Fête de Notre-Dame de Lourdes – le récit d’une guérison miraculeuse

La guérison miraculeuse de Pierre de Rudder

A l’occasion de la fête de Notre-Dame de Lourdes, fixée par l’Église au 11 février, nous souhaitions vous partager le récit d’un miracle opéré par l’intercession de la sainte Vierge.

Ce miracle nous permet de tirer plusieurs enseignements. Il revêt avant tout un intérêt spirituel. En effet, le modeste ouvrier belge dont la jambe fut guérie a d’abord été récompensé pour sa piété profonde envers Notre-Dame. Ce pauvre homme a été éprouvé par Dieu et ne s’est jamais découragé. Sa confiance en Dieu et son amour pour lui n’ont été ébranlé à aucun moment. Il est resté fidèle à ses devoirs de chrétiens et a conservé une grande dévotion envers Marie. Lorsqu’il est venu implorer le secours de Notre-Dame de Lourdes dans le sanctuaire d’Oostacker, à Gand, il n’avait que le bon plaisir de Dieu en tête. En effet, sa blessure l’empêchait de remplir convenablement ses devoirs de père de famille. Il était peiné du seul fait de ne pouvoir accomplir ses devoirs de justice et d’amour envers Dieu et ses proches. Quelle grandeur d’âme ! Un cœur si noble et si simple, fait très rare de nos jours… Dieu l’a récompensé pour cette humilité et cette pureté à toute épreuve. Une prière pleine de confiance lui permit de guérir. La guérison obtenue, il n’en fut que plus pieux et il ne se laissa pas emporter par l’orgueil et l’excès des allégresses purement humaines. Il en remercia avant tout Notre-Dame et fit du reste de sa vie un don de gratitude et d’amour envers Dieu. Dans les désolations comme dans les consolations, il resta attaché à Dieu et fidèle à ses devoirs. Prenons donc exemple sur ce beau portrait.

Nourrissons une grande dévotion envers Notre-Dame, qui est le seul chemin qui mène à Jésus-Christ. Soyons fidèles à nos devoirs d’état et à nos prières quotidiennes. Fréquentons régulièrement les sacrements et entourons-les d’un grand respect. Pratiquons les vertus chrétiennes dans tous les domaines de notre vie et conservons, dans les moments de joie comme dans les plus grandes épreuves, une inébranlable confiance en Dieu.

Ce miracle revêt aussi un intérêt apologétique qui permet de renforcer nos convictions religieuses. Dans les sections précédentes (voir Les Miracles), après avoir donné une définition du miracle, nous avons démontré qu’il ne pouvait venir que de Dieu. Loin d’être une sorte d’hallucination fantasmagorique ou une « invention de curé », le miracle possède des aspects intelligibles et compréhensibles par notre raison. Au sens large, il est un fait sensible qui se produit en dehors du cours ordinaire des choses. Au sens strict, c’est un fait sensible, produit par Dieu, en dehors du cours ordinaire des choses, pour prouver la vérité d’une révélation et son origine divine. Il est donc avant tout un fait. 

Ce fait, nous pouvons le constater, le voir, l’admirer, le toucher, il s’impose à nous et nous met « devant le fait accompli ». Qui que nous soyons, croyant ou incroyant, ce fait, s’il a eu lieu historiquement, est absolument indéniable. Il est indéniable car il est une évidence : une réalité vue immédiatement. C’est pour cela qu’il met si mal à l’aise les rationalistes… Ne pouvant se permettre de rejeter la réalité du fait qui s’impose, ils se perdent dans la recherche de causes toutes plus farfelues les unes que les autres (supercherie, hallucination collective, suggestion mentale, hypnose, probabilité statistique…) : ce qui les mène à tomber dans l’irrationalité et parfois la magie au sens propre ! Tous les rationalistes sont donc plus ou moins irrationnels. Puisque nous ne pouvons pas nier ce fait, nous sommes contraints de l’expliquer, d’une manière ou d’une autre. 

Or, nous voyons que ce fait se passe totalement en dehors du cours ordinaire des choses, dérogeant aux lois physiques les mieux connues et les plus certaines. Si nous ne connaissons pas toutes les lois de l’univers dans le détail, nous en connaissons un bon nombre avec certitude. Par exemple, nous savons que, selon le cours ordinaire des choses, la matière n’apparaît pas instantanément. Pour réparer une fracture, nous sommes certains qu’il faut du temps, du repos et des remèdes adaptés, parce que les hommes l’observent depuis la nuit des temps et qu’ils en ont fait une science (la médecine, la chirurgie). Nous connaissons encore les propriétés naturelles et constantes de millions d’éléments, qui, placés dans les mêmes circonstances, produisent toujours et infailliblement les mêmes effets. Encore nous savons que tout effet a une cause proportionnée. Autrement, comment une ville pourrait par exemple être alimentée en électricité ? Ne connaissons-nous pas avec certitude les méthodes de production et de conduction de l’électricité ? Si celles-ci étaient incertaines, pourquoi avoir créé toute une industrie avec des moyens humains et financiers faramineux ? Cela aurait été suicidaire !

Ceci peut s’appliquer à tous les domaines de la vie. Pourquoi se lever et marcher si nous ne sommes pas certains de la gravité, de la force motrice de notre système musculaire, de la solidité du sol etc. ; pourquoi prendre la voiture si à tout moment l’essence ou le moteur peuvent changer de propriétés et agir comme n’importe quel autre élément, si les roues peuvent se mettre à ne plus adhérer à le route mais tout à coup faire glisser la voiture ; pourquoi manger un aliment si d’un coup, sans explication, il pouvait être toxique un jour, comestible un autre jour, utile pour telle tâche le lundi et pour telle autre le vendredi. Les exemples sont inépuisables parce que pour vivre, pour réfléchir et pour agir, nous devons avoir et nous avons de fait des millions de certitudes indubitables. Rien n’aurait plus de sens si les mêmes causes, dans les mêmes circonstances, ne produisaient plus les mêmes effets. Ce serait le règne de l’absurde, tout pourrait être tout et nous ne serions sûrs de rien : nous ne pourrions plus rien faire. Si le feu pouvait se mettre à mouiller, le coton à piquer, le chat à parler, le chien à danser, l’homme à voler, la matière à apparaître soudainement de nulle part, le monde ne serait qu’un chaos permanent… Par ailleurs si nous n’étions certains de rien et que les mêmes causes, dans les mêmes circonstances, pouvaient produire des effets tout à fait opposés et disproportionnés ; ou si les mêmes effets, dans les mêmes circonstances, pouvaient être entraînés par des causes toutes plus éloignées les unes que les autres ; comment la science elle-même pourrait-elle exister ? Mieux, comment pourrions-nous connaître la moindre chose, puisque ces choses (seraient-elles encore des « choses », dénomination qui suggère déjà un principe substantiel et des propriétés stables) changeraient à tout instant et que nous ne pourrions plus associer une propriété ou une action à un être, ce qui constitue proprement le mouvement vital et spontané de toute connaissance. La science se fonde justement sur la constance et l’immutabilité de certaines lois. Sans cette intelligibilité et ces proportions constantes, la science s’effondre d’elle-même, et toute la société avec elle… Or la science existe. Donc ces lois constantes aussi.

Le bon sens et la science permettent donc d’avoir une approche réellement rationnelle du miracle. Il faut certes être prudent et ne pas faire preuve de crédulité devant le moindre fait qui nous paraît inexplicable. En revanche, il ne faut non plus s’aveugler et nier sans examen tout fait de ce genre. Il faut, comme toujours dans la vie, utiliser son intelligence et chercher la vérité par une enquête sérieuse. Si le fait constaté est réellement inexplicable par la science parce qu’il déroge aux lois les mieux connues (par exemple la guérison instantanée d’une blessure très grave sans l’intervention de causes proportionnées), alors il n’y a aucune raison de nier son caractère miraculeux. Le mot « miraculeux » ne doit pas ici être un obstacle. Dans le langage courant, il est péjoratif. Il renvoie souvent à l’idée d’un fait étrange, inexplicable mais aussi souvent irrationnel et impossible, fruit d’une imagination ou d’une erreur. En réalité, ce n’est rien de moins qu’un fait rationnellement constatable et vérifiable qui remplit des critères bien établis, eux aussi vérifiables. Autrement, ce n’est pas un miracle. 

Nous sommes donc en face de deux évidences que le bon usage de la raison et l’honnêteté nous poussent à accepter : 1° le fait sensible, 2° le caractère miraculeux de ce fait. Nous pouvons conclure que l’auteur de ce miracle est l’auteur des lois physiques qui ont été suspendues, c’est-à-dire Dieu. Ensuite, le miracle est toujours mis en relation avec une religion, pour confirmer son origine divine. Dans le cas qui nous occupe, Pierre de Rudder est catholique. De plus, le miracle s’est produit au sanctuaire Notre-Dame de Lourdes d’Oostacker, à Gand. Ce sanctuaire est lié aux apparitions de la sainte Vierge à Lourdes, en 1858, où celle-ci s’est proclamée « l’Immaculée conception ». Nous savons par ailleurs que le Pape de l’Église catholique, Pie IX, avait proclamé le dogme de l’Immaculé conception en 1854. Le miraculé, après sa guérison, est demeuré catholique et a été un moyen de conversion à la religion catholique pour de nombreuses personnes. Nous constatons une relation explicite entre la religion catholique et le miracle, donc la religion catholique est bien divine. Vous verrez, par les récits et les documents authentiques (serments, déclarations, témoins nombreux et divers, photos, conversions et conséquences) qui suivent, que la guérison de Pierre de Rudder est bien un miracle en faveur de la religion catholique. Rappelons aussi que ce cas est un exemple parmi des milliers d’autres miracles dont la religion catholique seule peut se vanter. Enfin, la foi ne repose pas sur ces miracles, mais sur l’autorité de Dieu se révélant. La richesse de la religion catholique va bien au-delà de ce fait historique. Il ne faudrait pas tomber dans un rationalisme critique et étriqué. Qu’il ait eu lieu ou non ne modifie en rien la divinité du catholicisme. En revanche, sa réalité est un signe parmi d’autres de cette divinité. 

« En présence d’une idée aussi persistante et aussi ancrée parmi les hommes que celle du miracle, en présence de faits qui, s’ils étaient établis, modifieraient peut-être l’assiette de notre vie morale, aucun homme sincère avec lui-même ne peut se contenter de hausser les épaules et de passer. Il faut qu’il aborde le troublant sujet, ne fût-ce que pour se prouver à lui-même qu’il peut légitimement s’en désintéresser. »

(R.P. Joseph de Tonquédec, article Miracle du Dictionnaire Apologétique de la Foi Catholique, dir. A. D’Alès, vol. 3, Paris, 1916, col. 519-520)

Exposition du chanoine Texier

Pierre de Rudder : Fracture de la jambe, avec plaie gangréneuse.

Avant la guérison

Le 16 février 1867, Pierre de Rudder, ouvrier agriculteur, né et habitant à Jabbeke (Flandre occidentale), eut la jambe gauche broyée par la chute d’un arbre qu’il aidait à abattre. Le docteur Aflenaer, d’Oudenbourg, constata une fracture des deux os, le tibia et le péroné, à la même hauteur, un peu plus bas que le genou. Malgré les soins, une plaie gangréneuse se déclara, les fragments d’os se dépouillèrent de leur périoste ; un morceau d’os se détacha même, laissant un intervalle entre les deux fragments brisés. Le mal se prolongea pendant huit ans et deux mois, ne faisant qu’empirer. Pendant ce temps, le patient, qui souffrait atrocement, fut visité et soigné par de nombreux médecins : le Docteur Aflenaer, déjà cité, les docteurs Verriest et Tchackert, de Bruges, le professeur Thiriart, de Bruxelles, le docteur Buylaert, de Varssenaere, le docteur Van Hoestenberghe, de Stalhille. Tous s’accordèrent à déclarer la consolidation impossible en de pareilles conditions, et regardaient le blessé comme incurable. Voici, d’ailleurs, le rapport du docteur Van Hoestenberghe, sur une visite qu’il fit à de Rudder en janvier 1875 :

« Rudder avait une plaie à la partie supérieure de la jambe ; au fond de cette plaie, on voyait les deux os, à une distance de trois centimètres l’un de l’autre. Il n’y avait pas la moindre apparence de cicatrisation. Pierre souffrait beaucoup et endurait ce mal depuis huit ans. La partie inférieure de la jambe était mobile dans tous les sens. On pouvait relever le talon, de façon à plier la jambe dans son milieu. On pouvait la tordre et ramener le talon en avant, et les orteils en arrière. Tous ces mouvements n’étaient limités que par la résistance des tissus mous. »

Un témoin, Jean Houtsaeghe, déclare avoir vu, à la fin mars, Pierre « plier la jambe avec la main, de façon à faire sortir par la plaie les deux extrémités de l’os cassé, qui est venu de l’extérieur. »

Enfin, trois autres témoins, Jules Van Hooren, Adouard Van Hooren et Marie Wittizael, ont signé le certificat suivant :

« Les soussignés déclarent avoir vu, le 6 avril 1875, la jambe fracturée de Rudder ; les deux parties de l’os rompu perçaient la peau et en étaient séparées par une plaie purulente, sur une longueur de 3 centimètres. »

Les schémas, ainsi que ceux qui suivront, sont tirés de l’ouvrage Les guérisons de Lourdes en schémas, par les docteurs Vallet, président du Bureau des Constatations, et Dubuch (Téqui, édit.).

La guérison

Or, le lendemain, 7 avril 1875, le pauvre estropié, se traînant sur ses béquilles, parcourt péniblement, en plus de deux heures, les 2.500 mètres qui le séparaient de la station de chemin de fer, est hissé dans un wagon pour Gand, en descend pour prendre l’omnibus d’Oostacker, dont le plancher est bien vite souillé du pus sanguinolent qui découle de sa pauvre jambe. Il arrive ainsi, au prix de quelles souffrances, au but de son pèlerinage : la Grotte de Notre-Dame de Lourdes d’Oostacker. Là il implore le pardon de ses péchés et la grâce de pouvoir travailler pour gagner la vie de sa famille. Aussitôt, il sent passer dans son être comme une révolution. Ne sachant encore ce qu’il fait, il se précipite sans béquilles, traverse les rangs des pèlerins, et se jette à genoux devant la statue. Alors seulement il s’aperçoit qu’il est guéri : il se tient debout, il marche avec facilité et sans douleur. On examine aussitôt le membre malade : 

« La jambe et le pied, fort gonflés quelques instants auparavant, ont repris leur volume normal, si bien que l’emplâtre et les bandes qui enveloppaient la jambe sont tombés d’eux-mêmes ; plus de plaies ; toutes les deux sont cicatrisées ; et enfin, ce qui dépasse tout, les os rompus se sont rejoints malgré la distance qui les séparait ; ils se sont soudés l’un à l’autre, et les deux jambes sont égales. »

Abbé Bertrin, Histoire critique des évènements de Lourdes, apparitions et guérisons)

Après la guérison : les attestations

Les trois témoins déjà nommés signèrent l’attestation suivante :

« Nous déclarons que de Rudder est revenu, le 7 avril, de son pèlerinage de Notre-Dame de Lourdes d’Oostacker, parfaitement guéri. L’os était soudé, la plaie disparue ; de Rudder pouvait marcher, se tenir debout et travailler, aussi bien qu’avant son accident. »

Les autorités civiles et religieuses et les notables du lieu voulurent, par ailleurs, laisser un témoignage authentique du fait.

« Nous, soussignés, paroissiens de Jabbeke, déclarons que le tibia de Pierre-Jacques de Rudder, né et domicilié ici, âgé de 52 ans, avait été tellement brisé par la chute d’un arbre, le 16 février 1867, qu’après avoir épuisé toutes les ressources de la chirurgies, le malade fut abandonné et déclaré incurable par les hommes de l’art, et regardé comme tel par ceux qui le connaissaient ; qu’il a invoqué Notre-Dames de Lourdes, vénérée à Oostaker, et est revenu chez lui tout guéri et sans béquilles, de sorte qu’il peut, comme avant l’accident, se livrer à tous les travaux. Nous déclarons que cette guérison, subite et admirable, a eu lieu le 7 avril 1875. »

Suivent la signature des magistrats, prêtres et notables (dont certains, comme le vicomte du Bus, étaient jusque-là des incrédules), et le sceau de la commune (15 avril 1875).

Les médecins eux-mêmes allaient apporter leur témoignage : le 8 avril au matin, le docteur Aflenaer était chez son client ; il constata la guérison, et fut frappé de trouver « la face interne du tibia entièrement lisse à l’endroit de la fracture ». Il ne put cacher son émotion et proclama le caractère surnaturel de la guérison.  La 9 avril, c’était le tour du docteur Van Hoestenberghe, qui trouve de Rudder en train de bêcher son jardin. Laissons-le parler :

« Qu’ai-je trouvé ? Une jambe à laquelle il ne manquait rien, si bien que, si je n’avais pas examiné le malheureux auparavant, j’aurais certainement émis la conviction que cette jambe n’avait jamais été cassée. En effet, en passant les doigts lentement sur la crête du tibia, on n’y sent pas la moindre irrégularité, mais une surface parfaitement lisse de haut en bas. Tout ce que l’on découvre, ce sont quelques cicatrices superficielles à la peau. »

Docteur Van Hoestenberghe – Lettre au docteur Boissarie, 3 septembre 1892

Et le docteur Van Hoestenberghe, auparavant incrédule, se convertit entièrement. La même chose arriva pour un grand nombre de personnes qui virent de Rudder continuer une vie de labeur et de piété aussi ; durant les vingt-trois ans qu’il vécut encore, il fit plus de 400 pèlerinages d’actions de grâces à Notre-Dame de Lourdes d’Oostacker. Deux autres confirmations vinrent encore :

En 1892, le docteur Royer, de Lens-Saint-Rémy, résolut d’ouvrir une enquête d’une rigueur scientifique absolue sur la guérison de Pierre de Rudder. Les témoignages multiples et unanimes l’amenèrent à cette conclusion :

« Pas de cal fibreux entre les fragments… les os se sont soudés directement l’un à l’autre. De plus, la jambe gauche ne présentait pas plus de courbure que la jambe droite. Enfin, malgré la perte d’un morceau d’os et bien que les fragments fussent séparés par un distance de 3 centimètres avant la guérison, aucun raccourcissement n’existait dans le membre. Le doute serait déraisonnable et, par conséquent, illégitime ; toute âme droite reconnaîtra qu’il y a, dans cette guérison, une intervention surnaturelle. »

Docteur Royer

En 1898, âgé de 75 ans, Pierre de Rudder mourut d’une pneumonie. Le docteur Van Hoestenberghe voulut voir les os de cette jambe si longtemps malade et obtint l’autopsie. Ce témoignage confirma tous les autres. La photographie ci-jointe montre aisément que la jambe gauche est à la foi témoin de l’accident, par la trace visible de la double cassure, et témoin aussi de la guérison miraculeuse, car les deux os de cette jambe sont aussi longs que ceux de la jambe droite.

« Le Chirurgien invisible qui avait daigné intervenir avait fait en un instant ce que nul autre n’avait pu faire en de longues années, et il l’avait fait avec un art admirable. En même temps, pour que nul n’en ignorât, sa main avait laissé la trace de la fracture, qui restait une preuve de la divine opération. »

Abbé Bertrin

C’était aussi la conclusion d’un article publié en octobre 1899 dans la Revue des questions scientifiques, par le docteur Royer, le docteur Van Hoestenberghe et le docteur Deschamps. Après avoir raconté et établi tous les faits, ils démontrent avec une clarté et une force irrésistibles que la guérison n’a pu être l’œuvre d’une force naturelle. 

Saint Denis de Paris

Saint Denis

Pour nous qui sommes Parisiens, et nous sentons spécialement attachés au souvenir et à l’intercession du martyr saint Denis, premier évêque de Paris, il nous semble important de tirer au clair la question de sa véritable identité, au regard de ce que l’histoire peut nous apprendre :  pendant très longtemps, les Français et même les catholiques du monde entier à leur suite ont cru que Denis de Paris était l’aréopagite Denys cité dans les Actes des Apôtres, un des Athéniens qui s’est converti au Christ à la suite de la prédication de saint Paul. Il nous semble qu’il s’agit d’une erreur, et qu’il n’y a pas à craindre de verser dans le rationalisme en l’affirmant.

C’est l’occasion pour nous de parler d’un thème qui a son importance dans l’époque actuelle de recul de la foi et de confusion universelle des esprits : il serait à notre avis une erreur, plus ou moins grave et dangereuse, de réagir au rationalisme et au relativisme ambiant par le fidéisme, c’est-à-dire par la séparation étanche entre le domaine de la raison et celui de la foi, en dépréciant excessivement la raison  et toute sorte de connaissance scientifique. Une des manifestations du fidéisme peut être, pour ce qui se rapporte à la vie des saints, de croire sans examen à tous les récits populaires ou traditionnels (pas au sens de la Tradition ecclésiastique, mais d’une tradition humaine) se rapportant auxdits saints.

S’il n’est pas rationnel de remettre en cause sans raison, par principe, un récit traditionnel comportant des miracles ou des faits extraordinaires et glorieux (comme si les chrétiens des générations précédentes étaient par défaut des menteurs ou des rêveurs), il peut être rationnel de le faire s’il y a une preuve interne ou externe au récit qui le rend difficile ou impossible. Le fait qu’un « consensus » des chrétiens à l’échelle de plusieurs siècles adhère à ce récit, ou que le martyrologe romain lui-même le rapporte, n’est pas de nature à engager l’infaillibilité de l’Eglise : l’infaillibilité nous garantit qu’un document comme le martyrologe ne contient rien de contraire à la foi et aux mœurs, mais ne garantit pas l’absence d’erreur historique ou relevant d’un autre domaine contingent.

Il nous apparaît donc que saint Denis de Paris n’est pas l’Athénien disciple de saint Paul, mais un évêque missionnaire envoyé en Gaule par le Pape au IIIe siècle, aux côté de 6 autres compagnons que l’histoire a aussi retenus comme fondateurs de diocèses français : Saturnin de Toulouse, Gatien de Tours, Trophime d’Arles, Paul de Narbonne, Austremoine de Clermont, Martial de Limoges. D’autres évêques semblent avoir été envoyés de Rome à la même époque : Lucien de Beauvais et Rieul de Senlis entre autres. C’est le récit de saint Grégoire de Tours, et il nous semble plus fiable que celui de l’abbé Hilduin de Saint-Denis, qui est à l’origine de la tradition d’identifier Denis de Paris et Denys l’Aréopagite. Nous présenterons brièvement différents éléments à l’appui de cette opinion

Grégoire de Tours : Saint Denis envoyé en Gaule à l’époque de la persécution de Dèce (250)

Voici le passage des Histoires de saint Grégoire de Tours, le célèbre historien des Francs, concernant les sept évêques missionnaires :

« Sous l’empereur Dèce il s’éleva contre le nom chrétien un grand nombre de persécutions, et on fit un si grand carnage des fidèles qu’on ne pourrait les compter. Babylas, évêque d’Antioche, avec trois petits enfants, Urbain, Prilidan et Épolone ; Sixte, évêque de la ville de Rome ; Laurent, archidiacre, et Hippolyte, reçurent le martyre pour avoir confessé le nom du Seigneur. Valentinien et Novatien, alors les principaux chefs des hérétiques, à l’insinuation de l’ennemi de Dieu, attaquèrent notre foi. Dans ce temps sept hommes, nommés évêques, furent envoyés pour prêcher dans les Gaules, comme le rapporte l’histoire de la passion du saint martyr Saturnin. « Sous le consulat de Décius et de Gratus, comme le rappelle un souvenir fidèle, la ville de Toulouse eut pour premier et plus grand évêque, saint Saturnin. » Voici ceux qui furent envoyés : Gatien, évêque à Tours ; Trophime à Arles ; Paul à Narbonne ; Saturnin à Toulouse ; Denis à Paris, Strémon [Austremoine] en Auvergne et Martial à Limoges. Parmi ces pontifes, Denis, évêque de Paris, subit divers supplices pour le nom du Christ, et, frappé du glaive, termina sa vie en ce monde. Saturnin, déjà assuré du martyre, dit à deux prêtres : « Voici que je vais être immolé, et le temps de ma destruction approche ; je vous prie, jusqu’à ce que je termine ma vie, de ne pas m’abandonner. » Ayant été pris, on le conduisit au Capitole, et, abandonné par les deux prêtres, il fut emmené seul. Se voyant ainsi délaissé, on raconte qu’il fit cette prière : « Seigneur Jésus-Christ, exauce-moi du haut de ta sainte demeure ; que cette Église n’obtienne jamais d’avoir un évêque pris entre ses citoyens. » Nous savons que jusqu’à présent sa prière a été exaucée. Attaché à la queue d’un taureau en fureur, et précipité du haut du Capitole, il termina sa vie. Gatien, Trophime, Strémon, Paul et Martial, vivant dans une éminente sainteté, après avoir gagné les peuples à l’Église et répandu partout la foi chrétienne, moururent en confessant paisiblement le Seigneur. Ceux qui sont sortis du monde par la voie du martyre, et ceux qui sont morts sans trouble dans leur foi sont unis dans le royaume des cieux. »

Premier livre des Histoires [1]

La liste traditionnelle des évêques de Paris : 4 évêques entre Denis et Victorinus

L’abbé Jean Lebeuf (1687-1760), auteur d’une histoire de la ville et du diocèse de Paris, mentionne un Catalogue ou liste des évêques de Paris établie vers l’an 940. Il n’en a pas trouvé de plus ancienne, on peut considérer par défaut qu’il s’agit de la liste traditionnelle, retenue par tradition orale. Dans cette liste, succèdent immédiatement à saint Denis : Mallon, Maxe, Marcus, Adventus, Victorinus. Ce dernier, Victorinus, était évêque de Paris en 346, date à laquelle il témoigne en faveur de Saint Athanase dans la querelle qui l’oppose aux sympathisants de l’arianisme qui l’on chassé d’Alexandrie. Entre saint Denis et Victorinus la liste traditionnelle des évêques de Paris ne mentionne que quatre évêques. Il est a priori invraisemblable de penser que presque trois siècles se soient écoulés et qu’ils n’aient comptés que six évêques pendant ce temps (dans l’hypothèse d’un Denis vivant à l’époque apostolique) : une fois qu’une église est établie par un évêque, et malgré les persécutions et mises à mort récurrente des évêques en ces temps-là, il est rare qu’il y ait eu des périodes de vacance qui s’étendent sur plus de quelques années. Il serait plus vraisemblable que les évêques de Paris se soient succédés de de manière continue pour des périodes allant d’une dizaine à une trentaine d’années. L’abbé Lebeuf ne fait d’ailleurs pas de difficulté d’admettre que Denis est venu à Paris vers le milieu du IIIème siècle. [2]

La première vita de Sainte Geneviève (520)

Sainte Geneviève est connue pour avoir eu une grande dévotion à l’évêque martyr de Paris, elle a notamment fait construire une chapelle sur l’emplacement de son tombeau. La première « vie de sainte Geneviève » dont on ait la trace, écrite 18 ans après sa mort (que l’on situe généralement le 3 janvier 502), évoque brièvement saint Denis comme un évêque envoyé par le Pape pour évangéliser la Gaule. Le pape mentionné dans cette première vita est saint Clément, qui règne entre 92 et 99 selon Eusèbe de Césarée : il y a discordance avec la version de Grégoire de Tours, mais cela ne concorderait pas vraiment non plus avec la version d’un Denis disciple de saint Paul. Saint Clément, quatrième Pape de l’Eglise catholique, appartient bien à l’époque apostolique : les témoignages de saint Irénée et de Tertullien (IIème siècle) concordent pour dire qu’il a connu personnellement saint Pierre et qu’il a reçu de lui les ordres sacrés. Mais si Denis l’Aréopagite pouvait encore être vivant à la fin du Ier siècle, il aurait été un vieillard (la prédication de saint Paul à Athènes a lieu entre 50 et 52), et on pourrait se demander pourquoi le Pape enverrait un homme de cet âge fonder un diocèse en terre étrangère, d’autant que ce saint Denys est considéré en Orient comme le premier évêque de l’Eglise d’Athènes : c’est dans l’ordre du possible, mais la concordance n’est pas idéale

Les philologues estiment généralement que cet alinéa sur l’origine romaine de la mission de saint Denis est une interpolation tardive d’un copiste, car il n’est pas présent dans d’autres vitae de sainte Geneviève de la même époque. Interpolation ou non, le texte ne fait pas mention du lien entre saint Denis et saint Paul, qui mériterait pourtant d’être relevé dans le cas où la tradition de l’époque en ferait état. Il est possible que cette mention sur la mission de Saint Denis soit un souvenir authentique de son origine romaine (envoyé par le Pape pour évangéliser la Gaule), et que le nom précis du Pape de l’époque ait été oublié et confondu avec une figure mieux connue comme celle de saint Clément.

La première Passion de Saint Denis (c. 490)

La toute première vie ou « Passion » de saint Denis (Gloriosae martyrum passiones) a visiblement été écrite peu de temps avant la première vita de Sainte Geneviève,  étant donné que l’auteur de cet écrit mentionne la « Passion de Saint Denis » comme une de ses sources. D’après son incipit, elle a été rédigée à la fin du Ve siècle, du vivant de sainte Geneviève donc et peut-être sous l’impulsion de celle-ci (on estime que c’est en 475 que sainte Geneviève fit construire une église sur le tombeau de saint Denis). Cette première Passion, plus ancienne trace écrite des traditions concernant saint Denis, ne fait aucun lien entre ce Denis et le disciple de saint Paul : c’est un argument assez fort en la défaveur de cette idée.

L’auteur dit lui-même dans un long préambule qu’il est obligé de se fier à des traditions orales assez imprécises, en l’absence de documentation écrite. A notre avis, comme nous le disions plus haut, la tradition orale a retenu l’origine romaine de la mission de saint Denis, et oublié le Pape de l’époque en l’amalgamant à un autre pape plus connu, sans souci de concordance chronologique. L’auteur de cette première Passion ne mentionne d’ailleurs ni Clément ni aucun autre nom : il ne sait pas qui était le Pape de l’époque. Ce serait donc l’auteur de la vita de sainte Geneviève, ou bien le copiste de l’époque carolingienne, qui est à l’origine de cette attribution, et pas l’auteur de la première vie de saint Denis. [3]

Cette vie mentionne un détail intéressant qui fait référence au contexte du IIIe siècle bien plus qu’à celui du premier siècle : la ville de Paris aurait été occupée à l’époque par des Germains, et saint Denis a concentré sa prédication sur cette population. On sait en effet qu’au début de la deuxième moitié du IIIème siècle, soit précisément à l’époque de la mission des sept évêques mentionnés par Grégoire de Tours, a lieu une invasion de la Gaule par les Alamans et les Francs. Repoussés une première fois par l’empereur Gallien, les Francs reviennent en Gaule dans les années 260. En 275, les Francs gagnent de nouvelles positions en Gaule, et c’est en 277 qu’ils sont « définitivement » repoussé par l’empereur Probus. Durant cette période allant grossièrement de 250 à 275, qui est a priori l’époque de la mission de saint Denis, une occupation de Paris par les Francs est un fait historique tout à fait vraisemblable.

Une association tardive (VIIIe-IXe siècle)

Pour autant que l’on puisse en juger, il n’existe pas de trace d’une association entre Denis de Paris et le disciple athénien de saint Paul avant le VIIIe siècle au plus tôt. La deuxième Passion de saint Denis, qui est une réécriture de la première, date du milieu du VIIIe siècle ou du début du IXe siècle selon les avis, et est le premier document à mentionner l’association. Peu de temps après, l’abbé Hilduin de Saint-Denis écrit aussi une vie du saint tutélaire de son abbaye, à la demande de l’empereur Louis le Pieux, et abonde particulièrement dans le sens de l’identification entre Denis de Paris et l’Aréopagite. Hilduin n’est pas l’auteur de l’association, puisqu’il reprend à son compte une tradition qui a déjà cours à son époque, mais il en sera le principal illustrateur et propagateur.

Par ailleurs il est établi désormais que les écrits attribués à Denys l’Aréopagite ne peuvent pas dater de l’époque apostolique : entre autres choses, ils contiennent un extrait des écrits du néoplatonicien Proclus (412-485), on fixe à présent leur rédaction entre la fin du Ve siècle et le début du VIème. A partir de l’époque d’Hilduin, l’hagiographie confonds peu à peu trois Denis en une seule personne, et l’abbaye ainsi que la ville de Paris retirent un prestige particulier de l’aura des écrits du Pseudo-Denys. Dans la suite des siècles les Français resteront attachés à cette tradition, étant donné le lien particulier qui unit saint Denis à la monarchie française (comme en atteste le cri de guerre des armées du roi de France : Montjoie ! Saint-Denis !). Cependant dès le XVIIe siècle, dans une époque de progrès de la méthode historique [cf. Dom Mabillon et les Mauristes], cette identité est mise en doute et l’opinion savante se rattache de plus en plus à celle du récit de saint Grégoire de Tours, faisant de saint Denis un compagnon du glorieux martyr saint Saturnin, envoyés en mission depuis Rome au milieu du IIIème siècle.

Ce ne serait pas déshonorer la France et son histoire glorieuse que d’admettre qu’il y ait pu avoir une erreur sur l’identité du premier évêque de Paris et protecteur particulier des rois de France. Sachons plutôt réconcilier cet héritage français avec la vérité historique telle que nous pouvons le connaître aujourd’hui, sans chercher à augmenter par des mythes sans fondement une gloire et des mérites qui sont déjà bien réels. L’évêque Denis est venu sur nos terres pour prêcher aux peuples la Vérité, et il est mort pour le témoignage de la Vérité : soyons ses vrais disciples en plaçant la Vérité au-dessus de tout, y compris de l’attachement à des traditions ou à des opinions qui flattent nos affections, mais ne sont pas faites pour l’honneur de Dieu si elles ne sont pas conformes à la réalité.

Jean-Tristan B.


[1] Disponible en ligne à cette adresse : https://fr.wikisource.org/wiki/Histoires_(Gr%C3%A9goire_de_Tours)/1

[2] Le livre de l’abbé Lebeuf sur la ville et le diocèse de Paris : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k751079/f30.item

[3] Une étude sur les différentes Passions de saint Denis est disponible dans ce mémoire d’Angélique Monnier : https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_S_31132.P001/REF