Le 2 février 2022, au cours d’une audience générale qui se tenait dans la très étrange salle Paul VI, François est venu enrichir sa collection d’hérésies par des propos offensants pour l’oreille catholique. Avant de rappeler l’enseignement de l’Église sur la Communion des saints et de se pencher sur le contenu du discours de François, nous allons revenir sur la définition de l’hérésie.
Qu’est-ce qu’une hérésie ?
Pour le dire simplement, et sans rentrer dans tous les détails du sujet, une hérésie est une proposition qui s’oppose à une vérité révélée par Dieu. Et puisque c’est par l’Eglise que nous est infailliblement transmise la vérité révélée, une hérésie est une proposition qui contredit une doctrine présentée comme révélée par l’Eglise. Certains théologiens soutiennent qu’une affirmation contraire à une doctrine infailliblement définie par l’Eglise mais non présentée comme révélée est déjà hérétique, mais ici nous ne nous pencherons pas sur ce débat théologique dont l’importance est toutefois réelle. Retenons que, selon le code de droit canon actuellement en vigueur (celui de 1917), une proposition ne pourra être qualifiée d’hérétique que si elle s’oppose à une vérité à croire de foi divine et catholique, c’est-à-dire à une doctrine présentée comme révélée par l’Eglise.
Ajoutons qu’il faut bien distinguer l’hérésie doctrinale (qui existe dans une proposition donnée) et le péché d’hérésie (qui existe dans un sujet donné). Cette distinction trop souvent négligée est parfaitement mise en lumière par l’abbé Lucien dans La situation actuelle de l’Autorité dans l’Eglise (pages 71 à 83). Nous nous contentons de rappeler ici que le péché d’hérésie est une adhésion volontaire et pertinace à l’hérésie. Pour commettre un péché d’hérésie, le sujet qui défend une proposition hérétique doit savoir que l’Eglise enseigne le contraire et vouloir néanmoins conserver sa propre opinion. Il se déduit de ces conditions que l’ignorance chasse le péché d’hérésie (sans pour autant chasser le péché, si l’ignorance est coupable).
La Communion des saints (selon l’Eglise catholique)
Voyons, avant d’évoquer les paroles de François, ce que signifie la Communion des saints pour l’Eglise. Le catéchisme de saint Pie X nous en donne une définition : « Communion des saints signifie que tous les fidèles, formant un seul corps en Jésus-Christ, profitent de tout le bien qui est et qui se fait dans ce même corps, c’est-à-dire dans l’Église universelle, pourvu qu’ils n’en soient pas empêchés par l’affection au péché ». Citons également l’abbé Boulenger pour aider le lecteur à bien saisir le sens de cette définition : « Il existe entre tous les membres, vivants ou défunts, du corps mystique (Église) dont Jésus-Christ est le chef, un lien qui les rattache les uns aux autres et grâce auquel ils participent aux mêmes intérêts et aux mêmes biens spirituels : c’est ce qu’on appelle la Communion des Saints. Dans toute société bien organisée, les membres sont solidaires les uns des autres ; ils partagent les richesses, les joies, et aussi les revers et les tristesses de la communauté. Ainsi en est-il de l’Église qui est une société plus parfaite qu’aucune autre » (dans La Doctrine Catholique).
Les biens spirituels évoqués par l’abbé Boulenger et qui profitent aux membres de l’Eglise par la Communion des saints sont surnaturels, ils se rapportent à l’ordre de la vie divine, de la grâce sanctifiante. Ces biens forment un trésor qui est enrichi, en premier lieu, par les mérites (infinis) de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ensuite par les mérites de la Très Sainte Vierge et enfin par ceux de tous les autres saints et membres du Corps Mystique. Ce trésor surnaturel s’élève vers Dieu qui répand ses grâces et miséricordes sur chacun des membres de la Communion des saints qui, tous, les reçoivent en proportion de leurs mérites. Par ailleurs, chaque membre, par ses bonnes œuvres, participent à enrichir ce trésor qui se communiquent à tous.
La formule « pourvu qu’ils n’en soient pas empêchés par l’affection au péché » précitée, signifie que les membres morts (1) de l’Eglise, c’est-à-dire ceux qui sont en état de péché mortel ne participent pas à la Communion des saints. Pourquoi ? Parce-que « n’étant pas dans l’état de grâce, ils ne fournissent aucune contribution au trésor de l’Église, vuque leurs œuvres sont sans mérite. Il serait juste alors qu’ils ne participent plus à ses faveurs » (La Doctrine Catholique). Cependant, précise l’abbé Boulenger, comme ils appartiennent toujours au corps de l’Église et que, semblables à des membres paralysés, ils pourront reprendre un jour vie et mouvement, ils ne sont pas entièrement privés des avantages de la Communion des Saints. En effet, les membres morts de l’Eglise peuvent recevoir des grâces pour se convertir et participer à la Communion des saints.
Si les catholiques en état de péché mortel sont privés de beaucoup d’avantages de la Communion des saints, qu’en est-il des non-catholiques ? Puisqu’ils ne sont ni membre du Corps, ni membre de l’Ame de l’Eglise (2), ils ne participent en aucune manière à la Communion des saints. Ainsi, nous comprenons bien pourquoi à la question « Qui est hors de la Communion des saints ? », saint Pie X répond « Est hors de la Communion des saints, celui qui est hors de l’Église, c’est-à-dire, les damnés, les infidèles, les juifs, les hérétiques, les apostats, les schismatiques et les excommuniés » (Catéchisme de saint Pie X).
La « communion des saints » (selon François)
Dans cette audience générale du 2 février, deux propos ont particulièrement attiré notre attention. Commençons par le premier :
« Qu’est-ce donc que la «communion des saints»? Le Catéchisme de l’Église catholique affirme : «La communion des saints est l’Église» (n. 946). Voyez comme c’est une belle définition! «La communion des saints est l’Église.» Qu’est-ce que cela signifie? Que l’Église est réservée au parfait? Non. Cela signifie que c’est la communauté des pécheurs sauvés. L’Eglise est la communauté des pécheurs sauvés. C’est beau, cette définition. Personne ne peut s’exclure de l’Église, nous sommes tous des pécheurs sauvés ».
Dans cet extrait, François entend définir la Communion des saints, qu’il assimile – bien étrangement – à l’Eglise comme s’il ne s’agissait pas de deux notions théologiques distinctes, avec leur caractéristiques propres (même si ces deux réalités, l’Eglise et la Communion des saints, sont intimement liées car, ainsi que nous l’avons vu plus haut, l’appartenance à la première est une condition pour participer à la seconde). Mais le plus choquant ici, c’est qu’il prétend que personne ne peut s’exclure de l’Eglise (ou de la Communion des saints, puisque pour François il s’agit de la même chose). Cela contredit explicitement l’enseignement de l’Eglise que nous avons rappelé plus haut. Un catholique qui est devenu apostat, hérétique ou schismatique (3) a choisi de quitter de l’Eglise et la Communion des saints. Par conséquent – et c’est une chose évidente, sauf pour François visiblement – il est faux de dire que personne ne peut s’exclure de l’Eglise.
Passons au second propos :
« Considérons, chers frères et sœurs, qu’en Christ personne ne pourra jamais vraiment nous séparer de ceux que nous aimons parce que le lien est un lien existentiel, un lien fort qui est dans notre nature même; seule la manière d’être ensemble les uns avec les autres change, mais rien ni personne ne peut rompre ce lien. [François se met à la place d’un fidèle s’adressant à lui] « Saint-Père, pensons à ceux qui ont renié la foi, qui sont apostats, qui sont les persécuteurs de l’Église, qui ont renié leur baptême : sont-ils aussi chez eux ? » Oui, ceux-là aussi. Tous. Les blasphémateurs, tous. Nous sommes frères. C’est la communion des saints. La communion des saints unit la communauté des croyants sur la terre et au ciel, et sur la terre les saints, les pécheurs, tous».
Il y a là une double contradiction avec la Communion des saints, telle que l’Eglise nous l’enseigne.
D’abord François dit que les blasphémateurs sont dans cette Communion. Un blasphémateur catholique (mauvais pour sûr), s’il n’est « que » (4) blasphémateur, ne perd pas pour autant sa qualité de membre de l’Eglise catholique. Ainsi, nous l’avons vu, il ne serait pas privé entièrement des bienfaits de la Communion de saints car, appartenant toujours au Corps de l’Église, il bénéficierait de grâces de conversion. Toutefois, il est impropre de dire qu’il est unit à ceux qui profitent du trésor de la Communion des saints : son état de péché empêche l’union, la communion et l’échange des biens surnaturels. Il est séparé du lien de la charité qui unit tous les fidèles en état de grâce.
Ensuite, François prétend que les apostats qui sont persécuteurs de l’Eglise appartiennent à la Communion des saints. C’est la déclaration la plus scandaleuse du discours, et elle s’oppose au mot près à la doctrine catholique si clairement exposée par saint Pie X dans son catéchisme. Alors que le Chef invisible de l’Eglise catholique, Notre-Seigneur, distingue et sépare le bon grain (les enfants du Royaume) de l’ivraie (les fils d’iniquités), celui qui se présente comme son Vicaire sur la terre affirme que les apostats endurcis sont unis avec Jésus, la Sainte Vierge et tous les saints : assertion monstrueuse. Les fondements de cette fausse doctrine ne sont pas à chercher bien loin, François croît que le lien qui unit l’homme au Christ se trouve dans la nature même de l’homme. Pour lui, ce n’est pas la grâce communiquée par Dieu qui nous unit au Christ ; ce n’est pas par une élévation de la nature humaine à l’ordre surnaturel que nous participons à la vie divine. Dès lors pourquoi distinguer ceux qui ont la grâce (les bons, les saints) de ceux qui ne l’ont pas (les méchants) ?
Les propositions de François sur la Communion des saints sont-elles hérétiques ?
La Communion des saints est un des douze articles de Foi du Symbole des Apôtres, appelé aussi Credo. Le Symbole des Apôtres contient et résume les principales vérités révélées par Dieu. Elles s’appellent vérités de foi, nous dit le Père Dragonne dans son explication du catéchisme de saint Pie X, parce que nous devons les croire d’une foi absolue, étant enseignées par Dieu qui ne peut ni se tromper ni nous tromper. Le Symbole des Apôtres, avec celui de Nicée Constantinople et de saint Athanase, est l’un des principaux Symbole de Foi que l’Église enseigne à ses fidèles. « Il peut être considéré comme l’œuvre des Apôtres dans ce sens qu’il représente la doctrine ou plutôt la substance des vérités qu’ils enseignaient aux catéchumènes et qu’ils exigeaient comme profession de foi avant le Baptême » (abbé Boulenger, La Doctrine Catholique).
De là, nous pouvons facilement déduire que les propositions de François sur la Communion des saints sont hérétiques : elles s’opposent à un dogme de Foi, à une doctrine présentée comme révélée par l’Eglise.
Cet imposteur n’en est pas à son coup d’essai et il ne s’agissait pas ici de prouver que François n’a pas l’autorité pontificale, la démonstration a déjà été faite (il suffisait, d’ailleurs, de constater qu’après son élection au pontificat il ne reniait rien du concile vatican II et ses suites). Mais il nous semblait utile de mettre en lumière cette opposition flagrante (une de plus) entre la doctrine de ce faux pape et celle de l’Eglise catholique, laquelle doit être connue et défendue par les catholiques.
De même que pour garantir l’intégrité du corps il faut fuir le pestiféré, pour garantir l’intégrité de la Foi il faut fuir l’homme de mauvaise doctrine. Nous n’avons plus qu’à dire aux conciliaires ou autres catholiques en communion avec François : fuyez sans plus attendre, rompez ce lien qui vous fait prendre le risque grave d’être privé d’une communion bien plus importante pour le salut de votre âme : la Communion des saints.
Hugo C.
(1) Par « membre mort » de l’Eglise il faut entendre ceux qui sont morts spirituellement, c’est-à-dire privé de la vie divine. Ils sont membres du Corps de l’Eglise mais pas de son Âme, c’est-à-dire le Corps Mystique du Christ. A ne pas confondre avec les défunts qui, s’ils sont au paradis ou purgatoire, sont des membres vivants de l’Eglise.
(2) Un non-catholique peut toutefois appartenir à l’Ame de l’Église en cas d’ignorance invincible et s’il est sans péché mortel. Mais il ne faut pas laisser croire, car ce serait ruiner la doctrine de la visibilité de la vraie Eglise, que la quasi-totalité des membres d’une fausse religion sont excusés par l’ignorance invincible. De plus, la Foi seule ne suffit pas pour être en état de grâce : encore faut-il que celui qui ignore invinciblement que le catholicisme est la vraie religion soit sans péché mortel, ce qui implique de vivre comme un juste. Son état de grâce, et donc aussi son Salut, sont loin d’être assurés car il est « privé de tant et de si grand secours et faveurs célestes dont on ne peut jouir que dans l’Eglise catholique » (Pie XII, Mystici Corporis). Pour plus d’explication sur le sujet de l’ignorance invincible voir Lettres à quelques Evêques, pages 27 à 35).
(3) Les apostats sont les baptisés qui renient, par un acte extérieur, la foi catholique qu’ils professaient auparavant ; Les hérétiques sont les baptisés qui s’obstinent à ne pas croire quelque vérité révélée par Dieu et enseignée par l’Église : tels sont les protestants ; Les schismatiques sont les baptisés qui refusent obstinément de se soumettre aux Pasteurs légitimes et qui, pour cette raison, sont séparés de l’Église, même s’ils ne nient aucune vérité de foi (Catéchisme de saint Pie X).
(4) Si cela était possible, nous aurions ajouté mille guillemets : le blasphème est un péché très grave.
Depuis quelques temps, certains estiment avoir trouvé l’argument d’autorité définitif contre le sédévacantisme dans l’exhortation Pastoris Aaeterni de Léon XII (26 juillet 1826) contre la Petite-Eglise anticoncordataire :
« Car, comment l’Église sera-t-elle pour vous une mère, si vous n’avez pas pour pères les Pasteurs de l’Église, c’est-à-dire les évêques ? (…) L’Église catholique est une ; elle n’est point déchirée, ni divisée. Votre Petite Église ne peut donc en aucune manière appartenir à l’Église Catholique. Car, de l’aveu même de vos maîtres, ou plutôt de ceux qui vous trompent, il ne reste plus aucun des évêques français qui soutienne et qui défende le parti que vous suivez »
Il s’agirait donc de dire : puisqu’aucun évêque n’a refusé Vatican II, et qu’aucun évêque n’a soutenu le sédévacantisme, c’est une preuve absolue que le sédévacantisme est faux, et que « l’Eglise sédévacantiste » est une secte schismatique. Les comparaisons vont bon train entre les sédévacantistes et la Petite-Eglise, qui sont présentés comme des phénomènes similaires en tout point. Nous souhaitons revenir brièvement sur chacun de ces points, et expliquer :
1) Concernant l’enseignement du pape Léon XII
Que Léon XII ne donne pas formellement un enseignement sur la nécessité d’être uni aux évêques en toutes circonstances, mais donne un argument ad hominem aux membres de la Petite-Eglise. Il faut se souvenir que le point de départ du schisme de la Petite-Eglise est la prétendue « fidélité aux évêques » : certains évêques ayant courageusement combattu contre la Révolution ont été déposés par le pape Pie VII à la suite du concordat. Pie VII avait dû accepter plusieurs concessions pour que l’Eglise catholique puisse retrouver une vie normale et que la paix puisse exister entre l’Eglise et l’Etat, la déposition de certains évêques jugés trop légitimistes en faisait partie. La mentalité gallicane étant répandu partout en France à cette époque, certains prêtres et fidèles y ont vu un « abus » de la part du pape, et ont prétendu que le pape n’avait pas le droit de déposer les évêques s’ils n’avaient pas commis une faute grave. Etant donné que le point de départ de leur schisme est le soutien à certains évêques déposés, Léon XII leur fait remarquer qu’il n’y a plus aucun évêque en France qui les soutienne, qu’ils sont donc dépourvus de ce qui faisait leur raison d’être
Qu’il est évident que l’union aux évêques, que Léon XII présente comme la marque de la catholicité, est relative à l’union des évêques au pape. Lorsque Léon XII dit « comment l’Eglise sera-t-elle pour vous une mère (…) si vous n’avez pas pour père les pasteurs de l’Eglise, c’est à dire évêques ? », veut-il dire par exemple qu’un russe doit avoir pour père le patriarche schismatique de Moscou ? Evidemment non. Lorsque le magistère parle de la soumission aux évêques, il parle évidemment des évêques qui sont en communion avec le souverain pontife : pas des évêques considérés indépendamment de ce critère de la soumission au pape, sinon il faudrait soutenir contre l’absurde que les évêques schismatiques doivent être nos pasteurs et nos pères. A l’époque de Léon XII, les évêques catholiques étant unis à un vrai pape, il était en effet nécessaire de leur être soumis comme à des successeurs des apôtres pour être catholique. C’est bien différent si l’ensemble des évêques se trouvent être unis à quelqu’un qui n’est pas pape.
Qu’il est évident qu’il ne faut pas, à tout prix et en toutes circonstances, être uni à l’unanimité morale des évêques pour être catholique. Nos contradicteurs auraient-ils oublié qu’à l’époque de saint Athanase, la majorité des évêques étaient ariens ? Il n’est pas soutenable de présenter ce critère de majorité (ou même d’unanimité) de l’épiscopat comme règle absolue de la vérité. C’était probablement ce que faisaient les ariens pour justifier leurs hérésies à l’époque : la plupart des grands sièges épiscopaux étaient acquis à l’arianisme, c’est le signe que c’est une doctrine « d’Eglise ». Ceci est évidemment fallacieux. Le raisonnement de nos contradicteurs consisterait à dire : puisque la majorité des évêques étaient unis à Paul VI, alors c’est une preuve qu’il était véritablement pape. Pourtant le raisonnement catholique doit être l’inverse : il faut établir que Paul VI est pape d’abord, car il n’est pas garanti que les évêques soient infaillibles pour ce qui regarde le fait de savoir qui est réellement pape ou non.
2) Concernant la comparaison entre le sédévacantisme et la Petite-Eglise
Que la Petite-Eglise se base sur les hérésies du gallicanisme pour justifier sa rébellion. Nous disions plus haut que le point de départ de ces « dissidents » est l’idée que le pape n’a pas le droit de déposer un évêque sauf dans certaines circonstances. Leur schisme est basé sur deux erreurs : 1) l’idée que les évêques ont une juridiction autonome de celle du pape, au lieu d’avoir une juridiction déléguée par lui (idée aujourd’hui chère aux sectateurs de Vatican II, avec leur « collégialité » et leur théorie du sacre donnant la juridiction) ; 2) l’idée que le pape n’a pas le droit d’empiéter sur cette autorité sacrée, puisqu’elle vient de Dieu directement. Le magistère de l’Eglise réprouve absolument cette fausse conception de la juridiction épiscopale.
Qu’à l’inverse le sédévacantisme se base sur la doctrine « ultralmontaine », le respect et la soumission due au Pape, et la fidélité au magistère infaillible de l’Eglise. Quoi de commun entre une doctrine qui prétend que le « droit divin des évêques » est inviolable et que même le pape ne peut pas y toucher, et une doctrine qui défend qu’il est impossible que le pape contredise un autre pape dans l’exercice de son magistère ? Voici le point de départ du sédévacantisme : 1) Vatican II enseigne des erreurs qui tombent sous l’anathème de l’Eglise (ex. liberté religieuse), 2) Or il est impossible qu’un pape promulgue de telles erreurs, 3) et pour sauver son âme, un catholique doit être sincèrement et universellement soumis au pape, 4) donc on ne peut pas en même temps dire que Vatican II est erroné et dire que Paul VI est pape, ni dire que Paul VI est pape et en même temps lui « résister » en refusant ses lois liturgiques par exemple. Ce qui distingue les sédévacantistes des conciliaires est une fidélité plus grande à l’infaillibilité du souverain pontife (puisqu’à présent l’immense majorité des conciliaires prétend que le syllabus de Pie IX n’était pas infaillible, par exemple). Ce qui distingue les sédévacantistes des autres traditionnalistes, est cette même fidélité couplée à la conscience de la nécessité d’être soumis au souverain pontife en toutes choses (pas seulement dans son magistère, mais aussi dans toutes ses lois et même dans des matières non-infaillibles). Quelle ressemblance avec la doctrine de la « Petite Eglise » ? La comparaison ne résiste pas à un examen sérieux des doctrines et des intentions des deux groupes.
Qu’il est impossible de démontrer que nous adhérons à une hérésie ou que nous avons du mépris pour l’autorité ecclésiastique légitime. Nos contradicteurs nous reprochent principalement deux « hérésies » ou « attitudes schismatiques » :
Le rejet de « l’acceptation pacifique et universelle » (APU) comme signe certain du pontificat de Paul VI
Le rejet de l’enseignement de la majorité des évêques (qui ont accepté Vatican II), ou du moins le fait de ne pas être soumis à cette majorité des évêques – ce qui serait une sorte d’hérésie d’après leur interprétation de Pastoris Aeterni.
Mais en quoi de telles choses peuvent constituer des hérésies ? Une hérésie est un enseignement qui contredit les définitions du magistère de l’Eglise. Or il n’existe à notre connaissance aucune définition magistérielle sur l’APU, bien que cette doctrine soit effectivement présente dans l’enseignement de nombreux théologiens (notre point n’est pas de donner ici une réponse de fond, simplement de discuter du fait qu’il s’agisse d’un enseignement magistériel). Le problème est que ces théologiens n’enseignent pas tous la même chose sur l’APU, et leur langage n’est pas suffisamment précis pour que toute question et toute réflexion théologique soit absolument tranchée par leur enseignement. Est-ce que l’APU concerne simplement la validité l’élection, ou bien l’autorité ? (les deux notions étant distinctes dans la théologie catholique, cf. les explications de saint Antonin sur la distinction entre la papauté matérielle et la papauté formelle). Est-ce que l’APU implique une simple ratification extérieure de l’élection, ou bien une soumission réelle au pape en tant que docteur et législateur ? Il n’y a tout simplement aucune définition magistérielle sur le sujet, de telle sorte que si je voulais « rétracter mon hérésie » sur l’APU, je ne saurais même pas précisément ce que je dois rétracter. Je n’ai d’ailleurs jamais prétendu que je refusais la doctrine des théologiens sur l’APU, il est possible de lui donner un sens compatible avec la situation actuelle de l’autorité dans l’Eglise. Surtout, nous ne nions pas le fondement de cette doctrine qui est l’indéfectibilité de l’Eglise catholique et l’impossibilité que tous les catholiques soient trompés par un faux pape sans qu’il n’y ait de moyen de se rendre compte de la tromperie [1]. Concernant l’infaillibilité des évêques considérée indépendamment du pape, il en va de même, ce n’est pas un enseignement magistériel (nous évoquons le sujet plus loin).
Enfin concernant le mépris pour l’autorité légitime, je porterais à la connaissance de nos contradicteurs le fait que la majorité de ceux qui sont devenus « sédévacantistes » dans le courant des années 1970-1980 ont dans un premier temps tenter d’expliquer Vatican II en continuité avec le magistère de l’Eglise, et défendu l’idée que « le pape » était dépassé par les « abus » choquants qui avaient eu lieu suite à Vatican II. Il est normal que la présomption aille dans ce sens, pour un catholique qui est habitué à respecter l’autorité légitime. Mais cette position ne peut être légitimement soutenue que si l’on est dans l’ignorance de ce que Vatican II enseigne réellement par rapport à l’enseignement antérieur de l’Eglise, et dans l’ignorance de l’attitude de Paul VI et de ses successeurs à l’égard des prétendus « abus » incontrôlés. Ne pouvant pas refuser la réalité, certains ont fini par accepter le constat de la vacance du Saint-Siège, parce que c’était une exigence logique, pas pour le plaisir de privilégier leurs opinions personnelles à celles de la hiérarchie apparente.
3) Concernant l’acceptation de Vatican II par les évêques
Qu’il s’agit en effet de l’objection ou de la difficulté la plus sérieuse au sédévacantisme. Nous ne balayons pas cette objection d’un revers de la manche comme s’il s’agissait d’une chose insignifiante ou facile à écarter. Comme nous le disions plus haut, nous ne basons pas notre position sur une sorte de mépris de principe pour la hiérarchie, donc le fait que la hiérarchie ait massivement adhéré à Vatican II mérite sérieuse réflexion. Il est en effet une grave difficulté de constater que la plupart des évêques ont accepté Vatican II, qu’ils ont accepté Paul VI et ses successeurs comme papes. Aucun théologien n’aurait pu imaginer qu’une telle chose arrive, que l’épiscopat tombe presque unanimement dans une telle défection.
Mais que l’on peut répondre à ce problème en conformité avec la doctrine catholique
Parce que l’infaillibilité des évêques est relative à la soumission au pape. Lorsque le magistère de l’Eglise parle de l’infaillibilité des évêques, c’est toujours d’une manière relative à celle du pape, dans le sens que l’unanimité morale des évêques en union avec le pape donnent aux fidèles un magistère infaillible. De sorte qu’il serait théoriquement possible que tous les évêques ensemble adhèrent à une autre règle de foi que le pape, en prenant pour le pape un usurpateur, et donc n’enseignent pas infailliblement. Si par ailleurs il est évident que l’usurpateur enseigne des hérésies alors qu’il devrait être infaillible, il est donc évident qu’il n’est pas pape, les fidèles catholiques ne sont pas privés de toute possibilité de discernement à cet égard.
Parce que la doctrine sur l’indéfectibilité du corps épiscopal est une opinion théologique. Un certain nombre de théologiens ont donné une extension nouvelle à l’infaillibilité des évêques en disant qu’elle existe même indépendamment du pape. Il s’agirait de dire par exemple que même en cas de vacance prolongée du siège apostolique, le corps épiscopal constituerait toujours un sujet d’enseignement infaillible, qu’il n’est pas possible que ce corps uni des évêques fasse défection de la foi catholique, et qu’un enseignement de l’unanimité morale des évêques doit recueillir l’assentiment des fidèles même s’il n’est pas évident qu’ils soient tous unis au pape. C’est une pieuse opinion, mais ce n’est pas un enseignement magistériel. Nous voudrions y croire : mais contra factum non fit argumentum, contre les faits il n’y a pas d’arguments. On ne peut pas nier des évidences sous le prétexte d’être fidèle à une opinion théologique, si pieuse et soutenable fût-elle considérée indépendamment des faits qui lui sont opposés. Si l’on voulait choisir une opinion contre une réalité évidente, cela ne procéderait que d’une apparence trompeuse de piété, puisque la véritable piété inclut le zèle pour la vérité.
Parce qu’il est possible d’expliquer que la succession apostolique continue malgré la défection de l’épiscopat (thèse de Cassiciacum). La plupart de ceux qui refusent le sédévacantisme le font parce qu’il s’oppose apparemment à la visibilité de l’Eglise, à son indéfectibilité et à sa perpétuité jusqu’à la fin des temps. C’est effectivement la seule objection de fond au sédévacantisme, puisque l’indéfectibilité et la perpétuité de l’Eglise dans tous ses éléments essentiels, et pas simplement dans son aspect mystique et invisible, est un dogme de foi. Celui qui nie cette perpétuité de l’Eglise dans son aspect visible et institutionnel est un hérétique. Il faut donc pouvoir expliquer comment, d’une part, Paul VI n’était pas pape ni ses successeurs puisqu’ils enseignent des erreurs et détruisent l’Eglise, et comment d’autre part l’Eglise catholique en tant qu’institution n’a pas « disparu » et qu’il reste possible, jusqu’à la fin des temps, de retrouver un successeur légitime de saint Pierre sur le Siège Apostolique. La thèse de Cassiciacum y répond en se basant sur la philosophie thomiste et sur les explications de quelques savants théologiens : la hiérarchie de l’Eglise et la succession apostolique de juridiction continue d’exister materialiter chez les conciliaires, et il suffit que les hiérarques conciliaires rejettent Vatican II pour retrouver la juridiction formelle pour laquelle ils ont été légitimement désignés [pour plus d’explications, voir ce lien]. Ceux qui prétendent qu’il est impossible que l’Eglise subsiste sans qu’il y ait en son sein une hiérarchie formelle et une juridiction en acte ne se basent pas sur le magistère : la thèse explique suffisamment que les définitions du magistère peuvent se limiter à l’aspect matériel [2]. Ceux qui prétendent que la hiérarchie de juridiction se perpétue chez les « évêques sédévacantistes » ne se basent pas non plus sur le magistère, mais se basent plutôt sur des opinions téméraires et imprécises qui les rapprochent des conciliaires et de leur fausse conception de la juridiction épiscopale, et les propulse tout droit vers la consommation d’un nouveau schisme (aucun de ces évêques n’a le droit d’élire un pape, par conséquent leur « conclave » serait absolument sans valeur et schismatique, parce qu’il instituerait une hiérarchie en dehors de la véritable Eglise fondée par Jésus-Christ sur saint Pierre : il n’est pas possible de soutenir que les évêques sédévacantistes ont une juridiction ordinaire, ce qui les rendrait susceptible d’élire le pape en l’absence de cardinaux d’après saint Robert Bellarmin – la juridiction ordinaire vient toujours du pape, et certainement pas du sacre épiscopal, or il n’y a pas de pape actuellement donc pas de juridiction ordinaire possible).
D’autre part, il n’existe aucune unanimité de l’épiscopat sur l’enseignement de Vatican II, ce qui réduit l’argument de la soumission aux évêques à quelque chose de purement extérieur et légaliste. Nos contradicteurs insistent sur le fait que tous les évêques, même ceux qui ont rejeté Vatican II ensuite, ont signé les textes du Concile préalablement à leur promulgation. C’est vrai, en effet, qu’ils ont tous signé y compris Mgr Lefebvre, Mgr de Castro-Mayer et Mgr Ngo Dinh Thuc. Pour eux, ce fait est suffisant pour que s’applique leur conception de l’infaillibilité des évêques et de la nécessité de leur être soumis. Si l’on se borne à ce critère purement extérieur, la position a une certaine apparence de validité. Mais si l’on s’avise de regarder plus profondément ce qui pourrait constituer un « enseignement de l’épiscopat » sur Vatican II, puisque l’on part du principe que tous les évêques ensemble sont infaillibles, on réalise mieux la faiblesse de cette position, étant donné que :
L’épiscopat ne s’accorde même pas pour savoir ce que Vatican II enseigne réellement. C’est dommage si l’on veut prétendre que l’enseignement des évêques est le critère de la vérité.
Il existe en réalité au moins quatre attitudes complètement différentes à cet égard, qui impliquent toutes une sorte de rejet pratique de Vatican II :
Les conservateurs qui ont déploré la promulgation de Vatican II, qui ont lutté contre les progressistes pendant le Concile (cf. le Coetus internationalis patrum dont faisaient partie notamment de nombreux évêques brésiliens), et qui ont essayé désespérément de trouver un sens catholique aux définitions ambigües de Vatican II, pour réfuter les progressistes ;
Les conservateurs qui ont finalement rejeté ouvertement Vatican II et refusé son application (cf. les trois évêques que nous avions cité) ;
Les progressistes qui se réjouissent de la promulgation de Vatican II mais déplorent quelques « extravagances » et quelques « dérapages » dans son application, comme s’ils n’étaient pas contenus dans les textes même de Vatican II ou les directives disciplinaires qui l’ont accompagné ;
Les progressistes qui estiment que Vatican II est un bon début mais qu’il faut aller encore beaucoup plus loin dans la subversion du catholicisme et la fusion entre l’Eglise et le monde moderne.
Chacune de ces quatre positions implique un certain degré de rejet de Vatican II. La première position implique d’interpréter Vatican II, comme s’il était possible « d’interpréter » le magistère, dans un sens contraire à son sens apparent, ce qui est une posture de libre-examen bien que l’intention ne soit pas protestante. La troisième position prétend que Vatican II ou la nouvelle règlementation liturgique ne permettent pas les « abus », ce qui est encore une interprétation subjective (et fausse) des textes. Vatican II est, dans l’ensemble, suffisamment flou et suffisamment captieux pour permettre à tout le monde se s’y retrouver, soit qu’on veuille lui donner un sens orthodoxe, soit qu’on veuille lui donner un sens hérétique, ainsi sont également les lois liturgiques qui par leur nature même permettent ou même encouragent les abus fustigés par les conservateurs [3]. Mais comme chacun refuse certains aspects de Vatican II, on pourrait conclure sans discrédit que tous les évêques conciliaires ont rejeté Vatican II d’une manière ou d’une autre. Donc mettons que je veuille être « soumis à l’épiscopat » concernant Vatican II : la seule chose que je pourrais faire, c’est de me borner à une sorte d’acceptation extérieure et superficielle de la validité de Vatican II, puis conserver mon opinion privée sur le véritable sens de Vatican II. Est-ce cela, le catholicisme ? Est-ce cela, la soumission à la hiérarchie ecclésiastique et le fait d’avoir pour pasteurs et pour pères les évêques ? Ce n’est rien de plus que la conception janséniste de la soumission à l’Eglise : pourvu que l’on signe les formulaires et que l’on ait l’air extérieurement et légalement unis à la hiérarchie, on est un bon catholique, et on peut se réserver en privé le droit de penser ce que l’on veut sur ces formulaires et ces enseignements. Nos contradicteurs sont d’autant plus légalistes qu’ils regardent comme rien le fait que quelques évêques comme Mgr Lefebvre ont ensuite rejeté Vatican II et regretté leur signature des documents : pour eux cela ne compte pas, tout ce qui importe est la signature, c’est à dire l’acte extérieur et superficiel d’adhésion à Vatican II, quoi que cela puisse signifier intrinsèquement.
Conclusion
L’utilisation de Pastoris Aeterni par les adversaires du sédévacantisme est abusive, parce qu’elle néglige certaines distinctions élémentaires : les évêques sont « pasteurs et pères » des fidèles pourvu qu’ils soient unis au pontife romain, et pas simplement par le fait qu’ils sont évêques (sinon, il faudrait considérer les centaines d’évêques schismatiques comme nos pasteurs et nos pères : cela n’a aucun sens, ils sont séparés de l’Eglise). Il n’existe pas d’infaillibilité du corps épiscopal indépendante de de l’infaillibilité du pontife romain, auxquels les évêques doivent être soumis pour enseigner collectivement de manière infaillible. L’essentiel de la discussion sur la validité du sédévacantisme reste donc, et restera toujours, de savoir si Paul VI était réellement pape ou non, pas de savoir ce que les évêques ont pensé de Paul VI (d’autant plus que ceux-ci ont eu, sur Paul VI et sur Vatican II, des opinions diverses et irréconciliables, il n’existe aucun consensus de l’épiscopat sur la nature de l’enseignement de Vatican II). La ressemblance entre la « Petite-Eglise » et les groupes sédévacantistes ne supporte pas une comparaison sérieuse : les premiers sont gallicans, les seconds sont ultramontains et ne peuvent pas être convaincus de rejeter un enseignement du magistère de l’Eglise (du moins pour ce qui concerne la question de la vacance actuelle du Saint-Siège : certains sédévacantistes sont peut-être hérétiques sur d’autres sujets, mais c’est leur problème personnel, et pas le problème de cette question de savoir si Paul VI et ses successeurs sont réellement papes). Ceux qui adoptent cette posture, qui consiste à dire qu’il faut être extérieurement soumis à la « l’unanimité morale des évêques » pour être catholique, ont en réalité une conception purement légaliste de la soumission à l’Eglise, qui ne regarde que le for externe et pas le for interne, puisque chacun se réserve au for interne une sorte de droit de penser ce qu’il veut de Vatican II. En quoi cette position diffère de celle des serpents jansénistes, qui prétendaient être de bons catholiques tant qu’ils avaient l’air extérieurement unis à l’épiscopat et à la papauté ? Cela n’a rien à voir avec le véritable esprit catholique d’obéissance à la hiérarchie et de soumission au magistère infaillible de l’Eglise.
Jean-Tristan B.
[1] En tout état de cause, le plus important demeure le fondement de la doctrine sur l’APU, qui est l’indéfectibilité de l’Eglise. Ce caractère indéfectible implique en effet l’impossibilité radicale, en raison des promesses de Notre-Seigneur, que les membres de l’Eglise soient, à cause de l’usurpation du trône de saint-Pierre par un faux pape, privés de tout critère objectif pour refuser leur adhésion à l’erreur religieuse (dans ce cas toute l’Eglise adhérerait à une fausse doctrine et ferait défection, ce qui évidemment impossible). Ce n’est pas le refus de l’APU mais la négation de cette « impossibilité radicale » qui constitue une hérésie, or cette impossibilité nous y adhérons et la professons publiquement. La position sédévacantiste ne lui est pas contraire et le refus de l’APU n’implique pas la négation de l’indéfectibilité de l’Eglise. Le Cardinal Billot, qui soutient l’APU, dit que « l’adhésion de l’Église universelle est toujours à elle seule le signe infaillible de la légitimité de la personne du Pontife, et donc de l’existence de toutes les conditions requises à cette légitimité ». Il affirme ensuite que la raison de ceci est que, dans le cas contraire, les portes de l’enfer auraient prévalu contre l’Église. Cela se comprend puisque, selon l’éminent théologien, « ce serait en effet la même chose, pour l’Église, d’adhérer à un faux Pontife que d’adhérer à une fausse règle de foi […] le Pape [étant] la règle vivante que l’Église doit suivre en croyant, et de fait suit toujours ». L’abbé Lucien a déjà apporté une réponse tout à fait convaincante sur ce point et que voici : « L’impossibilité absolue à laquelle se réfère implicitement le cardinal Billot c’est que l’ensemble des fidèles adhèrent à une doctrine fausse : cela relève immédiatement de l’indéfectibilité de l’Eglise. Or, la reconnaissance d’un faux pape n’est pas encore l’adhésion à une doctrine fausse. Ladite reconnaissance ne peut entraîner une telle adhésion que dans le cas d’un acte magistériel contenant une erreur. Mais nous avons vu qu’il existait un critère intrinsèque de discernement, accessible à tout fidèle : la non-contradiction par rapport à tout ce qui est déjà infailliblement enseigné par l’Eglise. L’indéfectibilité de l’Eglise implique très certainement qu’un éventuel “faux pape” (tenu pour vrai par tous) ne puisse définir faussement un point de doctrine librement discuté jusqu’alors dans l’Eglise. Dans le cas contraire en effet, les fidèles seraient privés de tout critère objectif pour refuser leur adhésion à l’erreur : ils seraient donc inéluctablement induits en erreur et l’indéfectibilité de l’Eglise serait atteinte (telle est la ‘part de vérité’ de la thèse du cardinal Billot). Mais l’indéfectibilité de l’Eglise ne s’oppose pas à ce qu’un faux pape prétende enseigner officiellement un point déjà infailliblement condamné par l’Eglise. Bien au contraire, c’est alors le signe infaillible que ce faux pape ne possède pas l’Autorité pontificale divinement assistée : ne pas conclure à cette absence d’Autorité, c’est refuser la Lumière providentiellement accordée ». Si nous ne sommes pas d’accord pour dire qu’adhérer à un faux pontife implique forcément l’adhésion à une fausse règle de la Foi, nous demeurons d’accord sur le fondement invoqué par Billot : oui, il est impossible que toute l’Eglise adhère à une fausse règle de Foi. Seulement, pour maintenir ce point que la Foi nous impose de tenir fermement, il suffit de dire que jamais l’Eglise ne sera privée de critère objectif pour refuser une fausse doctrine. Quand un loup ravisseur (un faux pape) s’introduit dans la bergerie (l’Eglise), les moyens ne manquent pas et ne manqueront jamais pour le débusquer et refuser sa doctrine empoisonnée.
[2] La papauté et l’épiscopat sont perpétuels dans l’Église, nous ne le nions pas. La succession matérielle des sièges suffit pour garantir cette double pérennité : l’élection d’un Pape légitime et le retour de l’Episcopat en acte demeurent possibles. Précisions également que si pour la succession ininterrompue des Papes il suffit d’une continuité morale (c’est-à-dire que les périodes de vacance de siège sont admises et possibles) alors, a fortiori, pour la succession des Evêques une continuité morale suffit : la chose étant admise pour le Chef, on peut l’admettre du Corps Episcopal. Donc puisqu’une vacance (formelle) du Saint-Siège ne s’oppose pas à la perpétuité de la papauté, la vacance formelle des sièges épiscopaux ne s’oppose pas à la perpétuité de l’Episcopat.
[3] L’abbé Cekada a produit une démonstration définitive sur ce point : ce que les conservateurs considèrent comme un abus dans la liturgie, le fait que le centre de la célébration doive être la vie communautaire au lieu d’être Dieu, est véritablement l’enseignement de Paul VI, pas une « mauvaise interprétation de la réforme liturgique ».
Le commentaire du livre « Dieu, la science, les preuves » dans le journal La Croix
Sorti en octobre 2021, le livre de Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonassies intitulé«Dieu – la science – les preuves» est un succès de librairie vendu à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Se basant sur les avancées les plus récentes de la recherche scientifique, le livre expose au long de ses 580 pages le constat suivant : la seule explication rationnelle de l’origine du monde et des lois de l’univers est qu’il existe un créateur tout-puissant, infiniment intelligent, qui a fait le monde à partir de rien, et qui est responsable de son ordre parfait et de ses lois. C’est Lui que nous appelons Dieu, et que nous honorons comme tel pour l’immensité de ses bienfaits, et parce que toute chose dépend de Lui. A l’inverse, la croyance en un monde qui s’est « fait tout seul » à partir de rien, ou qui n’a pas de commencement, est complètement irrationnelle. Elle s’est faussement parée de prétextes scientifiques, comme si quoi que ce soit de scientifique avait pu mettre à mal la nécessité métaphysique de l’existence d’une cause première ou d’une intelligence ordinatrice. En vérité, plus les hommes comprennent le fonctionnement de l’Univers, plus ils devraient comprendre à quel point il est invraisemblable de dire que l’univers n’est que le résultat d’un chaos et d’un hasard aveugle. Et ce livre semble le montrer fort utilement.
Un livre qui prétend prouver que Dieu existe, du pain bénit pour les religions, se diront les critiques un peu amers… Mais détrompez-vous. Tout dépend pour quelle religion !
La religion conciliaire ne veut pas s’embarrasser de telles preuves l’existence de Dieu. Les partisans les plus progressistes de Vatican II, qui sont les plus nombreux et les plus influents dans le « monde conciliaire », n’apprécient pas que l’on dise que l’existence de Dieu peut se déduire logiquement à partir de l’étude de la création. Ils sont vraiment des modernistes, dans le sens précis où l’entendait saint Pie X lorsqu’il condamnait cet « égout collecteur de toutes les hérésies » : ils sont modernistes d’abord parce qu’ils adoptent l’erreur primordiale de tout ce système, l’agnosticisme :cette idée que l’on ne peut rien découvrir de certain, à l’aide de la raison, concernant les grandes questions métaphysiques. Ils font leur également la seconde erreur primordiale du système moderniste, qui est la conséquence de la première : l’immanence vitale, c’est à dire l’idée que le fait religieux trouve son origine dans un sentiment intérieur de l’homme, sorti du plus profond de son subconscient, au lieu de se baser sur des faits objectifs et des certitudes rationnelles (puisque selon l’agnosticisme nous ne sommes pas capables de les atteindre), et donc que les dogmes religieux changent et évoluent de la même manière que les émotions et les « besoins » de l’homme évoluent. Ainsi la foi n’est plus un acte de l’intelligence qui adhère à toutes les vérités révélées par Dieu : sortie du cœur de l’homme, expression du « besoin de Dieu » subconscient, la foi est un sentiment. Voici en quoi réside le modernisme, qui contient en germe toutes les hérésies possibles et imaginables (puisqu’il nie l’objectivité et la stabilité de la vérité), qui ruine de fond en comble tous les dogmes de la foi catholique.
C’est ainsi que l’on voit le journal La Croix, qui rappelons-le, a toute la confiance de l’épiscopat français [1], on voit donc ce journal publier deux tribunes contre le livre du duo Bolloré-Bonassies, aussi invraisemblable que cela puisse paraître à quelqu’un qui n’a pas encore compris l’état du monde catholique depuis Vatican II. « La Croix » n’est pas simplement un journal marginal qui exprime les conclusions d’un petit groupe de personnes qui se prétendent catholiques. C’est un journal qui représente de facto l’état de la pensée religieuse « catholique » majoritaire en France. On pourra toujours dire que ces « tribunes » ne sont pas l’avis du journal mais simplement de ceux à qui l’on donne la parole, mais force est de constater que ces prises de paroles sont exclusivement au service d’une vision « progressiste » de l’Eglise et du catholicisme. La Croix est actuellement le cinquième journal d’information de France par le nombre de ses abonnés. Les journaux catholiques de sensibilité plus conservatrice sont, a contrario, beaucoup plus discrets et beaucoup moins proches du haut clergé. Si certains « conciliaires conservateurs » prennent la liberté de dire que La Croix est un journal hérétique et blasphémateur, comment ceux-ci expliquent-ils que l’épiscopat, ou même la papauté, ne fasse absolument rien pour le censurer et continue de lui accorder des entretiens ? Ils s’illusionnent complètement sur l’état actuel de l’autorité dans l’Église. La vérité est que « l’autorité » actuelle n’est pas du tout gênée que le premier « journal catholique » de France vomisse du modernisme à longueur de journée. Au mieux, ils sont des libéraux et estiment – même s’ils ne sont pas d’accord avec le modernisme du journal – que chacun doit pouvoir exprimer ses opinions librement et que La Croix a sa place dans le grand concert du débat d’idées. Au pire, ils sont eux-mêmes des modernistes et adhèrent de manière plus ou moins assumée à tout ce que dit La Croix. En sens contraire, on n’a jamais vu un « évêque » ou un « pape » conciliaire prendre franchement position contre eux, ou même simplement leur demander de ne plus se présenter comme un journal catholique.
L’enseignement de saint Pie X contre le modernisme
Prenons simplement le temps de comparer, d’une part, l’enseignement du pape saint Pie X contre le modernisme à travers deux brefs extraits de son magistère, d’autre part les propos tenus dans les tribunes du journal La Croix. Le premier article du serment antimoderniste, que tous les enseignants catholiques devaient prêter suite à la promulgation du motu proprio Sacrorum antistitum (1er septembre 1910), porte précisément sur le fait que l’existence de Dieu est prouvée par des arguments rationnels :
« Et d’abord, je professe que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être certainement connu, et par conséquent aussi, démontré à la lumière naturelle de la raison « par ce qui a été fait » Rm 1,20, c’est-à-dire par les œuvres visibles de la création, comme la cause par les effets. »
Le sixième paragraphe de l’encyclique Pascendi (8 septembre 1907) décrit ainsi le versant philosophique du modernisme :
« (…) les modernistes posent comme base de leur philosophie religieuse la doctrine appelée communément agnosticisme. La raison humaine, enfermée rigoureusement dans le cercle des phénomènes, c’est-à-dire des choses qui apparaissent, et telles précisément qu’elles apparaissent, n’a ni la faculté ni le droit d’en franchir les limites ; elle n’est donc pas capable de s’élever jusqu’à Dieu, non pas même pour en connaître, par le moyen des créatures, l’existence : telle est cette doctrine. D’où ils infèrent deux choses : que Dieu n’est point objet direct de science ; que Dieu n’est point un personnage historique. »
La Croix relaye une tribune écrite par un certain Raphäel Duqué, astrophysicien, et une autre tribune de Thierry Magnin l’ancien porte-parole de la conférence des évêques de France entre 2019 et 2020, et actuel président recteur délégué de l’université catholique de Lille : une illustration parmi d’autres de ce que nous disions sur les liens entre La Croix et le haut clergé conciliaire.
Agnosticisme et immanentisme en bonne et due forme
Voici quelques extraits la première tribune, de Raphël Duqué (3 janvier 2022) [2] :
« Mais cette preuve [la preuve de Dieu par le mouvement] ne peut pas satisfaire les croyants ! Ce grand horloger qui a lancé le big bang et calcule les constantes fondamentales de la physique, est-il le Dieu de miséricorde qui est descendu sur la Terre et a souffert la Passion pour le pardon des péchés ? Évidemment, personne n’y croit.
Certes, penser à l’harmonie de l’univers ou à Dieu comme primum mobile peut conforter les croyants dans leur foi, mais les arguments cosmologique et téléologique sont des impasses spirituelles, ils n’aident pas à avancer sur un chemin de foi dans le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
Cette impasse spirituelle en cache en fait une autre, logique cette fois : l’existence de Dieu ne peut pas être un objet de science. Comme nous l’enseigne Karl Popper, ne sont scientifiques que les énoncés qui sont falsifiables, c’est-à-dire que l’apport de nouvelles expériences pourra infirmer. Ainsi avance la science : par falsification et raffinement progressifs de son contenu. Cela exclut de la science, par principe, nombre d’énoncés, dont l’existence de Dieu. Se tourner vers la science pour prouver l’existence de Dieu est donc une double impasse, d’ailleurs bien connue. »
Selon la tribune de La Croix donc, « évidemment », personne ne croit que le Dieu de la Révélation chrétienne est la cause première, le premier moteur de l’univers. La démonstration de l’existence de Dieu par ce que l’auteur appelle l’argument téléologique (preuve de Dieu par l’ordre du monde) et l’argument cosmologique (preuve de Dieu par le mouvement) est une impasse spirituelle. Et en guise de cerise sur le gâteau la tribune nous offre une négation explicite, en bonne et due forme, de l’enseignement de saint Pie X contre le modernisme philosophique : « l’existence de Dieu ne peut pas être un objet de science ». (Pascendi : les modernistes disent « que Dieu n’est point un objet direct de science »). Elle cite au passage l’agnostique Karl Popper, qui on ne sait comment s’est imposé comme la « référence ultime » en philosophie des sciences, alors que sa philosophie aboutit à dire qu’une chose n’est pas scientifique si elle est certaine, que la science exclut la certitude absolue … le monde marche sur la tête. Karl Popper est à présent devenu une autorité philosophique plus respectable pour ces gens que saint Thomas d’Aquin et saint Pie X. Cela n’empêche pas l’auteur de dire, la ligne suivante, que la foi et la raison doivent se soutenir harmonieusement : ce qui permettrait à ceux qui voudraient défendre l’orthodoxie de La Croix et de M. Duqué de dire « mais il rappelle l’enseignement catholique, vous ne restituez pas l’intégralité de son propos ». Dans l’encyclique Pascendi pourtant, saint Pie X décrit cet étrange comportement « oscillatoire » comme typiquement moderniste :
« Ce qui jettera plus de jour encore sur ces doctrines des modernistes, c’est leur conduite, qui y est pleinement conséquente. À les entendre, à les lire, on serait tenté de croire qu’ils tombent en contradiction avec eux-mêmes, qu’ils sont oscillants et incertains. Loin de là : tout est pesé, tout est voulu chez eux, mais à la lumière de ce principe que la foi et la science sont l’une à l’autre étrangères. Telle page de leur ouvrage pourrait être signée par un catholique : tournez la page, vous croyez lire un rationaliste. »
Il faut dire que pour le présent article, on n’a pas souvent l’impression qu’il pourrait être signé par un catholique. L’auteur va jusqu’à dire que « proposer la manifestation de Dieu dans la nature comme preuve de son existence est un matérialisme ». Défendre les preuves de l’existence de Dieu est donc impasse spirituelle matérialiste, qui nous prive de toute vie spirituelle intime et fructueuse. L’auteur nous gratifie également d’une profession assez explicite d’immanentisme religieux : « Leur ouvrage propose un discours scientifico-mystique qui dessert ensemble la science, soudain privée de ses principes et de son objet, et la foi, soudain retirée du domaine du cœur de l’homme. » Le domaine de la foi est donc à présent le « cœur de l’homme », au lieu d’être son intelligence comme l’enseigne le catéchisme de saint Pie X. Nous nous rapprochons donc des définitions posées au début de l’article : suivant l’immanentisme moderniste, la foi se définit essentiellement comme un sentiment.
Les rédacteurs de La Croix croient-ils à la toute-puissance de Dieu ?
La seconde tribune [3] tient un propos semblable à la première : il ne faut pas mélanger la science et la foi, le Dieu de la Révélation ne doit pas être confondu avec le « dieu des philosophes », intelligence ordinatrice et premier moteur de l’Univers. Mais elle a ceci de plus intéressant qu’elle émane d’une figure plus « officielle » du monde conciliaire, quelqu’un qui a occupé et occupe encore aujourd’hui des responsabilités au plus haut niveau de la hiérarchie, et pas d’un simple professeur de physique qui s’exprimerait à titre personnel.
En plus des relents d’agnosticisme et d’immanentisme auquel nous sommes déjà habitués, cette tribune comporte également une dimension que nous n’aurions pas soupçonné même venant de la part de modernistes : on y trouve l’idée que Dieu n’a pas tout créé, que présenter Dieu comme le créateur et ordinateur tout-puissant de l’univers est une erreur, et qu’Il attend de la part des hommes qu’ils « achèvent la création ». Cela n’en a pas l’air à première vue, mais c’est au mieux une formulation poétique très maladroite, au pire une hérésie abyssale : Dieu seul est créateur, les hommes agissent librement mais ne « créent » rien à proprement parler. Dieu est tout-puissant, et a tout créé à partir de rien : est-ce bien évident pour La Croix et ses différents rédacteurs ?
L’introduction donne le ton : « Pour le théologien et physicien Thierry Magnin, le livre Dieu, la science, les preuves de Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonnassies (Guy Trédaniel, 2021) prends le risque de confondre les domaines de la science et de la foi, et de faire de Dieu un fabricant tout-puissant de l’univers » : le livre prend le « risque » de faire de Dieu le créateur tout-puissant ? Voilà qui est étonnant. Parler de la toute-puissance de Dieu est à présent un « risque » comme s’il s’agissait d’une erreur théologique dangereuse.
L’article contient un propos ambigu aux accents agnostiques : il déplore le fidéisme, séparation étanche entre la foi et la raison. Il déplore le matérialisme, négation de toute transcendance. Mais il déplore également l’idée de dire que les sciences permettent de donner des principes et des démonstrations qui prouvent l’existence de Dieu. Le scientisme qui affirme qu’on est certain que Dieu n’existe pas est une erreur ; mais dire que les différentes sciences nous apportent des preuves que Dieu existe est l’erreur opposée ! L’article insiste, de manière étrange, sur l’idée que « Dieu n’est pas un fabricant », « Dieu n’est pas un grand horloger » : il a « créé un monde inachevé, que les créatures doivent continuer ». C’est un langage pour le moins troublant : il est vrai que Dieu laisse les hommes libres de se déterminer suivant leurs actes volontaires (et il les jugera en conséquence) ; mais philosophiquement parlant, l’homme ne « créé » rien : dans la philosophie catholique, la création proprement dite consiste à « tirer quelque chose du néant », à donner l’existence à quelque chose qui ne l’avait pas. Cet acte appartient uniquement et radicalement à Dieu. Lorsque les hommes « créent » des objets, ils ne partent pas du néant : ils ne font qu’assembler ensemble des choses qui ont déjà reçu de Dieu l’existence. L’auteur laisserait donc entendre que Dieu n’a pas « tout créé », contrairement à ce que proclame le credo de Nicée (Credo in unum Deum … factorem ceali et terrae, visibilium omnium et invisibilium) soit qu’il ne le veuille pas, soit qu’il ne le puisse pas …
L’article finit sur une déclaration qui relève de l’art oscillatoire des modernistes dont parlait saint Pie X et que nous trouvions déjà dans la première tribune :
« La science ne prouve pas l’inexistence de Dieu, et en cela, le livre a raison. Mais l’inverse est vrai aussi : la science ne prouve pas plus l’existence de Dieu. D’ailleurs quelle serait la foi en un Dieu dont on aurait la preuve scientifique ? Ce ne serait pas la foi… En revanche, nous devons savoir rendre compte de notre foi avec des arguments rationnels, notre raison, dans le contexte des découvertes scientifiques notamment. Parler de l’intelligence du Dieu créateur. Être croyant n’est pas irrationnel. »
Donc : le matérialisme n’est pas rigoureux intellectuellement, la foi et la raison sont harmonieusement ordonnées l’une à l’autre, la foi doit se défendre avec des arguments rationnels, MAIS : aucune science ne prouve l’existence de Dieu (principe central auquel tiennent les modernistes, selon Pascendi), et si l’existence de Dieu était scientifiquement prouvée, « la foi ne serait plus la foi ». Ce propos semble ignorer que la certitude de l’existence de Dieu est un préambule de la foi : comment peut-on croire aux vérités révélées par Dieu, si on n’est pas déjà convaincus qu’il existe un Dieu ? Ce propos semble enfin rejoindre les postulats de l’immanentisme : puisque Dieu ne peut pas être objet de science, il n’est alors qu’objet de foi. Puisque la foi ne se base pas sur des certitudes indiscutables, elle se base sur le sentiment intérieur de l’homme.
Peut-être que l’auteur s’est mal exprimé et voulait dire que Dieu ne peut pas être connu certainement sur la base des conclusions des sciences expérimentales comme la physique ou la chimie, comme si l’on pouvait décrire la « formule chimique » de Dieu : ces sciences étudient la matière, alors que Dieu est immatériel, donc il ne faut pas s’attendre à ce qu’elles décrivent Dieu. Mais à aucun moment l’auteur n’affirme clairement que Dieu peut être objet de science, entendu que la métaphysique est véritablement une science et qu’elle nous apprend des choses certaines sur Dieu. Le propos général va donc dans le sens de l’agnosticisme et de l’immanentisme qui prétendent que l’existence de Dieu ne se connaît, en dernière instance, que par l’expérience intime et personnelle de l’homme mu par le besoin du divin. Et au sens strict, une telle chose relève du modernisme.
L’archevêque de Poitiers … ne croit pas à la toute-puissance de Dieu.
Nous posions plus haut la question : les rédacteurs de La Croix croient-ils à la toute-puissance de Dieu ? Puisqu’apparemment, le fait que le livre du duo Bolloré-Bonassies présente Dieu comme le créateur tout-puissant et l’intelligence ordinatrice de l’univers est un « risque », une « impasse spirituelle », et « personne ne croit » que ce Dieu soit le Dieu de la Révélation chrétienne.
En continuant notre investigation, nous trouvons notre réponse dans un autre article du même journal, destiné cette fois à lutter contre le danger du « cléricalisme », publié le 30 décembre 2021 et signé par « l’archevêque » conciliaire de Poitiers Mgr Wintzer [4].
TRIBUNE. Pour Mgr Pascal Wintzer, archevêque de Poitiers, le cléricalisme s’appuie sur une vision particulière de Dieu, « un Dieu qui a réponse à tout, qui résout les problèmes comme par magie ». Une idée incompatible avec le Dieu de la Bible, qui à travers Jésus « se remet aux mains des hommes ».
Cette introduction est pour le moins intrigante et ambiguë : Dieu n’a pas « réponse à tout » et se remet « aux mains des hommes » comme s’il y avait un certain nombre de choses qu’il ne pouvait pas faire, et que les hommes avaient plus de pouvoir que Dieu dans certains domaines. La suite de l’article achève de lever l’ambiguïté.
L’auteur explique que le « cléricalisme » fustigé par Bergoglio est issu d’une doctrine précise (il a raison, et c’est déjà un pas vers la vérité que d’admettre que le cléricalisme a des fondements doctrinaux, au lieu d’être simplement une maladie mentale !) et entend nous expliquer pourquoi cette doctrine est erronée. Puis il largue une bombe.
« Dans le catholicisme, comme dans toute religion, ce qui détermine tout le reste c’est Dieu, ou plus exactement l’image que l’on se fait de Dieu. Ainsi, le monothéisme a développé l’image d’un Dieu tout-puissant. Or, la révélation biblique contredit une telle représentation : le Dieu d’Israël n’évite pas au peuple l’exil, la déportation ; même les justes connaissent la persécution. Quant au christianisme, il fait s’agenouiller ses fidèles devant un homme humilié et crucifié, ainsi que devant un petit enfant couché dans une mangeoire. »
Lisons et relisons attentivement. Il y a dans la première partie de la phrase une sorte de déclaration kantienne et immantentiste disant que dans « toute religion » y compris le catholicisme, ce qui détermine tout est « l’image que l’on se fait de Dieu » : non pas ce qu’est Dieu en lui-même, mais « l’image que l’on s’en fait » : l’esprit humain, enfermé dans ses propres représentations et incapable d’accéder au réel au delà des phénomènes sensibles, se fait une « image » de Dieu sans comprendre qui est Dieu réellement, sur la base de son élan vital confus vers le divin. Donc l’image que les hommes se font de Dieu évolue en fonction de leur culture, de leur conscience, de leurs sentiments, des besoins du moment, de toutes sortes d’autres facteurs subjectifs. Donc l’image que le catholicisme se faisait de Dieu pendant les siècles qui ont précédé Vatican II était fausse. Donc la religion d’avant Vatican II (le « cléricalisme ») était fausse, puisque « tout le reste dépend » de la vision que l’on se fait de Dieu : ceci est, au minimum, sous-entendu par l’auteur, si ce n’est pas ce qu’il affirme franchement dans ce passage.
« Ainsi, le monothéisme a développé l’image d’un Dieu tout-puissant » : donc la toute-puissance de Dieu n’est pas une réalité objectivement fondée, mais le sentiment des hommes d’un certain temps, d’un certain lieu et d’une certaine époque concernant le divin. « Or, la révélation biblique contredit une telle représentation » : nous lisons bien : selon Mgr Wintzer, la révélation biblique contredit l’idée que Dieu est tout-puissant. Difficile de penser qu’un homme qui se prétend membre de l’Eglise enseignante ait pu écrire une chose pareille. Puis ensuite il veut prétendre que la crucifixion et l’incarnation sont des preuves que Dieu n’est pas tout-puissant ! On se demande quelle est la religion de ces gens : certainement pas le catholicisme.
Mais l’auteur ne s’arrête pas là, il insiste toujours plus.
« Pour un couple, une famille, la venue d’un enfant bouscule, dérange, ainsi la naissance de cet enfant si particulier, Jésus, le Fils de Dieu. Il bouleverse Hérode, jaloux de son petit pouvoir… Il bouleverse des hiérarchies : les bergers sont les premiers à la crèche. Plus profondément encore, il bouleverse l’idée que l’on se fait de Dieu : un Dieu puissant, un Dieu qui résout les problèmes, un Dieu magique. La philosophie s’est interrogée sur cette puissance de Dieu ; la réponse est donnée par ce que dit Dieu de lui-même : un petit enfant, fragile, et qui, devenu adulte le restera, jusqu’à la croix. »
Double énormité ici. Premièrement, l’idée que « la philosophie s’est interrogée sur cette puissance de Dieu » et a échoué à trouver la vérité à ce sujet : Aristote, Platon, saint Augustin, saint Thomas d’Aquin n’ont donc rien compris à Dieu. Deuxièmement, l’idée que la révélation réfute la philosophie (sous-entendu la philosophie scolastique, haïe comme l’enfer par les modernistes) et nous prouve qu’en réalité Dieu est faible et limité. Selon ce moderniste donc, Jésus « bouleverse l’idée que l’on se fait de Dieu » en prouvant que Dieu n’est pas tout-puissant.
L’auteur enfonce le clou une dernière fois contre la philosophie scolastique en déclarant que « le cléricalisme, parce qu’il isole certains, parce qu’il en fait des êtres hors de l’humanité ordinaire, choisit le Dieu des philosophes et non celui d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. » Il y a donc pour l’auteur une différence ontologique entre le « Dieu des philosophes » et le Dieu de la Révélation : n’est-ce pas exactement le même propos que l’on trouvait dans la tribune contre le livre sur l’existence de Dieu ? Pour ces modernistes, le Dieu de la révélation n’est pas le Créateur tout-puissant de l’Univers. Il est autre chose. Quoi exactement, on ne sait pas, mais on sait qu’il est tout sauf le Dieu « froid et calculateur » de saint Thomas : les modernistes disaient exactement la même chose à l’époque de saint Pie X.
L’auteur nous « achève » enfin en expliquant que malgré le fait que Dieu ne pose « aucune exigence a priori de pureté rituelle ou morale » pour être approché, il est pourtant nécessaire de se « convertir de manière continuelle » : certes oui il faut se convertir, « car sans cesse nous retombons dans la tentation de conformer Dieu à nos attentes, qu’elles soient personnelles, familiales, claniques ou sociales ». Sous-entendu : il faut se convertir du cléricalisme parce qu’il relève d’un désordre consistant à conformer Dieu à nos attentes personnelles, familiales, claniques ou sociales ! Voici ce que dit l’auteur : les cléricaux veulent que Dieu soit tout-puissant, et la révélation les réfute ! Son propos sur la conversion englobe quelque chose de plus général que le cléricalisme, mais il l’inclut et vu ce qui a été dit auparavant, sur le fait que le cléricalisme est une « vision d’un Dieu tout-puissant » erronée, basée sur les désirs de l’homme, il faut clairement comprendre sa conclusion comme un « appel à la conversion des cléricaux ». Pour employer un mot hébreu, ce qui saura plaire à ces amis d’Israël : quelle chutzpah !
Conclusion. Une nouvelle religion agnostique.
Ces articles montrent de manière particulièrement frappante, s’il y en avait encore besoin, qu’il existe bien une « nouvelle religion conciliaire », dont la base intellectuelle est le modernisme condamné par saint Pie X. Ceux qui interviennent dans les tribunes du journal La Croix pour parler de l’existence de Dieu, fussent-ils des « prélats catholiques », ont une religion complètement différente de la religion catholique, dans laquelle Dieu n’est pas connaissable par la raison (il n’est pas objet de science), et n’est pas tout-puissant non plus (c’est une fausse idée de Dieu qui serait démentie par la Révélation). La démarche apologétique de Michel-Yves Bolloré et Olivier Bonassies leur semble incongrue, voire dérangeante : pour eux, Dieu n’a pas à faire l’objet de démonstrations et de réflexions logiques, il n’a pas à faire l’objet de définitions philosophiques. Mieux encore, les philosophes « se sont trompés sur Dieu » en le présentant comme le créateur tout-puissant de l’univers, d’après Mgr Wintzer.
Nous ne pouvons qu’encourager ceux qui veulent sincèrement observer la religion catholique et la défendre contre l’agression moderniste à se former davantage sur l’apologétique, la science qui démontre par la raison la vérité de la religion chrétienne. Le livre récemment publié peut faire partie des choses utiles à lire pour comprendre que l’opposition entre « la science » et la foi, comme si les deux appartenaient à un univers différent, est une idée complètement factice et malhonnête, et qu’au contraire la science (qui étudie la création) sert la foi (parce qu’elle montre la puissance et la sagesse du Créateur de toutes choses).
Jean-Tristan B.
[1] Par exemple, le président de la conférence épiscopale a récemment accordé une interview au journal : https://www.la-croix.com/Religion/Mgr-Moulins-Beaufort-valeurs-chretiennes-sont-moins-defendre-qua-choisir-2022-01-18-1201195481
Paul VI a affirmé, à l’occasion de la publication de sa lettre Sabaudiae Gemma (1967), lors du 400ème anniversaire de la naissance de Saint François de Sales :
Vous connaissez certainement ce saint. C’est l’une des plus grandes figures de l’Église et de l’Histoire. Il est le protecteur des journalistes et des publicistes parce qu’il rédigea lui-même une première publication périodique. Nous pouvons qualifier d’« œcuménique » ce saint qui écrivit les controverses afin de raisonner clairement et aimablement avec les calvinistes de son temps. Il fut un maître de spiritualité qui enseigna la perfection chrétienne pour tous les états de vie. Il fut sous ces aspects un précurseur du IIe concile œcuménique du Vatican. Ses grands idéaux sont toujours d’actualité.
Cette proclamation est évidemment fallacieuse. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer l’enseignement de Vatican II sur l’œcuménisme avec l’enseignement de l’Église catholique prêché et suivi par saint François de Sales.
Vatican II et l’oecuménisme
Le document Unitatis Redintegratio (1964), ou Décret sur l’Œcuménisme, contient une hérésie flagrante contre le dogme catholique qui enseigne que hors de l’Eglise il n’y pas de salut. Le Concile affirme :
En conséquence, ces Églises et communautés séparées, bien que nous croyions qu’elles souffrent de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut, dont la vertu dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Église catholique.
Unitatis Redintegratio, n. 3
L’Eglise catholique enseigne comme un dogme qu’il n’y a pas de salut hors de l’Eglise. Le Concile affirme la proposition exactement contradictoire au dogme catholique, à savoir qu’il y a un salut hors de l’Eglise catholique, que ces religions non-catholiques peuvent procurer le salut à leurs adhérents, et sont en effet le moyen par lequel ceux-ci sont sauvés.
L’Œcuménisme découle donc essentiellement d’une erreur sur la nature de l’Église. Selon cette fausse théorie, les « églises séparées » (schismatiques et hérétiques) font encore partie de l’unique Église du Christ et participent à ce titre à la communion des saints. Ces communautés séparées, imparfaitement unies à l’Église catholique, n’en seraient pas moins porteuses de grâces et de vérités pour le salut. Par conséquent, elles procureraient aussi le salut. En réalité, L’Église catholique est l’unique et véritable Église de Jésus Christ, seule détentrice et dispensatrice de la doctrine et des moyens du salut. Il est impossible de se sauver en dehors d’elle. Certaines personnes de bonne volonté, sans être des membres visibles de l’Eglise catholique, peuvent être implicitement membre de l’âme de l’Église. Pour cela, il doivent avoir une volonté droite et ignorer de manière non-coupable les vérités de la foi, comme l’enseigne Pie IX. Mais alors ils se sauvent malgré leur religion et pas grâce à celle-ci, comme si elle contenait des « moyens de salut ».
Il existe, bien sûr, ceux qui se trouvent dans une situation d’ignorance invincible concernant notre très sainte religion. Observant avec sincérité la loi naturelle et ses préceptes que Dieu inscrit sur tous les cœurs, prêts à obéir à Dieu, ils mènent une vie honnête et droite, et peuvent, avec l’aide de la lumière et de la grâce divine, acquérir la vie éternelle. Car Dieu voit parfaitement, il scrute, il connaît les esprits, les âmes, les pensées, les habitudes de tous, et dans sa bonté suprême et sa clémence il ne permet point qu’on souffre les châtiments éternels sans être coupable de quelque faute volontaire.
Pie IX, Quanto conficiamur, encyclique à l’épiscopat italien, 10 août 1863 ; DENZINGER (1957) 2865
L’œcuménisme a par exemple conduit à la déclaration doctrinale de Balamand (1993) signée par Jean-Paul II, dans laquelle on peut lire :
L’Église catholique et l’Église orthodoxe se reconnaissent mutuellement comme Églises sœurs et responsables ensemble du maintien de l’Église de Dieu dans la fidélité au dessein divin, tout particulièrement en ce qui concerne l’unité.
Documentation Catholique 90, 1993, 711-714
C’est ce qui faisait dire à ce même Jean-Paul II, apôtre zélé de l’œcuménisme :
Par la grâce de Dieu, ce qui appartient à la structure de l’Eglise du Christ n’a pourtant pas été détruit, ni la communion qui demeure avec les autres Eglises et Communautés ecclésiales
Ut Unum Sint, 1995, n.11
S’il y a plus d’éléments d’unité que d’éléments de division entre l’Église catholique et les groupes hérétiques et schismatiques, pourquoi se faire la guerre ? Si ces groupes procurent aussi les moyens de salut aux âmes, pourquoi être catholique ? Pourquoi se convertir ? Rien ne presse en effet, il suffit de faire le vœu pieux que dans un lointain futur, si par miracle les volontés et les cœurs s’y résolvent, ces « Églises sœurs » se réuniront toutes un jour ! En attendant, chacun est libre de choisir celle qui lui plaît le plus, pourvu qu’il ne lance aucun anathème sur ses frères et qu’il se refuse à tout prosélytisme, quand bien même il serait bien intentionné et convaincu d’avoir raison. C’est une forfaiture empreinte de lâcheté faite sous couvert de bienveillance et d’amour. C’est un refus de prendre en compte la réalité (nous avons une fin dernière objective, il faut l’atteindre par les bons moyens), ce qui exigerait trop de responsabilité. C’est se complaire dans une union factice et hypocrite qui apaise la conscience et permet de se reposer en abandonnant l’effort pour le bien et le zèle pour le salut des âmes. Ce fût exactement l’attitude du « bon pape »… Jean XXIII alors qu’il était encore Mgr Roncalli (extrait de « Un œcuméniste dans les Balkans (1925-1939) », par M. l’abbé Francesco Ricossa) :
Le Père Tanzella rapporte le cas du journaliste bulgare Etienne Karadgiov. “Orthodoxe”, il s’était présenté à Mgr. Roncalli pour être aidé à poursuivre ses études. Karadgiov nous dit :
« II m’accueillit avec beaucoup de bonté, m’écouta attentivement, et me dit : “très bien, mais on ne doit pas heurter la susceptibilité des orthodoxes. Ils ne doivent pas penser que nous autres les catholiques nous venons ici dans le but de faire du prosélytisme, de vouloir attirer la jeunesse. Les orthodoxes sont nos frères, et nous voulons vivre en harmonie avec eux. Nous nous trouvons dans ce pays pour montrer notre amitié à ce peuple et l’aider. Si tu veux donc étudier en Italie, tu dois d’abord demander l’autorisation à l’Église orthodoxe à laquelle tu appartiens”. J’écrivis, et la réponse fut négative. Mgr. Roncalli jugea opportun de m’envoyer en Italie par l’intermédiaire de l’œuvre Pro Oriente qu’il avait lui-même fondée avec Mgr. Francesco Galloni. L’œuvre avait pour but de financer le séjour en Italie des jeunes catholiques bulgares désirant acquérir des diplômes en ce pays. Moi, j’étais orthodoxe, et Mgr. Roncalli, qui de par sa position ne figurait pas comme fondateur de l’œuvre, fit pour moi une exception. “Un jour viendra, où les diverses Églises seront unies ; ce n’est qu’en s’unissant pour combattre les maux du monde, me dit-il, qu’elles pourront espérer gagner”.
J’ai ensuite étudié en Italie, où j’eus comme camarades d’études et d’internat les parlementaire Bettiol et Fanfani. Mgr. Roncalli suivait de loin mes études, comme si j’avais été son propre fils. Lorsque je parvins à la dernière année, il m’écrivit : “Si tu reviens en Bulgarie avec le diplôme d’une université catholique, comment vas-tu faire pour trouver un emploi ? Tes concitoyens sont presque tous orthodoxes, et ils ne vont pas avoir une grande sympathie pour toi. Je te conseille par conséquent de te présenter dans une Université laïque”. II écrivit au Père Gemelli, recteur de l’Université catholique de Milan, et je passai à Pavie où j’obtins le diplôme.
Entre-temps, j’avais décidé de devenir catholique. Je lui fis part de ma décision, et il me dit : “Mon fils, ne sois pas pressé. Réfléchis. Tu auras toujours le temps de te convertir. Nous ne sommes pas venus en Bulgarie pour faire du prosélytisme” »
Le Père Tanzella rapporte cet épisode comme s’il s’agissait de nouveaux fioretti de St. François. Des fioretti, certes, mais au contraire, dans lesquels la dernière recommandation du Christ : « Allez, enseignez toutes les nations… » n’est pas considérée comme valide. “Il y a toujours le temps” pour entrer dans l’Église, vivre en grâce de Dieu, quitter le schisme et l’hérésie… car un successeur des Apôtres n’est pas envoyé dans le monde “pour faire du prosélytisme” (c’est-à-dire pour convertir), mais pour laisser les âmes dans les ténèbres de l’erreur : voici le nouveau credo œcuméniste de Mgr. Roncalli.
Fidèle à cette lâcheté et infidèle à Jésus-Christ, Bergoglio, quelques années avant d’installer une statue de Luther au Vatican (en 2017, à l’occasion des 500 ans de la réforme), s’exprimait en ces termes auprès de son ami Eugenio Scalfari (journaliste athée du journal La Reppublica) qui retranscrit l’entretien (numéro du 1er octobre 2013) :
Le Pape entre et me serre la main, nous nous asseyons. Le Pape sourit et me dit : « Certains de mes collaborateurs qui vous connaissent m’ont averti que vous allez essayer de me convertir. »
A ce trait d’esprit, je réponds : mes amis vous prêtent la même intention à mon endroit.
Il sourit et répond : « Le prosélytisme est une pompeuse absurdité, cela n’a aucun sens. Il faut savoir se connaître, s’écouter les uns les autres et faire grandir la connaissance du monde qui nous entoure. Il m’arrive qu’après une rencontre j’ai envie d’en avoir un autre car de nouvelles idées ont vu le jour et de nouveaux besoins s’imposent. C’est cela qui est important : se connaître, s’écouter, élargir le cercle des pensée. Le monde est parcouru de routes qui rapprochent et éloignent, mais l’important c’est qu’elles conduisent vers le Bien« .
L’exemple de saint François de Sales
L’œcuménisme tel que défendu par Vatican II a été condamné par Pie XI dans l’encyclique Mortalium Animos (1928). Mais il n’a pas fallu attendre Pie XI pour que les catholiques croient qu’il n’y a point de salut hors de la communion de l’Eglise catholique et romaine, pour qu’ils croient que l’hérésie est une peste mortelle à extirper par tous les moyens, et que pour convertir les hérétiques et les schismatiques il était erroné et dangereux « d’insister sur ce qui nous unit au lieu de parler de ce qui nous divise » : voyons comment saint François de Sales vivait sa foi sur ce point là.
Alexandre VII, dans sa bulle de canonisation rédigée en 1665, écrit :
« En outre, armé du glaive de la parole divine, il attaqua, par ordre de l’évêque, l’hérésie de Calvin qui régnait dans le Chablais et les pays circonvoisins. Il est impossible d’exprimer avec quelle ardeur, quelle constance, quelle allégresse, quelle ferme confiance en Dieu, quelle inébranlable charité pour le prochain, il a combattu l’hérésie et soumis les errants au joug de la vraie foi. »
(IX)
« Jamais il ne prit conseil de la politique mondaine, ni du respect humain; mais se ressouvenant du conseil de l’Evangile, lorsqu’il ne pouvait pas paraître au grand jour et rendre un témoignage public à la foi, il s’abritait quelques instants dans sa solitude, pour reparaître, après un peu de silence, et s’élever plus vivement que jamais contre l’hérésie. »
(XIII)
« il s’appliqua à la défense de l’Eglise avec plus de soin et de zèle que jamais; et, comme on avait mis des obstacles à ce qu’il travaillât à la conversion des hérétiques par le ministère de la prédication, il se mit à les instruire par écrit, et composa plusieurs petits ouvrages de controverse où il attaquait l’hérésie jusque dans ses derniers retranchements. Il fit tant qu’il parvint à ériger une paroisse à Thonon, et que, peu après, il ramena à la lumière de la vérité plusieurs hommes distingués par leur science, dont l’autorité servait d’un grand appui au mensonge, et dont la conversion contribua beaucoup à la propagation de la religion catholique dans ces contrées. »
(XVIII)
« Elevé à cette nouvelle dignité, qui donnait un surcroît d’autorité à son zèle, il se livra tout entier au soin d’augmenter la religion catholique et de diminuer l’hérésie. »
(XXIII)
Pie IX, en 1877, en élevant saint François de Sales au rang de docteur de l’Eglise, écrit :
« Que la doctrine de François ait été très grandement appréciée de son vivant on le peut encore déduire de ceci : de tous les courageux défenseurs de la vérité catholique qui fleurissaient en ce temps-là, Clément VIII, Notre Prédécesseur de sainte mémoire, ne choisit que le seul Evêque de Genève. Il lui ordonna d’aller trouver Théodore de Bèze, propagateur passionné de la peste calviniste, et d’agir avec celui-ci dans le seul but qu’une fois cette brebis ramenée au bercail du Christ, il en reconduisit beaucoup d’autres. François, non sans péril pour sa vie, s’acquitta si bien de sa mission que l’hérétique, troublé dans son bon droit, confessa la vérité. Pourtant, au regard de son crime et, le jugement de Dieu lui demeurant impénétrable, il s’estima indigne de revenir dans le giron de l’Eglise. »
« Il est également manifeste que lui-même résolut beaucoup de questions avec une abondance de doctrine auprès des Pontifes Romains, des Princes, des Magistrats et de Prêtres, ses coopérateurs dans le ministère sacré. Son succès fut tel que grâce à son zèle, ses exhortations et ses avertissements, ses conseils furent souvent mis en œuvre et c’est ainsi que des contrées entières furent purgées de la corruption hérétique, le culte catholique rétabli et la religion accrue. »
«En outre, pour vaincre l’obstination des hérétiques de son époque et encourager les catholiques il écrivit, avec non moins de bonheur que sur l’ascétisme, le livre des « Controverses » qui contient une parfaite démonstration de la Foi catholique ; puis il écrivit d’autres traités et discours sur des vérités de Foi et aussi son « Vexillum Crucis. » Par de tels écrits il combattit si énergiquement pour la cause de l’Eglise qu’il ramena en son sein une multitude innombrable d’égarés et restaura le Foi de fond en combles sur toute la province du Chablais. »
Il n’y a donc rien de commun entre l’œcuménisme de Vatican II fermement condamné par Pie XI et le zèle tout apostolique dont fit preuve saint François de Sales. L’œcuménisme est une démolition de la vérité et de la foi catholique. Pour ses défenseurs, toutes les confessions chrétiennes ont une certaine légitimité, et donc un droit à prendre place, malgré leurs divergences doctrinales, au sein d’une grande et unique église. L’œcuménisme suppose donc une certaine égalité des différentes confessions. D’un point de vue pratique, c’est renoncer à convaincre et à convertir. « Au mieux » (et c’est déjà terrible), c’est renoncer aux droits de la vérité objective sur tous et s’accommoder d’une union purement extérieure. Au pire, c’est renoncer entièrement à la vérité en retranchant des pans entiers de la doctrine pour créer une nouvelle religion convenable pour tous. L’œcuménisme fait primer l’accord subjectif des hommes ici-bas sur l’adhésion aux vérités objectives de la révélation divine. C’est une forme de naturalisme : refuser notre dépendance envers Dieu et rejeter ses droits pour exalter une union humaine naturelle prétendument suffisante pour le salut. Il se traduit donc nécessairement par le relativisme. En effet, il juge légitimes des vérités contradictoires, en même temps et sous le même rapport. De plus, il nie la possibilité de s’affirmer comme l’unique et véritable Église de Jésus-Christ. Il mène à l’indifférence à l’égard des diverses religions, faisant croire que le salut est possible dans chacune d’elle. A l’inverse, saint François de Sales désirait ramener toutes les âmes égarées dans le giron de l’Église catholique. Il savait que l’Église catholique était l’Église de Jésus-Christ et qu’en dehors d’elle nul ne pouvait se sauver. Il savait que la foi est le socle fondamental sur lequel se bâtit tout l’édifice des vertus surnaturelles qui mènent au vrai Dieu. Il n’a jamais fait d’accommodements sur les principes de la foi, il les a exposés avec zèle et charité. Il n’a jamais jugé qu’un hérétique fût dans son bon droit, encore moins que sa secte était une partie de l’Église de Jésus-Christ. Il n’a jamais, comme Mgr. Roncalli, Wojtyla (Jean-Paul II) ou Bergoglio, refusé de faire du prosélytisme. Il aimait trop les âmes pour cela, il avait un désir trop ardent de leur salut pour accepter qu’elles se perdissent dans la voie de l’erreur et le chemin de la damnation. Il a donc placardé ses écrits contre les protestants sur les murs de Chablais, a fini par convertir la population et a été loué par l’Église pour cela.
6 décembre 2021, Paris. Mgr Eric de Moulins-Beaufort, président de la « conférence des évêques de France » et « archevêque de Reims », reçoit des mains du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin l’insigne de la légion d’honneur. [1]
Moins de deux mois plus tôt, le 12 octobre 2021, Moulins-Beaufort était convoqué par le même Darmanin, sommé de s’expliquer à la suite de ses propos jugés « choquants » sur le secret de la confession, tenus à l’antenne de France Info le 6 octobre : « le secret de la confession s’impose à nous … en cela, il est plus fort que les lois de la république. » [2]
La haine anticléricale des élites de notre pays, habituellement apaisée par les compromissions de Vatican II et de ses défenseurs, a aussitôt resurgi bruyamment. « Il n’y a rien de plus fort que les lois de la République dans notre pays », déclare sèchement le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal [3]. Moulins-Beaufort est aussitôt convoqué par le ministre de l’Intérieur pour clarifier ses propos. Un véritable déluge de condamnations et d’anathèmes a plu sur les propos du président de la conférence épiscopale : beaucoup de personnalités publiques prennent la parole, à commencer par le ministre de la justice Éric Dupont-Moretti qui déclare que le prêtre « doit être condamné » en cas de non-dénonciation de crimes entendus en confession. [4] Des condamnations fermes, malgré le caractère relativement anodin des propos, qui seraient compréhensible même pour des non-chrétiens : est-ce choquant de dire que les chrétiens, en tant que chrétiens, s’estiment tenus de respecter des lois et des obligations qui sont perçues comme supérieures aux simples lois civiles ? Où est donc passé le relativisme et le subjectivisme de ces braves gens ?
Moulins-Beaufort a dans un premier temps tenté d’expliquer que le secret de la confession était reconnu par la loi française comme un secret professionnel, qu’il n’était en rien attentatoire aux lois de la république. Mais cela ne fut pas suffisant pour contenter le gouvernement. S’en est suivi un odieux témoignage de lâcheté et de compromission. Cet homme, qui est censé être la première autorité morale de l’Église de France, n’a même pas été capable de soutenir publiquement cette évidence, qui est que les lois de Dieu et de son Église sont supérieures aux lois de la république. Que sont au juste les lois de la république ? Depuis quand existent-elles ? Qui les a établies, au nom de quoi ? Si l’on veut les rattacher à la Révolution française et à la déclaration des droits de l’homme, elles n’ont que 230 ans et quelques. Que sont en comparaison les lois de Dieu, qui est le créateur tout-puissant et éternel, et de son Église, qui a été fondée par Jésus-Christ il y a presque 2000 ans ? Est-ce qu’un chrétien sincère peut hésiter un seul instant, si on lui demande ce qui est le plus important entre les lois de la république et les lois de l’Église (en l’occurrence le secret de la confession), à répondre que la loi de l’Église est supérieure, et à le répondre une deuxième fois si on le somme de « clarifier ses propos » ? Encore faut-il avoir la vertu théologale de foi pour voir les choses ainsi. Voudrait-on se souvenir, en tant que catholiques, que le secret de la confession est si important dans la vie de l’Église qu’un prêtre l’a défendu au prix de sa vie, et est à présent honoré sur les autels comme un martyr de la foi ? Il s’agit de saint Jean Népomucène (v.1340-1393), torturé puis noyé à Prague sur ordre du roi de Bohême Wenceslas IV, pour avoir refusé de dévoiler les confessions de la reine.
Il aurait pourtant été simple d’expliquer, même de manière conciliante et sans apparaître nécessairement comme un « ennemi de la république », que la vie chrétienne est régie par des obligations morales et des lois qui sont supérieures aux lois terrestres, que les chrétiens sont attachés à respecter l’ordre public et les lois positives tant qu’elles n’entrent pas en conflit avec ces obligations morales supérieures. Parmi ces lois et ces obligations, le secret de la confession figure en bonne place. On ne peut pas demander à un chrétien de violer les lois de l’Église, ou demander autoritairement à l’Église de changer ses lois au gré des nécessités politiques du moment : ce serait, pour l’État, outrepasser ses prérogatives. Il aurait aussi été simple d’expliquer que l’abolition du secret de la confession ne serait pas une solution profitable au bien public et à la lutte contre la pédophilie, car un coupable n’irait jamais se confesser de crimes aussi graves s’il savait qu’il ne peut pas avoir confiance envers le prêtre pour la sauvegarde de sa réputation. De plus, l’absolution d’un péché de cette nature ne peut être donnée que si le pénitent accepte de procéder à une réparation et à une expiation proportionnée à sa faute : il faudrait, en clair, que le pénitent manifeste sa volonté de se livrer aux autorités pour purger la peine qu’il mérite, pour qu’il soit absout de son péché. Cette question du secret de la confession est complètement anecdotique dans la lutte contre les abus sexuels. Si l’on commençait par rappeler clairement à tous ceux qui s’engagent dans le clergé, ou même simplement aux fidèles à qui on n’enseigne bien peu de choses à ce sujet, les exigences rigoureuses de la loi morale concernant le VIème commandement et la pureté des mœurs, ainsi que les châtiments de l’enfer éternel qui menacent ceux qui se comportent suivant leurs goûts dépravés au lieu d’obéir à la loi de Dieu, il y aurait beaucoup moins de scandales de cette nature. Si l’on évitait de faire entrer au séminaire et d’ordonner des hommes notoirement homosexuels ou efféminés, cela changerait aussi les choses étant donné qu’environ 80% des abus sexuels recensés dans le clergé conciliaire sont commis sur des adolescents mâles et pubères. Il y a certainement beaucoup de choses à faire pour empêcher les abus, et abolir le secret de la confession ne fait pas partie des moyens qui seraient utiles dans cette lutte.
Moulins-Beaufort n’a pas tenu un tel discours, pas publiquement en tout cas. Après avoir tenté de jouer la carte du secret professionnel, et avoir essayé d’expliquer que le secret de la confession était ce qui mettait le pénitent en confiance, il s’est couché tout de son long. Il n’a pas eu le courage d’assumer ses propos sur le fait que le secret de la confession est supérieur aux lois de la république. Il s’est plutôt répandu dans des excuses accompagnées de propos évasifs et consensuels, qui laissent entendre aux antichrétiens que des aménagements seraient possibles concernant le secret de la confession. Voyons ces extraits du communiqué de presse de la CEF, consécutif à l’entrevue du 12 octobre :
« Je demande pardon aux personnes victimes et à tous ceux qui ont pu être peinés ou choqués par le fait que le débat suscité par mes propos, sur France Info, au sujet de la confession, ait pris le pas sur l’accueil du contenu du rapport de la CIASE et sur la prise en considération des personnes victimes. »
« Mgr Éric de Moulins-Beaufort a pu évoquer avec M. Gérald Darmanin la formulation maladroite de sa réponse sur France Info mercredi dernier matin. L’état a pour tâche d’organiser la vie sociale et de réguler l’ordre public. Pour nous chrétiens, la foi fait appel à la conscience de chacun, elle appelle à chercher le bien sans relâche, ce qui ne peut se faire sans respecter les lois de son pays. L’ampleur des violences et agressions sexuelles sur mineurs révélées par le rapport de la CIASE impose à l’Église de relire ses pratiques à la lumière de cette réalité. Un travail est donc nécessaire pour concilier la nature de la confession et la nécessité de protéger les enfants. Mgr Éric de Moulins-Beaufort a tenu à redire la détermination de tous les évêques et, avec eux, de tous les catholiques, à faire de la protection des enfants une priorité absolue, en étroite collaboration avec les autorités françaises. »
Communiqué de presse de la CEF, 12 octobre 2021 [5]
Il n’y a là, chacun en conviendra, aucune réaffirmation claire de l’inviolabilité du secret de la confession. Le fait que cette loi de l’Église soit « supérieure à la loi de la république » est à présent une « formulation maladroite ». L’Église doit « relire ses pratiques » à la lumière de la crise des abus sexuels, et faire un travail pour « concilier la nature de la confession et la nécessité de protéger les enfants ». Faut-il avoir l’esprit mal tourné pour lire : nous, évêques de France, serions éventuellement prêts à transiger sur le secret de la confession si l’état le demandait ? Dans le meilleur des cas, les évêques ne comptent pas transiger sur le secret de la confession, mais veulent laisser croire le contraire aux autorités de la république pour avoir temporairement la paix. Quelle veulerie.
Une telle décoration, dans ce contexte, a véritablement quelque chose de honteux. Légion du déshonneur, venant adouber la lâcheté et la trahison de ceux qui usurpent les institutions ecclésiastiques pour diffuser la fausse religion relativiste et laïciste de Vatican II : des hommes mous, sans force, qui ne défendent ce qui reste du catholicisme que lorsque cela n’engage pas leur confort ou leur réputation auprès des antichrétiens, qui sont incapables d’affirmer clairement leur altérité par rapport au monde sans religion, et leur intégrité dans la foi en Jésus-Christ et la défense des droits de son Église (alors que, disait saint Pie X, ce serait le meilleur moyen de gagner le respect des incrédules, et peut-être de les intéresser à la religion, que d’affirmer clairement nos convictions et de montrer à quel point elles sont pour nous un principe de vie). Nous pouvons remercier le gouvernement français et monsieur de Moulins-Beaufort de contribuer à rendre toujours plus évidente la réalité de la situation actuelle de l’Église. Chacun remarquera l’absence totale de commentaire du côté de Rome à propos de cette affaire touchant au secret de la confession, pourtant très lourde d’implications pour l’Église de France et au-delà pour l’Église universelle. Ce n’est pas à l’ordre du jour : on se contente de répéter, à tort et à travers, en demandant pardon à tout le monde, que la lutte contre la pédophilie est une priorité absolue pour l’Église (alors que les témoignages de faiblesse et de lâcheté – nous restons dans le même thème ! -, ou bien de complicité pure et simple, du haut clergé conciliaire dans la gestion des dossiers de pédophilie continuent de se multiplier). François continue de faire le contraire de ce que devrait faire un pape : ou bien en actions, ou bien en paroles, ou bien – comme ici – en omissions. Considérons seulement le contraste entre l’attitude de saint Pie X à l’égard des lois de 1905 en France, et l’attitude de François à l’égard de la persécution ouverte du secret de la confession dans ce même pays : ce n’est manifestement plus le même Esprit, ni la même foi que celle qui animait saint Pie X, qui anime François et ses subordonnés.
Peu de théologien ont acquis une réputation et un renom comparables à celui de Hans von Balthasar dans le monde conciliaire. Il est véritablement une référence et une autorité, et, ce qui nous semble d’autant plus intéressant, il l’est notamment pour les partisans les plus «conservateurs» de Vatican II, qui s’opposent violemment au progressisme : il est connu en effet pour avoir critiqué les dérives de l’église post-conciliaire, et pour avoir fondée la revue de «sensibilité conservatrice» Communio, avec Joseph Ratzinger et Henri de Lubac. Ledit Ratzinger, devenu «Benoît XVI», laisse entendre que ses deux théologiens préférés sont ses amis de longue date von Balthasar et de Lubac. Jean-Paul II était également l’ami personnel de von Balthasar, et lui a offert la dignité cardinalice peu de temps avant sa mort en 1988, pour consacrer son œuvre théologique et lui donner une autorité supplémentaire (comme il l’a fait pour Congar).
Voici ce qu’il dit de lui dans le discours qu’il prononce à l’occasion du «prix international Paul VI» qu’il lui décerne pour sa contribution à la théologie (1984) :
Sa passion pour la théologie, qui a soutenu son engagement dans la réflexion sur les œuvres des Pères, des théologiens et des mystiques, reçoit aujourd’hui une importante reconnaissance. Il a mis ses vastes connaissances au service d’une «intelligence de la foi» capable de montrer à l’homme contemporain la splendeur de la vérité qui émane de Jésus-Christ
Balthasar aurait certainement sa place dans un «top 5» des plus grands théologiens conciliaires (aux côtés de Yves Congar, Henri de Lubac, Joseph Ratzinger et Karl Rahner). Il se distingue de ses collègues précédemment cités par une sorte d’aura de piété et un intérêt particulier pour la mystique ; sa «cause de béatification» a été initiée en 2018 dans le diocèse suisse de Coire.
Or une grande partie de l’immense œuvre de von Balthasar est directement liée aux prétendues visions, révélations et apparitions de son étrange amie Adrienne von Speyr (1902-1967), femme mariée d’origine protestante exerçant la profession de médecin jusqu’en 1954, convertie au catholicisme en 1940 (après avoir été catéchisée par von Balthasar) et revendiquant avoir eu à partir de ce moment des expériences mystiques extraordinaires, une communication quasiment permanente avec l’au-delà. Balthasar était obnubilé par cette voyante : il est allé jusqu’à quitter l’ordre jésuite en 1950, ordre dans lequel il était entré en 1928, pour aller vivre chez von Speyr et son mari, et recueillir quotidiennement le récit de ses expériences mystiques. Il collabore avec elle pendant 27 ans, et vit chez elle pendant 15 ans. Interrogé sur son œuvre, le théologien répond volontiers qu’elle n’est rien par elle-même et que le mérite en revient plutôt à Adrienne von Speyr, chez qui il aurait puisé l’essentiel de sa science des choses surnaturelles. Il a en effet publié environ 60 ouvrages à propos des visions et révélations de von Speyr, dont il est l’unique témoin, dépositaire et commentateur.
Cette manière d’argumenter sur des grandes questions théologiques à partir de visions et de révélations privées, et cette relation «fusionnelle» entre une femme mariée et un prêtre sont tellement singulières et étranges qu’elles suscitent aujourd’hui encore de la méfiance auprès de certains conciliaires, qui n’ont pas tout oublié de la doctrine catholique et de l’esprit de l’Église. Un certain Ralph Martin, professeur de théologie au séminaire du Sacré-Cœur de Détroit (États-Unis), publie en 2014 dans la revue Angelicum un article intitulé «Balthasar and Speyr : First Steps in a Discernment of Spirits». [1] Pour ne pas attaquer trop brutalement cette figure si respectée du monde conciliaire, tant louée et honorée par les «papes», il use de précautions oratoires assez merveilleuses : n’étant pas du tout convaincu de la vérité de la principale thèse de von Balthasar et de von Speyr sur l’impossibilité pratique de la damnation (et à raison, puisque cette thèse contredit au moins l’enseignement ordinaire de l’Église, si elle ne contredit pas formellement certains passages de l’évangile), il propose quelques «réflexions préparatoires», quelques «premiers pas» pour permettre un meilleur «discernement des esprits» sur l’origine surnaturelle des visions d’Adrienne von Speyr et des thèses théologiques qui en sont issues. Pour nous qui ne sommes pas retenus par les mêmes impératifs de respect humain vis à vis des institutions conciliaires, il apparaît que tout ce que rapporte Ralph Martin dans son article est de nature à faire conclure certainement à la fausseté des visions de von Speyr [2]. Nous avons donc un cas d’école de fausses visions et de fausses révélations privées invoquées à l’appui d’une fausse doctrine.
Une doctrine fausse et scandaleuse
Balthasar l’avoue lui-même à demi-mot : cette proposition suivant laquelle la damnation est possible en théorie, mais impossible en pratique (infiniment improbable, suivant les termes que Balthasar reprend à Édith Stein), dont il trouve la confirmation dans les prétendues révélations de Speyr, est le fruit d’un effort visant à concilier l’hérésie de l’apocatastase avec l’enseignement de l’Église. L’apocatastase est une doctrine suivant laquelle à la fin des temps tout sera restauré «dans son ordre originel», ce qui signifie notamment que les démons et les damnés seront pardonnés et participeront à la gloire des bienheureux. Autrement dit, c’est une doctrine suivant laquelle «tout le monde se sauve». C’est une des thèses les plus célèbres d’Origène (185-253), et l’une de celles qui valut à cet auteur d’être anathématisé par le magistère de l’Église catholique, dans le 11e canon du IIe concile de Constantinople (553). Le pape Vigile (537-555) a par ailleurs condamné 9 propositions issues des écrits d’Origène (que l’on peut retrouver dans la compilation de textes magistériels du Denzinger, aux canons 403-410 de l’édition de 1957) ; l’apocatastase est condamnée par le pape en ces termes : «Si quelqu’un dit ou pense que le châtiment des démons et des impies est temporaire, et qu’il prendra fin après un certain temps, ou bien qu’il y aura restauration des démons et des impies, qu’il soit anathème». Les réflexions ultérieures sur l’apocatastase dépassent la simple question du pardon des démons et des damnés pour se concentrer sur la question plus générale du salut universel.
Von Balthasar, fasciné par Origène et en particulier par son eschatologie, veut croire à cette folle doctrine du salut universel, sans pour autant blesser extérieurement l’orthodoxie : il cherche à élaborer un cadre dans lequel on pourrait professer extérieurement l’enseignement de l’Église tout en le minimisant au point de pouvoir croire presque sans concessions à la thèse opposée. Remarquable exercice «d’herméneutique de la continuité» entre Origène et le IIe Concile de Constantinople…
Hans Urs von BalthasarOrigène
Le fait de savoir si le Concile de Constantinople et le pape Vigile condamnent l’apocatastase et les autres doctrines hétérodoxes de l’origénisme est, paraît-il, l’objet de débats ou de réserves entre théologiens et historiens de l’Église : le canon ne précise aucune doctrine particulière, certes, mais il inclut Origène parmi une liste d’auteurs à anathématiser pour leurs doctrines impies ; nous savons par ailleurs que les débats préparatoires à l’ouverture du Concile ont porté entre autres choses sur l’origénisme, et l’origéniste Théodore de Scythopolis a été contraint de se rétracter suite aux anathèmes du Concile. Quant aux anathèmes du pape Vigile, certains font une difficulté du fait qu’ils aient été écrits par l’empereur Justinien, puis ensuite approuvés par le pape sous la pression de l’empereur qui le maintenait auprès de lui à Constantinople. [3] Pour ce qui nous intéresse, la thèse du salut universel est si contraire à l’enseignement ordinaire de l’Église et à la sentence commune des théologiens que le débat sur la nature et la portée de l’anathème de Constantinople et des condamnations du pape Vigile nous semble secondaire, du moins nous n’avons pas besoin d’établir la force et la portée de ces condamnations pour prouver que cette thèse est fausse.
Les partisans de cette thèse répondent pour se défendre des accusations d’hétérodoxie qu’il ne s’agit pas d’une véritable doctrine mais d’une «pieuse espérance», dans le sens qu’il n’est pas certain que tous soient sauvés, mais que l’on peut l’espérer raisonnablement eut égard à la miséricorde de Dieu : pourtant, ils se placent bien sur un terrain spéculatif et rationnel en disant que la damnation de quiconque est «infiniment improbable», ce qui est émettre beaucoup plus qu’un simple souhait, comme Ralph Martin le remarque à juste titre. Y a-t-il une différence sémantique entre le fait qu’il soit «infiniment improbable» que des gens se damnent et le fait qu’il soit «certain» que personne ne se damne ? Non à vrai dire … Et quand bien même il ne s’agirait que d’une espérance, elle n’est pas fondée en raison, on pourrait même déjà dire qu’elle est réprouvée par le magistère ordinaire et universel de l’Église.
Que l’on prenne par exemple des extraits du catéchisme de saint Pie X ou du catéchisme du concile de Trente sur la question de la damnation et des damnés : il serait bien étrange d’affirmer que ces paroles auraient encore du sens si les damnés n’existaient que «en théorie» et pas «en pratique».
Comment seront les corps des damnés ? Les corps des damnés seront privés des propriétés glorieuses des corps des Bienheureux et porteront la marque horrible de leur éternelle réprobation.
Catéchisme de saint Pie X, Chapitre 12, Le onzième article du credo
En quoi consiste le malheur des damnés ? Le malheur des damnés consiste à être toujours privés de la vue de Dieu et punis par d’éternels tourments dans l’enfer.
Catéchisme de saint Pie X, Chapitre 13, Le douzième article du credo
… une prison affreuse et obscure, où les âmes des damnés sont tourmentées avec les esprits immondes par un feu perpétuel et qui ne s’éteint jamais. Ce lieu porte le nom de géhenne, d’abîme ; c’est l’Enfer proprement dit.
Catéchisme du concile de Trente, Chapitre 6
Le sens premier et évident de ces propositions implique l’existence en acte des damnés, pour aujourd’hui et pour les derniers temps. Si les damnés n’existaient qu’en théorie, le catéchisme aurait dû être réécrit au conditionnel : «le malheur des damnés consisterait à, le corps des damnés serait privé de». A moins de considérer que l’Église réserve cet enseignement «exotérique» de l’enfer et de la damnation au plus grand nombre, aux gens qui auraient besoin d’être effrayés pour pratiquer la vertu, et que seul le petit nombre pourrait comprendre l’enseignement ésotérique de l’absence de damnés en enfer … Les pères de l’Église, les saints, les docteurs et les théologiens ont toujours été à peu près unanimes pour dire non seulement qu’il y avait bien des gens en enfer (ce dont personne ne peut raisonnablement douter en lisant simplement l’évangile), mais encore que le plus grand nombre des hommes se damne : si personne ne peut avancer de chiffre ou de pourcentage avec certitude, tous s’accordent pour dire, en conformité avec l’enseignement de Jésus-Christ lui-même dans la parabole des noces, qu’il y a «beaucoup d’appelés mais peu d’élus» (Mat. XXII, 14) : tous les hommes sont appelés au salut et reçoivent de Dieu les grâces nécessaires et suffisantes pour opérer ce salut, mais la plupart ne répondent pas à l’appel et méprisent la grâce de Dieu. Réalité terrifiante que ne dément pas l’expérience quotidienne du monde : l’endurcissement dans le péché est visible partout, jusqu’à l’article de la mort. Et qui meurt endurci dans le péché se damne : on peut espérer qu’un pécheur endurci se soit secrètement repenti avant de mourir par l’effet d’une grâce spéciale, mais on ne peut pas présumer que ce genre de grâces extraordinaires soient fréquentes. Certains théologiens, comme Suarez, espèrent raisonnablement que le plus grand nombre des catholiques se sauve : ce n’est pas encore affirmer que le plus nombre des hommes se sauve, puisque les catholiques n’ont jamais formé plus de la moitié de l’humanité.
L’enfer d’après Brueghel le Jeune
Si l’Église a enseigné partout et toujours, dans son magistère ordinaire, que les damnés existaient réellement, et même qu’il est probable que le plus grand nombre des hommes se damne par obstination dans le péché, cet enseignement est infaillible et il est vain de se perdre dans des rêveries sur une existence «uniquement théorique» des damnés et de la damnation.
Ce n’est pas simplement vain : c’est dangereuxet scandaleux.
Dangereux pour ceux qui y croient : car cela revient à dire qu’ils se croient assurés de leur salut quel que soit au fond leur degré de mérite, ce qui est difficilement dissociable du péché de présomption (selon le catéchisme de saint Pie X, «espérer par présomption se sauver sans mérite» est un des six péchés contre le Saint-Esprit, une faute particulièrement grave donc). Avoir la certitude que l’on aura le degré de mérite suffisant pour se sauver au moment de la mort est en pratique la même chose que de prétendre se sauver sans mérite : dans les deux cas, le salut devient une affaire acquise et sans enjeu, et «la vie continue» sans souci réellement motivé de perfection ou de combat spirituel, sans cette «angoisse du salut» que connaissaient tous les saints (pour eux-mêmes et pour leur prochain), et avec cette espèce de confiance insensée que Dieu ne pourra pas nous refuser le salut quoi que l’on fasse.
Scandaleux pour ceux à qui l’on enseigne cette doctrine : scandaleux au sens premier du terme, c’est à dire occasionnant le péché. Le «petit nombre» des «fervents» qui enseigne et diffuse cette doctrine (ou cette «espérance») du salut universel pourra prétendre qu’elle ne porte pas au laxisme mais plutôt au don généreux de soi à un Dieu si bon et miséricordieux ; pour le «grand nombre» qui entend cet enseignement, nous pouvons être certains que l’effet est tout autre en pratique. Depuis que pour des «motifs pastoraux» les conciliaires se refusent à prêcher sur l’enfer ou diffusent de manière plus ou moins explicite la croyance en un salut facile et universel (croyance très visible dans les cérémonies d’inhumation par exemple), les églises sont vides, les peuples ne croient plus à l’enseignement de l’Église, le nombre des vocations religieuses et sacerdotales est en chute libre : en bref les choses de Dieu ne suscitent plus que de l’indifférence et de la froideur pour le plus grand nombre des baptisés (si déjà ils croient encore en l’existence de Dieu). Il y a évidemment un lien de cause à effet entre ces deux phénomènes : si vous enseignez au peuple, explicitement (en parlant de von Balthasar …) ou insidieusement (en employant une liturgie joyeuse et une prédication naïvement optimiste à tous les enterrements, y compris des enterrements d’apostats ou de personnes ayant commis le suicide – qui sont normalement privées de sépulture ecclésiastique), que Dieu est trop bon pour damner quiconque et que tout le monde se sauve, alors le peuple vivra sans se soucier du respect des commandements de Dieu, puisqu’il n’y a pas de risque réel à les violer, et que le monde est rempli de tentations auxquelles il serait pénible de résister. C’est la voix du démon qui pousse l’homme tenté à commettre le péché en lui insinuant une vision déformée et excessive de la miséricorde de Dieu, nous disent tous les auteurs spirituels : force est de constater que les pasteurs conciliaires sont devenus, bon gré mal gré, la voix du démon pour le peuple dont sontcensés avoir la garde.
Le pape Pie XII a rappelé à plusieurs occasions qu’il était un devoir grave pour ceux qui avaient charge d’âme de prêcher sur l’enfer, et de prêcher sans atténuation et sans fausse délicatesse sur ce sujet si grave et si propre à susciter dans les âmes tièdes ou pécheresses des germes de conversion et de pénitence. Un sujet grave en effet car il y a réellement des gens qui se damnent, et si l’on voulait opposer révélation privée à révélation privée, pour contrer les prétendues révélations d’Adrienne von Speyr, la bataille serait vite gagnée par le grand nombre de révélations et visions des saints concernant l’enfer et le nombre extrêmement grand des damnés. Sainte Thérèse d’Avila répétait à qui voulait l’entendre que la plus grande grâce de sa vie était d’avoir eu une vision de l’enfer et des horribles tourments des damnés, et plus précisément de la place qui lui était réservée en enfer si elle continuait à se complaire dans sa tiédeur. Elle fut pendant des années une religieuse médiocre et mondaine, toute occupée de converser avec la bonne société et de s’en faire admirer ; après avoir mesuré les conséquences possibles d’une conduite aussi légère pour la vie du siècle à venir, elle est devenue une sainte. Quel contraste entre la doctrine des véritables saints et celle de ces étranges visionnaires des temps modernes.
Pourquoi Balthasar s’est attaché à Speyr ?
Voici une citation qui illustre, dans toute sa profondeur, la raison pour laquelle Balthasar s’attache à Speyr, et qui est de nature à alarmer les chrétiens sincères sur les motivations de ce «grand théologien» :
Adrienne von Speyr
«Troughout my patristic studies, what I longed and looked for (…) was a catholicity that excluded nothing (…) only in Adriennes’s theology, I found it.».
«Au cours de mes études patristiques, ce que je cherchais et désirais ardemment … était une catholicité qui n’exclue rien … je ne l’ai trouvée que dans la théologie d’Adrienne».
H.U. von Balthasar, Our Task, 44
Une catholicité, un catholicisme, qui n’exclue rien ? Effectivement, il ne pouvait pas trouver une telle catholicité chez des auteurs vraiment catholiques, et il ne l’a trouvée que chez une fausse visionnaire délirante et peut-être démoniaque, parce que cette attitude de «non-exclusion» radicale n’a rien de catholique et de divin : le bien exclut le mal, la vérité exclut l’erreur, Dieu exclut le démon, la cité de Dieu exclut la cité des hommes. Paroles «manichéennes» et insupportables pour un esprit imprégné des idées modernes, dont la racine est l’agnosticisme, qui veut brouiller ou nier les frontières entre le bien et le mal, entre la vérité et l’erreur. Si le fait de trancher, de définir et d’exclure certaines doctrines ou certaines personnes au profit d’autres était une faute ou un désordre, c’est Jésus-Christ en personne, le maître de vie, qu’il faut accuser de faute ou de désordre. Les paroles de Jésus-Christ sur la géhenne, qui sont effectivement assez «excluantes», n’ont pas plu à Balthasar : il est donc allé se chercher d’autres maîtres selon ses désirs. Il est heureux pour nous de pouvoir disposer d’une citation de lui qui décrive aussi explicitement ses motivations : il a cherché «une catholicité qui n’exclue rien», il ne l’a trouvée que chez une fausse visionnaire. La catholicité de von Balthasar n’exclut rien … sauf la vraie théologie catholique !
Bien que le seul fait que les «révélations» de Speyr contiennent une doctrine fausse et scandaleuse est, de soi, suffisant pour être certain que ses révélations ne sont pas d’origine divine, il est toujours utile de remarquer que ces soi-disant révélations sont entourées d’une foule de signes inquiétants et bizarres qui les privent définitivement de tout crédit. Les informations que nous allons relater sont issues de l’article de Ralph Martin précédemment évoqué, nous ne le citerons pas dans le détail mais les lecteurs pourront s’y rapporter au besoin.
Du merveilleux, du grotesque et du bizarre
Nous pouvons lister un ensemble de choses grotesques ou malsaines dans les récits des visions de Speyr :
Speyr prétendait être quotidiennement en relation avec l’au-delà : on ne connaît pas de saints, même parmi les plus grands visionnaires, qui aient été visités aussi souvent par le Ciel, au point de fournir matière à plus de soixante livres de révélations inédites. Il y a quelque chose de démesuré dans ces proportions. Il n’est d’ailleurs pas rare chez d’autres faux visionnaires d’avoir écrit ou parlé avec autant de profusion et de détail (Valtorta a rempli 122 cahiers, soit près de 15 000 pages manuscrites), ce qui est d’autant plus susceptible d’attirer la curiosité du public. En l’occurrence, Speyr prétendait être en communication quotidienne avec saint Ignace de Loyola, communication si aisée et régulière que Balthasar pouvait par exemple soumettre une question qu’il avait pour saint Ignace à sa voyante et obtenir sa réponse dans la journée, ou dans l’instant qui suivait. C’est pour le moins inhabituel, sinon invraisemblable …
Dans un de ses entretiens, saint Ignace aurait déclaré qu’il avait changé d’avis sur certaines questions spirituelles en discutant avec saint Jean l’évangéliste au Paradis … quelle stupidité ! Comme si les saints, absorbés et réjouis par la vision béatifique, se préoccupaient de débattre et de discourir entre eux comme les hommes le font sur terre. Comme si par ailleurs il y avait le moindre désaccord apparent entre la spiritualité de saint Ignace et la spiritualité contenue dans l’évangile de saint Jean. Le fait d’opposer saint Jean l’évangéliste à la «pensée dominante dans l’Église» est un thème typique du gnosticisme et de l’occultisme : comme saint Jean emploie un langage plus spirituel que les autres évangélistes, donc plus susceptible d’interprétations diverses, les ennemis de la vérité aiment à lui faire dire des choses contraire au magistère de l’Église et aux doctrines communément admises par les théologiens (sans se mettre en peine, d’ailleurs, de concilier les passages qui leurs plaisent chez saint Jean avec d’autres passages du même saint Jean qui les contredisent formellement : seule l’interprétation ecclésiastique de saint Jean est complète et cohérente). Il est plus courant pour des francs-maçons que pour des catholiques d’opposer la «spiritualité johannique» à la «spiritualité ignatienne». Il est d’autant plus étrange, dans ce contexte, que Balthasar prétende avoir quitté l’ordre jésuite pour fonder la «communauté de saint Jean» sur le conseil de saint Ignace de Loyola lui-même (via la voyante Speyr), qui serait devenu «johannique» en discutant avec saint Jean au Paradis … par ailleurs le thème de l’opposition entre «l’Église visible» de Pierre et «l’Église des saints» de Jean et de Marie est un thème central dans la «spiritualité» de Balthasar et de l’institut qu’il a fondé [4] … Difficile de passer à côté de la possible symbolique occultiste de cette posture.
Speyr se serait rendue dans l’âme de certaines personnes pour les consoler : elle aurait pu, en se rendant à l’intérieur des personnes, pénétrer leurs pensées les plus secrètes, et leur suggérer des meilleures pensées depuis l’intérieur de leur âme … voilà jusqu’à quel niveau peut aller l’extravagance et la folie des faux voyants. Il est métaphysiquement impossible qu’une personne humaine entre «dans» une autre âme humaine, ce langage est dépourvu de sens. Certains saints avaient le don de «lire dans les cœurs» des personnes qu’ils rencontraient : cela veut dire qu’ils connaissaient leurs pensées, pas qu’ils rentraient littéralement à l’intérieur d’eux comme le dit Speyr, qui prétendait avoir été transportée à de multiples reprises à l’intérieur de personnes souffrantes, par-delà le monde entier, pour les consoler, ou pour les aider à se confesser … violant au passage le secret de la confession entre le prêtre et le pénitent.
Speyr prétendait avoir retrouvé sa virginité physique : elle serait alors la première dans l’histoire de l’humanité à bénéficier de cet étrange miracle … Mariée à deux reprises, elle a engendré 3 enfants morts-nés. Speyr ne prétend pas avoir retrouvé une «virginité spirituelle» comme dans le cas d’une veuve qui se consacre à Dieu, ou de personnes mariées qui s’accordent entre elles pour faire vœu d’abstinence. Elle prétend avoir retrouvé sa virginité physique, dans le sens par exemple de la Sainte Vierge qui a donné naissance à Notre-Seigneur «sans rupture du sceau de sa virginité» et de l’honneur particulier qui y est associé. A quelle fin Dieu aurait-il restauré la virginité physique d’une personne qui l’a perdue ? En quoi cela pourrait la rendre plus spirituelle, plus humble et plus dévouée à Dieu ? L’effet serait présentement le contraire de l’humilité. Cela la rendrait simplement plus distinguée et plus honorable, dans le sens qu’un honneur spécial est associé aux femmes qui ont consacré leur virginité à Dieu : peut-être que la voyante voulait être associée à cet honneur, bien qu’elle ne le méritait pas…
Outre ces extravagances déjà mentionnées, il est intéressant de remarquer que Speyr a prétendu avoir vécu (ou Balthasar le prétend à propos d’elle) à peu près tout ce qu’il y a de plus extraordinaire dans la vie des grands saints du passé : stigmates, bilocation, radiation de lumière, lévitation, parler spontané en langues étrangères, extases. Pour la plupart des saints ayant vécu ces phénomènes, les témoins sont nombreux et dignes de foi. Pour Speyr, le seul témoin est Balthasar, qui est plutôt un témoin indirect parce qu’il croit sa voyante sur parole lorsqu’elle affirme qu’il lui est arrivée quelque expérience extraordinaire. Au vu de ce qui est mentionné plus haut, chacun saura juger de la crédibilité de ce témoin.
Une relation éminemment malsaine
La première chose qui frappe, à étudier la relation entre Balthasar et Speyr, est la forte intimité qui les unissait : comme nous l’avons déjà mentionné, Balthasar est allé jusqu’à quitter son ordre religieux (acte extrêmement grave et rare dans l’histoire de l’Église : il n’est pas anodin qu’un religieux soit relevé de ses vœux) pour vivre chez sa voyante, quinze années durant. Un prêtre qui vit chez une femme ?
On pourrait tenir comme un principe général qu’il n’est ni prudent ni souhaitable pour un clerc d’entretenir une amitié forte, nourrie par des entretiens intimes quasiment quotidiens, avec une femme. La principale raison du célibat consacré est d’ordre affective : le prêtre, le religieux ou la religieuse, a consacré entièrement son cœur à Dieu. L’état de perfection religieuse n’est possible que dans le célibat, parce que la vie conjugale est remplie d’affections et d’attachements qui, pour être parfaitement légitimes et même nécessaires au bon développement de la vie, empêchent de se consacrer aux choses de Dieu en toute liberté. S’il est possible d’atteindre un haut degré de sainteté en vivant dans le mariage, comme le prouve par exemple la vie de saint Louis, il faut convenir qu’il est plus facile et plus naturel de se sanctifier dans la vie religieuse et le célibat consacré, en n’ayant pas d’autre préoccupation que la gloire de Dieu et le salut des âmes.
Or l’amitié entre personnes du sexe opposé, et en dehors du strict cercle familial, nous parlons ici d’une amitié profonde basée sur des communications intimes de sentiments et d’idées, ne diffère de la vie amoureuse proprement dite que par l’absence de communication physique : le seul terme ordinaire et souhaitable d’une profonde amitié entre un homme et une femme est le mariage. Il n’est pas rare que l’adultère résulte d’une relation excessivement amicale entre un homme et une femme qui, initialement, n’avaient aucune intention de rompre les promesses de leur mariage : seulement ils se sont laissés aller imprudemment à l’attrait d’une amitié et d’une intimité spirituelle qu’ils ne trouvaient peut-être plus dans leur mariage. Entretenir une «relation platonique», ne pouvant pas raisonnablement mener à un mariage, est donc éminemment malsain et dangereux.
On pourrait objecter à ce raisonnement en invoquant des exemples d’amitiés profitables entre une personne consacrée et une autre personne du sexe opposé. L’histoire de l’Eglise compte en effet plusieurs exemples de saints de sexe opposé qui ont travaillé ensemble étroitement pour la gloire de Dieu : saint François d’Assise et sainte Claire, saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal, saint Vincent de Paul et sainte Louise de Marillac. On connaît aussi la pratique, encouragée par l’Église, de la fraternité spirituelle entre des religieuses contemplatives et des prêtres missionnaires via des échanges épistolaires (ainsi sainte Thérèse de Lisieux est connue pour avoir eu cette relation spéciale avec l’abbé Maurice Bellière). Mais nous répondrons que dans tous ces cas évoqués, la relation est fondée principalement si ce n’est uniquement sur le zèle pour la gloire de Dieu (et pas sur la complémentarité naturelle des caractères, comme dans une amitié humaine ordinaire), et l’amitié et l’intimité dans ces cas précis ne dépassent jamais certaines bornes que la prudence impose nécessairement à qui veut ne pas perdre son cœur, et ensuite perdre son âme.
Or la relation entre Balthasar et Speyr ressemble fort à une «relation platonique», bien différente d’une collaboration désintéressée en vue de la gloire de Dieu. En particulier, les termes qu’ils emploient pour décrire cette relation comportent un symbolisme sexuel pour le moins troublant. L’œuvre religieuse et spirituelle qu’ils estiment devoir mener en commun (la fondation de la «communauté Saint-Jean», qui n’existe quasiment plus aujourd’hui d’ailleurs) est souvent appelée par la voyante «leur enfant» : comment un homme et une femme peuvent-ils avoir un enfant ensemble ? … Cette image est déjà troublante, mais il y a plus encore : la voyante déclare qu’à l’âge de 15 ans elle aurait reçu une «blessure intérieure» ou une «marque» de Hans von Balthasar par anticipation de sa rencontre avec lui, et pour signifier leur future collaboration : il s’agirait de dire que comme ces deux âmes ne pouvaient pas avoir de relations sexuelles, mais qu’elles devaient ensemble «porter du fruit», il fallait que la femme soit en quelque manière marquée dans sa chair par la vertu fertilisante de l’homme, afin d’être fécondée … difficile de voir quelque chose de divin derrière ce mystico-sensualisme éminemment malsain.
Une voyante autoritaire et manipulatrice
Le fait qu’un prêtre ait une relation fusionnelle avec une femme mariée n’est pas le seul problème dans le cas présent : dans cette relation, le prêtre (qui est censé être le supérieur, le conseiller, le confesseur) est parfois comme à la merci de sa voyante qui semble lui donner des ordres, lui faire des reproches amers et lui dicter la voie de la bonne conduite spirituelle. Balthasar, subjugué, est docile et semble considérer comme venant du Ciel les brimades qu’il reçoit de la voyante. Les rôles sont inversés !
On ne le répétera jamais assez dans cette époque malade de d’égalitarisme, le catholicisme est une religion cléricale : le prêtre est supérieur aux fidèles, il a autorité pour les diriger, les conseiller, les reprendre et les guider dans la pratique des commandements et la recherche de la perfection spirituelle. Il est en pratique impossible d’atteindre la perfection spirituelle sans le conseil suivi d’un prêtre : c’est le moyen ordinaire que Dieu prévoit pour sanctifier les âmes, et à ceux qui disent que c’est d’abord le Saint-Esprit qui éclaire et qui sanctifie, le pape Léon XIII répond (dans son encyclique contre l’américanisme) que dans la Providence de Dieu le Saint-Esprit s’exprime aux âmes le plus souvent et le plus ordinairement dans la direction spirituelle (par un prêtre formé aux sciences sacrées et à l’enseignement de l’Église). Tous les grands saints mystiques et visionnaires avaient un confesseur et directeur spirituel auxquels ils étaient pleinement soumis : ce ne sont pas eux qui démentiraient Léon XIII.
Il n’est donc pas normal qu’un prêtre reçoive d’une laïque des directives de direction spirituelle. C’est auprès d’un autre prêtre qu’il devrait chercher des conseils et des directives dans cette matière délicate, quand bien même il aurait en face de lui une sainte. Imagine-t-on sainte Thérèse d’Avilla donner ne serait-ce que des conseils spirituels à son confesseur, sans que celui-ci le lui demande ? C’est invraisemblable. Nous évoquions dans notre précédent article sur les visions et révélations privées que l’attitude autoritaire d’une voyante était un signe disqualifiant pour sa crédibilité, car très éloignée de l’humilité qui accompagne nécessairement une piété sincère.
Cette remarque faite, on peut constater avec Ralph Martin que l’attitude de Speyr à l’égard de Balthasar relève plus de mécanismes humains de manipulation et de demande d’attention que d’une hypothétique mission spirituelle. Par exemple, Speyr l’accuse fréquemment de ne pas la soutenir et de ne pas être suffisamment présent pour l’épauler alors qu’elle «revit la Passion du Christ» pendant la semaine sainte … Elle dit par rapport à leur «enfant» que le rôle du «père» est de prendre soin de l’épouse, et que Balthasar ne remplit pas suffisamment bien son rôle. Elle dit que Balthasar ne la défends pas suffisamment par rapport aux critiques qui sont émises à son égard … la voyante demande de l’attention, mais elle sait aussi se montrer plus directrice et dit qu’elle voit dans l’âme de Balthasar de l’obscurité spirituelle, un manque d’amour de Dieu et un manque de vie de prière. Parfois la voyante prétend recevoir de saint Ignace des instructions précises pour des pénitences ou autres exercices spirituels, et le malheureux Balthasar est réprimandé s’il ne suit pas les instructions suffisamment bien. Tout ceci est bien étrange.
Des signes probablement démoniaques
Outre les bizarreries déjà mentionnées, un certain nombre de faits étranges dans la vie d’Adrienne von Speyr pourraient relever d’une influence démoniaque. En particulier, on retrouve plusieurs occurrences d’un phénomène communément attribué à l’action du démon : la modification de la voix, l’utilisation d’une intonation beaucoup plus rauque et sèche que d’ordinaire, avec un volume anormalement élevé.
Le 11 juillet 1941, Speyr «convoque» Balthasar à son bureau pour lui faire une violente sermonade d’environ une heure sur son manque de soutien : Balthasar rapporte que la voix de Speyr est différente que d’habitude, comme si «quelqu’un d’autre parlait à travers elle».
La cérémonie d’abjuration de Speyr (qui est née protestante), un an plus tôt, comporte un fait assez déroutant. Alors qu’elle doit réciter la profession de foi catholique, elle s’arrête et hésite au moment de prononcer les paroles «extra quam est nulla salus» : hors de laquelle [l’Église catholique] il n’y a point de salut. Balthasar dit qu’elle n’a pas prononcé les mots. Son mari en revanche, qui assistait à la cérémonie, dit qu’il l’a entendu dire les mots distinctement mais avec une voix étrange : autre occurrence possible du fameux phénomène de la voix modifiée. La voyante aurait-elle donc un problème avec le dogme selon lequel il n’y a pas de salut hors de l’Église catholique ?… Dans une version comme dans l’autre, elle n’a pas prononcé les paroles aisément et facilement comme le reste de la profession de foi.
Autre fait encore plus étrange : Balthasar rapporte que Speyr avait fréquemment des «missions de l’enfer», dans laquelle elle «témoignait des réalités de l’enfer» dans un état semi-extatique où elle «n’était plus la même personne» et était simplement le «véhicule» d’une réalité qui la dépasse … Elle ne se souvenait pas distinctement de ce qu’elle avait dit dans ces moments ensuite. Pendant ces «missions», elle parlait d’une manière différente de d’habitude, ne semblait pas reconnaître son interlocuteur et le traitait de manière froide et sarcastique, l’accusant de stupidité vis à vis des choses de Dieu par exemple. Sachant que ces «visions de l’enfer» de Speyr aboutissent à dire que personne ne se trouve réellement en enfer, serait-il vraiment étonnant qu’un démon ait parlé à travers Speyr dans ces moments si étranges ? Pas vraiment … suivant le mot de Baudelaire, «la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas» : on pourrait dire par extension que la meilleure ruse de l’enfer serait de faire croire qu’il n’y a pas d’enfer, ou que personne ne va en enfer. C’est le meilleur moyen en effet pour que le plus grand nombre oublie son salut et se damne. Balthasar dit que ces «missions de l’enfer», qui arrivaient une fois par an lors du Vendredi Saint depuis 1941 (elle prétendait «descendre aux enfers» comme Notre-Seigneur après sa mise à mort), constituent la contribution la plus importante de Speyr à sa théologie et le don le plus précieux qu’elle ait fait à l’Église …
Balthasar disait que cette «obscurité» que Speyr avait pris sur elle comme participation à la passion du Christ et à sa descente aux enfers l’avait poussée «aux limites de la folie» … si nous voyons les choses d’une manière plus prosaïque, peut-être qu’elle était déjà mentalement déséquilibrée avant ces expériences pseudo-mystiques, et qu’une communication prolongée avec le démon l’a encore plus détraquée. L’histoire ne nous le dit pas : mais nous avons déjà en notre possession bien plus que ce qui est simplement nécessaire pour conclure que ces pseudo-révélations ne viennent pas du Ciel.
Résumé et conclusion
La thèse de Balthasar et de Speyr est contraire au catholicisme en plusieurs aspects :
Elle adopte en pratique les mêmes conclusions que la doctrine condamnée de l’apocatastase, Balthasar avouant que son intention dans sa recherche théologique était de concilier cette doctrine condamnée (qu’il était impossible de professer directement sous peine d’apparaître comme ouvertement hérétique) avec le magistère de l’Église.
Elle revient à tourner en ridicule l’enseignement ordinaire de l’Église sur l’enfer et sur la damnation, en le présentant comme une fable visant à faire peur à des fidèles encore immatures. Il y aurait alors deux niveaux d’enseignement dans la Révélation, un niveau exotérique «pétrinien» (l’Église visible de saint Pierre), et un niveau ésotérique «johannique» (l’Église mystique de saint Jean et de Marie) : tandis que l’Église visible enseigne que la damnation est un danger réel, «l’Église des saints» est capable de comprendre qu’en réalité personne ne se damne.
Elle revient inconsciemment à adopter les thèses jansénistes (également condamnées) sur l’irrésistibilité de la grâce et la négation du libre-arbitre : elle en est une sorte d’actualisation moderniste. Pour les jansénistes, qui s’inspirent des calvinistes, la théorie de l’irrésistibilité de la grâce est synonyme de double prédestination : puisque personne ne peut résister à la grâce de Dieu, alors les pécheurs endurcis et les damnés n’ont pas reçu les grâces suffisantes pour se convertir et sont mystérieusement destinés, de toute éternité, à être damnés. Doctrine odieuse et blasphématoire. Balthasar reprends l’élément central de cette thèse en en éliminant l’aspect damnatoire : la grâce est irrésistible au-delà de toute notion de libre-arbitre, mais Dieu impose cette grâce à tout le monde sans exception, il n’y a donc pas de damnés.
Enfin elle a comme principe implicite (en lien avec ce que nous disions sur le «johannisme») que les révélations privées des «saints» sont des arguments plus certains et plus élevés en théologie que les travaux de la raison, éclairés par les lumières de la foi, et les enseignements explicites du magistère de l’Église. Principe faux et ruineux qui sert le plus souvent à détruire la théologie sous apparence de piété : des personnages malveillants s’en servent pour tromper, et des personnes simples et trop naïves les suivent pour l’apparence de piété et de surnaturel qui entoure ces soi-disant révélations. Une apparition ou une révélation privée ne peut jamais être une réponse suffisante à un problème théologique, à plus forte raison si le message de cette «révélation» est contraire au magistère de l’Église.
De plus les activités soi-disant surnaturelles de Speyr, qui prétendait avoir reçu un nombre incalculable de révélations privées, sont douteuses et troublantes à bien des titres :
Le nombre excessivement élevé et extraordinaire de ses communications célestes ne ressemble pas à ce qui a cours d’ordinaire chez les saints.
Elle a des prétentions parfaitement fantaisistes sur ses activités surnaturelles et les dons particuliers qu’elle aurait reçu (recouvrement de la virginité physique, téléportation dans les âmes des pécheurs, etc.)
Son comportement autoritaire, manipulateur et assoiffé d’attention personnelle n’a rien à voir avec le comportement d’une sainte.
Sa relation avec le prêtre Balthasar, décrite en des termes de symbolisme nuptial ou même explicitement sexuel, est on ne peut plus malsaine, et se base parfois sur une inversion du rapport entre le directeur spirituel et l’âme dirigée (c’est elle qui prends le dessus à plusieurs reprises).
Elle était, de l’aveu même de son confident et admirateur, à moitié folle et soumise régulièrement à des états de transe pour «rendre compte» de ce qui se passait en enfer, avec un langage et des manières qui portent plus ou moins explicitement la marque du démon.
Elle n’a pas voulu prononcer les paroles de la profession de foi sur le fait qu’il n’y avait pas de salut hors de l’Église catholique, ou bien elle les a prononcées avec une voix bizarre.
Peut-on, après avoir considéré cela, accorder encore le moindre crédit à Hans Urs von Balthasar et à sa comparse Adrienne von Speyr ? Pas si l’on croit à la doctrine et à la spiritualité de l’Eglise catholique. Puissent le Seigneur et Notre-Dame éclairer les chrétiens sincères afin qu’ils ne soient pas trompés par ces mensonges, et qu’ils considèrent plutôt dans toute leur gravité les avertissements de la Révélation concernant les fins dernières.
Jean-Tristan B.
[1] https://www.jstor.org/stable/26392455
[2] Voir les principes invoqués dans cet article : https://religioncatholique.fr/2021/09/08/principes-de-discernement-sur-les-visions-et-revelations-privees/
[3] On peut lire à ce sujet l’article de la Catholic Encyclopedia sur Origène : https://www.newadvent.org/cathen/11306b.htm
[4] Voir le « manifeste » affiché fièrement par la communauté saint Jean : https://balthasarspeyr.org/communaute-saint-jean/
L’accusation de jugement téméraire à l’égard des sédévacantistes repose sur une mauvaise évaluation de la témérité du jugement. Si certains jugements sont téméraires, c’est bien que d’autres sont prudents et ordonnés : pour vivre et agir, il est nécessaire d’émettre continuellement des jugements sur les choses et les personnes qui nous entourent, ces jugements ne sont téméraires que s’ils ne reposent sur aucune raison sérieuse et suffisante pour établir la conviction. On entend par exemple certaines personnes (au sein de la FSSPX surtout) dire que le sédévacantisme est une possibilité, mais qu’il est téméraire de l’affirmer comme une certitude, et que la seule attitude prudente et raisonnable est d’attendre qu’un autre pape se prononce pour savoir si le siège était vacant entre Paul VI et François. Ce qui est déjà admettre qu’il y a un grave problème avec ces « papes douteux » … en réalité, nous n’avons pas besoin d’une nouvelle sentence du magistère pour être certains qu’il est impossible qu’un pape enseigne des erreurs doctrinales dans l’exercice de son ministère. On peut dire en quelques sortes que Pie IX, en définissant le dogme de l’infaillibilité pontificale, a déjà tranché sur le fait que Paul VI et ses successeurs ne pouvaient pas être papes.
D’autres personnes, moins dubitatives à l’égard des pontifes de Vatican II, estiment que le vice du sédévacantisme est plus profond : il consisterait à se mettre « au dessus des papes », à donner à son jugement privé une valeur plus importante qu’au magistère de l’Eglise, comme les protestants. En vérité, le point de départ du jugement sur la vacance du Saint-Siège est le magistère de l’Eglise, complété par un usage normal de la raison : si Paul VI enseigne de manière explicite et évidente l’inverse de ce qu’enseigne Pie IX, conclure qu’il n’y a pas de contradiction n’est pas la preuve d’une grande foi et d’une grande confiance en l’Eglise, mais plutôt la preuve d’une grande déficience dans l’usage de la raison. Cette position, poussée jusque dans ses dernières conclusions, est assimilable au fidéisme : elle consisterait à dire qu’il est impossible de juger droitement de quoi que ce soit sans un enseignement révélé. Le magistère même de l’Eglise enseigne qu’il est possible d’atteindre un certain nombre de vérités religieuses sans le secours de la Révélation, et que ces vérités doivent être connues préalablement à l’acte de foi. C’est le principe de non-contradiction qui fait conclure à la vacance du Saint-Siège, pas une quelconque prétention à la supériorité du jugement privé sur l’autorité de l’Eglise. Nous souhaitons ici expliquer en quoi le jugement concernant la vacance du Saint-Siège découle simplement de l’application des principes de la foi catholique et de l’usage ordinaire de la raison, qu’il n’est pas attentatoire au magistère ou à l’autorité de l’Eglise, et qu’il n’est pas non plus attentatoire à la vertu de charité, comme le serait un jugement téméraire sur les intentions secrètes d’une personne. En espérant convaincre nos lecteurs.
Un jugement est un acte par lequel l’esprit affirme une chose d’une autre. Il comporte donc trois éléments : un sujet, qui est l’être dont on affirme ou nie quelque chose ; un prédicat (ou attribut), qui est la chose que l’on affirme ou nie du sujet ; une affirmation ou une négation qui lie ou délie le prédicat et le sujet. Il s’exprime verbalement sous la forme d’une proposition. Par exemple : « Le monde existe (logiquement : le monde (sujet) est (affirmation) existant (prédicat) » ; « L’homme est raisonnable » ; « l’âme est immortelle » ; « Dieu est existant ».
Sauf pour les évidences immédiates (« le monde est existant » ; « tout effet est causé » ; « tout être est ce qu’il est » etc.), qui sont à proprement parler indémontrables [1], le jugement est le fruit d’un raisonnement, si rudimentaire soit-il. On peut définir celui-ci comme l’opération qui consiste à tirer de deux ou plusieurs jugements, un autre jugement contenu logiquement dans les premiers. C’est un passage du connu vers l’inconnu. Il s’exprime verbalement sous la forme d’un argument. Par exemple : « L’homme est mortel (jugement 1). Or Pierre est un homme (jugement 2). Donc Pierre est mortel (jugement conclusif contenu logiquement dans les premiers) » ; « Travailler me permet de nourrir ma famille. Pour travailler, je dois me réveiller et me lever. Donc pour nourrir ma famille, je dois me réveiller et me lever ». Ainsi pour toutes nos actions quotidiennes, sans pour autant les formaliser ainsi.
Les jugements, s’ils sont fondés, sont légitimes et nécessaires. Sans eux, on ne peut tout simplement pas vivre. Tout homme faisant correctement usage de son intelligence pourra affirmer avec certitude de nombreuses choses. Dans la mesure où son raisonnement est correct, c’est-à-dire qu’il met en œuvre des données certaines, son jugement sera lui aussi correct et vrai. L’Eglise nous enseigne par exemple que tout homme peut affirmer avec certitude que Dieu existe :
« La sainte Église tient et enseigne que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par les lumières naturelles de la raison humaine, au moyen des choses créées (Rom. 1, 20) ; « car les choses invisibles de Dieu sont aperçues au moyen de la création du monde et comprises à l’aide des choses créées. »
Constitution Dei Filius , Concile Vatican I
Le canon correspondant du Concile :
« Si quelqu’un dit que Dieu unique et véritable, notre Créateur et Maître, ne peut pas être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine, au moyen des choses qui ont été créées ; qu’il soit anathème »
L’Eglise défend ici la légitimité d’un jugement fondé sur des vérités naturelles. En l’occurrence : l’existence du monde, son harmonie et le principe de causalité. Ces choses étant certaines, la conclusion l’est aussi.
Si un raisonnement correct met en œuvre une vérité de foi fondée sur l’autorité de Dieu et une vérité naturelle évidente, la conclusion exprimera un jugement doté d’une certitude absolue, propre à entraîner l’assentiment plein et entier de l’intelligence. Une telle conclusion est dite théologique. Par exemple : « Jésus est un homme (vérité de foi). Or les hommes ont une âme (vérité naturelle). Donc Jésus a une âme (conclusion théologique) ».
Le constat actuel de la vacance du Siège apostolique n’a pas plus de prétention. Il se sert, dans sa démonstration, de données de foi, de faits d’observation immédiate et du principe de non-contradiction. La foi nous assure de l’infaillibilité du magistère ordinaire et universel [2]. Elle nous assure qu’il est impossible qu’un Pape promulgue avec les évêques représentant l’Eglise universelle un texte contredisant un point de doctrine déjà fixé [3]. Or, une telle promulgation s’est produite lors du concile Vatican II : la déclaration Dignitatis Humanae du 7 décembre 1965 contredit explicitement l’enseignement de Pie IX (entre autres) sur la liberté religieuse dans Quanta Cura (lettre encyclique du 8 décembre 1864). Donc les occupants du Siège apostolique qui ont « promulgué » et maintiennent en union avec tous les évêques une telle doctrine ne peuvent pas être Papes.
Affirmations condamnées par Quanta Cura, 8 décembre 1864 [« contre la doctrine de la Sainte Écriture, de l’Église et des saints Pères »]
Affirmations de Dignitatis Humanae, 7 décembre 1965 [« le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même »]
a) la meilleure condition de la société est celle où on ne reconnaît pas au pouvoir le devoir de réprimer par des peines légales les violations de la loi catholique, si ce n’est dans la mesure où la tranquillité publique le demande
a’) de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres
b) La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme
b’) Ce Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse
c) Ce droit doit être proclamé et garanti par la loi dans toute société bien organisée
c’) Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil
Ce qu’affirme Vatican II [4] en (a’), (b’), (c’) est condamné par Quanta Cura [5]en (a), (b), (c). Les deux textes se prononcent sur le même sujet : le droit d’exercice public des religions et des cultes, même non catholiques. Les deux textes en appellent à la Révélation et s’expriment, quoi que dans une époque particulière et en raison même de cette époque, d’une façon absolue, comme énonçant un principe de droit naturel.
Or, c’est dans un même et unique acte de foi que nous adhérons à la parole de Dieu exposée par l’Eglise et à l’Autorité infaillible qui la présente. Cette unité de la foi liant nécessairement l’Autorité et la vérité est inéluctable [6]. Pareillement, le rejet de la doctrine de Paul VI que la foi nous impose nous fait rejeter son autorité dans un même acte. Cette conclusion sur l’absence actuelle d’Autorité dans l’Eglise, au demeurant triste à poser et troublante pour tous les fidèles, s’impose dans la lumière de la foi, avec une certitude de l’ordre de la foi. Parce que la foi catholique est une, parce qu’elle n’abolit pas la raison et que le principe de non-contradiction est inhérent à son exercice, il est métaphysiquement impossible d’adhérer religieusement à l’enseignement et par conséquent à l’autorité de ces faux pasteurs. Tout fidèle prudent qui vit effectivement de la foi peut et doit conclure à l’absence d’Autorité. L’exercice de la foi catholique rend impossible l’assentiment à l’enseignement de Vatican II.
Un jugement est téméraire et illégitime s’il est prononcé précipitamment, sans intention droite et que les fondements sur lesquels il repose sont incertains ou faux. Par exemple : prêter une mauvaise intention à quelqu’un sans raison. Dans une matière si grave que la foi et avec des certitudes d’un degré tel que nous venons de l’exposer, le jugement s’impose absolument et constitue un devoir. Il ne s’agit pas d’un jugement a priori qui serait consécutif à un caprice de notre part, il s’agit de l’impossibilité métaphysique d’adhérer à une règle de foi qui contredit objectivement l’enseignement de l’Eglise. La meilleure volonté du monde ne pourrait pas changer la nature des choses, une chose ne peut pas, en même temps et sous le même rapport, être vraie et fausse. Nous pensons que cela suffit pour fonder la légitimité d’un tel jugement. Les catholiques ne peuvent donc pas, par jugement privé, ne pas accuser ceux qui « promulguent » ces enseignements, comme les fidèles de Constantinople rompirent la communion avec leur évêque Nestorius entre 428 et 431 (date de sa condamnation), car celui-ci enseignait une doctrine ouvertement contraire à la foi catholique.
L’imprudence se situerait au contraire dans la négation de ce jugement absolument certain. En effet, en rejetant cette conclusion, on est objectivement poussé à relativiser ou à nier des vérités de foi : soit en acceptant l’enseignement de Vatican II et ses suites, qui s’oppose en de nombreux points au Magistère de l’Eglise ; soit en refusant cet enseignement, attribuant ainsi l’erreur au Pape et à l’Eglise, niant de fait la sainteté et l’infaillibilité de celle-ci.
Les catholiques qui font le constat de la vacance du Siège apostolique ne se substituent nullement à l’Eglise et à son autorité. Ce jugement n’est qu’un constat indubitable, il n’a pas force de loi et n’a pas de portée juridique objective pour l’Eglise. La privation d’autorité qui affecte actuellement l’Eglise rend précisément compliquée une telle sentence authentique. En revanche, de ce jugement certain découle le devoir de ne rien dire ni rien faire qui reviendrait pratiquement à reconnaître l’Autorité à l’actuel occupant du Siège ainsi que celui de proclamer, selon les règles de la prudence et conformément aux moyens dont chacun dispose, la vacance actuelle du Siège apostolique : « Nous ne pouvons pas ne pas parler » (Act. IV, 20).
Mathis C.
[1] Une démonstration s’appuie sur des préalables. Or, les évidences sont les préalables à tout jugement, ils sont premiers et s’éclairent par eux-mêmes, d’où leur nom.
[2]Abbe Bernard Lucien, L’infaillibilité du Magistère ordinaire et universel de l’Église, Documents de Catholicité, Bruxelles 1984
[3] « Jésus-Christ a institué dans l’Eglise un magistère vivant, authentique et, de plus, perpétuel, qu’Il a investi de sa propre autorité, revêtu de l’esprit de vérité, confirmé par des miracles, et Il a voulu et très sévèrement ordonné que les enseignements doctrinaux de ce magistère fussent reçus comme les siens propres. >Toutes les fois donc que la parole de ce magistère déclare que telle ou telle vérité fait partie de l’ensemble de la doctrine divinement révélée, chacun doit croire avec certitude que cela est vrai ; car si cela pouvait en quelque manière être faux, il s’ensuivrait, ce qui est évidemment absurde, que Dieu lui-même serait l’auteur de l’erreur des hommes… Les Pères du Concile du Vatican n’ont donc rien édicté de nouveau, mais ils n’ont fait que se conformer à l’institution divine, à l’antique et constante doctrine de l’Eglise et à la nature même de la foi, quand ils ont formulé ce décret : « Est à croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la parole de Dieu ou écrite ou transmise, et que l’Eglise, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel, propose à croire comme divinement révélé » (issu de dei filius, Concile Vatican I, 1870) » Léon XIII, Satis Cognitum . Sur l’infaillibilité : https://www.sodalitium.eu/linfaillibilite-de-leglise/
[6] « Il serait impossible de poser un acte de Foi quel qu’il soit, si on ne croyait, dans le même acte, au Magistère qui présente infailliblement les articles de la Foi comme étant divinement révélés; et si on n’était disposé à croire de la même Foi l’un quelconque de ces articles. Il serait possible, dans une église charismatique, de viser à conserver la foi, tout en dissolvant dans une indécise obscurité la question du rapport que l’on soutient avec 1’« autorité » : dans une telle église, 1’« Esprit » est censé suppléer… à tout, et en particulier à l’unité. Mais une telle conception est absolument incompatible avec la nature de la Foi telle que celle-ci est définie, et vécue, dans l’Eglise catholique romaine qui est le Corps mystique du Christ, c’est-à-dire de Celui qui est la Vérité. Il est impossible, sous peine d’introduire une contradiction dans l’ordre théologal, de suivre la monition de S. Pierre, en «rendant compte de l’espérance qui est en nous », si, en même temps, nous ne rendons pas compte du rapport que nous soutenons avec 1’« autorité » qui occupe le Siège de Pierre. Il est impossible de poser un acte de Foi en la divinité de Jésus-Christ, sans être, en cet acte même, disposé à faire un acte de la même Foi en la doctrine sur la liberté religieuse telle que l’Eglise l’a définie. Et il est impossible de faire un acte de Foi en la doctrine sur la liberté religieuse telle que l’Eglise l’a définie, sans préciser en quelle situation on entend être par rapport à l’ « autorité » qui a infirmé cette doctrine. En d’autres termes, il est impossible, au sein de l’Eglise catholique romaine qui est le Corps mystique du Christ, de soutenir la Foi et d’administrer les sacrements en s’opposant à 1’« autorité « , sans préciser quelle est la nature du rapport que l’on entend soutenir avec la dite « autorité », qui devrait être l’Autorité. » R.P M.L Guérard des Lauriers o.p, Cahiers de Cassiciacum n°1, « Le siège apostolique est-il vacant ? », Association saint-Herménégilde, mai 1979, pp.25-26, note 13.
S’il est arrivé souvent dans l’histoire de l’Église que Notre-Seigneur, Notre-Dame, des anges ou des saints visitent la terre pour apporter aux hommes un message exhortant à la piété et à la conversion, ou pour donner à quelqu’un une mission particulière pour le bien des âmes, le nombre de fausses apparitions ou de fausses visions à ce sujet est certainement plus grand que celui des vraies apparitions. Le nombre de vraies apparitions et révélations qui ont été après coup déformées, embellies ou revisitées par les hommes est aussi grand.
Une apparition ou une vision supposément surnaturelle peut être fausse de deux manières différentes : ou bien parce qu’elle vient de l’homme, ou bien parce qu’elle vient du démon.
Si elle vient de l’homme : elle est le fruit d’un pur mensonge de la part d’un prétendu visionnaire, ou bien de son imagination malade, de ses fantasmes, de quelque trouble psychologique d’ordre naturel. Tous les grands mystiques et même des saints visionnaires connaissaient cette propension de l’homme à prendre pour des visions surnaturelles des choses qui n’appartiennent qu’à leur propre imagination : il n’est pas rare justement pour ces saints visionnaires de se méfier des visions qu’ils reçoivent en se demandant dans un premier temps si elles ne sont pas le fruit d’hallucinations, et en en parlant à leur directeur spirituel.
Si elle vient du démon : elle est le fruit de ses prodiges, auquel cas il est toujours possible pour les âmes de bonne volonté et de bon sens de trouver des indices permettant de détecter la présence du démon derrière certains phénomènes extraordinaires. Une anecdote célèbre de la vie de saint Pierre Martyr, inquisiteur dominicain au XIIIe siècle, relate un épisode dans lequel il déjoue une fausse apparition de la sainte Vierge auquel le peuple avait commencé à croire (cf. le tableau en illustration : Saint Pierre Martyr exorcisant un démon ayant pris les traits d’une Vierge à l’Enfant, Antonio Vivarini , 1450). Plus proche de nous, au XIXe siècle dans la suite des apparitions de Lourdes, les fausses apparitions de Ségus (petit village proche de Lourdes) ont été déjouées par le moyen d’une aspersion d’eau bénite. Dans le cas des apparitions de Ségus, une multiplication de faits bizarres et inhabituels entourant ces phénomènes (par exemple, les enfants visionnaires se mettaient à donner des ordres aux adultes pour leur dire comment il convenait de plaire à la sainte Vierge, en leur disant de faire des gestes et des actions qui n’avaient apparemment aucun sens) ont alarmé la vigilance des autorités ecclésiastiques locales, qui ont eu suffisamment de discernement pour suspecter la singerie du démon.
L’attitude des fidèles vis à vis des visions et révélations privées devrait être guidée par les principes qui suivent, principes qui appartiennent à la pratique multiséculaire de l’Église, et aux règles de la prudence et du discernement des esprits :
Premièrement, une vision, apparition ou révélation privée ne requiert jamais de la part du fidèle l’assentiment de la foi. Il est hors de propos d’accuser quelqu’un d’impiété ou d’hérésie s’il ne croit pas à la réalité d’une révélation que Dieu aurait faite à un visionnaire. C’est l’enseignement magistériel de l’Église qui requiert l’assentiment de la foi : même les visions les plus connues et les plus communément admises comme authentiques dans l’Église, comme celles de sainte Brigitte ou de sainte Marguerite-Marie Alacocque, n’appartiennent pas au dépôt de la Révélation proprement dite. Il est pieux d’y croire et il y a certainement un mauvais esprit à en douter, si ces visions sont en quelque manière approuvées par l’autorité ecclésiastique (qui se prononce rarement pour dire si les visions sont vraies ou non, mais plutôt pour dire que les dévotions ou les messages qui sont issus de la vision sont vraiment pieux, conformes à l’esprit de Dieu et de son Église). Mais ces révélations privées ne sont pas «de foi», seul le magistère de l’Église nous apprends avec certitude la vérité sur Dieu et sur les moyens du salut.
Deuxièmement, en l’absence d’une approbation ecclésiastique des publications faisant état de visions et de révélations privées, la plus grande circonspection est de mise pour les fidèles. Il serait sans doute plus agréable à Dieu de se retenir de croire à des visions ou révélations privées par défaut, tant qu’elles n’ont pas été approuvée par quelque autorité compétente, qu’à l’inverse de croire avec un enthousiasme naïf à tout ce qui a l’apparence de la piété et du surnaturel. Car on peut être trompé facilement dans cet enthousiasme, comme l’a été le peuple de Ségus ou le peuple du village visité par saint Pierre Martyr. Comme le sont aujourd’hui énormément de chrétiens à propos des apparitions bizarres et plus que douteuses de Međugorje. Derrière cette propension à se saisir immédiatement de tout ce qui semble être une apparition céleste, il peut se cacher une tendance au sensationnalisme et un goût immodéré pour l’extraordinaire, qui sont identifiés par les auteurs spirituels comme de possibles signes d’une influence du démon dans l’âme : l’esprit de Dieu fait incliner vers les biens invisibles et insensibles de la grâce, fait affectionner les choses simples et ordinaires en matière de piété et de sanctification. «On doit chercher le Dieu des consolations, pas les consolations de Dieu» dit l’adage. Si l’on est ennuyé par les exercices ordinaires de la piété, par l’étude du catéchisme et des ouvrages classiques de spiritualité, mais fasciné par les apparitions et les révélations, c’est certainement un signe de mauvaise santé spirituelle et une tendance à corriger pour le bien de notre âme.
Troisièmement, si le prétendu visionnaire fait preuve de certains comportements irréguliers et incompatibles avec la vraie piété chrétienne, c’est un signe très disqualifiant en défaveur de l’authenticité de ses révélations. Bien que le fait de recevoir des apparitions, des visions et des révélations privées ne constitue pas en soi un signe de sainteté, dans le cours ordinaire des choses Dieu ne donne ces messages particuliers qu’à des personnes saintes ou à des enfants innocents, pour donner de la crédibilité et de l’effet à son message. Si le prétendu visionnaire (très souvent : la prétendue visionnaire) témoigne, sous des apparences extérieures plus ou moins spectaculaires de piété, d’un esprit obstiné et rebelle, c’est qu’il n’a qu’un simulacre de sainteté et qu’il est fort probable qu’il trompe ses auditeurs en quelque manière. S’il fait preuve de comportements autoritaires et manipulateurs, en s’entourant d’une cour d’admirateurs et en accusant les autres de ne pas suffisamment croire à ses révélations par exemple, c’est encore pire. Or ces comportements sont très fréquents parmi les supposées visionnaires de ces derniers temps, et parmi ceux qui relaient avec le plus d’ardeur leurs supposées visions. Ces signes d’orgueil sont si contraires à l’esprit de Dieu qu’il est en pratique impossible que Dieu se serve de ces personnes superbes pour élever les fidèles à une plus grande piété.
Quatrièmement, si les prétendues visions et révélations contiennent des faits extravagants, excessivement spectaculaires et contraires aux mœurs ordinaires, c’est encore un signe disqualifiant. Les voies de Dieu sont des voies d’humilité et de simplicité. Même dans les véritables miracles et les signes surnaturels extraordinaires, il se trouve comme un parfum de simplicité qu’on ne retrouve jamais dans ce qui est le fruit de l’imagination ou de l’invention de l’homme. En lisant l’évangile, on peut être frappé par le fait suivant : rien de ce qui est relaté n’est exagéré, rien n’est grossi ou mis en scène, le récit est simple et direct, les miracles physiques de Notre-Seigneur n’incluent pas de signes «prodigieux» ou «fantaisistes» comme les récits populaires de miracles qui existent en terre chrétienne, islamique, hindouiste ou autre, où il est facile de déceler le merveilleux (par exemple, un des seuls «miracles» dont Mahomet est crédité par la tradition orale islamique est d’avoir pris la Lune dans le ciel puis de l’avoir mise dans sa manche … c’est pour le moins grotesque et inutile). Plusieurs fois d’ailleurs le Christ loue la foi de ceux qui n’attendent pas de signe visible et extraordinaire, mais savent que par un simple mouvement de sa volonté, il a le pouvoir de guérir : notamment le centurion romain, qui ne demande pas au Christ de venir chez lui guérir son serviteur, mais simplement de dire un mot pour sa guérison (Matthieu VIII, 5-13). Si donc un récit d’apparition supposément surnaturelle contient des éléments qui semblent oiseux, grotesques, merveilleux et bizarres, c’est une très bonne raison de douter de son caractère surnaturel. C’est parfois à ces signes de bizarreries que l’on peut détecter l’ingénierie du démon derrière des manifestations apparemment célestes : dans les prodiges démoniaques, il y a toujours quelque chose d’étrange et de ridicule, de telle sorte que les chrétiens sincères et avertis puissent se rendre compte qu’il y a une tromperie. Pour autant, il peut arriver que de vraies apparitions contiennent des faits surprenants et inhabituels, par rapport aux récits déjà connus de miracles et d’apparitions : il faut un vrai travail de discernement pour tirer au clair le caractère surnaturel d’une apparition ; dans ce travail de discernement l’étude des fruits de l’apparition est décisif, et en définitive le moyen le plus fiable d’avoir une vraie sécurité d’interprétation est de recourir aux jugements d’une autorité ecclésiastique, au moins à l’échelle d’un diocèse. Si après examen l’autorité ecclésiastique interdit la diffusion et la publication d’écrits faisant état d’une supposée révélation privée, c’est évidemment une raison très sérieuse de ne pas la tenir pour authentique.
Cinquièmement, si les prétendues révélations font état de choses qui flattent la curiosité plutôt qu’elles ne nourrissent la piété, c’est un fort indice en faveur d’une origine purement humaine. Énormément de supposées révélations privées, dont certains sont extrêmement friands dans les milieux traditionalistes, semblent n’être que de oiseuses et prétentieuses prédictions de l’avenir. Que sert à l’homme de savoir quels seront dans le détail les grands événements du temps futur ? En quoi cette connaissance permet d’être plus saint, plus humble, plus charitable et plus orienté vers Dieu ? Cette pseudo-connaissance a plutôt pour effet de flatter la curiosité et peut-être d’enfler l’orgueil en donnant la sensation que l’on a accédé à un savoir caché, et d’être ainsi «mieux préparé» que ceux qui ne veulent pas donner leur assentiment à ces révélations. Mais préparé à quoi exactement ? L’évangile nous apprend qu’un souci excessif de l’avenir et de ses incertitudes n’est pas conforme à l’esprit de Dieu : «N’ayez donc point le souci du lendemain, car le lendemain aura souci de lui-même : à chaque jour suffit sa peine» (Matthieu VI, 34). Pourquoi Dieu prendrait le temps de révéler les détails de l’avenir à des voyantes s’il nous dit par ailleurs, dans les saintes Écritures, qu’il n’y a pas à se préoccuper des détails de l’avenir, surtout s’ils concernent le monde dans son ensemble (et des choses sur lesquelles nous n’avons aucune emprise) plutôt que notre vie et notre devoir d’état en particulier ? Pour notre humilité, Dieu fait que l’avenir nous est en grande partie inconnu et obscur, y compris pour ce qui concerne les événements terribles qui doivent arriver à la fin des temps, sur lesquels l’Église n’enseigne que peu de choses et dans un langage peu explicite : de tout temps, l’Église a laissé les fidèles débattre librement sur l’interprétation du livre de l’Apocalypse et les événements entourant la fin des temps, ne définissant que trois signes devant certainement précéder cette fin des temps (la prédication universelle de l’évangile, la grande apostasie et la venue de l’Antéchrist). Il faut veiller pour nous à ce que cette curiosité concernant les derniers temps ne se transforme pas dans une sorte d’obsession malsaine et dévorante, qui pousse à chercher des «signes» partout d’une manière quasiment superstitieuse, car cela ne change strictement rien du point de vue de notre devoir d’état et de notre sanctification que la fin du monde soit demain, dans 10 ans ou dans 150 ans. La piété commande de se préparer personnellement à la mort, chaque jour de notre vie, plutôt que de nous «préparer à la fin des temps» en divaguant en imagination dans ces eaux incertaines. Ces supposées révélations sur la fin des temps ou sur l’avenir plus ou moins proche de la France et du monde ne sont d’aucun intérêt et d’aucune aide du point de vue de notre sanctification. Il faut de plus garder à l’esprit que l’histoire de l’Église et du monde est traversée, à chaque époque, de ces fausses visions et fausses révélations promettant un avenir politique glorieux à quelque prince ou à quelque nation, ou annonçant quelque malheur terrible. La fausse doctrine du millénarisme a inondé le monde de fausses révélations sur l’avenir. Par exemple, au XVe siècle en Aragon, beaucoup de «révélations privées» et de «prophéties» prétendaient que le roi de l’époque était destiné à devenir le grand monarque universel devant inaugurer le «règne millénaire du Christ». Hélas pour les hommes de ce temps, le royaume d’Aragon n’est plus qu’un lointain souvenir aujourd’hui … Au Portugal, un équivalent est le «sébastianisme», sorte de mouvement culturel et spirituel nourri par de supposés miracles et de supposées prophéties, basé sur la croyance en la survie et au retour du roi Sébastien Ier, disparu durant la «bataille des Trois Rois» au Maroc en 1578. Il fait écho à de vieux mythes ibériques antérieurs sur le «roi caché» ou le «roi disparu» qui attend le bon moment pour revenir. Il se trouvait encore au XVIIIe siècle des auteurs ecclésiastiques qui croyaient à ces prophéties et les diffusaient. Il s’agit cette fois de dire que le grand règne chrétien universel sera dirigé par le Portugal. Qui ne voit que dans ces pseudo-prophéties, qu’elles soient relatives à l’Aragon, au Portugal ou à la France, ne sont que l’expression des des rêves de grandeur restaurée de ces nations, et flattent l’orgueil national et la curiosité beaucoup plus que la piété ? Chacun aura l’orgueil de prétendre être le nouvel Israël, comme si depuis la Nouvelle Loi Dieu avait prévu de s’appuyer sur une nation particulière, au détriment de toutes les autres, pour faire avancer son œuvre. Rien dans la Révélation ne permet d’avancer de telles théories., et l’histoire de l’Église nous montre que Dieu se sert parfois particulièrement de certains nations pour ses desseins (la France et le Portugal, grandes nations chrétiennes, sont certainement en bonne place sous ce rapport), mais pas d’une seule au détriment des autres comme le veulent ces supposées prophéties. Pourquoi même chercher à savoir si ces prophéties sont vraies ou fausses, vu l’impact inexistant qu’elles auront sur notre conduite quotidienne en présence de Dieu ? Enfin pour finir nous mentionnerons au titre des pseudo-révélations les soi-disant prophéties en vogue dans les milieux catholiques des années 1980 à propos d’une invasion violente et imminente de la France par l’URSS. En creusant un peu, on pourrait trouver à chaque époque des dizaines d’ouvrages remplis de ces pseudo-prophéties oiseuses, qui donnent l’air d’être des certitudes issues de la lumière divine et qui ne se réalisent jamais. Sans doute parce qu’elles proviennent de l’imagination et de l’orgueil des hommes, et pas de la sagesse de Dieu. A nous de savoir nous garder de ces distractions, pour privilégier le combat spirituel et la sanctification à toute autre préoccupation.
Sixièmement, si les prétendues visions et révélations contiennent des errances doctrinales, nient ou minimisent des dogmes de foi et proposent comme venant de Dieu des doctrines qui n’ont jamais été admises dans l’Église, alerte rouge ! L’apôtre saint Paul disait aux Galates : «Si jamais quelqu’un, fut-ce nous-même, fut-ce un ange venu du ciel, vous prêchait un évangile autre que celui que nous avons prêché, qu’il soit anathème ! Nous l’avons déjà dit, je le redis à cette heure : si quelqu’un vous prêche un évangile autre que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème !» (Gal. I, 8-9). Ce serait la dernière des folies de donner du crédit à une fausse doctrine sous le prétexte qu’elle émane d’une apparition qui semble vraie et d’une personne qui semble pieuse. Si les signes précédemment mentionnés permettent de douter de la véracité d’une révélation privée, ici l’errance doctrinale donne la certitude que la révélation est fausse, quelles que soient les apparences de piété qui l’entourent par ailleurs. Or ces fausses visions et fausses révélations invoquées à l’appui de fausses doctrines sont nombreuses, n’en soyons pas dupes.
Septièmement, et en lien avec le point précédent : il n’est jamais possible d’invoquer des révélations privées comme argument dans un débat théologique. La théologie est la science qui permet d’expliciter, d’approfondir et de connecter entre elles les vérités révélées, à l’aide de la raison. Elle est un «discours raisonnable» sur Dieu et ce qui est relatif à Dieu. Cette science a ses règles, ses méthodes, ses maîtres et ses autorités (saint Thomas d’Aquin, saint Robert Bellarmin, saint Alphonse de Liguori font partie des autorités les plus respectées et les plus recommandées par l’Église). Elle ne repose pas principalement sur l’autorité des auteurs du passé (l’argument d’autorité – humaine – dans la réflexion est le plus faible de tous d’après saint Thomas d’Aquin, qui évoque ce principe à propos d’Aristote en philosophie), mais sur les principes de la raison première et de la réalité, utilisés pour mieux comprendre la Révélation (l’argument d’autorité divine étant la base de toute théologie) ; ce qui fait le crédit et la qualité d’un théologien est généralement sa capacité à remonter aux principes pour élucider certaines questions obscures ou débattues à propos des vérités révélées. Jamais on n’a vu un théologien digne de ce nom, dont le travail a été approuvé en quelque manière par l’Église, citer à l’appui de ses thèses et de ses démonstrations des apparitions ou des révélations privées : quand bien même certaines véritables apparitions donnent du crédit à des thèses théologiques et peuvent motiver l’Église à définir des dogmes (par exemple, les apparitions de la médaille miraculeuse ont motivé la définition du dogme de l’Immaculée Conception, vérité déjà crue depuis longtemps dans l’Église par ailleurs), elles ne constituent pas en soi des arguments pour prouver la vérité d’une position dans le cadre d’une démonstration théologique, car elles n’appartiennent pas au dépôt de la foi et ne demandent pas un assentiment absolu de la part des catholiques. Il est courant pour des auteurs de spiritualité de parler de visions et de révélations privées pour illustrer certains principes et inciter à la piété ; une telle chose en revanche est inconnue dans le cadre de la théologie. Ce stratagème (d’invoquer une révélation privée en théologie) est en fait souvent employé par des ennemis de la vérité, pour donner du crédit à des doctrines par ailleurs absurdes en faisant croire qu’elles viennent directement du Ciel : les modernistes s’en sont abondamment servis et s’en servent encore aujourd’hui, notamment pour accréditer leurs thèses eschatologiques. Par exemple l’idée suivant laquelle les enfants morts sans Baptême sont au Paradis, l’idée suivant laquelle personne ne se damne, l’idée suivant laquelle chaque personne a une apparition personnelle du Christ pour pardonner les péchés et appeler à la conversion au moment de mourir (ce qui appuie beaucoup l’idée suivant laquelle un nombre infime ou nul de personnes se damnent). Un cas d’école en cette matière est le théologien Hans Urs von Balthasar (1905-1988), considéré comme «l’un des plus grands théologiens du XXe siècle» par les conciliaires, promu à la «commission théologique internationale» par Paul VI en 1969, puis nommé «cardinal» par Jean-Paul II en 1988, théologien préféré de Benoît XVI avec Henri de Lubac [1]. Il est connu surtout pour sa fameuse théorie suivant laquelle l’enfer existe réellement (c’est après tout un dogme de foi) mais est en fait vide : la damnation est théoriquement possible, mais la miséricorde de Dieu prévient en pratique la damnation de quiconque. Ses principaux arguments résident dans les prétendues visions d’Adrienne von Speyr (1902-1967), avec laquelle il entretenait une relation pour le moins bizarre et malsaine, dont nous souhaitons parler prochainement dans un article dédié. En réalité, l’essentiel du travail de von Balthasar, «génial théologien du XXe siècle», est un commentaire des prétendues visions de von Speyr, dont il est l’unique dépositaire et interprète …
Savoir reconnaître, déjouer et contredire les fausses communications surnaturelles, ou les révélations privées douteuses, est une science très utile aujourd’hui, en cette époque où beaucoup, ayant la démangeaison d’entendre des choses qui les flattent, se donnent une foule de docteurs selon leurs désirs, détournent l’oreille de la vérité et se tournent vers des fables (2 Timothée IV, 3). En suivant les principes précédemment exposés, tout chrétien saura aborder paisiblement et sans excès de passion le problème des visions, apparitions et révélations privées, à la lumière de la foi et de la raison.
Jean-Tristan B.
[1] Joseph Ratzinger, avant et après son élection au souverain pontificat, n’a de cesse de louer Hans Urs von Balthasar, sans l’ombre d’une critique. Il publie par exemple en 2005, dans l’exercice de son « pontificat », un document à la louange de son ami et de sa théologie : https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/messages/pont-messages/2005/documents/hf_ben-xvi_mes_20051006_von-balthasar.html
Pour continuer sur le même sujet, nous recommandons plusieurs articles en langue anglaise sur le blog « introibo ad altare Dei »:
*Nota bene : Nous nous plaçons dans cet article sur le plan du droit et non du fait. Dans les faits, le concile n’est pas infaillible puisque son enseignement n’a pas été promulgué par un Pape authentique (Paul VI en l’occurrence). Nous parlons donc de ce qui, en droit, c’est-à-dire eu égard aux principes qui régissent l’Eglise et à la nature des actes posés, aurait dû être infaillible.
L’idée selon laquelle Vatican II n’est qu’un « concile pastoral » et que l’on peut donc rejeter ses enseignements en sûreté de conscience, s’attaque au fondement même de la position « sédévacantiste ». En effet, si les passages problématiques du concile et les réformes qui suivirent n’engageaient pas en droit l’infaillibilité, les erreurs qui y sont contenues ne remettraient pas en cause l’autorité de celui qui les a promulgués. Ainsi, Paul VI et ses successeurs, qui ont dispensé ces faux enseignements et mis en œuvre ces lois mauvaises auraient conservé l’autorité pontificale et seraient demeurés vicaires de Jésus-Christ.
Pour répondre, il faut donc considérer deux choses :
La divinité de l’Eglise et son magistère en général
La qualification du concile en particulier
Enfin, une courte conclusion répondra à l’objection formulée contre la position sédévacantiste.
La divinité de l’Eglise et son magistère
Jésus-Christ a fondé l’Eglise catholique pour continuer son œuvre salvatrice [1] et lui a pour cela transmis son pouvoir d’enseigner, de gouverner et de sanctifier les âmes. L’Eglise est divine et a une vocation surnaturelle : guider surement les âmes à Dieu en leur donnant les moyens du salut. Pour accomplir cette mission, Dieu l’assiste continuellement en demeurant avec elle.
« Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit, et leur enseignant à observer tout ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles »
Matth. XXVIII, 19-20
Pour aimer Dieu et nous sauver en l’atteignant comme notre fin, il faut d’abord le connaître dans son intimité puisqu’on ne peut atteindre ce qu’on ne connaît pas. Cette connaissance intime de Dieu nous dépasse et nous ne pouvons l’atteindre que parce que Dieu a parlé directement aux hommes en se révélant. C’est en cette adhésion de l’intelligence aux vérités révélées par Dieu que consiste la foi. L’Eglise, par son magistère, c’est-à-dire son enseignement, nous atteste avec certitude que telle ou telle vérité est révélée, et, par conséquent, oblige notre assentiment. L’Eglise est la règle prochaine de notre foi [2], la gardienne, la colonne et le fondement de la Vérité (1 Tim. III, 15). L’Eglise est un admirable trésor de Dieu, elle est un roc immaculé d’une importance capitale pour notre salut : elle éclaire et surélève nos intelligences par la conservation et l’explication du dépôt révélé, objet de la foi.
Jésus-Christ a donné à saint Pierre et à ses successeurs, les papes, la primauté suprême sur l’Eglise. Ils en sont les chefs, vicaires de Jésus-Christ.
« Et Moi, Je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre Je bâtirai Mon église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. Et Je te donnerai les clefs du royaume des Cieux ; et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aussi dans les Cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aussi dans les Cieux »
Matth. XVI, 18-19
Si l’Eglise n’était pas revêtue de l’autorité de Dieu, et si son magistère n’était pas la règle prochaine de notre foi, nous ne serions certains de rien : ni le culte, ni le canon des livres de la Bible, ni les dogmes fondamentaux de la religion, ne seraient certainement véridiques et agréables à Dieu. L’idée d’une « Tradition » qui servirait de règle prochaine de la foi ne nous sortirais pas de manière définitive du doute et de l’incertitude : nous en serions réduits, comme les sectes protestantes, à des divisions intestines et à des querelles pour savoir ce qui est vraiment traditionnel, ce qui a vraiment été cru « partout et toujours ». C’est pourquoi il a toujours été évident pour les catholiques (avant Vatican II) que l’enseignement ordinaire de l’Eglise était la règle prochaine de la foi, et que c’est l’Eglise enseignante qui a autorité pour savoir ce qui est traditionnel ou non, au sens de la Tradition apostolique.
« L’Eglise universelle ne peut se tromper, car elle est gouvernée par le Saint-Esprit, qui est l’Esprit de vérité : le Seigneur, en effet l’a promis à ses disciples en disant (Jean XVI, 13) : « Lorsqu’il viendra, l’Esprit de vérité, il vous enseignera toute la vérité ». »
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, II-II, q. 1, a. 9
« Notre position est donc que l’Eglise ne peut absolument pas se tromper, ni dans les choses absolument nécessaires, ni dans les autres choses qu’elle nous propose à croire ou à faire, que ces choses soient expressément dans l’Ecriture ou qu’elles n’y soient pas. »
Saint Robert Bellarmin, Des conciles et de l’Eglise ; Lib. III : De l’Eglise militante répandue sur toute la terre, Ch. XIV : l’Eglise ne peut errer
« Vous avez ouï dire, Théotime, que dans les conciles généraux il se fait des grandes discussions et recherches de la vérité, par discours, raisons et arguments de théologie; mais la chose étant débattue, les pères, c’est-à-dire les évêques, et spécialement le pape, qui est le chef des évêques, concluent, résolvent et déterminent, et la détermination étant prononcée, chacun s’y arrête et acquiesce pleinement, non point en considération des raisons alléguées en la discussion et recherche précédente, mais en vertu de l’autorité du Saint-Esprit qui, présidant invisiblement dans les conciles, a jugé, déterminé et conclu par la bouche de ses serviteurs qu’il a établi pasteurs du christianisme. L’enquête donc et la discussion se font au parvis des prêtres, entre les docteurs; mais la résolution et l’acquiescement se font au sanctuaire, où le Saint-Esprit, qui anime le corps de l’Eglise, parle par la bouche de ses chefs, selon que notre Seigneur l’a promis »
Saint François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, Livre II, chap. XIV
« C’est Dieu, c’est Jésus-Christ qui a fondé sur la terre et constitué l’Église; et c’est lui qui a divisé l’Église en deux parties, unies mais distinctes. L’Église enseignante et l’Église enseignée. L’Église enseignée est formée des laïques et des simples prêtres, lesquels ne sont, en aucun cas, juges de la foi. L’Église enseignante, par laquelle Dieu enseigne et gouverne les fidèles répandus sur toute la terre, est composée du Pape et des Évêques ; et comme c’est Dieu lui-même qui parle par elle, qui, par elle, enseigne, commande, condamne, pardonne, tout ce que l’Église enseignante lie ou délie sur la terre, est en même temps infailliblement lié et délié dans les cieux. En d’autres termes, l’Eglise enseignante est infaillible; elle ne peut se tromper ni nous tromper; elle est immédiatement assistée de Dieu. Or, le Concile n’est autre chose que l’Église enseignante assemblée; et c’est pour cela que le Concile est infaillible, et que tous ses décrets, toutes ses décisions ont un caractère d’autorité souveraine et divine. Tout le monde doit s’y soumettre ; tout le monde, sans exception. Et c’est tout simple : qui a le droit de ne pas se soumettre à Dieu »
Mgr de Ségur, L’infaillibilité du Pape, Chap. I
L’Eglise est donc infaillible parce que Dieu est infaillible. Le pape seul et les évêques unis au pape sont infaillibles lorsqu’ils enseignent ce qu’il faut croire et ce qu’il faut faire parce qu’ils en ont divinement reçu la mission de Jésus-Christ, chef invisible de l’Eglise. Un catholique aime l’Eglise parce qu’il aime Dieu ; il croit et écoute ce que lui dit l’Eglise parce qu’il a confiance en Dieu, Amour subsistant et Vérité même. Le credo nous enseigne que l’Eglise est une, sainte, catholique et apostolique : elle ne peut pas donner de poison à ses fils, elle ne peut pas se contredire, elle ne peut pas enseigner l’erreur en matière de foi, elle ne peut pas inciter au mal par de mauvaises disciplines. Même dans son enseignement « pastoral » (c’est-à-dire par ses dispositions non dogmatiques, contingentes, liées au temps et au lieu), elle ne fait qu’appliquer pratiquement des principes certains. Ses lois disciplinaires, si elles peuvent être changées par l’autorité légitime, sont vierges de tout danger et ne peuvent conduire au mal. Le contraire s’opposerait à la mission et à la constitution divine de l’Eglise. C’est ce qu’a enseigné le pape Pie VI, en 1794, dans sa bulle Auctorem Fidei par laquelle il condamna la 78ème proposition du conciliabule janséniste de Pistoie tenu en 1786 :
« Le synode prescrit l’ordre des matières à traiter dans les conférences : il dit d’abord, que « dans chaque article, il faut distinguer ce qui se rapporte à la foi et à l’essence de la religion de ce qui est propre à la discipline » ; il ajoute que, « dans cette discipline même, il faut distinguer ce qui est nécessaire ou utile pour retenir les fidèles dans le bon esprit, de ce qui est inutile ou trop pesant pour la liberté des enfants de la nouvelle alliance, et encore plus de ce qui est dangereux et nuisible, comme conduisant à la superstition et au matérialisme » (ibid., § 4). Par la généralité des expressions, le synode comprend et soumet à l’examen, qu’il prescrit, même la discipline constituée et approuvée par l’Église, comme si l’Église, dirigée par l’Esprit de Dieu, pouvait établir une discipline non seulement inutile et trop onéreuse pour la liberté chrétienne, mais encore dangereuse, nuisible et conduisant à la superstition et au matérialisme. Cette proposition est fausse, téméraire, scandaleuse, pernicieuse, offensive des oreilles pies, injurieuse pour l’Église et pour l’Esprit de Dieu par qui elle est conduite, et erronée pour le moins »
Pie VI, Auctorem Fidei
Concluons avec Léon XIII :
« Il est donc évident, d’après tout ce qui vient d’être dit, que Jésus-Christ a institué dans l’Eglise un magistère vivant, authentique et, de plus, perpétuel qu’Il a investi de Sa propre autorité, revêtu de l’esprit de vérité, confirmé par des miracles, et Il a voulu et très sévèrement ordonné que les enseignements doctrinaux de ce magistère fussent reçus comme les Siens propres »
Satis Cognitum
« Quant à déterminer quelles doctrines sont renfermées dans cette révélation divine, c’est la mission de l’Eglise enseignante, à laquelle Dieu a confié la garde et l’interprétation de sa parole; dans l’Eglise, le docteur suprême est le Pontife Romain. L’union des esprits réclame donc, avec un parfait accord dans la même foi, une parfaite soumission et obéissance des volontés à l’Eglise et au pontife Romain, comme à Dieu lui-même »
Sapientiae Christianae
La qualification de Vatican II
Nous avons vu que l’infaillibilité du magistère de l’Eglise vient de Dieu. Il a pour objet les vérités révélées par Dieu et liées nécessairement à la révélation. Il a pour sujet le pape seul ou les évêques unis au pape. Il peut aussi s’exercer selon différents modes : solennel ou ordinaire. Ces subtilités ne doivent pas éclipser l’essentiel : l’Eglise est infaillible dans son enseignement sur la foi et les mœurs en vertu de l’assistance continuelle qu’elle reçoit de Dieu. Quand elle donne un tel enseignement, le fidèle doit le recevoir dans la lumière de la foi comme une vérité certaine.
Le concile Vatican II se tient du 11 octobre 1962 au 8 décembre 1965. Il réunissait 2450 pères conciliaires et a mené à la « promulgation » de quatre constitutions, trois déclarations et neuf décrets. Normalement, un tel concile œcuménique est l’expression du magistère solennel de l’Eglise enseignante. Cependant, l’absence de définition solennelle et la déclaration de Paul VI lors d’une audience du 12 janvier 1966 [3] le classe plutôt au sein du Magistère ordinaire et universel de l’Eglise. Cette expression est utilisée par le Concile Vatican I (1870) pour expliciter les modes d’exposition des vérités de foi. La Députation de la foi, commission de 24 membres chargée de donner aux Pères conciliaires le sens exact des textes, s’appuie sur la lettre envoyée par Pie IX à l’archevêque de Munich pour expliquer ce qu’est le magistère ordinaire et universel :
« Quand il ne s’agirait que de la soumission qui doit se manifester par l’acte de foi divine, on ne pourrait pas la restreindre aux seuls points définis par les décrets des conciles œcuméniques ou des Pontifes romains et de ce Siège apostolique ; il faudrait encore l’étendre àtout ce qui est transmis comme divinement révélé par le magistère ordinaire de toute l’Eglise dispersée sur la terre »
Pie IX, Tuas Libenter, 1863
Le Magistère ordinaire et universel est donc l’enseignement quotidien de l’ensemble des évêques unis au pape. Comme le signale Pie IX, Les évêques sont habituellement dispersés sur la terre lorsqu’ils exercent ce magistère. Cependant, l’union physique (un concile) de l’Eglise enseignante (pape et évêques) n’abolit pas leur union formelle (accord moral sur ce qui est enseigné) dans l’enseignement. Ces qualifications désignent des modes d’exercice accidentels du Magistère. Solennel ou ordinaire, papal ou universel (évêques unis au pape), en concile ou dispersé sur la terre, c’est la nature de l’acte magistériel et de son contenu qui est essentiel. Ce qui doit faire l’objet d’un acte de foi et d’un assentiment religieux des fidèles, c’est la vérité révélée par Dieu ou rattachée à la révélation, indépendamment de la manière dont elle est présentée par le pape et l’Eglise. C’est l’enseignement du Concile Vatican I sur l’objet de la foi :
« Est à croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la Parole de Dieu ou écrite ou transmise, et que l’Eglise, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel, propose à croire comme divinement révélé. »
Constitution Dei Filius
C’est ce que confirme Léon XIII en reprenant les enseignements du Concile Vatican I :
« Quand il s’agit d’établir les limites de l’obéissance, que personne ne s’imagine que la soumission à l’autorité des pasteurs sacrés et surtout du Pontife Romain s’arrête à ce qui concerne les dogmes, dont le rejet opiniâtre ne peut aller sans le crime d’hérésie. Il ne suffit même pas de donner un sincère et ferme assentiment aux doctrines qui, sans avoir été définies par un jugement solennel de l’Eglise, sont cependant proposées à notre foi, par son magistère ordinaire et universel, à la croyance des fidèles comme étant divinement révélées ; et que l’on doit croire, selon le décret du Concile du Vatican de foi catholique et divine »
Léon XIII, Sapientiae Christianae
Le concile Vatican II aurait donc dû jouir de l’infaillibilité toutes les fois où il affirme dans ses enseignements que telle ou telle vérité est révélée par Dieu ou rattachée à la révélation. Or, ce lien avec la révélation est affirmé dans de nombreux documents issus du concile. Ceci est normal, puisqu’un concile a justement pour but de proposer aux fidèles des vérités à croire pour éclairer leur intelligence avec certitude dans la voie du salut. Prenons par exemple la déclaration Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse, « promulguée » le 7 décembre 1965 par Paul VI :
« Le Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. […] Il déclare en outre que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité de la personne humaine telle que l’on fait connaîtrela Parole de Dieu et la raison elle-même. […] Cette doctrine de la liberté a ses racines dans la révélation divine, ce qui, pour les chrétiens, est un titre de plus à lui être saintement fidèles […] L’Eglise, donc, fidèle à la vérité de l’Evangile, suit la voie qu’ont suivie le Christ et les Apôtres lorsqu’elle reconnaît le principe de la liberté religieuse comme conforme à la dignité de l’homme et à la Révélation divine, et qu’elle encourage une telle pratique »
Déclaration Dignitatis Humanae
Le concile affirme ici l’existence d’un droit à la liberté religieuse inhérent à la nature même de l’homme. Il ne s’agit nullement d’une tolérance de fait pour éviter un plus grand mal mais d’un droit inaliénable et indépendant des circonstances. Ce droit inconditionnel attaché à la nature humaine est explicitement enseigné comme étant contenu dans la Parole de Dieu où il trouverait son fondement et sa justification. Par conséquent, il doit faire l’objet d’un acte de foi divine et catholique de la part des fidèles.
Paul VI confirme « la promulgation » de ce texte en vertu de sa suprême autorité :
« Tout l’ensemble et chacun des points qui a été édictés dans cette déclaration ont plu aux Pères conciliaires. Et Nous, en vertu du pouvoir apostolique que nous tenons de Christ, en union avec les vénérables Pères, Nous les approuvons, arrêtons et décrétons dans le Saint-Esprit, et Nous ordonnons que ce qui a été établi en concile soit promulgué pour la gloire de Dieu. Rome, à Saint-Pierre, le 7 décembre 1965, Moi, Paul, Evêque de l’Eglise catholique. »
Déclaration Dignitatis Humanae
Loin d’être un conseil purement pratique ou pastoral, la liberté religieuse est définie par celui qui aurait dû jouir de l’autorité pontificale comme un droit naturel explicitement contenu dans la Révélation.
Si par pastoral, il faut entendre ordinaire, non solennel, alors nous concédons que Vatican II soit pastoral. Si il faut entendre non-doctrinal (et que serait-il alors ? Pourquoi aurait-il eu lieu ? De quoi aurait-il parlé ?), ne s’imposant en aucune façon à la foi des croyants, nous nions. Vatican II n’est pas pastoral en tant que tel tout comme il n’aurait pas dû être infaillible dans la moindre de ses phrases. En revanche, en tant que concile théoriquement promulgué par l’autorité du pape et en vertu du magistère vivant et infaillible dont Jésus-Christ a doté l’Eglise, ses enseignements en matière de foi et de morale auraient dû être infaillibles et impérer conséquemment un acte de foi de la part des fidèles. Par ailleurs, il fût compris comme telle par les pères conciliaires, les théologiens et les imposteurs qui se succédèrent sur le siège apostolique. [4] Citons Yves Congar, peritus au concile, « élevé au cardinalat » par Jean-Paul II en 1994 :
« Vatican II a été doctrinal. Le fait qu’il n’ait pas « défini » de nouveaux dogmes ne retire rien à sa valeur doctrinale, selon la qualification que la théologie classique donne, de façon différentiée, aux documents qu’il a promulgués. Certains sont « dogmatiques », ils expriment la doctrine commune, ils seraient comparables aux grande encycliques doctrinales (qu’ils citent d’ailleurs souvent), à cela près qu’ils expriment, par la voie (et la voix) du magistère extraordinaire l’enseignement de ce que Vatican I a appelé « le magistère ordinaire et universel ». Tel est le statut de Lumen Gentium, des parties doctrinales de Dei Verbum, de la Constitution sur la liturgie et de Gaudium et spes, mais aussi de plusieurs « décrets » et de la déclaration Dignitatis Humanae personae. D’autres textes ou parties de ces mêmes documents sont de nature purement « pastorale » c’est-à-dire donnant, selon la prudence surnaturelle des pasteurs réunis en concile, des directives en matière pratique. »
Yves Congar, Le Concile de Vatican II, édit. Beauchesne, 1984, p.64
Si donc l’on rejette à bon droit le concile et ses suites qui subvertissent objectivement la foi catholique et entraînent une destruction du culte et de la morale, il faut rejeter du même coup l’autorité de ceux qui en sont responsables. Autrement, on en vient à défendre par naïveté ou par entêtement des absurdités injustifiables, on se perd dans des gauchissements de la doctrine catholique en s’éloignant toujours plus de la vérité.
[2] Ce que nous croyons à proprement parler est la Parole de Dieu, objet de notre foi. Cette parole est toute entière contenue dans la Sainte Ecriture et dans la Tradition, c’est la règle éloignée de la foi. Pour la connaître avec certitude nous avons besoin que le magistère de l’Eglise nous dise avec une autorité infaillible où se trouve la parole de Dieu et comment nous devons l’interpréter; que ce même magistère nous dise encore tout ce qui lui est contraire et qu’il faut éviter, c’est la règle prochaine de la foi. Saint Pie X rappelait lors d’une visite à des étudiants cet enseignement fondamental pour tout bon chrétien : « Le premier et le plus grand critérium de la foi, la règle suprême et inébranlable de l’orthodoxie est l’obéissance au magistère toujours vivant et infaillible de l’Église établie par le Christ « columna et firmamentum veritatis, la colonne et le soutien de la vérité ». Nous renvoyons le lecteur à un autre article sur la règle de notre foi : https://www.sodalitium.eu/regle-de-foi/
[3] « Etant donné son caractère pastoral le Concile a évité de proclamer selon le mode extraordinaire des dogmes dotés de la note d’infaillibilité. Toutefois le Concile a attribué à son enseignement l’autorité du magistère suprême ordinaire ; cet enseignement est manifestement authentique et doit être accepté par tous les fidèles suivant les normes que lui a attribuées le Concile, compte tenu de la nature et du but de chaque document » (La Documentation Catholique, n° 1466, 1966, p.420)
[4] Le 30 janvier 2021, François recevait au Vatican l’Office national italien de la catéchèse. Il rappelait que le concile faisait partie du magistère et qu’à ce titre, il n’était pas négociable : « C’est le magistère : le Concile est le magistère de l’Eglise. Sois tu restes avec l’Eglise et donc tu suis le Concile, et si tu ne suis pas le Concile ou si tu l’interprètes à ta façon, comme tu veux, tu ne restes pas avec l’Eglise. Nous devons être exigeants sur ce point, sévères. Le Concile ne doit pas être négocié, pour avoir plus de ceci… Non, le Concile est ainsi. » https://fr.zenit.org/2021/01/30/le-pape-exhorte-leglise-a-ne-pas-avoir-peur-decouter-les-questions-les-fragilites-les-incertitudes/
Ce document était attendu depuis un moment : il fait suite à une grande « enquête sur le rite extraordinaire » commandée par Bergoglio aux différentes conférences épiscopales le 7 mars 2020. Le motu proprio Summorum Pontificum (2007) de Benoît XVI avait donné lieu à une « régularisation » ou « légalisation » du culte catholique suivant le rite tridentin, apanage de quelques communautés qui vivent et agissent en marge des structures officielles du catholicisme depuis le Concile Vatican II et l’instauration obligatoire du Novus Ordo Missae en 1969. En 2007, quand Benoît XVI émet son motu proprio pour autoriser officiellement la pratique du rite tridentin, ces traditionalistes, restés attachés à « l’ancien rite » et à la foi catholique telle qu’elle a toujours été enseignée, ont presque tous exulté (y compris la FSSPX, héritière de Mgr Lefebvre), ne voyant pas ou feignant de ne pas voir l’absurdité de la situation, sa fragilité et son hypocrisie. 13 ans plus tard, le constat de cette absurdité et de cette hypocrisie est fait par les conciliaires eux-mêmes, qui cherchent à limiter drastiquement les dispositions du motu proprio précédent. Serait-ce l’occasion pour les traditionalistes de réfléchir en profondeur à leurs engagements, à leur foi et à la nature véritable de la crise de l’Eglise ? Quelle conclusion logique faut-il tirer de la détestation des autorités conciliaires à l’égard de la vraie liturgie catholique ?
Le motu proprio de Benoît XVI était déjà une hypocrisie et une absurdité
Les traditionalistes ont commencé leur combat en refusant une « messe protestante », une « messe bâtarde » (l’expression est de Mgr Lefebvre), qui n’est que l’expression sensible et extérieure de la « foi » bâtarde et protestante promue par Vatican II. Lex orandi, lex credendi : la loi de prière est la loi de croyance ; la liturgie est l’expression et l’illustration de ce que l’on croit. Par ses innombrables omissions et ses nouveautés, le rite de Paul VI s’éloigne « de manière impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe »(1). Par extension, Vatican II s’éloigne de manière impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique … Liberté religieuse, œcuménisme de type « théorie des branches », collégialité épiscopale, laïcité, exaltation du judaïsme talmudique, soutien intellectuel et pratique au mondialisme maçonnique athée, dévalorisation de la vie intérieure et de la mortification au profit de « l’action » et de la « positivité », effacement de l’objectivité de la morale au profit de la subjectivité et des sentiments (au point que la contraception artificielle, la sodomie ou le suicide peuvent devenir un « bien subjectif »), tout ceci est contenu dans Vatican II et/ou dans l’enseignement des successeurs de Paul VI.
Par les desseins miséricordieux de la Providence, qui a permis que l’Eglise soit infiltrée de l’intérieur et sabordée par ses pires ennemis (exactement comme le craignait Saint Pie X), cette infiltration et ce sabordage ont été rendus particulièrement visibles et évidents, avec la réforme liturgique de 1969. Nos jeunes générations ne se représentent pas bien à quel point la réaction au nouveau missel a été massivement défavorable chez les catholiques, particulièrement en France. Entre ceux qui s’interrogent sur la pertinence du changement, ceux qui abandonnent la pratique religieuse par dégoût pour cette désacralisation, ceux qui demandent timidement le maintien de certaines pratiques anciennes et ne comprennent pas l’abandon brutal de plusieurs siècles de tradition liturgique, il y eut aussi ceux qui refusèrent catégoriquement toute participation à cette liturgie protestante et commencèrent à s’organiser en groupes de « résistants », bien convaincus qu’il ne s’agissait pas seulement de préférences esthétiques personnelles mais de questions relatives à la foi catholique elle-même, dans toute sa profondeur, et donc du salut de leur âme dont dépend la profession de la foi.
Le temps passant ces « résistants » se sont organisés en groupes différents et ont précisé leur position doctrinale vis-à-vis de la crise de l’Eglise et de la trahison de ses autorités. Ils sont devenus les « sédévacantistes », la FSSPX, la FSSP, l’IBP et d’autres groupes plus ou moins « régularisés » vis-à-vis de la Rome conciliaire, qui tolère avec une forme de résignation et non sans un certain mépris leur « différence liturgique » et leur « sensibilité droitière ». Après avoir tenté sans succès d’interdire brutalement, à renfort de menaces et de sanctions spectaculaires, l’usage de la liturgie tridentine et la défiance à l’égard de Vatican II au nom de la doctrine catholique reçue avant le concile, les conciliaires (à partir de Jean-Paul II) ont opté pour une stratégie plus diplomatique et ont cherché à donner un « cadre » à ces groupes et à ces pratiques en dissonance avec l’esprit de Vatican II. Joseph Ratzinger, devenu « pape », a acté de manière officielle cette « réconciliation » et cette « légalisation » par le motu proprio de 2007.
Le 30 mars 1987, à la demande de Mgr Thomas évêque de Versailles, le Père Bruno de Blignères est expulsé manu militari de l’église Saint-Louis du Port-Marly, pendant qu’il célèbre la Messe
Mais qui ne voit que le motu proprio de Benoît XVI oblige ces traditionalistes à renier les engagements et les principes du combat qui les a poussés à rejeter la nouvelle liturgie ? Ratzinger, qui n’est un « conservateur » que pour l’œil non averti, était connu comme l’un des penseurs les plus progressistes pendant le concile Vatican II, un véritable et pur moderniste (2). Le principe qui sous-tend la « légalisation » de la liturgie tridentine est le suivant : ce rite est aussi bon etlégitime que le nouveau, dans l’absolu ; et pour autant il ne faut pas les considérer sur un strict pied d’égalité, car le nouveau rite est le rite ordinaire de la liturgie romaine, tandis que la liturgie tridentine n’existe que sous un régime dérogatoire, elle est le rite extraordinaire. Accepter le régime du motu proprio signifie, pour les traditionalistes, accepter que la « nouvelle messe » qu’ils ont rejeté et combattu est « aussi bonne » que la vraie Messe et même supérieure en dignité en tant que rite ordinaire de l’Eglise universelle.
Personne ne devrait être content dans cette situation absurde. Ni les traditionalistes, ni les modernistes.
Pourquoi tant de traditionalistes ont chanté le Te Deum, ont sabré le magnum de champagne, à l’occasion de cette « concession » de la part de la Rome conciliaire, qui est plutôt au fond une capitulation de la part des traditionalistes ? Ont-ils oublié les principes qui motivent leur combat, et qui font constater que le nouveau rite est équivoque, scandaleux, dangereux du point de vue de la foi et même probablement invalide ? Comment peut-on se contenter et se réjouir d’une telle situation, si l’on est convaincu que le nouveau rite est mauvais ? La réponse est simple : il faut ou bien se convaincre que finalement le nouveau rite n’est pas mauvais, ou bien être hypocrite et accepter en apparence la dignité du nouveau rite tout en pensant autrement en secret. Ainsi semblent faire beaucoup de prêtres et de fidèles des groupes dits « ralliés », qui critiquent en secret Vatican II et sa liturgie, tout en professant extérieurement d’une union et d’une obéissance à l’égard de ce qu’ils estiment être le Saint-Siège. Ils font mine « d’en être », sans en être vraiment, en conservant leur propre manière de voir les choses. Comme si le Pape et l’Eglise pouvaient enseigner des hérésies et promulguer une liturgie mauvaise : il faut, pour défendre une telle position, ressusciter les arguments mille fois réfutés des gallicans et des jansénistes contre l’autorité et les prérogatives du successeur de Saint Pierre, contre la sainteté et l’infaillibilité de l’Eglise.
Du côté des modernistes, le motu proprio de Benoît XVI est très mal vu. Pourquoi donner du crédit et du soutien à ces groupuscules d’extrême-droite, qui sont contre le progrès et contre l’amour ? Ils ralentissent l’œuvre de Vatican II. Bien qu’intellectuellement parlant, on puisse être un vrai moderniste et reconnaître un certain intérêt et une certaine légitimité au rite tridentin (comme Ratzinger), en pratique ce que ce rite représente est trop en rupture avec le modernisme et la religion de Vatican II pour qu’il soit en affection chez la plupart de ses partisans. En définitive, ce que les modernistes reprochent principalement aux traditionalistes, c’est d’adhérer à la théologie catholique d’avant Vatican II, dont la Messe tridentine est l’expression : ainsi le professeur Massimo Faggioli explique les inquiétudes du Vatican vis-à-vis des traditionalistes de cette manière : « You can have that latin mass, you cannot have the theology of the 16th century that was at the basis of latin mass »(3). La Messe en latin, passe encore ; mais la théologie antiprotestante des papes, des docteurs et des saints du XVIème siècle, pas question.
Ce rite a été abandonné par Paul VI et ses suivants parce qu’il était trop attentatoire aux croyances des protestants, qu’il était nuisible à l’œcuménisme : pourquoi autoriser sa diffusion s’il va contre les principes et les objectifs de Vatican II ? Cette situation de coexistence des deux rites est perçue par la plupart comme une bizarrerie, quasiment un attentat à « l’unité de l’Eglise » dans sa loi de prière. Plusieurs posent ouvertement la question de savoir si les communautés traditionnalistes sont en communion avec l’Eglise catholique : quand Vatican II donne la certitude que les protestants et les schismatiques orientaux sont membres de l’Eglise, apparemment l’appartenance des traditionalistes à l’Eglise fait débat !(4)
L’actuelle décision de François de briser les dispositifs établis par son prédécesseur et de placer sous un contrôle beaucoup plus drastique les groupes traditionalistes n’est que l’aboutissement naturel d’une situation qui était, dès le départ, incohérente et bancale. La stratégie de Benoît XVI, qui consiste à amadouer les traditionalistes pour mieux les contrôler, ne porte pas les fruits attendus. Les modernistes commencent à le dire de plus en plus fortement : le sempiternel « dialogue œcuménique », si richement mené à l’égard des sectateurs de Luther et de Photius, ne peut pas être mené avec les traditionalistes parce qu’ils sont trop « de droite ». Les conciliaires progressistes reconnaissent (avec raison) qu’ils sont plus proches des libéraux de toute confession, que des catholiques trop fortement attachés au catholicisme. François a multiplié ces derniers temps les déclarations très hostiles et à peine voilées à l’égard des catholiques « trop conservateurs », considérés comme des pharisiens ou des personnes cliniquement malades. La rupture de fait et l’impossibilité d’une conciliation entre ces deux camps, que tout oppose au point de vue des idées, va se traduire de plus en plus dans le droit conciliaire. Et pour les traditionalistes, il faudra finir par sortir de ce statu quo insensé et inique entre ceux qui veulent détruire la foi et ceux qui veulent la défendre.
Le motu proprio de François ne fait que mettre le « traditionalisme » devant ses propres contradictions
Les traditionalistes qui avaient exulté en 2007 se trouvent à présent désemparés. Pour beaucoup d’entre eux, c’est peut-être la disparition pure et simple de leur « paroisse » qui les attends. Pour tous, on attendra d’eux des gages explicites de soumission à Vatican II et à la nouvelle liturgie. Certains sont littéralement excédés, et ne comprennent pas qu’un pape puisse à ce point persécuter l’usage des saintes et émouvantes cérémonies de la liturgie tridentine, et les doctrines qu’elles expriment.
Mais faut-il s’étonner de cette situation ? Absolument pas, disions-nous plus tôt.
Les conciliaires s’opposent à la liturgie tridentine, parce qu’elle est explicitement incompatible avec le protestantisme, elle choque les « frères séparés »(5). Ils veulent faire plaisir aux protestants avec leur « nouvelle messe », parce qu’ils considèrent que le protestantisme est légitime et que les protestants sont véritablement membres de l’Eglise : on ne parle plus « d’œcuménisme du retour », mais d’œcuménisme de l’approfondissement ou de la perfection du lien déjà existant.
Luther et le Cardinal Cajetan
Les traditionalistes sont, a priori, conscients que ces idées sont contraires à la foi catholiques, condamnées par le magistère de l’Eglise et par la voix unanime des docteurs et des saints catholiques des derniers siècles. Pourquoi s’étonnent-ils d’être persécutés par les défenseurs de l’hérésie ?
Pourquoi les traditionalistes s’attendent, de la part des défenseurs de l’hérésie, à ce qu’ils leur concèdent un quelconque droit à exister dans la dénonciation de l’hérésie et la profession de la doctrine catholique intégrale ? Pourquoi se réjouissent-ils quand les défenseurs de l’hérésie font mine de leur donner un semblant d’existence, et s’attristent-ils quand les défenseurs de l’hérésie leur dénient les concessions précédemment faites ?
Voilà la grande contradiction du traditionalisme « rallié » : ils recherchent l’approbation … de leurs ennemis, de ceux contre qui ils luttent. Au moins de ceux contre qui ils luttaient initialement. Si la « nouvelle messe » ne posait pas un grave problème de conscience, il n’y aurait aucune raison d’être traditionaliste, les traditionalistes ne seraient que des schismatiques, des extravagants, des fous. Si la « nouvelle messe » était vraiment bonne et sainte, comme l’affirme le motu proprio de Benoît XVI, le traditionalisme est alors relégué au rang de fantaisie droitière pharisaïque : c’est ainsi qu’il est considéré par le clergé conciliaire.
Cette « relation » entre les traditionalistes et les autorités conciliaires est profondément incohérente. Au fond, qu’ils en soient conscients ou non, les traditionalistes qui recherchent l’approbation de la Rome conciliaire ne cherchent qu’une chose : un sentiment de régularité et de normalité institutionnelle. Ils ne cherchent pas sincèrement à obéir au pape : ils cherchent à avoir le sentiment que le pape est d’accord avec eux. Ils veulent avoir le sentiment qu’il y a une continuité entre l’Eglise d’avant et celle d’après Vatican II. Ils veulent avoir le sentiment que tout est normal, que Vatican II n’est qu’une regrettable imperfection humaine dans l’histoire de l’Eglise et qu’elle n’engage pas son autorité infaillible, ou bien que Vatican II n’est pas fondamentalement incompatible avec leur « sensibilité intégriste ». Ils veulent avoir le sentiment que l’on peut pratiquer la foi catholique intégrale sans passer pour un fou et un sectaire. Ils passeront quand même pour des fous et des sectaires auprès des autorités ecclésiastiques actuelles, et seront traités comme tels …
Ce sentiment ne peut qu’être fragile et illusoire, parce que les personnes dont ils veulent l’approbation ne recherchent plus le bien de l’Eglise et la fin pour laquelle elle a été instituée. Ce fait est manifeste depuis le concile Vatican II. Ces personnes ont usurpé les institutions de l’Eglise, sa structure, pour défendre d’autres doctrines et d’autres finalités que celles de l’Eglise du Christ : la nouvelle religion humanitaire, œcuméniste et laxiste enfantée par le modernisme et la conjuration antichrétienne. Ce sont les ennemis déclarés de Dieu : ils ne recherchent pas sa gloire, mais cherchent à plaire au monde, ils suivent sans discernement ses lubies et ses modes intellectuelles impies, ils aiment ce monde maudit et anathématisé par Jésus-Christ lui-même, sans comprendre son vide profond et sa laideur. Ils détestent le renoncement et la mortification des saints des siècles passés, parce qu’ils n’ont pas la même foi que les saints des siècles passés. Ils détestent aussi leur zèle pour la lutte contre l’hérésie et les fausses religions, leur zèle pour la condamnation des mauvais discours et des mauvais livres, parce qu’ils croient à la « liberté de pensée », suivant la mode du temps et contre le magistère de la sainte Eglise. Ils ne veulent pas ce que veulent les catholiques : la gloire de Dieu, l’exaltation de la foi et l’extirpation des hérésies, la conversion des pêcheurs et le salut des âmes. Voici ce qu’ils veulent : la gloire de l’homme, l’effacement de la foi et la libre prolifération des hérésies, le contentement des pécheurs dans leurs péchés, l’oubli des fins dernières et du jugement de Dieu (remplacés par une croyance au salut universel inconditionnel)(6).
On ne peut pas être pape et poursuivre objectivement, de manière habituelle, quelque chose de contraire au bien de l’Eglise et à sa finalité. C’est tout simplement un empêchement, un obex à l’autorité pontificale. Cet argument développé par Mgr Guérard des Lauriers prouve de manière philosophiqueplus que théologique combien il est impossible que Paul VI et ses successeurs soient papes. Et si l’on se posait la question, juste et légitime question, de savoir où se trouvent l’autorité et la juridiction dans l’Eglise actuellement en crise (car elles ne peuvent disparaître, de droit divin), la « thèse de Cassiciacum » y répond en toute conformité avec la théologie catholique, le magistère de l’Eglise et la philosophie de Saint Thomas : https://www.sodalitium.eu/lexplication-thomiste-de-letat-actuel-de-lautorite-leglise/
Deux alternatives logiques : accepter Vatican II et la nouvelle messe, ou accepter le constat de la vacance du Saint-Siège
La position de la FSSPX, qui est malheureusement celle vers laquelle vont se tourner par défaut beaucoup de « ralliés » malmenés par les nouvelles restrictions, ne peut pas être une alternative logique, conforme à la raison et à la foi. Ces « ralliés » ont accepté de se rallier par esprit « romain », par opposition à la dérive schismatique de la FSSPX qui sacre des évêques en faisant comme si le pape n’existait pas ; par esprit romain (c’est-à-dire par esprit catholique, suivant le principe de la foi en l’autorité suprême du Pape) ils doivent choisir entre la soumission réelle, extérieure et intérieure, à ce qu’ils pensent être l’autorité de l’Eglise, ou bien le sédévacantisme, c’est-à-dire la claire conscience de l’impossibilité qu’un pape enseigne des hérésies et détruise la liturgie catholique, et en conséquence le constat que le Saint-Siège est vacant au plus tard depuis 1965, date de la promulgation de Vatican II, contenant notamment la fausse doctrine de la liberté religieuse. Conclusion difficile, déchirante, mais froidement logique, et conforme aux principes de la doctrine catholique, face au problème évident et toujours plus grave de la crise de l’Eglise.
La raison pour laquelle tant de traditionalistes se refusent, avec une obstination parfois passionnée, à considérer l’hypothèse du sédévacantisme, est liée à ce dont nous parlions plus haut : la recherche d’un sentiment de régularité et de normalité institutionnelle, la recherche d’une vaine et illusoire approbation de la part de ceux qui occupent les structures institutionnelles de l’Eglise. Et donc, dans cette recherche, le sédévacantisme est vu comme la pire chose possible : d’après cette doctrine, il n’y a actuellement plus de régularité et de normalité dans l’Eglise, chacun est comme livré à lui-même en l’absence d’autorité régnante… Comme si depuis Vatican II, les fidèles étaient bien guidés et n’étaient pas livrés à eux-mêmes, quand les « papes » enseignent des doctrines condamnées par le magistère de l’Eglise et promulguent une liturgie si douteuse qu’il a fallu créer des groupes séparés pour pouvoir continuer à enseigner la vraie doctrine et pratiquer la vraie liturgie contre le « courant dominant du catholicisme ». Sentiment fragile et illusoire disions-nous : au fond, la vie des communautés ralliées diffère peu, en pratique, de la vie des communautés sédévacantiste, la différence réside surtout sur un bout de papier (7). Maintenant que le bout de papier va être déchiré, les ralliés vont-ils réfléchir sérieusement à la gravité de la crise actuelle de l’Eglise catholique, et aux conclusions que doivent nous faire admettre la théologie catholique face à cette crise ?
Nous espérons que les traditionalistes profiteront de ces évènements douloureux pour comprendre que cette recherche est sentimentale, qu’elle vise à procurer un sentiment de confort psychologique, mais que la raison et la foi ensemble se liguent pour discréditer ce sentiment. Il ne faut pas chercher le confort, mais la vérité : tous les traditionalistes seront d’accord avec ce principe, sur le papier. Si une vérité est inconfortable, elle n’en est pas moins vraie, et elle mérite que l’on se prive du confort que nous cherchons, pour accepter l’inconfort de la croix. On ne se sauve pas sans la croix, on ne se sauve pas sans la souffrance : les traditionalistes connaissent ce principe. C’est effectivement une souffrance et un inconfort d’être privé d’autorité et de cadre ecclésiastique légitime, privé de régularité, privé de la sécurité que procure la soumission à une institution visible et forte. Mais si telle est la réalité, on ferait offense à Dieu en ne vivant pas en conformité avec cette réalité.
Nous espérons, sincèrement et charitablement, que ces évènements soient l’occasion pour le plus grand nombre des traditionalistes, qui depuis des années combattent sincèrement pour garder la foi dans un monde apostat, de considérer sérieusement qu’il est impossible qu’un véritable pape persécute la liturgie catholique pour imposer à la place une fausse liturgie protestante, qu’il est impossible qu’un pape enseigne dans l’exercice de son ministère les fausses doctrines qui justifient son amour du protestantisme. Et donc, qu’il est impossible que François soit actuellement pape, vicaire de Jésus-Christ et successeur de Saint Pierre dans l’autorité apostolique. Nous prions pour que le grand saint Pie X, qui a pressenti et cherché à empêcher le noyautage des institutions ecclésiastiques par les modernistes, intercède pour nous tous et nous obtienne d’être vraiment fidèles à son combat, et à tous les sacrifices qu’exigent la défense de la vérité.
Jean-Tristan B.
Il est impossible qu’un arbre bon produise de mauvais fruits. Placé dans un mauvais terrain, un arbre bon meurt, mais jamais il ne produit de mauvais fruits. Nous ne pouvons donc pas imputer les désordres dont nous sommes les spectateurs navrés, nous ne pouvons pas les imputer aux malheurs des temps ou à toutes sortes de causes extrinsèques. Non, les malheurs de l’Église, ils viennent de ce que, à l’origine, au sommet, il y a une viciosité radicale qui découle de l’esprit de Satan qui est le père du mensonge, et non pas de l’ESPRIT SAINT qui est l’ESPRIT de VÉRITÉ.
Efforçons-nous discrètement mais fermement, de porter le jugement que nous avons à porter sur la situation, dans la lumière de la très sainte Foi. Efforçons-nous, avec intrépidité, avec courage, avec simplicité et en allant jusqu’au bout de nous-mêmes, jusqu’au bout de nos forces, usque ad mortem si le Bon Dieu nous le demande, de joindre le témoignage de l’action à la profondeur de la conviction.
– 1 Bref examen critique du nouvel Ordo Missae, signé par les cardinaux Ottaviani et Bacci, rédigé principalement par le Père Michel-Louis Guérard des Lauriers alors professeur à l’Angelicum(1969). Le texte est disponible ici :https://laportelatine.org/documents/crise-eglise/nouvelle-messe/le-bref-examen-critique-du-nouvel-ordo-missae
– 2 Le « dossier Ratzinger» est vaste et il faudrait une vie pour exhumer toutes ses citations modernistes. Par rapport au sujet qui nous intéresse, il est manifeste que Ratzinger n’aime pas les traditionalistes, il les considère comme dangereux et sectaires. Le but de sa politique est de les amadouer, et de noyer leur résistance par une série de mesures qui leur sont en apparence favorables. Voici ce qu’il déclarait en 1982 : « We must be on gard against minimizing these movements [that oppose Vatican II]. Without a doubt, they represent a sectarian zealotry that is the anthitesis of Catholicity. We cannot resist them too firmly.”. (Joseph Ratzinger, Principles of Catholic Theology, Ignatius Press, 1987, pp.389-90 – Traduit de l’original allemande Katolische Prinzipienlehre, 1982). Citation issue du dossier de “Novus Ordo Watch” sur Ratzinger, précieuse mine d’informations pour qui veut comprendre qui est réellement le « pape intégriste » : https://novusordowatch.org/benedict-xvi/
– 3 https://www.youtube.com/watch?v=5UI3FJJ8SNo Cet entretien a lieu dans le contexte des restrictions et régulations imposées par François début 2021 à propos de la célébration dans le « rite extraordinaire » dans la basilique Saint Pierre. Faggioli (partisan enthousiaste de Vatican II) explique que le cœur du problème n’est pas que François n’aime pas cette forme du rite, mais qu’il n’aime pas la théologie qui la sous-tend. Pour pouvoir dire la messe en latin en étant agréé par les autorités conciliaires, il faut préalablement donner des garanties d’être suffisamment moderniste, d’accepter toutes les concessions qu’imposent l’esprit moderne : c’est ce qui attends les communautés ralliées actuellement.
– 4 Voir le document émis par la « conférence des évêques de France » dans le cadre de l’enquête demandée par François sur l’application du motu proprio de Benoît XVI. Une mine d’or pour comprendre la mentalité des conciliaires, qui mériterait un commentaire dédié. https://fsspx.news/sites/sspx/files/202012synthesecefsummorumpontificium.pdf
– 5 Un exemple de témoignage pour illustrer cette idée : dans l’Osservatore Romano du 19 mars 1965, Mgr Bugnini, secrétaire du Conseil pour l’application de la Constitution sur la liturgie et sous-secrétaire de la congrégation des Rites pour la liturgie, principal auteur de la réforme liturgique, présenteles modifications qui ont été apportées à certaines des oraisons solennelles du Vendredi saint. Il explique ses motivations œcuménistes : « L’Église a été guidée par l’amour des âmes et le désir de tout faire pour faciliter à nos frères séparés le chemin de l’union, en écartant toute pierre qui pourrait constituer ne serait-ce que l’ombre d’un risque d’achoppement ou de déplaisir. » (Osservatore Romano, 15 mars 1965). Le même Bunigni déclare au long de ses mémoires que la réforme de la semaine sainte est un prémice de la réforme générale de la liturgie qu’il dirigera ensuite.
– 6 Veut-on un exemple pour illustrer à quel point « l’œcuménisme »de Vatican II est contraire au salut des âmes ? François a déclaré en 2016, alors en déplacement à Tbilissi en Géorgie, qu’il ne fallait pasconvertir les orthodoxes, et mieux encore : que le prosélytisme était un grand péché contre l’œcuménisme. Les citations sont consultables ici : https://novusordowatch.org/2016/10/francis-converting-orthodox-sin-against-ecumenism/
– 7 Nous ne disons pas cela pour dire que le « bout de papier » n’est pas important. Au contraire, du point de vue de Dieu, il est très important de savoir si l’on se déclare en communion avec François ou non. Nous voulons plutôt insister sur le fait que les ralliés s’imaginent qu’ils sont dans la régularité, l’obéissance et la communion, alors qu’en pratique ils se permettent de critiquer les « papes » et qui plus est des « papes saints », de critiquer un « Concile œcuménique », ils essayant de vivre comme si Vatican II n’avait pas existé : les conciliaires ont raison de s’interroger sur la réalité de leur communion avec eux, vu le faible degré d’alignement entre les ralliés et Vatican II.