Pour en finir avec Archidiacre


L’impasse de l’herméneutique de la continuité en 10 points

Un certain « Archidiacre », de son vrai nom Jérôme Ferrier, et son serviteur « semper papiste » / « catholique lorrain » / « quiche lorraine » se font connaître depuis des années sur internet comme les ennemis mortels du sédévacantisme ou du traditionalisme d’une manière générale, menant un apostolat très actif contre cette position, estimant être en possession d’une réfutation définitive du traditionalisme par la solution dite de « l’herméneutique de la continuité », qui consiste à interpréter Vatican II comme étant en parfaite continuité avec la Tradition catholique.

Cette position, qui semble procéder d’une bonne intention (sauvegarder la foi catholique et la fidélité à la hiérarchie ecclésiastique) et qui a malheureusement le pouvoir de séduire certains traditionalistes par l’apparence de sérieux qu’elle comporte et les questions graves qu’elle soulève (l’obéissance à l’Eglise, la possibilité d’errer dans son jugement privé, etc.), n’a en réalité qu’une apparence de sérieux et comporte de très graves problèmes à la fois internes (concernant ses postulats et sa logique) et externes (concernant son rapport avec la réalité qu’elle cherche à expliquer).

Cet article ne vise pas à être exhaustif dans l’exposition et la réfutation des problèmes posés par  l’herméneutique de la continuité, ni à répondre aux objections qu’elle soulève contre le sédévacantisme (ce qui pourrait faire l’objet d’autres développements), mais à donner une liste de principes qui permettent déjà de comprendre que cette position est, en réalité, absolument insoutenable pour un catholique soucieux de la défense de la foi et de la fidélité à l’Eglise. Ses conséquences pratiques, qui sont de pousser les derniers catholiques sérieux à se soumettre aux modernistes qui détruisent l’Eglise et scandalisent les âmes depuis plus de 60 ans, sont spécialement désastreuses et méritent que cette position soit énergiquement combattue.

Sommaire
I. Le principe fondamental de l’herméneutique de la continuité est vicié.
1) Interpréter le magistère est détruire la notion même de magistère
2) Il est déjà un problème en soi que Vatican II soit si ambigu qu’il puisse être interprété de différentes manières.
3) L’existence même de l’herméneutique de la continuité est une preuve que Vatican II pose problème.

II. L’état d’esprit fondamental de cette position est fidéiste.
4) La raison humaine peut parvenir à la certitude de certaines vérités sans avoir besoin d’une autorité.
5) Il n’est pas pieux d’interpréter pieusement des actions qui sont évidemment mauvaises.

III. Cette position repose sur la négation de la réalité.
6) La majorité des conciliaires n’accepte pas la position d’Archidiacre.
7) Cette position n’offre aucune explication sérieuse au problème du modernisme dans le clergé.
8) Cette position nie le scandale objectif dans les actions des pontifes conciliaires.
9) La contradiction entre Vatican II et le magistère de l’Eglise n’est pas simplement apparente.
10) L’histoire de Vatican II, et du monde catholique depuis Vatican II, contredisent définitivement les postulats fantaisistes de l’herméneutique de la continuité.

« Il y a dans le Coran bien des choses indignes de Dieu. (…) Il y a dans le Coran nombre de mensonges. (…) On trouve une infinité de contradictions dans le Coran. (…) Le paradis que le Coran promet est un paradis qui ferait rougir de honte les bêtes elles-mêmes. »
Saint Alphonse de Liguori, Les Vérités de la Foi, Partie 3, Chapitre 4

Partie I. Le principe fondamental de l’herméneutique de la continuité est vicié.

  • 1) Interpréter le magistère est détruire la notion même de magistère.
    L’Eglise a reçu de Jésus-Christ la charge d’interpréter infailliblement le dépôt de la Foi, en enseignant les fidèles avec clarté et certitude sur le contenu et la portée de ce dépôt. Les Saintes Ecritures sont, par nature, sujette à diverses interprétations, parfois une très grande latitude d’interprétation est permise aux catholiques sur des sujets qui n’ont pas fait l’objet de définitions magistérielles (par exemple, lorsqu’il s’agit d’interpréter les prophéties de l’Apocalypse). Mais le magistère est par nature une clarification du dépôt de la foi (Saintes Ecritures et Tradition), il est la règle prochaine de la foi, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une interprétation privée, sous peine de perdre toute sa valeur autoritative. La raison d’être du magistère est précisément de mettre fin aux interprétations privées, de donner aux fidèles une norme de pensée directive, claire et définitive, qui ne peut pas être interprétée mais doit simplement être reçue dans son sens premier et évident, comme étant l’enseignement de Dieu lui-même.  Par conséquent, le premier et plus fondamental principe de « l’herméneutique de la continuité », qui consiste à dire que l’on doit « interpréter le magistère » dans un certain sens, est absolument faux, et mène en à l’absurdité et à la contradiction : car il peut y avoir autant de « bonnes interprétations du magistère » qu’il y aura « d’herméneutes de la continuité », si c’est un acte de jugement privé qui doit redonner au magistère son véritable sens.
  • 2) Il est déjà un problème en soi que Vatican II soit si ambigu qu’il puisse être interprété de différentes manières.
    La Sainte Église a condamné plusieurs propositions non pour leur contenu évident, mais simplement pour leur formulation dangereuse qui était de nature à encourager l’hérésie [1], faire déshonneur à certaines vérités révélées, ne pas suffisamment condamner certains erreurs, etc… les censures théologiques réservées à ces formulations sont : ambigüe (ambigua), captieuse (captiosa), malsonante (male sonans), offensive des oreilles pies (piarum aurium offensiva).  Nous citons la Catholic Encyclopedia à l’article des censures théologiques :

Une proposition est ambiguë lorsqu’elle est formulée de manière à présenter deux ou plus interprétations possibles, l’une d’entre elles étant condamnables ; captieuse lorsque des termes acceptables sont utilisées pour exprimer une idée condamnable ; malsonnante lorsque des termes inconvenants sont utilisés pour exprimer des vérités par ailleurs acceptables ; offensive lorsque les expressions employées sont de nature à choquer le sens catholique et la délicatesse de la foi.

Catholic Encyclopedia

Combien de propositions de Vatican II ne tombent pas au moins sous le coup de ces censures ? Si tel n’était pas le cas, comment se pourrait-il que la majorité des conciliaires aient une interprétation hérétique de Vatican II ? Il y a bien, à la racine, un problème grave de formulation dans la plupart des documents de Vatican II, et nous croyons qu’il serait une insulte à Dieu, et qu’il serait contraire à l’infaillibilité négative des actes de l’autorité ecclésiastique, de soutenir qu’il est possible que le magistère infaillible de la Sainte Eglise, guidée par le Saint-Esprit, puisse contenir des propositions par nature ambiguës, captieuses ou malsonnantes, de sorte qu’elles laisseraient la plupart des fidèles dans le danger immédiat d’une mauvaise interprétation.

3) L’existence même de l’herméneutique de la continuité est une preuve que Vatican II pose problème.
Il n’a jamais existé dans l’histoire de l’Eglise une position théologique affirmant qu’il était nécessaire d’interpréter le nouveau magistère en continuité avec l’ancien magistère, car il a toujours été absolument évident, de par la nature même du magistère,  que les nouveaux enseignements magistériels étaient en continuité avec les anciens. Les protestants ont prétendu que l’Eglise s’était éloignée de son ancien enseignement, mais ils l’ont fait en rejetant la notion même de magistère, sans s’appuyer sur du magistère plus ancien (en faisant l’affirmation purement gratuite que l’Eglise apostolique partageait leurs croyances, et en interprétant de manière partiale certains Pères de l’Eglise). La nouveauté introduite par Vatican II est, au moins, la perte de cette claire évidence de la continuité avec le magistère antérieur [2].

Partie II. L’état d’esprit fondamental de cette position est fidéiste.

  • 4) La raison humaine peut parvenir à la certitude de certaines vérités sans avoir besoin d’une autorité.
    • Un des postulats non formulés et implicites de la position d’Archidiacre est que la raison humaine, qui pousse la plupart des personnes ayant étudié Vatican II (progressistes, indifférents ou conservateurs/traditionnalistes) à conclure que sa doctrine s’éloigne très distinctement de la doctrine enseignée auparavant par l’Eglise catholique (sur des sujets tels que la liberté religieuse, l’œcuménisme ou le judaïsme), que cette raison humaine est si faible et corrompue qu’elle est généralement incapable d’accéder à la vérité, surtout en matière religieuse, de sorte qu’il est en pratique nécessaire que l’esprit humain se repose sur une autorité pour parvenir à des conclusions certaines. Ainsi, les archidiacriens passeront leur temps à exhorter à la soumission et l’obéissance à ce qui est perçu comme « l’autorité », tout raisonnement subsidiaire n’étant qu’un accessoire visant à justifier et donner un aspect crédible à cette autorité.
    • Il devrait être inutile de représenter à quel point cette attitude est contraire à toute la Tradition catholique et au magistère même de la Sainte Eglise, qui a plusieurs fois jeté l’anathème sur ceux qui niaient que l’on puisse accéder à certaines vérités religieuses par le simple raisonnement, spécialement contre la doctrine agnostique (au sens étymologique de « l’impossibilité de connaître ») des modernistes, et qui a loué la doctrine intellectualiste de Saint Thomas d’Aquin (qui a une grande confiance dans la capacité de la raison humaine à atteindre le réel) chaque fois qu’il était possible de le faire. La manière catholique de procéder face à l’erreur n’est pas premièrement d’exhorter à la soumission et à l’abandon du raisonnement, mais plutôt d’exposer la crédibilité intrinsèque des doctrines catholiques (et pas seulement la crédibilité de l’autorité ecclésiastique), de réfuter les erreurs dans leurs fondements logiques – c’est ainsi que l’on voit les papes du XVIe siècle envoyer d’abord des théologiens controverser contre Luther et les autres réformateurs, avant que le Concile de Trente ne définisse ses célèbres anathèmes.
    • Le procédé des herméneutes est inverse : ils commencent par jeter des anathèmes et appeler à la soumission à l’Eglise, puis à justifier après coup par quelques raisonnements hasardeux, qui sont en réalité plus des hypothèses que des affirmations sur le véritable sens de Vatican II, la crédibilité intrinsèque des doctrines enseignées. L’essentiel des arguments des « herméneutes » archidiacriens consistent à établir que Vatican II est l’autorité et donc qu’il faut s’y soumettre, au lieu d’établir que le contenu intelligible de Vatican II est positivement défendable (il est en effet beaucoup plus difficile de manœuvrer sur ce second terrain et d’impressionner le public que sur le premier). Il y a, à la racine de leur démarche et dans le fond de leur argumentation, cette idée que la raison humaine n’est pas fiable et qu’il faut nécessairement la plier à une autorité. Nous notons que ce sont presque toujours des profils scrupuleux qui sont sensibles à leurs arguments, précisément parce que le scrupule est une incapacité à utiliser correctement la raison pour déterminer ce qui est bien ou mal, déterminer le vrai et le faux dans un certain domaine, et que le seul remède aux scrupules est l’humble soumission à un directeur spirituel. Encore faut-il que ces âmes sachent déterminer suffisamment quel genre de directeur et quel genre d’autorité sont susceptibles de prendre véritablement soin de leur âme.
  • 5) Il n’est pas pieux d’interpréter pieusement des actions qui sont évidemment mauvaises.
    • Archidiacre et ses partisans aiment parler du « devoir de pieuse interprétation » concernant les actions du prochain (en l’occurrence, les actions des « papes » et prélats conciliaires), qui consiste à supposer, autant que possible, un motif honorable à une action douteuse du prochain. L’inverse de cette attitude étant le soupçon ou le jugement téméraire, qui consiste à supposer ou à affirmer une intention mauvaise chez le prochain pour une action insignifiante ou objectivement bonne. Ils estiment donc qu’il est de leur devoir d’interpréter toutes les actions et paroles inqualifiables de Bergoglio dans un sens parfaitement catholique, comme s’il était un honorable défenseur de la foi qui commettait des  maladresses. Notons deux choses :
      1. la contradiction quelque peu hypocrite de ceux qui prétendent qu’ils appliquent la « pieuse interprétation » conformément à la morale catholique, tout en insultant les traditionnalistes en disant sans plus de formalités qu’ils sont hérétiques et schismatiques : des termes extrêmement graves, qui impliquent l’affirmation d’une intention gravement mauvaise, sinon on utiliserait des termes plus mitigés pour distinguer le fait objectif qui peut être schismatique ou hérétique et l’intention des personnes qui pourrait être bonne (comme ils savent si bien le faire à propos des « frères séparés », qu’ils n’osent plus appeler hérétiques ou schismatiques). Nous ne nous permettons pas pour notre part d’affirmer que ces gens sont hérétiques, bien qu’ils défendent des doctrines insoutenables, car il ne nous appartient pas de juger l’intention avec laquelle ils défendent Vatican II, et nous supposons d’ailleurs qu’ils défendent ces doctrines avec une bonne intention. Cette présomption ne semble pas fonctionner dans l’autre sens.
      2. l’absurdité d’appliquer la « pieuse interprétation » à des actions qui sont par nature mauvaises et qu’on ne peut pas raisonnablement expliquer sans un certain degré de mauvaise intention, ou qui ont des conséquences si désastreuses qu’il n’est pas besoin de discuter sur la validité de l’intention des personnes pour condamner avec violence leur action. L’obligation morale de la pieuse interprétation se limite à des actions qui sont objectivement bonnes ou dont la malignité est fondamentalement douteuse, ainsi le jugement téméraire est le jugement qui consiste à mettre des motifs pervers derrière une action innocente, neutre ou de matière légère. Considérer que deux personnes qui vivent dans l’adultère vivent dans l’habitude du péché mortel, ce n’est pas un jugement téméraire, c’est un constat nécessaire (car il ne peut pas exister une « ignorance invincible » de la loi naturelle chez des êtres capables d’utiliser leur raison). Considérer qu’un homme d’Eglise qui embrasse le Coran devant le monde entier peut le faire avec une autre intention que de donner l’image d’une bénédiction de l’islam par l’Eglise catholique, chose absolument impie et dégoutante qui ferait frémir d’horreur tous les saints et les papes des siècles passés, c’est simplement nier la réalité, car ce geste ne peut pas raisonnablement signifier autre chose.
    • Nous ne citons ici qu’une des actions parmi les plus choquantes des pontifes de Vatican II, parmi les nombreuses actions et paroles qui prouvent chaque jour qu’ils n’ont aucune intention de poursuivre le bien de l’Eglise et de défendre la doctrine catholique : le sujet n’est pas, d’ailleurs, d’établir le degré de malignité de leurs actions, simplement de constater qu’ils vivent dans une intention objective qui est contraire au bien de l’Eglise, et donc qu’ils ne peuvent pas, en l’état actuel, recevoir l’autorité du Christ pour régner sur son Eglise. Constater cela n’a rien à voir avec un jugement téméraire au sens de la théologie morale, et ce n’est pas Archidiacre et « le lorrain » qui sont en mesure de nous donner des leçons sur le fait d’interpréter pieusement les actions et les paroles du prochain.  

Partie III. Cette position repose sur la négation de la réalité.

  • 6) La majorité des conciliaires n’accepte pas la position d’Archidiacre.
    On pourrait réfuter l’herméneutique de la continuité simplement en citant des autorités conciliaires, tant cette position est minoritaire et même marginale dans le monde catholique d’aujourd’hui. Ses partisans semblent avoir une telle assurance que l’on voudrait croire que leur position est la position officielle de l’Eglise catholique, qu’ils sont les fidèles interprètes des desseins de la hiérarchie et du sentiment commun des fidèles. Il n’en est rien : la majorité des fidèles et la majorité de la hiérarchie, y compris Bergoglio et ses prédécesseurs, sont évidemment plus « à gauche » qu’eux et admettent sans problème qu’il y a une contradiction entre Vatican II et le magistère antérieur. Pour ne citer qu’une de ces autorités, et pas des moindres : « En liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions du monde, Gaudium et Spes est une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-Syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l’Église avec le monde tel qu’il est devenu depuis 1789. » (Joseph Ratzinger, Les principes de la théologie catholique).
  • 7) Cette position n’offre aucune explication sérieuse au problème du modernisme dans le clergé.
    Pour les partisans d’Archidiacre, le fait que la majorité du clergé conciliaire soit grevé à des degrés plus ou moins graves par le modernisme, le libéralisme et toutes autres sortes de doctrines folles et perverses, est soit une réalité qu’ils cherchent à nier (en prétendant contre l’absurde que « l’Eglise se porte bien », que la foi rayonne partout y compris dans le clergé, etc.), soit une chose dont ils reconnaissent l’existence mais dont ils cherchent absolument à enlever la responsabilité aux plus hauts degrés de la hiérarchie (surtout à celui qu’ils pensent être le pape). Un prêtre traditionaliste allemand répondait par dérision, à ceux qui disaient que Paul VI n’était pas responsable de la crise de l’Eglise, qu’il « ne savait pas » ce qui se passait : « ah, si seulement le Fürher avait su ! » – autrement dit : prétendre que Paul VI n’est pas responsable de l’explosion du modernisme dans le clergé est aussi ridicule que de prétendre, par exemple, qu’Hitler n’est pas responsable des actions commises par le régime nazi. Dans toute société, c’est le chef qui doit être tenu pour responsable des dysfonctionnements quand ils répandus partout et qu’ils corrompent le fonctionnement ordinaire de cette société, au point de causer un tort immense à la majorité des sujets : pourquoi en serait-il tout d’un coup autrement avec les pontifes conciliaires ? C’est encore une sévère négation de la réalité, que de prétendre qu’il n’y a pas de lien de cause à effet entre la doctrine et les exemples des pontifes de Vatican II, d’une part, et la doctrine et les actions de la plupart des clercs conciliaires d’autre part. La soi-disant « mauvaise interprétation » de Vatican II n’est visiblement pas mauvaise au point que l’autorité se soit  donnée des moyens de la combattre efficacement.
  • 8) Cette position nie le scandale objectif dans les actions des pontifes conciliaires.
    Nous avions évoqué plus haut la question de la pieuse interprétation et du jugement téméraire. Mais cette question est en réalité secondaire dans le problème qui nous occupe. Archidiacre et le lorrain s’évertuent à sauver la pureté de l’intention des pontifes conciliaires lorsqu’ils effectuent des paroles ou des gestes de profonde vénération à l’égard des fausses religions et des hérésies, l’essentiel du problème réside dans les conséquences pratiques des actions des pontifes sur la foi des fidèles : elles sont évidemment et irrémédiablement désastreuses, elles doivent évidemment être dénoncées et combattues par ceux qui sont encore attachés à la foi catholique. Il y a dans ces actions un scandale immense et objectif, qui appelle une réaction proportionnée, et une réflexion sérieuse sur l’intention réelle de ces personnes qui prétendent être les vicaires de Jésus-Christ : est-il seulement possible qu’un pape manifeste, de manière habituelle et publique, de la sympathie pour les fausses religions, au point d’entraîner la plupart des catholiques à considérer que ces fausses religions sont bonnes ? Est-ce seulement compatible avec l’autorité pontificale ? La question n’est même pas de savoir s’ils ont une intention subjectivement mauvaise dans cette entreprise, mais de constater l’extrême divergence entre les devoirs d’un souverain pontife et l’intention objective de Jean-Paul II ou de François. L’aspect objectif de la question est évacué par les partisans de cette position, qui essayent par exemple de sauver les réunions d’Assise en expliquant dans une improbable démonstration que ces réunions doivent être qualifiées de « coopération matérielle éloignée » aux faux cultes  – outre l’aspect ridicule de cette démonstration, elle nie les conséquences pratiques et immédiates des scandales de Jean-Paul II.
  • 9) La contradiction entre Vatican II et le magistère de l’Eglise n’est pas simplement apparente.
    Pour en revenir au postulat de départ de « l’herméneutique de la continuité » qui consiste à réconcilier avec le dogme catholique toutes les « contradictions apparentes » de Vatican II n’est pas seulement erroné d’un point de vue logique (cf. point n°1), elle l’est aussi et surtout d’un point de vue factuel : ce qui est libellé comme « contradiction apparente » est en réalité une contradiction nette et évidente, et les rédacteurs de Vatican II en avaient plus ou moins conscience : ainsi Congar, qui haïssait le Syllabus et les définitions antimodernes des papes,  raconte dans ses mémoires qu’il n’avait pas pu établir que la liberté religieuse soit fondée sur la Révélation, bien que cela soit affirmé dans le texte conciliaire.  « Gaudium et spes est un contre-Syllabus » disait Ratzinger (cf. point 6). N’importe quel historien ou sociologue, étranger ou familier au monde catholique, sait que Vatican II est un changement radical dans l’attitude de l’Eglise face au monde moderne, et sait que ce « monde moderne » se définit d’abord par un ensemble de doctrines et de principes, et que Vatican II a cherché d’une manière ou d’une autre à s’accommoder à ces principes et ces doctrines, pourtant condamnés par les papes du XIXe et du XXe siècle. Ceci appartient à l’ordre des faits et si être un « herméneute de la continuité » signifie nier ce fait et nier les contradictions textuelles évidentes, par exemple entre les définitions de Pie IX et celles de Vatican II sur la liberté religieuse,  cela signifie que l’herméneutique de la continuité est un système faux, car il n’est pas possible qu’une doctrine vraie ait pour fondement la négation d’un fait évident et universellement constaté. Contra factum non fit argumentum : on ne peut pas bâtir toute une argumentation sur la négation d’un fait. Une bonne manière d’élucider le « véritable sens » des textes de Vatican II est de voir comment ils ont été appliqués par la hiérarchie conciliaire, et ils ont en effet été appliqués suivant leur sens évident : le Vatican a forcé l’Espagne de Franco à  autoriser d’autres cultes que le catholicisme, au nom du « droit à la liberté religieuse » ; le nouveau concordat de 1984 avec l’Italie inaugure la neutralité religieuse de la première nation catholique du monde (dont le catholicisme état auparavant religion d’état), avec une référence explicite à Vatican II et à la liberté religieuse comme principe directeur de cette révision du concordat [3].
  • 10) L’histoire de Vatican II, et du monde catholique depuis Vatican II, contredisent définitivement les postulats fantaisistes de l’herméneutique de la continuité.
    Les herméneutes vivent dans un monde imaginaire, un monde dans lequel Vatican II fut une paisible assemblée des défenseurs de la foi, qui se réunirent pour rappeler les grandes vérités chrétiennes au monde moderne dans un langage plus adapté à l’époque actuelle. Il suffit de lire les mémoires de ceux qui ont participé à la rédaction de Vatican II [4], ou simplement de lire n’importe quel livre d’histoire sérieux sur le sujet [5], pour comprendre que Vatican II est bien le résultat du triomphe d’une faction « progressiste » (si l’on ne veut pas dire moderniste), encouragée et protégée par Jean XXIII puis par Paul VI, sur une faction « conservatrice » qui elle incarne, en fait, les positions et les croyances que les catholiques ont toujours tenu jusqu’ici sur le monde moderne, les fausses religions, les sectes hérétiques et schismatiques. Il y a donc eu un changement radical initié par une clique de théologiens condamnés à l’époque de Pie XII et accueillis voir même appelés au Vatican par Jean XXIII. Jean XXIII et Paul VI eux-mêmes étaient parfaitement conscients de cette situation, et sympathisants du groupe de théologiens qui ont introduit dans le texte de Vatican II des notions novatrices telles que le droit naturel à la liberté religieuse, la distinction réelle entre l’Eglise du Christ et l’Eglise catholique, l’innocence du peuple juif dans la crucifixion, le fait qu’une secte schismatique puisse être l’instrument du salut des âmes. Il y a eu ensuite un changement liturgique radical, en continuité avec les changements théologiques et suivant des principes modernistes : au vu de la documentation historique dont nous disposons, il est pareillement ridicule et insoutenable de prétendre que cette réforme liturgique ait été menée suivant les principes catholiques traditionnels, et qu’elle n’ait rien à voir avec le protestantisme ou l’accommodation aux lubies du monde moderne impie. Toute l’histoire du catholicisme depuis 60 ans est une négation des postulats de l’herméneutique de la continuité.
« Planter, c’est avoir l’espérance. C’est croire en une vie qui croît et qui est féconde, pour satisfaire la faim de la création de la Terre Mère. Cela nous ramène à notre origine par la reconnexion avec l’énergie divine et nous enseigne le chemin du retour vers le Père Créateur. « Le synode, c’est planter cet arbre, l’arroser et le cultiver, pour faire que les peuples amazoniens soient entendus et respectés dans leurs coutumes et leurs traditions, en faisant l’expérience du mystère de la divinité présente dans le sol amazonien. « L’acte de planter dans le jardin du Vatican est un symbole qui invite l’Eglise à engager encore davantage avec les peuples de la forêt et toute l’humanité. Mais aussi, c’est la dénonciation de ceux qui détruisent notre maison commune par esprit de lucre, en recherchant leur propre profit. »
Explications données par Ednamar de Oliveira Viana, organisatrice de l’évènement du 4 octobre 2019 impliquant la plantation d’un « arbre sacré » et la vénération de « symboles de fertilité » dans les jardins du Vatican. Le culte de la déesse-mère chez les peuples sud-américains est basé sur l’idée de la faim de cette terre-mère, que l’on doit apaiser par des offrandes.

Conclusion : quelles conséquences pratiques ?

« L’enfer est pavé de bonnes intentions » : on peut faire le travail du démon avec les meilleurs intentions du monde. Certaines âmes pieuses se sont illusionnées en pensant, comme Saul a pensé qu’il était agréable à Dieu de persécuter les chrétiens, qu’elles feraient la meilleure œuvre du monde en persécutant les derniers défenseurs de la foi et de la Tradition de l’Eglise dans un monde apostat. Ce qu’ils se proposent de faire, c’est que ces derniers résistants se mettent sous l’influence du clergé moderniste, et finissent par devenir des libéraux insensibles à l’erreur et au mal, comme sont voués à le devenir ces défenseurs de l’orthodoxie eux-mêmes.

Car en effet, il est impossible d’être sincèrement soumis à l’autorité conciliaire sans finir par admettre une foule de choses choquantes, grotesques, dangereuses ou parfaitement immorales comme étant des choses de rien, des choses secondaires. A leur contact, le sens de la foi s’affaiblit et finira peut-être par mourir. Qu’est-ce que les « herméneutes » ne finiront pas par accepter au nom de la soumission aux conciliaires ? N’oublions pas que ces gens nous proposent d’admettre qu’un « saint » a embrassé le Coran devant le monde entier.

Les verra-t-on bientôt se prosterner devant des idoles démoniaques pour « honorer la partie bonne » de ces idoles ou de ce qu’elles représentent ? En tout cas, ils acceptent parfaitement que cela se fasse dans les jardins du Vatican, en utilisant toutes les distinctions artificieuses que leur imagination pourrait produire pour « interpréter pieusement ». Ainsi au contact de cette hiérarchie conciliaire, on devient peu à peu tiède, insensible ou complaisant face à tous les travers intellectuels et moraux du monde moderne, face à toutes les fausses religions et les hérésies (sauf l’horrible hérésie sédévacantiste !), puisque c’est la directive officielle.

Nous conclurons avec une réflexion tirée des épîtres de Saint Paul : si quelqu’un qui semblait être un saint et un apôtre, qui avait toutes les garanties extérieures d’être envoyé par l’Eglise et de parler en son nom, devait prêcher un autre évangile que celui qui a été véritablement reçu du Christ, faudrait-il présumer une erreur de compréhension de notre part et fournir un effort d’interprétation favorable de ce nouvel évangile en continuité avec l’ancien ? Saint Paul dit simplement, en évoquant la possibilité que lui-même se mette à annoncer un faux évangile : qu’il soit anathème. 

Mais si quelqu’un, fût-ce nous-même ou un Ange du Ciel, vous annonçait un autre évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème! Je l’ai dit, et je le dis encore maintenant: Si quelqu’un vous annonçait un autre évangile que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème! Car, en ce moment, est-ce la faveur des hommes que je désire, ou celle de Dieu? Est-ce que je cherche à plaire aux hommes? Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ.

(Galates 1, 8-10)

Jean-Tristan B.


[1] La bulle Auctorem Fidei (1794), contre les erreurs des jansénistes, est particulièrement sévère contre les discours ambigus introduisant des idées dangereuses sous apparence de piété, et contre les hypocrites qui se justifient par milles subtilités d’être en parfait accord avec la doctrine catholique, alors qu’ils sont en réalité attachés à des idées mauvaises.

[2] C’est ce que disait Benoît XVI lui-même : « Il est clair que dans tous ces secteurs, dont l’ensemble forme une unique question, pouvait ressortir une certaine forme de discontinuité et que, dans un certain sens, s’était effectivement manifestée une discontinuité dans laquelle, pourtant, une fois établies les diverses distinctions entre les situations historiques concrètes et leurs exigences, il apparaissait que la continuité des principes n’était pas abandonnée – un fait qui peut échapper facilement au premier abord. » Benoît XVI prétend donc qu’il y a « continuité de principes », mais admet qu’il y a une « une certaine forme de discontinuité ». Notons par ailleurs que la « continuité de principes » ne signifie pas pour Benoît XVI ce qu’elle semble signifier pour les herméneutes archidiacriens : il admet que Vatican II contredit le magistère de l’Eglise (cf. point 6), et réduit les « principes catholiques » à une sorte d’ensemble vague et flou de vérités plus ou moins communes à toutes les dénominations chrétiennes, à quelques exceptions près. Prétendre à la « continuité des principes » face à une discontinuité évidente dans la doctrine est une technique typiquement moderniste déjà vue à l’époque de Saint Pie X : les modernistes prétendent être toujours fidèle à l’essence de la religion, débarrassée de ses « additions historiques » (c’est à dire, de la plupart de ses dogmes).

[3] « compte tenu du processus de transformation politique et sociale qui s’est manifesté en Italie durant les dernières décennies et des changements introduits dans l’Eglise par le Concile Vatican II ;compte tenu, pour la République italienne, des principes établis par sa Constitution, et, pour le Saint-Siège, des déclarations du Concile œcuménique Vatican Il concernant la liberté religieuse et les rapports entre l’Eglise et la communauté politique, ainsi que de la nouvelle codification du droit canonique ; … La République italienne et le Saint-Siège réaffirment que l’Etat et l’Eglise catholique sont, chacun dans son propre domaine, indépendants et souverains » https://legirel.cnrs.fr/spip.php?article284

[4] Les personnalités suivantes ont écrits des mémoires relatifs à leur participation à Vatican II : Yves Congar, Marie-Dominique Chenu, Gerard Philips, Léon-Joseph Suenens (cardinal & évêque de Malines-Bruxelles), Maurice Pourchet (évêque de Saint-Flour), et d’autres. L’architecte de la réforme liturgique et de la nouvelle messe, Annibale Bunigni, a également écrit ses mémoires qui nous renseignent de manière on ne peut plus directe et explicite sur les véritables buts de la réforme : faire des concessions aux protestants et au monde moderne, en faisant plus ou moins disparaître de la liturgie l’expression de certains dogmes catholiques, et en y introduisant diverses notions modernistes.   

[5] Exemples d’ouvrages 1) Sur la réforme liturgique : les mémoires de Bunigni, « Demain la liturgie » de Joseph Gélineau, « La messe de Paul VI en question » de l’abbé Cekada (qui cite des documents historiques de première main). 2) Sur les débats théologiques : « Iota unum » de Romano Amerio, « Le Rhin se jette dans le Tibre » de Ralph Witgen. 3) Sur Jean XXIII : « le Pape du Concile » de Peter Hebblethwaite.

L’importance du sport selon Pie XII

DISCOURS DE PIE XII AUX SPORTIFS ITALIENS Solennité de Pentecôte, 20 mai 1945

Thomas Eakins – The Biglin Brothers Racing

Vous nous apportez, très chers jeunes, parmi tant de motifs de tristesse et d’angoisse, qui nous affligent profondément, une grande joie, une grande espérance, cette joie, cette espérance, dont était rempli le cœur de Jean, l’Apôtre bien-aimé de Jésus, l’ardent vieillard à l’âme inaltérablement jeune, quand il s’exclamait : « Je vous écris, jeunes gens, parce que vous êtes forts, que la parole de Dieu demeure en vous et que vous avez vaincu le Mauvais » (1Jn 2,14). De cette joie qui est la Nôtre, de ce magnifique spectacle d’une vaillante, franche, généreuse et audacieuse jeunesse, qui dans la « Pâques du Sport » a renouvelé avec l’accomplissement des devoirs religieux ses énergies spirituelles et maintenant, réunie ici, démontre avec un chaleureux (et en partie aussi, nous voudrions dire, bruyant) enthousiasme sa fidélité au Christ et à l’Eglise, nous sommes redevables à la méritante Présidence du Centre Sportif Italien, qui en union avec le Comité Olympique National Italien et avec les Fédérations Nationales, est devenue l’active promotrice de cette opportune manifestation, sur laquelle nous invoquons du Ciel les plus abondantes faveurs et secours.

Autant est loin de la vérité celui qui blâme l’Eglise de ne pas prendre soin des corps et de la culture physique, que celui qui voudrait restreindre sa compétence et son action aux choses « purement religieuses », « exclusivement spirituelles ». Comme si le corps, créature de Dieu à l’égal de l’âme, à laquelle il est uni, ne devait pas avoir sa part à l’hommage à rendre au Créateur ! « Soit que vous mangiez –écrivait l’Apôtre des Gentils aux Corinthiens – soit que vous buviez, et quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu » (1Co 10,31) Saint Paul parle ici de l’activité physique ; le soin du corps, le « sport », entre donc bien dans les paroles « quoi que vous fassiez ». Bien plus même il en parle souvent explicitement : il parle des courses, des combats non pas avec des expressions critiques ou de réprobation, mais en connaisseur qui en élève et en ennoblit chrétiennement le concept.

Car, enfin, qu’est-ce que le sport, sinon une des formes d’éducation du corps ? Maintenant cette éducation est en rapport étroit avec la morale. Comment donc l’Eglise pourrait-elle s’en désintéresser ?

Et en réalité elle a toujours eu envers le corps une sollicitude et une attention, que le matérialisme, dans son culture idolâtre, n’a jamais manifesté. Et c’est bien naturel, car celui-ci ne voit et ne connait du corps que la chair matérielle, dont la vigueur et la beauté naissent et fleurissent pour ensuite rapidement se faner et mourir, comme l’herbe des champs qui finit dans les cendres et la boue. Très différente est la conception chrétienne. Le corps humain est, en lui- même, le chef d’œuvre de Dieu dans l’ordre de la création visible. Le Seigneur l’avait destiné à fleurir là-haut, pour éclore immortel dans la gloire du ciel. Il l’a unit à l’esprit dans l’unité de la nature humaine, pour faire gouter à l’âme l’enchantement des œuvres de Dieu, pour l’aider à regarder dans ce miroir leur commun Créateur, à le connaître, à l’adorer, à l’aimer ! Ce n’est pas Dieu qui a rendu le corps humain mortel, mais le péché ; mais si à cause du péché le corps, tiré de la poussière, doit retourner un jour en poussière, de celle-ci cependant le Seigneur le tirera de nouveau pour le ramener à la vie. Ainsi réduits en poussière, l’Eglise respecte et honore les corps, morts pour ensuite ressusciter. Mais l’Apôtre Paul nous conduit à une vision encore plus haute : « Ne savez-vous pas, -dit-il – que votre corps est un temple du Saint Esprit, qui est en vous et que vous tenez de Dieu ? Et que vous ne vous appartenez pas ? Vous avez été bel et bien achetés ! Glorifiez donc Dieu dans votre corps » (1 Co 6,19-20).

Glorifiez Dieu dans votre corps, temple du Saint Esprit ! Ne reconnaissez-vous pas là, très chers fils, les mêmes paroles qui résonnent si souvent dans les psaumes ! Louez Dieu et glorifiez-Le dans son temple saint ! Mais alors il faut dire encore du corps humain : Domum tuam decet sanctitas, Domine (Ps 92,5). A ton temple s’ajoute la sainteté, ô Seigneur ! Il faut aimer et cultiver la dignité, l’harmonie, la beauté chaste de ce temple : Domine, diligo habitaculum domus tuae et locum tabernaculi gloriae tuae (Ps 25,8).

Glorifiez Dieu dans votre corps, temple du Saint Esprit !
Il faut aimer et cultiver la dignité, l’harmonie, la beauté chaste de ce temple.

Maintenant quel est, en premier lieu la fonction et la finalité du « sport », entendues sainement et chrétiennement, sinon justement de cultiver la dignité et l’harmonie du corps humain, de développer la santé, la vigueur, l’agilité et la grâce ?

Et ne reproches pas non plus à saint Paul son expression énergique : Castigo corpus meum ei servitutem redigo : « Je meurtris mon corps au contraire et le traîne en esclavage » (1 Co 9,27), lui qui dans le même passage s’appuie sur l’exemple des fervents amateurs du « sport », qui, exercé modérément et consciencieusement, fortifie le corps, le rend sain, frais et vigoureux, mais pour accomplir cette œuvre éducative, le soumet à une discipline rigoureuse et souvent dure, qui le domine et le réduit vraiment en servitude ; en l’entraînant à la fatigue, à la résistance, à la douleur, à l’habitude de continence et de sévère tempérance, toutes conditions indispensables à celui qui veut remporter la victoire.

Le « sport » est un antidote efficace contre la mollesse et la vie facile, il réveille le sens de l’ordre et éduque à l’épreuve, à la maîtrise de soi, au mépris du danger sans fanfaronnade ni pusillanimité. Vous voyez bien comment cela dépasse déjà la seule robustesse physique, pour mener à la force et la grandeur morales. C’est ce que Cicéron dans son incomparable limpidité de style exprimait en disant : Exercendum…corpus et ita afficiendum est, ut oboedire consilio rationique possit in exsequendis negotiis et in labore tollerando (De Off , I,XXIII, 1). Du pays natal du « sport » provint le proverbial « fair-play », cette émulation chevaleresque et courtoise qui élève les esprits au-dessus de la mesquinerie des tricheries, des manigances d’une vanité susceptible et vindicative, et les préserve des excès d’un nationalisme fermé et intransigeant.

Le « sport » est une école de loyauté, de courage, d’endurance, de décision, de fraternité universelle, toutes vertus naturelles, mais qui fournissent aux vertus surnaturelles une base solide, et préparent à soutenir sans faiblesse le poids des plus lourdes responsabilités. Comment pourrions-nous Nous-même en cette occasion ne pas rappeler l’exemple de Notre grand prédécesseur Pie XI, qui fut aussi une Maître du « sport » alpin ? Relisez le récit, si impressionnant dans sa tranquille simplicité, de cette nuit toute entière passée, après une difficile ascension de vingt heures, sur une étroite arête de rocher du Mont Rose, à 4600 mètres d’altitude au-dessus du niveau de la mer, par un froid glacial, debout, sans pouvoir faire un pas dans aucun sens, sans pouvoir se laisser vaincre un seul instant par le sommeil, mais au centre ce très grandiose théâtre alpin parmi les plus grandioses, devant cette très imposante révélation de la toute puissance et de la majesté de Dieu (CF A.Ratti, Scritti alpinistici, Milan 1923, p. 42- 43). Quelle résistance physique, quelle ténacité morale suppose un tel comportement ! Et quelle préparation, ces aventures audacieuses durent être pour lui donner son courage intrépide dans l’accomplissement des formidables devoirs qui l’attendaient, pour la solution des problèmes apparemment inextricables, devant lesquels il allait se trouvait un jour comme Chef de l’Eglise !

Fatiguer sainement le corps pour reposer l’esprit et le disposer à de nouveaux travaux, affiner les sens pour acquérir une plus grande intensité de discernement des facultés intellectuelles, exercer ses muscles et s’habituer à l’effort pour tremper le caractère et se former une volonté forte et souple comme l’acier : telle était l’idée que le prêtre alpiniste s’était fait du « sport ».

Fatiguer sainement le corps pour reposer l’esprit et le disposer à de nouveaux travaux, affiner les sens pour acquérir une plus grande intensité de discernement des facultés intellectuelles, exercer ses muscles et s’habituer à l’effort pour tremper le caractère et se former une volonté forte et souple comme l’acier.

Comme cette idée est donc loin du matérialisme grossier, pour qui le corps est tout ! Mais comme elle est aussi contraire à cette folie d’orgueil, qui ne se retient pas de ruiner par un surmenage insensé les forces et la santé du « sport », pour conquérir la palme dans une compétition de boxe ou de vitesse, et l’expose même parfois témérairement à la mort ! Le « sport » digne de ce nom, rend l’homme courageux en face du péril du présent, mais n’autorise pas à s’exposer sans une raison proportionnée à un risque grave : ce qui serait moralement illicite. A ce propos Pie XI écrivait : « Par ces mots – vrai danger – je veux dire…, il n’est pas possible qu’on puisse affronter cet état de chose soit en lui-même soit par les dispositions du sujet qui s’y engage sans qu’un malheur n’arrive » (Ibid. p.59). Pour cela il observait au sujet de son ascension sur le Mont Rose : « L’idée de tenter, comme on le dit d’habitude, un coup dangereux, ne nous passait même pas par la tête. L’alpinisme véritable n’est pas en effet une affaire de casse-cous, mais au contraire tout est seulement question de prudence et d’un peu de courage, de force et de constance, d’amour de la nature et de ses beautés plus secrètes » (Ibid. p.22).

Sir John Lavery – Tennis under the orange trees, Cannes – 1856 – 1941

Ainsi compris, le « sport » n’est pas une fin, mais un moyen ; il doit être comme cela et rester ordonné au but, qui consiste à former et éduquer de manière parfaite et équilibrée tout l’homme, pour qui le « sport » est une aide dans l’accomplissement rapide et joyeux du devoir, tant dans la vie de travail que dans celui de la famille. Par un renversement lamentable de l’ordre naturel quelques jeunes consacrent avec passion tout leur intérêt et toute leurs activités aux réunions et aux manifestations sportives, aux exercices d’entrainement et aux compétitions, mettent tout leur idéal dans la conquête d’un « championnat », mais ne prêtent qu’une attention distraite et ennuyée aux nécessités fastidieuses de l’étude ou de la profession. Le foyer domestique n’est plus pour eux qu’un hôtel où ils font halte en passant comme des étrangers.

Vous êtes, vous, grâce au ciel, bien différents, très chers fils, quand, après une belle compétition, vous vous remettez, rapidement et avec une ferveur renouvelée, au travail, lorsque rentrés à la maison, vous réjouissez la famille avec vos récits exubérants et enthousiastes.

Au service de la vie saine, robuste, ardente, au service d’une activité plus féconde dans l’accomplissement de vos devoirs d’état, le « sport » peut et doit être au service de Dieu. A cette fin de fait celui-ci incline les âmes à diriger les forces physiques et les vertus morales, qu’il développe ; mais tandis que le païen se soumet au régime sportif sévère pour obtenir seulement une couronne éphémère, le chrétien s’y soumet pour un but plus haut, pour un prix immortel (Cf. 1Co 9,25).

Avez-vous remarqué le nombre considérable de soldats parmi les martyrs que vénère l’Eglise ? Aguerris dans leur corps et leur caractère par les exercices inhérents au métier des armes, ceux-ci étaient pour le moins semblables à leurs frères d’armes pour le service de la patrie, pour la force, pour le courage ; mais ils se montraient incomparablement supérieurs à ceux-ci, prêts comme ils étaient au combat, aux sacrifices pour le service loyal du Christ et de l’Eglise. Animés de la même foi et du même esprit, soyez, vous aussi, disposés à tout subordonner à vos devoirs de chrétiens.

Ainsi compris, le « sport » n’est pas une fin, mais un moyen ; il doit être comme cela et rester ordonné au but, qui consiste à former et éduquer de manière parfaite et équilibrée tout l’homme, pour qui le « sport » est une aide dans l’accomplissement rapide et joyeux du devoir, tant dans la vie de travail que dans celui de la famille.

A quoi serviraient en effet le courage physique et l’énergie du caractère, si le chrétien en usait seulement à des fins terrestres, pour gagner une « coupe » ou pour se donner des airs de surhomme ? Si on ne sait pas, quand cela arrive, réduire d’une demi-heure le temps de sommeil ou retarder un rendez-vous au stade, plutôt que négliger d’assister à la Messe dominicale ; si on ne réussit pas à vaincre le respect humain pour pratiquer la religion et la défendre ; si on ne se sert pas de sa prestance et de son autorité pour arrêter ou réprimer du regard, par la parole ou le geste, un juron, un propos obscène, une malhonnêteté, pour protéger les plus jeunes et les plus faibles contre les provocations et les assiduités douteuses ; si on ne s’habitue pas à terminer ses heureux succès sportifs en louant Dieu, Créateur et Seigneur de la nature et de toutes ses forces ? Soyez toujours conscients que l’honneur le plus haut et le destin le plus saint du corps est d’être la demeure d’une âme, qui resplendit de pureté dans la société et soit sanctifiée par la grâce divine.

Ainsi, très chers fils, est dessiné et tracé le but du « sport ». Accomplissez résolument cette œuvre, conscients que dans le champ de la culture physique la conception chrétienne n’a rien à recevoir d’autrui, mais plutôt à donner. Celui qui dans les diverses sortes de manifestations sportives s’est montré comme vraiment bon, vous pouvez l’accepter et l’adopter autant que les autres.

Mais pour ce qui regarde la place que le « sport » doit avoir dans la vie de l’homme, pour chacun, pour la famille, pour tout le monde, l’idée catholique est simplement salvatrice et éclairante.

L’expérience des dernières décennies est en ce sens hautement instructive ; celle-ci a démontré comment seule l’évaluation chrétienne du « sport » est capable de s’opposer efficacement aux fausses idées et aux tendances pernicieuses et d’en éliminer l’influence néfaste ; en contrepartie celle-ci enrichit la culture physique de tout ce qui concourt à élever la valeur spirituelle de l’homme et, ce qui compte le plus, l’oriente vers une noble exaltation de la dignité, de la vigueur et de l’efficacité d’une vie pleinement et fortement chrétienne. C’est en cela que le sportif exerce son apostolat, quand il reste fidèle aux principes de sa foi.

Il est assez remarquable de voir combien l’Apôtre Paul utilise souvent l’image du « sport » pour représenter sa mission apostolique et la vie du combat chrétien sur terre, surtout dans la première Lettre aux Corinthiens. « Ne savez-vous pas – écrit-il – que, dans les courses du stade, tous courent, mais un seul obtient le prix ? Courez donc de manière à le remporter ». Et là il ajoute les paroles auxquelles nous avions déjà fait allusion : « Tout athlète se prive de tout ; mais pour eux, c’est pour obtenir une couronne périssable, nous une impérissable. Et c’est bien ainsi que je coure, moi, non à l’aventure ; c’est ainsi que je fais du pugilat, sans frapper dans le vide. Je meurtris mon corps au contraire, et le traîne en esclavage, de peur qu’après avoir été celui qui proclame aux autres, je ne sois moi-même disqualifié » (1Co 9,24-27).

Ces quelques mots jettent sur le « sport » des rayons de lumière mystique. Mais ce qui importe à l’Apôtre, c’est cette réalité supérieure, dont le « sport » est la représentation symbolique : le travail incessant pour Christ, la comparaison et l’assujettissement du corps à l’âme immortelle, la vie éternelle comme prix de ce combat. Pour le sport chrétien aussi, pour vous aussi, très chers fils, le « sport » ne doit pas être l’idéal suprême, le but ultime, mais doit servir à tendre vers cet idéal, à atteindre cette fin. Si un exercice sportif est pour vous une récréation et un stimulant pour accomplir avec fraîcheur et ardeur vos devoirs dans le travail ou l’étude, on peut bien dire que celui-ci montre sa vraie signification et sa réelle valeur, et obtient heureusement son propre but. Et si, outre cela, le « sport » est pour vous non seulement une image, mais en quelque sorte aussi la réalisation de votre devoir le plus haut, c’est-à-dire, si vous faites tout votre possible au moyen de l’activité sportive pour rendre le corps plus docile et obéissant à l’esprit et à vos obligations morales, si en outre par votre exemple vous contribuez à donner à l’activité sportive une forme qui correspond mieux à la dignité humaine et aux préceptes divins, alors votre culture physique acquiert une valeur surnaturelle, alors vous réalisez dans le même temps et en une seule action le symbole et la chose symbolisée dont parle Saint Paul, alors vous vous préparez à pouvoir une jour proclamer comme le grand combattant apostolique : « J’ai combattu jusqu’au bout le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi. Et maintenant, voici qu’est préparée pour moi la couronne de justice, qu’en retour le Seigneur me donnera en ce jour-là, lui, le juste Juge, et non seulement à moi mais à tous ceux qui auront attendu avec amour son Apparition » (2Tim 4, 7-8).

Afin que le Tout-Puissant, créateur de vos corps et de vos âmes, le Saint Esprit, dont votre corps est le temple, Marie, la Vierge forte et la Mère sans tâche, vous gardent, vous protègent, vous accordent de « jouir toujours de la santé de l’esprit et du corps », Nous, vous plaçant sous leur protection, nous vous donnons de tout cœur à vous, à vos compagnons, à vos familles, Notre paternelle Bénédiction Apostolique.

(Cf. Pie XII 23-V-1945 dans Discours et Radiomessages de Pie XII, Vol. VII p ; 54-63)

Un hérétique et schismatique déclaré docteur de l’Eglise

Le dossier Grégoire de Narek

Certaines sources[1] font état d’un nouveau projet dans la Rome conciliaire, celui d’un processus de canonisation spécifique pour les non-catholiques. Ce projet serait, en soi, en parfaite continuité avec la doctrine de Vatican II, suivant laquelle n’importe quelle religion est sanctifiante. Mais il a un côté particulièrement choquant, qui donnerait une sensation de « roue libre » de la part du Vatican conciliaire, s’ils en sont réduits à honorer comme saints des personnes qui n’ont pas daigné rendre à Dieu le minimum des honneurs qui lui sont dus, en professant les vérités de la foi et la communion avec l’unique Eglise de Jésus-Christ.

Pourtant, ce fait exceptionnellement choquant et grotesque a déjà eu lieu, dans une indifférence presque générale. L’occupant du Saint-Siège, Jorge Bergoglio, a en effet de facto « canonisé » et même déclaré « docteur de l’Eglise » (le 23 février 2015) une personne qui, de manière certaine, n’a jamais fait partie de la communion catholique : Grégoire de Narek (mort au début du XIe siècle), célèbre moine et écrivain arménien, membre de la secte schismatique et hérétique qui se fait appeler « église apostolique arménienne ».

On nous objectera que Grégoire de Narek n’a pas vraiment été « canonisé » puisqu’il n’y a pas eu de procès ou de déclaration particulière à l’égard de sa sainteté : oui et en un certain sens c’est encore pire que s’il y avait eu un faux procès, car Bergoglio (et avant lui Jean-Paul II) semblent en fait accorder à l’église hérétique et schismatique des Arméniens le pouvoir de faire des canonisations elle-même, ou bien considérer que la simple réputation de sainteté parmi les hérétiques et les schismatiques est suffisante pour que l’Eglise catholique puisse considérer une personne comme sainte. Comment une telle énormité a pu passer presque inaperçue !

Nous avons souhaité, pour laver un tant soit peu l’honneur de l’Eglise, de ses saints et de ses docteurs, et démontrer une nouvelle fois toute la malfaisance de Bergoglio et des conciliaires, revenir sur cette « affaire » invraisemblable, qui semble constituer les prémices d’un déluge à venir de fausses canonisations d’hérétiques, de schismatiques ou même de païens.


1/ Les Principes

Qu’est-ce qu’une canonisation ?

La confusion universelle parmi les esprits catholiques, faisant suite à Vatican II, laisse parfois une sorte de flou autour de la notion de canonisation. Pour certains, la canonisation consiste simplement, pour l’Eglise, à dire qu’une personne a sauvé son âme : on appelle en effet, sous un certain rapport, « saintes » toutes les personnes qui sont en état de grâce, ce qui inclut les personnes vivant sur terre et celles qui ont connu la mort naturelle (âmes du Purgatoire et âmes du Paradis). Cette conception minimaliste de la canonisation est tout simplement fausse : lorsque l’Eglise prends soin de déclarer qu’une personne est « sainte » et de se référer à elle par ce titre, ce n’est certainement pas pour se contenter de dire qu’elle a sauvé son âme ; l’Eglise canonise et honore du titre de saint uniquement des personnes qui ont fait preuve d’une pratique héroïque des vertus, pour faire de leur vie un exemple à suivre pour tous les catholiques :

« Les Saints sont ceux qui, pratiquant héroïquement les vertus selon les enseignements et les exemples de Jésus-Christ, ont mérité une gloire spéciale dans le ciel et même sur la terre , où, de par l’autorité de l’Eglise, ils sont publiquement honorés et invoqués ».

Catéchisme de Saint Pie X

« L’Eglise catholique ne canonise ou ne béatifie que ceux dont la vie a été marquée par l’exercice d’une vertu héroïque, et uniquement après que ce fait ait été prouvé par une réputation commune de sainteté et par des arguments concluants ».

Catholic Encyclopedia : « Beatification and Canonization »

A ce titre, la canonisation est à considérer, de manière certaine, comme relevant du magistère infaillible de l’Eglise catholique (c’est ce qu’enseignait, en outre, le cardinal Lambertini, futur pape Benoît XIV, dans un ouvrage de référence sur la question[2]) : elle est un enseignement à part entière, puisque le pape, lorsqu’il proclame la sainteté d’une personne, nous dit que la vie publique de cette personne est un exemple incarné de ce qu’il faut croire (la foi) et de ce qu’il faut faire (les mœurs) pour vivre dans l’amitié de Dieu et sauver son âme. Ne disons-nous pas que les actes valent plus que les paroles ? Ainsi, la vie des saints telle que l’Eglise nous propose de la contempler est une sorte de magistère encore plus frappant  que le seul énoncé des vérités doctrinales. La vie des saints est encore une apologétique plus efficace que les meilleures démonstrations logiques : la logique prouve l’existence de Dieu dans l’abstrait, la vie des saints prouve l’existence de Dieu « dans le concret » : oui, Dieu est vivant, si de simples hommes ont pu vivre de cette manière et faire ce qu’ils ont fait[3]. Enfin il n’y a rien de plus propre que la vie des saints pour mouvoir la volonté vers plus d’héroïsme, plus de résolution, plus d’amour pur et sincère pour Dieu. Nous avons tous un besoin instinctif d’admirer, d’imiter et de nous conformer à des exemples d’hommes que nous percevons comme supérieurs à nous-même : plutôt que d’admirer des mondains qui n’ont travaillé que pour des choses périssables, l’Eglise nous enseigne d’admirer des hommes et des femmes qui ont travaillé pour l’éternité.

Sachant donc ce qu’est une canonisation, il est impossible d’envisager un seul instant que l’Eglise puisse considérer comme « saint » quelqu’un qui n’était pas catholique. Ici, il ne s’agit pas de discuter de la question de savoir si une personne qui se trouve extérieurement hors de la communion catholique peut sauver son âme, question déjà tranchée en un sens favorable par le magistère de l’Eglise[4]. Il s’agit de savoir si quelqu’un qui, malgré sa possible bonne foi, s’est trouvée de manière objective et indiscutable hors de la communion avec l’unique Eglise de Jésus-Christ, et en communion avec une secte hérétique et schismatique, peut servir d’exemple parfait de vertu à l’ensemble des catholiques. Pour toute personne de bonne foi, il sera impossible de répondre autrement que par la négative : non, évidemment, il est impossible que l’Eglise canonise quelqu’un qui était publiquement schismatique et hérétique. Car agir en sens contraire serait dire, par des actes qui parlent plus que des mots : il est possible de vivre dans une parfaite amitié avec Dieu et d’atteindre les plus hauts sommets de la vertu en étant schismatique et hérétique. Autrement dit : il est purement facultatif d’adhérer à l’Eglise catholique pour sauver son âme et être saint, du moment que l’on a une expérience religieuse personnelle fructueuse. C’est précisément ce que veut enseigner Vatican II, en disant que les églises hérétiques et schismatiques sont des « moyens de salut »[5].


Qu’est-ce qu’un docteur de l’Eglise ?

L’imposition du titre de « docteur de l’Eglise » n’est réservée par le pape qu’à certains saints bien particuliers, des personnes qui se sont spécialement distinguées, en plus de leurs vertus héroïques, par la clarté et l’abondance de leur enseignement sur tout ou partie de la doctrine chrétienne, par leur « doctrine éminente »(eminens doctrina). Il ne s’agit pas simplement d’un titre honorifique  parmi d’autres : l’Eglise a créé ce titre pour donner une autorité morale spéciale à l’enseignement de ces maîtres de la doctrine chrétienne, et a prévu pour les honorer des dispositions liturgiques bien spéciales (messe propre, avec rang liturgique équivalent à celui des apôtres et des évangélistes).

Saint Athanase, déclaré docteur de l’Eglise par Saint Pie V

Le pape Boniface VIII créé ce titre et les privilèges liturgiques associés en 1295, à l’intention des quatre Pères de l’Eglise latins : St Augustin, St Ambroise, St Jérôme et St Grégoire le Grand. Le pape St Pie V accorde ensuite ce titre à quatre Pères de l’Eglise orientaux ainsi qu’à Saint Thomas d’Aquin. Le titre sera ensuite accordé progressivement à d’autres saints éminents pour leur doctrine, jusqu’à atteindre sous Pie XII le nombre de 29 docteurs de l’Eglise.

Ces docteurs ont tous pour points commun d’être saints, soit qu’ils aient fait l’objet d’un procès de canonisation en bonne et due forme, soit qu’ils jouissent d’une très éminente et très ancienne réputation de sainteté dans l’Eglise. Le site « eglise.catholique.fr », géré par les évêques conciliaires de France, rappelle que cette canonisation est  nécessaire pour être docteur de l’Eglise :

«  Les conditions requises pour devenir docteur, d’ailleurs toujours à titre posthume, sont d’être un saint canonisé, d’avoir élaboré une pensée de la foi en accord avec les principes de base de l’Église tout en découvrant un pan inexploré de l’écriture se vérifiant comme fondamental par son influence auprès des fidèles et par une renommée internationale. Le Vatican concède, à la suite d’une étude poussée des candidatures proposées, ce titre exceptionnel. »[6]

On ne pourra donc nous reprocher « d’inventer » la condition de la canonisation pour les docteurs de l’Eglise, puisque les autorités conciliaires elles-mêmes admettent ce principe comme évident.

***

Or voici le problème : les conciliaires considèrent comme saint, au même titre que les saints canonisés, quelqu’un qui a été canonisé par une secte hérétique, et qui a toujours été publiquement hérétique.

Prétendre qu’un hérétique puisse être « d’éminente doctrine » et être suivi comme un guide sûr par l’ensemble des catholiques est une moquerie insupportable. Il s’agit d’un signe évident, un de plus, que Bergoglio n’a aucune intention de poursuivre le bien de l’Eglise, en particulier de défendre la foi et de lutter contre l’hérésie.


2- Les faits

Pour bien comprendre la gravité de cette fausse imposition du titre de « docteur de l’Eglise », et de cette fausse imposition du titre de « saint », il est utile de revenir un instant sur 1) ce qu’est « l’église apostolique arménienne », 2) qui a été Grégoire de Narek, 3) dans quel contexte il a été nommé « docteur de l’Eglise ».


L’église apostolique arménienne

L’Arménie est la première nation à avoir adopté comme religion officielle le christianisme autour de l’an 300, grâce à l’apostolat de Saint Grégoire l’Illuminateur. Durant l’antiquité tardive, l’Arménie est une zone montagneuse disputée entre l’influence de l’empire romain d’Orient (qui possède une partie de l’ancien royaume d’Arménie, la province d’« Arménie mineure ») et celle de l’empire perse sassanide (dont le roi d’« Arménie majeure » est vassal) : cette double pression byzantine et perse en Arménie dure jusqu’à la conquête arabe. Les prélats arméniens doivent lutter contre le paganisme, le mazdéisme/zoroastrisme et le nestorianisme, hérésie adoptée par l’Eglise de Perse. Politiquement, culturellement et ensuite religieusement, les Arméniens cherchent à s’extirper de la double influence byzantine et perse, ce qui va favoriser une mentalité schismatique.

Si les Arméniens ont toujours été très virulents contre le nestorianisme, il ne semble pas qu’ils aient adopté immédiatement le monophysisme, après les condamnations du Concile de Chalcédoine (451). C’est en l’an 506, lors du premier concile de Dvin, que commence clairement le schisme arménien : les évêques d’Arménie, d’Ibérie et d’Albanie du Caucase ratifient intégralement l’Henotikon de l’empereur Zénon, déclaration trop favorable au monophysisme condamnée par le pape Félix III en 484 ; les Byzantins ayant ignoré l’anathème, cet épisode donna lieu au premier schisme entre Rome et Constantinople (484-518). C’est donc dans cette période de schisme que les Arméniens décident de prendre le parti de Constantinople. Le deuxième concile de Dvin (555) entérine le choix de l’hérésie monophysite et de la séparation complète par rapport à Constantinople et au reste de la communion catholique. Depuis cette date, au moins, il faut admettre que l’église arménienne s’est séparée de l’Eglise universelle, pour n’y plus jamais retourner.

A plusieurs reprises suite à cet évènement, les Arméniens refusent les invitations des empereurs byzantins à accepter les canons du Concile de Chalcédoine. Sous le catholicossat de Komitas d’Aghdsk (615-628), un recueil de textes dogmatiques de l’Eglise arménienne est édité sous le nom de « Sceau de la Foi », au contenu virulemment anti-chalcédonien (il contient entre autres choses des écrits de Timothée II d’Alexandrie, premier « pape copte » suite à la déposition du patriarche Dioscore Ier par le Concile de Chalcédoine pour son hérésie miaphysite). Depuis ce temps, « l’église apostolique arménienne » ne s’est jamais départie du monophysisme : elle est en contact régulier avec l’Eglise de Constantinople, mais ne s’y rallie jamais. En l’an 726, le catholicos Hovhannès III d’Odzoun convoque un concile interne au monophysisme, chargé de réconcilier les Jacobites (monophysites syriaques) et les Arméniens sur la question de la corruptibilité du corps du Christ. Au cours des VIIIe et IX siècles, les persécutions des Arabes poussent de nombreux Arméniens à s’exiler vers les terres de l’empire byzantin, ce qui augmente les tensions ecclésiologiques byzantino-arméniennes. En l’an 862, le patriarche de Constantinople Photius (qui sera bientôt excommunié par le pape) tente de rallier l’Eglise arménienne à Constantinople : le prince d’Arménie et le catholicos ne produisent que des réponses ambiguës,  aucun ralliement réel n’a lieu. Au Xe siècle le catholicos Théodore Ier Rechtouni (régnant dans les années 930) tentera de se rapprocher, sans succès, du patriarche de Constantinople et de l’empereur. Sous le catholicossat d’Ananias Ier de Moks (943-967), ennemi plus déterminé de la doctrine catholique, les conditions du dialogue se raidissent brutalement : les clercs arméniens jugés trop chalcédoniens sont persécutés, il va jusqu’à imposer de rebaptiser les personnes qui ont reçu le baptême dans l’Eglise grecque. Il faut attendre de longs siècles pour voir ensuite des groupes significatifs d’Arméniens revenir au catholicisme, essentiellement des membres de la diaspora.


Grégoire de Narek

Grégoire de Narek naît vers l’an 950, à l’époque d’Ananias Ier, dans une famille noble. Il est le fils de Khosrov d’Andzev, devenu prêtre en 950 puis évêque suite au décès de sa femme. En tant qu’évêque, Khosrov finit par être « excommunié » de l’Eglise arménienne par Ananias qui le juge trop favorable à la doctrine chalcédonienne. Elevé par son oncle Anania de Narek (c. 920-980), supérieur du monastère de Narek, Grégoire grandit dans une ambiance de défiance vis-à-vis de l’autorité de l’église arménienne, quand de nombreux clercs arméniens envisagent un rapprochement avec l’Eglise catholique : simple défiance, car officiellement le monastère de Narek est en « pleine communion » avec l’église apostolique arménienne.  Le monastère a même été fondé par des moines chassés de Cappadoce pour leur refus du chalcédonisme. 

Mais la question du ralliement au Concile de Chalcédoine n’est pas le seul débat théologique de l’époque. Il semble que les moines de Narek aient développé une doctrine qui mette au second plan l’appartenance à l’institution ecclésiastique pour se concentrer sur une relation personnelle avec Dieu : il faudrait étudier le détail de leurs écrits pour mieux comprendre ce sujet, mais certains commentateurs établissent un parallèle entre la doctrine mystique de Grégoire de Narek et le protestantisme. La secte des pauliciens/tondrakites, active en Arménie à l’époque, rejette  frontalement toute notion de clergé et de sacrements (ils sont, vraisemblablement, les précurseurs du catharisme). Certains pensent que Grégoire de Narek a écrit contre les tondrakites (par exemple dans son ouvrage Histoire de la croix d’Aparan) parce qu’il était suspecté par ses contemporains d’adhérer à cette hérésie.   

Une chose est certaine, concernant la position théologique et ecclésiale de Grégoire de Narek : il n’a jamais adhéré au catholicisme et à l’Eglise catholique[7]. Le site « catholique » nominis.cef.fr, chargé de répertorier les différents « saints du jour », nous apprend dans une courte biographie de « Saint Grégoire de Narek, docteur de l’Eglise » que « des jaloux [l’ont accusé] d’hérésie »[8], avant qu’il ne prouve son innocence par un miracle. Le site ne prend pas la peine de préciser pour quelle « hérésie » Grégoire fut mis en cause par les Arméniens … car en effet, le moine de Narek fut à ce moment accusé de chalcédonisme, c’est-à-dire de catholicisme, comme son père Khosrov l’avait été[9]. Son hagiographie légendaire (ayant court dans l’église schismatique et hérétique des Arméniens) rapporte donc qu’il aurait prouvé par un miracle qu’il n’adhérait pas à la doctrine catholique … le miracle en question étant de rendre la vie à des pigeons cuits qu’on essayait de lui faire manger un jour de jeûne. On croit marcher sur la tête en voyant de prétendus catholiques rapporter candidement ces récits.

S’il n’a pas toujours été en grâce de son vivant, Grégoire de Narek est devenu après sa mort un saint et un écrivain de premier plan pour « l’église apostolique arménienne », à partir du XIIe siècle au moins : on chante aujourd’hui encore, dans les églises arméniennes, des hymnes et des prières composées par lui, et son « Livre des Lamentations » est un élément de base de la culture religieuse arménienne. Il jouit visiblement d’une renommée littéraire considérable, qui lui donnerait un statut analogue à celui de Bossuet pour la langue française, avec un style particulièrement émouvant et pieux. Bossuet n’a pas cessé d’être respecté et cité par les catholiques en plus haut lieu[10], malgré son adhésion aux thèses hérétiques du gallicanisme : pour autant, on ne songerait pas un seul instant à faire de Bossuet un « docteur de l’Eglise » pour faire plaisir aux Français, précisément en raison de  ses fautes doctrinales publiques. Eût-il erré en bonne foi, l’image publique de Bossuet est irrémédiablement souillée par le gallicanisme, et à ce titre il est impossible d’en faire un modèle pour tous les chrétiens. Et pourtant Bossuet n’a jamais (à notre connaissance) officiellement rompu la communion avec l’Eglise catholique, ou fait l’objet d’une sentence d’excommunication, à une époque où la condamnation du gallicanisme était moins claire qu’elle ne l’est depuis Vatican I ; Grégoire de Narek, en sens contraire, a toujours été hors de la communion catholique et membre d’une secte monophysite. Il est infiniment moins éligible que ne pourrait l’être Bossuet au titre de docteur de l’Eglise, et la beauté de ses écrits n’y change rien.


Les conciliaires et Grégoire de Narek

François faisant l’accolade aux chefs des « Églises d’Arménie » lors de l’inauguration d’une statut de Grégoire de Narek dans les Jardins du Vatican, le 5 avril 2018.

Jean-Paul II avait déjà appelé Grégoire de Narek « saint » dans son encyclique Redemptoris Mater (25 mars 1987) : « Dans son panégyrique de la Théotokos, saint Grégoire de Narek, une des gloires les plus éclatantes de l’Arménie, approfondit avec une puissante inspiration poétique les différents aspects du mystère de l’Incarnation, et chacun d’eux est pour lui une occasion de chanter et d’exalter la dignité extraordinaire et l’admirable beauté de la Vierge Marie, Mère du Verbe incarné» [11]. Ainsi François n’est pas le premier faux-pape de Vatican II à « canoniser » un hérétique et un schismatique, dans la plus grande des décontractions.

Cette « canonisation de facto » est, disions-nous, en un certain sens plus choquante que s’il y avait eu un faux procès de canonisation, car elle implique :

  • une reconnaissance tacite de l’autorité de « l’église apostolique arménienne » en matière de canonisation ;
  • ou alors une reconnaissance tacite du fait que la réputation de sainteté parmi les hérétiques et les schismatiques équivaut à la réputation de sainteté parmi les catholiques et suffit à faire considérer comme sainte une personne qui n’a pas été canonisée, ce qui n’est guère mieux.

Il ne faut pas voir dans cette « canonisation » et cette imposition du titre de « docteur de l’Eglise » autre chose qu’une mise en application de l’œcuménisme, dans la droite ligne de Vatican II : pour François, les églises schismatiques et hérétiques sont véritablement membres de l’unique Eglise du Christ ; sinon, comment un membre de ces églises séparées pourrait-il être « docteur de l’Eglise » ?

En effet François nous fait comprendre, dans son allocution prononcée à cette occasion[12], qu’il lui importerait peu de nommer Grégoire de Narek « docteur de l’Eglise », si celui-ci n’était pas précisément membre d’une église schismatique et hérétique, car il s’agit d’un de ces « gestes œcuméniques » qui sont supposés faire progresser la cause de l’unité chrétienne :

  • Cette proclamation a lieu en présence de « Sa Sainteté Karekin II, Patriarche Suprême et Catholicos de tous les Arméniens », et « Sa Sainteté Aram Ier, Catholicos de la Grande Maison de Cilicie », soit les deux personnages les plus élevés de la hiérarchie de « l’église apostolique arménienne ».
  • Le message qui accompagne la proclamation répète à l’envi que le peuple arménien (non-catholique dans son immense majorité) compte un grand nombre de martyrs et d’authentiques confesseurs de la foi.
  • Cette déclaration intervient dans le contexte du centenaire du génocide arménien : Bergoglio souhaite « que ceci soit surtout un temps fort de prière, pour que le sang versé, par la force rédemptrice du sacrifice du Christ, opère le prodige de la pleine unité entre ses disciples. Qu’il renforce en particulier les liens d’amitié fraternelle qui déjà unissent l’Église Catholique et l’Église Arménienne Apostolique. Le témoignage de tant de frères et sœurs qui, sans défense, ont sacrifié leur vie pour leur foi, rapproche les diverses confessions : c’est l’œcuménisme du sang qui a conduit saint Jean-Paul II à célébrer ensemble, durant le Jubilé de l’an 2000, tous les martyrs du XXème siècle » : encore un exemple de l’œcuménisme de Vatican II, qui consiste à « rapprocher » les « églises » entre elles, au lieu de souhaiter le retour des non-catholiques dans l’unique Eglise du Christ.
  • Bergoglio va même jusqu’à assurer sa « proximité », « à l’occasion de la cérémonie de canonisation des martyrs de l’Église Arménienne Apostolique qui aura lieu le 23 avril prochain en la cathédrale d’Etchmiadzin» : comme si, encore une fois, il reconnaissait à cette secte non-catholique le pouvoir de canoniser, et  comme s’il était bien fondé de déclarer sans examen que toutes les victimes du génocide arménien soient des « martyrs de la foi ».

Conclusion

Le dossier Grégoire de Narek est une synthèse de l’absurdité de l’œcuménisme. Dans l’esprit de Vatican II, le « pape » se met à déclarer qu’un moine hérétique et schismatique est un exemple de vertu héroïque (un saint), un maître spécialement éminent de la doctrine catholique (un docteur de l’Eglise), en considérant comme valide sa « canonisation » par une secte hérétique et schismatique (l’église apostolique arménienne), et en espérant que cette occasion permettra d’augmenter « l’amitié fraternelle » entre l’Eglise catholique et cette secte monophysite.

En plus d’être une insulte à l’honneur de l’Eglise catholique, cette situation est d’une tristesse insupportable pour le salut des Arméniens et plus généralement de tous les peuples d’Orient, séparés de l’Eglise depuis des siècles : prions pour qu’un véritable pape retourne sur le trône de Saint Pierre et leur montre l’exemple éclatant de la vérité du catholicisme, afin qu’ils reviennent dans l’unité de l’Eglise.

Jean-Tristan B.


[1] https://infovaticana.com/2022/10/07/el-vaticano-inaugura-un-proceso-de-canonizacion-para-los-no-catolicos/

[2] Voir cet article concernant le débat entre FSSPX et sédévacantistes à propos de l’infaillibilité des canonisations : https://www.sodalitium.eu/canonisation-escriva-de-balaguer-commentaire-sodalitium/

[3] Une anecdote célèbre rapporte la conversion d’un juif qui, chargé de mettre de l’ordre dans certains dossiers de béatification dans les archives du Vatican, s’est trouvé frappé par le caractère exceptionnel des faits rapportés : son étonnement fut au comble lorsqu’on lui expliqua qu’il n’avait consulté que les dossiers de personnes dont la cause de béatification n’avait pas abouti, faute de preuves suffisantes.

[4] Suivant la doctrine dite de « l’âme de l’Eglise » : une personne peut se trouver, sans faute de sa part par suite d’une « ignorance invincible », hors de la communion visible avec l’Eglise catholique – corps de l’Eglise -, mais être unie à l’Eglise mystique – âme de l’Eglise – par une foi implicite et une charité sincère envers Dieu : le principe « hors de l’Eglise, pas de salut » reste valable dans ce cas, car il y a appartenance implicite et invisible à l’Eglise chez « l’infidèle de bonne foi ».

[5] Voir un article autour de cette question : https://religioncatholique.fr/2021/05/15/les-schismatiques-sont-ils-membres-de-leglise/

[6] https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/temoigner/figures-de-saintete/441329-quest-ce-quun-docteur-de-leglise/

[7] Ceci est affirmé sans ambiguïté par les conciliaires eux-mêmes, par exemple ce professeur de l’Université de Saint-Thomas (St Paul, Minnesota) : “St. Gregory of Narek lived and died as a member of Armenian Apostolic Church, making him the only Doctor who was not in communion with the Catholic Church during his lifetime” – https://news.stthomas.edu/theology-matters-new-doctor-church-st-gregory-narek/

[8] https://nominis.cef.fr/contenus/saint/5899/Saint-Gregoire-de-Narek.html

[9] Jean-Michel Thierry, « Indépendance retrouvée : royaume du Nord et royaume du Sud (ixe – xie siècle) — Le royaume du Sud : le Vaspourakan », dans Gérard Dédéyan (dir.), Histoire du peuple arménien, Toulouse, Privat, 2007 (1re éd. 1982) (ISBN 978-2-7089-6874-5), p.290

[10] Le pape Léon XIII, dans son encyclique Depuis le jour (08/09/1899), ne craint pas de recommander l’étude de Bossuet aux étudiants ecclésiastiques français : « Toutefois, et après avoir fait à cette exigence des programmes la part qu’imposent les circonstances, il faut que les études des aspirants au sacerdoce demeurent fidèles aux méthodes traditionnelles des siècles passés. Ce sont elles qui ont formé les hommes éminents dont l’Eglise de France est fière à si juste titre, les Pétau, les Thomassin, les Mabillon et tant d’autres, sans parler de votre Bossuet, appelé l’aigle de Meaux, parce que, soit par l’élévation des pensées, soit par la noblesse du langage, son génie plane dans les plus sublimes régions de la science et de l’éloquence chrétienne ». Il serait donc contraire à la pratique de l’Eglise de prétendre qu’il faille jeter tout Bossuet à la poubelle en raison de ses errements doctrinaux. Ses enseignements sur la spiritualité ne sont pas spécialement entachés par le gallicanisme. 

[11] https://www.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_25031987_redemptoris-mater.html

[12] https://www.vatican.va/content/francesco/fr/messages/pont-messages/2015/documents/papa-francesco_20150412_messaggio-armeni.html

L’erreur du salut par la piété seule


Nous publions ici la traduction d’un article du blog de Mgr Sanborn [1] contre la culture moderne et l’idée qu’il suffit d’être « pieux » pour sauver son âme, qu’il suffit de transmettre à ses enfants la piété pour en faire de parfaits chrétiens. En effet il ne suffit pas d’entretenir de multiples pratiques de piété, même très sincères, pour être un bon chrétien qui vit loin du péché : il faut aussi être prudent vis-à-vis de la perversion omniprésente de la société, perversion qui se véhicule partout par la culture. Il n’est pas normal que la culture moderne s’invite dans les foyers catholiques comme une chose banale et sans conséquence. La nécessité de la mortification, principe central de la spiritualité catholique, doit s’appliquer en premier lieu, dans le monde actuel, à la fuite des occasions de péché données par la culture moderne : si les enfants ne sont pas élevés dans cet esprit de mortification, il ne faut pas s’étonner qu’ils abandonnent la religion ensuite.


Tout le monde a entendu parler de l’enseignement hérétique de Luther du « salut par la foi seule ». Il consiste à dire que l’unique acte nécessaire au salut est l’acte de foi, ce qui signifie pour lui et pour les protestants d’une manière générale la « confiance en Dieu ». Pour les catholiques, la foi veut dire l’assentiment de l’intelligence, par le moyen d’une vertu surnaturelle infusée par Dieu, aux vérités révélées par Dieu et proposées comme telles par l’autorité enseignante de l’Eglise catholique romaine. Ainsi, pour Luther et ses partisans, les péchés ne sont pas retenus contre vous dans l’ordre du salut. Il n’y a aucune nécessité de se mortifier. Aucune nécessité de faire pénitence. Luther disait : « Soyez un pécheur et péchez effrontément, mais croyez et réjouissez-vous en Christ encore plus effrontément … Aucun péché ne nous séparera de l’Agneau, même si l’on commettait mille fois par jour la fornication et l’adultère » [2].

Aucun catholique ne dirait cela. Tout catholique sait qu’il sera jugé sur ses actions au moment de sa mort, et pas simplement sur sa confiance en Dieu. Néanmoins, de nombreux catholiques, et je veux parler ici de ceux qui ont rejeté Vatican II et adhèrent à la foi traditionnelle, tiennent une formule similaire, que je décris comme le salut par la piété seule.

Voici le cas typique. Un tel catholique croit en tout ce que l’Eglise enseigne, récite fréquemment et fidèlement son chapelet, peut-être tous les jours, va à la messe tous les dimanches, participe éventuellement à des pratiques dévotionnelles au cours de la semaine, se confesse souvent, et possède chez lui de nombreuses images de Notre Seigneur, de Notre-Dame et des saints. Peut-être même qu’il dirige chaque soir la récitation du chapelet en famille.

De l’autre côté, ce même catholique vivra selon tous les standards de la culture moderne. Il regarde des productions impures à la télévision, au théâtre ou sur internet. Il écoute de la musique rock. Il élève ses enfants suivant toutes les idées modernes, c’est-à-dire qu’il les laisse suivre leurs instincts sans discipline, ou dans le cadre d’une discipline inefficace. S’il est un homme, il échoue à affirmer son autorité dans le foyer. Si elle est une femme, elle est fortement influencée par le féminisme, et échoue à comprendre son rôle dans la maison.

Ils se vêtissent suivant la mode moderne, aussi immodeste soit-elle. Ils fréquentent des plages bondées où il y a partout une grave impudicité. Ils vont dans des endroits tels que Disneyland : sans commentaire.

Ils acceptent dans leurs familles ceux qui sont « divorcés et remariés », ou qui vivent en concubinage.

Ils envoient leurs enfants dans des écoles qui ont été inventées pour détruire la foi catholique et les bonnes mœurs de leurs enfants. Ils se réjouissent de leurs accomplissements lorsqu’ils en ressortent diplômés, sans se soucier de la destruction spirituelle de leur enfant.

Ils approuvent pour leurs enfants des conjoints qui sont hérétiques, impies, et/ou impurs.

Et lorsqu’enfin leurs enfants, une fois parvenus à l’âge adulte, sont devenus des athées et des gauchistes, ces mêmes catholiques viennent demander au prêtre : « en quoi me suis-je trompé ? »

Ils se sont trompés de la même manière que Luther s’est trompé. Ils pensaient que la piété seule suffirait à faire de leurs enfants des catholiques, et les protégerait des mauvaises influences du monde moderne. Pour Luther, c’était la foi seule ; pour ces catholiques, c’est la piété seule.

Contemplons la Sainte Croix. Il y a deux grandes leçons dans la Croix du Christ : 1- l’amour de Jésus pour Son Père ; 2- la mise à mort du vieil Adam du péché.

Notre Seigneur sur la Croix a obtenu notre salut en donnant à Son Père, au nom de l’humanité qu’il avait lui-même prise, l’obéissance à Sa volonté jusqu’à la mort de la Croix.

Cette obéissance du Christ fut le remède à la désobéissance d’Adam et, en définitive, à la désobéissance de tout homme qui commet un péché. L’agréable odeur de l’obéissance de Son Fils l’emportait de loin sur la puanteur du péché humain. Ceci est un des aspect de la rédemption du genre humain.

L’autre aspect est la mortification de l’homme de péché. Il y avait une peine de mort à payer pour les péchés des hommes, et Notre Seigneur l’a payée. La vie spirituelle catholique est basée sur ces deux aspects de la Croix. D’un côté se trouve l’amour de Dieu, qui inclut l’obéissance aux commandements de Dieu et la piété, c’est-à-dire tous les actes d’adoration et de prière que nous offrons à Dieu. De l’autre côté se trouve la mortification, c’est dire la mise à mort dans nos âmes des effets du péché originel et des péchés actuels. La mortification consiste entre autres choses à éviter les occasions de péché.

La culture moderne est un produit du diable, et constitue une énorme occasion de péché. La piété ne sera pas agréable à Dieu, et ne produira pas de bons effets, si les catholiques boivent chaque jour le poison de la culture moderne.

Si les parents catholiques veulent avoir des enfants catholiques plutôt que des enfants païens, et s’ils veulent avoir des petits-enfants catholiques, il est nécessaire qu’ils se coupent du monde moderne. Cela demande beaucoup de sacrifices : ils ne pourront pas participer aux amusements et aux réjouissances du plus grand nombre. Les enfants doivent comprendre cette nécessité de la mortification et du sacrifice.

Je suis certain que les catholiques qui vivaient dans l’empire romain dans les premiers temps de l’Eglise ont eu le même problème [3]. Rome était un lieu de débauche gratuite, de jeux cruels, d’impudicité grossière, d’idolâtrie et de superstition. L’Eglise a pourtant resplendi dans ces temps anciens : c’est parce que les catholiques s’étaient coupés de la culture païenne de leur temps.

Mgr Donald Sanborn


[1] https://inveritateblog.com/2022/08/29/salvation-through-piety-alone/

[2] Weimar ed. vol. 2, p. 372; Letters I, Luther’s Works, American ed., vol. 48, p. 282.

[3] N.D.T : au IIIe siècle, l’évêque Saint Cyprien de Carthage (mort martyr en 258 sous la persécution de Valérien) écrit un traité contre les spectacles, répondant aux arguments de certains chrétiens tièdes qui, pour ne pas avoir à sacrifier leur sociabilité, leurs habitudes et leur soif de divertissement, prétendaient qu’il était possible d’assister aux jeux du cirque et au théâtre malgré l’infestation du paganisme dans ces divertissements. C’était, en effet, une situation semblable à la nôtre. Ces jeux et ces scènes de théâtre avaient une relation explicite avec l’idolâtrie, ce qui rendait toute participation impossible pour un chrétien – mais saint Cyprien précise bien que même sans ce caractère idolâtre, l’immoralité de ces spectacles devaient suffire à l’en éloigner absolument.

Mais se priver des spectacles infestés de paganisme, est-ce se priver de tout amusement et de tout émerveillement ? Saint Cyprien répond : 

« Ne croyez pas que les spectacles manquent au chrétien s’il sait se recueillir en lui-même, il trouvera des plaisirs vrais et utiles. Je ne parlerai pas de ces beautés qu’il ne nous est pas encore permis de contempler; mais combien d’autres se présentent à nos regards! La magnificence du monde, le lever et le coucher du soleil amenant l’alternative des jours et des nuits; le globe de la lune, marquant par ses diverses phases la fuite rapide du temps; les constellations qui brillent sur nos têtes, le cercle des saisons, la terre se balançant dans l’espace avec ses montagnes et ses fleuves; les mers avec leurs flots et leurs rivages; l’air répandu partout et nous donnant tour-à-tour la pluie et la sérénité; tous ces éléments divers alimentant chacun les habitants qui lui sont propres, l’air les oiseaux, l’eau les poissons. la terre les hommes, voilà les spectacles dignes d’un chrétien.

Quel théâtre, bâti par les hommes, pourra être mis en parallèle avec les œuvres du Créateur? supposez les pierres aussi grandes que vous le voudrez, ce n’est qu’un fragment de montagne, et les lambris dorés ne feront jamais pâlir l’éclat des astres. On admire bien peu les œuvres humaines quand on se reconnaît fils de Dieu; et d’ailleurs se serait manquer à sa noblesse que de ne pas réserver au Créateur toute son admiration.

Que le chrétien étudie les saintes Écritures : là encore il trouvera des spectacles dignes de sa foi. II verra Dieu créer le monde ainsi que les animaux et les soumettre au pouvoir de l’homme. Il verra les méchants engloutis dans un naufrage commun et les justes miraculeusement sauvés. Il verra la mer se dessécher pour offrir un chemin au peuple de Dieu et les rochers s’ouvrir pour le désaltérer. Il verra la nourriture descendre du ciel pour le nourrir, les fleuves enchaîner leurs eaux, les justes sauvés d’une fournaise ardente, les bêtes féroces domptées par la foi, les morts sortir de leurs tombeaux, et pour couronner .le spectacle, le démon, qui avait soumis le monde à son empire, abattu sous les pieds du Christ. Quel spectacle mes frères! qu’il est magnifique! qu’il est agréable! qu’il est utile! Il renferme tout ce qui anime notre espérance et assure notre salut. On peut en jouir, même quand on a perdu l’usage de ses yeux. Ce spectacle, ce n’est pas un consul, un prêteur qui le donne, mais c’est le Créateur de toutes choses, le seul Dieu unique, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ glorifié et béni dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. »

http://jesusmarie.free.fr/cyprien_de_carthage_les_spectacles.html

La Prééminence de saint Joseph sur tout autre saint, par le Révérend Père Réginald Garrigou-Lagrange O.P. (1877 – 1964)

SOMMAIRE


La doctrine selon laquelle saint Joseph, après Marie, a été et est toujours plus uni à Notre-Seigneur que tout autre saint tend à devenir de plus en plus une doctrine communément reçue dans l’Église. Elle ne craint pas de déclarer l’humble charpentier supérieur en grâce et en béatitude aux Patriarches, à Moïse, le plus grand des prophètes, à saint Jean-Baptiste, et aussi aux Apôtres, à saint Pierre, à saint Jean, à saint Paul, à plus forte raison supérieur en sainteté aux plus grands martyrs et aux plus grands docteurs de l’Église.

Cette doctrine a été enseignée par Gerson[1], par saint Bernardin de Sienne[2]. Elle devient de plus en plus courante à partir du XVIe siècle : elle est admise par sainte Thérèse, par saint François de Sales, par Suarez[3], plus tard par saint Alphonse de Liguori et beaucoup d’autres[4]. Enfin S. S. Léon XIII, dans l’encyclique Quanquam pluries, a écrit : « Certes, la dignité de Mère de Dieu est si haute qu’il ne peut être créé rien au dessus. Mais comme Joseph a été uni à la bienheureuse Vierge par le lien conjugal, il n’est pas douteux qu’il ait approché, plus que personne, de cette dignité suréminente par laquelle la Mère de Dieu surpasse de si haut toutes les autres créatures. L’union conjugale est en effet la plus grande de toutes ; à raison de sa nature même, elle s’accompagne de la communication réciproque des biens des deux époux. Si donc Dieu a donné à la Vierge Joseph comme époux, bien certainement il ne le lui a pas seulement donné comme soutien dans la vie, comme témoin de sa virginité, gardien de son honneur, mais il l’a fait aussi participer par le lien conjugal à l’éminente dignité qu’elle avait reçue[5]. » – De ce que par cette dignité Marie « surpasse toutes les autres créatures », comme il vient d’être dit en cette Encyclique, s’ensuit-il que la prééminence de Joseph doive s’entendre non seulement sur tous les autres saints, mais encore sur les anges ? On ne saurait l’affirmer avec certitude. Contentons-nous d’exprimer la doctrine de plus en plus reçue dans l’Église en disant : De tous les saints, Joseph est le plus élevé au ciel après Jésus et Marie, il est parmi les anges et les archanges. Sa mission à l’égard de la sainte Famille a fait de lui le Patron de l’Eglise universelle, son protecteur et défenseur ; à lui, en un sens, est particulièrement confiée la multitude des chrétiens dans toutes les générations qui se succèdent, comme le montrent les belles litanies qui résument ses prérogatives.

Nous voudrions rappeler ici le principe sur lequel repose cette doctrine, de plus en plus admise depuis cinq siècles, de la prééminence de saint Joseph sur tout autre saint.


Une mission divine exceptionnelle requiert une sainteté proportionnée

Le principe général par lequel la théologie, expliquant la révélation, montre quelle devait être, dès ici-bas, la plénitude de grâce créée en la sainte âme du Sauveur, quelle devait être la sainteté de Marie et aussi la foi des Apôtres, repose sur la mission divine exceptionnelle qu’ils avaient reçue, mission qui demandait une sainteté proportionnée. Il y a quelque chose de semblable pour saint Joseph.

Les œuvres de Dieu sont parfaites, surtout celles qui relèvent immédiatement et exclusivement de Lui ; on ne saurait trouver en elles de désordre, de disproportion. Il en fut ainsi de l’œuvre divine dans son ensemble, au jour de la création[6]. Il en est encore ainsi des grands serviteurs de Dieu, exceptionnellement et immédiatement suscités par lui pour restaurer l’œuvre divine troublée par le péché. « Creavit Deus hominem ad imaginem suam » (Gen., I, 27). « Proposuitin dispensatione plenitudinis temporum, instaurare omnia in Christo » (Ephes., I, 10).

On saisit mieux la vérité et l’importance de ce principe révélé et de soi évident, en considérant par contraste ce qui arrive trop souvent dans la direction des choses humaines. Il n’est pas rare que des incapables et des imprévoyants y occupent de très hautes fonctions, au grand détriment de ceux qu’ils gouvernent. Ce serait même à certaines heures singulièrement irritant, si l’on ne pensait que le Seigneur compense ces choses par les actes souvent héroïques de la sainteté cachée, et si l’on ne se rappelait que chacun de nous doit faire son mea culpa au sujet de ses négligences dans l’exercice des charges ou emplois qui nous sont confiés. Ces manquements sont si fréquents, qu’on finit par n’y plus prendre garde. Mais enfin le désordre est le désordre, l’insuffisance est l’insuffisance, et il ne saurait se trouver rien de pareil en ceux qui sont immédiatement choisis par Dieu lui-même, et préparés directement par lui, pour être ses ministres exceptionnels dans l’œuvre de la rédemption. Le Seigneur leur donne une sainteté proportionnée, car il opère tout avec mesure, et le désordre ou la disproportion ne sauraient se trouver dans les œuvres proprement divines, dont lui seul est l’auteur.

C’est ainsi surtout que la sainte âme de Jésus a reçu, dès le premier instant de sa création, la plénitude absolue de grâce, parce qu’elle était unie aussi intimement que possible au Verbe de Dieu, source de toute vie surnaturelle, et parce qu’elle devait nous communiquer cette vie divine par la lumière de l’Évangile, et par les mérites infinis du sacrifice de la Croix : « De plenitudine ejus nos omnes accepimus… Deum nemo vidit unquam ; unigenitus Filius, qui est in sinu Patris, ipse enarravit » (Joan., I, 16-18). Saint Thomas voit dans ce texte de l’Évangile et en d’autres semblables non seulement la plénitude de grâce, mais la gloire ou la vision béatifique dont jouissait dès ici-bas le Sauveur, pour nous conduire, comme le Maître des maîtres, vers la vie éternelle[7].

En vertu du même principe, Marie, pour être la digne Mère de Dieu, devait être a pleine de grâce » (Luc, I, 28), préservée du péché originel, associée à toutes les souffrances et à toutes les gloires de Jésus. De par sa mission unique au monde de Mère de Dieu, elle devait approcher plus intimement que personne le Verbe de Dieu fait chair, dans les deux grands mystères de l’Incarnation et de la Rédemption. Plus près de la source de toute grâce, elle devait recevoir plus qu’aucune autre créature grâce sur grâce, plus que tous les saints et tous les anges[8].

C’est enfin pour la même raison que la théologie enseigne que les Apôtres, étant plus près de Notre-Seigneur que les saints venus dans la suite, ont plus parfaitement connu les mystères de la foi[9]. Aux yeux de saint Thomas, il serait téméraire de le nier, mais il compare seulement les Apôtres aux saints venus après eux, et non pas à saint Joseph, ni à saint Jean-Baptiste[10].

Or la mission de Joseph n’a-t-elle pas été supérieure à celle des Apôtres, supérieure aussi à celle du Précurseur ? Sa vocation n’est-elle pas unique au monde comme celle de Marie ? Et en vue de sa destinée exceptionnelle, n’a-t-il pas approché davantage de la source de toute grâce, n’a-t-il pas été uni plus intimement à Notre-Seigneur ?


La mission tout exceptionnelle de Joseph

Saint Jean-Baptiste était chargé d’annoncer la venue immédiate du Messie. On peut dire dès lors qu’il fut le plus grand précurseur de Jésus dans l’Ancien Testament. C’est ainsi que saint Thomas entend la parole de Jésus en saint Matthieu, XI, 11 : « En vérité, je vous le dis, parmi les enfants des femmes, il n’en a point paru de plus grand que Jean-Baptiste[11]. »

Mais Notre-Seigneur ajoute aussitôt : « Cependant le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui. » Le royaume des cieux, c’est l’Église de la terre et du ciel : c’est le Nouveau Testament, plus parfait comme état que l’Ancien, quoique certains justes de l’Ancien aient été plus saints que beaucoup du Nouveau[12]. Et qui dans l’Église est le plus petit ? Paroles mystérieuses, qui ont été diversement interprétées. Elles font penser à celles-ci prononcées plus tard par Jésus : « Celui d’entre vous qui est le plus petit, c’est celui-là qui est le plus grand » (Luc., IX, 48). Le plus petit, c’est-à-dire le plus humble, le serviteur de tous[13], c’est, de par la connexion et la proportion des vertus, celui qui a la plus haute charité[14]. Et qui dans l’Église est le plus humble ? Celui qui ne fut ni Apôtre, ni Évangéliste, ni martyr extérieurement du moins, ni pontife, ni prêtre, ni docteur, mais qui connut et aima le Christ Jésus non moins certes que les apôtres, que les évangélistes, que les martyrs, que les pontifes et les docteurs, l’humble artisan de Nazareth, l’humble Joseph.

Les Apôtres étaient appelés à faire connaître aux hommes le Sauveur, à leur prêcher l’Évangile pour les sauver. Leur mission, comme celle de saint Jean-Baptiste, est de l’ordre de la grâce nécessaire à tous pour le salut. Nais il y a un ordre supérieur encore à celui de la grâce. C’est celui constitué par le mystère même de l’Incarnation, l’ordre de l’union hypostatique ou personnelle de l’Humanité de Jésus au Verbe même de Dieu. A cet ordre supérieur confine la mission unique de Marie, la maternité divine, et aussi, en un sens, la mission cachée de Joseph. Cette raison a été exposée sous diverses formes par saint Bernard[15], par saint Bernardin de Sienne[16], par le dominicain Isidore de Isolanis[17], par Suarez[18] et par plusieurs auteurs récents[19]. C’est ce que Bossuet exprime admirablement dans le premier panégyrique de ce grand saint (3e point) lorsqu’il nous dit : « Entre toutes les vocations, j’en remarque deux, dans les Écritures, qui semblent directement opposées : la première, celle des Apôtres, la seconde, celle de Joseph. Jésus est révélé aux Apôtres, pour l’annoncer par tout l’univers ; Il est révélé à Joseph pour le taire et pour le cacher. Les Apôtres sont des lumières, pour faire voir Jésus-Christ au monde. Joseph est un voile pour le couvrir ; et sous ce voile mystérieux on nous cache la virginité de Marie et la grandeur du Sauveur des âmes. Celui qui glorifie les Apôtres par l’honneur de la prédication glorifie Joseph par l’humilité du silence. » L’heure de la manifestation du mystère de Noël n’est pas en effet encore venue ; cette heure doit être préparée par trente ans de vie cachée.

La perfection consiste à faire ce que Dieu veut, chacun selon sa vocation, mais la vocation tout exceptionnelle de Joseph ne dépasse-t-elle pas dans le silence et l’obscurité celle même des plus grands Apôtres, ne touche-t-elle pas de plus près au mystère de l’Incarnation rédemptrice ? Joseph après Marie ne fut-il pas plus rapproché que personne de l’Auteur même de la grâce ? S’il en fut ainsi, il reçut dans le silence de Bethléem, pendant le séjour en Égypte et dans la petite maison de Nazareth, plus de grâces que n’en recevra jamais aucun saint.

Quelle fut sa mission spéciale par rapport à Marie ? Elle consista surtout à préserver la virginité et l’honneur de Marie, en contractant avec la future Mère de Dieu un mariage véritable, mais absolument saint. Comme le rapporte l’Évangile de saint Matthieu, I, 20 : L’ange du Seigneur qui apparut en songe à Joseph lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains point de prendre avec toi Marie, ton épouse ; car ce qui est formé en elle est l’ouvrage du Saint-Esprit. » Marie est bien son épouse. II s’agit d’un mariage véritable[20], mais tout céleste, et il devait avoir une fécondité toute divine[21]. La plénitude initiale de grâce donnée à la Vierge en vue de la maternité divine appelait en un sens le mystère de l’Incarnation[22]. Comme le dit Bossuet : « C’est la virginité de Marie qui a attiré Jésus du ciel. Si c’est sa pureté qui la rend féconde, je ne craindrai plus d’assurer que Joseph a sa part à ce grand miracle. Car si cette pureté angélique est le bien de la divine Marie, elle est le dépôt du juste Joseph[23]. »

C’était l’union sans tache la plus respectueuse avec la créature la plus parfaite qui fut jamais, dans le cadre le plus simple, celui d’un pauvre artisan de village. Joseph a ainsi approché plus intimement qu’aucun autre saint de celle qui est Mère de Dieu, de celle qui est aussi la Mère spirituelle de tous les hommes, de lui-même Joseph, de celle qui est Corédemptrice, Médiatrice universelle, distributrice de toutes les grâces. Joseph, à tous ces titres, a aimé Marie de l’amour le plus pur et le plus dévoué ; c’était même un amour théologal, car il aimait la Vierge en Dieu, et pour Dieu, pour toute la gloire qu’elle lui donnait. La beauté de tout l’univers n’était rien à côté de la sublime union de ces deux âmes, union créée par le Très-Haut qui ravissait les anges et réjouissait le Seigneur Lui-même.

Quelle fut la mission exceptionnelle de Joseph auprès du Seigneur ? En toute vérité le Verbe de Dieu fait chair lui fut confié, à lui Joseph, plutôt qu’à tout autre juste parmi les hommes de toutes les générations. Si le saint vieillard Siméon a tenu quelques instants l’enfant Jésus et a vu en lui le salut des peuples, « lumen ad revelationem gentium », Joseph a veillé toutes les heures, nuit et jour, sur l’enfance de Notre-Seigneur. Souvent il a tenu en ses mains celui en qui il a vu son Créateur et son Sauveur. II a reçu de lui grâces sur grâces pendant les longues années où il a vécu avec lui dans la plus grande intimité quotidienne. Il l’a vu grandir, il a contribué à son éducation humaine. Jésus lui a été soumis[24]. On l’appelle communément le « père nourricier du Sauveur », mais il fut en un sens plus encore, car, comme le note saint Thomas[25], c’est accidentellement que tel homme devient, après son mariage, « père nourricier » ou « père adoptif » d’un enfant ; tandis que ce n’est point du tout d’une façon accidentelle que Joseph fut chargé de veiller sur Jésus. Il a été créé et mis au monde dans ce but. Ce fut sa prédestination. C’est en vue de cette mission toute divine que la Providence lui avait accordé toutes les grâces reçues depuis son enfance, grâce de piété profonde, de virginité, de prudence, de fidélité parfaite. Surtout, dans les desseins éternels de Dieu, toute la raison d’être de l’union de Joseph avec Marie était la protection et l’éducation du Sauveur, et il reçut de Dieu un coeur de père pour veiller sur l’enfant Jésus. C’est là la mission principale de Joseph, celle en vue de laquelle il a reçu une sainteté proportionnée, proportionnée en un sens, à son rang, au mystère de l’Incarnation, qui domine l’ordre de la grâce et dont les perspectives sont infinies[26].

Ce dernier point a été bien mis en lumière par Mgr Sinibaldi dans son récent ouvrage La Grandezza di San Giuseppe, p. 33-36. Il montre que saint Joseph a été éternellement prédestiné à devenir l’époux de la sainte Vierge, et explique avec saint Thomas la triple convenance de cette prédestination.

Le Docteur angélique l’a établie en se demandant (IIIa, q. 29, a. 1) si le Christ devait naître d’une Vierge ayant contracté un véritable mariage. Il répond qu’il devait en être ainsi, pour le Christ lui-même, pour sa Mère et pour nous.

Cela convenait grandement pour Notre-Seigneur lui-même, pour qu’il ne fût pas considéré, avant l’heure de la manifestation du mystère de sa naissance, comme un fils illégitime, et pour qu’il fût protégé dans son enfance. Pour la Vierge ce n’était pas moins convenable, pour qu’elle ne fût pas considérée comme coupable d’adultère et à ce titre lapidée par les Juifs, comme l’a noté saint Jérôme, aussi pour qu’elle fût protégée elle-même au milieu des difficultés et de la persécution qui allait commencer avec la naissance du Sauveur. Ce fut aussi, ajoute saint Thomas, très convenable pour nous, car nous avons ainsi appris par le témoignage non suspect de Joseph la conception virginale du Christ ; selon l’ordre des choses humaines, ce témoignage appuie admirablement pour nous celui de Marie. Enfin c’était souverainement convenable pour que nous trouvions à la fois en Marie le parfait modèle des Vierges et celui des épouses et mères chrétiennes.

On s’explique ainsi que, selon plusieurs auteurs, le décret éternel de l’Incarnation, portant sur ce fait tel qu’il devait être réalisé hic et nunc en telles circonstances déterminées, comprenne non seulement Jésus et Marie, mais Joseph lui-même. De toute éternité en effet il était décidé que le Verbe de Dieu fait chair naîtrait miraculeusement de Marie toujours vierge, unie au juste Joseph par les liens d’un véritable mariage. L’exécution de ce décret providentiel est ainsi exprimée en saint Luc, I. 27 : « Missus est Angelus Gabriel a Deo, in civitatem Galileae, cui nomen Nazareth, ad virginem desponsatam viro, cui nomen erat Joseph, de domo David, et nomen Virginis Maria. »

Saint Bernard appelle saint Joseph « magni consilii coadjutorem fidelissimum ».

C’est pourquoi Mgr Sinibaldi, après Suarez et plusieurs autres, affirme, ibid., que le ministère de Joseph confine, en un sens, à son rang, à l’ordre de l’union hypostatique[27]. Non pas que Joseph ait intrinsèquement coopéré, comme instrument physique de l’Esprit-Saint, à la réalisation du mystère de l’Incarnation ; de ce point de vue son rôle est très inférieur à celui de Marie, Mère de Dieu ; mais enfin il a été prédestiné à être, dans l’ordre des causes morales, le gardien de la virginité et de l’honneur de Marie, en même temps que le protecteur de Jésus enfant. Il faut se garder ici de certaines exagérations qui fausseraient l’expression de ce grand mystère[28] ; le culte dû à saint Joseph ne dépasse pas spécifiquement celui de dulie rendu aux autres saints, mais tout porte à penser que ce culte de dulie, plus que tous les autres saints, il mérite de le recevoir[29]. C’est ainsi que l’Église, dans ses oraisons, le nomme immédiatement après Marie et avant les Apôtres, par exemple dans l’oraison A cunctis. Si saint Joseph n’est pas nommé dans le Canon de la messe, il a aujourd’hui une préface spéciale, et le mois de mars lui est consacré.

Récemment, en un discours prononcé dans la Salle Consistoriale[30], le jour de la fête de saint Joseph, 19 mars 1928, S. S. Pie XI comparait ainsi la vocation de saint Joseph à celle de saint Jean-Baptiste et à celle de saint Pierre : « Fait suggestif, que de voir surgir si voisines et briller, presque contemporaines, certaines figures si magnifiques : saint Jean-Baptiste, qui s’élève du désert avec sa voix tantôt grondante et tantôt suave, comme le lion qui rugit et comme l’ami de l’Époux, qui se réjouit de la gloire de l’Époux, pour offrir enfin à la face du monde la merveilleuse gloire du martyre ; Pierre, qui s’entend dire par le divin Maître ces sublimes paroles, prononcées elles aussi à la face du monde et des siècles : « Tu es Pierre, et sur « cette pierre je bâtirai mon Église ; allez et prêchez au « monde entier », mission grandiose, divinement éclatante. Entre ces deux missions, apparaît celle de saint Joseph, mission recueillie, tacite, presque inaperçue, inconnue, qui ne devait s’illuminer que quelques siècles plus tard, un silence auquel devait succéder sans doute, mais bien longtemps après, un retentissant chant de gloire. Et de fait, là où est plus profond le mystère, plus épaisse la nuit qui le recouvre, plus grand le silence, c’est justement là qu’est plus haute la mission, plus brillant le cortège des vertus requises et des mérites appelés, par une heureuse nécessité, à leur faire écho. Mission unique, très haute, celle de garder le Fils de Dieu, le Roi du monde, la mission de garder la virginité, la sainteté de Marie, la mission unique d’entrer en participation du grand mystère caché aux yeux des siècles et de coopérer ainsi à l’Incarnation et à la Rédemption ! Toute la sainteté de Joseph est précisément dans l’accomplissement, fidèle jusqu’au scrupule, de cette mission si grande et si humble, si haute et si cachée, si splendide et si entourée de ténèbres. »


Les vertus surnaturelles et les dons de saint Joseph

Ce sont surtout les vertus de la vie cachée et à un degré correspondant à celui de la grâce sanctifiante[31] : une profonde humilité, une foi pénétrante, qui ne se déconcerte jamais, une espérance inébranlable, par-dessus tout une immense charité, grandissant sans cesse au contact de Jésus, la bonté la plus délicate du pauvre, riche, en sa pauvreté, des plus grands dons de Dieu, des sept dons de l’Esprit-Saint, au même degré que sa charité. Les litanies disent : « Joseph très juste, très chaste, très prudent, très fort, très obéissant, très fidèle, miroir de patience, ami de la pauvreté, modèle des ouvriers, honneur de la vie domestique. »

Sa foi vive fut à certains jours douloureuse à cause de son obscurité, obscurité dans laquelle il pressentait quelque chose de trop grand pour lui : en particulier lorsqu’il ignorait encore le secret de la conception virginale, que l’humilité de Marie tenait caché[32]. La parole de Dieu transmise par l’ange fit la lumière, en annonçant la naissance miraculeuse du Sauveur. Joseph aurait pu hésiter à croire une chose si extraordinaire ; il y croit fermement dans la simplicité de son cœur, et cette grâce insigne, loin de l’enorgueillir, le confirme pour toujours dans l’humilité. Pourquoi, se dit-il, à moi Joseph, plutôt qu’à tout autre homme, le Très-Haut a-t-il donné ce trésor infini à garder ? Il voit avec évidence qu’il n’a certes pas pu mériter un pareil don. II comprend toute la gratuité de la prédilection divine à son égard, c’est le bon plaisir souverainement libre, qui est à lui-même sa raison ; en même temps s’éclairent les prophéties, et la foi du charpentier grandit dans des proportions prodigieuses.

Pourtant l’obscurité ne tarde pas à reparaître, Joseph doit cheminer à travers les rayons et les ombres. Il était déjà pauvre avant d’être l’objet des prédilections divines, avant d’avoir reçu le secret de Dieu ; il devient plus pauvre encore, remarque Bossuet, lorsque Jésus vient au monde. II n’y a point de place pour le Sauveur dans la dernière des auberges de Bethléem, il faut se retirer dans une étable. Dans la délicatesse de son cœur, Joseph dut souffrir de n’avoir rien à donner à Marie et à son fils. Lorsque Jésus vient dans une âme, disent les saints, il y entre avec sa croix, il la détache de tout pour l’unir à lui. Joseph et Marie le comprirent dès le premier jour, et la prophétie du vieillard Siméon vint confirmer leur pressentiment.

Déjà la persécution commence. Hérode cherche à faire mourir le Messie. Le chef de la sainte Famille, averti par un ange, est contraint de fuir en Égypte avec Marie et l’enfant Jésus. Pauvre artisan, sans autre ressource que son travail, il part pour ce pays lointain, où nul ne le connaît ; il part, fort de sa foi en la parole de Dieu transmise par l’ange. C’est là sa mission : il doit cacher Notre Seigneur, le soustraire aux persécuteurs, et il ne reviendra à Nazareth que lorsque le danger aura disparu. Joseph est le ministre et le protecteur de la vie cachée de Jésus, comme les apôtres sont les ministres de sa vie publique.

En cette vie cachée, au milieu même des épreuves, la nuit obscure de la foi s’éclaire à la lumière toujours plus radieuse et plus douce, qui vient de la sainte âme du Verbe fait chair. De retour à Nazareth, pendant les années qu’y vécut la sainte Famille, le recueillement et le silence ont régné dans la petite maison du charpentier, véritable sanctuaire, plus sacré que le saint des saints du temple de Jérusalem. C’était un silence plein de douceur, la contemplation toute aimante du mystère infini de Dieu venu parmi nous et encore ignoré de tous. De temps en temps quelques paroles traduisaient l’état profond des âmes ; mais dans cette atmosphère d’innocence et d’amour les âmes étaient transparentes l’une à l’autre et se comprenaient d’un regard sans avoir besoin de paroles.

Après la contemplation de la bienheureuse Vierge, y en eut-il ici-bas de plus simple et de plus aimante que celle de l’humble charpentier, lorsqu’il regardait Jésus ? Par grâce il avait reçu pour lui les sentiments du père protecteur le plus dévoué et le plus délicat, et il était aimé par Jésus, enfant et adolescent, avec une tendresse, une reconnaissance et une force qui ne se peuvent trouver que dans le cœur même de Dieu. Un regard de Joseph sur Jésus rappelait à l’humble artisan le mystère de Bethléem, l’exil d’Égypte, le grand mystère du salut du monde. L’action incessante du Verbe de Dieu fait chair sur Joseph était l’action créatrice, qui conserve la vie après l’avoir donnée : « amor Dei infundens et creans bonitatem in rebus[33] », l’action surnaturelle, féconde en grâces toujours nouvelles. Impossible de trouver plus de grandeur en une si parfaite simplicité. Comme dans le prophète Joseph de l’Ancien Testament, Joseph vendu par ses frères et figure du Christ, c’était la plus haute contemplation dans les formes les plus simples, la contemplation divine, toute pénétrée du pur amour de charité. Il portait en son cœur le secret le plus grand, celui de l’Incarnation rédemptrice ; l’heure n’était pas encore venue de le révéler. Les Juifs n’auraient pas compris, n’y auraient pas cru ; beaucoup d’entre eux attendaient un Messie temporel couvert de gloire, et non un Messie pauvre et souffrant pour nous. La présence de Joseph voilait ce mystère : on appelait Jésus le fils du charpentier. Le pauvre artisan avait dans sa maison le Verbe de Dieu fait chair, il possédait le Désiré des nations, annoncé par les prophètes, et il n’en disait mot. Il était témoin de ce mystère, et il le goûtait en secret en se taisant.

Cette contemplation très aimante était très douce pour Joseph, mais elle lui demandait aussi la plus grande abnégation, abnégation qui allait jusqu’au plus douloureux sacrifice, lorsqu’il se rappelait ces paroles de Siméon : « Cet enfant sera un signe en butte à la contradiction », et celles dites à Marie : « et vous un glaive vous transpercera la poitrine ». L’acceptation du mystère de la Rédemption par la souffrance apparaissait à Joseph comme la consommation douloureuse du mystère de l’Incarnation, et il avait besoin de toute la générosité de son amour pour offrir à Dieu, en sacrifice suprême, l’enfant Jésus et sa sainte Mère, qu’il aimait incomparablement plus que sa propre vie. Il n’a pas offert le sacrifice eucharistique, mais il a souvent offert l’enfant Jésus à son Père pour nous. Comme le dit l’abbé Sauvé, « ne voyant que la volonté de Dieu, saint Joseph reçoit d’elle, avec la même simplicité, et les joies les plus profondes et les épreuves les plus cruelles ».

A peine pouvons-nous soupçonner ce que furent en l’âme de Joseph les progrès admirables de la foi, de la contemplation et de l’amour. Autant l’humble charpentier a eu une vie cachée sur la terre, autant il est glorifié dans le ciel. Celui à qui le Verbe de Dieu a obéi ici-bas conserve au ciel sur le cœur sacré de Jésus une puissance d’intercession incomparable. Comme il veillait sur la maison de Nazareth, il veille aujourd’hui sur les foyers chrétiens, sur les communautés religieuses, sur les vierges consacrées à Dieu, il est leur guide, dit sainte Thérèse, dans les voies de l’oraison ; il est aussi, comme le disent les litanies, la consolation des malheureux, l’espoir des malades, le soutien des mourants, la terreur des démons, le Protecteur de la sainte Église, grande famille de Notre-Seigneur. Demandons-lui de nous faire connaître le prix de la vie cachée, la splendeur des mystères du Christ, et l’infinie bonté de Dieu, telle qu’il l’a vue lui-même dans l’Incarnation rédemptrice.

Rome. Angelicum.


Notes et références

  1.  Sermo in nativitatem Virginis Mariae, IVe Consideratio.
  2. Sermo I de S. Joseph, c. 3, Opera, Lyon, 1650, t. IV, p. 254.
  3.  In Summam S. Thomae, IIIa, q. 29, disp. 8, sect. 1.
  4.  Cf. Isidore ISOLANI, O. P., Summa de donis S. Joseph, nouv. édit. du P. Berthier, Rome, 1807 ; – Ch. SAUVÉ, Saint Joseph intime, Paris, 1920 ; – Cardinal LÉPICIER, Tractatus de Sancto Joseph, Paris, s. d. (1908) ; – article Saint Joseph de M. A. Michel, dans le Dictionnaire de Théologie catholique ; surtout Mgr SENIRALDI, La Grandezza di San Giuseppe, Rome, 1937, p. 36 sq.
  5. Epist. encyclica Quamquam pluries, 15 Aug. 1899 : « Certe matris Dei tam in excelso dignitas est, ut nihil fieri majus queat. Sed tamen quia intercessit Josepho cum Virgine beatissima maritale vinculum, ad illam praestantissimam dignitatem, qua naturis creatis omnibus longissime Deipara antecellit, non est dubium quia accesserit ipse, ut nemo magis. Est enim conjugium societas necessitudoque omnium maxima, quae natura sua adjunctam habet bonorum unius cum altero communicationem. Quocirca si sponsum Virgini Deus Josephum dedit, dedit profecto non modo vitae socium, virginitatis testem, tutorem honestatis, sed etiam excelsae dignitatis ejus ipso conjugali foedere participem. »
  6. Cf, S. Thomas, Ia, q. 94, a. 3.
  7. Cf. S. Thomas, IIIa, q. 7, a. 9 : « Christus habuit gratiae plenitudinem… quia habuit eam in summo, secundumn perfectissimum modum quo haberi potest. Et hoc quidem apparet primo ex propinquitate animae Christi ad causam gratiae. Dictum est enim (a. 1) quod quanto aliquod receptivum propinquius est causae influenti, tanto abundantius recipit. Et ideo Christi anima, quae propinquius conjungitur Deo inter omnes creaturas rationales, maximam recipit influentiam gratiae ejus. Secundo ex comparatione ejus ad effectum. Sic enim recipiebat anima Christi gratiam, ut ex ea quodammodo transfunderetur in alios… Conferebatur ei gratia, tanquam cuidam universali principio in genere habentium gratiam. » IIIa, q. 9, a. 2 : « Illud quod est in potentia, reducitur in actum per id quod est in actu, oportet enim esse calidum id per quod alia calefiunt. Homo autem est in potentia ad scientiam beatorum quae in Dei visione consistit et ad eam ordinatur sicut ad finem… Ad hunc autem finem beatitudinis homines reducuntur per Christi humanitatem… Et ideo oportuit quod cognitio beata, in Dei visione consistens, excellentissime Christo homini conveniret : quia semper causam oportet esse potiorem causato. » Maître de toute l’humanité pour les choses de la vie éternelle, Jésus-Christ devait non pas seulement croire, mais voir le but suprême vers lequel il devait nous conduire.
  8. Cf. S. Thomas, IIIa, q. 27, a. 5 : « Quanto aliquid magis appropinquat principio in quolibet genere, tanto magis participat effectum illius principii… Christus autem est principium gratiae, secundum divinitatem quidem auctoritative, secundum humanitatem vero instrumentaliter… Beata autem Virgo Maria propinquissima fuit Christo secundum humanitatem, quia ex ea accepit humanam naturam. Et ideo prae caeteris majorem debuit a Christo gratiae plenitudinem obtinere. » – Ibid., ad 3 : « non est dubitandum, quin B. Virgo acceperit excellenter donum sapientiae et gratiam virtutum et etiam gratiam prophetiae… secundum quod conveniebat conditioni ipsius. »
  9. Cf. IIa IIae, q. 1, a. 7, ad 4 : « Illi qui fuerunt propinquiores Christo, vel ante, sicut Joannes Baptista, vel post, sicut Apostoli, plenius mysteria fidei cognoverunt. »
  10. In Ep. ad Rom., VIII, 23, circa haec verba : « Nos ipsi primitias Spiritus habentes » : « Spiritum Sanctum et tempore prius et caeteris abundantius Apostoli habuerunt. » Item in Ep. ad Ephes., IV, 11, circa haec verba : « Et ipse dedit quosdam quidem apostolos, quosdam autem prophetas, alios vero evangelistas, alios autem pastores et doctores. »
  11. S. Thoams, In Mattheum, XI, 11, écrit : « Si (Joannes Baptista) dicitur major omnibus patribus veteris Testamenti, non est inconveniens. Ille enim major et excellentior est, qui ad maius officium est assumptus : Abraham enim major est inter patres quoad probationem fidei : Moyses vero quoad officium prophetiae, ut habetur in Deut., XXXIV, 10 : « Non surrexit propheta ultra in Israel sicut Moyses. » Omnes isti praecursores Domini fuerunt ; nullus autem fuit in tanta excellentia et favore ; ideo ad majus officium est assumptus. Cf. Luc, I, 15 : « Erit enim magnus coram Domino. » Il est le précurseur par excellence parmi tous les saints de l’Ancien Testament, cela suffit à expliquer que, dans les Litanies des Saints, il vienne immédiatement après Marie et les Anges. Il clôt l’Ancien Testament et annonce le Nouveau. Voir en faveur de cette interprétation du texte de saint Matthieu, XI, 11, Lagrange, Évangile selon S. Matt., p. 222 ; Évan. selon S. Luc, P. 221 ; Knabenbauer, Evangelium secundum Mattheum, t. 1, p. 429-431.
  12. S. Thomas, In Mattheum, XI, 11, dit à ce sujet : « Potest haec locutio « qui autem minor est in regno coelorum, major est illo » exponi tripliciter. – Primo, ut per regnum coelorum ordo beatorum intelligatur : et qui inter illos est minor, major est quolibet viatore… Et hoc verum est intelligendo de majoritate actuali : actu enim major est qui comprehensor est. Secus de majoritate virtuali, sicut una parva herba major dicitur virtute, licet alia major sit quantitale. – Aliter potest exponi, ita quod per regnum coelorum praesens Ecclesia designetur : et hoc est, quod minor non dicitur universaliter, sed minor tempore… Unde ille qui minor est, major est illo. – Vel aliter potest exponi, quod aliquis dicitur rnajor dupliciter : vel quantum ad meritum, et sic multi Patriarchae sunt majores aliquibus novi Testamenti…, aut comparando statum ad statum, sicut virgines meliores sunt conjugatis ; non tamen quaelibet virgo melior quolibet conjugale. » Indépendamment du mérite personnel des différents serviteurs de Dieu, le Nouveau Testament, tel surtout qu’il s’épanouit dans la gloire, est évidemment comme état spirituel plus parfait que l’Ancien. Or saint Jean Baptiste est aux confins des deux. – voir sur ce point les exégètes cités à la note précédente, et l’article de M. A. Michel sur saint Joseph, dans le Dictionnaire de Théologie catholique, col. 1515, où ces références sont indiquées avec plusieurs autres, par ex. Fillion, Évangile selon S. Matthieu, p. 222, et D. Busy, Saint Jean Baptiste, Paris, 1922, part. 3, c. 3.
  13. Cf. Luc, XXII, 26 : « Sed qui major est in vobis, fiat sicut minor ; et qui praecessor est, sicut ministrator. »
  14. Cf. S. Thomas, Ia IIae, q. 66, a. 2 : « Omnes virtutes unius hominis sunt aequales quadam aequalitate proportionis, in quantum aequaliter crescunt in homine ; sicut digiti manus sunt inaequales secundum quantitatem, seul sunt aequales secundum proportionem, cum proportionaliter augeantur. »
  15. S. Bernardus, Homil. 2, super Missus est, prope finem : « Fidelis, inquam, servus et prudens, quem constituit Dominus suae Matris solatium, suae carnis nutritium, solum denique in terris magni consilii coadjutorem fidelissimum. »
  16. S. Bernardinus Senensis, serm. 1 de S. Joseph : « Omnium singularium gratiarum, alicui rationabili creaturae communicatarum, generalis regula est : quod quandocumque divina gratia eligit aliquem ad aliquam gratiam singularem, seu ad aliquem sublimera statum, omnia charismata donet, quae illi personae sic electae et ejus officio necessariae sunt atque illam copiose decorant. Quod maxime verificatum est in sancto Joseph, putativo Patre Domini nostri Jesu Christi, et vero Sponso Beginae mundi et Dominae aagelorum, qui ab aeterno electus et fidelis nutritius atque custos principalium thesaurorum suorum scilicet Filii ejus et Sponsae suae : quod officium fidelissime prosecutus est… Si compares eum ad totam Ecclesiam Christi, nonne iste est homo electus et specialis, per quem et sub quo Christus est ordinale et honeste introductus in mundum ? Si ergo Virgini Matri tota Ecclesia sancta debitrix est, quia per eam Christum suscipere digna facta est ; sic profecto, post eam, huic debet gratiam et reverentiam singularem… Omnibus electis Panem de coelo, qui coelestem vitam tribuit, cura multa solertia enutrivit. »
  17. En 1522 Isidore de Isolanis, O. P., dans l’ouvrage très loué par Benoît XIV : Summa de donis sancti Joseph, a écrit, Pars IIIa, cap. XVIII « Sunt quatuor proprietates apostolicae dignitalis : annunciatio (Matthaei ultimo : Euntes praedicate Evangelium omni creaturae), illuminatio (Matthaei, 5 : Vos estis lux mundi), reconciliatio (Quorum remiseritis peccata, remittuntur eis. Marci, ultimo), et per Spiritum Sanctum locutio (Jean., 15 : Non vos estis qui loquimini, sed Spiritus Patris mei qui loquitur in vobis). Hae autem proprietates dignissimae sunt, quia sunt immediate a et sub et propter Christum. – Proprietates vero sancti Joseph fuere desponsatio Reginae coelorum, nominatio patris Regis angelorum, defensio Messiae promissi in Lege Judoeorum, educatio Salvatoris omnium. Et hae proprietates sunt immediate super, ad et propter Christum. Quisquis ergo ingenio pollens, rerum divinarum praemissa veritate discurre, argue, conclude ab apostolicae comparatione majestatis ad coelestem Joseph dignitatem, quanta sit illius praestantia, dignitas, sanctitudo, ac virtutum inexplicabilis perfectio. Accede ad cor altum et non deprimetur aut humilior erit apud te majestas apostolici culminis ; sed exaltabitur Deus in latentibus donis patris sui putativi Joseph. » – Cf. ibid., cap. XVII : De dono plenitudinis gratiae (in S. Joseph), et Ia Pars, cap. IV : De donis admirabilium virtutum cognitarum in sancto Joseph propter conjugium beatissimae Virginis ; – cap. V : De dono praestantissimae justitiae ; – cap. IX : De dono privilegii amoris quo Joseph dilectus fuit a beata Virgine super caeteros mortales.
  18. SUAREZ, in Summam Theologicam, III, q. 29, disp. VIII, sect. 1.
  19. Mgr Sinibaldi, op. cit., p.36 sq., où l’argument relatif à l’ordre d’union hypostatique est admirablement développé et précisé.
  20. Cf. S. Thomas, IIIa, q. 29, a. 2.
  21. Cf. S. Thomas, in IV Sent., dist. 30, q. 2, a. 2, ad 4 : « Proles non dicitur bonum matrimonii, solum in quantum per matrimonium generatur, sed in quantum in matrimonio suscipitur et educatur, et sic bonum illius matrimonii fuit proles illa, et non primo modo. Nec tamen de adulterio natus, nec filius adoptivus qui in matrimonio educatur, est bonum matrirnonii, quia matrimonium non ordinatur ad educationem illorum, sicut hoc rnatrinionium (Mariae et Joseph) fuit ad hoc ordinatam specialiter quod proles illa susciperetur in eo et educaretur. »
  22. Cf. S. Thomas, IIIa, q. 2, a. 11, ad 3 : « Beata Virgo… meruit ex gratia sibi data illum puritatis et sanctitatis gradum ut congrue posset esse mater Dei. » – Ibid. : « Ex congruo meruerunt sancti Patres (Veteris Test.) incarnationem, desiderando et petendo. »
  23. Premier Panégyrique de saint Joseph, 1er point.
  24. « Erat subditus illis » (Luc, II, 5).
  25. Cf. IV Sent., loc. cit.
  26. On peut affirmer que Joseph fut confirmé en grâce dès l’instant de son mariage avec la sainte Vierge. Cf. Dict. Theol., art. cité, c. 1518.
  27. Cf. La Grandezza di San Giuseppe, par Mgr Giacomo Sinibaldi, Vescovo titolare di Tiberiade, Segretario della S. Congregazione del Seminari e delle Università, Roma, 1927, p. 36 sq. : « Il ministero di San Giuseppe e l’ordine della Unione ipostatica Per ministero si deve intendere un officio, una funzione, che impone e produce una serie di atti diretti a raggiungere une scopo determinato… Maria è nata per essere la Madre di Dio… Ma lo sposalizio verginale di Maria dipende da Giuseppe… Laonde il ministero di Giuseppe ha une stretto rapporte con la costituzione dell’ordine della Unione ipostatica… Celebrando il sue connubio verginale con Maria, Giuseppe prepara la Madre di Dio, come Dio la vuole ; e in ciò consiste la sua cooperazione nell’attuazione del grande mistero. – Da ciò appare che la cooperazione di Giuseppe non uguaglia quella di Maria. Mentre la cooperazione di Maria è intrinseca, fisica, immediata, quella di Giuseppe è estrinseca, morale, mediata (per Maria) ; ma è vera cooperazione. »
  28. Toute coopération physique, même instrumentale, est exclue du côté de Joseph ; les paroles du Credo : « conceptus est de Spiritu Sanclo », ont toujours été entendues de solo Spiritu Sancto. Cf. S. Thomam, C. Gentes, l. IV, c. 45. On pourrait citer de nombreux témoignages des Pères, en particulier ceux de saint Ephrem de Syrie que citaient le P. J.-M. Bover, S. J., dans les Ephemerides lheologicae Lovanienses, avril 1928 : « Filius David, Joseph, davidicam sibi desponsavit filiam, ex qua prolem sine semine habuit… Turpe profecto erat Christum ex viri semine procreari, nec honestum, ut idem ex femina titra conjugium nasceretur. Edidit Maria infantem, qui non sub ipsius, sed sub Josephi nomine scriptus est, licet ex hujus semine non derivatus. Ortus est sine Josepho Josephi filius, qui Davidis filius simul et parens exstitit » (édit. de Rome, 1732-1746, syr.-lat. III, 601). Les termes « sine semine », « ex hujus semine non derivatus », « sine Josepho », excluent toute action physique même instrumentale de la part de Joseph. L’effet propre du principe générateur est précisément la génération passive. Donc celle-ci ne peut être son effet instrumental, qui doit dépasser sa vertu propre, comme la grâce baptismale dépasse la vertu propre de l’eau. Saint Ephrem dit encore : « Evangelium illam (Mariam) matrem appellat et non nutricem. Sed et Joseplium quoque patrem vocat, cura nullarn in ea generatione partem haberet… Non appellatio naturam tribuit ; nam et nos crebro patres nuncupamus, non quidem genitores, verum senio conspicuos. Porro ipsi Joseph natura appellationem indidit… : quoniam Virginis et Joseph sponsorum arrhabones, ut hoc nomine vocaretur, effecerunt ; patrem autem, qui non genuerit. » Ibid., grec.-lat. II, 276-277 De même saint Augustin : « Non ergo de semine Joseph Dominus, quamvis hoc putaretur : et tamen pietati et caritati Joseph natus est de Maria virgine filius » (M. L., 38, 351). – La vraie pensée de l’Église est admirablement exprimée par saint François de Sales, sous un symbole qui se trouve déjà chez saint Ephrem (lot. cit., gr.-lat. II, 277) : « Saint Joseph donc fut comme un palmier, lequel ne portant point de fruit, n’est pas toutefois infructueux…, non que saint Joseph eût contribué aucune chose pour ceste sainte et glorieuse production, sinon la seule ombre du mariage, qui empêchait Nostre Dame et glorieuse Maîtresse de toutes sortes de calomnies… » Œuvres de saint François de Sales, t. VI, Annecy, 1895, pp. 354 sq.
  29. Mgr Sinibaldi, op. cit., p. 242 ; Card. Lépicier, op. cit., p. 287
  30. A l’occasion de la lecture du décret d’héroïcité des vertus de la Vénérable Jeanne-Elisabeth Bichier des Ages.
  31. Cf. S. Thomas, Ia IIae, q. 66, a. 2.
  32. Saint Thomas dit à ce sujet, in IV Sent., dist. 30, q. 2, a. 2, ad 5 : « Joseph noluit Mariam dimittere quasi aliam ducturus vel propter aliquam suspicionem, sed quia timebat tantae sanctitati cohabitare propter reverentiam, unde dictum est ei : Noli timere, Matth., I, 20. »
  33. S. Thomas, Ia q. 20, a. 2.

La collégialité est une hérésie


Tous les textes de Vatican II posent des problèmes doctrinaux et disciplinaires, indirectement ou directement, parce qu’ils ont été construits et promulgués par des gens qui voulaient « réformer la religion catholique » de fond en comble, c’est-à-dire en pratique remplacer la religion catholique par une nouvelle religion, mais en s’efforçant de maintenir une certaine continuité légale et extérieure entre les deux (à court terme, il fallait aussi s’efforcer de calmer la vigueur des défenseurs de l’orthodoxie, en les endormant par des rappels de doctrine rassurants). Mais parmi ces textes, on peut extraire quatre grandes erreurs qui sont directement opposées au magistère infaillible de la Sainte Église catholique :

  • L’Église du Christ n’est pas identique à l’Église catholique romaine (erreur contre l’unité de l’Église).
  • Les Églises schismatiques sont des moyens de salut (œcuménisme).
  • N’importe qui a le droit naturel et inviolable de pratiquer publiquement n’importe quelle religion (liberté religieuse).
  • L’autorité suprême dans l’Église appartient de manière permanente au collège des évêques conjointement avec le pape (collégialité).

La quatrième erreur (la collégialité) revient moins souvent dans les débats, elle a moins de « succès médiatique ». Et pourtant, elle n’est pas des moindres : elle s’oppose directement à la constitution divine de l’Église, établie par Jésus-Christ lui-même, selon laquelle l’autorité suprême appartient uniquement à saint Pierre et à ses successeurs (Je te donnerai les clés du royaume des Cieux, Mt 16 :19). On ne peut nullement fonder sur la Révélation la théorie d’une autorité suprême qui appartiendrait de manière diffuse et collective à l’ensemble des apôtres et à leurs successeurs : à aucun autre apôtre que saint Pierre il n’est dit « je te donnerai les clés du royaume des Cieux », c’est-à-dire l’autorité sur l’Église.

Nous souhaitons donc revenir sur la nature de cette erreur et sur son opposition avec le magistère (dont nous présenterons quelques extraits), et ce sans parler de l’autre erreur conjointe qui est la négation de la distinction réelle entre le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction, qui devrai faire l’objet d’une étude séparée. Le sujet de la collégialité mérite en effet d’être mieux connu, et il faut également pouvoir répondre à quelques objections émises pour défendre la « validité » de cette doctrine.


SOMMAIRE
1- Historique de la collégialité
— Erreurs sur la primauté du pontife romain
— Le pourquoi de la collégialité
— La collégialité débattue pendant Vatican II : quelques témoignages
2- La constitution monarchique de l’Église dans le magistère
— Concile de Florence
— Concile Vatican I (Pastor Æternus)
— Léon XIII (Satis Cognitum)
— Pie XII (Mysticis Corporis)
3- La collégialité dans Vatican II et dans le code de 1983
Lumen Gentium n°22
— La nota prævia
— Le code de 1983
4- Les commentaires des réformateurs
— Collégialisme pur et collégialisme mitigé
— La collégialité selon Benoît XVI
— La mise en application de la collégialité
5- Les tentatives d’« herméneutique de la continuité »
6- Conclusion


1 – Historique de la collégialité

De l’aveu du « cardinal » Paul Poupard, un proche de Jean-Paul II, le terme même de collégialité « était absent des anciens dictionnaires de théologie » avant Vatican II [1] : il s’agit en effet d’une idée complètement étrangère à l’enseignement de l’Église. S’agit-il d’un nouveau mot, employé pour exprimer une idée traditionnelle ? L’idée que l’ensemble des évêques possèdent ensemble, avec le pape, l’autorité suprême dans l’Église, est plutôt explicitement condamnée par le Magistère lorsqu’il rappelle que le pape seul a reçu la primauté de juridiction. Ce mot de collégialité n’est même pas employé par les textes de Vatican II ou du code de 1983 : c’est bien pour désigner la nouveauté introduite par ces textes que l’on emploie ce nouveau mot.


Erreurs sur la primauté du pontife romain

L’histoire de l’Église a connu de nombreuses tentatives visant à diminuer l’autorité suprême attribuée par le Christ à saint Pierre, et à exalter en contrepartie une supposée autorité suprême des évêques successeurs du Collège apostolique. L’ecclésiologie « orthodoxe » n’accepte pas cette primauté de juridiction sur l’Église universelle, et parle simplement d’une primauté honorifique. Le « conciliarisme » apparu au moment du Grand Schisme d’Occident fait du Concile œcuménique l’autorité suprême dans l’Église, supérieure au Pape. Le gallicanisme exalte une supposée indépendance du pouvoir épiscopal et réduit l’autorité du Pape aux seules questions doctrinales. Le fébronianisme prétend que le pouvoir des clefs a été confié au corps entier de l’Église, dont le pape n’est que le représentant ou le dépositaire, comme s’il était « président » de la « république ecclésiastique ». Les modernistes comme Yves Congar regardent toutes ces hérésies comme des manifestations d’une « préoccupation légitime » envers les excès du centralisme romain et des fantasmes de la théologie ultramontaine.


Le pourquoi de la collégialité

Cette primauté souveraine et universelle de juridiction du souverain pontife est la vérité de la foi catholique qui déplaît le plus aux protestants et aux schismatiques : peut-être même s’agit-il du « principal obstacle à la pleine communion ». Paul VI [2] et Ratzinger ont dit en effet que « la papauté est le plus grand obstacle à l’œcuménisme » [3]. Il n’était pas pensable que le « Concile de l’œcuménisme » qu’est Vatican II laisse inchangée cette difficile doctrine de la primauté pontificale. L’amoindrir ou la mutiler en quelque manière était une nécessité.

L’émergence de la collégialité à Vatican II ne répond pas seulement à un « impératif œcuménique » : selon les termes de la Commission Théologique Internationale, « un discernement plus attentif des requêtes avancées par la conscience moderne en termes de participation de tous les citoyens à la gestion des affaires publiques, pousse à une nouvelle et plus profonde expérience et présentation du mystère de l’Église dans sa dimension synodale intrinsèque. »[4] Il répond à un besoin des fidèles éclairés qui « attendent que le changement démocratique affectant la société actuelle passe, par une sorte d’osmose inéluctable mais bénéfique, au domaine de la vie ecclésiastique » [5]. Autrement dit, en langage intelligible, il faut « démocratiser » l’Église, amoindrir voire détruire totalement son caractère monarchique, qui offense la mentalité moderne.

La « collégialité » arrive à la fin de cette série d’erreurs sur la primauté du pontife romain comme une doctrine hybride, une doctrine de compromis. Pour répondre à cette double pression œcuméniste et démocratiste, tout en ne présentant pas au monde catholique une rupture trop violente avec l’enseignement de l’Église, les réformateurs de Vatican II ont inventé un système dans lequel le souverain pontife garde un primat réel, mais partage l’autorité suprême avec le Collège des évêques, pour ainsi dire.

La collégialité veut donc concilier les vieilles erreurs sur la primauté du Collège, qu’admiraient les modernistes, avec la primauté du pontife romain : on arrive à une improbable ecclésiologie dans laquelle le pouvoir suprême et plénier sur l’Église appartient à la fois au pape seul et au Collège uni au pape – et jamais sans le pape, précisent les textes, ce qui est une manière de « calmer » les conservateurs, mais n’enlève rien au fond du problème qui est l’apparition d’un nouveau sujet de pouvoir plénier et universel dans l’Église.


La collégialité débattue pendant Vatican II

La doctrine de la collégialité telle qu’exprimée dans les textes de Vatican II et du CIC 1983 résulte manifestement d’un compromis entre l’ecclésiologie catholique et l’ecclésiologie hérétique des réformateurs, dont le plus notable est Yves Congar. Ce dernier ne cessait de déverser son fiel sur la « théologie romaine » faisant du pape le monarque absolu de l’Église. Le pape est, en effet, d’après le Magistère vivant de la Sainte Église (et pas seulement la « théologie romaine »), monarque absolu de l’Église, suivant sa constitution divine, seul récipiendaire de l’autorité suprême dans l’Église : une simple lecture honnête de l’évangile peut nous en convaincre, et le témoignage univoque de l’Église enseignante ensuite. Les modernistes détestent cette doctrine. Pour Congar et ses amis, il faudrait plutôt considérer le pape comme le « président » de l’Église, celui qui a la plus haute fonction et qui peut trancher les conflits, dont l’existence est un puissant facteur d’unité pour l’Église, mais dont la légitimité et les prérogatives dépendent en quelque manière du consentement des évêques ou de l’ensemble des fidèles. La théorie d’une Église fondée sur le « Collège des douze » comme autorité suprême leur semble plus séduisante et plus « adaptée aux besoins du monde moderne ».

Mgr Gerard Philips, qui croit en cette hérésie de la collégialité, nous transmet dans ses mémoires un récit des débats parfois virulents qui eurent lieu à ce sujet pendant les sessions de Vatican II. Nous y voyons que Mgr Ugo Lattanzi, qui a publié ensuite des écrits contre la collégialité, s’était déjà manifesté à l’époque pour défendre la doctrine catholique, en qualifiant d’hérésie l’opinion des réformateurs.


Extraits des mémoires de Mgr Gerard Philips [6]

« 9 mars 1963. La discussion sur le chapitre II a connu trois difficultés. D’abord l’affirmation des Douze comme fondement de l’Église. Cette thèse est niée par certains. Lattanzi explique dans un déluge de paroles que seul Pierre est le roc sur lequel l’Église a été bâtie. Les autres ne sont que le fondement posé sur le roc : themelios sur le Petra. Le texte de l’Apocalypse est purement eschatologique, selon le P. Kerrigan ; en Eph. 2,20 on trouve aussi bien Prophètes qu’Apôtres : s’agit-il dès lors des Douze ? En tout cas, on veut exprimer très nettement la différence entre Pierre et les Apôtres et l’on préfère le mot « Rupes » pour Pierre seul.

(…) Le deuxième cas difficile concerne la collégialité des évêques dispersés, – donc hors Concile -, comme sujets de l’autorité suprême. Ici il semble y avoir eu un accord, dans le groupe des théologiens, sur un texte de Gagnebet. Mais l’accord ne se renouvela pas en commission, et le président invita tous les intéressés à trouver une issue le lendemain matin sous la présidence du cardinal Santos. En nommant Santos, le cardinal Ottaviani a écarté explicitement le cardinal Léger. Ce dernier en fut vraiment indigné.

13 mars 1963. Les évêques favorables étaient présents à la session de la matinée, ainsi que le cardinal Léger « in nigris » en signe de protestation, ainsi que la plupart des théologiens. Je propose une formule brève : les évêques peuvent arriver à un acte collégial, à condition que le pape ne s’y oppose pas. Cette fois, Gagnebet veut qu’on ajoute que le pape doit préciser d’avance de quelle manière cet acte doit être accompli : si le pape ne donne pas de directives, un acte collégial ne peut être posé. Schauf a une formule plus large et même plus précise que la mienne. Il imagine l’exemple d’un pape, détenu en Sibérie, qui approuverait l’acte des évêques après sa libération. Cela semble sauver l’affaire. Je me rallie à la formule de Schauf qui est acceptée à l’unanimité. (…)

Vendredi Saint, 12 avril 1963. J’ai oublié de noter dans mon récit qu’à un moment, Lattanzi a isolé une phrase de notre texte, et l’a interprétée comme hérétique en la prenant en elle-même, sans vouloir, selon ses dires, y associer l’intention de l’auteur. Bref, c’était quelque chose comme une hérésie en soi, l’hérésie de personne, sinon de la proposition. Je trouve pareil procédé pénible et blessant. De plus, ce procédé est irréel et ne tient pas compte de l’ensemble du contexte. Il ne fait apparaître qu’un fantôme. Je me suis plaint par la suite auprès de Lattanzi de ce procédé. Mais je n’ai pas pu lui faire comprendre que sa façon de parler était blessante. Rien ne lui semble plus naturel que de condamner certaines phrases de cette manière, qui procède d’un sens de l’orthodoxie et de la prudence. J’ai l’impression que c’est une manière très efficace de fabriquer des hérésies. Cela a dû se produire plus d’une fois dans l’histoire. La méthode de Lattanzi n’est donc pas nouvelle. En un certain sens on pourrait la qualifier de « traditionnelle ». C’est un exemple typique d’une « théologie de l’angoisse » qui, en outre, néglige les règles élémentaires de l’interprétation. En résumé, ce fut un incident instructif. Lattanzi est l’innocence et la naïveté même. »

Ce témoignage sur l’apparition de la collégialité dans les débats préparatoires à Vatican II est corroboré par d’autres, notamment celui du père Ralph M. Wiltgen, auteur du célèbre récit de l’histoire de Vatican II Le Rhin se jette dans le Tibre. Les modernistes ont en effet rejeté les schémas préparatoires de la constitution sur l’ Eglise, et ont fait de la collégialité leur principale priorité ecclésiologique : « L’une des premières questions soulevées [par les réformateurs] fut celle de la collégialité, c’est-à-dire du gouvernement de l’Eglise universelle par le Pape en collaboration avec tous les évêques du monde. C’était là le cœur même de tout le deuxième Concile du Vatican, destiné à compléter le premier Concile du Vatican où la primauté du Pape avait été étudiée en détail et solennellement promulguée. »

Ainsi l’idée de la collégialité épiscopale, loin d’aller de soi, a suscité la vive réaction de théologiens catholiques tels que Lattanzi, réaction qui a heurté la délicate sensibilité du moderniste Philips, qui mis en face du caractère intrinsèquement hérétique de ses propositions, répond exactement comme les modernistes de l’époque de saint Pie X, en disant que les catholiques soucieux de rigueur doctrinale « inventent des hérésies » qui n’existent pas

Ce témoignage nous montre également la « dynamique » des textes de Vatican II et la manière dont ils ont été rédigés : les modernistes (la « gauche » d’après les termes que Philips emploie lui-même dans ses mémoires) proposent des textes qui sont ouvertement en contradiction avec le magistère de l’Église. Les catholiques (la « droite ») réagissent avec virulence, en émettant diverses objections et en allant parfois jusqu’à parler d’hérésie. Les modernistes, face à cette résistance, s’entendent avec des conservateurs plus « modérés » (une sorte de centre-droit constitué de libéraux qui ont perdu toute sensibilité au danger du modernisme : les Gagnebet, Schauf, Kerrigan et compagnie) pour rédiger un nouveau texte plus « large » et plus ambigu, qui permette d’enfumer les catholiques « rigides » en leur donnant le sentiment que le texte respecte toujours la doctrine catholique, alors qu’au fond il continue de contenir des propositions erronées. Ces propositions sont simplement noyées dans un flot rassurant de doctrine apparemment compatible avec le catholicisme. « Cela semble sauver l’affaire », comme disait Philips.


2 – La constitution monarchique de l’Église dans le magistère

I. Acte du Concile oecuménique de Florence (9 juillet 1439)

« De même nous définissons que le Saint-Siège apostolique et le Pontife romain exerce la primauté (tenere primatum, τό πρωτείον ϰατέχειν) dans tout l’univers ; que ce même Pontife romain est le successeur du bienheureux Pierre, prince des apôtres, qu’il est le véritable vicaire du Christ, le chef de toute l’Église (caput, ϰεφαλήν), le père et le docteur de tous les chrétiens, et qu’à lui, en la personne du bienheureux Pierre, Notre-Seigneur Jésus-Christ a donné plein pouvoir de faire paître, de régir et de gouverner l’Église universelle, comme cela est contenu dans les actes des conciles œcuméniques et dans les sacrés canons. »

Contre les erreurs des Grecs, le Concile de Florence définit la primauté absolue de juridiction du successeur de saint Pierre. Le fait qu’il soit le seul à recevoir ce plein pouvoir est implicite, et se comprend par le contexte de la déclaration : les Grecs tendraient plutôt à dire que le plein pouvoir de juridiction appartient de manière diffuse au collège des Apôtres et à leurs successeurs. Le Concile définit donc qu’il n’y a qu’une seule autorité suprême dans l’Église, le Pontife romain.


II. Constitution dogmatique Pastor Æternus (18 juillet 1870)

« Nous enseignons donc et nous déclarons, suivant les témoignages de l’Évangile, que la primauté de juridiction sur toute l’Église de Dieu a été promise et donnée immédiatement et directement au bienheureux Apôtre Pierre par le Christ notre Seigneur. (…) Cette doctrine si claire des Saintes Écritures se voit opposer ouvertement l’opinion fausse de ceux qui, pervertissant la forme de gouvernement instituée par le Christ notre Seigneur, nient que Pierre seul se soit vu doté par le Christ d’une primauté de juridiction véritable et proprement dite, de préférence aux autres Apôtres, pris soit isolément soit tous ensemble, ou de ceux qui affirment que cette primauté n’a pas été conférée directement et immédiatement au bienheureux Pierre, mais à l’Église et, par celle-ci, à Pierre comme à son ministre. »

Ce passage du Concile Vatican I condamne explicitement la doctrine de la collégialité élaborée par les modernistes.  Ceux-ci en effet « nient que Pierre seul se soit vu doté par le Christ d’une primauté de juridiction véritable et proprement dite », car ils disent que cette primauté de juridiction véritable appartient « au Collège des Évêques dont le chef est le Pontife Suprême » : Vatican II, confirmé par le code de droit canon de 1983, enseigne bien que ce n’est plus « Pierre seul », mais « Pierre avec les autres apôtres » qui possède cette primauté universelle de juridiction, ou alors que les deux entités (le pape et le Collège-avec-le-pape) possèdent conjointement l’autorité suprême.

Dans la même constitution dogmatique, au chapitre sur la nature de la primauté du pontife romain, est condamnée cette idée suivant laquelle il n’a « qu’une charge de direction », et qu’il ne possède pas la plénitude totale de juridiction. La doctrine de la collégialité tombe visiblement sous cet anathème, étant donné qu’elle fait du souverain pontife le chef du Collège, lui-même sujet de pouvoir plénier et universel sur l’Église, au lieu d’être le seul chef plénier et universel de l’Église.


III. Lettre encyclique Satis Cognitum (29 juin 1896)

Les enseignements du pape Léon XIII sont un trésor de clarté et de précision. Non content de transmettre fidèlement l’enseignement traditionnel, Léon XIII s’attachait toujours à en expliquer les raisons profondes, les justifications scripturaires et patristiques, en puisant aussi dans les ressources de l’histoire et de la philosophie, et en répondant à de nombreuses objections. Ici donc, Léon XIII détaille la primauté du pontife romain et, ce qui nous intéresse d’autant plus, le rapport entre cette primauté et le pouvoir des évêques.

« De même que l’autorité de Pierre est nécessairement permanente et perpétuelle dans le Pontife romain, ainsi les évêques, en leur qualité de successeurs des Apôtres, sont les héritiers du pouvoir ordinaire des Apôtres, de telle sorte que l’ordre épiscopal fait nécessairement partie de la constitution intime de l’Église. Et quoique l’autorité des évêques ne soit ni pleine, ni universelle, ni souveraine, on ne doit pas cependant les regarder comme de simples vicaires des Pontifes romains, car ils possèdent une autorité qui leur est propre, et ils portent en toute vérité le nom de prélats ordinaires des peuples qu’ils gouvernent. (…) C’est pourquoi il faut faire ici une remarque importante. Rien n’a été conféré aux Apôtres indépendamment de Pierre ; plusieurs choses ont été conférées à Pierre isolément et indépendamment des Apôtres. (…) Lui seul, en effet, a été désigné par le Christ comme fondement de l’Église. C’est à lui qu’a été donné tout pouvoir de lier et de délier ; à lui seul également a été confié le pouvoir de paître le troupeau. (…) Et il ne faut pas croire que la soumission des mêmes sujets à deux autorités entraîne la confusion de l’administration. Un tel soupçon nous est interdit tout d’abord par la sagesse de Dieu, qui a Lui-même conçu et établi l’organisation de ce gouvernement. De plus, il faut remarquer que ce qui troublerait l’ordre et les relations mutuelles, ce serait la coexistence, dans une société, de deux autorités du même degré, dont aucune ne serait soumise à l’autre. Mais l’autorité du Pontife est souveraine, universelle et pleinement indépendante : celle des évêques est limitée d’une façon précise et n’est pas pleinement indépendante. »

Pierre seul a reçu « tout pouvoir de lier et de délier », Pierre seul a reçu « le pouvoir de paître le troupeau ». L’autorité des évêques ensemble n’est ni pleine, ni universelle, ni souveraine. Léon XIII (dans la continuité de Pie IX) insiste sur le fait que seul le Pape est sujet du pouvoir suprême et plénier sur l’Église tout entière. Léon XIII ne dit rien qui puisse laisser penser que le collège des évêques, qu’il évoque régulièrement dans l’encyclique, soit dépositaire de l’autorité suprême avec le pape auquel il est uni, ou conjointement avec lui. Il parle du pouvoir épiscopal comme une autorité véritable en son domaine, mais définit cette autorité des évêques comme limitée, non totalement indépendante, n’étant ni pleine, ni universelle, ni souveraine. Plutôt, il exclut et condamne cette idée au moins implicitement, en rappelant que le pouvoir des clés (l’autorité suprême) n’a été confié qu’à Pierre seul.


IV. Lettre encyclique Mystici Corporis (29 juin 1943)

« Mais parce que, comme Nous l’avons déjà dit, par la volonté de son Fondateur, ce Corps de nature sociale qu’est le Corps du Christ doit être un corps visible, il faut que cet accord de tous les membres se manifeste aussi extérieurement, par la profession d’une même foi, mais aussi par la communion des mêmes mystères, par la participation au même sacrifice, enfin par la mise en pratique et l’observance des mêmes lois. Il est, en outre, absolument nécessaire qu’il y ait, manifeste aux yeux de tous, un Chef suprême, par qui la collaboration de tous en faveur de tous soit dirigée efficacement pour atteindre le but proposé : Nous avons nommé le Vicaire de Jésus-Christ sur la terre. En effet, de même que le divin Rédempteur a envoyé l’Esprit de vérité, le Paraclet, pour assumer à sa propre place l’invisible gouvernement de l’Église, ainsi, à Pierre et à ses successeurs, il a confié le mandat de tenir son propre rôle sur terre pour assurer aussi le gouvernement visible de la cité chrétienne. »

Dans sa belle encyclique sur l’Église conçue comme Corps Mystique de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Pie XII décrit l’harmonie qui existe entre les aspects juridiques de l’Église et ses aspects invisibles. L’Église, société parfaite de manière analogue à celle des États, a une constitution établie par Dieu lui-même dans laquelle il y a un chef suprême (un seul), qui a reçu le mandat de tenir le rôle même de Jésus-Christ sur terre et d’assurer le gouvernement visible de la cité chrétienne. Pie XII détaille ailleurs dans l’encyclique les caractéristiques de la mission des Apôtres et de leurs successeurs : à aucun moment il ne laisse entendre que le pouvoir suprême, le vicariat de Jésus-Christ, le gouvernement visible de la cité chrétienne, ait pu être confié aux Apôtres considérés ensemble en Collège. Pie XII rappelle également, contre les théories de l’indépendance du pouvoir épiscopal (qui sont un préalable de la collégialité), que si les évêques « jouissent du pouvoir de juridiction ordinaire, ce pouvoir leur est immédiatement communiqué par le Souverain Pontife ».


3- La collégialité dans Vatican II et dans le code de 1983

I. Lumen Gentium, n°22

« L’Ordre des évêques […] constitue, lui aussi [en plus du pape considéré seul], en union avec (una cum) le Pontife romain, son chef, et jamais en dehors de (numquam sine) ce chef, le sujet d’un pouvoir suprême et plénier sur toute l’Église »

Cette définition qui introduit un nouveau sujet de pouvoir plénier dans l’Église prétend se baser sur une déclaration de Mgr Zinelli, rapporteur de la Députation de la Foi pendant le Concile de Vatican I, concernant le fait que les évêques unis au pape lors d’un Concile œcuménique « possèdent le pouvoir plénier » (plenam potestatem habent). Voici la déclaration invoquée, dont la référence se situe en note de bas de page du texte officiel de Vatican II :

« Concedimus lubenter et nos in concilio oecumenico sive in episcopis coniuctim cum suo capite supremam inesse et plenam ecclesiasticam potestatem in fideles omnes … Igitur episcopi congregati cum capite in concilio oecumenico, quo in casu totam ecclesiam repraesentant, aut dispersi, sed cum suo capite, quo casu sunt ipsa ecclesia, vere plenam potestatem habent. »

Con. Vat. I : Mansi 52, c. 1109

Il est fallacieux de prétendre, comme le fait Gustave Thils et comme l’ont fait ceux qui ont rédigé et ratifié Vatican II, que ces deux propositions expriment exactement la même doctrine : sans nous risquer à une traduction détaillée, il est évident que Zinelli ne parle que du Concile œcuménique, et pas de « l’ordre des évêques » considéré dans l’abstrait. Il y est simplement question d’un mode extraordinaire d’exercice du pouvoir plénier dans l’Église, celui du Concile œcuménique dans lequel le pape s’associe l’ensemble des évêques, et pas de l’existence d’un pouvoir plénier habituel dans le Collège apostolique en dehors de ce cas du Concile œcuménique. Du texte de Zinelli, on ne peut inférer l’idée d’un double sujet du pouvoir plénier, mais plutôt l’idée d’un pouvoir plénier dont le seul sujet est le Pape, et qui est exercé de manière extraordinaire par l’ensemble des évêques réunis au pape en un Concile. L’assertion de l’existence d’un pouvoir plénier habituel dans un sujet distinct du pape est le sens obvie du texte de Vatican II, qui emploie le terme « quoque » (aussi) pour marquer une différence réelle entre deux sujets du pouvoir plénier : le pape considéré seul, et le collège des évêques uni au pape.

Mgr Parente, rapporteur de la commission théologique durant Vatican II, a affirmé face aux questions et aux amendements de certains pères conciliaires, quelque peu interloqués par cette doctrine aux accents nouveaux, que le Saint-Siège n’avait pas l’intention de trancher la question de l’unicité ou de la pluralité du sujet, et que la particule « quoque » ne cherche pas à exclure l’une ou l’autre de ces interprétations. C’est en quelque sorte encore pire que s’il avait affirmé que le Saint-Siège voulait affirmer l’hérésie de la collégialité : Mgr Parente explique que le Saint-Siège, face à une doctrine déjà définie, veut sciemment laisser la porte ouverte à une interprétation hérétique, tout en voulant stratégiquement faire croire à une absence de rupture avec l’enseignement magistériel. Mais il s’agit ici plus que d’une porte ouverte puisque les termes employés sont, pris dans leur sens premier, contraires à la constitution divine de l’Église, et ont été compris comme tels par la majorité des conciliaires ensuite.


II. La nota prævia : « cela semble sauver l’affaire » …

Durant les débats autour de la rédaction de Lumen Gentium, une « note explicative préliminaire » (Nota explicativa praevia), rédigée en grande partie par Mgr Philips, a été ajoutée au texte initial pour calmer l’opposition des conservateurs. Elle est si habilement construite que même Mgr Lefebvre s’estimait quitte de tous ses doutes et toutes ses objections contre le texte une fois la nota émise : elle semble en effet rappeler la doctrine traditionnelle sur le sujet unique du pouvoir plénier et les deux modes d’exercice du pouvoir (individuel ou collégial). Pourtant, à l’examiner sérieusement, elle confirme la doctrine du double sujet, telle qu’exprimée par le sens obvie de la phrase du n°22. Remarquable travail de diplomatie et d’argutie théologique, cette nota praevia ne rétablit qu’en apparence l’orthodoxie de Vatican II, car tout en affirmant la primauté du Pontife romain et le fait qu’elle ne peut pas être limitée par le Collège (ce que les modernistes auraient voulu suggérer), elle continue de laisser telle quelle l’affirmation du Collège comme sujet ordinaire du pouvoir suprême et plénier dans l’Église. Mgr Philips « noie tous les poissons admirablement », comme disait son compère le moderniste de Lubac [7] : mais il n’a pas pu noyer le poisson du double sujet, car il fallait bien que le projet moderniste de détruire la constitution monarchique de l’Église puisse aboutir, même de manière aussi compromise et diminuée, à travers ce bricolage hasardeux. La nota ne fait que réaffirmer la primauté de juridiction du pontife romain, et conditionner l’exercice de la primauté du Collège au bon vouloir du souverain pontife, sans infirmer donc cette primauté de juridiction du Collège : ainsi la constitution divine de l’Église est niée, puisqu’au lieu d’être une monarchie absolue elle devient une sorte de monstre à deux têtes dans laquelle il y a deux sujets de l’autorité suprême, l’un ne pouvant pas exercer l’autorité sans l’autre, mais les deux étant en même temps distinctement possesseurs de l’autorité.


III. Code de droit canonique de 1983 – Canon n°336

« Le Collège des Évêques dont le chef est le Pontife Suprême et dont les Évêques sont les membres en vertu de la consécration sacramentelle et par la communion hiérarchique entre le chef et les membres du Collège, et dans lequel se perpétue le corps apostolique, est lui aussi en union avec son chef et jamais sans lui, sujet du pouvoir suprême et plénier sur l’Église tout entière. »

Collegium episcoparum … subiectum quoque supremae et plenae potestatis in universam Ecclesiam exsistit

Le code de 1983 entérine la définition de Lumen Gentium, en gardant bien les termes problématiques subiectum quoque, avec le terme Collegium qui rend encore mieux l’idée d’une personne morale distincte du pape considéré seul. Elle lève la dernière ambiguïté qui pouvait encore subsister sur le fait que le Collège considéré en lui-même soit véritablement sujet ordinaire en droit du pouvoir suprême et plénier, au lieu de ne l’être que de manière occasionnelle par délégation du Pape lors d’un Concile : l’aspect juridique de la question est confirmé, puisqu’il est à présent gravé dans le « droit canon ».


4- Les commentaires des réformateurs

Collégialisme pur et collégialisme mitigé

Yves Congar

Les commentateurs de la collégialité, parmi lesquels plusieurs ont participé au Concile en tant qu’experts, se divisent principalement en deux opinions. L’opinion des plus zélés modernistes (Congar, Schillebeeckx, Rahner, etc.) est celle qu’ils ont défendu lors de Vatican II, qui explique pourquoi le Concile insiste autant sur le Collège, mais qui a été empêchée d’aboutir à cause des protestations de la « droite » : c’est le collégialisme pur dans lequel l’autorité suprême appartient au Collège des évêques, dont le pape n’est que le membre le plus éminent. Ainsi a-t-on pu voir dans les années 1970 des théologiens tels que Gustave Thils appeler en toute décontraction à une « étude critique de Vatican I », et reléguer au musée de l’histoire des idées les notions de monarchie ecclésiastique et de juridiction épiscopale déléguée [cf. note 5]. L’autre opinion est celle de la majorité des conciliaires, qui s’accordent sur ce qui est, en effet, le sens évident des textes de Vatican II : le « collégialisme mitigé » dans lequel il y a deux sujets distincts du pouvoir suprême dans l’Église. Contre ces deux opinions, viennent certains conservateurs « herméneutes de la continuité », extrêmement minoritaires, qui disent que Vatican II n’enseigne en réalité rien de nouveau, mais ils sont obligés de contredire le texte même de Vatican II pour l’affirmer.


La collégialité selon Benoît XVI

Ratzinger et Congar

Joseph Ratzinger, qui est censé être le maître de « l’herméneutique de la continuité », a une conception bien personnelle de la continuité en ce qui concerne le primat romain et la collégialité. On pourrait penser qu’il soit fidèle à la lettre de Vatican II et défende le « collégialisme mitigé » de Lumen Gentium : en réalité, la doctrine présente dans ses écrits théologiques est bien plus proche du collégialisme pur. Il estime que « la primauté ne peut pas être basée sur le modèle d’une monarchie absolue, comme si le pape était le monarque sans restriction d’un état surnaturel centralisé appelé Église ». Au contraire, sa juste place réside dans « le centre officiel de la collégialité des évêques ». Le pape occupe simplement le premier rôle au sein du Collège, et son primat n’existe pas réellement indépendamment du Collège. Il estime que l’Église ne doit pas être vue comme un cercle avec un seul centre (ecclésiologie traditionnelle), mais comme une « ellipse à deux foyers » étroitement interdépendants : la papauté et le collège.

Ratzinger, devenu Benoît XVI, n’a apparemment pas cessé d’affirmer la même doctrine : ainsi déclarait-il dans une interview télévisée en 2006 « le pape n’est pas du tout un monarque absolu » [8]. Si le pape n’est pas un monarque absolu, alors son pouvoir est limité par quelque autre pouvoir : alors sa primauté n’est pas pleine, souveraine et universelle comme l’affirme le magistère de la Sainte Église. En d’autres endroits en effet, Ratzinger affirme explicitement que le pouvoir du pape est limité par celui des offices épiscopaux, comme le disaient les gallicans. Il prétend que le schisme de 1054 trouve sa cause principale dans l’erreur des Latins qui consiste à confondre les prétentions administratives du « patriarcat latin » avec la primauté apostolique du Siège romain dont la vraie notion est d’être le centre de la collégialité : il avalise ainsi le discours classique des schismatiques d’Orient, qui disent que l’évêque de Rome a plein pouvoir dans les limites de son patriarcat occidental, mais ne doit pas empiéter sur les autres patriarcats de la « pentarchie » ; il propose à ces même schismatiques de se contenter de reconnaître l’évêque de Rome comme centre de la collégialité, sans presque rien changer à leurs structures juridiques.

Ceux qui voudraient entrer dans le détail des hérésies de Ratzinger peuvent se référer à l’étude de Richard G. DeClue sur « la primauté et la collégialité dans les travaux de Joseph Ratzinger », d’où sont issues les précédentes citations : précisons que l’étude émane d’un admirateur de Ratzinger, et pas d’un critique [9].


Le ridicule problème de la mise en application de la collégialité

La collégialité telle qu’exprimée par Vatican II est une doctrine ridicule et contradictoire, qui fait de l’Eglise un monstre à deux têtes, dont une tête ne peut pas agir sans l’autre. Les réformateurs se sont tellement empêtrés dans les compromis vis-à-vis de la « droite » qu’à la fin leur grande idée de détruire la constitution monarchique de l’Eglise et de lui donner un souffle plus « démocratique » ne se traduit dans les textes que d’une manière très diminuée, et très peu pratique. Les réformateurs n’ont pas abandonné cette grande idée d’enlever des pouvoirs au pape pour en donner davantage aux évêques, mais ils ont les plus grandes peines du monde à la rendre crédible et à la mettre en application : les conciliaires n’arrêtent pas de faire des synodes, de débattre, d’écrire des livres entiers sur l’application de la collégialité et de son mystérieux corollaire la « synodalité », dont personne ne connaît la définition ; ils s’estiment insatisfaits de la tournure des évènements. Les textes faisant « autorité » contiennent une hérésie, mais elle est enrobée d’autres éléments qui la « neutralisent » dans ses effets pratiques : difficile en effet de mettre le pape au second plan quand les textes rappellent qu’il possède le primat à titre individuel et sans dépendre du Collège, et que le Collège dépend de lui dans l’exercice de son propre primat (puisque le pape est chef du Collège). Plusieurs observateurs ont remarqué que François était le premier « pape » à véritablement prendre à cœur le sujet de la collégialité, quand Jean-Paul II était encore trop flamboyant et autoritaire à leur goût : en effet, François passe un temps considérable à essayer de saper ce qui reste de la structure organisationnelle de l’Église catholique, à « décentraliser » et à déréguler les institutions, à salir et humilier encore plus que ses prédécesseurs le prestige du souverain pontificat. Mais il se trouvera toujours des gens pour trouver que le « vrai sens de la collégialité » n’est pas encore pleinement compris, que Vatican II n’en est qu’aux débuts de son application. Le théologien conciliaire Jan Grootaers (1921-2016), présent à Vatican II, a écrit en 2012 un livre sur les Heurs et malheurs de la collégialité, qui retrace sur un ton plaintif les méandres de ces débats et de ces contradictions. Situation ridicule et contradictoire du début jusqu’à la fin.


5 – Les tentatives d’« herméneutique de la continuité »

Durant le temps même des sessions de Vatican II, certains théologiens conservateurs se sont empressés de « donner la véritable interprétation de Vatican II » pour faire taire les modernistes de la trempe de Ratzinger. Ainsi Mgr Ugo Lattanzi, que nous avions évoqué, et le cardinal Dino Staffa, ont écrit pour dire que Lumen Gentium parle d’un unique sujet du primat qui est le pape, et de deux modalités d’exercice du primat (le pape seul ou le pape avec les évêques), conformément à la doctrine catholique. En réalité, l’exercice auquel se sont livrés ces deux théologiens était bien maladroit et artificiel : ils reconnaissent eux-mêmes être forcés d’interpréter la déclaration problématique contre son contexte, contre l’ambiguïté volontaire des réformateurs et contre le sens littéral du texte. Dit autrement, Staffa et Lattanzi n’ont pas « donné la véritable interprétation de Vatican II », mais ont corrigé l’erreur affirmée par Vatican II, en voulant prétendre qu’elle n’était pas vraiment affirmée [10].

Cette posture est une escroquerie intellectuelle. Face à un texte dont le sens premier est contraire au magistère de l’Église, le propos d’un « herméneute de la continuité » consiste à dire qu’il faut appliquer au magistère de Vatican II des règles analogues à celles que l’on applique pour l’interprétation des Saintes Écritures (le terme « herméneutique » vient du monde de l’exégèse) pour réconcilier la contradiction apparente avec ce qui a été enseigné précédemment. Sauf qu’il y a une différence profonde de nature entre le Magistère et les Saintes Écritures : celles-ci doivent être interprétées, car en de nombreux endroits leur sens est spirituel, caché et difficile à saisir, et Dieu a donné à l’Église le pouvoir d’interpréter infailliblement ce dépôt de la Révélation, contre toutes les déviations possibles de l’esprit humain face à des textes aussi complexes. Le Magistère existe précisément pour trancher avec une autorité infaillible les débats et les incompréhensions qui pourraient émerger d’une mauvaise interprétation de la Révélation : il oblige en conscience les fidèles, qui doivent y soumettre leur intelligence sans discussion. Si l’on prétend qu’il faut interpréter le magistère, alors on lui dénie sa fonction qui est de clarifier avec autorité la Révélation, et on fait reposer en dernière instance dans la raison individuelle la charge de déterminer ce qui est véritablement révélé : ce n’est donc que du protestantisme, avec une étape intermédiaire entre les Saintes Écritures et la raison individuelle, qui serait un magistère flou, difficile et sujet à des interprétations variables. Puisque l’on refuse de recevoir ce magistère dans son sens premier et évident, avec la simplicité et la droiture attendue d’un fidèle catholique, la compréhension des vérités révélées est donc laissée à une sorte de libre-examen individuel postérieur au magistère : c’est une folie, et en effet il existe autant « d’interprétations de Vatican II » qu’il y a d’herméneutes, de la même manière que chaque protestant a son interprétation de la Bible [11].

Cette attitude a quelque chose de compréhensible pour le contexte de l’époque, dans le sens qu’il était impossible pour les catholiques que le pape approuve un enseignement erroné, et que Paul VI avait extérieurement les garanties d’être le pape : élection et acceptation pacifique. Comme Paul VI est apparemment le pape, et qu’il promulgue une doctrine apparemment erronée, la réaction majoritaire des catholiques a été de tenter de donner une explication catholique de la doctrine problématique. Même des prêtres très antimodernistes comme l’abbé Julio Meinvielle se sont livrés à cet exercice, intellectuellement absurde, mais humainement compréhensible : car en effet, personne n’avait réellement envisagé que les réflexions des théologiens sur le « pape hérétique » puissent être un jour d’actualité, et affirmer la vacance du Saint-Siège apparaissait comme une folie tant les conséquences d’une telle occupation illégitime du Saint-Siège seraient graves pour l’Église. À mesure que le temps passe et que les hérésies de Paul VI et ses successeurs se multiplient toujours plus clairement, cet exercice devient de plus en plus difficile et absurde, jusqu’au ridicule dans certains cas : il n’est vraiment plus possible de réconcilier leurs propos avec la doctrine catholique, par conséquent la seule conclusion logique qui s’impose est que ni Paul VI ni ses successeurs qui ont enseigné la même chose que lui ne possèdent l’autorité pontificale. Donc ils ne sont pas papes, puisque la forme de la papauté (ce qui donne l’être) est l’autorité, et non pas l’élection.


6 – Conclusion

Les définitions du magistère de l’Église ne contiennent aucune équivoque sur ce sujet : le pape seul est sujet de pouvoir plénier et universel dans l’Église, le pape seul a reçu et conserve de manière permanente une primauté de juridiction véritable, à l’exclusion des autres évêques même considérés ensemble en tant que collège. Les déclarations de Vatican II, clarifiées par le canon 336 du code de 1983, établissent une doctrine suivant laquelle le Collège des évêques est « lui aussi » sujet de pouvoir plénier et universel dans l’Église, de manière permanente. Cette doctrine étant en contradiction directe avec le magistère, elle est une hérésie, pas simplement une imprécision doctrinale.

Les tentatives « d’herméneutique de la continuité » au sujet de la collégialité sont inopérantes, parce qu’elles ne répondent pas au problème central des nouvelles définitions qui est l’apparition d’un nouveau sujet de pouvoir plénier, d’un nouveau dépositaire permanent de la primauté de juridiction autre que saint Pierre ; elles font dire au texte de Vatican II l’inverse de ce qu’il dit. Il faut étudier l’histoire de la rédaction de Vatican II (par exemple à la travers les mémoires de Congar ou de Mgr Philips) pour mieux comprendre l’intention hérétique des réformateurs, et trouver une confirmation supplémentaire du « véritable sens » de la collégialité, si Lumen Gentium et le code de 1983 n’étaient pas déjà suffisamment clairs.

Jean-Tristan B.


[1]https://www.revuedesdeuxmondes.fr/wp-content/uploads/2016/11/46dd48fbdd3f24a51d12045f237e14eb.pdf

[2] « Et que dirons-Nous de la difficulté à laquelle sont toujours si sensibles nos Frères séparés : celle qui provient de la fonction que le Christ Nous a assignée dans l’Église de Dieu et que Notre tradition a sanctionnée avec tant d’autorité ? Le Pape, Nous le savons bien, est sans doute l’obstacle le plus grave sur la route de l’œcuménisme. »  Paul VI, 28 avril 1967, Discours aux membres du secrétariat pour l’unité des chrétiens.

[3]https://www.sodalitium.eu/ratzinger-protestant-a-99/

[4]https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/cti_documents/rc_cti_20180302_sinodalita_fr.html

[5] Gustave Thils, La théologie de la primauté. En vue d’une révision, Revue Théologique de Louvain 1972, 3-1 pp. 22-39

[6] Carnets conciliaires de Mgr Gérard Philips, secrétaire adjoint de la commission doctrinale. Texte néerlandais avec traduction française et commentaires par L. Schelkens. Avec une introduction par L. Declerck (coll. Instrumenta theologica, 29). 2006

[7] Journal du Concile d’Henri de Lubac, p. 597

[8]http://benoit-et-moi.fr/2013-II/benoit/collegialite-et-primaute-selon-benoit-xvi.html

[9]https://www.communio-icr.com/articles/view/primacy-and-collegiality-in-the-works-of-joseph-ratzinger

[10]https://laportelatine.org/critique-du-concile-vatican-ii/une-conception-collegiale-de-leglise-vue-comme-communion

[11] Comme nous l’avons vu, pour la collégialité il existe au moins trois « exégèses » de Vatican II. La seule qui est intellectuellement honnête est celle du double sujet de la primauté, puisqu’elle se base sur le sens premier des textes, y compris la nota praevia : les deux autres émanent de personnes qui veulent faire correspondre la réalité à leurs désirs, les uns à leurs désirs mauvais et hérétiques (collégialisme pur, le pape mis au second plan), les autres à leurs désirs pieux et catholiques (le pape seul sujet permanent du primat : comment Paul VI pourrait vouloir enseigner autre chose, puisqu’il est pape ? etc.). Rappelons à l’intention du deuxième groupe que la piété véritable ne peut pas être séparée de la vérité : il vaut mieux dire que Paul VI n’est pas pape, s’il est évident qu’il enseigne des hérésies, plutôt que de nier l’évidence pour se maintenir dans une illusion procédant d’une apparence de piété (désir d’être fidèle à l’Église). C’est s’aveugler volontairement, et refuser la croix que Dieu nous envoie, pour quelque motif de facilité humaine (il serait « trop dur » que le Saint-Siège soit vacant et avec lui tous les sièges épiscopaux, pendant une période prolongée : c’est très dur en effet, mais cela n’a rien d’impossible en soi, et Dieu ne manquera pas de nous donner les grâces nécessaires pour surmonter ces maux qu’il a permis).

Les hérésies de François sur la Communion des saints

Le 2 février 2022, au cours d’une audience générale qui se tenait dans la très étrange salle Paul VI, François est venu enrichir sa collection d’hérésies par des propos offensants pour l’oreille catholique. Avant de rappeler l’enseignement de l’Église sur la Communion des saints et de se pencher sur le contenu du discours de François, nous allons revenir sur la définition de l’hérésie.

Imposteur Pape François - Hérésie sur la Communion des Saints

Qu’est-ce qu’une hérésie ?

Pour le dire simplement, et sans rentrer dans tous les détails du sujet, une hérésie est une proposition qui s’oppose à une vérité révélée par Dieu. Et puisque c’est par l’Eglise que nous est infailliblement transmise la vérité révélée, une hérésie est une proposition qui contredit une doctrine présentée comme révélée par l’Eglise. Certains théologiens soutiennent qu’une affirmation contraire à une doctrine infailliblement définie par l’Eglise mais non présentée comme révélée est déjà hérétique, mais ici nous ne nous pencherons pas sur ce débat théologique dont l’importance est toutefois réelle. Retenons que, selon le code de droit canon actuellement en vigueur (celui de 1917), une proposition ne pourra être qualifiée d’hérétique que si elle s’oppose à une vérité à croire de foi divine et catholique, c’est-à-dire à une doctrine présentée comme révélée par l’Eglise.

Ajoutons qu’il faut bien distinguer l’hérésie doctrinale (qui existe dans une proposition donnée) et le péché d’hérésie (qui existe dans un sujet donné). Cette distinction trop souvent négligée est parfaitement mise en lumière par l’abbé Lucien dans La situation actuelle de l’Autorité dans l’Eglise (pages 71 à 83). Nous nous contentons de rappeler ici que le péché d’hérésie est une adhésion volontaire et pertinace à l’hérésie. Pour commettre un péché d’hérésie, le sujet qui défend une proposition hérétique doit savoir que l’Eglise enseigne le contraire et vouloir néanmoins conserver sa propre opinion. Il se déduit de ces conditions que l’ignorance chasse le péché d’hérésie (sans pour autant chasser le péché, si l’ignorance est coupable).


La Communion des saints (selon l’Eglise catholique)

Voyons, avant d’évoquer les paroles de François, ce que signifie la Communion des saints pour l’Eglise. Le catéchisme de saint Pie X nous en donne une définition : « Communion des saints signifie que tous les fidèles, formant un seul corps en Jésus-Christ, profitent de tout le bien qui est et qui se fait dans ce même corps, c’est-à-dire dans l’Église universelle, pourvu qu’ils n’en soient pas empêchés par l’affection au péché ». Citons également l’abbé Boulenger pour aider le lecteur à bien saisir le sens de cette définition : « Il existe entre tous les membres, vivants ou défunts, du corps mystique (Église) dont Jésus-Christ est le chef, un lien qui les rattache les uns aux autres et grâce auquel ils participent aux mêmes intérêts et aux mêmes biens spirituels : c’est ce qu’on appelle la Communion des Saints. Dans toute société bien organisée, les membres sont solidaires les uns des autres ; ils partagent les richesses, les joies, et aussi les revers et les tristesses de la communauté. Ainsi en est-il de l’Église qui est une société plus parfaite qu’aucune autre » (dans La Doctrine Catholique).

Les biens spirituels évoqués par l’abbé Boulenger et qui profitent aux membres de l’Eglise par la Communion des saints sont surnaturels, ils se rapportent à l’ordre de la vie divine, de la grâce sanctifiante. Ces biens forment un trésor qui est enrichi, en premier lieu, par les mérites (infinis) de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ensuite par les mérites de la Très Sainte Vierge et enfin par ceux de tous les autres saints et membres du Corps Mystique. Ce trésor surnaturel s’élève vers Dieu qui répand ses grâces et miséricordes sur chacun des membres de la Communion des saints qui, tous, les reçoivent en proportion de leurs mérites. Par ailleurs, chaque membre, par ses bonnes œuvres, participent à enrichir ce trésor qui se communiquent à tous.

La formule « pourvu qu’ils n’en soient pas empêchés par l’affection au péché » précitée, signifie que les membres morts (1) de l’Eglise, c’est-à-dire ceux qui sont en état de péché mortel ne participent pas à la Communion des saints. Pourquoi ? Parce-que « n’étant pas dans l’état de grâce, ils ne fournissent aucune contribution au trésor de l’Église, vu que leurs œuvres sont sans mérite. Il serait juste alors qu’ils ne participent plus à ses faveurs » (La Doctrine Catholique). Cependant, précise l’abbé Boulenger, comme ils appartiennent toujours au corps de l’Église et que, semblables à des membres paralysés, ils pourront reprendre un jour vie et mouvement, ils ne sont pas entièrement privés des avantages de la Communion des Saints. En effet, les membres morts de l’Eglise peuvent recevoir des grâces pour se convertir et participer à la Communion des saints.

Si les catholiques en état de péché mortel sont privés de beaucoup d’avantages de la Communion des saints, qu’en est-il des non-catholiques ? Puisqu’ils ne sont ni membre du Corps, ni membre de l’Ame de l’Eglise (2), ils ne participent en aucune manière à la Communion des saints. Ainsi, nous comprenons bien pourquoi à la question « Qui est hors de la Communion des saints ? », saint Pie X répond « Est hors de la Communion des saints, celui qui est hors de l’Église, c’est-à-dire, les damnés, les infidèles, les juifs, les hérétiques, les apostats, les schismatiques et les excommuniés » (Catéchisme de saint Pie X).


La « communion des saints » (selon François)

Dans cette audience générale du 2 février, deux propos ont particulièrement attiré notre attention. Commençons par le premier :

« Qu’est-ce donc que la «communion des saints»? Le Catéchisme de l’Église catholique affirme : «La communion des saints est l’Église» (n. 946). Voyez comme c’est une belle définition! «La communion des saints est l’Église.» Qu’est-ce que cela signifie? Que l’Église est réservée au parfait? Non. Cela signifie que c’est la communauté des pécheurs sauvés. L’Eglise est la communauté des pécheurs sauvés. C’est beau, cette définition. Personne ne peut s’exclure de l’Église, nous sommes tous des pécheurs sauvés ».

Dans cet extrait, François entend définir la Communion des saints, qu’il assimile – bien étrangement – à l’Eglise comme s’il ne s’agissait pas de deux notions théologiques distinctes, avec leur caractéristiques propres (même si ces deux réalités, l’Eglise et la Communion des saints, sont intimement liées car, ainsi que nous l’avons vu plus haut, l’appartenance à la première est une condition pour participer à la seconde). Mais le plus choquant ici, c’est qu’il prétend que personne ne peut s’exclure de l’Eglise (ou de la Communion des saints, puisque pour François il s’agit de la même chose). Cela contredit explicitement l’enseignement de l’Eglise que nous avons rappelé plus haut. Un catholique qui est devenu apostat, hérétique ou schismatique (3) a choisi de quitter de l’Eglise et la Communion des saints. Par conséquent – et c’est une chose évidente, sauf pour François visiblement – il est faux de dire que personne ne peut s’exclure de l’Eglise.

Passons au second propos :

« Considérons, chers frères et sœurs, qu’en Christ personne ne pourra jamais vraiment nous séparer de ceux que nous aimons parce que le lien est un lien existentiel, un lien fort qui est dans notre nature même;  seule la manière d’être ensemble les uns avec les autres change, mais rien ni personne ne peut rompre ce lien. [François se met à la place d’un fidèle s’adressant à lui] « Saint-Père, pensons à ceux qui ont renié la foi, qui sont apostats, qui sont les persécuteurs de l’Église, qui ont renié leur baptême : sont-ils aussi chez eux ? » Oui, ceux-là aussi. Tous. Les blasphémateurs, tous. Nous sommes frères. C’est la communion des saintsLa communion des saints unit la communauté des croyants sur la terre et au ciel, et sur la terre les saints, les pécheurs, tous».

Il y a là une double contradiction avec la Communion des saints, telle que l’Eglise nous l’enseigne.

D’abord François dit que les blasphémateurs sont dans cette Communion. Un blasphémateur catholique (mauvais pour sûr), s’il n’est « que » (4) blasphémateur, ne perd pas pour autant sa qualité de membre de l’Eglise catholique. Ainsi, nous l’avons vu, il ne serait pas privé entièrement des bienfaits de la Communion de saints car, appartenant toujours au Corps de l’Église, il bénéficierait de grâces de conversion. Toutefois, il est impropre de dire qu’il est unit à ceux qui profitent du trésor de la Communion des saints : son état de péché empêche l’union, la communion et l’échange des biens surnaturels. Il est séparé du lien de la charité qui unit tous les fidèles en état de grâce.

Ensuite, François prétend que les apostats qui sont persécuteurs de l’Eglise appartiennent à la Communion des saints. C’est la déclaration la plus scandaleuse du discours, et elle s’oppose au mot près à la doctrine catholique si clairement exposée par saint Pie X dans son catéchisme. Alors que le Chef invisible de l’Eglise catholique, Notre-Seigneur, distingue et sépare le bon grain (les enfants du Royaume) de l’ivraie (les fils d’iniquités), celui qui se présente comme son Vicaire sur la terre affirme que les apostats endurcis sont unis avec Jésus, la Sainte Vierge et tous les saints : assertion monstrueuse. Les fondements de cette fausse doctrine ne sont pas à chercher bien loin, François croît que le lien qui unit l’homme au Christ se trouve dans la nature même de l’homme. Pour lui, ce n’est pas la grâce communiquée par Dieu qui nous unit au Christ ; ce n’est pas par une élévation de la nature humaine à l’ordre surnaturel que nous participons à la vie divine. Dès lors pourquoi distinguer ceux qui ont la grâce (les bons, les saints) de ceux qui ne l’ont pas (les méchants) ?


Les propositions de François sur la Communion des saints sont-elles hérétiques ?

La Communion des saints est un des douze articles de Foi du Symbole des Apôtres, appelé aussi Credo. Le Symbole des Apôtres contient et résume les principales vérités révélées par Dieu. Elles s’appellent vérités de foi, nous dit le Père Dragonne dans son explication du catéchisme de saint Pie X, parce que nous devons les croire d’une foi absolue, étant enseignées par Dieu qui ne peut ni se tromper ni nous tromper. Le Symbole des Apôtres, avec celui de Nicée Constantinople et de saint Athanase, est l’un des principaux Symbole de Foi que l’Église enseigne à ses fidèles. « Il peut être considéré comme l’œuvre des Apôtres dans ce sens qu’il représente la doctrine ou plutôt la substance des vérités qu’ils enseignaient aux catéchumènes et qu’ils exigeaient comme profession de foi avant le Baptême » (abbé Boulenger, La Doctrine Catholique).

De là, nous pouvons facilement déduire que les propositions de François sur la Communion des saints sont hérétiques : elles s’opposent à un dogme de Foi, à une doctrine présentée comme révélée par l’Eglise.

Cet imposteur n’en est pas à son coup d’essai et il ne s’agissait pas ici de prouver que François n’a pas l’autorité pontificale, la démonstration a déjà été faite (il suffisait, d’ailleurs, de constater qu’après son élection au pontificat il ne reniait rien du concile vatican II et ses suites). Mais il nous semblait utile de mettre en lumière cette opposition flagrante (une de plus) entre la doctrine de ce faux pape et celle de l’Eglise catholique, laquelle doit être connue et défendue par les catholiques.

De même que pour garantir l’intégrité du corps il faut fuir le pestiféré, pour garantir l’intégrité de la Foi il faut fuir l’homme de mauvaise doctrine. Nous n’avons plus qu’à dire aux conciliaires ou autres catholiques en communion avec François : fuyez sans plus attendre, rompez ce lien qui vous fait prendre le risque grave d’être privé d’une communion bien plus importante pour le salut de votre âme : la Communion des saints.

Hugo C.


(1) Par « membre mort » de l’Eglise il faut entendre ceux qui sont morts spirituellement, c’est-à-dire privé de la vie divine. Ils sont membres du Corps de l’Eglise mais pas de son Âme, c’est-à-dire le Corps Mystique du Christ. A ne pas confondre avec les défunts qui, s’ils sont au paradis ou purgatoire, sont des membres vivants de l’Eglise. 

(2) Un non-catholique peut toutefois appartenir à l’Ame de l’Église en cas d’ignorance invincible et s’il est sans péché mortel. Mais il ne faut pas laisser croire, car ce serait ruiner la doctrine de la visibilité de la vraie Eglise, que la quasi-totalité des membres d’une fausse religion sont excusés par l’ignorance invincible. De plus, la Foi seule ne suffit pas pour être en état de grâce : encore faut-il que celui qui ignore invinciblement que le catholicisme est la vraie religion soit sans péché mortel, ce qui implique de vivre comme un juste. Son état de grâce, et donc aussi son Salut, sont loin d’être assurés car il est « privé de tant et de si grand secours et faveurs célestes dont on ne peut jouir que dans l’Eglise catholique » (Pie XII, Mystici Corporis). Pour plus d’explication sur le sujet de l’ignorance invincible voir Lettres à quelques Evêques, pages 27 à 35).

(3) Les apostats sont les baptisés qui renient, par un acte extérieur, la foi catholique qu’ils professaient auparavant ; Les hérétiques sont les baptisés qui s’obstinent à ne pas croire quelque vérité révélée par Dieu et enseignée par l’Église : tels sont les protestants ; Les schismatiques sont les baptisés qui refusent obstinément de se soumettre aux Pasteurs légitimes et qui, pour cette raison, sont séparés de l’Église, même s’ils ne nient aucune vérité de foi (Catéchisme de saint Pie X).

(4) Si cela était possible, nous aurions ajouté mille guillemets : le blasphème est un péché très grave.

Connaître ses défauts pour les corriger · Mgr de Ségur

Extraits de ‘’La piété et la vie intérieure’’ de Mgr de Ségur

(ESR, p. 103-116)

«Les occasion de péché véniel sont, en nous, les défauts naturels, et, en dehors de nous, les vanités et les frivolités du monde.»

Les principaux obstacles à notre sanctification ne se trouvent ni dans les difficultés extérieures de la vie, ni dans un manque de grâces (pour un catholique qui assiste à la Messe et fréquente les Sacrements régulièrement, la grâce surabonde), ni dans l’ignorance des choses de Dieu en soi (puisqu’il n’est pas nécessaire de connaître beaucoup de choses pour être un saint), mais en nous-même, dans notre propre chair. En nous-même, non pas simplement en raison d’une tendance générale vers le mal due au péché originel, mais en raison de défauts naturels bien particuliers et propres à chacun. La faiblesse, dans la volonté, et l’ignorance, dans l’intelligence, sont des blessures communes à toute l’humanité, mais dans chaque individu elles auront des manifestations différentes, en fonction de la constitution du caractère.

Mgr de Ségur donne ainsi la définition du terme : «Un défaut naturel est une inclination fâcheuse qui influe d’une manière générale sur notre conduite, et y introduit mille manquements. Un défaut n’est pas un vice : le vice est dans le cœur, dans la volonté, tandis que le défaut est plutôt dans le tempérament, dans le caractère. Les vices sont opposés aux vertus, les défauts sont opposés aux qualités naturelles. Tous autant que nous sommes, nous avons des défauts ; ils viennent du péché originel comme les concupiscences, bien qu’ils soient beaucoup moins graves.»

Il donne ensuite une liste de ce qu’il définit comme étant les principaux défauts naturels. Cette liste (non-exhaustive) est ordonnée suivant la faculté naturelle de notre âme qui est blessée par ces défauts : soit l’intelligence, soit la volonté, soit les sentiments. Suite à cela viennent quelques considérations sur la manière dont on peut se corriger de ses défauts et s’en servir dans notre vie spirituelle.


Défauts de l’esprit

La légèreté

«La légèreté est un défaut de caractère, une disposition de l’esprit qui nous fait agir et parler sans réflexion, qui nous empêche de peser et de mûrir nos décisions. Les esprits légers ne comprennent pas l’importance de la vie et du temps ; ils ne pensent qu’à s’amuser, ils mettent le plaisir avant le devoir ; ils rient de tout, sont bavards, railleurs, inconsidérés, frivoles, inconséquents ; ils traitent étourdiment des affaires les plus sérieuses, n’approfondissent rien ; ils ne jugent que sur la forme, sur les apparences, et se laissent facilement éblouir par tout ce qui brille ; ils sont dissipés, capricieux, portés aux vanités mondaines. La légèreté fait un tord immense à la piété, surtout dans la jeunesse».

L’inconstance

«L’inconstance est un manque de règle et d’esprit de conduite qui nous fait tout entreprendre sans rien finir, et qui rend ainsi stériles les plus brillantes qualités de l’esprit et du cœur. Sans motif suffisant et avec une facilité déplorable, elle nous fait changer d’idées, de sentiments, de résolutions, d’affections, de goûts, etc… et abandonner par caprice les meilleurs projets, les positions les plus avantageuses et jusqu’aux œuvres les plus saintes. Au lieu d’agir par principes comme le demandent la foi et la raison, les esprits inconstants ne vivent que d’impressions, de sentiments, et tournent à tout vent comme une girouette.»

L’entêtement

«L’entêtement est l’extrême opposé de la légèreté et de l’inconstance. C’est une défectuosité naturelle de l’esprit, non moins fâcheuse que les deux autres [La légèreté et l’inconstance]. Les entêtés ont ordinairement des esprits étroits et peu ouverts, qui tiennent quand même à leurs idées personnelles, se buttant sans savoir pourquoi et opposant d’aveugles et sottes résistances aux avis des personnes les plus éclairées. L’entêtement, par une racine secrète, tient à l’orgueil et à la vanité ; aussi un entêté a-t-il grand peine à reconnaître son tord et le voit-on s’exposer à mille déboires plutôt que de revenir sur ses pas.»

La mélancolie

«La mélancolie est une tournure d’esprit très funeste à la piété ; une inclination naturelle à voir tout en noir et à tout faire avec un fond de désolation non raisonnée, avec un abattement, une gravité morne, taciturne, ennuyeuse et ennuyée, avec une humeur chagrine tout à fait contraire à l’esprit de Notre-Seigneur. Elle jette dans de tristes rêveries ; elle est misanthrope et morose, elle aime la solitude et partout elle est malheureuse. Ce défaut tient presque toujours au tempérament, ce qui ne doit pas nous empêcher de le combattre avec énergie.»

L’esprit faux

[Présenté par Mgr de Ségur comme un défaut dont il est quasiment impossible d’avoir conscience pour celui qui en souffre, avec la bêtise (manque d’intelligence). L’esprit faux se caractérise par un grave manque de bon sens, un jugement ordinairement bizarre et déconnecté de la réalité ou de la logique. Des personnes même sincèrement chrétiennes et pieuses peuvent défendre les théories les plus excentriques en matière de religion, de politique, de piété, d’éducation ou d’autres choses même directement relatives aux vérités de la Foi et de la morale en frisant
l’hérésie, non par esprit de rébellion mais parce qu’elles ne pensent pas droit. C’est un défaut extrêmement gênant car la vraie piété requiert un esprit juste, un jugement droit et équilibré et une intelligence au moins ordinaire. Il ne s’agit pas de dire qu’il faut être très instruit et très doué intellectuellement pour progresser dans la piété, mais qu’il faut avoir du bon sens. Néanmoins il va de soi que Dieu ne demandera pas de comptes rigoureux à ceux qui sont affligés par ces défauts (l’esprit faux et la bêtise) sans faute de leur part].


Défauts de la volonté

La faiblesse de caractère

«On entend par faiblesse de caractère un manque d’énergie morale qui nous fait aisément sacrifier notre devoir et céder soit à la crainte, soit aux railleries, soit aux caresses et aux affections naturelles. La faiblesse vient souvent d’un désir exagéré de plaire à tout le monde, même à ceux à qui il faut savoir déplaire ; mais plus souvent encore elle vient d’un excès d’indulgence, d’un excès de bonté instinctive, ou, pour mieux dire, d’une bonté inintelligente, affadie, et privée du nerf que donne aux âmes la crainte de Dieu et la haine du mal. Les gens faibles sont de l’avis de tout le monde; ils plient devant les obstacles, et il leur devient très difficile de ne pas se laisser entraîner par ce courant du monde qui perd tant d’âmes. Dans les temps difficiles comme ceux où nous vivons [Mgr de Ségur écrit dans les années 1860-1870], ces caractères-là sont extrêmement exposés.»

La mollesse

«La mollesse est un laisser-aller, un amour de ses aises, une crainte immodérée detout travail et de toute fatigue, qui fait que nous ne sommes bons à rien. Elle engourdit toutes nos facultés, nous fait tomber de négligences en négligences, nous endort dans les délicatesses d’une vie sensuelle et efféminée, et nous rend immortifiés, douillets, indolents, lâches, apathiques, incapables des sacrifices journaliers qu’exigent le devoir, incapables de lutter contre les tentations. C’est l’opposé de la mortification chrétienne.»

L’indécision

«Le troisième défaut naturel qui affecte gravement notre volonté est l’indécision. L’indécision nous jette dans le vague, dans l’inutilité ; elle nous empêche de prendre les résolutions précises et fortes sans lesquelles la pratique du bien est impossible. Les caractères indécis sont fort à plaindre : toujours incertains, toujours suspendus entre deux volontés, ils compromettent leurs intérêts les plus chers à commencer par ceux de leur conscience ; de peur de ne pas assez bien faire, ils ne font rien ; de peur de ne pas assez gagner, ils perdent tout.

Il est inutile de faire remarquer l’opposition de tous ces défauts avec les règles évangélique du renoncement, imposées par Notre-Seigneur à quiconque veut être son disciple.»


Défauts du cœur (sentiments)

L’égoïsme

«L’égoïsme est une odieuse tendance, d’autant plus difficile à combattre qu’elle est plus secrète et plus cachée au fond du cœur. L’égoïsme est l’opposé du dévouement, d’est le culte du moi, la recherche continuelle du moi, et l’insouciance de tout ce qui n’est pas ce moi bien-aimé. L’égoïste pense à lui-même avant tout et par-dessus tout ;
il rapporte tout à lui, sans s’inquiéter du bien-être des autres ; il n’a de cœur et de soucis que pour lui-même. Ce détestable défaut dessèche le cœur ; malgré des formes parfois aimables, les égoïstes ne savent pas aimer et tous leurs instincts contredisent formellement la parole du Sauveur : «il vaut mieux donner que recevoir».
Pris en lui-même, et avant que la charité chrétienne soit venue le combattre, l’égoïsme est plus qu’un défaut, c’est un vice, un vice abominable, le pire de tous les vices. Aussi ne parlé-je ici que de la tendance à l’égoïsme, ou, si l’on veut, de ce qui reste de ce vice dans une âme vraiment pieuse, qui le réprime de son mieux.»

La dureté

«J’en dirais de même de la dureté. La dureté est une sécheresse de cœur qui nous empêche de compatir, comme nous le devons, aux infirmités et aux besoins de nos frères. Un naturel dur et sec ignore les ménagements de l’indulgence ; il froisse, il rudoie sans nécessité ; il applique les principes, les règles avec une rigueur inflexible que condamnent à la fois la raison, l’expérience, la charité. Dureté n’est pas méchanceté ; le méchant a mauvais cœur ; l’homme dur a le cœur sec et insensible. Il est froid ; il est roide. Autant la fermeté est une qualité louable, autant la dureté est un défaut répréhensible chez un chrétien.»

La passion

«Le défaut naturel qu’on appelle la passion est un excès de vivacité dans l’esprit, dans l’humeur, dans les manières, une sorte de fougue naturelle, qui nous fait habituellement dépasser la mesure et nous jette dans toutes sortes d’engouements et d’exagérations. Cette ardeur immodérée s’applique au bien comme au mal : elle compromet les meilleures intentions et les meilleurs causes ; comme un cheval fougueux, elle emporte et souvent brise le char, au lieu de le conduire. Les caractères passionnés sont impétueux, violents, injustes. Rien n’aveugle autant que la passion;
elle fait faire et dire mille choses regrettables et souvent fort mal édifiantes. Elle réfléchit peu et va de l’avant : elle enfante les discussions amères, les paroles aigres et blessantes ; elle fait sortir l’âme de cette sainte paix de Dieu, qui est la marque des vrais chrétiens et qui seule garde nos intelligences et nos cœurs en Notre-Seigneur
Jésus-Christ.»


Rapports avec le prochain

Le mauvais caractère

«On appelle mauvais caractère une désagréable propension à grogner, à bouder, à se piquer et à se fâcher pour des riens, à parler avec aigreur et à suivre les caprices d’une humeur bizarre, inégale et chagrine. Le mauvais caractère rend susceptible, maussade, grinchu, brusque, grossier, irascible, hargneux, querelleur. Rien ne fait plus de tord à la piété que ce fâcheux défaut : outre qu’il est directement opposé à la douceur et à la patience, il nous rend insupportables aux malheureux qui sont obligés de vivre avec nous. Quelles que puissent être d’ailleurs les bonnes qualités d’un homme acariâtre, et même ses vertus, il est impossible à vivre et on le fuit. On ne sait par quel bout le prendre ; c’est un fagot d’épines qui pique dès qu’on le touche.»

Autres défauts

«On pourrait signaler encore d’autres défauts naturels, par exemple le caractèreabsolu, dominateur ; le caractère romanesque, qui vit d’illusions et d’imaginations ; le caractère sentimental ; le caractère concentré etc, etc … Que chacun s’éprouve et se juge ; et surtout, avec la grâce de Notre-Seigneur, que chacun mette sans hésiter la cognée à la racine de l’arbre !»


Peut-on se corriger de ses défauts ?

«Pourquoi ne pourrions-nous pas corriger nos inclinations perverses pour devenir meilleurs ? Il n’y a point de si bon naturel qui ne puisse être rendu mauvais par les habitudes vicieuses ; il n’y a point de naturel si revêche qui, par la grâce de Dieu premièrement, puis par l’industrie et indulgence, ne puisse être dompté et surmonté.» (Saint François de Salles, Introduction à a vie dévote, Partie I, chap. XXIV)

«On ne peut pas déraciner tout à fait ses défauts naturels car ils tiennent à notre nature par des racines trop profondes ; mais on peut toujours les comprimer, et il le faut faire, parce qu’ils sont l’occasion immédiate de presque toutes nos fautes, et qu’ils empêchent Jésus de nous sanctifier comme il le voudrait. Ce travail est un travail de tous les jours ; les défauts naturels repoussent sans cesse comme la barbe de notre visage, comme l’herbe de nos jardins. Ce serait grandement s’abuser que de croire à une victoire définitive après un combat d’un an, de dix ans, de vingt ans ; et le Saint Évêque de Genève répondait un jour à quelques personnes qui lui reprochaient de n’avoir pas assez vertement réprimandé un jeune libertin : «A vous dire le vrai, le craignais d’épancher en un quart d’heures ce peu de liqueur de mansuétude que je tâche de recueillir depuis tantôt vingt-deux ans, comme une rosée, dans le vase de mon cœur. Les abeilles sont plusieurs mois à faire un peu de miel, que l’homme avale en une bouchée».»

Que faut-il faire pour se corriger ?

«Avant tout il faut travailler à les bien connaître (…) et pour arriver à les connaître, il faut examiner souvent et régulièrement notre conscience, ouvrir notre cœur avec une grande simplicité à notre confesseur et père spirituel, écouter les avertissements et avis charitables des gens de bien, et enfin tâcher de nous instruire le plus solidement possible des choses de Dieu par la lecture des livres de piété. Il est surtout important de bien connaître défaut dominant, c’est à dire notre principale inclination mauvaise, la défectuosité fondamentale de notre caractère.

En second lieu, nous devons combattre nos défauts naturels et principalement notre défaut dominant au moyen d’une vigilance continuelle, au moyen de la prière et des sacrements. N’attendons pas qu’ils ne soient enracinés dans notre âme : tuons l’ennemi tant qu’il est faible encore.»

Pourquoi si peu de gens se corrigent de leurs défauts ?

«Eh, mon Dieu ! Précisément parce que ces défauts sont naturels, parce qu’ils font partie de nous-même, parce qu’ils sont nous-mêmes. On combat facilement une maladie, parce que facilement on s’en aperçoit et on se rend compte de ses dangers : mais il arrive très souvent que l’on ne aperçoit pas d’un vice de tempérament, parce que ce vice de tempérament n’a guère de manifestations précises, de symptômes bien déterminés, et qu’il est à l’état vague dans l’organisme tout entier.

Il en est ainsi de nos défauts naturels : très facilement les chrétiens, même les plus zélés, même les prêtres, mêmes les religieuses et les religieux, peuvent se faire illusion sur l’existence de ces défauts, à plus forte raison sur leur gravité. On arrive souvent, le diable aidant en secret, à les prendre pour des qualités ; et dès lors, loin de s’en méfier, loin de les combattre comme on le devrait, on s’y attache par principe de conscience et pour ne pas manquer à son devoir.

Par exemple, on est léger : n’envisageant cette légèreté que par son côté aimable, on se persuade aisément qu’on a un heureux caractère, une humeur facile et avenante, de la vivacité d’esprit, de la gaieté, de l’entrain, etc. ; toutes choses très bonnes en effet. – On est entêté : on se croit ferme, énergique dans ses résolutions, on n’est pas comme celui-ci ou celle-là qui tourne à tout vent et change à tout propos. – On est inconstant : on prend cette inconstance pour un grand amour du bien qui nous fait aussitôt voler vers le mieux pour abandonner sans amour-propre nos projets, dès que nous voyons qu’ils ne valent rien . – On a un caractère passionné et impétueux: on se voit animé d’une ardeur excellente, d’un saint zèle pour le bien, d’une vertueuse indignation contre tout ce qui est mal. – On est mou, on est faible : on se dit tout bas : comme je suis bon ! comme je suis indulgent, condescendant, facile à vivre ! Quel cœur tendre ! Et ainsi de tous nos défauts naturels. L’illusion, voilà le principal obstacle de notre amendement.»

Comment nos défauts naturels peuvent servir à notre sanctification

«Quand nous les combattons généreusement, ils peuvent nous être très utiles, en devenant pour nous des occasions de mérite et de sanctification ; en ce sens, on peut dire que nos défauts naturels nous conduisent au ciel plus sûrement, je ne dis pas que nos vertus, mais que nos bonnes qualités, lesquelles, bien souvent, nous inspirent une funeste confiance en nous-même. Saint Augustin le disait jadis aux fidèles d’Hippone : «Suivons le Christ et montons au ciel après lui, au moyen même de nos défauts et de nos mauvais penchants. Pourvu qu’on s’applique à les surmonter, pourvu qu’on les domine, on s’en fait un marchepied pour monter plus haut. Ils nous élèveront, si nous les tenons sous nos pieds ; et, par ce moyen, de nos défauts eux-mêmes nous faisons une échelle pour nous rapprocher de Dieu.»


Que le nombre, que la ténacité de ces défauts ne découragent donc personne ! A qui aime Dieu, tout tourne à bien (Diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum, Rom. VIII). Ne nous lassons pas de combattre le vieil homme avec toutes ses misères ; car si nos mauvais penchants ne sont pas écrasés, ils nous écraseront.»


De la paix intérieure · synthèse par l’abbé Grimes


Lecture audio de l’article



N.D.L.R : L’abbé Grimes a fait un travail utile à la piété et au progrès spirituel en reprenant succinctement les trois premières parties du Traité de la paix intérieure écrit par le Père Ambroise de Lombez. Nous espérons que son contenu permettra aux lecteurs soit d’acquérir la paix intérieure, soit de mieux la comprendre pour mieux la conserver. Les saints avaient tous en commun de conserver habituellement la paix intérieure, et cela même dans les plus dures épreuves. 


§ 1. Son excellence. 

Toute notre piété, dit le père Ambroise de Lombez, dans son excellent Traité sur la paix intérieure, ne doit tendre qu’à nous unir à Dieu par la connaissance et par l’amour, à le faire régner en nous par notre dépendance absolue et continuelle, par une fidèle correspondance à son attrait intérieur et à tous ses mouvements, en attendant qu’il nous fasse régner avec lui dans sa gloire. Or, sans la paix intérieure, nous ne pouvons posséder tous ces avantages que très imparfaitement. Le trouble interrompt nos méditations; alors notre âme affaiblie ne s’élève à Dieu qu’avec peine, et les violentes secousses qu’elle souffre altèrent beaucoup en nous la tranquillité et la solidité de son règne. Notre cœur est toujours son trône, mais c’est un trône chancelant, menacé d’une ruine prochaine; c’est son siège, mais un siège mal assuré, où il ne peut trouver le repos. Aussi, le prophète dit que Dieu habite dans la paix : Factus est in pace locus ejus (Ps. 75, f 2). Ce n’est pas, continue encore le même Père, qu’il n’habite aussi dans l’âme du juste agité ; mais il n’y est que comme étranger, parce que la confusion qui y règne ne lui permet pas de s’entretenir familièrement avec elle, et que l’agitation qu’elle souffre annonce que son séjour y sera de peu de durée. De là, il est aisé de conclure combien excellente et nécessaire est cette paix de l’âme, et combien on doit bannir l’agitation et le trouble que les scrupules y introduisent. 

1° La paix intérieure nous dispose aux communications divines, et dispose Dieu, en même temps, à nous les accorder, car  il aime à parler à l’âme, dans le calme, la solitude, la liberté. Alors, sa voix harmonieuse se fait mieux entendre, sa grâce opère, éclaire, enflamme, remue et conduit comme elle veut. Mais si le trouble forme comme un épais nuage qui nous dérobe une partie de cette céleste lumière, si le bruit confus des agitations et des perturbations intérieures empêche d’entendre la voix de l’Esprit divin, alors son action est neutralisée, et notre âme est privée, à son tour, de ces précieuses faveurs qui l’auraient tant aidée dans l’accomplissement du bien. 

Comment d’ailleurs discerner les mouvements que Dieu opère en nous de ceux qui ne viennent point de lui ? C’est dans la paix seulement que l’âme peut le faire, parce qu’alors elle est recueillie, attentive, et au point de vue véritable pour ce discernement. Tandis que, lorsque nous laissons entrer la dissipation, les angoisses, le trouble que l’esprit de malice y entretient, il est impossible d’y réussir. Oh ! que de scrupules levés, dit le P. Lombez, que d’illusions dissipées, que de fausses dévotions rectifiées, si l’on ne sortait jamais de cette paix qui nous porte à Dieu sans bruit et sans trouble ; et si l’on tenait, du moins, pour suspect tout ce qui peut en altérer la douceur ! 

De quel secours n’est pas encore la paix intérieure pour lutter avec avantage contre l’ennemi du salut et triompher des tentations ! Quand on veille dans l’intérieur de la maison, quand on a de la lumière, quand on est fort et armé, on ne craint point la surprise de l’ennemi ; de même, lorsque l’âme est recueillie , attentive sur son intérieur, lorsqu’elle se possède, qu’elle est éclairée par les lumières du Saint-Esprit, de la Sainte-Écriture et des sages avis du directeur, quand elle tient en main les armes du salut, ce glaive dont l’archange se servit contre Lucifer, c’est-à-dire la prière, l’âme ne peut être surprise par l’ennemi, ni vaincue par la tentation. Le trouble, au contraire, jetant la confusion en nous, comme au milieu d’une armée en désordre, nous déconcerte, ouvre les portes à l’ennemi, nous fait oublier les armes, et l’on est alors facile à vaincre. Le grand secret, dans les périls en général, et dans ceux-ci en particulier, c’est de se posséder. 

Mais c’est par le calme de l’âme qu’on peut surtout faire des progrès dans la connaissance de nous-même, indispensable pour avancer dans l’humilité et l’abnégation de soi. Or, cette étude ne peut se faire qu’à la faveur de la paix de l’âme : dans une eau tranquille et claire, on distingue les plus petits grains de sable ; et dans l’âme paisible, on aperçoit aussi les plus légères fautes. Alors on se voit tel que l’on est, on se connaît et on se méprise, car se connaître et se mépriser sont deux choses inséparables : de là naît l’humilité, fondement de tout édifice intérieur. 

Un autre avantage bien précieux de cette paix intérieure, c’est la facilité qu’on en retire pour se recueillir. Sans doute, la présence de Dieu, l’attention à la prière, les pensées graves et sérieuses contribuent puissamment à nous recueillir; mais la paix de l’âme est un moyen plus direct et plus efficace. Qui dit paix, calme, tranquillité intérieure, dit recueillement; car s’il est vrai que la dissipation provienne de l’esprit et du cœur, on ne peut attendre le recueillement que de la paix de l’âme. 

Disons enfin qu’elle produit dans nos cœurs d’inexprimables délices, qu’elle nous dégoûte des biens sensibles et des plaisirs fades de ce monde pour nous faire goûter les choses spirituelles et célestes, qu’elle nous fait savourer les douceurs que l’on respire au service de Dieu, nous donne une conduite égale, douce, modeste, paisible, ingénue, qui fait sentir le charme de la vertu aux hommes qui en sont les plus éloignés, les porte à l’aimer, à honorer   la piété, à respecter la religion et à glorifier Dieu. La paix de l’âme est donc quelque chose de tout divin ; c’est comme l’âme de la piété, la source des grâces et des consolations, la félicité de cette vie, le titre le plus sûr aux prédilections de Jésus-Christ, qui dit : Heureux les pacifiques, parce qu’ils seront appelés les enfants de Dieu. C’est un puissant moyen d’obtenir la paix future, car elle affermit en nous le règne de Dieu, dispose aux communications divines, favorise le discernement des mouvements surnaturels, rejette les tentations, nous aide à nous reconnaître, nous donne la simplicité, seconde le recueillement, nous remplit enfin d’ineffables douceurs, de mérites et de biens. 

Si tels sont les avantages et l’excellence de cette paix, il n’est pas étonnant que le démon s’acharne à la troubler et à la détruire en nous, et il serait étonnant, au contraire, que nous ne fussions pas prêts à tout surmonter pour l’obtenir et la posséder. Voyons donc, en peu de mots, les obstacles qui s’opposent à ce règne bien heureux de la paix dans nos âmes. 

§ 2. Obstacles à la paix de l’âme, et moyens de les vaincre. 

Joie excessive

Le premier obstacle à la paix intérieure consiste dans une joie inconsidérée qui nous dissipe au dedans, qui nous attire au dehors, qui disperse, pour ainsi dire, notre cœur çà et là, de toutes parts, et le laisse vide de recueillement. Celte joie bannit la retenue, détruit souvent la modestie, donne entrée à tous les objets extérieurs en ouvrant les portes des sens à tout ce qui vient les frapper. Il faut fuir cette joie excessive, car, en un instant, elle fait perdre les plus doux fruits d’un long recueillement. 

Noire tristesse

Mais, comme en toutes choses les extrêmes sont semblables, nous devons signaler un autre obstacle non moins grand à cette paix, qui est la tristesse ou la mélancolie, l’humeur sombre. Qui n’a pas éprouvé quelquefois combien elle fait perdre le calme dès qu’elle règne dans le cœur ! La tristesse dégoûte, rend impatient, ombrageux, turbulent, non moins insupportable aux autres qu’à nous-même. Dans cet état, on semble enseveli sous les ruines de l’édifice intérieur; plus d’amour, plus de zèle, plus de courage; on s’affaisse, on semble ramper, tout est émoussé dans les talents de la nature et de la grâce; un sombre voile de tristesse se répand partout en nous, sur notre physionomie comme sur notre cœur. Qui ne voit les effets pernicieux de cette noire tristesse ? Hâtons-nous de l’exiler loin de nous, de la combattre si elle s’obstine ; avec elle, on ne peut rien, et elle suffit pour gâter tout. Le sage milieu donc, en quoi consiste et par où se conserve la paix, c’est de modérer la joie excessive, et de réprimer la tristesse dès leur naissance ; car si on leur laisse faire des progrès, il sera difficile de recouvrer la tranquillité de l’âme. Réjouis sons-nous dans le Seigneur, selon l’exhortation de l’apôtre, mais que notre joie soit tranquille et modeste, plutôt à l’intérieur que dans le bruit des paroles, l’éclat des ris, la légèreté et la dissipation. Ayons la salutaire tristesse du péché, de notre exil, du progrès affligeant du mal; mais tempérons la noire tristesse qui vient du cœur par la douce gaieté qu’inspire la confiance, la tendresse, l’expérience de la bonté de Dieu, et qui rend la vertu si aimable à tous les yeux.

Zèle trop vif

Un autre obstacle à cette paix, c’est un zèle trop vif, trop chaleureux, trop impétueux, et qui ne suit pas assez la prudence et la réflexion. Il est prompt à entreprendre tout ce qui est bon ou paraît l’être, ardent à exécuter, impatient d’en voir la fin ; il se porte aux extrêmes avec la plus grande facilité. S’il veut prendre le parti de la solitude, c’est un hibou qu’on ne voit plus; s’il prend le goût de se produire pour faire de bonnes œuvres, il court, il erre sans cesse çà et là, sans s’accorder un instant de repos. Je ne poursuis pas l’énumération que je pourrais faire sur tous les autres points ; je ne dirai pas ce qu’est ce zèle quand les fautes du prochain l’allument, quand des scandales l’enflamment; mais ce que je dirai, c’est qu’il est loin d’être ce qu’il doit être pour servir à l’entretien de la paix de l’âme, et même souvent à l’édification du prochain. Zélateurs impatients et imprudents, réprimons donc les saillies, la précipitation, le trouble, l’agitation ; donnons un peu de temps et de place à la réflexion, à la sagesse, à la prudence, et prouvons, par un mouvement plus tranquille, que notre zèle discret et doux vient de Dieu.

Activité naturelle

L’activité naturelle, qu’on pourrait tout d’abord confondre avec le zèle impétueux, est cependant un obstacle d’un autre genre, quoique non moins digne d’être combattu. Suivez ces personnes d’un naturel ardent, vous les trouverez s’empressant, s’embarrassant elles-mêmes, ne faisant jamais assez tôt ni à leur gré, élevant la voix d’un ton décisif, ne louant ni ne blâmant rien, avec modération ; mais trouvant tout excellent ou détestable, courant enfin au lieu de marcher, et portant dans toute leur conduite les traces visibles d’une agitation toute opposée à la paix intérieure de l’âme. Que doivent-elles faire, ces âmes malheureuses, il est vrai, quoique très-estimables et nullement coupables ? Nous leur conseillerons d’amortir cet excès de vivacité, d’imiter saint Bernard et saint François de Sales, qui ont triomphé l’un et l’autre d’une semblable activité, de veiller sur leur imagination, d’en modérer les transports, de s’appliquer à un grand calme aussitôt qu’elles s’apercevront de leur emportement, et de ne point perdre courage si leur entreprise est difficile, car elle ne pourra être que plus méritoire. 

Indolence

Cependant il faut bien se garder ici, comme pour la joie excessive, de tomber dans une extrémité contraire, c’est-à-dire, dans la nonchalance et l’apathie; car on pourrait dire encore ici que le remède serait pire que le mal. A Dieu ne plaise que nous entendions conseiller l’indifférence stupide et la langueur dans le service de Dieu. Maudit au contraire, disent les livres saints, celui qui fait l’œuvre de Dieu négligemment ; nous parlons de la possession de soi-même, du sage équilibre des passions, de la régularité, du repos en Dieu, et non d’un sommeil honteux au sein de la paresse, de l’oisiveté ou de la volupté. Que les indolents se réveillent, mais que les trop actifs se modèrent : la paix se trouve dans le sage milieu de ces deux excès.  

Efforts excessifs

Un autre obstacle à la paix intérieure, c’est la manière de résister aux tentations qui nous poursuivent quelquefois. En effet, trop d’efforts, trop d’inquiétude, trop d’agitation pour se soustraire à certaines idées, pour combattre certaines suggestions de l’ennemi du salut, altèrent beaucoup la paix de l’âme. Il en est qui sont dans une telle tourmente, dans de telles convulsions, qu’on les croirait pris de fureur ou de folie. Ils ne savent pas que c’est une très-mauvaise manière de rejeter la tentation, et qu’au contraire ils ne font qu’augmenter le danger et produire le trouble et la désolation dans l’âme. La patience, le calme, la vigilance, la prière, la confiance en Dieu, la fuite des occasions, le mépris des impressions qu’on peut éprouver, l’oubli quand elle a disparu, sont, d’après tous les maîtres de la vie spirituelle, les meilleurs moyens et la plus grande ressource. La paix de l’âme n’est point troublée, et l’ennemi, se voyant repoussé avec un calme ferme, énergique et constant, se retire plus tôt.  

Autres obstacles

Il y a sans doute encore d’autres obstacles très-importants à signaler, mais que nous ne ferons que citer, ne pouvant donner ici une plus grande étendue à ce qu’on trouve très-amplement développé ailleurs. Nous voulons parler d’abord du scrupule, que nous avons déjà fait connaître dans tous ses rapports et ses dangers ; des amitiés trop humaines, qui nous attachent, nous dissipent et nous assujettissent à des égards excessifs contre l’attrait intérieur, souvent même contre la conscience du petit amour-propre qui nous remplit d’idées importunes, de désirs impatients, de réflexions tristes, de délicatesses outrées, etc.; de certaines dévotions qui ne donnent rien moins que la paix de l’âme, de la manière dont on les entend; d’une légèreté qui nous fait souvent sortir de nous-même; des longs entretiens qui dissipent; enfin de tout ce qui nous agite, nous trouble et nous tire peu à peu du repos qu’on ne peut goûter qu’en Dieu seul; parce que la sérénité de l’âme est le fruit de la régularité, de la fidélité aux règles d’une vraie et solide piété, sans exagération comme sans ridicule. Passons maintenant aux moyens propres à nous donner cette heureuse, cette précieuse paix. 

§ 3. Moyens d’acquérir la paix de l’âme. 

1° L’humilité

Une âme ‘véritablement humble est toujours tranquille. Et qui est-ce qui pourrait la troubler? Les louanges? elles la surprennent, mais sont loin de l’élever. Le blâme et le reproche ? Loin de l’abattre, ils la réjouissent au contraire. La calomnie? Si elle l’a en horreur, elle n’en est pas déconcertée; sa conscience la rassure. Elle reçoit, dit saint François de Sales, les peines avec douceur, sachant qu’elle les mérite; et les biens avec modestie, sachant qu’elle ne les mérite pas. Enfin l’humilité, dans toutes les situations et toutes les épreuves de la vie, donne et conserve la paix de l’âme. Donc le premier soin pour obtenir cette paix, c’est de se former à la vertu d’humilité. La raison en est qu’elle mortifie les passions plus qu’aucune autre vertu, qu’elle les affaiblit toutes insensiblement, et qu’enfin elle les détruit autant qu’elles doivent et peuvent être détruites. 

2° La mortification

Après l’humilité, la mortification est un des moyens les plus efficaces et les plus nécessaires. Qui ne sait que rien n’est plus opposé à la vie intérieure que la vie des sens ? Ce sont deux vies ennemies : point de paix au milieu des agitations de la convoitise; point de calme intérieur tant que durent le commerce avec les créatures et la guerre des sens. Le plaisir retient l’âme captive sur la terre ; il l’amollit, la rend faible, timide, inquiète ; un rien l’ébranlé, la trouble. Aussi le démon s’en prend-il à nos sens pour détruire la paix de notre âme. Il faut donc lui opposer la mortification pour déjouer ses complots contre nous. Il faut donner à notre âme au contraire la force que lui prêtent les travaux, l’amour des souffrances, des privations, des sécheresses, des croix spirituelles, la patience dans les épreuves, quelque jeûne, quelques autres mortifications, ce qui la rend vigoureuse, ferme, inébranlable, et assure sa tranquillité. En vain l’âme sensuelle aspire-t-elle au repos intérieur, elle ne le trouvera que dans la victoire des sens et leur assujettissement à l’esprit par la mortification. 

3° Fidélité à ses exercices

Quand on veut éviter les effets, il faut retrancher la cause ; ce qui trouble ordinairement les âmes pusillanimes, nous l’avons dit, c’est la vue de leurs nombreuses infidélités aux exercices spirituels. Alors il convient de s’enlever ce prétexte à mille troubles, à mille scrupules; il faut se façonner à une observance exacte de ses pratiques, ne point trop les multiplier, mais les garder exactement ; sans cela on tombe dans les perplexités, les appréhensions et la confusion ; de là naît chez plusieurs le trouble de l’âme. Il faut être sévère sur la fidélité, à ses exercices spirituels, mais pourtant sans une rigidité qui aille jusqu’à la raideur. Il faut savoir céder prudemment à la nécessité et aux bienséances : cette inflexibilité sent le caprice et l’entêtement, dit le Père Lombez, déshonore la piété, la rend incommode au prochain, et n’est le plus souvent que le fruit de l’amour-propre. Elle est directement opposée à la paix intérieure, qui demande cette souplesse contre laquelle toutes les forces extérieures s’amortissent sans éclat et sans violence. Il faut se plier sans résistance, sans dépit, sans chagrin, à ce que la charité, l’humanité, la raison exigent de nous, en prenant même, s’il le faut, sur notre règle de conduite. Mais donnons-nous de garde de nous en relâcher trop facilement; ce ne serait plus une condescendance, mais une vraie dissipation. Où est l’esprit de Dieu, là est la liberté, mais non le libertinage, dit saint François de Sales. Soyons simples et pliants, mais ayons de la force et de la consistance ; ne perdons point le recueillement, et nous aurons toujours la paix de l’âme. 

4° Patience dans les distractions

S’il survient des distractions, que faut-il faire ? Les souffrir et ne point se décourager. Tendre fortement l’imagination, c’est se fatiguer la tête inutilement et entretenir le trouble dans l’âme. On doit s’appliquer, donner toute l’attention possible à ses exercices spirituels; mais on doit le faire sans inquiétude, sans la crainte continuelle des distractions. Il en est de l’attention comme de l’intention; la même subsiste jusqu’à ce qu’elle soit volontairement révoquée. Si elle ne l’est pas, pourquoi se mettre en peine ? Sommes-nous maîtres de la mobilité de notre esprit ? Est-il en notre pouvoir de le retenir ? Non : ce serait aussi impossible qu’il le serait de prétendre retenir l’air en le serrant dans la main. Il faut prier avec calme, patience, paix, et ne point se mettre en peine si l’on est distrait ou si on le sera. Sans ce moyen, point de repos intérieur. 

5° Tranquillité dans les mouvements du cœur

De même qu’on ne peut fixer l’esprit à son gré, de même aussi on ne doit pas prétendre régler à son gré les mouvements du cœur ; ce serait en mal connaître la nature que de penser lui donner la détermination par le mouvement du corps, et de croire, par exemple, qu’il aime, parce qu’il s’attendrit; cet attendrissement n’est que dans le sang et dans les organes, qui ne sont rien moins que le siège de l’amour sacré. Tout est doux et modéré dans le service de Dieu. Il n’exige point que la tête se fatigue, que la poitrine s’épuise, que le cœur se partage par des efforts déplacés ; et l’on ne doit, par conséquent, ni mettre son esprit à la torture pour en assujettir l’inconstance, ni son cœur pour ainsi dire sous la presse pour en exprimer des affections. Ces mouvements produiraient un effet tout contraire, parce que le cœur veut être au large. Ce qu’on croirait ressentir quelquefois d’amour de Dieu et de zèle pour son service, ne serait rien moins que l’un ou l’autre, et ainsi ce serait se procurer l’illusion de l’esprit par le tourment du corps et de l’âme. Ce n’est pas notre propre satisfaction qu’il faut chercher dans ces mouvements du cœur, c’est Dieu seul : or Dieu ne demande de nous qu’une solide préférence dans notre amour, une conduite uniforme, la tranquillité de l’âme, la paisible soumission aux ordres de sa providence, le zèle attentif, sans être empressé, pour accomplir ses volontés avec humilité, patience et douceur. 

Garder la paix malgré la tempête

6° Souffrir sans inquiétude les aridités

En effet, loin de rechercher un goût sensible dans des affections excitées avec effort, il faut souffrir sans impatience les aridités et les dégoûts, et préférer toujours une paix solide fondée sur la fermeté des résolutions, à des consolations passagères souvent formées par notre tendre naturel, ou accordées comme à regret à notre excessive faiblesse. Aussi ne sont-ce pas les âmes exercées dans les secrets de la vie intérieure qui se troublent ainsi des aridités, des sécheresses, et qui recherchent les consolations et les douceurs; non, ce ne sont que les âmes faibles encore au seuil de la perfection et de la vie spirituelle. Je conviens qu’il est triste de ne remplir ses devoirs qu’avec un cœur froid et un esprit dissipé, d’y revenir toujours sans zèle, et d’être obligé d’y traîner son cœur comme par force, de prier sans recueillement, de méditer sans affection, de se confesser sans douleur, de communier sans goût, de souffrir au dehors sans être soulagé au dedans ; oui, cet état est triste encore une fois, mais il est ménagé avec beaucoup de sagesse par la providence d’un Dieu qui connaît parfaitement ses droits, comme nos besoins et nos intérêts. Ne savez-vous pas que c’est ou pour punir vos fautes, ou pour augmenter vos mérites, qu’il vous retire ces consolations ? Si c’est pour l’un ou pour l’autre, de quoi vous plaignez-vous ? N’êtes-vous pas coupable ? N’avez-vous pas besoin d’acquérir un trésor de mérites ? Donc soyons en paix, il n’y a rien dans ces aridités intérieures qui doive nous jeter dans le trouble et dans l’abattement, et moins encore dans l’impatience et le murmure. 

7° L’amour de Dieu

Mais où il faut chercher avant tout la paix intérieure, c’est dans l’amour de Dieu ; c’est là le plus grand, le premier de tous les moyens. Quand l’âme possède Dieu par l’amour, elle possède en même temps la paix, puisque Dieu est notre paix, dit saint Paul, qu’il est le centre de la paix, et qu’il devient notre propre centre aussitôt que notre amour se fixe en lui. Qui ne voit que plus l’amour de Dieu augmente, plus celui de la créature diminue, plus les passions s’amortissent, et plus la paix devient intime et solide ? L’amour de la créature passionne, enflamme, transporte ; mais celui de Dieu n’est pas de nature à troubler; tout en enflammant le cœur, il y porte le calme, la jouissance et l’avant-goût de l’amour infini, pour lequel il est fait, et qui, seul, pourra le satisfaire et le rendre heureux. 

8° La conformité à la volonté de Dieu

Quand on a l’amour de Dieu, on a aussi la soumission à toutes les dispositions de son adorable providence, et cette soumission nous conserve dans une sainte tranquillité parmi les plus fâcheux revers, et dans une admirable égalité au milieu des grands mouvements et des cruelles vicissitudes de cette vie. Voilà donc un bon moyen d’être paisible et heureux : aimer Dieu, et ne vouloir que ce que veut Dieu, et comme il le veut. Là, dis-je, est le calme, la fidélité, la paix intérieure. 

9° La fréquente communion

Une autre source de la paix intérieure se trouve dans la communion. Là le Prince de la paix se donne avec tous ses biens, et il est rare qu’on n’y ressente pas le calme intérieur. Les personnes adonnées à la communion fréquente sont ordinairement plus paisibles, plus maîtresses d’elles-mêmes, ou, si elles ne le sont pas, ce n’est point la faute du sacrement. Voyez l’âme bien disposée, après qu’elle a reçu la divine Eucharistie : quelle sérénité ! quel calme ! quelle paix ! Or, chaque communion étant comme une préparation à une autre, la fréquente réception assure la stabilité de la paix dans l’âme. 

10° L’oraison mentale

En attribuant à la communion fréquente le pouvoir de pacifier l’âme, nous ne devons pas oublier l’oraison mentale, qui est une seconde communion sublime et angélique de notre âme avec Dieu. Les autres moyens les plus efficaces ne pouvant guère subsister sans l’oraison, c’est là que Dieu éclaire, rassérène, parle, se fait sentir et prépare les grands effets de la communion. Qui n’a ressenti combien l’oraison tranquillise peu à peu, et introduit enfin dans le sanctuaire de la paix ? Ce silence, ce recueillement qu’elle demande, ce retour sur soi, cette contemplation des perfections divines, ces aspirations, ces résolutions, tout contribue à donner la paix. C’est donc un moyen très puissant, et que nous recommandons avec d’autant plus d’instance, que si l’on est privé du bonheur de la communion fréquente, l’oraison peut en quelque sorte en dédommager et y suppléer avec la communion spirituelle. Nous souhaiterions, avec le Concile de Trente (sess. 22, ch. 6), qu’on pût communier à toutes les messes où l’on assiste ; mais, si on ne peut avoir ce bonheur, on peut au moins recourir à l’oraison, le principal moyen de paix, toujours à notre disposition. 


C’en est assez pour indiquer aux âmes animées d’une bonne volonté la route qui mène à la paix intérieure. Et qu’elles n’aillent point de suite s’imaginer qu’elles ne l’auront jamais, qu’elles ne sauraient parvenir à un si grand bonheur. S’il est vrai qu’on ne puisse jamais posséder en ce monde une tranquillité si parfaite qu’elle ne souffre jamais la moindre altération, il est vrai cependant qu’on peut en trouver une suffisante tout en étant méritoire par les épreuves qui la traversent quelquefois. C’est notre ennemi qui nous persuade que nous n’aurons jamais la paix; il veut abattre notre courage, nous plonger dans la paresse spirituelle, et nous faire tout abandonner; mais déconcertons sa malice par une résolution ferme et tranquille, soutenue de la confiance en Dieu ; commençons avec son secours, réprimons nos plus violentes passions, désirons-la ardemment ; employons les moyens déjà expliqués, et ensuite ayons de la patience ; ne recherchons pas cette paix avec une ardeur et un empressement qui nous troublent; ne nous affligeons pas des dégoûts et des vicissitudes qui pourront naître ; désirons les vertus avec modération, et remettons tout au bon plaisir de Dieu. Détachons nous autant que possible des affections terrestres; car un cœur partagé n’aura jamais la paix. Ensuite agissons avec une sainte liberté intérieure ; fuyons l’esprit de contrainte; aimons, aimons ardemment, et le Dieu de paix sera avec nous. Et Deus pacis erit vobiscum.

L’acceptation de Vatican II par tous les évêques rend-elle le sédévacantisme impossible ?

Retour sur une objection au sédévacantisme

Depuis quelques temps, certains estiment avoir trouvé l’argument d’autorité définitif contre le sédévacantisme dans l’exhortation Pastoris Aaeterni de Léon XII (26 juillet 1826) contre la Petite-Eglise anticoncordataire :

« Car, comment l’Église sera-t-elle pour vous une mère, si vous n’avez pas pour pères les Pasteurs de l’Église, c’est-à-dire les évêques ? (…) L’Église catholique est une ; elle n’est point déchirée, ni divisée. Votre Petite Église ne peut donc en aucune manière appartenir à l’Église Catholique. Car, de l’aveu même de vos maîtres, ou plutôt de ceux qui vous trompent, il ne reste plus aucun des évêques français qui soutienne et qui défende le parti que vous suivez »

Il s’agirait donc de dire : puisqu’aucun évêque n’a refusé Vatican II, et qu’aucun évêque n’a soutenu le sédévacantisme, c’est une preuve absolue que le sédévacantisme est faux, et que « l’Eglise sédévacantiste » est une secte schismatique. Les comparaisons vont bon train entre les sédévacantistes et la Petite-Eglise, qui sont présentés comme des phénomènes similaires en tout point. Nous souhaitons revenir brièvement sur chacun de ces points, et expliquer :

1) Concernant l’enseignement du pape Léon XII

  • Que Léon XII ne donne pas formellement un enseignement sur la nécessité d’être uni aux évêques en toutes circonstances, mais donne un argument ad hominem aux membres de la Petite-Eglise. Il faut se souvenir que le point de départ du schisme de la Petite-Eglise est la prétendue « fidélité aux évêques » : certains évêques ayant courageusement combattu contre la Révolution ont été déposés par le pape Pie VII à la suite du concordat. Pie VII avait dû accepter plusieurs concessions pour que l’Eglise catholique puisse retrouver une vie normale et que la paix puisse exister entre l’Eglise et l’Etat, la déposition de certains évêques jugés trop légitimistes en faisait partie. La mentalité gallicane étant répandu partout en France à cette époque, certains prêtres et fidèles y ont vu un « abus » de la part du pape, et ont prétendu que le pape n’avait pas le droit de déposer les évêques s’ils n’avaient pas commis une faute grave. Etant donné que le point de départ de leur schisme est le soutien à certains évêques déposés, Léon XII leur fait remarquer qu’il n’y a plus aucun évêque en France qui les soutienne, qu’ils sont donc dépourvus de ce qui faisait leur raison d’être
  • Qu’il est évident que l’union aux évêques, que Léon XII présente comme la marque de la catholicité, est relative à l’union des évêques au pape. Lorsque Léon XII dit « comment l’Eglise sera-t-elle pour vous une mère (…) si vous n’avez pas pour père les pasteurs de l’Eglise, c’est à dire évêques ? », veut-il dire par exemple qu’un russe doit avoir pour père le patriarche schismatique de Moscou ? Evidemment non. Lorsque le magistère parle de la soumission aux évêques, il parle évidemment des évêques qui sont en communion avec le souverain pontife : pas des évêques considérés indépendamment de ce critère de la soumission au pape, sinon il faudrait soutenir contre l’absurde que les évêques schismatiques doivent être nos pasteurs et nos pères. A l’époque de Léon XII, les évêques catholiques étant unis à un vrai pape, il était en effet nécessaire de leur être soumis comme à des successeurs des apôtres pour être catholique. C’est bien différent si l’ensemble des évêques se trouvent être unis à quelqu’un qui n’est pas pape.
  • Qu’il est évident qu’il ne faut pas, à tout prix et en toutes circonstances, être uni à l’unanimité morale des évêques pour être catholique. Nos contradicteurs auraient-ils oublié qu’à l’époque de saint Athanase, la majorité des évêques étaient ariens ? Il n’est pas soutenable de présenter ce critère de majorité (ou même d’unanimité) de l’épiscopat comme règle absolue de la vérité. C’était probablement ce que faisaient les ariens pour justifier leurs hérésies à l’époque : la plupart des grands sièges épiscopaux étaient acquis à l’arianisme, c’est le signe que c’est une doctrine « d’Eglise ». Ceci est évidemment fallacieux. Le raisonnement de nos contradicteurs consisterait à dire : puisque la majorité des évêques étaient unis à Paul VI, alors c’est une preuve qu’il était véritablement pape. Pourtant le raisonnement catholique doit être l’inverse : il faut établir que Paul VI est pape d’abord, car il n’est pas garanti que les évêques soient infaillibles pour ce qui regarde le fait de savoir qui est réellement pape ou non.

2) Concernant la comparaison entre le sédévacantisme et la Petite-Eglise

  • Que la Petite-Eglise se base sur les hérésies du gallicanisme pour justifier sa rébellion. Nous disions plus haut que le point de départ de ces « dissidents » est l’idée que le pape n’a pas le droit de déposer un évêque sauf dans certaines circonstances. Leur schisme est basé sur deux erreurs : 1) l’idée que les évêques ont une juridiction autonome de celle du pape, au lieu d’avoir une juridiction déléguée par lui (idée aujourd’hui chère aux sectateurs de Vatican II, avec leur « collégialité » et leur théorie du sacre donnant la juridiction) ; 2) l’idée que le pape n’a pas le droit d’empiéter sur cette autorité sacrée, puisqu’elle vient de Dieu directement. Le magistère de l’Eglise réprouve absolument cette fausse conception de la juridiction épiscopale.
  • Qu’à l’inverse le sédévacantisme se base sur la doctrine « ultralmontaine », le respect et la soumission due au Pape, et la fidélité au magistère infaillible de l’Eglise. Quoi de commun entre une doctrine qui prétend que le « droit divin des évêques » est inviolable et que même le pape ne peut pas y toucher, et une doctrine qui défend qu’il est impossible que le pape contredise un autre pape dans l’exercice de son magistère ? Voici le point de départ du sédévacantisme : 1) Vatican II enseigne des erreurs qui tombent sous l’anathème de l’Eglise (ex. liberté religieuse), 2) Or il est impossible qu’un pape promulgue de telles erreurs, 3) et pour sauver son âme, un catholique doit être sincèrement et universellement soumis au pape, 4) donc on ne peut pas en même temps dire que Vatican II est erroné et dire que Paul VI est pape, ni dire que Paul VI est pape et en même temps lui « résister » en refusant ses lois liturgiques par exemple. Ce qui distingue les sédévacantistes des conciliaires est une fidélité plus grande à l’infaillibilité du souverain pontife (puisqu’à présent l’immense majorité des conciliaires prétend que le syllabus de Pie IX n’était pas infaillible, par exemple). Ce qui distingue les sédévacantistes des autres traditionnalistes, est cette même fidélité couplée à la conscience de la nécessité d’être soumis au souverain pontife en toutes choses (pas seulement dans son magistère, mais aussi dans toutes ses lois et même dans des matières non-infaillibles). Quelle ressemblance avec la doctrine de la « Petite Eglise » ? La comparaison ne résiste pas à un examen sérieux des doctrines et des intentions des deux groupes.
  • Qu’il est impossible de démontrer que nous adhérons à une hérésie ou que nous avons du mépris pour l’autorité ecclésiastique légitime. Nos contradicteurs nous reprochent principalement deux « hérésies » ou « attitudes schismatiques » :
    • Le rejet de « l’acceptation pacifique et universelle » (APU) comme signe certain du pontificat de Paul VI
    • Le rejet de l’enseignement de la majorité des évêques (qui ont accepté Vatican II), ou du moins le fait de ne pas être soumis à cette majorité des évêques – ce qui serait une sorte d’hérésie d’après leur interprétation de Pastoris Aeterni.
  • Mais en quoi de telles choses peuvent constituer des hérésies ? Une hérésie est un enseignement qui contredit les définitions du magistère de l’Eglise. Or il n’existe à notre connaissance aucune définition magistérielle sur l’APU, bien que cette doctrine soit effectivement présente dans l’enseignement de nombreux théologiens (notre point n’est pas de donner ici une réponse de fond, simplement de discuter du fait qu’il s’agisse d’un enseignement magistériel). Le problème est que ces théologiens n’enseignent pas tous la même chose sur l’APU, et leur langage n’est pas suffisamment précis pour que toute question et toute réflexion théologique soit absolument tranchée par leur enseignement. Est-ce que l’APU concerne simplement la validité l’élection, ou bien l’autorité ? (les deux notions étant distinctes dans la théologie catholique, cf. les explications de saint Antonin sur la distinction entre la papauté matérielle et la papauté formelle). Est-ce que l’APU implique une simple ratification extérieure de l’élection, ou bien une soumission réelle au pape en tant que docteur et législateur ? Il n’y a tout simplement aucune définition magistérielle sur le sujet, de telle sorte que si je voulais « rétracter mon hérésie » sur l’APU, je ne saurais même pas précisément ce que je dois rétracter. Je n’ai d’ailleurs jamais prétendu que je refusais la doctrine des théologiens sur l’APU, il est possible de lui donner un sens compatible avec la situation actuelle de l’autorité dans l’Eglise. Surtout, nous ne nions pas le fondement de cette doctrine qui est l’indéfectibilité de l’Eglise catholique et l’impossibilité que tous les catholiques soient trompés par un faux pape sans qu’il n’y ait de moyen de se rendre compte de la tromperie [1]. Concernant l’infaillibilité des évêques considérée indépendamment du pape, il en va de même, ce n’est pas un enseignement magistériel (nous évoquons le sujet plus loin).
  • Enfin concernant le mépris pour l’autorité légitime, je porterais à la connaissance de nos contradicteurs le fait que la majorité de ceux qui sont devenus « sédévacantistes » dans le courant des années 1970-1980 ont dans un premier temps tenter d’expliquer Vatican II en continuité avec le magistère de l’Eglise, et défendu l’idée que « le pape » était dépassé par les « abus » choquants qui avaient eu lieu suite à Vatican II. Il est normal que la présomption aille dans ce sens, pour un catholique qui est habitué à respecter l’autorité légitime. Mais cette position ne peut être légitimement soutenue que si l’on est dans l’ignorance de ce que Vatican II enseigne réellement par rapport à l’enseignement antérieur de l’Eglise, et dans l’ignorance de l’attitude de Paul VI et de ses successeurs à l’égard des prétendus « abus » incontrôlés. Ne pouvant pas refuser la réalité, certains ont fini par accepter le constat de la vacance du Saint-Siège, parce que c’était une exigence logique, pas pour le plaisir de privilégier leurs opinions personnelles à celles de la hiérarchie apparente.

3) Concernant l’acceptation de Vatican II par les évêques

  • Qu’il s’agit en effet de l’objection ou de la difficulté la plus sérieuse au sédévacantisme. Nous ne balayons pas cette objection d’un revers de la manche comme s’il s’agissait d’une chose insignifiante ou facile à écarter. Comme nous le disions plus haut, nous ne basons pas notre position sur une sorte de mépris de principe pour la hiérarchie, donc le fait que la hiérarchie ait massivement adhéré à Vatican II mérite sérieuse réflexion. Il est en effet une grave difficulté de constater que la plupart des évêques ont accepté Vatican II, qu’ils ont accepté Paul VI et ses successeurs comme papes. Aucun théologien n’aurait pu imaginer qu’une telle chose arrive, que l’épiscopat tombe presque unanimement dans une telle défection.
  • Mais que l’on peut répondre à ce problème en conformité avec la doctrine catholique
    • Parce que l’infaillibilité des évêques est relative à la soumission au pape. Lorsque le magistère de l’Eglise parle de l’infaillibilité des évêques, c’est toujours d’une manière relative à celle du pape, dans le sens que l’unanimité morale des évêques en union avec le pape donnent aux fidèles un magistère infaillible. De sorte qu’il serait théoriquement possible que tous les évêques ensemble adhèrent à une autre règle de foi que le pape, en prenant pour le pape un usurpateur, et donc n’enseignent pas infailliblement. Si par ailleurs il est évident que l’usurpateur enseigne des hérésies alors qu’il devrait être infaillible, il est donc évident qu’il n’est pas pape, les fidèles catholiques ne sont pas privés de toute possibilité de discernement à cet égard.
    • Parce que la doctrine sur l’indéfectibilité du corps épiscopal est une opinion théologique. Un certain nombre de théologiens ont donné une extension nouvelle à l’infaillibilité des évêques en disant qu’elle existe même indépendamment du pape. Il s’agirait de dire par exemple que même en cas de vacance prolongée du siège apostolique, le corps épiscopal constituerait toujours un sujet d’enseignement infaillible, qu’il n’est pas possible que ce corps uni des évêques fasse défection de la foi catholique, et qu’un enseignement de l’unanimité morale des évêques doit recueillir l’assentiment des fidèles même s’il n’est pas évident qu’ils soient tous unis au pape. C’est une pieuse opinion, mais ce n’est pas un enseignement magistériel. Nous voudrions y croire : mais contra factum non fit argumentum, contre les faits il n’y a pas d’arguments. On ne peut pas nier des évidences sous le prétexte d’être fidèle à une opinion théologique, si pieuse et soutenable fût-elle considérée indépendamment des faits qui lui sont opposés. Si l’on voulait choisir une opinion contre une réalité évidente, cela ne procéderait que d’une apparence trompeuse de piété, puisque la véritable piété inclut le zèle pour la vérité.
    • Parce qu’il est possible d’expliquer que la succession apostolique continue malgré la défection de l’épiscopat (thèse de Cassiciacum). La plupart de ceux qui refusent le sédévacantisme le font parce qu’il s’oppose apparemment à la visibilité de l’Eglise, à son indéfectibilité et à sa perpétuité jusqu’à la fin des temps. C’est effectivement la seule objection de fond au sédévacantisme, puisque l’indéfectibilité et la perpétuité de l’Eglise dans tous ses éléments essentiels, et pas simplement dans son aspect mystique et invisible, est un dogme de foi. Celui qui nie cette perpétuité de l’Eglise dans son aspect visible et institutionnel est un hérétique. Il faut donc pouvoir expliquer comment, d’une part, Paul VI n’était pas pape ni ses successeurs puisqu’ils enseignent des erreurs et détruisent l’Eglise, et comment d’autre part l’Eglise catholique en tant qu’institution n’a pas « disparu » et qu’il reste possible, jusqu’à la fin des temps, de retrouver un successeur légitime de saint Pierre sur le Siège Apostolique. La thèse de Cassiciacum y répond en se basant sur la philosophie thomiste et sur les explications de quelques savants théologiens : la hiérarchie de l’Eglise et la succession apostolique de juridiction continue d’exister materialiter chez les conciliaires, et il suffit que les hiérarques conciliaires rejettent Vatican II pour retrouver la juridiction formelle pour laquelle ils ont été légitimement désignés [pour plus d’explications, voir ce lien]. Ceux qui prétendent qu’il est impossible que l’Eglise subsiste sans qu’il y ait en son sein une hiérarchie formelle et une juridiction en acte ne se basent pas sur le magistère : la thèse explique suffisamment que les définitions du magistère peuvent se limiter à l’aspect matériel [2]. Ceux qui prétendent que la hiérarchie de juridiction se perpétue chez les « évêques sédévacantistes » ne se basent pas non plus sur le magistère, mais se basent plutôt sur des opinions téméraires et imprécises qui les rapprochent des conciliaires et de leur fausse conception de la juridiction épiscopale, et les propulse tout droit vers la consommation d’un nouveau schisme (aucun de ces évêques n’a le droit d’élire un pape, par conséquent leur « conclave » serait absolument sans valeur et schismatique, parce qu’il instituerait une hiérarchie en dehors de la véritable Eglise fondée par Jésus-Christ sur saint Pierre : il n’est pas possible de soutenir que les évêques sédévacantistes ont une juridiction ordinaire, ce qui les rendrait susceptible d’élire le pape en l’absence de cardinaux d’après saint Robert Bellarmin – la juridiction ordinaire vient toujours du pape, et certainement pas du sacre épiscopal, or il n’y a pas de pape actuellement donc pas de juridiction ordinaire possible).
    • D’autre part, il n’existe aucune unanimité de l’épiscopat sur l’enseignement de Vatican II, ce qui réduit l’argument de la soumission aux évêques à quelque chose de purement extérieur et légaliste. Nos contradicteurs insistent sur le fait que tous les évêques, même ceux qui ont rejeté Vatican II ensuite, ont signé les textes du Concile préalablement à leur promulgation. C’est vrai, en effet, qu’ils ont tous signé y compris Mgr Lefebvre, Mgr de Castro-Mayer et Mgr Ngo Dinh Thuc. Pour eux, ce fait est suffisant pour que s’applique leur conception de l’infaillibilité des évêques et de la nécessité de leur être soumis. Si l’on se borne à ce critère purement extérieur, la position a une certaine apparence de validité. Mais si l’on s’avise de regarder plus profondément ce qui pourrait constituer un « enseignement de l’épiscopat » sur Vatican II, puisque l’on part du principe que tous les évêques ensemble sont infaillibles, on réalise mieux la faiblesse de cette position, étant donné que :
      • L’épiscopat ne s’accorde même pas pour savoir ce que Vatican II enseigne réellement. C’est dommage si l’on veut prétendre que l’enseignement des évêques est le critère de la vérité.
      • Il existe en réalité au moins quatre attitudes complètement différentes à cet égard, qui impliquent toutes une sorte de rejet pratique de Vatican II :
        • Les conservateurs qui ont déploré la promulgation de Vatican II, qui ont lutté contre les progressistes pendant le Concile (cf. le Coetus internationalis patrum dont faisaient partie notamment de nombreux évêques brésiliens), et qui ont essayé désespérément de trouver un sens catholique aux définitions ambigües de Vatican II, pour réfuter les progressistes ;
        • Les conservateurs qui ont finalement rejeté ouvertement Vatican II et refusé son application (cf. les trois évêques que nous avions cité) ;
        • Les progressistes qui se réjouissent de la promulgation de Vatican II mais déplorent quelques « extravagances » et quelques « dérapages » dans son application, comme s’ils n’étaient pas contenus dans les textes même de Vatican II ou les directives disciplinaires qui l’ont accompagné ;
        • Les progressistes qui estiment que Vatican II est un bon début mais qu’il faut aller encore beaucoup plus loin dans la subversion du catholicisme et la fusion entre l’Eglise et le monde moderne.
    • Chacune de ces quatre positions implique un certain degré de rejet de Vatican II. La première position implique d’interpréter Vatican II, comme s’il était possible « d’interpréter » le magistère, dans un sens contraire à son sens apparent, ce qui est une posture de libre-examen bien que l’intention ne soit pas protestante. La troisième position prétend que Vatican II ou la nouvelle règlementation liturgique ne permettent pas les « abus », ce qui est encore une interprétation subjective (et fausse) des textes. Vatican II est, dans l’ensemble, suffisamment flou et suffisamment captieux pour permettre à tout le monde se s’y retrouver, soit qu’on veuille lui donner un sens orthodoxe, soit qu’on veuille lui donner un sens hérétique, ainsi sont également les lois liturgiques qui par leur nature même permettent ou même encouragent les abus fustigés par les conservateurs [3]. Mais comme chacun refuse certains aspects de Vatican II, on pourrait conclure sans discrédit que tous les évêques conciliaires ont rejeté Vatican II d’une manière ou d’une autre. Donc mettons que je veuille être « soumis à l’épiscopat » concernant Vatican II : la seule chose que je pourrais faire, c’est de me borner à une sorte d’acceptation extérieure et superficielle de la validité de Vatican II, puis conserver mon opinion privée sur le véritable sens de Vatican II. Est-ce cela, le catholicisme ? Est-ce cela, la soumission à la hiérarchie ecclésiastique et le fait d’avoir pour pasteurs et pour pères les évêques ? Ce n’est rien de plus que la conception janséniste de la soumission à l’Eglise : pourvu que l’on signe les formulaires et que l’on ait l’air extérieurement et légalement unis à la hiérarchie, on est un bon catholique, et on peut se réserver en privé le droit de penser ce que l’on veut sur ces formulaires et ces enseignements. Nos contradicteurs sont d’autant plus légalistes qu’ils regardent comme rien le fait que quelques évêques comme Mgr Lefebvre ont ensuite rejeté Vatican II et regretté leur signature des documents : pour eux cela ne compte pas, tout ce qui importe est la signature, c’est à dire l’acte extérieur et superficiel d’adhésion à Vatican II, quoi que cela puisse signifier intrinsèquement.

Conclusion

L’utilisation de Pastoris Aeterni par les adversaires du sédévacantisme est abusive, parce qu’elle néglige certaines distinctions élémentaires : les évêques sont « pasteurs et pères » des fidèles pourvu qu’ils soient unis au pontife romain, et pas simplement par le fait qu’ils sont évêques (sinon, il faudrait considérer les centaines d’évêques schismatiques comme nos pasteurs et nos pères : cela n’a aucun sens, ils sont séparés de l’Eglise). Il n’existe pas d’infaillibilité du corps épiscopal indépendante de de l’infaillibilité du pontife romain, auxquels les évêques doivent être soumis pour enseigner collectivement de manière infaillible. L’essentiel de la discussion sur la validité du sédévacantisme reste donc, et restera toujours, de savoir si Paul VI était réellement pape ou non, pas de savoir ce que les évêques ont pensé de Paul VI (d’autant plus que ceux-ci ont eu, sur Paul VI et sur Vatican II, des opinions diverses et irréconciliables, il n’existe aucun consensus de l’épiscopat sur la nature de l’enseignement de Vatican II). La ressemblance entre la « Petite-Eglise » et les groupes sédévacantistes ne supporte pas une comparaison sérieuse : les premiers sont gallicans, les seconds sont ultramontains et ne peuvent pas être convaincus de rejeter un enseignement du magistère de l’Eglise (du moins pour ce qui concerne la question de la vacance actuelle du Saint-Siège : certains sédévacantistes sont peut-être hérétiques sur d’autres sujets, mais c’est leur problème personnel, et pas le problème de cette question de savoir si Paul VI et ses successeurs sont réellement papes). Ceux qui adoptent cette posture, qui consiste à dire qu’il faut être extérieurement soumis à la « l’unanimité morale des évêques » pour être catholique, ont en réalité une conception purement légaliste de la soumission à l’Eglise, qui ne regarde que le for externe et pas le for interne, puisque chacun se réserve au for interne une sorte de droit de penser ce qu’il veut de Vatican II. En quoi cette position diffère de celle des serpents jansénistes, qui prétendaient être de bons catholiques tant qu’ils avaient l’air extérieurement unis à l’épiscopat et à la papauté ? Cela n’a rien à voir avec le véritable esprit catholique d’obéissance à la hiérarchie et de soumission au magistère infaillible de l’Eglise.

Jean-Tristan B.


[1] En tout état de cause, le plus important demeure le fondement de la doctrine sur l’APU, qui est l’indéfectibilité de l’Eglise. Ce caractère indéfectible implique en effet l’impossibilité radicale, en raison des promesses de Notre-Seigneur, que les membres de l’Eglise soient, à cause de l’usurpation du trône de saint-Pierre par un faux pape, privés de tout critère objectif pour refuser leur adhésion à l’erreur religieuse (dans ce cas toute l’Eglise adhérerait à une fausse doctrine et ferait défection, ce qui évidemment impossible). Ce n’est pas le refus de l’APU mais la négation de cette « impossibilité radicale » qui constitue une hérésie, or cette impossibilité nous y adhérons et la professons publiquement. La position sédévacantiste ne lui est pas contraire et le refus de l’APU n’implique pas la négation de l’indéfectibilité de l’Eglise. Le Cardinal Billot, qui soutient l’APU, dit que « l’adhésion de l’Église universelle est toujours à elle seule le signe infaillible de la légitimité de la personne du Pontife, et donc de l’existence de toutes les conditions requises à cette légitimité ». Il affirme ensuite que la raison de ceci est que, dans le cas contraire, les portes de l’enfer auraient prévalu contre l’Église. Cela se comprend puisque, selon l’éminent théologien, « ce serait en effet la même chose, pour l’Église, d’adhérer à un faux Pontife que d’adhérer à une fausse règle de foi […] le Pape [étant] la règle vivante que l’Église doit suivre en croyant, et de fait suit toujours ». L’abbé Lucien a déjà apporté une réponse tout à fait convaincante sur ce point et que voici : « L’impossibilité absolue à laquelle se réfère implicitement le cardinal Billot c’est que l’ensemble des fidèles adhèrent à une doctrine fausse : cela relève immédiatement de l’indéfectibilité de l’Eglise. Or, la reconnaissance d’un faux pape n’est pas encore l’adhésion à une doctrine fausse. Ladite reconnaissance ne peut entraîner une telle adhésion que dans le cas d’un acte magistériel contenant une erreur. Mais nous avons vu qu’il existait un critère intrinsèque de discernement, accessible à tout fidèle : la non-contradiction par rapport à tout ce qui est déjà infailliblement enseigné par l’Eglise. L’indéfectibilité de l’Eglise implique très certainement qu’un éventuel “faux pape” (tenu pour vrai par tous) ne puisse définir faussement un point de doctrine librement discuté jusqu’alors dans l’Eglise. Dans le cas contraire en effet, les fidèles seraient privés de tout critère objectif pour refuser leur adhésion à l’erreur : ils seraient donc inéluctablement induits en erreur et l’indéfectibilité de l’Eglise serait atteinte (telle est la ‘part de vérité’ de la thèse du cardinal Billot). Mais l’indéfectibilité de l’Eglise ne s’oppose pas à ce qu’un faux pape prétende enseigner officiellement un point déjà infailliblement condamné par l’Eglise. Bien au contraire, c’est alors le signe infaillible que ce faux pape ne possède pas l’Autorité pontificale divinement assistée : ne pas conclure à cette absence d’Autorité, c’est refuser la Lumière providentiellement accordée ». Si nous ne sommes pas d’accord pour dire qu’adhérer à un faux pontife implique forcément l’adhésion à une fausse règle de la Foi, nous demeurons d’accord sur le fondement invoqué par Billot : oui, il est impossible que toute l’Eglise adhère à une fausse règle de Foi. Seulement, pour maintenir ce point que la Foi nous impose de tenir fermement, il suffit de dire que jamais l’Eglise ne sera privée de critère objectif pour refuser une fausse doctrine. Quand un loup ravisseur (un faux pape) s’introduit dans la bergerie (l’Eglise), les moyens ne manquent pas et ne manqueront jamais pour le débusquer et refuser sa doctrine empoisonnée.

[2] La papauté et l’épiscopat sont perpétuels dans l’Église, nous ne le nions pas. La succession matérielle des sièges suffit pour garantir cette double pérennité : l’élection d’un Pape légitime et le retour de l’Episcopat en acte demeurent possibles. Précisions également que si pour la succession ininterrompue des Papes il suffit d’une continuité morale (c’est-à-dire que les périodes de vacance de siège sont admises et possibles) alors, a fortiori, pour la succession des Evêques une continuité morale suffit : la chose étant admise pour le Chef, on peut l’admettre du Corps Episcopal. Donc puisqu’une vacance (formelle) du Saint-Siège ne s’oppose pas à la perpétuité de la papauté, la vacance formelle des sièges épiscopaux ne s’oppose pas à la perpétuité de l’Episcopat.

[3] L’abbé Cekada a produit une démonstration définitive sur ce point : ce que les conservateurs considèrent comme un abus dans la liturgie, le fait que le centre de la célébration doive être la vie communautaire au lieu d’être Dieu, est véritablement l’enseignement de Paul VI, pas une « mauvaise interprétation de la réforme liturgique ».