. C’est croire en une vie qui croît et qui est féconde, pour satisfaire la faim de la création de la Terre Mère. Cela nous ramène à notre origine par la reconnexion avec l’énergie divine et nous enseigne le chemin du retour vers le Père Créateur. « Le synode, c’est planter cet arbre, l’arroser et le cultiver, pour faire que les peuples amazoniens soient entendus et respectés dans leurs coutumes et leurs traditions, en faisant l’expérience du mystère de la divinité présente dans le sol amazonien. « L’acte de planter dans le jardin du Vatican est un symbole qui invite l’Eglise à engager encore davantage avec les peuples de la forêt et toute l’humanité. Mais aussi, c’est la dénonciation de ceux qui détruisent notre maison commune par esprit de lucre, en recherchant leur propre profit. »
Explications données par Ednamar de Oliveira Viana, organisatrice de l’évènement du 4 octobre 2019 impliquant la plantation d’un « arbre sacré » et la vénération de « symboles de fertilité » dans les jardins du Vatican. Le culte de la déesse-mère chez les peuples sud-américains est basé sur l’idée de la faim de cette terre-mère, que l’on doit apaiser par des offrandes.

Conclusion : quelles conséquences pratiques ?

« L’enfer est pavé de bonnes intentions » : on peut faire le travail du démon avec les meilleurs intentions du monde. Certaines âmes pieuses se sont illusionnées en pensant, comme Saul a pensé qu’il était agréable à Dieu de persécuter les chrétiens, qu’elles feraient la meilleure œuvre du monde en persécutant les derniers défenseurs de la foi et de la Tradition de l’Eglise dans un monde apostat. Ce qu’ils se proposent de faire, c’est que ces derniers résistants se mettent sous l’influence du clergé moderniste, et finissent par devenir des libéraux insensibles à l’erreur et au mal, comme sont voués à le devenir ces défenseurs de l’orthodoxie eux-mêmes.

Car en effet, il est impossible d’être sincèrement soumis à l’autorité conciliaire sans finir par admettre une foule de choses choquantes, grotesques, dangereuses ou parfaitement immorales comme étant des choses de rien, des choses secondaires. A leur contact, le sens de la foi s’affaiblit et finira peut-être par mourir. Qu’est-ce que les « herméneutes » ne finiront pas par accepter au nom de la soumission aux conciliaires ? N’oublions pas que ces gens nous proposent d’admettre qu’un « saint » a embrassé le Coran devant le monde entier.

Les verra-t-on bientôt se prosterner devant des idoles démoniaques pour « honorer la partie bonne » de ces idoles ou de ce qu’elles représentent ? En tout cas, ils acceptent parfaitement que cela se fasse dans les jardins du Vatican, en utilisant toutes les distinctions artificieuses que leur imagination pourrait produire pour « interpréter pieusement ». Ainsi au contact de cette hiérarchie conciliaire, on devient peu à peu tiède, insensible ou complaisant face à tous les travers intellectuels et moraux du monde moderne, face à toutes les fausses religions et les hérésies (sauf l’horrible hérésie sédévacantiste !), puisque c’est la directive officielle.

Nous conclurons avec une réflexion tirée des épîtres de Saint Paul : si quelqu’un qui semblait être un saint et un apôtre, qui avait toutes les garanties extérieures d’être envoyé par l’Eglise et de parler en son nom, devait prêcher un autre évangile que celui qui a été véritablement reçu du Christ, faudrait-il présumer une erreur de compréhension de notre part et fournir un effort d’interprétation favorable de ce nouvel évangile en continuité avec l’ancien ? Saint Paul dit simplement, en évoquant la possibilité que lui-même se mette à annoncer un faux évangile : qu’il soit anathème. 

Mais si quelqu’un, fût-ce nous-même ou un Ange du Ciel, vous annonçait un autre évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème! Je l’ai dit, et je le dis encore maintenant: Si quelqu’un vous annonçait un autre évangile que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème! Car, en ce moment, est-ce la faveur des hommes que je désire, ou celle de Dieu? Est-ce que je cherche à plaire aux hommes? Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ.

(Galates 1, 8-10)

Jean-Tristan B.


[1] La bulle Auctorem Fidei (1794), contre les erreurs des jansénistes, est particulièrement sévère contre les discours ambigus introduisant des idées dangereuses sous apparence de piété, et contre les hypocrites qui se justifient par milles subtilités d’être en parfait accord avec la doctrine catholique, alors qu’ils sont en réalité attachés à des idées mauvaises.

[2] C’est ce que disait Benoît XVI lui-même : « Il est clair que dans tous ces secteurs, dont l’ensemble forme une unique question, pouvait ressortir une certaine forme de discontinuité et que, dans un certain sens, s’était effectivement manifestée une discontinuité dans laquelle, pourtant, une fois établies les diverses distinctions entre les situations historiques concrètes et leurs exigences, il apparaissait que la continuité des principes n’était pas abandonnée – un fait qui peut échapper facilement au premier abord. » Benoît XVI prétend donc qu’il y a « continuité de principes », mais admet qu’il y a une « une certaine forme de discontinuité ». Notons par ailleurs que la « continuité de principes » ne signifie pas pour Benoît XVI ce qu’elle semble signifier pour les herméneutes archidiacriens : il admet que Vatican II contredit le magistère de l’Eglise (cf. point 6), et réduit les « principes catholiques » à une sorte d’ensemble vague et flou de vérités plus ou moins communes à toutes les dénominations chrétiennes, à quelques exceptions près. Prétendre à la « continuité des principes » face à une discontinuité évidente dans la doctrine est une technique typiquement moderniste déjà vue à l’époque de Saint Pie X : les modernistes prétendent être toujours fidèle à l’essence de la religion, débarrassée de ses « additions historiques » (c’est à dire, de la plupart de ses dogmes).

[3] « compte tenu du processus de transformation politique et sociale qui s’est manifesté en Italie durant les dernières décennies et des changements introduits dans l’Eglise par le Concile Vatican II ;compte tenu, pour la République italienne, des principes établis par sa Constitution, et, pour le Saint-Siège, des déclarations du Concile œcuménique Vatican Il concernant la liberté religieuse et les rapports entre l’Eglise et la communauté politique, ainsi que de la nouvelle codification du droit canonique ; … La République italienne et le Saint-Siège réaffirment que l’Etat et l’Eglise catholique sont, chacun dans son propre domaine, indépendants et souverains » https://legirel.cnrs.fr/spip.php?article284

[4] Les personnalités suivantes ont écrits des mémoires relatifs à leur participation à Vatican II : Yves Congar, Marie-Dominique Chenu, Gerard Philips, Léon-Joseph Suenens (cardinal & évêque de Malines-Bruxelles), Maurice Pourchet (évêque de Saint-Flour), et d’autres. L’architecte de la réforme liturgique et de la nouvelle messe, Annibale Bunigni, a également écrit ses mémoires qui nous renseignent de manière on ne peut plus directe et explicite sur les véritables buts de la réforme : faire des concessions aux protestants et au monde moderne, en faisant plus ou moins disparaître de la liturgie l’expression de certains dogmes catholiques, et en y introduisant diverses notions modernistes.   

[5] Exemples d’ouvrages 1) Sur la réforme liturgique : les mémoires de Bunigni, « Demain la liturgie » de Joseph Gélineau, « La messe de Paul VI en question » de l’abbé Cekada (qui cite des documents historiques de première main). 2) Sur les débats théologiques : « Iota unum » de Romano Amerio, « Le Rhin se jette dans le Tibre » de Ralph Witgen. 3) Sur Jean XXIII : « le Pape du Concile » de Peter Hebblethwaite.