Les catholiques doivent être sédévacantistes


Avant de comprendre quelle est la situation de l’ Eglise aujourd’hui, il est nécessaire de comprendre ce qu’est l’ Eglise en tout temps, et quelle est l’attitude qu’un chrétien doit avoir à son égard, surtout lorsqu’il cherche la vérité en matière de religion.


 « S’il n’écoute pas l’Église même, qu’il soit à votre égard comme un païen et un publicain »

Matthieu 18:17

Dieu s’est fait connaître par la Révélation, commencée au temps de l’Ancienne Alliance; celle-ci s’achève à la mort du dernier Apôtre, c’est un point sur lequel tous les chrétiens s’entendent. Mais pour que cette Révélation demeure sans changement et qu’elle soit répandue à travers le monde Notre-Seigneur a établi une Église qui naît à la Pentecôte et dont la doctrine et la morale sont fixées par Jésus-Christ lors de sa vie terrestre.

« Allez donc, et instruisez tous les peuples, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit »

Matthieu 18:19

Mais puisque la nature humaine blessée n’aurait pu conserver et enseigner sans faute le dépôt révélé, Notre-Seigneur Jésus-Christ a promis à son Église l’infaillibilité. C’est ce qui distingue la religion catholique des hérésies et des fausses religions : elle est immuable quand les autres sont changeantes. C’est d’abord le Pape, successeur de saint Pierre, qui est infaillible ; partant du Christ l’infaillibilité se répand ensuite dans l’Église. C’est ainsi que les évêques unis au Pontife romain enseignent infailliblement, par exemple lors des Conciles œcuméniques, ou dans leur enseignement ordinaire. C’est ainsi que se vérifie la promesse d’assistance faite par Notre-Seigneur :

« Et moi, je suis avec vous toujours jusqu’à la fin du monde. » (Matthieu 28:19)

L’Église fondée sur saint Pierre est donc le seul moyen par lequel le Christ se fait connaître aux hommes, car elle seule a cette promesse d’infaillibilité, à laquelle aucun homme ou aucune société ne peut prétendre sinon. La Bible et la Tradition ne se suffisent pas à elles-mêmes : on ne peut comprendre certainement la Révélation qu’à travers l’enseignement de l’Église. C’est cet enseignement de l’Église que l’on appelle Magistère. Le Pape Pie XII le définit ainsi :

« Ce magistère, en matière de foi et de mœurs, doit être […] la règle prochaine et universelle de vérité, puisque le Seigneur Christ lui a confié le dépôt de la foi – les Saintes Écritures et la divine Tradition – pour le conserver, le défendre et l’interpréter »

Pie XII, Humani Generis

Le catholique a donc cette règle infaillible de foi qu’est le Magistère pour connaître la vérité et éviter l’erreur. C’est bien le Magistère qui est la règle prochaine de la foi, et non pas la Tradition, la Bible, ou des révélations privées. Le Magistère de l’Église s’est ainsi exprimé durant deux millénaires sur toutes sortes de sujets relatifs à la foi (ce qu’il faut croire pour se sauver) et aux mœurs (ce qu’il faut faire pour se sauver), non pas pour ajouter quelque chose à la doctrine révélée mais pour la faire comprendre et pour approfondir son insondable richesse, pour la défendre et pour réfuter les erreurs qui lui étaient opposées.

Le catholique ne trouvera donc l’assurance d’être sur la Voie du Christ qu’en suivant docilement le Magistère de l’Église Catholique, au mépris de toute opinion et de toute préférence personnelle.

C’est ce principe qui doit guider le catholique qui s’interroge sur l’Église aujourd’hui.

C’est ce principe qui fait que nous sommes « sédévacantistes », que nous pensons que le Saint Siège est formellement vacant depuis 1965 au plus tard, au lieu d’être conciliaires ou d’être lefebvristes :

  • Parce que Vatican II contredit le magistère de l’Eglise, nous sommes contre Vatican II.
  • Parce qu’il n’est pas possible que l’Eglise se contredise dans son magistère, nous sommes contre le « faillibilisme » de la plupart des traditionnalistes.

C’est aussi simple que cela.

Les erreurs de Vatican II

Texte tiré du document « Vatican II, le Pape et la FSSPX » de Mgr Sanborn.

La liberté religieuse

L’enseignement de Vatican II sur la liberté religieuse, contenu dans Dignitatis Humanæ, affirme presque mot à mot la doctrine même qui avait été condamnée par le pape Pie VII dans Post Tam Diuturnas, par le pape Grégoire XVI dans Mirari Vos, par le pape Pie IX dans Quanta Cura, et par le pape Léon XIII dans Libertas Præstantissimum. L’enseignement de Vatican II sur la liberté religieuse contredit aussi la royauté de Jésus-Christ dans la société exprimée dans Quas Primas du pape Pie XI, et contredit également l’attitude et la pratique constante de l’Église vis-à-vis de la société civile

La collégialité

L’enseignement de Vatican II concernant la collégialité modifie la constitution monarchique de l’Église Catholique, qui a été établie par le Divin Sauveur. La doctrine de Vatican II, confirmée par le Code de Droit Canonique de 1983, qui stipule que le sujet (le possesseur) de l’autorité suprême de l’Église est le collège des évêques avec le pape, est contraire à la doctrine définie par le Concile de Florence et le Concile Vatican I.

La Nouvelle Messe et les changements liturgiques

Les changements liturgiques de Vatican II reflètent les erreurs doctrinales que je viens de mentionner. La nouvelle liturgie est une liturgie œcuménique, qui cherche à effacer toutes les doctrines qui sont proprement catholiques, et à faire de la liturgie catholique une forme de culte qui n’offenserait aucun Protestant. C’est un culte centré sur l’homme, dépouillé de tout symbolisme du surnaturel. L’Ordo Missae de Paul VI est une discipline liturgique mauvaise, parce que (1) il contient une définition hérétique de la Messe ; (2) il fut composé dans le but exprès de créer une liturgie œcuménique, qui plaise aux Protestants, dépouillée des vérités catholiques concernant le sacerdoce, le Saint Sacrifice de la Messe, et la Présence Réelle du Christ dans la Sainte Eucharistie ; (3) il fut composé avec l’aide et l’impulsion de six ministres Protestants, ce qui montre l’esprit hérétique dans lequel il a été conçu et formulé ; (4) ses auteurs ont systématiquement supprimé de son prières et leçons les doctrines qui seraient offensives aux hérétiques ; (5) elle enseigne, à la fois par ses omissions et par son symbolisme et ses gestes, des hérésies et des erreurs concernant le sacerdoce, le Saint Sacrifice de la Messe, et la Présence Réelle du Christ dans la Saint Eucharistie.
En outre, il est très probablement invalide en raison d’un défaut d’intention qu’il provoque chez celui qui le célèbre, et en raison, au moins dans le vernaculaire, d’une altération blasphématoire des mots du Christ dans la formule de consécration

L’œcuménisme

L’enseignement de Vatican II concernant l’œcuménisme, qui stipule que les religions non- catholiques sont un moyen du salut, est complètement hérétique. Cette doctrine contredit directement l’enseignement de l’Église, à savoir, qu’il n’y a pas de salut en dehors de l’Église Catholique, appelé par le pape Pie IX un dogme Catholique très bien connu. En outre, les pratiques œcuméniques qui ont résulté de cette doctrine hérétique sont directement contraires à Mortalium Animos du pape Pie XI.

En complément, nous vous conseillons ce site répertoriant les problèmes de Vatican II http://www.etudesantimodernistes.fr/vatican-ii.html



https://data.over-blog-kiwi.com/1/99/48/58/20160418/ob_51652e_mgr-sanborn-resistance-et-indefect.pdf

Pour en finir avec Archidiacre


L’impasse de l’herméneutique de la continuité en 10 points

Un certain « Archidiacre », de son vrai nom Jérôme Ferrier, et son serviteur « semper papiste » / « catholique lorrain » / « quiche lorraine » se font connaître depuis des années sur internet comme les ennemis mortels du sédévacantisme ou du traditionalisme d’une manière générale, menant un apostolat très actif contre cette position, estimant être en possession d’une réfutation définitive du traditionalisme par la solution dite de « l’herméneutique de la continuité », qui consiste à interpréter Vatican II comme étant en parfaite continuité avec la Tradition catholique.

Cette position, qui semble procéder d’une bonne intention (sauvegarder la foi catholique et la fidélité à la hiérarchie ecclésiastique) et qui a malheureusement le pouvoir de séduire certains traditionalistes par l’apparence de sérieux qu’elle comporte et les questions graves qu’elle soulève (l’obéissance à l’Eglise, la possibilité d’errer dans son jugement privé, etc.), n’a en réalité qu’une apparence de sérieux et comporte de très graves problèmes à la fois internes (concernant ses postulats et sa logique) et externes (concernant son rapport avec la réalité qu’elle cherche à expliquer).

Cet article ne vise pas à être exhaustif dans l’exposition et la réfutation des problèmes posés par  l’herméneutique de la continuité, ni à répondre aux objections qu’elle soulève contre le sédévacantisme (ce qui pourrait faire l’objet d’autres développements), mais à donner une liste de principes qui permettent déjà de comprendre que cette position est, en réalité, absolument insoutenable pour un catholique soucieux de la défense de la foi et de la fidélité à l’Eglise. Ses conséquences pratiques, qui sont de pousser les derniers catholiques sérieux à se soumettre aux modernistes qui détruisent l’Eglise et scandalisent les âmes depuis plus de 60 ans, sont spécialement désastreuses et méritent que cette position soit énergiquement combattue.

Sommaire
I. Le principe fondamental de l’herméneutique de la continuité est vicié.
1) Interpréter le magistère est détruire la notion même de magistère
2) Il est déjà un problème en soi que Vatican II soit si ambigu qu’il puisse être interprété de différentes manières.
3) L’existence même de l’herméneutique de la continuité est une preuve que Vatican II pose problème.

II. L’état d’esprit fondamental de cette position est fidéiste.
4) La raison humaine peut parvenir à la certitude de certaines vérités sans avoir besoin d’une autorité.
5) Il n’est pas pieux d’interpréter pieusement des actions qui sont évidemment mauvaises.

III. Cette position repose sur la négation de la réalité.
6) La majorité des conciliaires n’accepte pas la position d’Archidiacre.
7) Cette position n’offre aucune explication sérieuse au problème du modernisme dans le clergé.
8) Cette position nie le scandale objectif dans les actions des pontifes conciliaires.
9) La contradiction entre Vatican II et le magistère de l’Eglise n’est pas simplement apparente.
10) L’histoire de Vatican II, et du monde catholique depuis Vatican II, contredisent définitivement les postulats fantaisistes de l’herméneutique de la continuité.

« Il y a dans le Coran bien des choses indignes de Dieu. (…) Il y a dans le Coran nombre de mensonges. (…) On trouve une infinité de contradictions dans le Coran. (…) Le paradis que le Coran promet est un paradis qui ferait rougir de honte les bêtes elles-mêmes. »
Saint Alphonse de Liguori, Les Vérités de la Foi, Partie 3, Chapitre 4

Partie I. Le principe fondamental de l’herméneutique de la continuité est vicié.

  • 1) Interpréter le magistère est détruire la notion même de magistère.
    L’Eglise a reçu de Jésus-Christ la charge d’interpréter infailliblement le dépôt de la Foi, en enseignant les fidèles avec clarté et certitude sur le contenu et la portée de ce dépôt. Les Saintes Ecritures sont, par nature, sujette à diverses interprétations, parfois une très grande latitude d’interprétation est permise aux catholiques sur des sujets qui n’ont pas fait l’objet de définitions magistérielles (par exemple, lorsqu’il s’agit d’interpréter les prophéties de l’Apocalypse). Mais le magistère est par nature une clarification du dépôt de la foi (Saintes Ecritures et Tradition), il est la règle prochaine de la foi, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une interprétation privée, sous peine de perdre toute sa valeur autoritative. La raison d’être du magistère est précisément de mettre fin aux interprétations privées, de donner aux fidèles une norme de pensée directive, claire et définitive, qui ne peut pas être interprétée mais doit simplement être reçue dans son sens premier et évident, comme étant l’enseignement de Dieu lui-même.  Par conséquent, le premier et plus fondamental principe de « l’herméneutique de la continuité », qui consiste à dire que l’on doit « interpréter le magistère » dans un certain sens, est absolument faux, et mène en à l’absurdité et à la contradiction : car il peut y avoir autant de « bonnes interprétations du magistère » qu’il y aura « d’herméneutes de la continuité », si c’est un acte de jugement privé qui doit redonner au magistère son véritable sens.
  • 2) Il est déjà un problème en soi que Vatican II soit si ambigu qu’il puisse être interprété de différentes manières.
    La Sainte Église a condamné plusieurs propositions non pour leur contenu évident, mais simplement pour leur formulation dangereuse qui était de nature à encourager l’hérésie [1], faire déshonneur à certaines vérités révélées, ne pas suffisamment condamner certains erreurs, etc… les censures théologiques réservées à ces formulations sont : ambigüe (ambigua), captieuse (captiosa), malsonante (male sonans), offensive des oreilles pies (piarum aurium offensiva).  Nous citons la Catholic Encyclopedia à l’article des censures théologiques :

Une proposition est ambiguë lorsqu’elle est formulée de manière à présenter deux ou plus interprétations possibles, l’une d’entre elles étant condamnables ; captieuse lorsque des termes acceptables sont utilisées pour exprimer une idée condamnable ; malsonnante lorsque des termes inconvenants sont utilisés pour exprimer des vérités par ailleurs acceptables ; offensive lorsque les expressions employées sont de nature à choquer le sens catholique et la délicatesse de la foi.

Catholic Encyclopedia

Combien de propositions de Vatican II ne tombent pas au moins sous le coup de ces censures ? Si tel n’était pas le cas, comment se pourrait-il que la majorité des conciliaires aient une interprétation hérétique de Vatican II ? Il y a bien, à la racine, un problème grave de formulation dans la plupart des documents de Vatican II, et nous croyons qu’il serait une insulte à Dieu, et qu’il serait contraire à l’infaillibilité négative des actes de l’autorité ecclésiastique, de soutenir qu’il est possible que le magistère infaillible de la Sainte Eglise, guidée par le Saint-Esprit, puisse contenir des propositions par nature ambiguës, captieuses ou malsonnantes, de sorte qu’elles laisseraient la plupart des fidèles dans le danger immédiat d’une mauvaise interprétation.

3) L’existence même de l’herméneutique de la continuité est une preuve que Vatican II pose problème.
Il n’a jamais existé dans l’histoire de l’Eglise une position théologique affirmant qu’il était nécessaire d’interpréter le nouveau magistère en continuité avec l’ancien magistère, car il a toujours été absolument évident, de par la nature même du magistère,  que les nouveaux enseignements magistériels étaient en continuité avec les anciens. Les protestants ont prétendu que l’Eglise s’était éloignée de son ancien enseignement, mais ils l’ont fait en rejetant la notion même de magistère, sans s’appuyer sur du magistère plus ancien (en faisant l’affirmation purement gratuite que l’Eglise apostolique partageait leurs croyances, et en interprétant de manière partiale certains Pères de l’Eglise). La nouveauté introduite par Vatican II est, au moins, la perte de cette claire évidence de la continuité avec le magistère antérieur [2].

Partie II. L’état d’esprit fondamental de cette position est fidéiste.

  • 4) La raison humaine peut parvenir à la certitude de certaines vérités sans avoir besoin d’une autorité.
    • Un des postulats non formulés et implicites de la position d’Archidiacre est que la raison humaine, qui pousse la plupart des personnes ayant étudié Vatican II (progressistes, indifférents ou conservateurs/traditionnalistes) à conclure que sa doctrine s’éloigne très distinctement de la doctrine enseignée auparavant par l’Eglise catholique (sur des sujets tels que la liberté religieuse, l’œcuménisme ou le judaïsme), que cette raison humaine est si faible et corrompue qu’elle est généralement incapable d’accéder à la vérité, surtout en matière religieuse, de sorte qu’il est en pratique nécessaire que l’esprit humain se repose sur une autorité pour parvenir à des conclusions certaines. Ainsi, les archidiacriens passeront leur temps à exhorter à la soumission et l’obéissance à ce qui est perçu comme « l’autorité », tout raisonnement subsidiaire n’étant qu’un accessoire visant à justifier et donner un aspect crédible à cette autorité.
    • Il devrait être inutile de représenter à quel point cette attitude est contraire à toute la Tradition catholique et au magistère même de la Sainte Eglise, qui a plusieurs fois jeté l’anathème sur ceux qui niaient que l’on puisse accéder à certaines vérités religieuses par le simple raisonnement, spécialement contre la doctrine agnostique (au sens étymologique de « l’impossibilité de connaître ») des modernistes, et qui a loué la doctrine intellectualiste de Saint Thomas d’Aquin (qui a une grande confiance dans la capacité de la raison humaine à atteindre le réel) chaque fois qu’il était possible de le faire. La manière catholique de procéder face à l’erreur n’est pas premièrement d’exhorter à la soumission et à l’abandon du raisonnement, mais plutôt d’exposer la crédibilité intrinsèque des doctrines catholiques (et pas seulement la crédibilité de l’autorité ecclésiastique), de réfuter les erreurs dans leurs fondements logiques – c’est ainsi que l’on voit les papes du XVIe siècle envoyer d’abord des théologiens controverser contre Luther et les autres réformateurs, avant que le Concile de Trente ne définisse ses célèbres anathèmes.
    • Le procédé des herméneutes est inverse : ils commencent par jeter des anathèmes et appeler à la soumission à l’Eglise, puis à justifier après coup par quelques raisonnements hasardeux, qui sont en réalité plus des hypothèses que des affirmations sur le véritable sens de Vatican II, la crédibilité intrinsèque des doctrines enseignées. L’essentiel des arguments des « herméneutes » archidiacriens consistent à établir que Vatican II est l’autorité et donc qu’il faut s’y soumettre, au lieu d’établir que le contenu intelligible de Vatican II est positivement défendable (il est en effet beaucoup plus difficile de manœuvrer sur ce second terrain et d’impressionner le public que sur le premier). Il y a, à la racine de leur démarche et dans le fond de leur argumentation, cette idée que la raison humaine n’est pas fiable et qu’il faut nécessairement la plier à une autorité. Nous notons que ce sont presque toujours des profils scrupuleux qui sont sensibles à leurs arguments, précisément parce que le scrupule est une incapacité à utiliser correctement la raison pour déterminer ce qui est bien ou mal, déterminer le vrai et le faux dans un certain domaine, et que le seul remède aux scrupules est l’humble soumission à un directeur spirituel. Encore faut-il que ces âmes sachent déterminer suffisamment quel genre de directeur et quel genre d’autorité sont susceptibles de prendre véritablement soin de leur âme.
  • 5) Il n’est pas pieux d’interpréter pieusement des actions qui sont évidemment mauvaises.
    • Archidiacre et ses partisans aiment parler du « devoir de pieuse interprétation » concernant les actions du prochain (en l’occurrence, les actions des « papes » et prélats conciliaires), qui consiste à supposer, autant que possible, un motif honorable à une action douteuse du prochain. L’inverse de cette attitude étant le soupçon ou le jugement téméraire, qui consiste à supposer ou à affirmer une intention mauvaise chez le prochain pour une action insignifiante ou objectivement bonne. Ils estiment donc qu’il est de leur devoir d’interpréter toutes les actions et paroles inqualifiables de Bergoglio dans un sens parfaitement catholique, comme s’il était un honorable défenseur de la foi qui commettait des  maladresses. Notons deux choses :
      1. la contradiction quelque peu hypocrite de ceux qui prétendent qu’ils appliquent la « pieuse interprétation » conformément à la morale catholique, tout en insultant les traditionnalistes en disant sans plus de formalités qu’ils sont hérétiques et schismatiques : des termes extrêmement graves, qui impliquent l’affirmation d’une intention gravement mauvaise, sinon on utiliserait des termes plus mitigés pour distinguer le fait objectif qui peut être schismatique ou hérétique et l’intention des personnes qui pourrait être bonne (comme ils savent si bien le faire à propos des « frères séparés », qu’ils n’osent plus appeler hérétiques ou schismatiques). Nous ne nous permettons pas pour notre part d’affirmer que ces gens sont hérétiques, bien qu’ils défendent des doctrines insoutenables, car il ne nous appartient pas de juger l’intention avec laquelle ils défendent Vatican II, et nous supposons d’ailleurs qu’ils défendent ces doctrines avec une bonne intention. Cette présomption ne semble pas fonctionner dans l’autre sens.
      2. l’absurdité d’appliquer la « pieuse interprétation » à des actions qui sont par nature mauvaises et qu’on ne peut pas raisonnablement expliquer sans un certain degré de mauvaise intention, ou qui ont des conséquences si désastreuses qu’il n’est pas besoin de discuter sur la validité de l’intention des personnes pour condamner avec violence leur action. L’obligation morale de la pieuse interprétation se limite à des actions qui sont objectivement bonnes ou dont la malignité est fondamentalement douteuse, ainsi le jugement téméraire est le jugement qui consiste à mettre des motifs pervers derrière une action innocente, neutre ou de matière légère. Considérer que deux personnes qui vivent dans l’adultère vivent dans l’habitude du péché mortel, ce n’est pas un jugement téméraire, c’est un constat nécessaire (car il ne peut pas exister une « ignorance invincible » de la loi naturelle chez des êtres capables d’utiliser leur raison). Considérer qu’un homme d’Eglise qui embrasse le Coran devant le monde entier peut le faire avec une autre intention que de donner l’image d’une bénédiction de l’islam par l’Eglise catholique, chose absolument impie et dégoutante qui ferait frémir d’horreur tous les saints et les papes des siècles passés, c’est simplement nier la réalité, car ce geste ne peut pas raisonnablement signifier autre chose.
    • Nous ne citons ici qu’une des actions parmi les plus choquantes des pontifes de Vatican II, parmi les nombreuses actions et paroles qui prouvent chaque jour qu’ils n’ont aucune intention de poursuivre le bien de l’Eglise et de défendre la doctrine catholique : le sujet n’est pas, d’ailleurs, d’établir le degré de malignité de leurs actions, simplement de constater qu’ils vivent dans une intention objective qui est contraire au bien de l’Eglise, et donc qu’ils ne peuvent pas, en l’état actuel, recevoir l’autorité du Christ pour régner sur son Eglise. Constater cela n’a rien à voir avec un jugement téméraire au sens de la théologie morale, et ce n’est pas Archidiacre et « le lorrain » qui sont en mesure de nous donner des leçons sur le fait d’interpréter pieusement les actions et les paroles du prochain.  

Partie III. Cette position repose sur la négation de la réalité.

  • 6) La majorité des conciliaires n’accepte pas la position d’Archidiacre.
    On pourrait réfuter l’herméneutique de la continuité simplement en citant des autorités conciliaires, tant cette position est minoritaire et même marginale dans le monde catholique d’aujourd’hui. Ses partisans semblent avoir une telle assurance que l’on voudrait croire que leur position est la position officielle de l’Eglise catholique, qu’ils sont les fidèles interprètes des desseins de la hiérarchie et du sentiment commun des fidèles. Il n’en est rien : la majorité des fidèles et la majorité de la hiérarchie, y compris Bergoglio et ses prédécesseurs, sont évidemment plus « à gauche » qu’eux et admettent sans problème qu’il y a une contradiction entre Vatican II et le magistère antérieur. Pour ne citer qu’une de ces autorités, et pas des moindres : « En liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions du monde, Gaudium et Spes est une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-Syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l’Église avec le monde tel qu’il est devenu depuis 1789. » (Joseph Ratzinger, Les principes de la théologie catholique).
  • 7) Cette position n’offre aucune explication sérieuse au problème du modernisme dans le clergé.
    Pour les partisans d’Archidiacre, le fait que la majorité du clergé conciliaire soit grevé à des degrés plus ou moins graves par le modernisme, le libéralisme et toutes autres sortes de doctrines folles et perverses, est soit une réalité qu’ils cherchent à nier (en prétendant contre l’absurde que « l’Eglise se porte bien », que la foi rayonne partout y compris dans le clergé, etc.), soit une chose dont ils reconnaissent l’existence mais dont ils cherchent absolument à enlever la responsabilité aux plus hauts degrés de la hiérarchie (surtout à celui qu’ils pensent être le pape). Un prêtre traditionaliste allemand répondait par dérision, à ceux qui disaient que Paul VI n’était pas responsable de la crise de l’Eglise, qu’il « ne savait pas » ce qui se passait : « ah, si seulement le Fürher avait su ! » – autrement dit : prétendre que Paul VI n’est pas responsable de l’explosion du modernisme dans le clergé est aussi ridicule que de prétendre, par exemple, qu’Hitler n’est pas responsable des actions commises par le régime nazi. Dans toute société, c’est le chef qui doit être tenu pour responsable des dysfonctionnements quand ils répandus partout et qu’ils corrompent le fonctionnement ordinaire de cette société, au point de causer un tort immense à la majorité des sujets : pourquoi en serait-il tout d’un coup autrement avec les pontifes conciliaires ? C’est encore une sévère négation de la réalité, que de prétendre qu’il n’y a pas de lien de cause à effet entre la doctrine et les exemples des pontifes de Vatican II, d’une part, et la doctrine et les actions de la plupart des clercs conciliaires d’autre part. La soi-disant « mauvaise interprétation » de Vatican II n’est visiblement pas mauvaise au point que l’autorité se soit  donnée des moyens de la combattre efficacement.
  • 8) Cette position nie le scandale objectif dans les actions des pontifes conciliaires.
    Nous avions évoqué plus haut la question de la pieuse interprétation et du jugement téméraire. Mais cette question est en réalité secondaire dans le problème qui nous occupe. Archidiacre et le lorrain s’évertuent à sauver la pureté de l’intention des pontifes conciliaires lorsqu’ils effectuent des paroles ou des gestes de profonde vénération à l’égard des fausses religions et des hérésies, l’essentiel du problème réside dans les conséquences pratiques des actions des pontifes sur la foi des fidèles : elles sont évidemment et irrémédiablement désastreuses, elles doivent évidemment être dénoncées et combattues par ceux qui sont encore attachés à la foi catholique. Il y a dans ces actions un scandale immense et objectif, qui appelle une réaction proportionnée, et une réflexion sérieuse sur l’intention réelle de ces personnes qui prétendent être les vicaires de Jésus-Christ : est-il seulement possible qu’un pape manifeste, de manière habituelle et publique, de la sympathie pour les fausses religions, au point d’entraîner la plupart des catholiques à considérer que ces fausses religions sont bonnes ? Est-ce seulement compatible avec l’autorité pontificale ? La question n’est même pas de savoir s’ils ont une intention subjectivement mauvaise dans cette entreprise, mais de constater l’extrême divergence entre les devoirs d’un souverain pontife et l’intention objective de Jean-Paul II ou de François. L’aspect objectif de la question est évacué par les partisans de cette position, qui essayent par exemple de sauver les réunions d’Assise en expliquant dans une improbable démonstration que ces réunions doivent être qualifiées de « coopération matérielle éloignée » aux faux cultes  – outre l’aspect ridicule de cette démonstration, elle nie les conséquences pratiques et immédiates des scandales de Jean-Paul II.
  • 9) La contradiction entre Vatican II et le magistère de l’Eglise n’est pas simplement apparente.
    Pour en revenir au postulat de départ de « l’herméneutique de la continuité » qui consiste à réconcilier avec le dogme catholique toutes les « contradictions apparentes » de Vatican II n’est pas seulement erroné d’un point de vue logique (cf. point n°1), elle l’est aussi et surtout d’un point de vue factuel : ce qui est libellé comme « contradiction apparente » est en réalité une contradiction nette et évidente, et les rédacteurs de Vatican II en avaient plus ou moins conscience : ainsi Congar, qui haïssait le Syllabus et les définitions antimodernes des papes,  raconte dans ses mémoires qu’il n’avait pas pu établir que la liberté religieuse soit fondée sur la Révélation, bien que cela soit affirmé dans le texte conciliaire.  « Gaudium et spes est un contre-Syllabus » disait Ratzinger (cf. point 6). N’importe quel historien ou sociologue, étranger ou familier au monde catholique, sait que Vatican II est un changement radical dans l’attitude de l’Eglise face au monde moderne, et sait que ce « monde moderne » se définit d’abord par un ensemble de doctrines et de principes, et que Vatican II a cherché d’une manière ou d’une autre à s’accommoder à ces principes et ces doctrines, pourtant condamnés par les papes du XIXe et du XXe siècle. Ceci appartient à l’ordre des faits et si être un « herméneute de la continuité » signifie nier ce fait et nier les contradictions textuelles évidentes, par exemple entre les définitions de Pie IX et celles de Vatican II sur la liberté religieuse,  cela signifie que l’herméneutique de la continuité est un système faux, car il n’est pas possible qu’une doctrine vraie ait pour fondement la négation d’un fait évident et universellement constaté. Contra factum non fit argumentum : on ne peut pas bâtir toute une argumentation sur la négation d’un fait. Une bonne manière d’élucider le « véritable sens » des textes de Vatican II est de voir comment ils ont été appliqués par la hiérarchie conciliaire, et ils ont en effet été appliqués suivant leur sens évident : le Vatican a forcé l’Espagne de Franco à  autoriser d’autres cultes que le catholicisme, au nom du « droit à la liberté religieuse » ; le nouveau concordat de 1984 avec l’Italie inaugure la neutralité religieuse de la première nation catholique du monde (dont le catholicisme état auparavant religion d’état), avec une référence explicite à Vatican II et à la liberté religieuse comme principe directeur de cette révision du concordat [3].
  • 10) L’histoire de Vatican II, et du monde catholique depuis Vatican II, contredisent définitivement les postulats fantaisistes de l’herméneutique de la continuité.
    Les herméneutes vivent dans un monde imaginaire, un monde dans lequel Vatican II fut une paisible assemblée des défenseurs de la foi, qui se réunirent pour rappeler les grandes vérités chrétiennes au monde moderne dans un langage plus adapté à l’époque actuelle. Il suffit de lire les mémoires de ceux qui ont participé à la rédaction de Vatican II [4], ou simplement de lire n’importe quel livre d’histoire sérieux sur le sujet [5], pour comprendre que Vatican II est bien le résultat du triomphe d’une faction « progressiste » (si l’on ne veut pas dire moderniste), encouragée et protégée par Jean XXIII puis par Paul VI, sur une faction « conservatrice » qui elle incarne, en fait, les positions et les croyances que les catholiques ont toujours tenu jusqu’ici sur le monde moderne, les fausses religions, les sectes hérétiques et schismatiques. Il y a donc eu un changement radical initié par une clique de théologiens condamnés à l’époque de Pie XII et accueillis voir même appelés au Vatican par Jean XXIII. Jean XXIII et Paul VI eux-mêmes étaient parfaitement conscients de cette situation, et sympathisants du groupe de théologiens qui ont introduit dans le texte de Vatican II des notions novatrices telles que le droit naturel à la liberté religieuse, la distinction réelle entre l’Eglise du Christ et l’Eglise catholique, l’innocence du peuple juif dans la crucifixion, le fait qu’une secte schismatique puisse être l’instrument du salut des âmes. Il y a eu ensuite un changement liturgique radical, en continuité avec les changements théologiques et suivant des principes modernistes : au vu de la documentation historique dont nous disposons, il est pareillement ridicule et insoutenable de prétendre que cette réforme liturgique ait été menée suivant les principes catholiques traditionnels, et qu’elle n’ait rien à voir avec le protestantisme ou l’accommodation aux lubies du monde moderne impie. Toute l’histoire du catholicisme depuis 60 ans est une négation des postulats de l’herméneutique de la continuité.
« Planter, c’est avoir l’espérance. C’est croire en une vie qui croît et qui est féconde, pour satisfaire la faim de la création de la Terre Mère. Cela nous ramène à notre origine par la reconnexion avec l’énergie divine et nous enseigne le chemin du retour vers le Père Créateur. « Le synode, c’est planter cet arbre, l’arroser et le cultiver, pour faire que les peuples amazoniens soient entendus et respectés dans leurs coutumes et leurs traditions, en faisant l’expérience du mystère de la divinité présente dans le sol amazonien. « L’acte de planter dans le jardin du Vatican est un symbole qui invite l’Eglise à engager encore davantage avec les peuples de la forêt et toute l’humanité. Mais aussi, c’est la dénonciation de ceux qui détruisent notre maison commune par esprit de lucre, en recherchant leur propre profit. »
Explications données par Ednamar de Oliveira Viana, organisatrice de l’évènement du 4 octobre 2019 impliquant la plantation d’un « arbre sacré » et la vénération de « symboles de fertilité » dans les jardins du Vatican. Le culte de la déesse-mère chez les peuples sud-américains est basé sur l’idée de la faim de cette terre-mère, que l’on doit apaiser par des offrandes.

Conclusion : quelles conséquences pratiques ?

« L’enfer est pavé de bonnes intentions » : on peut faire le travail du démon avec les meilleurs intentions du monde. Certaines âmes pieuses se sont illusionnées en pensant, comme Saul a pensé qu’il était agréable à Dieu de persécuter les chrétiens, qu’elles feraient la meilleure œuvre du monde en persécutant les derniers défenseurs de la foi et de la Tradition de l’Eglise dans un monde apostat. Ce qu’ils se proposent de faire, c’est que ces derniers résistants se mettent sous l’influence du clergé moderniste, et finissent par devenir des libéraux insensibles à l’erreur et au mal, comme sont voués à le devenir ces défenseurs de l’orthodoxie eux-mêmes.

Car en effet, il est impossible d’être sincèrement soumis à l’autorité conciliaire sans finir par admettre une foule de choses choquantes, grotesques, dangereuses ou parfaitement immorales comme étant des choses de rien, des choses secondaires. A leur contact, le sens de la foi s’affaiblit et finira peut-être par mourir. Qu’est-ce que les « herméneutes » ne finiront pas par accepter au nom de la soumission aux conciliaires ? N’oublions pas que ces gens nous proposent d’admettre qu’un « saint » a embrassé le Coran devant le monde entier.

Les verra-t-on bientôt se prosterner devant des idoles démoniaques pour « honorer la partie bonne » de ces idoles ou de ce qu’elles représentent ? En tout cas, ils acceptent parfaitement que cela se fasse dans les jardins du Vatican, en utilisant toutes les distinctions artificieuses que leur imagination pourrait produire pour « interpréter pieusement ». Ainsi au contact de cette hiérarchie conciliaire, on devient peu à peu tiède, insensible ou complaisant face à tous les travers intellectuels et moraux du monde moderne, face à toutes les fausses religions et les hérésies (sauf l’horrible hérésie sédévacantiste !), puisque c’est la directive officielle.

Nous conclurons avec une réflexion tirée des épîtres de Saint Paul : si quelqu’un qui semblait être un saint et un apôtre, qui avait toutes les garanties extérieures d’être envoyé par l’Eglise et de parler en son nom, devait prêcher un autre évangile que celui qui a été véritablement reçu du Christ, faudrait-il présumer une erreur de compréhension de notre part et fournir un effort d’interprétation favorable de ce nouvel évangile en continuité avec l’ancien ? Saint Paul dit simplement, en évoquant la possibilité que lui-même se mette à annoncer un faux évangile : qu’il soit anathème. 

Mais si quelqu’un, fût-ce nous-même ou un Ange du Ciel, vous annonçait un autre évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème! Je l’ai dit, et je le dis encore maintenant: Si quelqu’un vous annonçait un autre évangile que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème! Car, en ce moment, est-ce la faveur des hommes que je désire, ou celle de Dieu? Est-ce que je cherche à plaire aux hommes? Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ.

(Galates 1, 8-10)

Jean-Tristan B.


[1] La bulle Auctorem Fidei (1794), contre les erreurs des jansénistes, est particulièrement sévère contre les discours ambigus introduisant des idées dangereuses sous apparence de piété, et contre les hypocrites qui se justifient par milles subtilités d’être en parfait accord avec la doctrine catholique, alors qu’ils sont en réalité attachés à des idées mauvaises.

[2] C’est ce que disait Benoît XVI lui-même : « Il est clair que dans tous ces secteurs, dont l’ensemble forme une unique question, pouvait ressortir une certaine forme de discontinuité et que, dans un certain sens, s’était effectivement manifestée une discontinuité dans laquelle, pourtant, une fois établies les diverses distinctions entre les situations historiques concrètes et leurs exigences, il apparaissait que la continuité des principes n’était pas abandonnée – un fait qui peut échapper facilement au premier abord. » Benoît XVI prétend donc qu’il y a « continuité de principes », mais admet qu’il y a une « une certaine forme de discontinuité ». Notons par ailleurs que la « continuité de principes » ne signifie pas pour Benoît XVI ce qu’elle semble signifier pour les herméneutes archidiacriens : il admet que Vatican II contredit le magistère de l’Eglise (cf. point 6), et réduit les « principes catholiques » à une sorte d’ensemble vague et flou de vérités plus ou moins communes à toutes les dénominations chrétiennes, à quelques exceptions près. Prétendre à la « continuité des principes » face à une discontinuité évidente dans la doctrine est une technique typiquement moderniste déjà vue à l’époque de Saint Pie X : les modernistes prétendent être toujours fidèle à l’essence de la religion, débarrassée de ses « additions historiques » (c’est à dire, de la plupart de ses dogmes).

[3] « compte tenu du processus de transformation politique et sociale qui s’est manifesté en Italie durant les dernières décennies et des changements introduits dans l’Eglise par le Concile Vatican II ;compte tenu, pour la République italienne, des principes établis par sa Constitution, et, pour le Saint-Siège, des déclarations du Concile œcuménique Vatican Il concernant la liberté religieuse et les rapports entre l’Eglise et la communauté politique, ainsi que de la nouvelle codification du droit canonique ; … La République italienne et le Saint-Siège réaffirment que l’Etat et l’Eglise catholique sont, chacun dans son propre domaine, indépendants et souverains » https://legirel.cnrs.fr/spip.php?article284

[4] Les personnalités suivantes ont écrits des mémoires relatifs à leur participation à Vatican II : Yves Congar, Marie-Dominique Chenu, Gerard Philips, Léon-Joseph Suenens (cardinal & évêque de Malines-Bruxelles), Maurice Pourchet (évêque de Saint-Flour), et d’autres. L’architecte de la réforme liturgique et de la nouvelle messe, Annibale Bunigni, a également écrit ses mémoires qui nous renseignent de manière on ne peut plus directe et explicite sur les véritables buts de la réforme : faire des concessions aux protestants et au monde moderne, en faisant plus ou moins disparaître de la liturgie l’expression de certains dogmes catholiques, et en y introduisant diverses notions modernistes.   

[5] Exemples d’ouvrages 1) Sur la réforme liturgique : les mémoires de Bunigni, « Demain la liturgie » de Joseph Gélineau, « La messe de Paul VI en question » de l’abbé Cekada (qui cite des documents historiques de première main). 2) Sur les débats théologiques : « Iota unum » de Romano Amerio, « Le Rhin se jette dans le Tibre » de Ralph Witgen. 3) Sur Jean XXIII : « le Pape du Concile » de Peter Hebblethwaite.

Un hérétique et schismatique déclaré docteur de l’Eglise

Le dossier Grégoire de Narek

Certaines sources[1] font état d’un nouveau projet dans la Rome conciliaire, celui d’un processus de canonisation spécifique pour les non-catholiques. Ce projet serait, en soi, en parfaite continuité avec la doctrine de Vatican II, suivant laquelle n’importe quelle religion est sanctifiante. Mais il a un côté particulièrement choquant, qui donnerait une sensation de « roue libre » de la part du Vatican conciliaire, s’ils en sont réduits à honorer comme saints des personnes qui n’ont pas daigné rendre à Dieu le minimum des honneurs qui lui sont dus, en professant les vérités de la foi et la communion avec l’unique Eglise de Jésus-Christ.

Pourtant, ce fait exceptionnellement choquant et grotesque a déjà eu lieu, dans une indifférence presque générale. L’occupant du Saint-Siège, Jorge Bergoglio, a en effet de facto « canonisé » et même déclaré « docteur de l’Eglise » (le 23 février 2015) une personne qui, de manière certaine, n’a jamais fait partie de la communion catholique : Grégoire de Narek (mort au début du XIe siècle), célèbre moine et écrivain arménien, membre de la secte schismatique et hérétique qui se fait appeler « église apostolique arménienne ».

On nous objectera que Grégoire de Narek n’a pas vraiment été « canonisé » puisqu’il n’y a pas eu de procès ou de déclaration particulière à l’égard de sa sainteté : oui et en un certain sens c’est encore pire que s’il y avait eu un faux procès, car Bergoglio (et avant lui Jean-Paul II) semblent en fait accorder à l’église hérétique et schismatique des Arméniens le pouvoir de faire des canonisations elle-même, ou bien considérer que la simple réputation de sainteté parmi les hérétiques et les schismatiques est suffisante pour que l’Eglise catholique puisse considérer une personne comme sainte. Comment une telle énormité a pu passer presque inaperçue !

Nous avons souhaité, pour laver un tant soit peu l’honneur de l’Eglise, de ses saints et de ses docteurs, et démontrer une nouvelle fois toute la malfaisance de Bergoglio et des conciliaires, revenir sur cette « affaire » invraisemblable, qui semble constituer les prémices d’un déluge à venir de fausses canonisations d’hérétiques, de schismatiques ou même de païens.


1/ Les Principes

Qu’est-ce qu’une canonisation ?

La confusion universelle parmi les esprits catholiques, faisant suite à Vatican II, laisse parfois une sorte de flou autour de la notion de canonisation. Pour certains, la canonisation consiste simplement, pour l’Eglise, à dire qu’une personne a sauvé son âme : on appelle en effet, sous un certain rapport, « saintes » toutes les personnes qui sont en état de grâce, ce qui inclut les personnes vivant sur terre et celles qui ont connu la mort naturelle (âmes du Purgatoire et âmes du Paradis). Cette conception minimaliste de la canonisation est tout simplement fausse : lorsque l’Eglise prends soin de déclarer qu’une personne est « sainte » et de se référer à elle par ce titre, ce n’est certainement pas pour se contenter de dire qu’elle a sauvé son âme ; l’Eglise canonise et honore du titre de saint uniquement des personnes qui ont fait preuve d’une pratique héroïque des vertus, pour faire de leur vie un exemple à suivre pour tous les catholiques :

« Les Saints sont ceux qui, pratiquant héroïquement les vertus selon les enseignements et les exemples de Jésus-Christ, ont mérité une gloire spéciale dans le ciel et même sur la terre , où, de par l’autorité de l’Eglise, ils sont publiquement honorés et invoqués ».

Catéchisme de Saint Pie X

« L’Eglise catholique ne canonise ou ne béatifie que ceux dont la vie a été marquée par l’exercice d’une vertu héroïque, et uniquement après que ce fait ait été prouvé par une réputation commune de sainteté et par des arguments concluants ».

Catholic Encyclopedia : « Beatification and Canonization »

A ce titre, la canonisation est à considérer, de manière certaine, comme relevant du magistère infaillible de l’Eglise catholique (c’est ce qu’enseignait, en outre, le cardinal Lambertini, futur pape Benoît XIV, dans un ouvrage de référence sur la question[2]) : elle est un enseignement à part entière, puisque le pape, lorsqu’il proclame la sainteté d’une personne, nous dit que la vie publique de cette personne est un exemple incarné de ce qu’il faut croire (la foi) et de ce qu’il faut faire (les mœurs) pour vivre dans l’amitié de Dieu et sauver son âme. Ne disons-nous pas que les actes valent plus que les paroles ? Ainsi, la vie des saints telle que l’Eglise nous propose de la contempler est une sorte de magistère encore plus frappant  que le seul énoncé des vérités doctrinales. La vie des saints est encore une apologétique plus efficace que les meilleures démonstrations logiques : la logique prouve l’existence de Dieu dans l’abstrait, la vie des saints prouve l’existence de Dieu « dans le concret » : oui, Dieu est vivant, si de simples hommes ont pu vivre de cette manière et faire ce qu’ils ont fait[3]. Enfin il n’y a rien de plus propre que la vie des saints pour mouvoir la volonté vers plus d’héroïsme, plus de résolution, plus d’amour pur et sincère pour Dieu. Nous avons tous un besoin instinctif d’admirer, d’imiter et de nous conformer à des exemples d’hommes que nous percevons comme supérieurs à nous-même : plutôt que d’admirer des mondains qui n’ont travaillé que pour des choses périssables, l’Eglise nous enseigne d’admirer des hommes et des femmes qui ont travaillé pour l’éternité.

Sachant donc ce qu’est une canonisation, il est impossible d’envisager un seul instant que l’Eglise puisse considérer comme « saint » quelqu’un qui n’était pas catholique. Ici, il ne s’agit pas de discuter de la question de savoir si une personne qui se trouve extérieurement hors de la communion catholique peut sauver son âme, question déjà tranchée en un sens favorable par le magistère de l’Eglise[4]. Il s’agit de savoir si quelqu’un qui, malgré sa possible bonne foi, s’est trouvée de manière objective et indiscutable hors de la communion avec l’unique Eglise de Jésus-Christ, et en communion avec une secte hérétique et schismatique, peut servir d’exemple parfait de vertu à l’ensemble des catholiques. Pour toute personne de bonne foi, il sera impossible de répondre autrement que par la négative : non, évidemment, il est impossible que l’Eglise canonise quelqu’un qui était publiquement schismatique et hérétique. Car agir en sens contraire serait dire, par des actes qui parlent plus que des mots : il est possible de vivre dans une parfaite amitié avec Dieu et d’atteindre les plus hauts sommets de la vertu en étant schismatique et hérétique. Autrement dit : il est purement facultatif d’adhérer à l’Eglise catholique pour sauver son âme et être saint, du moment que l’on a une expérience religieuse personnelle fructueuse. C’est précisément ce que veut enseigner Vatican II, en disant que les églises hérétiques et schismatiques sont des « moyens de salut »[5].


Qu’est-ce qu’un docteur de l’Eglise ?

L’imposition du titre de « docteur de l’Eglise » n’est réservée par le pape qu’à certains saints bien particuliers, des personnes qui se sont spécialement distinguées, en plus de leurs vertus héroïques, par la clarté et l’abondance de leur enseignement sur tout ou partie de la doctrine chrétienne, par leur « doctrine éminente »(eminens doctrina). Il ne s’agit pas simplement d’un titre honorifique  parmi d’autres : l’Eglise a créé ce titre pour donner une autorité morale spéciale à l’enseignement de ces maîtres de la doctrine chrétienne, et a prévu pour les honorer des dispositions liturgiques bien spéciales (messe propre, avec rang liturgique équivalent à celui des apôtres et des évangélistes).

Saint Athanase, déclaré docteur de l’Eglise par Saint Pie V

Le pape Boniface VIII créé ce titre et les privilèges liturgiques associés en 1295, à l’intention des quatre Pères de l’Eglise latins : St Augustin, St Ambroise, St Jérôme et St Grégoire le Grand. Le pape St Pie V accorde ensuite ce titre à quatre Pères de l’Eglise orientaux ainsi qu’à Saint Thomas d’Aquin. Le titre sera ensuite accordé progressivement à d’autres saints éminents pour leur doctrine, jusqu’à atteindre sous Pie XII le nombre de 29 docteurs de l’Eglise.

Ces docteurs ont tous pour points commun d’être saints, soit qu’ils aient fait l’objet d’un procès de canonisation en bonne et due forme, soit qu’ils jouissent d’une très éminente et très ancienne réputation de sainteté dans l’Eglise. Le site « eglise.catholique.fr », géré par les évêques conciliaires de France, rappelle que cette canonisation est  nécessaire pour être docteur de l’Eglise :

«  Les conditions requises pour devenir docteur, d’ailleurs toujours à titre posthume, sont d’être un saint canonisé, d’avoir élaboré une pensée de la foi en accord avec les principes de base de l’Église tout en découvrant un pan inexploré de l’écriture se vérifiant comme fondamental par son influence auprès des fidèles et par une renommée internationale. Le Vatican concède, à la suite d’une étude poussée des candidatures proposées, ce titre exceptionnel. »[6]

On ne pourra donc nous reprocher « d’inventer » la condition de la canonisation pour les docteurs de l’Eglise, puisque les autorités conciliaires elles-mêmes admettent ce principe comme évident.

***

Or voici le problème : les conciliaires considèrent comme saint, au même titre que les saints canonisés, quelqu’un qui a été canonisé par une secte hérétique, et qui a toujours été publiquement hérétique.

Prétendre qu’un hérétique puisse être « d’éminente doctrine » et être suivi comme un guide sûr par l’ensemble des catholiques est une moquerie insupportable. Il s’agit d’un signe évident, un de plus, que Bergoglio n’a aucune intention de poursuivre le bien de l’Eglise, en particulier de défendre la foi et de lutter contre l’hérésie.


2- Les faits

Pour bien comprendre la gravité de cette fausse imposition du titre de « docteur de l’Eglise », et de cette fausse imposition du titre de « saint », il est utile de revenir un instant sur 1) ce qu’est « l’église apostolique arménienne », 2) qui a été Grégoire de Narek, 3) dans quel contexte il a été nommé « docteur de l’Eglise ».


L’église apostolique arménienne

L’Arménie est la première nation à avoir adopté comme religion officielle le christianisme autour de l’an 300, grâce à l’apostolat de Saint Grégoire l’Illuminateur. Durant l’antiquité tardive, l’Arménie est une zone montagneuse disputée entre l’influence de l’empire romain d’Orient (qui possède une partie de l’ancien royaume d’Arménie, la province d’« Arménie mineure ») et celle de l’empire perse sassanide (dont le roi d’« Arménie majeure » est vassal) : cette double pression byzantine et perse en Arménie dure jusqu’à la conquête arabe. Les prélats arméniens doivent lutter contre le paganisme, le mazdéisme/zoroastrisme et le nestorianisme, hérésie adoptée par l’Eglise de Perse. Politiquement, culturellement et ensuite religieusement, les Arméniens cherchent à s’extirper de la double influence byzantine et perse, ce qui va favoriser une mentalité schismatique.

Si les Arméniens ont toujours été très virulents contre le nestorianisme, il ne semble pas qu’ils aient adopté immédiatement le monophysisme, après les condamnations du Concile de Chalcédoine (451). C’est en l’an 506, lors du premier concile de Dvin, que commence clairement le schisme arménien : les évêques d’Arménie, d’Ibérie et d’Albanie du Caucase ratifient intégralement l’Henotikon de l’empereur Zénon, déclaration trop favorable au monophysisme condamnée par le pape Félix III en 484 ; les Byzantins ayant ignoré l’anathème, cet épisode donna lieu au premier schisme entre Rome et Constantinople (484-518). C’est donc dans cette période de schisme que les Arméniens décident de prendre le parti de Constantinople. Le deuxième concile de Dvin (555) entérine le choix de l’hérésie monophysite et de la séparation complète par rapport à Constantinople et au reste de la communion catholique. Depuis cette date, au moins, il faut admettre que l’église arménienne s’est séparée de l’Eglise universelle, pour n’y plus jamais retourner.

A plusieurs reprises suite à cet évènement, les Arméniens refusent les invitations des empereurs byzantins à accepter les canons du Concile de Chalcédoine. Sous le catholicossat de Komitas d’Aghdsk (615-628), un recueil de textes dogmatiques de l’Eglise arménienne est édité sous le nom de « Sceau de la Foi », au contenu virulemment anti-chalcédonien (il contient entre autres choses des écrits de Timothée II d’Alexandrie, premier « pape copte » suite à la déposition du patriarche Dioscore Ier par le Concile de Chalcédoine pour son hérésie miaphysite). Depuis ce temps, « l’église apostolique arménienne » ne s’est jamais départie du monophysisme : elle est en contact régulier avec l’Eglise de Constantinople, mais ne s’y rallie jamais. En l’an 726, le catholicos Hovhannès III d’Odzoun convoque un concile interne au monophysisme, chargé de réconcilier les Jacobites (monophysites syriaques) et les Arméniens sur la question de la corruptibilité du corps du Christ. Au cours des VIIIe et IX siècles, les persécutions des Arabes poussent de nombreux Arméniens à s’exiler vers les terres de l’empire byzantin, ce qui augmente les tensions ecclésiologiques byzantino-arméniennes. En l’an 862, le patriarche de Constantinople Photius (qui sera bientôt excommunié par le pape) tente de rallier l’Eglise arménienne à Constantinople : le prince d’Arménie et le catholicos ne produisent que des réponses ambiguës,  aucun ralliement réel n’a lieu. Au Xe siècle le catholicos Théodore Ier Rechtouni (régnant dans les années 930) tentera de se rapprocher, sans succès, du patriarche de Constantinople et de l’empereur. Sous le catholicossat d’Ananias Ier de Moks (943-967), ennemi plus déterminé de la doctrine catholique, les conditions du dialogue se raidissent brutalement : les clercs arméniens jugés trop chalcédoniens sont persécutés, il va jusqu’à imposer de rebaptiser les personnes qui ont reçu le baptême dans l’Eglise grecque. Il faut attendre de longs siècles pour voir ensuite des groupes significatifs d’Arméniens revenir au catholicisme, essentiellement des membres de la diaspora.


Grégoire de Narek

Grégoire de Narek naît vers l’an 950, à l’époque d’Ananias Ier, dans une famille noble. Il est le fils de Khosrov d’Andzev, devenu prêtre en 950 puis évêque suite au décès de sa femme. En tant qu’évêque, Khosrov finit par être « excommunié » de l’Eglise arménienne par Ananias qui le juge trop favorable à la doctrine chalcédonienne. Elevé par son oncle Anania de Narek (c. 920-980), supérieur du monastère de Narek, Grégoire grandit dans une ambiance de défiance vis-à-vis de l’autorité de l’église arménienne, quand de nombreux clercs arméniens envisagent un rapprochement avec l’Eglise catholique : simple défiance, car officiellement le monastère de Narek est en « pleine communion » avec l’église apostolique arménienne.  Le monastère a même été fondé par des moines chassés de Cappadoce pour leur refus du chalcédonisme. 

Mais la question du ralliement au Concile de Chalcédoine n’est pas le seul débat théologique de l’époque. Il semble que les moines de Narek aient développé une doctrine qui mette au second plan l’appartenance à l’institution ecclésiastique pour se concentrer sur une relation personnelle avec Dieu : il faudrait étudier le détail de leurs écrits pour mieux comprendre ce sujet, mais certains commentateurs établissent un parallèle entre la doctrine mystique de Grégoire de Narek et le protestantisme. La secte des pauliciens/tondrakites, active en Arménie à l’époque, rejette  frontalement toute notion de clergé et de sacrements (ils sont, vraisemblablement, les précurseurs du catharisme). Certains pensent que Grégoire de Narek a écrit contre les tondrakites (par exemple dans son ouvrage Histoire de la croix d’Aparan) parce qu’il était suspecté par ses contemporains d’adhérer à cette hérésie.   

Une chose est certaine, concernant la position théologique et ecclésiale de Grégoire de Narek : il n’a jamais adhéré au catholicisme et à l’Eglise catholique[7]. Le site « catholique » nominis.cef.fr, chargé de répertorier les différents « saints du jour », nous apprend dans une courte biographie de « Saint Grégoire de Narek, docteur de l’Eglise » que « des jaloux [l’ont accusé] d’hérésie »[8], avant qu’il ne prouve son innocence par un miracle. Le site ne prend pas la peine de préciser pour quelle « hérésie » Grégoire fut mis en cause par les Arméniens … car en effet, le moine de Narek fut à ce moment accusé de chalcédonisme, c’est-à-dire de catholicisme, comme son père Khosrov l’avait été[9]. Son hagiographie légendaire (ayant court dans l’église schismatique et hérétique des Arméniens) rapporte donc qu’il aurait prouvé par un miracle qu’il n’adhérait pas à la doctrine catholique … le miracle en question étant de rendre la vie à des pigeons cuits qu’on essayait de lui faire manger un jour de jeûne. On croit marcher sur la tête en voyant de prétendus catholiques rapporter candidement ces récits.

S’il n’a pas toujours été en grâce de son vivant, Grégoire de Narek est devenu après sa mort un saint et un écrivain de premier plan pour « l’église apostolique arménienne », à partir du XIIe siècle au moins : on chante aujourd’hui encore, dans les églises arméniennes, des hymnes et des prières composées par lui, et son « Livre des Lamentations » est un élément de base de la culture religieuse arménienne. Il jouit visiblement d’une renommée littéraire considérable, qui lui donnerait un statut analogue à celui de Bossuet pour la langue française, avec un style particulièrement émouvant et pieux. Bossuet n’a pas cessé d’être respecté et cité par les catholiques en plus haut lieu[10], malgré son adhésion aux thèses hérétiques du gallicanisme : pour autant, on ne songerait pas un seul instant à faire de Bossuet un « docteur de l’Eglise » pour faire plaisir aux Français, précisément en raison de  ses fautes doctrinales publiques. Eût-il erré en bonne foi, l’image publique de Bossuet est irrémédiablement souillée par le gallicanisme, et à ce titre il est impossible d’en faire un modèle pour tous les chrétiens. Et pourtant Bossuet n’a jamais (à notre connaissance) officiellement rompu la communion avec l’Eglise catholique, ou fait l’objet d’une sentence d’excommunication, à une époque où la condamnation du gallicanisme était moins claire qu’elle ne l’est depuis Vatican I ; Grégoire de Narek, en sens contraire, a toujours été hors de la communion catholique et membre d’une secte monophysite. Il est infiniment moins éligible que ne pourrait l’être Bossuet au titre de docteur de l’Eglise, et la beauté de ses écrits n’y change rien.


Les conciliaires et Grégoire de Narek

François faisant l’accolade aux chefs des « Églises d’Arménie » lors de l’inauguration d’une statut de Grégoire de Narek dans les Jardins du Vatican, le 5 avril 2018.

Jean-Paul II avait déjà appelé Grégoire de Narek « saint » dans son encyclique Redemptoris Mater (25 mars 1987) : « Dans son panégyrique de la Théotokos, saint Grégoire de Narek, une des gloires les plus éclatantes de l’Arménie, approfondit avec une puissante inspiration poétique les différents aspects du mystère de l’Incarnation, et chacun d’eux est pour lui une occasion de chanter et d’exalter la dignité extraordinaire et l’admirable beauté de la Vierge Marie, Mère du Verbe incarné» [11]. Ainsi François n’est pas le premier faux-pape de Vatican II à « canoniser » un hérétique et un schismatique, dans la plus grande des décontractions.

Cette « canonisation de facto » est, disions-nous, en un certain sens plus choquante que s’il y avait eu un faux procès de canonisation, car elle implique :

  • une reconnaissance tacite de l’autorité de « l’église apostolique arménienne » en matière de canonisation ;
  • ou alors une reconnaissance tacite du fait que la réputation de sainteté parmi les hérétiques et les schismatiques équivaut à la réputation de sainteté parmi les catholiques et suffit à faire considérer comme sainte une personne qui n’a pas été canonisée, ce qui n’est guère mieux.

Il ne faut pas voir dans cette « canonisation » et cette imposition du titre de « docteur de l’Eglise » autre chose qu’une mise en application de l’œcuménisme, dans la droite ligne de Vatican II : pour François, les églises schismatiques et hérétiques sont véritablement membres de l’unique Eglise du Christ ; sinon, comment un membre de ces églises séparées pourrait-il être « docteur de l’Eglise » ?

En effet François nous fait comprendre, dans son allocution prononcée à cette occasion[12], qu’il lui importerait peu de nommer Grégoire de Narek « docteur de l’Eglise », si celui-ci n’était pas précisément membre d’une église schismatique et hérétique, car il s’agit d’un de ces « gestes œcuméniques » qui sont supposés faire progresser la cause de l’unité chrétienne :

  • Cette proclamation a lieu en présence de « Sa Sainteté Karekin II, Patriarche Suprême et Catholicos de tous les Arméniens », et « Sa Sainteté Aram Ier, Catholicos de la Grande Maison de Cilicie », soit les deux personnages les plus élevés de la hiérarchie de « l’église apostolique arménienne ».
  • Le message qui accompagne la proclamation répète à l’envi que le peuple arménien (non-catholique dans son immense majorité) compte un grand nombre de martyrs et d’authentiques confesseurs de la foi.
  • Cette déclaration intervient dans le contexte du centenaire du génocide arménien : Bergoglio souhaite « que ceci soit surtout un temps fort de prière, pour que le sang versé, par la force rédemptrice du sacrifice du Christ, opère le prodige de la pleine unité entre ses disciples. Qu’il renforce en particulier les liens d’amitié fraternelle qui déjà unissent l’Église Catholique et l’Église Arménienne Apostolique. Le témoignage de tant de frères et sœurs qui, sans défense, ont sacrifié leur vie pour leur foi, rapproche les diverses confessions : c’est l’œcuménisme du sang qui a conduit saint Jean-Paul II à célébrer ensemble, durant le Jubilé de l’an 2000, tous les martyrs du XXème siècle » : encore un exemple de l’œcuménisme de Vatican II, qui consiste à « rapprocher » les « églises » entre elles, au lieu de souhaiter le retour des non-catholiques dans l’unique Eglise du Christ.
  • Bergoglio va même jusqu’à assurer sa « proximité », « à l’occasion de la cérémonie de canonisation des martyrs de l’Église Arménienne Apostolique qui aura lieu le 23 avril prochain en la cathédrale d’Etchmiadzin» : comme si, encore une fois, il reconnaissait à cette secte non-catholique le pouvoir de canoniser, et  comme s’il était bien fondé de déclarer sans examen que toutes les victimes du génocide arménien soient des « martyrs de la foi ».

Conclusion

Le dossier Grégoire de Narek est une synthèse de l’absurdité de l’œcuménisme. Dans l’esprit de Vatican II, le « pape » se met à déclarer qu’un moine hérétique et schismatique est un exemple de vertu héroïque (un saint), un maître spécialement éminent de la doctrine catholique (un docteur de l’Eglise), en considérant comme valide sa « canonisation » par une secte hérétique et schismatique (l’église apostolique arménienne), et en espérant que cette occasion permettra d’augmenter « l’amitié fraternelle » entre l’Eglise catholique et cette secte monophysite.

En plus d’être une insulte à l’honneur de l’Eglise catholique, cette situation est d’une tristesse insupportable pour le salut des Arméniens et plus généralement de tous les peuples d’Orient, séparés de l’Eglise depuis des siècles : prions pour qu’un véritable pape retourne sur le trône de Saint Pierre et leur montre l’exemple éclatant de la vérité du catholicisme, afin qu’ils reviennent dans l’unité de l’Eglise.

Jean-Tristan B.


[1] https://infovaticana.com/2022/10/07/el-vaticano-inaugura-un-proceso-de-canonizacion-para-los-no-catolicos/

[2] Voir cet article concernant le débat entre FSSPX et sédévacantistes à propos de l’infaillibilité des canonisations : https://www.sodalitium.eu/canonisation-escriva-de-balaguer-commentaire-sodalitium/

[3] Une anecdote célèbre rapporte la conversion d’un juif qui, chargé de mettre de l’ordre dans certains dossiers de béatification dans les archives du Vatican, s’est trouvé frappé par le caractère exceptionnel des faits rapportés : son étonnement fut au comble lorsqu’on lui expliqua qu’il n’avait consulté que les dossiers de personnes dont la cause de béatification n’avait pas abouti, faute de preuves suffisantes.

[4] Suivant la doctrine dite de « l’âme de l’Eglise » : une personne peut se trouver, sans faute de sa part par suite d’une « ignorance invincible », hors de la communion visible avec l’Eglise catholique – corps de l’Eglise -, mais être unie à l’Eglise mystique – âme de l’Eglise – par une foi implicite et une charité sincère envers Dieu : le principe « hors de l’Eglise, pas de salut » reste valable dans ce cas, car il y a appartenance implicite et invisible à l’Eglise chez « l’infidèle de bonne foi ».

[5] Voir un article autour de cette question : https://religioncatholique.fr/2021/05/15/les-schismatiques-sont-ils-membres-de-leglise/

[6] https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/temoigner/figures-de-saintete/441329-quest-ce-quun-docteur-de-leglise/

[7] Ceci est affirmé sans ambiguïté par les conciliaires eux-mêmes, par exemple ce professeur de l’Université de Saint-Thomas (St Paul, Minnesota) : “St. Gregory of Narek lived and died as a member of Armenian Apostolic Church, making him the only Doctor who was not in communion with the Catholic Church during his lifetime” – https://news.stthomas.edu/theology-matters-new-doctor-church-st-gregory-narek/

[8] https://nominis.cef.fr/contenus/saint/5899/Saint-Gregoire-de-Narek.html

[9] Jean-Michel Thierry, « Indépendance retrouvée : royaume du Nord et royaume du Sud (ixe – xie siècle) — Le royaume du Sud : le Vaspourakan », dans Gérard Dédéyan (dir.), Histoire du peuple arménien, Toulouse, Privat, 2007 (1re éd. 1982) (ISBN 978-2-7089-6874-5), p.290

[10] Le pape Léon XIII, dans son encyclique Depuis le jour (08/09/1899), ne craint pas de recommander l’étude de Bossuet aux étudiants ecclésiastiques français : « Toutefois, et après avoir fait à cette exigence des programmes la part qu’imposent les circonstances, il faut que les études des aspirants au sacerdoce demeurent fidèles aux méthodes traditionnelles des siècles passés. Ce sont elles qui ont formé les hommes éminents dont l’Eglise de France est fière à si juste titre, les Pétau, les Thomassin, les Mabillon et tant d’autres, sans parler de votre Bossuet, appelé l’aigle de Meaux, parce que, soit par l’élévation des pensées, soit par la noblesse du langage, son génie plane dans les plus sublimes régions de la science et de l’éloquence chrétienne ». Il serait donc contraire à la pratique de l’Eglise de prétendre qu’il faille jeter tout Bossuet à la poubelle en raison de ses errements doctrinaux. Ses enseignements sur la spiritualité ne sont pas spécialement entachés par le gallicanisme. 

[11] https://www.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_25031987_redemptoris-mater.html

[12] https://www.vatican.va/content/francesco/fr/messages/pont-messages/2015/documents/papa-francesco_20150412_messaggio-armeni.html

La collégialité est une hérésie


Tous les textes de Vatican II posent des problèmes doctrinaux et disciplinaires, indirectement ou directement, parce qu’ils ont été construits et promulgués par des gens qui voulaient « réformer la religion catholique » de fond en comble, c’est-à-dire en pratique remplacer la religion catholique par une nouvelle religion, mais en s’efforçant de maintenir une certaine continuité légale et extérieure entre les deux (à court terme, il fallait aussi s’efforcer de calmer la vigueur des défenseurs de l’orthodoxie, en les endormant par des rappels de doctrine rassurants). Mais parmi ces textes, on peut extraire quatre grandes erreurs qui sont directement opposées au magistère infaillible de la Sainte Église catholique :

  • L’Église du Christ n’est pas identique à l’Église catholique romaine (erreur contre l’unité de l’Église).
  • Les Églises schismatiques sont des moyens de salut (œcuménisme).
  • N’importe qui a le droit naturel et inviolable de pratiquer publiquement n’importe quelle religion (liberté religieuse).
  • L’autorité suprême dans l’Église appartient de manière permanente au collège des évêques conjointement avec le pape (collégialité).

La quatrième erreur (la collégialité) revient moins souvent dans les débats, elle a moins de « succès médiatique ». Et pourtant, elle n’est pas des moindres : elle s’oppose directement à la constitution divine de l’Église, établie par Jésus-Christ lui-même, selon laquelle l’autorité suprême appartient uniquement à saint Pierre et à ses successeurs (Je te donnerai les clés du royaume des Cieux, Mt 16 :19). On ne peut nullement fonder sur la Révélation la théorie d’une autorité suprême qui appartiendrait de manière diffuse et collective à l’ensemble des apôtres et à leurs successeurs : à aucun autre apôtre que saint Pierre il n’est dit « je te donnerai les clés du royaume des Cieux », c’est-à-dire l’autorité sur l’Église.

Nous souhaitons donc revenir sur la nature de cette erreur et sur son opposition avec le magistère (dont nous présenterons quelques extraits), et ce sans parler de l’autre erreur conjointe qui est la négation de la distinction réelle entre le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction, qui devrai faire l’objet d’une étude séparée. Le sujet de la collégialité mérite en effet d’être mieux connu, et il faut également pouvoir répondre à quelques objections émises pour défendre la « validité » de cette doctrine.


SOMMAIRE
1- Historique de la collégialité
— Erreurs sur la primauté du pontife romain
— Le pourquoi de la collégialité
— La collégialité débattue pendant Vatican II : quelques témoignages
2- La constitution monarchique de l’Église dans le magistère
— Concile de Florence
— Concile Vatican I (Pastor Æternus)
— Léon XIII (Satis Cognitum)
— Pie XII (Mysticis Corporis)
3- La collégialité dans Vatican II et dans le code de 1983
Lumen Gentium n°22
— La nota prævia
— Le code de 1983
4- Les commentaires des réformateurs
— Collégialisme pur et collégialisme mitigé
— La collégialité selon Benoît XVI
— La mise en application de la collégialité
5- Les tentatives d’« herméneutique de la continuité »
6- Conclusion


1 – Historique de la collégialité

De l’aveu du « cardinal » Paul Poupard, un proche de Jean-Paul II, le terme même de collégialité « était absent des anciens dictionnaires de théologie » avant Vatican II [1] : il s’agit en effet d’une idée complètement étrangère à l’enseignement de l’Église. S’agit-il d’un nouveau mot, employé pour exprimer une idée traditionnelle ? L’idée que l’ensemble des évêques possèdent ensemble, avec le pape, l’autorité suprême dans l’Église, est plutôt explicitement condamnée par le Magistère lorsqu’il rappelle que le pape seul a reçu la primauté de juridiction. Ce mot de collégialité n’est même pas employé par les textes de Vatican II ou du code de 1983 : c’est bien pour désigner la nouveauté introduite par ces textes que l’on emploie ce nouveau mot.


Erreurs sur la primauté du pontife romain

L’histoire de l’Église a connu de nombreuses tentatives visant à diminuer l’autorité suprême attribuée par le Christ à saint Pierre, et à exalter en contrepartie une supposée autorité suprême des évêques successeurs du Collège apostolique. L’ecclésiologie « orthodoxe » n’accepte pas cette primauté de juridiction sur l’Église universelle, et parle simplement d’une primauté honorifique. Le « conciliarisme » apparu au moment du Grand Schisme d’Occident fait du Concile œcuménique l’autorité suprême dans l’Église, supérieure au Pape. Le gallicanisme exalte une supposée indépendance du pouvoir épiscopal et réduit l’autorité du Pape aux seules questions doctrinales. Le fébronianisme prétend que le pouvoir des clefs a été confié au corps entier de l’Église, dont le pape n’est que le représentant ou le dépositaire, comme s’il était « président » de la « république ecclésiastique ». Les modernistes comme Yves Congar regardent toutes ces hérésies comme des manifestations d’une « préoccupation légitime » envers les excès du centralisme romain et des fantasmes de la théologie ultramontaine.


Le pourquoi de la collégialité

Cette primauté souveraine et universelle de juridiction du souverain pontife est la vérité de la foi catholique qui déplaît le plus aux protestants et aux schismatiques : peut-être même s’agit-il du « principal obstacle à la pleine communion ». Paul VI [2] et Ratzinger ont dit en effet que « la papauté est le plus grand obstacle à l’œcuménisme » [3]. Il n’était pas pensable que le « Concile de l’œcuménisme » qu’est Vatican II laisse inchangée cette difficile doctrine de la primauté pontificale. L’amoindrir ou la mutiler en quelque manière était une nécessité.

L’émergence de la collégialité à Vatican II ne répond pas seulement à un « impératif œcuménique » : selon les termes de la Commission Théologique Internationale, « un discernement plus attentif des requêtes avancées par la conscience moderne en termes de participation de tous les citoyens à la gestion des affaires publiques, pousse à une nouvelle et plus profonde expérience et présentation du mystère de l’Église dans sa dimension synodale intrinsèque. »[4] Il répond à un besoin des fidèles éclairés qui « attendent que le changement démocratique affectant la société actuelle passe, par une sorte d’osmose inéluctable mais bénéfique, au domaine de la vie ecclésiastique » [5]. Autrement dit, en langage intelligible, il faut « démocratiser » l’Église, amoindrir voire détruire totalement son caractère monarchique, qui offense la mentalité moderne.

La « collégialité » arrive à la fin de cette série d’erreurs sur la primauté du pontife romain comme une doctrine hybride, une doctrine de compromis. Pour répondre à cette double pression œcuméniste et démocratiste, tout en ne présentant pas au monde catholique une rupture trop violente avec l’enseignement de l’Église, les réformateurs de Vatican II ont inventé un système dans lequel le souverain pontife garde un primat réel, mais partage l’autorité suprême avec le Collège des évêques, pour ainsi dire.

La collégialité veut donc concilier les vieilles erreurs sur la primauté du Collège, qu’admiraient les modernistes, avec la primauté du pontife romain : on arrive à une improbable ecclésiologie dans laquelle le pouvoir suprême et plénier sur l’Église appartient à la fois au pape seul et au Collège uni au pape – et jamais sans le pape, précisent les textes, ce qui est une manière de « calmer » les conservateurs, mais n’enlève rien au fond du problème qui est l’apparition d’un nouveau sujet de pouvoir plénier et universel dans l’Église.


La collégialité débattue pendant Vatican II

La doctrine de la collégialité telle qu’exprimée dans les textes de Vatican II et du CIC 1983 résulte manifestement d’un compromis entre l’ecclésiologie catholique et l’ecclésiologie hérétique des réformateurs, dont le plus notable est Yves Congar. Ce dernier ne cessait de déverser son fiel sur la « théologie romaine » faisant du pape le monarque absolu de l’Église. Le pape est, en effet, d’après le Magistère vivant de la Sainte Église (et pas seulement la « théologie romaine »), monarque absolu de l’Église, suivant sa constitution divine, seul récipiendaire de l’autorité suprême dans l’Église : une simple lecture honnête de l’évangile peut nous en convaincre, et le témoignage univoque de l’Église enseignante ensuite. Les modernistes détestent cette doctrine. Pour Congar et ses amis, il faudrait plutôt considérer le pape comme le « président » de l’Église, celui qui a la plus haute fonction et qui peut trancher les conflits, dont l’existence est un puissant facteur d’unité pour l’Église, mais dont la légitimité et les prérogatives dépendent en quelque manière du consentement des évêques ou de l’ensemble des fidèles. La théorie d’une Église fondée sur le « Collège des douze » comme autorité suprême leur semble plus séduisante et plus « adaptée aux besoins du monde moderne ».

Mgr Gerard Philips, qui croit en cette hérésie de la collégialité, nous transmet dans ses mémoires un récit des débats parfois virulents qui eurent lieu à ce sujet pendant les sessions de Vatican II. Nous y voyons que Mgr Ugo Lattanzi, qui a publié ensuite des écrits contre la collégialité, s’était déjà manifesté à l’époque pour défendre la doctrine catholique, en qualifiant d’hérésie l’opinion des réformateurs.


Extraits des mémoires de Mgr Gerard Philips [6]

« 9 mars 1963. La discussion sur le chapitre II a connu trois difficultés. D’abord l’affirmation des Douze comme fondement de l’Église. Cette thèse est niée par certains. Lattanzi explique dans un déluge de paroles que seul Pierre est le roc sur lequel l’Église a été bâtie. Les autres ne sont que le fondement posé sur le roc : themelios sur le Petra. Le texte de l’Apocalypse est purement eschatologique, selon le P. Kerrigan ; en Eph. 2,20 on trouve aussi bien Prophètes qu’Apôtres : s’agit-il dès lors des Douze ? En tout cas, on veut exprimer très nettement la différence entre Pierre et les Apôtres et l’on préfère le mot « Rupes » pour Pierre seul.

(…) Le deuxième cas difficile concerne la collégialité des évêques dispersés, – donc hors Concile -, comme sujets de l’autorité suprême. Ici il semble y avoir eu un accord, dans le groupe des théologiens, sur un texte de Gagnebet. Mais l’accord ne se renouvela pas en commission, et le président invita tous les intéressés à trouver une issue le lendemain matin sous la présidence du cardinal Santos. En nommant Santos, le cardinal Ottaviani a écarté explicitement le cardinal Léger. Ce dernier en fut vraiment indigné.

13 mars 1963. Les évêques favorables étaient présents à la session de la matinée, ainsi que le cardinal Léger « in nigris » en signe de protestation, ainsi que la plupart des théologiens. Je propose une formule brève : les évêques peuvent arriver à un acte collégial, à condition que le pape ne s’y oppose pas. Cette fois, Gagnebet veut qu’on ajoute que le pape doit préciser d’avance de quelle manière cet acte doit être accompli : si le pape ne donne pas de directives, un acte collégial ne peut être posé. Schauf a une formule plus large et même plus précise que la mienne. Il imagine l’exemple d’un pape, détenu en Sibérie, qui approuverait l’acte des évêques après sa libération. Cela semble sauver l’affaire. Je me rallie à la formule de Schauf qui est acceptée à l’unanimité. (…)

Vendredi Saint, 12 avril 1963. J’ai oublié de noter dans mon récit qu’à un moment, Lattanzi a isolé une phrase de notre texte, et l’a interprétée comme hérétique en la prenant en elle-même, sans vouloir, selon ses dires, y associer l’intention de l’auteur. Bref, c’était quelque chose comme une hérésie en soi, l’hérésie de personne, sinon de la proposition. Je trouve pareil procédé pénible et blessant. De plus, ce procédé est irréel et ne tient pas compte de l’ensemble du contexte. Il ne fait apparaître qu’un fantôme. Je me suis plaint par la suite auprès de Lattanzi de ce procédé. Mais je n’ai pas pu lui faire comprendre que sa façon de parler était blessante. Rien ne lui semble plus naturel que de condamner certaines phrases de cette manière, qui procède d’un sens de l’orthodoxie et de la prudence. J’ai l’impression que c’est une manière très efficace de fabriquer des hérésies. Cela a dû se produire plus d’une fois dans l’histoire. La méthode de Lattanzi n’est donc pas nouvelle. En un certain sens on pourrait la qualifier de « traditionnelle ». C’est un exemple typique d’une « théologie de l’angoisse » qui, en outre, néglige les règles élémentaires de l’interprétation. En résumé, ce fut un incident instructif. Lattanzi est l’innocence et la naïveté même. »

Ce témoignage sur l’apparition de la collégialité dans les débats préparatoires à Vatican II est corroboré par d’autres, notamment celui du père Ralph M. Wiltgen, auteur du célèbre récit de l’histoire de Vatican II Le Rhin se jette dans le Tibre. Les modernistes ont en effet rejeté les schémas préparatoires de la constitution sur l’ Eglise, et ont fait de la collégialité leur principale priorité ecclésiologique : « L’une des premières questions soulevées [par les réformateurs] fut celle de la collégialité, c’est-à-dire du gouvernement de l’Eglise universelle par le Pape en collaboration avec tous les évêques du monde. C’était là le cœur même de tout le deuxième Concile du Vatican, destiné à compléter le premier Concile du Vatican où la primauté du Pape avait été étudiée en détail et solennellement promulguée. »

Ainsi l’idée de la collégialité épiscopale, loin d’aller de soi, a suscité la vive réaction de théologiens catholiques tels que Lattanzi, réaction qui a heurté la délicate sensibilité du moderniste Philips, qui mis en face du caractère intrinsèquement hérétique de ses propositions, répond exactement comme les modernistes de l’époque de saint Pie X, en disant que les catholiques soucieux de rigueur doctrinale « inventent des hérésies » qui n’existent pas

Ce témoignage nous montre également la « dynamique » des textes de Vatican II et la manière dont ils ont été rédigés : les modernistes (la « gauche » d’après les termes que Philips emploie lui-même dans ses mémoires) proposent des textes qui sont ouvertement en contradiction avec le magistère de l’Église. Les catholiques (la « droite ») réagissent avec virulence, en émettant diverses objections et en allant parfois jusqu’à parler d’hérésie. Les modernistes, face à cette résistance, s’entendent avec des conservateurs plus « modérés » (une sorte de centre-droit constitué de libéraux qui ont perdu toute sensibilité au danger du modernisme : les Gagnebet, Schauf, Kerrigan et compagnie) pour rédiger un nouveau texte plus « large » et plus ambigu, qui permette d’enfumer les catholiques « rigides » en leur donnant le sentiment que le texte respecte toujours la doctrine catholique, alors qu’au fond il continue de contenir des propositions erronées. Ces propositions sont simplement noyées dans un flot rassurant de doctrine apparemment compatible avec le catholicisme. « Cela semble sauver l’affaire », comme disait Philips.


2 – La constitution monarchique de l’Église dans le magistère

I. Acte du Concile oecuménique de Florence (9 juillet 1439)

« De même nous définissons que le Saint-Siège apostolique et le Pontife romain exerce la primauté (tenere primatum, τό πρωτείον ϰατέχειν) dans tout l’univers ; que ce même Pontife romain est le successeur du bienheureux Pierre, prince des apôtres, qu’il est le véritable vicaire du Christ, le chef de toute l’Église (caput, ϰεφαλήν), le père et le docteur de tous les chrétiens, et qu’à lui, en la personne du bienheureux Pierre, Notre-Seigneur Jésus-Christ a donné plein pouvoir de faire paître, de régir et de gouverner l’Église universelle, comme cela est contenu dans les actes des conciles œcuméniques et dans les sacrés canons. »

Contre les erreurs des Grecs, le Concile de Florence définit la primauté absolue de juridiction du successeur de saint Pierre. Le fait qu’il soit le seul à recevoir ce plein pouvoir est implicite, et se comprend par le contexte de la déclaration : les Grecs tendraient plutôt à dire que le plein pouvoir de juridiction appartient de manière diffuse au collège des Apôtres et à leurs successeurs. Le Concile définit donc qu’il n’y a qu’une seule autorité suprême dans l’Église, le Pontife romain.


II. Constitution dogmatique Pastor Æternus (18 juillet 1870)

« Nous enseignons donc et nous déclarons, suivant les témoignages de l’Évangile, que la primauté de juridiction sur toute l’Église de Dieu a été promise et donnée immédiatement et directement au bienheureux Apôtre Pierre par le Christ notre Seigneur. (…) Cette doctrine si claire des Saintes Écritures se voit opposer ouvertement l’opinion fausse de ceux qui, pervertissant la forme de gouvernement instituée par le Christ notre Seigneur, nient que Pierre seul se soit vu doté par le Christ d’une primauté de juridiction véritable et proprement dite, de préférence aux autres Apôtres, pris soit isolément soit tous ensemble, ou de ceux qui affirment que cette primauté n’a pas été conférée directement et immédiatement au bienheureux Pierre, mais à l’Église et, par celle-ci, à Pierre comme à son ministre. »

Ce passage du Concile Vatican I condamne explicitement la doctrine de la collégialité élaborée par les modernistes.  Ceux-ci en effet « nient que Pierre seul se soit vu doté par le Christ d’une primauté de juridiction véritable et proprement dite », car ils disent que cette primauté de juridiction véritable appartient « au Collège des Évêques dont le chef est le Pontife Suprême » : Vatican II, confirmé par le code de droit canon de 1983, enseigne bien que ce n’est plus « Pierre seul », mais « Pierre avec les autres apôtres » qui possède cette primauté universelle de juridiction, ou alors que les deux entités (le pape et le Collège-avec-le-pape) possèdent conjointement l’autorité suprême.

Dans la même constitution dogmatique, au chapitre sur la nature de la primauté du pontife romain, est condamnée cette idée suivant laquelle il n’a « qu’une charge de direction », et qu’il ne possède pas la plénitude totale de juridiction. La doctrine de la collégialité tombe visiblement sous cet anathème, étant donné qu’elle fait du souverain pontife le chef du Collège, lui-même sujet de pouvoir plénier et universel sur l’Église, au lieu d’être le seul chef plénier et universel de l’Église.


III. Lettre encyclique Satis Cognitum (29 juin 1896)

Les enseignements du pape Léon XIII sont un trésor de clarté et de précision. Non content de transmettre fidèlement l’enseignement traditionnel, Léon XIII s’attachait toujours à en expliquer les raisons profondes, les justifications scripturaires et patristiques, en puisant aussi dans les ressources de l’histoire et de la philosophie, et en répondant à de nombreuses objections. Ici donc, Léon XIII détaille la primauté du pontife romain et, ce qui nous intéresse d’autant plus, le rapport entre cette primauté et le pouvoir des évêques.

« De même que l’autorité de Pierre est nécessairement permanente et perpétuelle dans le Pontife romain, ainsi les évêques, en leur qualité de successeurs des Apôtres, sont les héritiers du pouvoir ordinaire des Apôtres, de telle sorte que l’ordre épiscopal fait nécessairement partie de la constitution intime de l’Église. Et quoique l’autorité des évêques ne soit ni pleine, ni universelle, ni souveraine, on ne doit pas cependant les regarder comme de simples vicaires des Pontifes romains, car ils possèdent une autorité qui leur est propre, et ils portent en toute vérité le nom de prélats ordinaires des peuples qu’ils gouvernent. (…) C’est pourquoi il faut faire ici une remarque importante. Rien n’a été conféré aux Apôtres indépendamment de Pierre ; plusieurs choses ont été conférées à Pierre isolément et indépendamment des Apôtres. (…) Lui seul, en effet, a été désigné par le Christ comme fondement de l’Église. C’est à lui qu’a été donné tout pouvoir de lier et de délier ; à lui seul également a été confié le pouvoir de paître le troupeau. (…) Et il ne faut pas croire que la soumission des mêmes sujets à deux autorités entraîne la confusion de l’administration. Un tel soupçon nous est interdit tout d’abord par la sagesse de Dieu, qui a Lui-même conçu et établi l’organisation de ce gouvernement. De plus, il faut remarquer que ce qui troublerait l’ordre et les relations mutuelles, ce serait la coexistence, dans une société, de deux autorités du même degré, dont aucune ne serait soumise à l’autre. Mais l’autorité du Pontife est souveraine, universelle et pleinement indépendante : celle des évêques est limitée d’une façon précise et n’est pas pleinement indépendante. »

Pierre seul a reçu « tout pouvoir de lier et de délier », Pierre seul a reçu « le pouvoir de paître le troupeau ». L’autorité des évêques ensemble n’est ni pleine, ni universelle, ni souveraine. Léon XIII (dans la continuité de Pie IX) insiste sur le fait que seul le Pape est sujet du pouvoir suprême et plénier sur l’Église tout entière. Léon XIII ne dit rien qui puisse laisser penser que le collège des évêques, qu’il évoque régulièrement dans l’encyclique, soit dépositaire de l’autorité suprême avec le pape auquel il est uni, ou conjointement avec lui. Il parle du pouvoir épiscopal comme une autorité véritable en son domaine, mais définit cette autorité des évêques comme limitée, non totalement indépendante, n’étant ni pleine, ni universelle, ni souveraine. Plutôt, il exclut et condamne cette idée au moins implicitement, en rappelant que le pouvoir des clés (l’autorité suprême) n’a été confié qu’à Pierre seul.


IV. Lettre encyclique Mystici Corporis (29 juin 1943)

« Mais parce que, comme Nous l’avons déjà dit, par la volonté de son Fondateur, ce Corps de nature sociale qu’est le Corps du Christ doit être un corps visible, il faut que cet accord de tous les membres se manifeste aussi extérieurement, par la profession d’une même foi, mais aussi par la communion des mêmes mystères, par la participation au même sacrifice, enfin par la mise en pratique et l’observance des mêmes lois. Il est, en outre, absolument nécessaire qu’il y ait, manifeste aux yeux de tous, un Chef suprême, par qui la collaboration de tous en faveur de tous soit dirigée efficacement pour atteindre le but proposé : Nous avons nommé le Vicaire de Jésus-Christ sur la terre. En effet, de même que le divin Rédempteur a envoyé l’Esprit de vérité, le Paraclet, pour assumer à sa propre place l’invisible gouvernement de l’Église, ainsi, à Pierre et à ses successeurs, il a confié le mandat de tenir son propre rôle sur terre pour assurer aussi le gouvernement visible de la cité chrétienne. »

Dans sa belle encyclique sur l’Église conçue comme Corps Mystique de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Pie XII décrit l’harmonie qui existe entre les aspects juridiques de l’Église et ses aspects invisibles. L’Église, société parfaite de manière analogue à celle des États, a une constitution établie par Dieu lui-même dans laquelle il y a un chef suprême (un seul), qui a reçu le mandat de tenir le rôle même de Jésus-Christ sur terre et d’assurer le gouvernement visible de la cité chrétienne. Pie XII détaille ailleurs dans l’encyclique les caractéristiques de la mission des Apôtres et de leurs successeurs : à aucun moment il ne laisse entendre que le pouvoir suprême, le vicariat de Jésus-Christ, le gouvernement visible de la cité chrétienne, ait pu être confié aux Apôtres considérés ensemble en Collège. Pie XII rappelle également, contre les théories de l’indépendance du pouvoir épiscopal (qui sont un préalable de la collégialité), que si les évêques « jouissent du pouvoir de juridiction ordinaire, ce pouvoir leur est immédiatement communiqué par le Souverain Pontife ».


3- La collégialité dans Vatican II et dans le code de 1983

I. Lumen Gentium, n°22

« L’Ordre des évêques […] constitue, lui aussi [en plus du pape considéré seul], en union avec (una cum) le Pontife romain, son chef, et jamais en dehors de (numquam sine) ce chef, le sujet d’un pouvoir suprême et plénier sur toute l’Église »

Cette définition qui introduit un nouveau sujet de pouvoir plénier dans l’Église prétend se baser sur une déclaration de Mgr Zinelli, rapporteur de la Députation de la Foi pendant le Concile de Vatican I, concernant le fait que les évêques unis au pape lors d’un Concile œcuménique « possèdent le pouvoir plénier » (plenam potestatem habent). Voici la déclaration invoquée, dont la référence se situe en note de bas de page du texte officiel de Vatican II :

« Concedimus lubenter et nos in concilio oecumenico sive in episcopis coniuctim cum suo capite supremam inesse et plenam ecclesiasticam potestatem in fideles omnes … Igitur episcopi congregati cum capite in concilio oecumenico, quo in casu totam ecclesiam repraesentant, aut dispersi, sed cum suo capite, quo casu sunt ipsa ecclesia, vere plenam potestatem habent. »

Con. Vat. I : Mansi 52, c. 1109

Il est fallacieux de prétendre, comme le fait Gustave Thils et comme l’ont fait ceux qui ont rédigé et ratifié Vatican II, que ces deux propositions expriment exactement la même doctrine : sans nous risquer à une traduction détaillée, il est évident que Zinelli ne parle que du Concile œcuménique, et pas de « l’ordre des évêques » considéré dans l’abstrait. Il y est simplement question d’un mode extraordinaire d’exercice du pouvoir plénier dans l’Église, celui du Concile œcuménique dans lequel le pape s’associe l’ensemble des évêques, et pas de l’existence d’un pouvoir plénier habituel dans le Collège apostolique en dehors de ce cas du Concile œcuménique. Du texte de Zinelli, on ne peut inférer l’idée d’un double sujet du pouvoir plénier, mais plutôt l’idée d’un pouvoir plénier dont le seul sujet est le Pape, et qui est exercé de manière extraordinaire par l’ensemble des évêques réunis au pape en un Concile. L’assertion de l’existence d’un pouvoir plénier habituel dans un sujet distinct du pape est le sens obvie du texte de Vatican II, qui emploie le terme « quoque » (aussi) pour marquer une différence réelle entre deux sujets du pouvoir plénier : le pape considéré seul, et le collège des évêques uni au pape.

Mgr Parente, rapporteur de la commission théologique durant Vatican II, a affirmé face aux questions et aux amendements de certains pères conciliaires, quelque peu interloqués par cette doctrine aux accents nouveaux, que le Saint-Siège n’avait pas l’intention de trancher la question de l’unicité ou de la pluralité du sujet, et que la particule « quoque » ne cherche pas à exclure l’une ou l’autre de ces interprétations. C’est en quelque sorte encore pire que s’il avait affirmé que le Saint-Siège voulait affirmer l’hérésie de la collégialité : Mgr Parente explique que le Saint-Siège, face à une doctrine déjà définie, veut sciemment laisser la porte ouverte à une interprétation hérétique, tout en voulant stratégiquement faire croire à une absence de rupture avec l’enseignement magistériel. Mais il s’agit ici plus que d’une porte ouverte puisque les termes employés sont, pris dans leur sens premier, contraires à la constitution divine de l’Église, et ont été compris comme tels par la majorité des conciliaires ensuite.


II. La nota prævia : « cela semble sauver l’affaire » …

Durant les débats autour de la rédaction de Lumen Gentium, une « note explicative préliminaire » (Nota explicativa praevia), rédigée en grande partie par Mgr Philips, a été ajoutée au texte initial pour calmer l’opposition des conservateurs. Elle est si habilement construite que même Mgr Lefebvre s’estimait quitte de tous ses doutes et toutes ses objections contre le texte une fois la nota émise : elle semble en effet rappeler la doctrine traditionnelle sur le sujet unique du pouvoir plénier et les deux modes d’exercice du pouvoir (individuel ou collégial). Pourtant, à l’examiner sérieusement, elle confirme la doctrine du double sujet, telle qu’exprimée par le sens obvie de la phrase du n°22. Remarquable travail de diplomatie et d’argutie théologique, cette nota praevia ne rétablit qu’en apparence l’orthodoxie de Vatican II, car tout en affirmant la primauté du Pontife romain et le fait qu’elle ne peut pas être limitée par le Collège (ce que les modernistes auraient voulu suggérer), elle continue de laisser telle quelle l’affirmation du Collège comme sujet ordinaire du pouvoir suprême et plénier dans l’Église. Mgr Philips « noie tous les poissons admirablement », comme disait son compère le moderniste de Lubac [7] : mais il n’a pas pu noyer le poisson du double sujet, car il fallait bien que le projet moderniste de détruire la constitution monarchique de l’Église puisse aboutir, même de manière aussi compromise et diminuée, à travers ce bricolage hasardeux. La nota ne fait que réaffirmer la primauté de juridiction du pontife romain, et conditionner l’exercice de la primauté du Collège au bon vouloir du souverain pontife, sans infirmer donc cette primauté de juridiction du Collège : ainsi la constitution divine de l’Église est niée, puisqu’au lieu d’être une monarchie absolue elle devient une sorte de monstre à deux têtes dans laquelle il y a deux sujets de l’autorité suprême, l’un ne pouvant pas exercer l’autorité sans l’autre, mais les deux étant en même temps distinctement possesseurs de l’autorité.


III. Code de droit canonique de 1983 – Canon n°336

« Le Collège des Évêques dont le chef est le Pontife Suprême et dont les Évêques sont les membres en vertu de la consécration sacramentelle et par la communion hiérarchique entre le chef et les membres du Collège, et dans lequel se perpétue le corps apostolique, est lui aussi en union avec son chef et jamais sans lui, sujet du pouvoir suprême et plénier sur l’Église tout entière. »

Collegium episcoparum … subiectum quoque supremae et plenae potestatis in universam Ecclesiam exsistit

Le code de 1983 entérine la définition de Lumen Gentium, en gardant bien les termes problématiques subiectum quoque, avec le terme Collegium qui rend encore mieux l’idée d’une personne morale distincte du pape considéré seul. Elle lève la dernière ambiguïté qui pouvait encore subsister sur le fait que le Collège considéré en lui-même soit véritablement sujet ordinaire en droit du pouvoir suprême et plénier, au lieu de ne l’être que de manière occasionnelle par délégation du Pape lors d’un Concile : l’aspect juridique de la question est confirmé, puisqu’il est à présent gravé dans le « droit canon ».


4- Les commentaires des réformateurs

Collégialisme pur et collégialisme mitigé

Yves Congar

Les commentateurs de la collégialité, parmi lesquels plusieurs ont participé au Concile en tant qu’experts, se divisent principalement en deux opinions. L’opinion des plus zélés modernistes (Congar, Schillebeeckx, Rahner, etc.) est celle qu’ils ont défendu lors de Vatican II, qui explique pourquoi le Concile insiste autant sur le Collège, mais qui a été empêchée d’aboutir à cause des protestations de la « droite » : c’est le collégialisme pur dans lequel l’autorité suprême appartient au Collège des évêques, dont le pape n’est que le membre le plus éminent. Ainsi a-t-on pu voir dans les années 1970 des théologiens tels que Gustave Thils appeler en toute décontraction à une « étude critique de Vatican I », et reléguer au musée de l’histoire des idées les notions de monarchie ecclésiastique et de juridiction épiscopale déléguée [cf. note 5]. L’autre opinion est celle de la majorité des conciliaires, qui s’accordent sur ce qui est, en effet, le sens évident des textes de Vatican II : le « collégialisme mitigé » dans lequel il y a deux sujets distincts du pouvoir suprême dans l’Église. Contre ces deux opinions, viennent certains conservateurs « herméneutes de la continuité », extrêmement minoritaires, qui disent que Vatican II n’enseigne en réalité rien de nouveau, mais ils sont obligés de contredire le texte même de Vatican II pour l’affirmer.


La collégialité selon Benoît XVI

Ratzinger et Congar

Joseph Ratzinger, qui est censé être le maître de « l’herméneutique de la continuité », a une conception bien personnelle de la continuité en ce qui concerne le primat romain et la collégialité. On pourrait penser qu’il soit fidèle à la lettre de Vatican II et défende le « collégialisme mitigé » de Lumen Gentium : en réalité, la doctrine présente dans ses écrits théologiques est bien plus proche du collégialisme pur. Il estime que « la primauté ne peut pas être basée sur le modèle d’une monarchie absolue, comme si le pape était le monarque sans restriction d’un état surnaturel centralisé appelé Église ». Au contraire, sa juste place réside dans « le centre officiel de la collégialité des évêques ». Le pape occupe simplement le premier rôle au sein du Collège, et son primat n’existe pas réellement indépendamment du Collège. Il estime que l’Église ne doit pas être vue comme un cercle avec un seul centre (ecclésiologie traditionnelle), mais comme une « ellipse à deux foyers » étroitement interdépendants : la papauté et le collège.

Ratzinger, devenu Benoît XVI, n’a apparemment pas cessé d’affirmer la même doctrine : ainsi déclarait-il dans une interview télévisée en 2006 « le pape n’est pas du tout un monarque absolu » [8]. Si le pape n’est pas un monarque absolu, alors son pouvoir est limité par quelque autre pouvoir : alors sa primauté n’est pas pleine, souveraine et universelle comme l’affirme le magistère de la Sainte Église. En d’autres endroits en effet, Ratzinger affirme explicitement que le pouvoir du pape est limité par celui des offices épiscopaux, comme le disaient les gallicans. Il prétend que le schisme de 1054 trouve sa cause principale dans l’erreur des Latins qui consiste à confondre les prétentions administratives du « patriarcat latin » avec la primauté apostolique du Siège romain dont la vraie notion est d’être le centre de la collégialité : il avalise ainsi le discours classique des schismatiques d’Orient, qui disent que l’évêque de Rome a plein pouvoir dans les limites de son patriarcat occidental, mais ne doit pas empiéter sur les autres patriarcats de la « pentarchie » ; il propose à ces même schismatiques de se contenter de reconnaître l’évêque de Rome comme centre de la collégialité, sans presque rien changer à leurs structures juridiques.

Ceux qui voudraient entrer dans le détail des hérésies de Ratzinger peuvent se référer à l’étude de Richard G. DeClue sur « la primauté et la collégialité dans les travaux de Joseph Ratzinger », d’où sont issues les précédentes citations : précisons que l’étude émane d’un admirateur de Ratzinger, et pas d’un critique [9].


Le ridicule problème de la mise en application de la collégialité

La collégialité telle qu’exprimée par Vatican II est une doctrine ridicule et contradictoire, qui fait de l’Eglise un monstre à deux têtes, dont une tête ne peut pas agir sans l’autre. Les réformateurs se sont tellement empêtrés dans les compromis vis-à-vis de la « droite » qu’à la fin leur grande idée de détruire la constitution monarchique de l’Eglise et de lui donner un souffle plus « démocratique » ne se traduit dans les textes que d’une manière très diminuée, et très peu pratique. Les réformateurs n’ont pas abandonné cette grande idée d’enlever des pouvoirs au pape pour en donner davantage aux évêques, mais ils ont les plus grandes peines du monde à la rendre crédible et à la mettre en application : les conciliaires n’arrêtent pas de faire des synodes, de débattre, d’écrire des livres entiers sur l’application de la collégialité et de son mystérieux corollaire la « synodalité », dont personne ne connaît la définition ; ils s’estiment insatisfaits de la tournure des évènements. Les textes faisant « autorité » contiennent une hérésie, mais elle est enrobée d’autres éléments qui la « neutralisent » dans ses effets pratiques : difficile en effet de mettre le pape au second plan quand les textes rappellent qu’il possède le primat à titre individuel et sans dépendre du Collège, et que le Collège dépend de lui dans l’exercice de son propre primat (puisque le pape est chef du Collège). Plusieurs observateurs ont remarqué que François était le premier « pape » à véritablement prendre à cœur le sujet de la collégialité, quand Jean-Paul II était encore trop flamboyant et autoritaire à leur goût : en effet, François passe un temps considérable à essayer de saper ce qui reste de la structure organisationnelle de l’Église catholique, à « décentraliser » et à déréguler les institutions, à salir et humilier encore plus que ses prédécesseurs le prestige du souverain pontificat. Mais il se trouvera toujours des gens pour trouver que le « vrai sens de la collégialité » n’est pas encore pleinement compris, que Vatican II n’en est qu’aux débuts de son application. Le théologien conciliaire Jan Grootaers (1921-2016), présent à Vatican II, a écrit en 2012 un livre sur les Heurs et malheurs de la collégialité, qui retrace sur un ton plaintif les méandres de ces débats et de ces contradictions. Situation ridicule et contradictoire du début jusqu’à la fin.


5 – Les tentatives d’« herméneutique de la continuité »

Durant le temps même des sessions de Vatican II, certains théologiens conservateurs se sont empressés de « donner la véritable interprétation de Vatican II » pour faire taire les modernistes de la trempe de Ratzinger. Ainsi Mgr Ugo Lattanzi, que nous avions évoqué, et le cardinal Dino Staffa, ont écrit pour dire que Lumen Gentium parle d’un unique sujet du primat qui est le pape, et de deux modalités d’exercice du primat (le pape seul ou le pape avec les évêques), conformément à la doctrine catholique. En réalité, l’exercice auquel se sont livrés ces deux théologiens était bien maladroit et artificiel : ils reconnaissent eux-mêmes être forcés d’interpréter la déclaration problématique contre son contexte, contre l’ambiguïté volontaire des réformateurs et contre le sens littéral du texte. Dit autrement, Staffa et Lattanzi n’ont pas « donné la véritable interprétation de Vatican II », mais ont corrigé l’erreur affirmée par Vatican II, en voulant prétendre qu’elle n’était pas vraiment affirmée [10].

Cette posture est une escroquerie intellectuelle. Face à un texte dont le sens premier est contraire au magistère de l’Église, le propos d’un « herméneute de la continuité » consiste à dire qu’il faut appliquer au magistère de Vatican II des règles analogues à celles que l’on applique pour l’interprétation des Saintes Écritures (le terme « herméneutique » vient du monde de l’exégèse) pour réconcilier la contradiction apparente avec ce qui a été enseigné précédemment. Sauf qu’il y a une différence profonde de nature entre le Magistère et les Saintes Écritures : celles-ci doivent être interprétées, car en de nombreux endroits leur sens est spirituel, caché et difficile à saisir, et Dieu a donné à l’Église le pouvoir d’interpréter infailliblement ce dépôt de la Révélation, contre toutes les déviations possibles de l’esprit humain face à des textes aussi complexes. Le Magistère existe précisément pour trancher avec une autorité infaillible les débats et les incompréhensions qui pourraient émerger d’une mauvaise interprétation de la Révélation : il oblige en conscience les fidèles, qui doivent y soumettre leur intelligence sans discussion. Si l’on prétend qu’il faut interpréter le magistère, alors on lui dénie sa fonction qui est de clarifier avec autorité la Révélation, et on fait reposer en dernière instance dans la raison individuelle la charge de déterminer ce qui est véritablement révélé : ce n’est donc que du protestantisme, avec une étape intermédiaire entre les Saintes Écritures et la raison individuelle, qui serait un magistère flou, difficile et sujet à des interprétations variables. Puisque l’on refuse de recevoir ce magistère dans son sens premier et évident, avec la simplicité et la droiture attendue d’un fidèle catholique, la compréhension des vérités révélées est donc laissée à une sorte de libre-examen individuel postérieur au magistère : c’est une folie, et en effet il existe autant « d’interprétations de Vatican II » qu’il y a d’herméneutes, de la même manière que chaque protestant a son interprétation de la Bible [11].

Cette attitude a quelque chose de compréhensible pour le contexte de l’époque, dans le sens qu’il était impossible pour les catholiques que le pape approuve un enseignement erroné, et que Paul VI avait extérieurement les garanties d’être le pape : élection et acceptation pacifique. Comme Paul VI est apparemment le pape, et qu’il promulgue une doctrine apparemment erronée, la réaction majoritaire des catholiques a été de tenter de donner une explication catholique de la doctrine problématique. Même des prêtres très antimodernistes comme l’abbé Julio Meinvielle se sont livrés à cet exercice, intellectuellement absurde, mais humainement compréhensible : car en effet, personne n’avait réellement envisagé que les réflexions des théologiens sur le « pape hérétique » puissent être un jour d’actualité, et affirmer la vacance du Saint-Siège apparaissait comme une folie tant les conséquences d’une telle occupation illégitime du Saint-Siège seraient graves pour l’Église. À mesure que le temps passe et que les hérésies de Paul VI et ses successeurs se multiplient toujours plus clairement, cet exercice devient de plus en plus difficile et absurde, jusqu’au ridicule dans certains cas : il n’est vraiment plus possible de réconcilier leurs propos avec la doctrine catholique, par conséquent la seule conclusion logique qui s’impose est que ni Paul VI ni ses successeurs qui ont enseigné la même chose que lui ne possèdent l’autorité pontificale. Donc ils ne sont pas papes, puisque la forme de la papauté (ce qui donne l’être) est l’autorité, et non pas l’élection.


6 – Conclusion

Les définitions du magistère de l’Église ne contiennent aucune équivoque sur ce sujet : le pape seul est sujet de pouvoir plénier et universel dans l’Église, le pape seul a reçu et conserve de manière permanente une primauté de juridiction véritable, à l’exclusion des autres évêques même considérés ensemble en tant que collège. Les déclarations de Vatican II, clarifiées par le canon 336 du code de 1983, établissent une doctrine suivant laquelle le Collège des évêques est « lui aussi » sujet de pouvoir plénier et universel dans l’Église, de manière permanente. Cette doctrine étant en contradiction directe avec le magistère, elle est une hérésie, pas simplement une imprécision doctrinale.

Les tentatives « d’herméneutique de la continuité » au sujet de la collégialité sont inopérantes, parce qu’elles ne répondent pas au problème central des nouvelles définitions qui est l’apparition d’un nouveau sujet de pouvoir plénier, d’un nouveau dépositaire permanent de la primauté de juridiction autre que saint Pierre ; elles font dire au texte de Vatican II l’inverse de ce qu’il dit. Il faut étudier l’histoire de la rédaction de Vatican II (par exemple à la travers les mémoires de Congar ou de Mgr Philips) pour mieux comprendre l’intention hérétique des réformateurs, et trouver une confirmation supplémentaire du « véritable sens » de la collégialité, si Lumen Gentium et le code de 1983 n’étaient pas déjà suffisamment clairs.

Jean-Tristan B.


[1]https://www.revuedesdeuxmondes.fr/wp-content/uploads/2016/11/46dd48fbdd3f24a51d12045f237e14eb.pdf

[2] « Et que dirons-Nous de la difficulté à laquelle sont toujours si sensibles nos Frères séparés : celle qui provient de la fonction que le Christ Nous a assignée dans l’Église de Dieu et que Notre tradition a sanctionnée avec tant d’autorité ? Le Pape, Nous le savons bien, est sans doute l’obstacle le plus grave sur la route de l’œcuménisme. »  Paul VI, 28 avril 1967, Discours aux membres du secrétariat pour l’unité des chrétiens.

[3]https://www.sodalitium.eu/ratzinger-protestant-a-99/

[4]https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/cti_documents/rc_cti_20180302_sinodalita_fr.html

[5] Gustave Thils, La théologie de la primauté. En vue d’une révision, Revue Théologique de Louvain 1972, 3-1 pp. 22-39

[6] Carnets conciliaires de Mgr Gérard Philips, secrétaire adjoint de la commission doctrinale. Texte néerlandais avec traduction française et commentaires par L. Schelkens. Avec une introduction par L. Declerck (coll. Instrumenta theologica, 29). 2006

[7] Journal du Concile d’Henri de Lubac, p. 597

[8]http://benoit-et-moi.fr/2013-II/benoit/collegialite-et-primaute-selon-benoit-xvi.html

[9]https://www.communio-icr.com/articles/view/primacy-and-collegiality-in-the-works-of-joseph-ratzinger

[10]https://laportelatine.org/critique-du-concile-vatican-ii/une-conception-collegiale-de-leglise-vue-comme-communion

[11] Comme nous l’avons vu, pour la collégialité il existe au moins trois « exégèses » de Vatican II. La seule qui est intellectuellement honnête est celle du double sujet de la primauté, puisqu’elle se base sur le sens premier des textes, y compris la nota praevia : les deux autres émanent de personnes qui veulent faire correspondre la réalité à leurs désirs, les uns à leurs désirs mauvais et hérétiques (collégialisme pur, le pape mis au second plan), les autres à leurs désirs pieux et catholiques (le pape seul sujet permanent du primat : comment Paul VI pourrait vouloir enseigner autre chose, puisqu’il est pape ? etc.). Rappelons à l’intention du deuxième groupe que la piété véritable ne peut pas être séparée de la vérité : il vaut mieux dire que Paul VI n’est pas pape, s’il est évident qu’il enseigne des hérésies, plutôt que de nier l’évidence pour se maintenir dans une illusion procédant d’une apparence de piété (désir d’être fidèle à l’Église). C’est s’aveugler volontairement, et refuser la croix que Dieu nous envoie, pour quelque motif de facilité humaine (il serait « trop dur » que le Saint-Siège soit vacant et avec lui tous les sièges épiscopaux, pendant une période prolongée : c’est très dur en effet, mais cela n’a rien d’impossible en soi, et Dieu ne manquera pas de nous donner les grâces nécessaires pour surmonter ces maux qu’il a permis).

Les hérésies de François sur la Communion des saints

Le 2 février 2022, au cours d’une audience générale qui se tenait dans la très étrange salle Paul VI, François est venu enrichir sa collection d’hérésies par des propos offensants pour l’oreille catholique. Avant de rappeler l’enseignement de l’Église sur la Communion des saints et de se pencher sur le contenu du discours de François, nous allons revenir sur la définition de l’hérésie.

Imposteur Pape François - Hérésie sur la Communion des Saints

Qu’est-ce qu’une hérésie ?

Pour le dire simplement, et sans rentrer dans tous les détails du sujet, une hérésie est une proposition qui s’oppose à une vérité révélée par Dieu. Et puisque c’est par l’Eglise que nous est infailliblement transmise la vérité révélée, une hérésie est une proposition qui contredit une doctrine présentée comme révélée par l’Eglise. Certains théologiens soutiennent qu’une affirmation contraire à une doctrine infailliblement définie par l’Eglise mais non présentée comme révélée est déjà hérétique, mais ici nous ne nous pencherons pas sur ce débat théologique dont l’importance est toutefois réelle. Retenons que, selon le code de droit canon actuellement en vigueur (celui de 1917), une proposition ne pourra être qualifiée d’hérétique que si elle s’oppose à une vérité à croire de foi divine et catholique, c’est-à-dire à une doctrine présentée comme révélée par l’Eglise.

Ajoutons qu’il faut bien distinguer l’hérésie doctrinale (qui existe dans une proposition donnée) et le péché d’hérésie (qui existe dans un sujet donné). Cette distinction trop souvent négligée est parfaitement mise en lumière par l’abbé Lucien dans La situation actuelle de l’Autorité dans l’Eglise (pages 71 à 83). Nous nous contentons de rappeler ici que le péché d’hérésie est une adhésion volontaire et pertinace à l’hérésie. Pour commettre un péché d’hérésie, le sujet qui défend une proposition hérétique doit savoir que l’Eglise enseigne le contraire et vouloir néanmoins conserver sa propre opinion. Il se déduit de ces conditions que l’ignorance chasse le péché d’hérésie (sans pour autant chasser le péché, si l’ignorance est coupable).


La Communion des saints (selon l’Eglise catholique)

Voyons, avant d’évoquer les paroles de François, ce que signifie la Communion des saints pour l’Eglise. Le catéchisme de saint Pie X nous en donne une définition : « Communion des saints signifie que tous les fidèles, formant un seul corps en Jésus-Christ, profitent de tout le bien qui est et qui se fait dans ce même corps, c’est-à-dire dans l’Église universelle, pourvu qu’ils n’en soient pas empêchés par l’affection au péché ». Citons également l’abbé Boulenger pour aider le lecteur à bien saisir le sens de cette définition : « Il existe entre tous les membres, vivants ou défunts, du corps mystique (Église) dont Jésus-Christ est le chef, un lien qui les rattache les uns aux autres et grâce auquel ils participent aux mêmes intérêts et aux mêmes biens spirituels : c’est ce qu’on appelle la Communion des Saints. Dans toute société bien organisée, les membres sont solidaires les uns des autres ; ils partagent les richesses, les joies, et aussi les revers et les tristesses de la communauté. Ainsi en est-il de l’Église qui est une société plus parfaite qu’aucune autre » (dans La Doctrine Catholique).

Les biens spirituels évoqués par l’abbé Boulenger et qui profitent aux membres de l’Eglise par la Communion des saints sont surnaturels, ils se rapportent à l’ordre de la vie divine, de la grâce sanctifiante. Ces biens forment un trésor qui est enrichi, en premier lieu, par les mérites (infinis) de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ensuite par les mérites de la Très Sainte Vierge et enfin par ceux de tous les autres saints et membres du Corps Mystique. Ce trésor surnaturel s’élève vers Dieu qui répand ses grâces et miséricordes sur chacun des membres de la Communion des saints qui, tous, les reçoivent en proportion de leurs mérites. Par ailleurs, chaque membre, par ses bonnes œuvres, participent à enrichir ce trésor qui se communiquent à tous.

La formule « pourvu qu’ils n’en soient pas empêchés par l’affection au péché » précitée, signifie que les membres morts (1) de l’Eglise, c’est-à-dire ceux qui sont en état de péché mortel ne participent pas à la Communion des saints. Pourquoi ? Parce-que « n’étant pas dans l’état de grâce, ils ne fournissent aucune contribution au trésor de l’Église, vu que leurs œuvres sont sans mérite. Il serait juste alors qu’ils ne participent plus à ses faveurs » (La Doctrine Catholique). Cependant, précise l’abbé Boulenger, comme ils appartiennent toujours au corps de l’Église et que, semblables à des membres paralysés, ils pourront reprendre un jour vie et mouvement, ils ne sont pas entièrement privés des avantages de la Communion des Saints. En effet, les membres morts de l’Eglise peuvent recevoir des grâces pour se convertir et participer à la Communion des saints.

Si les catholiques en état de péché mortel sont privés de beaucoup d’avantages de la Communion des saints, qu’en est-il des non-catholiques ? Puisqu’ils ne sont ni membre du Corps, ni membre de l’Ame de l’Eglise (2), ils ne participent en aucune manière à la Communion des saints. Ainsi, nous comprenons bien pourquoi à la question « Qui est hors de la Communion des saints ? », saint Pie X répond « Est hors de la Communion des saints, celui qui est hors de l’Église, c’est-à-dire, les damnés, les infidèles, les juifs, les hérétiques, les apostats, les schismatiques et les excommuniés » (Catéchisme de saint Pie X).


La « communion des saints » (selon François)

Dans cette audience générale du 2 février, deux propos ont particulièrement attiré notre attention. Commençons par le premier :

« Qu’est-ce donc que la «communion des saints»? Le Catéchisme de l’Église catholique affirme : «La communion des saints est l’Église» (n. 946). Voyez comme c’est une belle définition! «La communion des saints est l’Église.» Qu’est-ce que cela signifie? Que l’Église est réservée au parfait? Non. Cela signifie que c’est la communauté des pécheurs sauvés. L’Eglise est la communauté des pécheurs sauvés. C’est beau, cette définition. Personne ne peut s’exclure de l’Église, nous sommes tous des pécheurs sauvés ».

Dans cet extrait, François entend définir la Communion des saints, qu’il assimile – bien étrangement – à l’Eglise comme s’il ne s’agissait pas de deux notions théologiques distinctes, avec leur caractéristiques propres (même si ces deux réalités, l’Eglise et la Communion des saints, sont intimement liées car, ainsi que nous l’avons vu plus haut, l’appartenance à la première est une condition pour participer à la seconde). Mais le plus choquant ici, c’est qu’il prétend que personne ne peut s’exclure de l’Eglise (ou de la Communion des saints, puisque pour François il s’agit de la même chose). Cela contredit explicitement l’enseignement de l’Eglise que nous avons rappelé plus haut. Un catholique qui est devenu apostat, hérétique ou schismatique (3) a choisi de quitter de l’Eglise et la Communion des saints. Par conséquent – et c’est une chose évidente, sauf pour François visiblement – il est faux de dire que personne ne peut s’exclure de l’Eglise.

Passons au second propos :

« Considérons, chers frères et sœurs, qu’en Christ personne ne pourra jamais vraiment nous séparer de ceux que nous aimons parce que le lien est un lien existentiel, un lien fort qui est dans notre nature même;  seule la manière d’être ensemble les uns avec les autres change, mais rien ni personne ne peut rompre ce lien. [François se met à la place d’un fidèle s’adressant à lui] « Saint-Père, pensons à ceux qui ont renié la foi, qui sont apostats, qui sont les persécuteurs de l’Église, qui ont renié leur baptême : sont-ils aussi chez eux ? » Oui, ceux-là aussi. Tous. Les blasphémateurs, tous. Nous sommes frères. C’est la communion des saintsLa communion des saints unit la communauté des croyants sur la terre et au ciel, et sur la terre les saints, les pécheurs, tous».

Il y a là une double contradiction avec la Communion des saints, telle que l’Eglise nous l’enseigne.

D’abord François dit que les blasphémateurs sont dans cette Communion. Un blasphémateur catholique (mauvais pour sûr), s’il n’est « que » (4) blasphémateur, ne perd pas pour autant sa qualité de membre de l’Eglise catholique. Ainsi, nous l’avons vu, il ne serait pas privé entièrement des bienfaits de la Communion de saints car, appartenant toujours au Corps de l’Église, il bénéficierait de grâces de conversion. Toutefois, il est impropre de dire qu’il est unit à ceux qui profitent du trésor de la Communion des saints : son état de péché empêche l’union, la communion et l’échange des biens surnaturels. Il est séparé du lien de la charité qui unit tous les fidèles en état de grâce.

Ensuite, François prétend que les apostats qui sont persécuteurs de l’Eglise appartiennent à la Communion des saints. C’est la déclaration la plus scandaleuse du discours, et elle s’oppose au mot près à la doctrine catholique si clairement exposée par saint Pie X dans son catéchisme. Alors que le Chef invisible de l’Eglise catholique, Notre-Seigneur, distingue et sépare le bon grain (les enfants du Royaume) de l’ivraie (les fils d’iniquités), celui qui se présente comme son Vicaire sur la terre affirme que les apostats endurcis sont unis avec Jésus, la Sainte Vierge et tous les saints : assertion monstrueuse. Les fondements de cette fausse doctrine ne sont pas à chercher bien loin, François croît que le lien qui unit l’homme au Christ se trouve dans la nature même de l’homme. Pour lui, ce n’est pas la grâce communiquée par Dieu qui nous unit au Christ ; ce n’est pas par une élévation de la nature humaine à l’ordre surnaturel que nous participons à la vie divine. Dès lors pourquoi distinguer ceux qui ont la grâce (les bons, les saints) de ceux qui ne l’ont pas (les méchants) ?


Les propositions de François sur la Communion des saints sont-elles hérétiques ?

La Communion des saints est un des douze articles de Foi du Symbole des Apôtres, appelé aussi Credo. Le Symbole des Apôtres contient et résume les principales vérités révélées par Dieu. Elles s’appellent vérités de foi, nous dit le Père Dragonne dans son explication du catéchisme de saint Pie X, parce que nous devons les croire d’une foi absolue, étant enseignées par Dieu qui ne peut ni se tromper ni nous tromper. Le Symbole des Apôtres, avec celui de Nicée Constantinople et de saint Athanase, est l’un des principaux Symbole de Foi que l’Église enseigne à ses fidèles. « Il peut être considéré comme l’œuvre des Apôtres dans ce sens qu’il représente la doctrine ou plutôt la substance des vérités qu’ils enseignaient aux catéchumènes et qu’ils exigeaient comme profession de foi avant le Baptême » (abbé Boulenger, La Doctrine Catholique).

De là, nous pouvons facilement déduire que les propositions de François sur la Communion des saints sont hérétiques : elles s’opposent à un dogme de Foi, à une doctrine présentée comme révélée par l’Eglise.

Cet imposteur n’en est pas à son coup d’essai et il ne s’agissait pas ici de prouver que François n’a pas l’autorité pontificale, la démonstration a déjà été faite (il suffisait, d’ailleurs, de constater qu’après son élection au pontificat il ne reniait rien du concile vatican II et ses suites). Mais il nous semblait utile de mettre en lumière cette opposition flagrante (une de plus) entre la doctrine de ce faux pape et celle de l’Eglise catholique, laquelle doit être connue et défendue par les catholiques.

De même que pour garantir l’intégrité du corps il faut fuir le pestiféré, pour garantir l’intégrité de la Foi il faut fuir l’homme de mauvaise doctrine. Nous n’avons plus qu’à dire aux conciliaires ou autres catholiques en communion avec François : fuyez sans plus attendre, rompez ce lien qui vous fait prendre le risque grave d’être privé d’une communion bien plus importante pour le salut de votre âme : la Communion des saints.

Hugo C.


(1) Par « membre mort » de l’Eglise il faut entendre ceux qui sont morts spirituellement, c’est-à-dire privé de la vie divine. Ils sont membres du Corps de l’Eglise mais pas de son Âme, c’est-à-dire le Corps Mystique du Christ. A ne pas confondre avec les défunts qui, s’ils sont au paradis ou purgatoire, sont des membres vivants de l’Eglise. 

(2) Un non-catholique peut toutefois appartenir à l’Ame de l’Église en cas d’ignorance invincible et s’il est sans péché mortel. Mais il ne faut pas laisser croire, car ce serait ruiner la doctrine de la visibilité de la vraie Eglise, que la quasi-totalité des membres d’une fausse religion sont excusés par l’ignorance invincible. De plus, la Foi seule ne suffit pas pour être en état de grâce : encore faut-il que celui qui ignore invinciblement que le catholicisme est la vraie religion soit sans péché mortel, ce qui implique de vivre comme un juste. Son état de grâce, et donc aussi son Salut, sont loin d’être assurés car il est « privé de tant et de si grand secours et faveurs célestes dont on ne peut jouir que dans l’Eglise catholique » (Pie XII, Mystici Corporis). Pour plus d’explication sur le sujet de l’ignorance invincible voir Lettres à quelques Evêques, pages 27 à 35).

(3) Les apostats sont les baptisés qui renient, par un acte extérieur, la foi catholique qu’ils professaient auparavant ; Les hérétiques sont les baptisés qui s’obstinent à ne pas croire quelque vérité révélée par Dieu et enseignée par l’Église : tels sont les protestants ; Les schismatiques sont les baptisés qui refusent obstinément de se soumettre aux Pasteurs légitimes et qui, pour cette raison, sont séparés de l’Église, même s’ils ne nient aucune vérité de foi (Catéchisme de saint Pie X).

(4) Si cela était possible, nous aurions ajouté mille guillemets : le blasphème est un péché très grave.

Faut-il absolument être uni aux évêques ?

Retour sur une objection au sédévacantisme

Depuis quelques temps, certains estiment avoir trouvé l’argument d’autorité définitif contre le sédévacantisme dans l’exhortation Pastoris Aaeterni de Léon XII (26 juillet 1826) contre la Petite-Eglise anticoncordataire :

« Car, comment l’Église sera-t-elle pour vous une mère, si vous n’avez pas pour pères les Pasteurs de l’Église, c’est-à-dire les évêques ? (…) L’Église catholique est une ; elle n’est point déchirée, ni divisée. Votre Petite Église ne peut donc en aucune manière appartenir à l’Église Catholique. Car, de l’aveu même de vos maîtres, ou plutôt de ceux qui vous trompent, il ne reste plus aucun des évêques français qui soutienne et qui défende le parti que vous suivez »

Il s’agirait donc de dire : puisqu’aucun évêque n’a refusé Vatican II, et qu’aucun évêque n’a soutenu le sédévacantisme, c’est une preuve absolue que le sédévacantisme est faux, et que « l’Eglise sédévacantiste » est une secte schismatique. Les comparaisons vont bon train entre les sédévacantistes et la Petite-Eglise, qui sont présentés comme des phénomènes similaires en tout point. Nous souhaitons revenir brièvement sur chacun de ces points, et expliquer :

1) Concernant l’enseignement du pape Léon XII

  • Que Léon XII ne donne pas formellement un enseignement sur la nécessité d’être uni aux évêques en toutes circonstances, mais donne un argument ad hominem aux membres de la Petite-Eglise. Il faut se souvenir que le point de départ du schisme de la Petite-Eglise est la prétendue « fidélité aux évêques » : certains évêques ayant courageusement combattu contre la Révolution ont été déposés par le pape Pie VII à la suite du concordat. Pie VII avait dû accepter plusieurs concessions pour que l’Eglise catholique puisse retrouver une vie normale et que la paix puisse exister entre l’Eglise et l’Etat, la déposition de certains évêques jugés trop légitimistes en faisait partie. La mentalité gallicane étant répandu partout en France à cette époque, certains prêtres et fidèles y ont vu un « abus » de la part du pape, et ont prétendu que le pape n’avait pas le droit de déposer les évêques s’ils n’avaient pas commis une faute grave. Etant donné que le point de départ de leur schisme est le soutien à certains évêques déposés, Léon XII leur fait remarquer qu’il n’y a plus aucun évêque en France qui les soutienne, qu’ils sont donc dépourvus de ce qui faisait leur raison d’être
  • Qu’il est évident que l’union aux évêques, que Léon XII présente comme la marque de la catholicité, est relative à l’union des évêques au pape. Lorsque Léon XII dit « comment l’Eglise sera-t-elle pour vous une mère (…) si vous n’avez pas pour père les pasteurs de l’Eglise, c’est à dire évêques ? », veut-il dire par exemple qu’un russe doit avoir pour père le patriarche schismatique de Moscou ? Evidemment non. Lorsque le magistère parle de la soumission aux évêques, il parle évidemment des évêques qui sont en communion avec le souverain pontife : pas des évêques considérés indépendamment de ce critère de la soumission au pape, sinon il faudrait soutenir contre l’absurde que les évêques schismatiques doivent être nos pasteurs et nos pères. A l’époque de Léon XII, les évêques catholiques étant unis à un vrai pape, il était en effet nécessaire de leur être soumis comme à des successeurs des apôtres pour être catholique. C’est bien différent si l’ensemble des évêques se trouvent être unis à quelqu’un qui n’est pas pape.
  • Qu’il est évident qu’il ne faut pas, à tout prix et en toutes circonstances, être uni à l’unanimité morale des évêques pour être catholique. Nos contradicteurs auraient-ils oublié qu’à l’époque de saint Athanase, la majorité des évêques étaient ariens ? Il n’est pas soutenable de présenter ce critère de majorité (ou même d’unanimité) de l’épiscopat comme règle absolue de la vérité. C’était probablement ce que faisaient les ariens pour justifier leurs hérésies à l’époque : la plupart des grands sièges épiscopaux étaient acquis à l’arianisme, c’est le signe que c’est une doctrine « d’Eglise ». Ceci est évidemment fallacieux. Le raisonnement de nos contradicteurs consisterait à dire : puisque la majorité des évêques étaient unis à Paul VI, alors c’est une preuve qu’il était véritablement pape. Pourtant le raisonnement catholique doit être l’inverse : il faut établir que Paul VI est pape d’abord, car il n’est pas garanti que les évêques soient infaillibles pour ce qui regarde le fait de savoir qui est réellement pape ou non.

2) Concernant la comparaison entre le sédévacantisme et la Petite-Eglise

  • Que la Petite-Eglise se base sur les hérésies du gallicanisme pour justifier sa rébellion. Nous disions plus haut que le point de départ de ces « dissidents » est l’idée que le pape n’a pas le droit de déposer un évêque sauf dans certaines circonstances. Leur schisme est basé sur deux erreurs : 1) l’idée que les évêques ont une juridiction autonome de celle du pape, au lieu d’avoir une juridiction déléguée par lui (idée aujourd’hui chère aux sectateurs de Vatican II, avec leur « collégialité » et leur théorie du sacre donnant la juridiction) ; 2) l’idée que le pape n’a pas le droit d’empiéter sur cette autorité sacrée, puisqu’elle vient de Dieu directement. Le magistère de l’Eglise réprouve absolument cette fausse conception de la juridiction épiscopale.
  • Qu’à l’inverse le sédévacantisme se base sur la doctrine « ultralmontaine », le respect et la soumission due au Pape, et la fidélité au magistère infaillible de l’Eglise. Quoi de commun entre une doctrine qui prétend que le « droit divin des évêques » est inviolable et que même le pape ne peut pas y toucher, et une doctrine qui défend qu’il est impossible que le pape contredise un autre pape dans l’exercice de son magistère ? Voici le point de départ du sédévacantisme : 1) Vatican II enseigne des erreurs qui tombent sous l’anathème de l’Eglise (ex. liberté religieuse), 2) Or il est impossible qu’un pape promulgue de telles erreurs, 3) et pour sauver son âme, un catholique doit être sincèrement et universellement soumis au pape, 4) donc on ne peut pas en même temps dire que Vatican II est erroné et dire que Paul VI est pape, ni dire que Paul VI est pape et en même temps lui « résister » en refusant ses lois liturgiques par exemple. Ce qui distingue les sédévacantistes des conciliaires est une fidélité plus grande à l’infaillibilité du souverain pontife (puisqu’à présent l’immense majorité des conciliaires prétend que le syllabus de Pie IX n’était pas infaillible, par exemple). Ce qui distingue les sédévacantistes des autres traditionnalistes, est cette même fidélité couplée à la conscience de la nécessité d’être soumis au souverain pontife en toutes choses (pas seulement dans son magistère, mais aussi dans toutes ses lois et même dans des matières non-infaillibles). Quelle ressemblance avec la doctrine de la « Petite Eglise » ? La comparaison ne résiste pas à un examen sérieux des doctrines et des intentions des deux groupes.
  • Qu’il est impossible de démontrer que nous adhérons à une hérésie ou que nous avons du mépris pour l’autorité ecclésiastique légitime. Nos contradicteurs nous reprochent principalement deux « hérésies » ou « attitudes schismatiques » :
    • Le rejet de « l’acceptation pacifique et universelle » (APU) comme signe certain du pontificat de Paul VI
    • Le rejet de l’enseignement de la majorité des évêques (qui ont accepté Vatican II), ou du moins le fait de ne pas être soumis à cette majorité des évêques – ce qui serait une sorte d’hérésie d’après leur interprétation de Pastoris Aeterni.
  • Mais en quoi de telles choses peuvent constituer des hérésies ? Une hérésie est un enseignement qui contredit les définitions du magistère de l’Eglise. Or il n’existe à notre connaissance aucune définition magistérielle sur l’APU, bien que cette doctrine soit effectivement présente dans l’enseignement de nombreux théologiens (notre point n’est pas de donner ici une réponse de fond, simplement de discuter du fait qu’il s’agisse d’un enseignement magistériel). Le problème est que ces théologiens n’enseignent pas tous la même chose sur l’APU, et leur langage n’est pas suffisamment précis pour que toute question et toute réflexion théologique soit absolument tranchée par leur enseignement. Est-ce que l’APU concerne simplement la validité l’élection, ou bien l’autorité ? (les deux notions étant distinctes dans la théologie catholique, cf. les explications de saint Antonin sur la distinction entre la papauté matérielle et la papauté formelle). Est-ce que l’APU implique une simple ratification extérieure de l’élection, ou bien une soumission réelle au pape en tant que docteur et législateur ? Il n’y a tout simplement aucune définition magistérielle sur le sujet, de telle sorte que si je voulais « rétracter mon hérésie » sur l’APU, je ne saurais même pas précisément ce que je dois rétracter. Je n’ai d’ailleurs jamais prétendu que je refusais la doctrine des théologiens sur l’APU, il est possible de lui donner un sens compatible avec la situation actuelle de l’autorité dans l’Eglise. Surtout, nous ne nions pas le fondement de cette doctrine qui est l’indéfectibilité de l’Eglise catholique et l’impossibilité que tous les catholiques soient trompés par un faux pape sans qu’il n’y ait de moyen de se rendre compte de la tromperie [1]. Concernant l’infaillibilité des évêques considérée indépendamment du pape, il en va de même, ce n’est pas un enseignement magistériel (nous évoquons le sujet plus loin).
  • Enfin concernant le mépris pour l’autorité légitime, je porterais à la connaissance de nos contradicteurs le fait que la majorité de ceux qui sont devenus « sédévacantistes » dans le courant des années 1970-1980 ont dans un premier temps tenter d’expliquer Vatican II en continuité avec le magistère de l’Eglise, et défendu l’idée que « le pape » était dépassé par les « abus » choquants qui avaient eu lieu suite à Vatican II. Il est normal que la présomption aille dans ce sens, pour un catholique qui est habitué à respecter l’autorité légitime. Mais cette position ne peut être légitimement soutenue que si l’on est dans l’ignorance de ce que Vatican II enseigne réellement par rapport à l’enseignement antérieur de l’Eglise, et dans l’ignorance de l’attitude de Paul VI et de ses successeurs à l’égard des prétendus « abus » incontrôlés. Ne pouvant pas refuser la réalité, certains ont fini par accepter le constat de la vacance du Saint-Siège, parce que c’était une exigence logique, pas pour le plaisir de privilégier leurs opinions personnelles à celles de la hiérarchie apparente.

3) Concernant l’acceptation de Vatican II par les évêques

  • Qu’il s’agit en effet de l’objection ou de la difficulté la plus sérieuse au sédévacantisme. Nous ne balayons pas cette objection d’un revers de la manche comme s’il s’agissait d’une chose insignifiante ou facile à écarter. Comme nous le disions plus haut, nous ne basons pas notre position sur une sorte de mépris de principe pour la hiérarchie, donc le fait que la hiérarchie ait massivement adhéré à Vatican II mérite sérieuse réflexion. Il est en effet une grave difficulté de constater que la plupart des évêques ont accepté Vatican II, qu’ils ont accepté Paul VI et ses successeurs comme papes. Aucun théologien n’aurait pu imaginer qu’une telle chose arrive, que l’épiscopat tombe presque unanimement dans une telle défection.
  • Mais que l’on peut répondre à ce problème en conformité avec la doctrine catholique
    • Parce que l’infaillibilité des évêques est relative à la soumission au pape. Lorsque le magistère de l’Eglise parle de l’infaillibilité des évêques, c’est toujours d’une manière relative à celle du pape, dans le sens que l’unanimité morale des évêques en union avec le pape donnent aux fidèles un magistère infaillible. De sorte qu’il serait théoriquement possible que tous les évêques ensemble adhèrent à une autre règle de foi que le pape, en prenant pour le pape un usurpateur, et donc n’enseignent pas infailliblement. Si par ailleurs il est évident que l’usurpateur enseigne des hérésies alors qu’il devrait être infaillible, il est donc évident qu’il n’est pas pape, les fidèles catholiques ne sont pas privés de toute possibilité de discernement à cet égard.
    • Parce que la doctrine sur l’indéfectibilité du corps épiscopal est une opinion théologique. Un certain nombre de théologiens ont donné une extension nouvelle à l’infaillibilité des évêques en disant qu’elle existe même indépendamment du pape. Il s’agirait de dire par exemple que même en cas de vacance prolongée du siège apostolique, le corps épiscopal constituerait toujours un sujet d’enseignement infaillible, qu’il n’est pas possible que ce corps uni des évêques fasse défection de la foi catholique, et qu’un enseignement de l’unanimité morale des évêques doit recueillir l’assentiment des fidèles même s’il n’est pas évident qu’ils soient tous unis au pape. C’est une pieuse opinion, mais ce n’est pas un enseignement magistériel. Nous voudrions y croire : mais contra factum non fit argumentum, contre les faits il n’y a pas d’arguments. On ne peut pas nier des évidences sous le prétexte d’être fidèle à une opinion théologique, si pieuse et soutenable fût-elle considérée indépendamment des faits qui lui sont opposés. Si l’on voulait choisir une opinion contre une réalité évidente, cela ne procéderait que d’une apparence trompeuse de piété, puisque la véritable piété inclut le zèle pour la vérité.
    • Parce qu’il est possible d’expliquer que la succession apostolique continue malgré la défection de l’épiscopat (thèse de Cassiciacum). La plupart de ceux qui refusent le sédévacantisme le font parce qu’il s’oppose apparemment à la visibilité de l’Eglise, à son indéfectibilité et à sa perpétuité jusqu’à la fin des temps. C’est effectivement la seule objection de fond au sédévacantisme, puisque l’indéfectibilité et la perpétuité de l’Eglise dans tous ses éléments essentiels, et pas simplement dans son aspect mystique et invisible, est un dogme de foi. Celui qui nie cette perpétuité de l’Eglise dans son aspect visible et institutionnel est un hérétique. Il faut donc pouvoir expliquer comment, d’une part, Paul VI n’était pas pape ni ses successeurs puisqu’ils enseignent des erreurs et détruisent l’Eglise, et comment d’autre part l’Eglise catholique en tant qu’institution n’a pas « disparu » et qu’il reste possible, jusqu’à la fin des temps, de retrouver un successeur légitime de saint Pierre sur le Siège Apostolique. La thèse de Cassiciacum y répond en se basant sur la philosophie thomiste et sur les explications de quelques savants théologiens : la hiérarchie de l’Eglise et la succession apostolique de juridiction continue d’exister materialiter chez les conciliaires, et il suffit que les hiérarques conciliaires rejettent Vatican II pour retrouver la juridiction formelle pour laquelle ils ont été légitimement désignés [pour plus d’explications, voir ce lien]. Ceux qui prétendent qu’il est impossible que l’Eglise subsiste sans qu’il y ait en son sein une hiérarchie formelle et une juridiction en acte ne se basent pas sur le magistère : la thèse explique suffisamment que les définitions du magistère peuvent se limiter à l’aspect matériel [2]. Ceux qui prétendent que la hiérarchie de juridiction se perpétue chez les « évêques sédévacantistes » ne se basent pas non plus sur le magistère, mais se basent plutôt sur des opinions téméraires et imprécises qui les rapprochent des conciliaires et de leur fausse conception de la juridiction épiscopale, et les propulse tout droit vers la consommation d’un nouveau schisme (aucun de ces évêques n’a le droit d’élire un pape, par conséquent leur « conclave » serait absolument sans valeur et schismatique, parce qu’il instituerait une hiérarchie en dehors de la véritable Eglise fondée par Jésus-Christ sur saint Pierre : il n’est pas possible de soutenir que les évêques sédévacantistes ont une juridiction ordinaire, ce qui les rendrait susceptible d’élire le pape en l’absence de cardinaux d’après saint Robert Bellarmin – la juridiction ordinaire vient toujours du pape, et certainement pas du sacre épiscopal, or il n’y a pas de pape actuellement donc pas de juridiction ordinaire possible).
    • D’autre part, il n’existe aucune unanimité de l’épiscopat sur l’enseignement de Vatican II, ce qui réduit l’argument de la soumission aux évêques à quelque chose de purement extérieur et légaliste. Nos contradicteurs insistent sur le fait que tous les évêques, même ceux qui ont rejeté Vatican II ensuite, ont signé les textes du Concile préalablement à leur promulgation. C’est vrai, en effet, qu’ils ont tous signé y compris Mgr Lefebvre, Mgr de Castro-Mayer et Mgr Ngo Dinh Thuc. Pour eux, ce fait est suffisant pour que s’applique leur conception de l’infaillibilité des évêques et de la nécessité de leur être soumis. Si l’on se borne à ce critère purement extérieur, la position a une certaine apparence de validité. Mais si l’on s’avise de regarder plus profondément ce qui pourrait constituer un « enseignement de l’épiscopat » sur Vatican II, puisque l’on part du principe que tous les évêques ensemble sont infaillibles, on réalise mieux la faiblesse de cette position, étant donné que :
      • L’épiscopat ne s’accorde même pas pour savoir ce que Vatican II enseigne réellement. C’est dommage si l’on veut prétendre que l’enseignement des évêques est le critère de la vérité.
      • Il existe en réalité au moins quatre attitudes complètement différentes à cet égard, qui impliquent toutes une sorte de rejet pratique de Vatican II :
        • Les conservateurs qui ont déploré la promulgation de Vatican II, qui ont lutté contre les progressistes pendant le Concile (cf. le Coetus internationalis patrum dont faisaient partie notamment de nombreux évêques brésiliens), et qui ont essayé désespérément de trouver un sens catholique aux définitions ambigües de Vatican II, pour réfuter les progressistes ;
        • Les conservateurs qui ont finalement rejeté ouvertement Vatican II et refusé son application (cf. les trois évêques que nous avions cité) ;
        • Les progressistes qui se réjouissent de la promulgation de Vatican II mais déplorent quelques « extravagances » et quelques « dérapages » dans son application, comme s’ils n’étaient pas contenus dans les textes même de Vatican II ou les directives disciplinaires qui l’ont accompagné ;
        • Les progressistes qui estiment que Vatican II est un bon début mais qu’il faut aller encore beaucoup plus loin dans la subversion du catholicisme et la fusion entre l’Eglise et le monde moderne.
    • Chacune de ces quatre positions implique un certain degré de rejet de Vatican II. La première position implique d’interpréter Vatican II, comme s’il était possible « d’interpréter » le magistère, dans un sens contraire à son sens apparent, ce qui est une posture de libre-examen bien que l’intention ne soit pas protestante. La troisième position prétend que Vatican II ou la nouvelle règlementation liturgique ne permettent pas les « abus », ce qui est encore une interprétation subjective (et fausse) des textes. Vatican II est, dans l’ensemble, suffisamment flou et suffisamment captieux pour permettre à tout le monde se s’y retrouver, soit qu’on veuille lui donner un sens orthodoxe, soit qu’on veuille lui donner un sens hérétique, ainsi sont également les lois liturgiques qui par leur nature même permettent ou même encouragent les abus fustigés par les conservateurs [3]. Mais comme chacun refuse certains aspects de Vatican II, on pourrait conclure sans discrédit que tous les évêques conciliaires ont rejeté Vatican II d’une manière ou d’une autre. Donc mettons que je veuille être « soumis à l’épiscopat » concernant Vatican II : la seule chose que je pourrais faire, c’est de me borner à une sorte d’acceptation extérieure et superficielle de la validité de Vatican II, puis conserver mon opinion privée sur le véritable sens de Vatican II. Est-ce cela, le catholicisme ? Est-ce cela, la soumission à la hiérarchie ecclésiastique et le fait d’avoir pour pasteurs et pour pères les évêques ? Ce n’est rien de plus que la conception janséniste de la soumission à l’Eglise : pourvu que l’on signe les formulaires et que l’on ait l’air extérieurement et légalement unis à la hiérarchie, on est un bon catholique, et on peut se réserver en privé le droit de penser ce que l’on veut sur ces formulaires et ces enseignements. Nos contradicteurs sont d’autant plus légalistes qu’ils regardent comme rien le fait que quelques évêques comme Mgr Lefebvre ont ensuite rejeté Vatican II et regretté leur signature des documents : pour eux cela ne compte pas, tout ce qui importe est la signature, c’est à dire l’acte extérieur et superficiel d’adhésion à Vatican II, quoi que cela puisse signifier intrinsèquement.

Conclusion

L’utilisation de Pastoris Aeterni par les adversaires du sédévacantisme est abusive, parce qu’elle néglige certaines distinctions élémentaires : les évêques sont « pasteurs et pères » des fidèles pourvu qu’ils soient unis au pontife romain, et pas simplement par le fait qu’ils sont évêques (sinon, il faudrait considérer les centaines d’évêques schismatiques comme nos pasteurs et nos pères : cela n’a aucun sens, ils sont séparés de l’Eglise). Il n’existe pas d’infaillibilité du corps épiscopal indépendante de de l’infaillibilité du pontife romain, auxquels les évêques doivent être soumis pour enseigner collectivement de manière infaillible. L’essentiel de la discussion sur la validité du sédévacantisme reste donc, et restera toujours, de savoir si Paul VI était réellement pape ou non, pas de savoir ce que les évêques ont pensé de Paul VI (d’autant plus que ceux-ci ont eu, sur Paul VI et sur Vatican II, des opinions diverses et irréconciliables, il n’existe aucun consensus de l’épiscopat sur la nature de l’enseignement de Vatican II). La ressemblance entre la « Petite-Eglise » et les groupes sédévacantistes ne supporte pas une comparaison sérieuse : les premiers sont gallicans, les seconds sont ultramontains et ne peuvent pas être convaincus de rejeter un enseignement du magistère de l’Eglise (du moins pour ce qui concerne la question de la vacance actuelle du Saint-Siège : certains sédévacantistes sont peut-être hérétiques sur d’autres sujets, mais c’est leur problème personnel, et pas le problème de cette question de savoir si Paul VI et ses successeurs sont réellement papes). Ceux qui adoptent cette posture, qui consiste à dire qu’il faut être extérieurement soumis à la « l’unanimité morale des évêques » pour être catholique, ont en réalité une conception purement légaliste de la soumission à l’Eglise, qui ne regarde que le for externe et pas le for interne, puisque chacun se réserve au for interne une sorte de droit de penser ce qu’il veut de Vatican II. En quoi cette position diffère de celle des serpents jansénistes, qui prétendaient être de bons catholiques tant qu’ils avaient l’air extérieurement unis à l’épiscopat et à la papauté ? Cela n’a rien à voir avec le véritable esprit catholique d’obéissance à la hiérarchie et de soumission au magistère infaillible de l’Eglise.

Jean-Tristan B.


[1] En tout état de cause, le plus important demeure le fondement de la doctrine sur l’APU, qui est l’indéfectibilité de l’Eglise. Ce caractère indéfectible implique en effet l’impossibilité radicale, en raison des promesses de Notre-Seigneur, que les membres de l’Eglise soient, à cause de l’usurpation du trône de saint-Pierre par un faux pape, privés de tout critère objectif pour refuser leur adhésion à l’erreur religieuse (dans ce cas toute l’Eglise adhérerait à une fausse doctrine et ferait défection, ce qui évidemment impossible). Ce n’est pas le refus de l’APU mais la négation de cette « impossibilité radicale » qui constitue une hérésie, or cette impossibilité nous y adhérons et la professons publiquement. La position sédévacantiste ne lui est pas contraire et le refus de l’APU n’implique pas la négation de l’indéfectibilité de l’Eglise. Le Cardinal Billot, qui soutient l’APU, dit que « l’adhésion de l’Église universelle est toujours à elle seule le signe infaillible de la légitimité de la personne du Pontife, et donc de l’existence de toutes les conditions requises à cette légitimité ». Il affirme ensuite que la raison de ceci est que, dans le cas contraire, les portes de l’enfer auraient prévalu contre l’Église. Cela se comprend puisque, selon l’éminent théologien, « ce serait en effet la même chose, pour l’Église, d’adhérer à un faux Pontife que d’adhérer à une fausse règle de foi […] le Pape [étant] la règle vivante que l’Église doit suivre en croyant, et de fait suit toujours ». L’abbé Lucien a déjà apporté une réponse tout à fait convaincante sur ce point et que voici : « L’impossibilité absolue à laquelle se réfère implicitement le cardinal Billot c’est que l’ensemble des fidèles adhèrent à une doctrine fausse : cela relève immédiatement de l’indéfectibilité de l’Eglise. Or, la reconnaissance d’un faux pape n’est pas encore l’adhésion à une doctrine fausse. Ladite reconnaissance ne peut entraîner une telle adhésion que dans le cas d’un acte magistériel contenant une erreur. Mais nous avons vu qu’il existait un critère intrinsèque de discernement, accessible à tout fidèle : la non-contradiction par rapport à tout ce qui est déjà infailliblement enseigné par l’Eglise. L’indéfectibilité de l’Eglise implique très certainement qu’un éventuel “faux pape” (tenu pour vrai par tous) ne puisse définir faussement un point de doctrine librement discuté jusqu’alors dans l’Eglise. Dans le cas contraire en effet, les fidèles seraient privés de tout critère objectif pour refuser leur adhésion à l’erreur : ils seraient donc inéluctablement induits en erreur et l’indéfectibilité de l’Eglise serait atteinte (telle est la ‘part de vérité’ de la thèse du cardinal Billot). Mais l’indéfectibilité de l’Eglise ne s’oppose pas à ce qu’un faux pape prétende enseigner officiellement un point déjà infailliblement condamné par l’Eglise. Bien au contraire, c’est alors le signe infaillible que ce faux pape ne possède pas l’Autorité pontificale divinement assistée : ne pas conclure à cette absence d’Autorité, c’est refuser la Lumière providentiellement accordée ». Si nous ne sommes pas d’accord pour dire qu’adhérer à un faux pontife implique forcément l’adhésion à une fausse règle de la Foi, nous demeurons d’accord sur le fondement invoqué par Billot : oui, il est impossible que toute l’Eglise adhère à une fausse règle de Foi. Seulement, pour maintenir ce point que la Foi nous impose de tenir fermement, il suffit de dire que jamais l’Eglise ne sera privée de critère objectif pour refuser une fausse doctrine. Quand un loup ravisseur (un faux pape) s’introduit dans la bergerie (l’Eglise), les moyens ne manquent pas et ne manqueront jamais pour le débusquer et refuser sa doctrine empoisonnée.

[2] La papauté et l’épiscopat sont perpétuels dans l’Église, nous ne le nions pas. La succession matérielle des sièges suffit pour garantir cette double pérennité : l’élection d’un Pape légitime et le retour de l’Episcopat en acte demeurent possibles. Précisions également que si pour la succession ininterrompue des Papes il suffit d’une continuité morale (c’est-à-dire que les périodes de vacance de siège sont admises et possibles) alors, a fortiori, pour la succession des Evêques une continuité morale suffit : la chose étant admise pour le Chef, on peut l’admettre du Corps Episcopal. Donc puisqu’une vacance (formelle) du Saint-Siège ne s’oppose pas à la perpétuité de la papauté, la vacance formelle des sièges épiscopaux ne s’oppose pas à la perpétuité de l’Episcopat.

[3] L’abbé Cekada a produit une démonstration définitive sur ce point : ce que les conservateurs considèrent comme un abus dans la liturgie, le fait que le centre de la célébration doive être la vie communautaire au lieu d’être Dieu, est véritablement l’enseignement de Paul VI, pas une « mauvaise interprétation de la réforme liturgique ».

Saint François de Sales : précurseur de l’œcuménisme ?


saint François de Sales 6

Paul VI a affirmé, à l’occasion de la publication de sa lettre Sabaudiae Gemma (1967), lors du 400ème anniversaire de la naissance de Saint François de Sales :

Vous connaissez certainement ce saint. C’est l’une des plus grandes figures de l’Église et de l’Histoire. Il est le protecteur des journalistes et des publicistes parce qu’il rédigea lui-même une première publication périodique. Nous pouvons qualifier d’« œcuménique » ce saint qui écrivit les controverses afin de raisonner clairement et aimablement avec les calvinistes de son temps. Il fut un maître de spiritualité qui enseigna la perfection chrétienne pour tous les états de vie. Il fut sous ces aspects un précurseur du IIe concile œcuménique du Vatican. Ses grands idéaux sont toujours d’actualité. 

Cette proclamation est évidemment fallacieuse. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer l’enseignement de Vatican II sur l’œcuménisme avec l’enseignement de l’Église catholique prêché et suivi par saint François de Sales.

Vatican II et l’oecuménisme

Le document Unitatis Redintegratio (1964), ou Décret sur l’Œcuménisme, contient une hérésie flagrante contre le dogme catholique qui enseigne que hors de l’Eglise il n’y pas de salut. Le Concile affirme :

En conséquence, ces Églises et communautés séparées, bien que nous croyions qu’elles souffrent de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut, dont la vertu dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Église catholique.

Unitatis Redintegratio, n. 3

L’Eglise catholique enseigne comme un dogme qu’il n’y a pas de salut hors de l’Eglise. Le Concile affirme la proposition exactement contradictoire au dogme catholique, à savoir qu’il y a un salut hors de l’Eglise catholique, que ces religions non-catholiques peuvent procurer le salut à leurs adhérents, et sont en effet le moyen par lequel ceux-ci sont sauvés.

L’Œcuménisme découle donc essentiellement d’une erreur sur la nature de l’Église. Selon cette fausse théorie, les « églises séparées » (schismatiques et hérétiques) font encore partie de l’unique Église du Christ et participent à ce titre à la communion des saints. Ces communautés séparées, imparfaitement unies à l’Église catholique, n’en seraient pas moins porteuses de grâces et de vérités pour le salut. Par conséquent, elles procureraient aussi le salut. En réalité, L’Église catholique est l’unique et véritable Église de Jésus Christ, seule détentrice et dispensatrice de la doctrine et des moyens du salut. Il est impossible de se sauver en dehors d’elle. Certaines personnes de bonne volonté, sans être des membres visibles de l’Eglise catholique, peuvent être implicitement membre de l’âme de l’Église. Pour cela, il doivent avoir une volonté droite et ignorer de manière non-coupable les vérités de la foi, comme l’enseigne Pie IX. Mais alors ils se sauvent malgré leur religion et pas grâce à celle-ci, comme si elle contenait des « moyens de salut ».

Il existe, bien sûr, ceux qui se trouvent dans une situation d’ignorance invincible concernant notre très sainte religion. Observant avec sincérité la loi naturelle et ses préceptes que Dieu inscrit sur tous les cœurs, prêts à obéir à Dieu, ils mènent une vie honnête et droite, et peuvent, avec l’aide de la lumière et de la grâce divine, acquérir la vie éternelle. Car Dieu voit parfaitement, il scrute, il connaît les esprits, les âmes, les pensées, les habitudes de tous, et dans sa bonté suprême et sa clémence il ne permet point qu’on souffre les châtiments éternels sans être coupable de quelque faute volontaire.

Pie IX, Quanto conficiamur, encyclique à l’épiscopat italien, 10 août 1863 ; DENZINGER (1957) 2865

L’œcuménisme a par exemple conduit à la déclaration doctrinale de Balamand (1993) signée par Jean-Paul II, dans laquelle on peut lire :

L’Église catholique et l’Église orthodoxe se reconnaissent mutuellement comme Églises sœurs et responsables ensemble du maintien de l’Église de Dieu dans la fidélité au dessein divin, tout particulièrement en ce qui concerne l’unité.

Documentation Catholique 90, 1993, 711-714

C’est ce qui faisait dire à ce même Jean-Paul II, apôtre zélé de l’œcuménisme :

Par la grâce de Dieu, ce qui appartient à la structure de l’Eglise du Christ n’a pourtant pas été détruit, ni la communion qui demeure avec les autres Eglises et Communautés ecclésiales

Ut Unum Sint, 1995, n.11

S’il y a plus d’éléments d’unité que d’éléments de division entre l’Église catholique et les groupes hérétiques et schismatiques, pourquoi se faire la guerre ? Si ces groupes procurent aussi les moyens de salut aux âmes, pourquoi être catholique ? Pourquoi se convertir ? Rien ne presse en effet, il suffit de faire le vœu pieux que dans un lointain futur, si par miracle les volontés et les cœurs s’y résolvent, ces « Églises sœurs » se réuniront toutes un jour ! En attendant, chacun est libre de choisir celle qui lui plaît le plus, pourvu qu’il ne lance aucun anathème sur ses frères et qu’il se refuse à tout prosélytisme, quand bien même il serait bien intentionné et convaincu d’avoir raison. C’est une forfaiture empreinte de lâcheté faite sous couvert de bienveillance et d’amour. C’est un refus de prendre en compte la réalité (nous avons une fin dernière objective, il faut l’atteindre par les bons moyens), ce qui exigerait trop de responsabilité. C’est se complaire dans une union factice et hypocrite qui apaise la conscience et permet de se reposer en abandonnant l’effort pour le bien et le zèle pour le salut des âmes. Ce fût exactement l’attitude du « bon pape »… Jean XXIII alors qu’il était encore Mgr Roncalli (extrait de « Un œcuméniste dans les Balkans (1925-1939)  », par M. l’abbé Francesco Ricossa) :

Le Père Tanzella rapporte le cas du journaliste bulgare Etienne Karadgiov. “Orthodoxe”, il s’était présenté à Mgr. Roncalli pour être aidé à poursuivre ses études. Karadgiov nous dit :

« II m’accueillit avec beaucoup de bonté, m’écouta attentivement, et me dit : “très bien, mais on ne doit pas heurter la susceptibilité des orthodoxes. Ils ne doivent pas penser que nous autres les catholiques nous venons ici dans le but de faire du prosélytisme, de vouloir attirer la jeunesse. Les orthodoxes sont nos frères, et nous voulons vivre en harmonie avec eux. Nous nous trouvons dans ce pays pour montrer notre amitié à ce peuple et l’aider. Si tu veux donc étudier en Italie, tu dois d’abord demander l’autorisation à l’Église orthodoxe à laquelle tu appartiens”. J’écrivis, et la réponse fut négative. Mgr. Roncalli jugea opportun de m’envoyer en Italie par l’intermédiaire de l’œuvre Pro Oriente qu’il avait lui-même fondée avec Mgr. Francesco Galloni. L’œuvre avait pour but de financer le séjour en Italie des jeunes catholiques bulgares désirant acquérir des diplômes en ce pays. Moi, j’étais orthodoxe, et Mgr. Roncalli, qui de par sa position ne figurait pas comme fondateur de l’œuvre, fit pour moi une exception. “Un jour viendra, où les diverses Églises seront unies ; ce n’est qu’en s’unissant pour combattre les maux du monde, me dit-il, qu’elles pourront espérer gagner”.

J’ai ensuite étudié en Italie, où j’eus comme camarades d’études et d’internat les parlementaire Bettiol et Fanfani. Mgr. Roncalli suivait de loin mes études, comme si j’avais été son propre fils. Lorsque je parvins à la dernière année, il m’écrivit : “Si tu reviens en Bulgarie avec le diplôme d’une université catholique, comment vas-tu faire pour trouver un emploi ? Tes concitoyens sont presque tous orthodoxes, et ils ne vont pas avoir une grande sympathie pour toi. Je te conseille par conséquent de te présenter dans une Université laïque”. II écrivit au Père Gemelli, recteur de l’Université catholique de Milan, et je passai à Pavie où j’obtins le diplôme.

Entre-temps, j’avais décidé de devenir catholique. Je lui fis part de ma décision, et il me dit : “Mon fils, ne sois pas pressé. Réfléchis. Tu auras toujours le temps de te convertir. Nous ne sommes pas venus en Bulgarie pour faire du prosélytisme” »

Le Père Tanzella rapporte cet épisode comme s’il s’agissait de nouveaux fioretti de St. François. Des fioretti, certes, mais au contraire, dans lesquels la dernière recommandation du Christ : « Allez, enseignez toutes les nations… » n’est pas considérée comme valide. “Il y a toujours le temps” pour entrer dans l’Église, vivre en grâce de Dieu, quitter le schisme et l’hérésie… car un successeur des Apôtres n’est pas envoyé dans le monde “pour faire du prosélytisme” (c’est-à-dire pour convertir), mais pour laisser les âmes dans les ténèbres de l’erreur : voici le nouveau credo œcuméniste de Mgr. Roncalli.

Fidèle à cette lâcheté et infidèle à Jésus-Christ, Bergoglio, quelques années avant d’installer une statue de Luther au Vatican (en 2017, à l’occasion des 500 ans de la réforme), s’exprimait en ces termes auprès de son ami Eugenio Scalfari (journaliste athée du journal La Reppublica) qui retranscrit l’entretien (numéro du 1er octobre 2013) :

Le Pape entre et me serre la main, nous nous asseyons. Le Pape sourit et me dit : « Certains de mes collaborateurs qui vous connaissent m’ont averti que vous allez essayer de me convertir. »

A ce trait d’esprit, je réponds : mes amis vous prêtent la même intention à mon endroit.

Il sourit et répond : « Le prosélytisme est une pompeuse absurdité, cela n’a aucun sens. Il faut savoir se connaître, s’écouter les uns les autres et faire grandir la connaissance du monde qui nous entoure. Il m’arrive qu’après une rencontre j’ai envie d’en avoir un autre car de nouvelles idées ont vu le jour et de nouveaux besoins s’imposent. C’est cela qui est important : se connaître, s’écouter, élargir le cercle des pensée. Le monde est parcouru de routes qui rapprochent et éloignent, mais l’important c’est qu’elles conduisent vers le Bien« .


L’exemple de saint François de Sales

L’œcuménisme tel que défendu par Vatican II a été condamné par Pie XI dans l’encyclique Mortalium Animos (1928). Mais il n’a pas fallu attendre Pie XI pour que les catholiques croient qu’il n’y a point de salut hors de la communion de l’Eglise catholique et romaine, pour qu’ils croient que l’hérésie est une peste mortelle à extirper par tous les moyens, et que pour convertir les hérétiques et les schismatiques il était erroné et dangereux « d’insister sur ce qui nous unit au lieu de parler de ce qui nous divise » : voyons comment saint François de Sales vivait sa foi sur ce point là.

Alexandre VII, dans sa bulle de canonisation rédigée en 1665, écrit :

« En outre, armé du glaive de la parole divine, il attaqua, par ordre de l’évêque, l’hérésie de Calvin qui régnait dans le Chablais et les pays circonvoisins. Il est impossible d’exprimer avec quelle ardeur, quelle constance, quelle allégresse, quelle ferme confiance en Dieu, quelle inébranlable charité pour le prochain, il a combattu l’hérésie et soumis les errants au joug de la vraie foi. »

(IX)

« Jamais il ne prit conseil de la politique mondaine, ni du respect humain; mais se ressouvenant du conseil de l’Evangile, lorsqu’il ne pouvait pas paraître au grand jour et rendre un témoignage public à la foi, il s’abritait quelques instants dans sa solitude, pour reparaître, après un peu de silence, et s’élever plus vivement que jamais contre l’hérésie. »

(XIII)

« il s’appliqua à la défense de l’Eglise avec plus de soin et de zèle que jamais; et, comme on avait mis des obstacles à ce qu’il travaillât à la conversion des hérétiques par le ministère de la prédication, il se mit à les instruire par écrit, et composa plusieurs petits ouvrages de controverse où il attaquait l’hérésie jusque dans ses derniers retranchements. Il fit tant qu’il parvint à ériger une paroisse à Thonon, et que, peu après, il ramena à la lumière de la vérité plusieurs hommes distingués par leur science, dont l’autorité servait d’un grand appui au mensonge, et dont la conversion contribua beaucoup à la propagation de la religion catholique dans ces contrées. »

(XVIII)

« Elevé à cette nouvelle dignité, qui donnait un surcroît d’autorité à son zèle, il se livra tout entier au soin d’augmenter la religion catholique et de diminuer l’hérésie. »

(XXIII)

Pie IX, en 1877, en élevant saint François de Sales au rang de docteur de l’Eglise, écrit :

« Que la doctrine de François ait été très grandement appréciée de son vivant on le peut encore déduire de ceci : de tous les courageux défenseurs de la vérité catholique qui fleurissaient en ce temps-là, Clément VIII, Notre Prédécesseur de sainte mémoire, ne choisit que le seul Evêque de Genève. Il lui ordonna d’aller trouver Théodore de Bèze, propagateur passionné de la peste calviniste, et d’agir avec celui-ci dans le seul but qu’une fois cette brebis ramenée au bercail du Christ, il en reconduisit beaucoup d’autres. François, non sans péril pour sa vie, s’acquitta si bien de sa mission que l’hérétique, troublé dans son bon droit, confessa la vérité. Pourtant, au regard de son crime et, le jugement de Dieu lui demeurant impénétrable, il s’estima indigne de revenir dans le giron de l’Eglise. »

« Il est également manifeste que lui-même résolut beaucoup de questions avec une abondance de doctrine auprès des Pontifes Romains, des Princes, des Magistrats et de Prêtres, ses coopérateurs dans le ministère sacré. Son succès fut tel que grâce à son zèle, ses exhortations et ses avertissements, ses conseils furent souvent mis en œuvre et c’est ainsi que des contrées entières furent purgées de la corruption hérétique, le culte catholique rétabli et la religion accrue. »

« En outre, pour vaincre l’obstination des hérétiques de son époque et encourager les catholiques il écrivit, avec non moins de bonheur que sur l’ascétisme, le livre des « Controverses » qui contient une parfaite démonstration de la Foi catholique ; puis il écrivit d’autres traités et discours sur des vérités de Foi et aussi son « Vexillum Crucis. »  Par de tels écrits il combattit si énergiquement pour la cause de l’Eglise qu’il ramena en son sein une multitude innombrable d’égarés et restaura le Foi de fond en combles sur toute la province du Chablais. »

Il n’y a donc rien de commun entre l’œcuménisme de Vatican II fermement condamné par Pie XI et le zèle tout apostolique dont fit preuve saint François de Sales. L’œcuménisme est une démolition de la vérité et de la foi catholique. Pour ses défenseurs, toutes les confessions chrétiennes ont une certaine légitimité, et donc un droit à prendre place, malgré leurs divergences doctrinales, au sein d’une grande et unique église. L’œcuménisme suppose donc une certaine égalité des différentes confessions. D’un point de vue pratique, c’est renoncer à convaincre et à convertir. « Au mieux » (et c’est déjà terrible), c’est renoncer aux droits de la vérité objective sur tous et s’accommoder d’une union purement extérieure. Au pire, c’est renoncer entièrement à la vérité en retranchant des pans entiers de la doctrine pour créer une nouvelle religion convenable pour tous. L’œcuménisme fait  primer l’accord subjectif des hommes ici-bas sur l’adhésion aux vérités objectives de la révélation divine. C’est une forme de naturalisme : refuser notre dépendance envers Dieu et rejeter ses droits pour exalter une union humaine naturelle prétendument suffisante pour le salut. Il se traduit donc nécessairement par le relativisme. En effet, il juge légitimes des vérités contradictoires, en même temps et sous le même rapport. De plus, il nie la possibilité de s’affirmer comme l’unique et véritable Église de Jésus-Christ. Il mène à l’indifférence à l’égard des diverses religions, faisant croire que le salut est possible dans chacune d’elle. A l’inverse, saint François de Sales désirait ramener toutes les âmes égarées dans le giron de l’Église catholique. Il savait que l’Église catholique était l’Église de Jésus-Christ et qu’en dehors d’elle nul ne pouvait se sauver. Il savait que la foi est le socle fondamental sur lequel se bâtit tout l’édifice des vertus surnaturelles qui mènent au vrai Dieu. Il n’a jamais fait d’accommodements sur les principes de la foi, il les a exposés avec zèle et charité. Il n’a jamais jugé qu’un hérétique fût dans son bon droit, encore moins que sa secte était une partie de l’Église de Jésus-Christ. Il n’a jamais, comme Mgr. Roncalli, Wojtyla (Jean-Paul II) ou Bergoglio, refusé de faire du prosélytisme. Il aimait trop les âmes pour cela, il avait un désir trop ardent de leur salut pour accepter qu’elles se perdissent dans la voie de l’erreur et le chemin de la damnation. Il a donc placardé ses écrits contre les protestants sur les murs de Chablais, a fini par convertir la population et a été loué par l’Église pour cela.

Mathis C.


Modernisme et faux visionnaires : l’enfer vide

Hans Urs von Balthasar et Adrienne von Speyr

Peu de théologien ont acquis une réputation et un renom comparables à celui de Hans von Balthasar dans le monde conciliaire. Il est véritablement une référence et une autorité, et, ce qui nous semble d’autant plus intéressant, il l’est notamment pour les partisans les plus «conservateurs» de Vatican II, qui s’opposent violemment au progressisme : il est connu en effet pour avoir critiqué les dérives de l’église post-conciliaire, et pour avoir fondée la revue de «sensibilité conservatrice» Communio, avec Joseph Ratzinger et Henri de Lubac. Ledit Ratzinger, devenu «Benoît XVI», laisse entendre que ses deux théologiens préférés sont ses amis de longue date von Balthasar et de Lubac. Jean-Paul II était également l’ami personnel de von Balthasar, et lui a offert la dignité cardinalice peu de temps avant sa mort en 1988, pour consacrer son œuvre théologique et lui donner une autorité supplémentaire (comme il l’a fait pour Congar).

Voici ce qu’il dit de lui dans le discours qu’il prononce à l’occasion du «prix international Paul VI» qu’il lui décerne pour sa contribution à la théologie (1984) :

Sa passion pour la théologie, qui a soutenu son engagement dans la réflexion sur les œuvres des Pères, des théologiens et des mystiques, reçoit aujourd’hui une importante reconnaissance. Il a mis ses vastes connaissances au service d’une «intelligence de la foi» capable de montrer à l’homme contemporain la splendeur de la vérité qui émane de Jésus-Christ

https://www.cath.ch/newsf/hans-urs-von-balthasar-theologien-hors-norme-1-2/

Balthasar aurait certainement sa place dans un «top 5» des plus grands théologiens conciliaires (aux côtés de Yves Congar, Henri de Lubac, Joseph Ratzinger et Karl Rahner). Il se distingue de ses collègues précédemment cités par une sorte d’aura de piété et un intérêt particulier pour la mystique ; sa «cause de béatification» a été initiée en 2018 dans le diocèse suisse de Coire.

Or une grande partie de l’immense œuvre de von Balthasar est directement liée aux prétendues visions, révélations et apparitions de son étrange amie Adrienne von Speyr (1902-1967), femme mariée d’origine protestante exerçant la profession de médecin jusqu’en 1954, convertie au catholicisme en 1940 (après avoir été catéchisée par von Balthasar) et revendiquant avoir eu à partir de ce moment des expériences mystiques extraordinaires, une communication quasiment permanente avec l’au-delà. Balthasar était obnubilé par cette voyante : il est allé jusqu’à quitter l’ordre jésuite en 1950, ordre dans lequel il était entré en 1928, pour aller vivre chez von Speyr et son mari, et recueillir quotidiennement le récit de ses expériences mystiques. Il collabore avec elle pendant 27 ans, et vit chez elle pendant 15 ans. Interrogé sur son œuvre, le théologien répond volontiers qu’elle n’est rien par elle-même et que le mérite en revient plutôt à Adrienne von Speyr, chez qui il aurait puisé l’essentiel de sa science des choses surnaturelles. Il a en effet publié environ 60 ouvrages à propos des visions et révélations de von Speyr, dont il est l’unique témoin, dépositaire et commentateur.

Cette manière d’argumenter sur des grandes questions théologiques à partir de visions et de révélations privées, et cette relation «fusionnelle» entre une femme mariée et un prêtre sont tellement singulières et étranges qu’elles suscitent aujourd’hui encore de la méfiance auprès de certains conciliaires, qui n’ont pas tout oublié de la doctrine catholique et de l’esprit de l’Église. Un certain Ralph Martin, professeur de théologie au séminaire du Sacré-Cœur de Détroit (États-Unis), publie en 2014 dans la revue Angelicum un article intitulé «Balthasar and Speyr : First Steps in a Discernment of Spirits». [1] Pour ne pas attaquer trop brutalement cette figure si respectée du monde conciliaire, tant louée et honorée par les «papes», il use de précautions oratoires assez merveilleuses : n’étant pas du tout convaincu de la vérité de la principale thèse de von Balthasar et de von Speyr sur l’impossibilité pratique de la damnation (et à raison, puisque cette thèse contredit au moins l’enseignement ordinaire de l’Église, si elle ne contredit pas formellement certains passages de l’évangile), il propose quelques «réflexions préparatoires», quelques «premiers pas» pour permettre un meilleur «discernement des esprits» sur l’origine surnaturelle des visions d’Adrienne von Speyr et des thèses théologiques qui en sont issues. Pour nous qui ne sommes pas retenus par les mêmes impératifs de respect humain vis à vis des institutions conciliaires, il apparaît que tout ce que rapporte Ralph Martin dans son article est de nature à faire conclure certainement à la fausseté des visions de von Speyr [2]. Nous avons donc un cas d’école de fausses visions et de fausses révélations privées invoquées à l’appui d’une fausse doctrine.


Une doctrine fausse et scandaleuse

Balthasar l’avoue lui-même à demi-mot : cette proposition suivant laquelle la damnation est possible en théorie, mais impossible en pratique (infiniment improbable, suivant les termes que Balthasar reprend à Édith Stein), dont il trouve la confirmation dans les prétendues révélations de Speyr, est le fruit d’un effort visant à concilier l’hérésie de l’apocatastase avec l’enseignement de l’Église. L’apocatastase est une doctrine suivant laquelle à la fin des temps tout sera restauré «dans son ordre originel», ce qui signifie notamment que les démons et les damnés seront pardonnés et participeront à la gloire des bienheureux. Autrement dit, c’est une doctrine suivant laquelle «tout le monde se sauve». C’est une des thèses les plus célèbres d’Origène (185-253), et l’une de celles qui valut à cet auteur d’être anathématisé par le magistère de l’Église catholique, dans le 11e canon du IIe concile de Constantinople (553). Le pape Vigile (537-555) a par ailleurs condamné 9 propositions issues des écrits d’Origène (que l’on peut retrouver dans la compilation de textes magistériels du Denzinger, aux canons 403-410 de l’édition de 1957) ; l’apocatastase est condamnée par le pape en ces termes : «Si quelqu’un dit ou pense que le châtiment des démons et des impies est temporaire, et qu’il prendra fin après un certain temps, ou bien qu’il y aura restauration des démons et des impies, qu’il soit anathème». Les réflexions ultérieures sur l’apocatastase dépassent la simple question du pardon des démons et des damnés pour se concentrer sur la question plus générale du salut universel.

Von Balthasar, fasciné par Origène et en particulier par son eschatologie, veut croire à cette folle doctrine du salut universel, sans pour autant blesser extérieurement l’orthodoxie : il cherche à élaborer un cadre dans lequel on pourrait professer extérieurement l’enseignement de l’Église tout en le minimisant au point de pouvoir croire presque sans concessions à la thèse opposée. Remarquable exercice «d’herméneutique de la continuité» entre Origène et le IIe Concile de Constantinople…

Le fait de savoir si le Concile de Constantinople et le pape Vigile condamnent l’apocatastase et les autres doctrines hétérodoxes de l’origénisme est, paraît-il, l’objet de débats ou de réserves entre théologiens et historiens de l’Église : le canon ne précise aucune doctrine particulière, certes, mais il inclut Origène parmi une liste d’auteurs à anathématiser pour leurs doctrines impies ; nous savons par ailleurs que les débats préparatoires à l’ouverture du Concile ont porté entre autres choses sur l’origénisme, et l’origéniste Théodore de Scythopolis a été contraint de se rétracter suite aux anathèmes du Concile. Quant aux anathèmes du pape Vigile, certains font une difficulté du fait qu’ils aient été écrits par l’empereur Justinien, puis ensuite approuvés par le pape sous la pression de l’empereur qui le maintenait auprès de lui à Constantinople. [3]
Pour ce qui nous intéresse, la thèse du salut universel est si contraire à l’enseignement ordinaire de l’Église et à la sentence commune des théologiens que le débat sur la nature et la portée de l’anathème de Constantinople et des condamnations du pape Vigile nous semble secondaire, du moins nous n’avons pas besoin d’établir la force et la portée de ces condamnations pour prouver que cette thèse est fausse.

Les partisans de cette thèse répondent pour se défendre des accusations d’hétérodoxie qu’il ne s’agit pas d’une véritable doctrine mais d’une «pieuse espérance», dans le sens qu’il n’est pas certain que tous soient sauvés, mais que l’on peut l’espérer raisonnablement eut égard à la miséricorde de Dieu : pourtant, ils se placent bien sur un terrain spéculatif et rationnel en disant que la damnation de quiconque est «infiniment improbable», ce qui est émettre beaucoup plus qu’un simple souhait, comme Ralph Martin le remarque à juste titre. Y a-t-il une différence sémantique entre le fait qu’il soit «infiniment improbable» que des gens se damnent et le fait qu’il soit «certain» que personne ne se damne ? Non à vrai dire … Et quand bien même il ne s’agirait que d’une espérance, elle n’est pas fondée en raison, on pourrait même déjà dire qu’elle est réprouvée par le magistère ordinaire et universel de l’Église.

Que l’on prenne par exemple des extraits du catéchisme de saint Pie X ou du catéchisme du concile de Trente sur la question de la damnation et des damnés : il serait bien étrange d’affirmer que ces paroles auraient encore du sens si les damnés n’existaient que «en théorie» et pas «en pratique».

Comment seront les corps des damnés ?
Les corps des damnés seront privés des propriétés glorieuses des corps des Bienheureux et porteront la marque horrible de leur éternelle réprobation.

Catéchisme de saint Pie X, Chapitre 12, Le onzième article du credo


En quoi consiste le malheur des damnés ?
Le malheur des damnés consiste à être toujours privés de la vue de Dieu et punis par d’éternels tourments dans l’enfer.

Catéchisme de saint Pie X, Chapitre 13, Le douzième article du credo

… une prison affreuse et obscure, où les âmes des damnés sont tourmentées avec les esprits immondes par un feu perpétuel et qui ne s’éteint jamais. Ce lieu porte le nom de géhenne, d’abîme ; c’est l’Enfer proprement dit.

Catéchisme du concile de Trente, Chapitre 6

Le sens premier et évident de ces propositions implique l’existence en acte des damnés, pour aujourd’hui et pour les derniers temps. Si les damnés n’existaient qu’en théorie, le catéchisme aurait dû être réécrit au conditionnel : «le malheur des damnés consisterait à, le corps des damnés serait privé de». A moins de considérer que l’Église réserve cet enseignement «exotérique» de l’enfer et de la damnation au plus grand nombre, aux gens qui auraient besoin d’être effrayés pour pratiquer la vertu, et que seul le petit nombre pourrait comprendre l’enseignement ésotérique de l’absence de damnés en enfer … Les pères de l’Église, les saints, les docteurs et les théologiens ont toujours été à peu près unanimes pour dire non seulement qu’il y avait bien des gens en enfer (ce dont personne ne peut raisonnablement douter en lisant simplement l’évangile), mais encore que le plus grand nombre des hommes se damne : si personne ne peut avancer de chiffre ou de pourcentage avec certitude, tous s’accordent pour dire, en conformité avec l’enseignement de Jésus-Christ lui-même dans la parabole des noces, qu’il y a «beaucoup d’appelés mais peu d’élus» (Mat. XXII, 14) : tous les hommes sont appelés au salut et reçoivent de Dieu les grâces nécessaires et suffisantes pour opérer ce salut, mais la plupart ne répondent pas à l’appel et méprisent la grâce de Dieu. Réalité terrifiante que ne dément pas l’expérience quotidienne du monde : l’endurcissement dans le péché est visible partout, jusqu’à l’article de la mort. Et qui meurt endurci dans le péché se damne : on peut espérer qu’un pécheur endurci se soit secrètement repenti avant de mourir par l’effet d’une grâce spéciale, mais on ne peut pas présumer que ce genre de grâces extraordinaires soient fréquentes. Certains théologiens, comme Suarez, espèrent raisonnablement que le plus grand nombre des catholiques se sauve : ce n’est pas encore affirmer que le plus nombre des hommes se sauve, puisque les catholiques n’ont jamais formé plus de la moitié de l’humanité.

L’enfer d’après Brueghel le Jeune

Si l’Église a enseigné partout et toujours, dans son magistère ordinaire, que les damnés existaient réellement, et même qu’il est probable que le plus grand nombre des hommes se damne par obstination dans le péché, cet enseignement est infaillible et il est vain de se perdre dans des rêveries sur une existence «uniquement théorique» des damnés et de la damnation.

Ce n’est pas simplement vain : c’est dangereux et scandaleux.

Dangereux pour ceux qui y croient : car cela revient à dire qu’ils se croient assurés de leur salut quel que soit au fond leur degré de mérite, ce qui est difficilement dissociable du péché de présomption (selon le catéchisme de saint Pie X, «espérer par présomption se sauver sans mérite» est un des six péchés contre le Saint-Esprit, une faute particulièrement grave donc). Avoir la certitude que l’on aura le degré de mérite suffisant pour se sauver au moment de la mort est en pratique la même chose que de prétendre se sauver sans mérite : dans les deux cas, le salut devient une affaire acquise et sans enjeu, et «la vie continue» sans souci réellement motivé de perfection ou de combat spirituel, sans cette «angoisse du salut» que connaissaient tous les saints (pour eux-mêmes et pour leur prochain), et avec cette espèce de confiance insensée que Dieu ne pourra pas nous refuser le salut quoi que l’on fasse.

Scandaleux pour ceux à qui l’on enseigne cette doctrine : scandaleux au sens premier du terme, c’est à dire occasionnant le péché. Le «petit nombre» des «fervents» qui enseigne et diffuse cette doctrine (ou cette «espérance») du salut universel pourra prétendre qu’elle ne porte pas au laxisme mais plutôt au don généreux de soi à un Dieu si bon et miséricordieux ; pour le «grand nombre» qui entend cet enseignement, nous pouvons être certains que l’effet est tout autre en pratique. Depuis que pour des «motifs pastoraux» les conciliaires se refusent à prêcher sur l’enfer ou diffusent de manière plus ou moins explicite la croyance en un salut facile et universel (croyance très visible dans les cérémonies d’inhumation par exemple), les églises sont vides, les peuples ne croient plus à l’enseignement de l’Église, le nombre des vocations religieuses et sacerdotales est en chute libre : en bref les choses de Dieu ne suscitent plus que de l’indifférence et de la froideur pour le plus grand nombre des baptisés (si déjà ils croient encore en l’existence de Dieu). Il y a évidemment un lien de cause à effet entre ces deux phénomènes : si vous enseignez au peuple, explicitement (en parlant de von Balthasar …) ou insidieusement (en employant une liturgie joyeuse et une prédication naïvement optimiste à tous les enterrements, y compris des enterrements d’apostats ou de personnes ayant commis le suicide – qui sont normalement privées de sépulture ecclésiastique), que Dieu est trop bon pour damner quiconque et que tout le monde se sauve, alors le peuple vivra sans se soucier du respect des commandements de Dieu, puisqu’il n’y a pas de risque réel à les violer, et que le monde est rempli de tentations auxquelles il serait pénible de résister. C’est la voix du démon qui pousse l’homme tenté à commettre le péché en lui insinuant une vision déformée et excessive de la miséricorde de Dieu, nous disent tous les auteurs spirituels : force est de constater que les pasteurs conciliaires sont devenus, bon gré mal gré, la voix du démon pour le peuple dont sont censés avoir la garde.

Le pape Pie XII a rappelé à plusieurs occasions qu’il était un devoir grave pour ceux qui avaient charge d’âme de prêcher sur l’enfer, et de prêcher sans atténuation et sans fausse délicatesse sur ce sujet si grave et si propre à susciter dans les âmes tièdes ou pécheresses des germes de conversion et de pénitence. Un sujet grave en effet car il y a réellement des gens qui se damnent, et si l’on voulait opposer révélation privée à révélation privée, pour contrer les prétendues révélations d’Adrienne von Speyr, la bataille serait vite gagnée par le grand nombre de révélations et visions des saints concernant l’enfer et le nombre extrêmement grand des damnés. Sainte Thérèse d’Avila répétait à qui voulait l’entendre que la plus grande grâce de sa vie était d’avoir eu une vision de l’enfer et des horribles tourments des damnés, et plus précisément de la place qui lui était réservée en enfer si elle continuait à se complaire dans sa tiédeur. Elle fut pendant des années une religieuse médiocre et mondaine, toute occupée de converser avec la bonne société et de s’en faire admirer ; après avoir mesuré les conséquences possibles d’une conduite aussi légère pour la vie du siècle à venir, elle est devenue une sainte. Quel contraste entre la doctrine des véritables saints et celle de ces étranges visionnaires des temps modernes.


Pourquoi Balthasar s’est attaché à Speyr ?

Voici une citation qui illustre, dans toute sa profondeur, la raison pour laquelle Balthasar s’attache à Speyr, et qui est de nature à alarmer les chrétiens sincères sur les motivations de ce «grand théologien» :

«Troughout my patristic studies, what I longed and looked for (…) was a catholicity that excluded nothing (…) only in Adriennes’s theology, I found it.».

«Au cours de mes études patristiques, ce que je cherchais et désirais ardemment … était une catholicité qui n’exclue rien … je ne l’ai trouvée que dans la théologie d’Adrienne».

H.U. von Balthasar, Our Task, 44

Une catholicité, un catholicisme, qui n’exclue rien ? Effectivement, il ne pouvait pas trouver une telle catholicité chez des auteurs vraiment catholiques, et il ne l’a trouvée que chez une fausse visionnaire délirante et peut-être démoniaque, parce que cette attitude de «non-exclusion» radicale n’a rien de catholique et de divin : le bien exclut le mal, la vérité exclut l’erreur, Dieu exclut le démon, la cité de Dieu exclut la cité des hommes. Paroles «manichéennes» et insupportables pour un esprit imprégné des idées modernes, dont la racine est l’agnosticisme, qui veut brouiller ou nier les frontières entre le bien et le mal, entre la vérité et l’erreur. Si le fait de trancher, de définir et d’exclure certaines doctrines ou certaines personnes au profit d’autres était une faute ou un désordre, c’est Jésus-Christ en personne, le maître de vie, qu’il faut accuser de faute ou de désordre. Les paroles de Jésus-Christ sur la géhenne, qui sont effectivement assez «excluantes», n’ont pas plu à Balthasar : il est donc allé se chercher d’autres maîtres selon ses désirs. Il est heureux pour nous de pouvoir disposer d’une citation de lui qui décrive aussi explicitement ses motivations : il a cherché «une catholicité qui n’exclue rien», il ne l’a trouvée que chez une fausse visionnaire. La catholicité de von Balthasar n’exclut rien … sauf la vraie théologie catholique !

Bien que le seul fait que les «révélations» de Speyr contiennent une doctrine fausse et scandaleuse est, de soi, suffisant pour être certain que ses révélations ne sont pas d’origine divine, il est toujours utile de remarquer que ces soi-disant révélations sont entourées d’une foule de signes inquiétants et bizarres qui les privent définitivement de tout crédit. Les informations que nous allons relater sont issues de l’article de Ralph Martin précédemment évoqué, nous ne le citerons pas dans le détail mais les lecteurs pourront s’y rapporter au besoin.


Du merveilleux, du grotesque et du bizarre

Nous pouvons lister un ensemble de choses grotesques ou malsaines dans les récits des visions de Speyr :

  • Speyr prétendait être quotidiennement en relation avec l’au-delà : on ne connaît pas de saints, même parmi les plus grands visionnaires, qui aient été visités aussi souvent par le Ciel, au point de fournir matière à plus de soixante livres de révélations inédites. Il y a quelque chose de démesuré dans ces proportions. Il n’est d’ailleurs pas rare chez d’autres faux visionnaires d’avoir écrit ou parlé avec autant de profusion et de détail (Valtorta a rempli 122 cahiers, soit près de 15 000 pages manuscrites), ce qui est d’autant plus susceptible d’attirer la curiosité du public. En l’occurrence, Speyr prétendait être en communication quotidienne avec saint Ignace de Loyola, communication si aisée et régulière que Balthasar pouvait par exemple soumettre une question qu’il avait pour saint Ignace à sa voyante et obtenir sa réponse dans la journée, ou dans l’instant qui suivait. C’est pour le moins inhabituel, sinon invraisemblable …
  • Dans un de ses entretiens, saint Ignace aurait déclaré qu’il avait changé d’avis sur certaines questions spirituelles en discutant avec saint Jean l’évangéliste au Paradis … quelle stupidité ! Comme si les saints, absorbés et réjouis par la vision béatifique, se préoccupaient de débattre et de discourir entre eux comme les hommes le font sur terre. Comme si par ailleurs il y avait le moindre désaccord apparent entre la spiritualité de saint Ignace et la spiritualité contenue dans l’évangile de saint Jean. Le fait d’opposer saint Jean l’évangéliste à la «pensée dominante dans l’Église» est un thème typique du gnosticisme et de l’occultisme : comme saint Jean emploie un langage plus spirituel que les autres évangélistes, donc plus susceptible d’interprétations diverses, les ennemis de la vérité aiment à lui faire dire des choses contraire au magistère de l’Église et aux doctrines communément admises par les théologiens (sans se mettre en peine, d’ailleurs, de concilier les passages qui leurs plaisent chez saint Jean avec d’autres passages du même saint Jean qui les contredisent formellement : seule l’interprétation ecclésiastique de saint Jean est complète et cohérente). Il est plus courant pour des francs-maçons que pour des catholiques d’opposer la «spiritualité johannique» à la «spiritualité ignatienne». Il est d’autant plus étrange, dans ce contexte, que Balthasar prétende avoir quitté l’ordre jésuite pour fonder la «communauté de saint Jean» sur le conseil de saint Ignace de Loyola lui-même (via la voyante Speyr), qui serait devenu «johannique» en discutant avec saint Jean au Paradis … par ailleurs le thème de l’opposition entre «l’Église visible» de Pierre et «l’Église des saints» de Jean et de Marie est un thème central dans la «spiritualité» de Balthasar et de l’institut qu’il a fondé [4] … Difficile de passer à côté de la possible symbolique occultiste de cette posture.
  • Speyr se serait rendue dans l’âme de certaines personnes pour les consoler : elle aurait pu, en se rendant à l’intérieur des personnes, pénétrer leurs pensées les plus secrètes, et leur suggérer des meilleures pensées depuis l’intérieur de leur âme … voilà jusqu’à quel niveau peut aller l’extravagance et la folie des faux voyants. Il est métaphysiquement impossible qu’une personne humaine entre «dans» une autre âme humaine, ce langage est dépourvu de sens. Certains saints avaient le don de «lire dans les cœurs» des personnes qu’ils rencontraient : cela veut dire qu’ils connaissaient leurs pensées, pas qu’ils rentraient littéralement à l’intérieur d’eux comme le dit Speyr, qui prétendait avoir été transportée à de multiples reprises à l’intérieur de personnes souffrantes, par-delà le monde entier, pour les consoler, ou pour les aider à se confesser … violant au passage le secret de la confession entre le prêtre et le pénitent.
  • Speyr prétendait avoir retrouvé sa virginité physique : elle serait alors la première dans l’histoire de l’humanité à bénéficier de cet étrange miracle … Mariée à deux reprises, elle a engendré 3 enfants morts-nés. Speyr ne prétend pas avoir retrouvé une «virginité spirituelle» comme dans le cas d’une veuve qui se consacre à Dieu, ou de personnes mariées qui s’accordent entre elles pour faire vœu d’abstinence. Elle prétend avoir retrouvé sa virginité physique, dans le sens par exemple de la Sainte Vierge qui a donné naissance à Notre-Seigneur «sans rupture du sceau de sa virginité» et de l’honneur particulier qui y est associé. A quelle fin Dieu aurait-il restauré la virginité physique d’une personne qui l’a perdue ? En quoi cela pourrait la rendre plus spirituelle, plus humble et plus dévouée à Dieu ? L’effet serait présentement le contraire de l’humilité. Cela la rendrait simplement plus distinguée et plus honorable, dans le sens qu’un honneur spécial est associé aux femmes qui ont consacré leur virginité à Dieu : peut-être que la voyante voulait être associée à cet honneur, bien qu’elle ne le méritait pas…
  • Outre ces extravagances déjà mentionnées, il est intéressant de remarquer que Speyr a prétendu avoir vécu (ou Balthasar le prétend à propos d’elle) à peu près tout ce qu’il y a de plus extraordinaire dans la vie des grands saints du passé : stigmates, bilocation, radiation de lumière, lévitation, parler spontané en langues étrangères, extases. Pour la plupart des saints ayant vécu ces phénomènes, les témoins sont nombreux et dignes de foi. Pour Speyr, le seul témoin est Balthasar, qui est plutôt un témoin indirect parce qu’il croit sa voyante sur parole lorsqu’elle affirme qu’il lui est arrivée quelque expérience extraordinaire. Au vu de ce qui est mentionné plus haut, chacun saura juger de la crédibilité de ce témoin.

Une relation éminemment malsaine

La première chose qui frappe, à étudier la relation entre Balthasar et Speyr, est la forte intimité qui les unissait : comme nous l’avons déjà mentionné, Balthasar est allé jusqu’à quitter son ordre religieux (acte extrêmement grave et rare dans l’histoire de l’Église : il n’est pas anodin qu’un religieux soit relevé de ses vœux) pour vivre chez sa voyante, quinze années durant. Un prêtre qui vit chez une femme ?

On pourrait tenir comme un principe général qu’il n’est ni prudent ni souhaitable pour un clerc d’entretenir une amitié forte, nourrie par des entretiens intimes quasiment quotidiens, avec une femme. La principale raison du célibat consacré est d’ordre affective : le prêtre, le religieux ou la religieuse, a consacré entièrement son cœur à Dieu. L’état de perfection religieuse n’est possible que dans le célibat, parce que la vie conjugale est remplie d’affections et d’attachements qui, pour être parfaitement légitimes et même nécessaires au bon développement de la vie, empêchent de se consacrer aux choses de Dieu en toute liberté. S’il est possible d’atteindre un haut degré de sainteté en vivant dans le mariage, comme le prouve par exemple la vie de saint Louis, il faut convenir qu’il est plus facile et plus naturel de se sanctifier dans la vie religieuse et le célibat consacré, en n’ayant pas d’autre préoccupation que la gloire de Dieu et le salut des âmes.

Or l’amitié entre personnes du sexe opposé, et en dehors du strict cercle familial, nous parlons ici d’une amitié profonde basée sur des communications intimes de sentiments et d’idées, ne diffère de la vie amoureuse proprement dite que par l’absence de communication physique : le seul terme ordinaire et souhaitable d’une profonde amitié entre un homme et une femme est le mariage. Il n’est pas rare que l’adultère résulte d’une relation excessivement amicale entre un homme et une femme qui, initialement, n’avaient aucune intention de rompre les promesses de leur mariage : seulement ils se sont laissés aller imprudemment à l’attrait d’une amitié et d’une intimité spirituelle qu’ils ne trouvaient peut-être plus dans leur mariage. Entretenir une «relation platonique», ne pouvant pas raisonnablement mener à un mariage, est donc éminemment malsain et dangereux.

On pourrait objecter à ce raisonnement en invoquant des exemples d’amitiés profitables entre une personne consacrée et une autre personne du sexe opposé. L’histoire de l’Eglise compte en effet plusieurs exemples de saints de sexe opposé qui ont travaillé ensemble étroitement pour la gloire de Dieu : saint François d’Assise et sainte Claire, saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal, saint Vincent de Paul et sainte Louise de Marillac. On connaît aussi la pratique, encouragée par l’Église, de la fraternité spirituelle entre des religieuses contemplatives et des prêtres missionnaires via des échanges épistolaires (ainsi sainte Thérèse de Lisieux est connue pour avoir eu cette relation spéciale avec l’abbé Maurice Bellière). Mais nous répondrons que dans tous ces cas évoqués, la relation est fondée principalement si ce n’est uniquement sur le zèle pour la gloire de Dieu (et pas sur la complémentarité naturelle des caractères, comme dans une amitié humaine ordinaire), et l’amitié et l’intimité dans ces cas précis ne dépassent jamais certaines bornes que la prudence impose nécessairement à qui veut ne pas perdre son cœur, et ensuite perdre son âme.

Or la relation entre Balthasar et Speyr ressemble fort à une «relation platonique», bien différente d’une collaboration désintéressée en vue de la gloire de Dieu. En particulier, les termes qu’ils emploient pour décrire cette relation comportent un symbolisme sexuel pour le moins troublant. L’œuvre religieuse et spirituelle qu’ils estiment devoir mener en commun (la fondation de la «communauté Saint-Jean», qui n’existe quasiment plus aujourd’hui d’ailleurs) est souvent appelée par la voyante «leur enfant» : comment un homme et une femme peuvent-ils avoir un enfant ensemble ? … Cette image est déjà troublante, mais il y a plus encore : la voyante déclare qu’à l’âge de 15 ans elle aurait reçu une «blessure intérieure» ou une «marque» de Hans von Balthasar par anticipation de sa rencontre avec lui, et pour signifier leur future collaboration : il s’agirait de dire que comme ces deux âmes ne pouvaient pas avoir de relations sexuelles, mais qu’elles devaient ensemble «porter du fruit», il fallait que la femme soit en quelque manière marquée dans sa chair par la vertu fertilisante de l’homme, afin d’être fécondée … difficile de voir quelque chose de divin derrière ce mystico-sensualisme éminemment malsain.


Une voyante autoritaire et manipulatrice

Le fait qu’un prêtre ait une relation fusionnelle avec une femme mariée n’est pas le seul problème dans le cas présent : dans cette relation, le prêtre (qui est censé être le supérieur, le conseiller, le confesseur) est parfois comme à la merci de sa voyante qui semble lui donner des ordres, lui faire des reproches amers et lui dicter la voie de la bonne conduite spirituelle. Balthasar, subjugué, est docile et semble considérer comme venant du Ciel les brimades qu’il reçoit de la voyante. Les rôles sont inversés !

On ne le répétera jamais assez dans cette époque malade de d’égalitarisme, le catholicisme est une religion cléricale : le prêtre est supérieur aux fidèles, il a autorité pour les diriger, les conseiller, les reprendre et les guider dans la pratique des commandements et la recherche de la perfection spirituelle. Il est en pratique impossible d’atteindre la perfection spirituelle sans le conseil suivi d’un prêtre : c’est le moyen ordinaire que Dieu prévoit pour sanctifier les âmes, et à ceux qui disent que c’est d’abord le Saint-Esprit qui éclaire et qui sanctifie, le pape Léon XIII répond (dans son encyclique contre l’américanisme) que dans la Providence de Dieu le Saint-Esprit s’exprime aux âmes le plus souvent et le plus ordinairement dans la direction spirituelle (par un prêtre formé aux sciences sacrées et à l’enseignement de l’Église). Tous les grands saints mystiques et visionnaires avaient un confesseur et directeur spirituel auxquels ils étaient pleinement soumis : ce ne sont pas eux qui démentiraient Léon XIII.

Il n’est donc pas normal qu’un prêtre reçoive d’une laïque des directives de direction spirituelle. C’est auprès d’un autre prêtre qu’il devrait chercher des conseils et des directives dans cette matière délicate, quand bien même il aurait en face de lui une sainte. Imagine-t-on sainte Thérèse d’Avilla donner ne serait-ce que des conseils spirituels à son confesseur, sans que celui-ci le lui demande ? C’est invraisemblable. Nous évoquions dans notre précédent article sur les visions et révélations privées que l’attitude autoritaire d’une voyante était un signe disqualifiant pour sa crédibilité, car très éloignée de l’humilité qui accompagne nécessairement une piété sincère.

Cette remarque faite, on peut constater avec Ralph Martin que l’attitude de Speyr à l’égard de Balthasar relève plus de mécanismes humains de manipulation et de demande d’attention que d’une hypothétique mission spirituelle. Par exemple, Speyr l’accuse fréquemment de ne pas la soutenir et de ne pas être suffisamment présent pour l’épauler alors qu’elle «revit la Passion du Christ» pendant la semaine sainte … Elle dit par rapport à leur «enfant» que le rôle du «père» est de prendre soin de l’épouse, et que Balthasar ne remplit pas suffisamment bien son rôle. Elle dit que Balthasar ne la défends pas suffisamment par rapport aux critiques qui sont émises à son égard … la voyante demande de l’attention, mais elle sait aussi se montrer plus directrice et dit qu’elle voit dans l’âme de Balthasar de l’obscurité spirituelle, un manque d’amour de Dieu et un manque de vie de prière. Parfois la voyante prétend recevoir de saint Ignace des instructions précises pour des pénitences ou autres exercices spirituels, et le malheureux Balthasar est réprimandé s’il ne suit pas les instructions suffisamment bien. Tout ceci est bien étrange.


Des signes probablement démoniaques

Outre les bizarreries déjà mentionnées, un certain nombre de faits étranges dans la vie d’Adrienne von Speyr pourraient relever d’une influence démoniaque. En particulier, on retrouve plusieurs occurrences d’un phénomène communément attribué à l’action du démon : la modification de la voix, l’utilisation d’une intonation beaucoup plus rauque et sèche que d’ordinaire, avec un volume anormalement élevé.

Le 11 juillet 1941, Speyr «convoque» Balthasar à son bureau pour lui faire une violente sermonade d’environ une heure sur son manque de soutien : Balthasar rapporte que la voix de Speyr est différente que d’habitude, comme si «quelqu’un d’autre parlait à travers elle».

La cérémonie d’abjuration de Speyr (qui est née protestante), un an plus tôt, comporte un fait assez déroutant. Alors qu’elle doit réciter la profession de foi catholique, elle s’arrête et hésite au moment de prononcer les paroles «extra quam est nulla salus» : hors de laquelle [l’Église catholique] il n’y a point de salut. Balthasar dit qu’elle n’a pas prononcé les mots. Son mari en revanche, qui assistait à la cérémonie, dit qu’il l’a entendu dire les mots distinctement mais avec une voix étrange : autre occurrence possible du fameux phénomène de la voix modifiée. La voyante aurait-elle donc un problème avec le dogme selon lequel il n’y a pas de salut hors de l’Église catholique ?… Dans une version comme dans l’autre, elle n’a pas prononcé les paroles aisément et facilement comme le reste de la profession de foi.

Autre fait encore plus étrange : Balthasar rapporte que Speyr avait fréquemment des «missions de l’enfer», dans laquelle elle «témoignait des réalités de l’enfer» dans un état semi-extatique où elle «n’était plus la même personne» et était simplement le «véhicule» d’une réalité qui la dépasse … Elle ne se souvenait pas distinctement de ce qu’elle avait dit dans ces moments ensuite. Pendant ces «missions», elle parlait d’une manière différente de d’habitude, ne semblait pas reconnaître son interlocuteur et le traitait de manière froide et sarcastique, l’accusant de stupidité vis à vis des choses de Dieu par exemple. Sachant que ces «visions de l’enfer» de Speyr aboutissent à dire que personne ne se trouve réellement en enfer, serait-il vraiment étonnant qu’un démon ait parlé à travers Speyr dans ces moments si étranges ? Pas vraiment … suivant le mot de Baudelaire, «la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas» : on pourrait dire par extension que la meilleure ruse de l’enfer serait de faire croire qu’il n’y a pas d’enfer, ou que personne ne va en enfer. C’est le meilleur moyen en effet pour que le plus grand nombre oublie son salut et se damne. Balthasar dit que ces «missions de l’enfer», qui arrivaient une fois par an lors du Vendredi Saint depuis 1941 (elle prétendait «descendre aux enfers» comme Notre-Seigneur après sa mise à mort), constituent la contribution la plus importante de Speyr à sa théologie et le don le plus précieux qu’elle ait fait à l’Église

Balthasar disait que cette «obscurité» que Speyr avait pris sur elle comme participation à la passion du Christ et à sa descente aux enfers l’avait poussée «aux limites de la folie» … si nous voyons les choses d’une manière plus prosaïque, peut-être qu’elle était déjà mentalement déséquilibrée avant ces expériences pseudo-mystiques, et qu’une communication prolongée avec le démon l’a encore plus détraquée. L’histoire ne nous le dit pas : mais nous avons déjà en notre possession bien plus que ce qui est simplement nécessaire pour conclure que ces pseudo-révélations ne viennent pas du Ciel.


Résumé et conclusion

La thèse de Balthasar et de Speyr est contraire au catholicisme en plusieurs aspects :

  • Elle adopte en pratique les mêmes conclusions que la doctrine condamnée de l’apocatastase, Balthasar avouant que son intention dans sa recherche théologique était de concilier cette doctrine condamnée (qu’il était impossible de professer directement sous peine d’apparaître comme ouvertement hérétique) avec le magistère de l’Église.
  • Elle revient à tourner en ridicule l’enseignement ordinaire de l’Église sur l’enfer et sur la damnation, en le présentant comme une fable visant à faire peur à des fidèles encore immatures. Il y aurait alors deux niveaux d’enseignement dans la Révélation, un niveau exotérique «pétrinien» (l’Église visible de saint Pierre), et un niveau ésotérique «johannique» (l’Église mystique de saint Jean et de Marie) : tandis que l’Église visible enseigne que la damnation est un danger réel, «l’Église des saints» est capable de comprendre qu’en réalité personne ne se damne.
  • Elle revient inconsciemment à adopter les thèses jansénistes (également condamnées) sur l’irrésistibilité de la grâce et la négation du libre-arbitre : elle en est une sorte d’actualisation moderniste. Pour les jansénistes, qui s’inspirent des calvinistes, la théorie de l’irrésistibilité de la grâce est synonyme de double prédestination : puisque personne ne peut résister à la grâce de Dieu, alors les pécheurs endurcis et les damnés n’ont pas reçu les grâces suffisantes pour se convertir et sont mystérieusement destinés, de toute éternité, à être damnés. Doctrine odieuse et blasphématoire. Balthasar reprends l’élément central de cette thèse en en éliminant l’aspect damnatoire : la grâce est irrésistible au-delà de toute notion de libre-arbitre, mais Dieu impose cette grâce à tout le monde sans exception, il n’y a donc pas de damnés.
  • Enfin elle a comme principe implicite (en lien avec ce que nous disions sur le «johannisme») que les révélations privées des «saints» sont des arguments plus certains et plus élevés en théologie que les travaux de la raison, éclairés par les lumières de la foi, et les enseignements explicites du magistère de l’Église. Principe faux et ruineux qui sert le plus souvent à détruire la théologie sous apparence de piété : des personnages malveillants s’en servent pour tromper, et des personnes simples et trop naïves les suivent pour l’apparence de piété et de surnaturel qui entoure ces soi-disant révélations. Une apparition ou une révélation privée ne peut jamais être une réponse suffisante à un problème théologique, à plus forte raison si le message de cette «révélation» est contraire au magistère de l’Église.

De plus les activités soi-disant surnaturelles de Speyr, qui prétendait avoir reçu un nombre incalculable de révélations privées, sont douteuses et troublantes à bien des titres :

  • Le nombre excessivement élevé et extraordinaire de ses communications célestes ne ressemble pas à ce qui a cours d’ordinaire chez les saints.
  • Elle a des prétentions parfaitement fantaisistes sur ses activités surnaturelles et les dons particuliers qu’elle aurait reçu (recouvrement de la virginité physique, téléportation dans les âmes des pécheurs, etc.)
  • Son comportement autoritaire, manipulateur et assoiffé d’attention personnelle n’a rien à voir avec le comportement d’une sainte.
  • Sa relation avec le prêtre Balthasar, décrite en des termes de symbolisme nuptial ou même explicitement sexuel, est on ne peut plus malsaine, et se base parfois sur une inversion du rapport entre le directeur spirituel et l’âme dirigée (c’est elle qui prends le dessus à plusieurs reprises).
  • Elle était, de l’aveu même de son confident et admirateur, à moitié folle et soumise régulièrement à des états de transe pour «rendre compte» de ce qui se passait en enfer, avec un langage et des manières qui portent plus ou moins explicitement la marque du démon.
  • Elle n’a pas voulu prononcer les paroles de la profession de foi sur le fait qu’il n’y avait pas de salut hors de l’Église catholique, ou bien elle les a prononcées avec une voix bizarre.

Peut-on, après avoir considéré cela, accorder encore le moindre crédit à Hans Urs von Balthasar et à sa comparse Adrienne von Speyr ? Pas si l’on croit à la doctrine et à la spiritualité de l’Eglise catholique. Puissent le Seigneur et Notre-Dame éclairer les chrétiens sincères afin qu’ils ne soient pas trompés par ces mensonges, et qu’ils considèrent plutôt dans toute leur gravité les avertissements de la Révélation concernant les fins dernières.

Jean-Tristan B.


[1] https://www.jstor.org/stable/26392455

[2] Voir les principes invoqués dans cet article : https://religioncatholique.fr/2021/09/08/principes-de-discernement-sur-les-visions-et-revelations-privees/

[3] On peut lire à ce sujet l’article de la Catholic Encyclopedia sur Origène : https://www.newadvent.org/cathen/11306b.htm

[4] Voir le « manifeste » affiché fièrement par la communauté saint Jean : https://balthasarspeyr.org/communaute-saint-jean/

Le sédévacantisme est-il un jugement téméraire ?

Réponse à une objection trop répandue


L’accusation de jugement téméraire à l’égard des sédévacantistes repose sur une mauvaise évaluation de la témérité du jugement. Si certains jugements sont téméraires, c’est bien que d’autres sont prudents et ordonnés : pour vivre et agir, il est nécessaire d’émettre continuellement des jugements sur les choses et les personnes qui nous entourent, ces jugements ne sont téméraires que s’ils ne reposent sur aucune raison sérieuse et suffisante pour établir la conviction. On entend par exemple certaines personnes (au sein de la FSSPX surtout) dire que le sédévacantisme est une possibilité, mais qu’il est téméraire de l’affirmer comme une certitude, et que la seule attitude prudente et raisonnable est d’attendre qu’un autre pape se prononce pour savoir si le siège était vacant entre Paul VI et François. Ce qui est déjà admettre qu’il y a un grave problème avec ces « papes douteux » … en réalité, nous n’avons pas besoin d’une nouvelle sentence du magistère pour être certains qu’il est impossible qu’un pape enseigne des erreurs doctrinales dans l’exercice de son ministère. On peut dire en quelques sortes que Pie IX, en définissant le dogme de l’infaillibilité pontificale, a déjà tranché sur le fait que Paul VI et ses successeurs ne pouvaient pas être papes.

D’autres personnes, moins dubitatives à l’égard des pontifes de Vatican II, estiment que le vice du sédévacantisme est plus profond : il consisterait à se mettre « au dessus des papes », à donner à son jugement privé une valeur plus importante qu’au magistère de l’Eglise, comme les protestants. En vérité, le point de départ du jugement sur la vacance du Saint-Siège est le magistère de l’Eglise, complété par un usage normal de la raison : si Paul VI enseigne de manière explicite et évidente l’inverse de ce qu’enseigne Pie IX, conclure qu’il n’y a pas de contradiction n’est pas la preuve d’une grande foi et d’une grande confiance en l’Eglise, mais plutôt la preuve d’une grande déficience dans l’usage de la raison. Cette position, poussée jusque dans ses dernières conclusions, est assimilable au fidéisme : elle consisterait à dire qu’il est impossible de juger droitement de quoi que ce soit sans un enseignement révélé. Le magistère même de l’Eglise enseigne qu’il est possible d’atteindre un certain nombre de vérités religieuses sans le secours de la Révélation, et que ces vérités doivent être connues préalablement à l’acte de foi. C’est le principe de non-contradiction qui fait conclure à la vacance du Saint-Siège, pas une quelconque prétention à la supériorité du jugement privé sur l’autorité de l’Eglise. Nous souhaitons ici expliquer en quoi le jugement concernant la vacance du Saint-Siège découle simplement de l’application des principes de la foi catholique et de l’usage ordinaire de la raison, qu’il n’est pas attentatoire au magistère ou à l’autorité de l’Eglise, et qu’il n’est pas non plus attentatoire à la vertu de charité, comme le serait un jugement téméraire sur les intentions secrètes d’une personne. En espérant convaincre nos lecteurs.


Un jugement est un acte par lequel l’esprit affirme une chose d’une autre. Il comporte donc trois éléments : un sujet, qui est l’être dont on affirme ou nie quelque chose ; un prédicat (ou attribut), qui est la chose que l’on affirme ou nie du sujet ; une affirmation ou une négation qui lie ou délie le prédicat et le sujet. Il s’exprime verbalement sous la forme d’une proposition. Par exemple : « Le monde existe (logiquement : le monde (sujet) est (affirmation) existant (prédicat) » ; « L’homme est raisonnable » ; « l’âme est immortelle » ; « Dieu est existant ».

Sauf pour les évidences immédiates (« le monde est existant » ; « tout effet est causé » ; « tout être est ce qu’il est » etc.), qui sont à proprement parler indémontrables [1], le jugement est le fruit d’un raisonnement, si rudimentaire soit-il. On peut définir celui-ci comme l’opération qui consiste à tirer de deux ou plusieurs jugements, un autre jugement contenu logiquement dans les premiers. C’est un passage du connu vers l’inconnu. Il s’exprime verbalement sous la forme d’un argument. Par exemple : « L’homme est mortel (jugement 1). Or Pierre est un homme (jugement 2). Donc Pierre est mortel (jugement conclusif contenu logiquement dans les premiers) » ; « Travailler me permet de nourrir ma famille. Pour travailler, je dois me réveiller et me lever. Donc pour nourrir ma famille, je dois me réveiller et me lever ». Ainsi pour toutes nos actions quotidiennes, sans pour autant les formaliser ainsi.

Les jugements, s’ils sont fondés, sont légitimes et nécessaires. Sans eux, on ne peut tout simplement pas vivre. Tout homme faisant correctement usage de son intelligence pourra affirmer avec certitude de nombreuses choses. Dans la mesure où son raisonnement est correct, c’est-à-dire qu’il met en œuvre des données certaines, son jugement sera lui aussi correct et vrai. L’Eglise nous enseigne par exemple que tout homme peut affirmer avec certitude que Dieu existe :

« La sainte Église tient et enseigne que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par les lumières naturelles de la raison humaine, au moyen des choses créées (Rom. 1, 20) ;  « car les choses invisibles de Dieu sont aperçues au moyen de la création du monde et comprises à l’aide des choses créées. »

Constitution Dei Filius , Concile Vatican I

Le canon correspondant du Concile :

« Si quelqu’un dit que Dieu unique et véritable, notre Créateur et Maître, ne peut pas être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine, au moyen des choses qui ont été créées ; qu’il soit anathème » 

L’Eglise défend ici la légitimité d’un jugement fondé sur des vérités naturelles. En l’occurrence : l’existence du monde, son harmonie et le principe de causalité. Ces choses étant certaines, la conclusion l’est aussi.

Si un raisonnement correct met en œuvre une vérité de foi fondée sur l’autorité de Dieu et une vérité naturelle évidente, la conclusion exprimera un jugement doté d’une certitude absolue, propre à entraîner l’assentiment plein et entier de l’intelligence. Une telle conclusion est dite théologique. Par exemple : « Jésus est un homme (vérité de foi). Or les hommes ont une âme (vérité naturelle). Donc Jésus a une âme (conclusion théologique) ». 

Le constat actuel de la vacance du Siège apostolique n’a pas plus de prétention. Il se sert, dans sa démonstration, de données de foi, de faits d’observation immédiate et du principe de non-contradiction. La foi nous assure de l’infaillibilité du magistère ordinaire et universel [2]. Elle nous assure qu’il est impossible qu’un Pape promulgue avec les évêques représentant l’Eglise universelle un texte contredisant un point de doctrine déjà fixé [3]. Or, une telle promulgation s’est produite lors du concile Vatican II : la déclaration Dignitatis Humanae du 7 décembre 1965 contredit explicitement l’enseignement de Pie IX (entre autres) sur la liberté religieuse dans Quanta Cura (lettre encyclique du 8 décembre 1864). Donc les occupants du Siège apostolique qui ont « promulgué » et maintiennent en union avec tous les évêques une telle doctrine ne peuvent pas être Papes.

Affirmations condamnées par Quanta Cura, 8 décembre 1864 [«  contre la doctrine de la Sainte Écriture, de l’Église et des saints Pères »] Affirmations de Dignitatis Humanae, 7 décembre 1965 [«  le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même »]

a) la meilleure condition de la société est celle où on ne reconnaît pas au pouvoir le devoir de réprimer par des peines légales les violations de la loi catholique, si ce n’est dans la mesure où la tranquillité publique le demande

a’) de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres

b) La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme

b’) Ce Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse

c) Ce droit doit être proclamé et garanti par la loi dans toute société bien organisée

c’) Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil

Ce qu’affirme Vatican II [4] en (a’), (b’), (c’) est condamné par Quanta Cura [5]en (a), (b), (c). Les deux textes se prononcent sur le même sujet : le droit d’exercice public des religions et des cultes, même non catholiques. Les deux textes en appellent à la Révélation et s’expriment, quoi que dans une époque particulière et en raison même de cette époque, d’une façon absolue, comme énonçant un principe de droit naturel.

Or, c’est dans un même et unique acte de foi que nous adhérons à la parole de Dieu exposée par l’Eglise et à l’Autorité infaillible qui la présente. Cette unité de la foi liant nécessairement l’Autorité et la vérité est inéluctable [6]. Pareillement, le rejet de la doctrine de Paul VI que la foi nous impose nous fait rejeter son autorité dans un même acte. Cette conclusion sur l’absence actuelle d’Autorité dans l’Eglise, au demeurant triste à poser et troublante pour tous les fidèles, s’impose dans la lumière de la foi, avec une certitude de l’ordre de la foi. Parce que la foi catholique est une, parce qu’elle n’abolit pas la raison et que le principe de non-contradiction est inhérent à son exercice, il est métaphysiquement impossible d’adhérer religieusement à l’enseignement et par conséquent à l’autorité de ces faux pasteurs. Tout fidèle prudent qui vit effectivement de la foi peut et doit conclure à l’absence d’Autorité. L’exercice de la foi catholique rend impossible l’assentiment à l’enseignement de Vatican II.

Un jugement est téméraire et illégitime s’il est prononcé précipitamment, sans intention droite et que les fondements sur lesquels il repose sont incertains ou faux. Par exemple : prêter une mauvaise intention à quelqu’un sans raison. Dans une matière si grave que la foi et avec des certitudes d’un degré tel que nous venons de l’exposer, le jugement s’impose absolument et constitue un devoir. Il ne s’agit pas d’un jugement a priori qui serait consécutif à un caprice de notre part, il s’agit de l’impossibilité métaphysique d’adhérer à une règle de foi qui contredit objectivement l’enseignement de l’Eglise. La meilleure volonté du monde ne pourrait pas changer la nature des choses, une chose ne peut pas, en même temps et sous le même rapport, être vraie et fausse. Nous pensons que cela suffit pour fonder la légitimité d’un tel jugement. Les catholiques ne peuvent donc pas, par jugement privé, ne pas accuser ceux qui « promulguent » ces enseignements, comme les fidèles de Constantinople rompirent la communion avec leur évêque Nestorius entre 428 et 431 (date de sa condamnation), car celui-ci enseignait une doctrine ouvertement contraire à la foi catholique.

L’imprudence se situerait au contraire dans la négation de ce jugement absolument certain. En effet, en rejetant cette conclusion, on est objectivement poussé à relativiser ou à nier des vérités de foi : soit en acceptant l’enseignement de Vatican II et ses suites, qui s’oppose en de nombreux points au Magistère de l’Eglise ; soit en refusant cet enseignement, attribuant ainsi l’erreur au Pape et à l’Eglise, niant de fait la sainteté et l’infaillibilité de celle-ci.

Les catholiques qui font le constat de la vacance du Siège apostolique ne se substituent nullement à l’Eglise et à son autorité. Ce jugement n’est qu’un constat indubitable, il n’a pas force de loi et n’a pas de portée juridique objective pour l’Eglise. La privation d’autorité qui affecte actuellement l’Eglise rend précisément compliquée une telle sentence authentique. En revanche, de ce jugement certain découle le devoir de ne rien dire ni rien faire qui reviendrait pratiquement à reconnaître l’Autorité à l’actuel occupant du Siège ainsi que celui de proclamer, selon les règles de la prudence et conformément aux moyens dont chacun dispose, la vacance actuelle du Siège apostolique : « Nous ne pouvons pas ne pas parler » (Act. IV, 20).

Mathis C.


[1] Une démonstration s’appuie sur des préalables. Or, les évidences sont les préalables à tout jugement, ils sont premiers et s’éclairent par eux-mêmes, d’où leur nom.

[2] Abbe Bernard Lucien, L’infaillibilité du Magistère ordinaire et universel de l’Église, Documents de Catholicité, Bruxelles 1984

[3] « Jésus-Christ a institué dans l’Eglise un magistère vivant, authentique et, de plus, perpétuel, qu’Il a investi de sa propre autorité, revêtu de l’esprit de vérité, confirmé par des miracles, et Il a voulu et très sévèrement ordonné que les enseignements doctrinaux de ce magistère fussent reçus comme les siens propres. >Toutes les fois donc que la parole de ce magistère déclare que telle ou telle vérité fait partie de l’ensemble de la doctrine divinement révélée, chacun doit croire avec certitude que cela est vrai ; car si cela pouvait en quelque manière être faux, il s’ensuivrait, ce qui est évidemment absurde, que Dieu lui-même serait l’auteur de l’erreur des hommes… Les Pères du Concile du Vatican n’ont donc rien édicté de nouveau, mais ils n’ont fait que se conformer à l’institution divine, à l’antique et constante doctrine de l’Eglise et à la nature même de la foi, quand ils ont formulé ce décret : « Est à croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la parole de Dieu ou écrite ou transmise, et que l’Eglise, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel, propose à croire comme divinement révélé » (issu de dei filius, Concile Vatican I, 1870) » Léon XIII, Satis Cognitum . Sur l’infaillibilité : https://www.sodalitium.eu/linfaillibilite-de-leglise/

[4] https://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651207_dignitatis-humanae_fr.html

[5] https://laportelatine.org/documents/magistere/pie-ix/encyclique-quanta-cura-1864

[6] « Il serait impossible de poser un acte de Foi quel qu’il soit, si on ne croyait, dans le même acte, au Magistère qui présente infailliblement les articles de la Foi comme étant divinement révélés; et si on n’était disposé à croire de la même Foi l’un quelconque de ces articles. Il serait possible, dans une église charismatique, de viser à conserver la foi, tout en dissolvant dans une indécise obscurité la question du rapport que l’on soutient avec 1’« autorité » : dans une telle église, 1’« Esprit » est censé suppléer… à tout, et en particulier à l’unité. Mais une telle conception est absolument incompatible avec la nature de la Foi telle que celle-ci est définie, et vécue, dans l’Eglise catholique romaine qui est le Corps mystique du Christ, c’est-à-dire de Celui qui est la Vérité. Il est impossible, sous peine d’introduire une contradiction dans l’ordre théologal, de suivre la monition de S. Pierre, en «rendant compte de l’espérance qui est en nous », si, en même temps, nous ne rendons pas compte du rapport que nous soutenons avec 1’« autorité » qui occupe le Siège de Pierre. Il est impossible de poser un acte de Foi en la divinité de Jésus-Christ, sans être, en cet acte même, disposé à faire un acte de la même Foi en la doctrine sur la liberté religieuse telle que l’Eglise l’a définie. Et il est impossible de faire un acte de Foi en la doctrine sur la liberté religieuse telle que l’Eglise l’a définie, sans préciser en quelle situation on entend être par rapport à l’ « autorité » qui a infirmé cette doctrine. En d’autres termes, il est impossible, au sein de l’Eglise catholique romaine qui est le Corps mystique du Christ, de soutenir la Foi et d’administrer les sacrements en s’opposant à 1’« autorité « , sans préciser quelle est la nature du rapport que l’on entend soutenir avec la dite  « autorité », qui devrait être l’Autorité. » R.P M.L Guérard des Lauriers o.p, Cahiers de Cassiciacum n°1, « Le siège apostolique est-il vacant ? », Association saint-Herménégilde, mai 1979, pp.25-26, note 13.