Les Pères de l’Eglise affirment le filioque catholique contre les orthodoxes (Pourquoi être catholique plutôt qu’orthodoxe (4/7))

5- Les Pères affirment la procession éternelle du Saint-Esprit par le Père et le Fils

L’affirmation de la procession du Saint-Esprit par le Père et par le Fils (Filioque) par les Pères de l’Eglise est tellement évidente et universelle que les schismatiques ne peuvent pas prétendre que cette idée n’est pas présente chez les Pères : à la place, ils créent de nouvelles distinctions pour prétendre que les Pères ne parlent pas vraiment d’une procession relationnelle, par exemple en prétendant que les citations des Pères sur la procession du Saint-Esprit par le Fils expriment en réalité la “procession économique”, c’est à dire le don du Saint-Esprit au monde, et non pas une procession éternelle. Comme de coutume, les Grecs s’efforcent à travers milles arguties de faire apparaître les sujets polémiques comme plus complexes qu’ils ne le sont réellement, à grand renfort d’érudition et de développements verbeux. Ils ne mettent pas leur science au service de la vérité, malheureusement, mais au service de la révolte de Photius qu’il faut justifier à tout prix.

Il existe pourtant des citations des Pères de l’Eglise qui parlent de manière absolument claire d’une procession éternelle du Saint-Esprit par le Père et par le Fils, pourvu que l’on prête attention au contexte et aux termes qui sont employés. Nous proposons quelques citations de Pères grecs, pour insister sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une “invention latine”, qui sont suffisamment claires pour comprendre que le sujet est bien les relations éternelles des Trois personnes de la Trinité et non simplement le don du Saint-Esprit au monde, et que les Pères enseignent bien clairement que le Fils participe à la procession du Saint-Esprit.


1- Saint Epiphane de Salamine (374)

L’Esprit est de Dieu et Esprit du Père ainsi qu’Esprit du Fils, pas par quelque mélange mais comme le corps et l’âme en nous. L’Esprit est au milieu [entre le] du Père et du Fils, étant du Père et du Fils (ἐκ τοῦ Πατρὸς καὶ τοῦ Υἱοῦ), troisième par la désignation.

Ancoratus, 8

Certes le Père existe depuis toujours ainsi que le Fils, et l’Esprit spire du Père et du Fils (ἐκ Πατρὸς καὶ Υἱοῦ πνἐει), mais ni le Fils ni l’Esprit ne sont créés.

Ancoratus, 75

De tous les Pères de l’Église, Saint Epiphane est peut-être celui qui affirme le plus clairement la procession du Saint-Esprit ab utroque, par le Père et par le Fils. Ses propos sont peut-être encore plus proches du ex Patre Filioque procedit de la liturgie latine que ne le sont ceux de Saint Augustin.

Saint Epiphane s’exprime aussi en faveur de la double procession dans son grand ouvrage contre les hérésies, le Panarion ou Adversus haereses (377), disant dans le chapitre 62 contre les Sabelliens que le Saint-Esprit “procède du Père et reçoit du Fils, n’est pas différent du Père et du Fils, est vraiment de la même essence et de la même divinité, est du Père et du Fils (ἐκ Πατρὸς καὶ Υἱοῦ)” ; également, dans le chapitre 69 contre les Ariens : “le Père est lumière, le Fils est lumière du Père, le Saint-Esprit est lumière et source venant d’une source, du Père et de l’unique engendré (ἐκ τοῦ Πατρὸς καὶ τοῦ Mονογενοῦ)”. 


2- Saint Grégoire de Nysse (c. 370-390)

En effet, l’Esprit Saint, qui prend sa subsistance de Dieu le Père par le Fils, est élevé au-dessus de tout le créé et est, en lui-même, incommensurable et incompréhensible.

Ὁ τοίνυν Παρὰ τοῦ Πατρὸς καὶ διὰ τοῦ Υἱοῦ τὴν οὐσίαν ἔχων Ἅγιος Πνεῦμα, ὑπὲρ πάσης τῆς κτίσεως ἀνυπέρβλητος αὐτὸς καὶ ἀνεξιχνίαστος ὑπάρχει.

Sur l’Esprit-Saint, Patrologia Graeca, Grégoire de Nysse, Vol. 45, col. 132C-132D, PG 45, 132C132D

Le texte grec ne laisse pas l’ombre d’un doute : τὴν οὐσίαν ἔχων se traduit plus littéralement par “a la substance” ; c’est dans ce sens que le terme οὐσία est employé par l’Eglise pour définir que le Fils est consubstantiel au Père, ὁμοουσίος. Saint Grégoire de Nysse dit donc que l’Esprit-Saint possède la substance “depuis le Père” (Παρὰ τοῦ Πατρὸς), “par le Fils” (διὰ τοῦ Υἱοῦ). Si certains “orthodoxes” veulent encore insister sur une distinction entre le Filioque et le διὰ τοῦ Υἱοῦ, en prétendant que le premier est inacceptable, il leur faudra reconnaître a minima que l’idée d’une distinction de relation entre le Fils et le Saint-Esprit (qui ne procèdent pas du Père exactement de la même manière et dans le même ordre), et l’idée que le Fils a un rôle dans la procession du Saint-Esprit, se trouve dans la théologie orientale et n’est absolument pas une invention de Saint Augustin et des Latins, mais bien un enseignement de la Tradition apostolique. Or Photius, par un raisonnement tout à fait personnel, rejette l’idée de la distinction de relations, et rejette par conséquent la Tradition apostolique et l’enseignement des Pères. 


3- Saint Cyrille d’Alexandrie (c. 424-428)

Ainsi, cet Esprit procède du Fils, immuable, indivisible et inséparable, étant en Lui, venant de Lui et étant contemplé à travers Lui, existant en trois personnes et formant l’unité de la Trinité.

Τοῦτο οὖν τὸ πνεῦμα πρὸς τὸν Υἱὸν προπορεύεται ἀναλλοίωτον καὶ ἀδιάστατον καὶ ἀμερίστως, δι’ αὑτοῦ ὂν καὶ ἐξ αὐτοῦ καὶ διὰ αὐτοῦ θεωρούμενον, τρία ὑπάρχοντα πρόσωπα, καὶ μίαν τῆς τριάδος θεότητα.

Thesaurus de sancta et consubstantiali trinitate

Nous voyons dans cet extrait que Saint Cyrille parle de l’existence intime de la Trinité et des Personnes qui la composent. Il ne dit nullement que le Saint-Esprit vient du Fils “vers le monde”, mais simplement qu’il “procède du Fils” (πρὸς τὸν Υἱὸν προπορεύεται), qu’il “vient de Lui” (ἐξ αὐτοῦ), tout en existant avec Lui dans la Trinité éternelle et immuable.


4- Saint Maxime le Confesseur (c. 640-660)

Le Saint-Esprit procède non seulement du Père, mais aussi du Fils, indivisiblement, sans confusion, sans séparation, incompréhensiblement, le bon, l’unique engendré.

Τὸ Ἅγιον Πνεῦμα ἐκπορεύεται οὐ μόνον ἐκ τοῦ Πατρὸς, ἀλλὰ καὶ ἐκ τοῦ Υἱοῦ ἀδιαιρέτως, ἀχωρίστως, ἀσυγχύτως, ἀσυγνώτως, τὸν ἀγαθόν, τὸν μονογενῆ.

Lettre à Marinus

Ce texte est spécialement précieux pour sa négation explicite de la fausse doctrine des schismatiques sur la procession du Saint-Esprit “par le Père seul” à l’exclusion du Fils. Saint Maxime dit bien qu’il procède (ἐκπορεύεται – “sort de”, “vient de”) “non seulement “(οὐ μόνον) du Père “mais aussi”(ἀλλὰ καὶ) “du Fils” (ἐκ τοῦ Υἱοῦ). 

La lettre de Saint Maxime à Marinus traite précisément du sujet de la procession éternelle du Saint Esprit, sujet qu’il décrit comme éminemment mystérieux et difficile, et il est bien clair encore une fois que cette discussion est sans rapport avec le don du Saint-Esprit au monde : sinon, il ne vaudrait pas la peine de dire que ce sujet dépasse l’intelligence humaine.

Ailleurs dans cette lettre, Saint Maxime rappelle l’existence d’un consensus des Pères de l’Eglise sur le fait qu’on ne doit pas rejeter la procession du Saint-Esprit par le Fils [1], même si les détails de cette mystérieuse relation ne font pas l’objet d’un accord unanime entre les Pères. Chose importante : nous évoquions plus haut la distinction entre le Filioque (procède du Père et du Fils) et le διὰ τοῦ Υἱοῦ (procède du Père par le Fils). Saint Maxime évoque cette distinction, mais précisément pour dire qu’on ne doit pas rejeter la proposition “le Saint-Esprit procède du Fils”, sans préciser qu’il procède du Père “par le Fils”. Il condamne par anticipation Photius et sa fausse doctrine du ἐκ μόνου τοῦ Πατρός (du Père seul). 


5- Annexe : Le Filioque dans les professions de foi et dans la liturgie (VIe-IXe siècles)

La présence de la doctrine du Filioque chez les Pères et tellement évidente que ce sujet n’a pas été le principal point d’attaque des Grecs contre les Latins, lors des différents débats consécutifs au schisme de 1054 : le problème soulevé par les Grecs était plutôt l’ajout du Filioque dans le Credo qui leur paraissait être une violation des décrets des conciles de Nicée et de Constantinople. La réponse à cette objection réside simplement dans les arguments déjà exposés sur l’autorité suprême de Saint Pierre : à partir du moment où l’on reconnaît cette autorité, il n’y a rien de choquant à ce que des modifications et des précisions soient apportées aux décrets des Conciles des siècles passés par les papes, surtout si c’est pour se prémunir d’une nouvelle hérésie qui est apparue entre temps. 

Cet ajout est d’ailleurs plus ancien qu’on ne le pense parfois. La présence du Filioque dans les professions de foi est attestée en Occident dès le VIe siècle.

D’abord dans le fameux Symbole d’Athanase, cité pour la première fois par Saint Césaire d’Arles en 542, qui affirme “Pater a nullo est factus … Fílius a Patre solo est … Spíritus Sanctus a Patre et Fílio”.

Ensuite, le IIIe Concile de Tolède (589), moment du triomphe du christianisme orthodoxe contre l’arianisme en Espagne, est connu pour avoir anathématisé, dans son 3ème canon, ceux qui refusent d’admettre que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils ; et peu après s’est diffusée en Espagne la pratique de chanter le Credo durant la célébration de la Messe, par imitation de l’usage oriental. Mais ce Credo contenait le Filioque car il semble qu’à l’époque, dans le méandre des différents manuscrits et traductions, les clercs Wisigoths considéraient que le Filioque faisait partie de l’original grec du symbole de Nicée-Constantinople. La doctrine exprimée fait en tout cas partie d’un dépôt de foi bien antérieur au concile de Tolède puisqu’elle est déjà enseignée par Tertullien, Saint Ambroise et Saint Augustin.

Le chroniqueur Saint Bède le Vénérable, dans son Histoire ecclésiastique du peuple anglais (v. 737) rapporte que le concile de Hatfield (680), sous la direction de Théodore de Cantorbéry (qui est un grec originaire de Tarse), rappelle les doctrines des précédents conciles œcuméniques et déclare que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils.

A partir de la fin du VIIIe siècle se manifeste un débat, qui n’est pas doctrinal mais disciplinaire, sur l’usage du Filioque dans le Credo liturgique, promu par Charlemagne dans l’empire carolingien (le royaume franc ayant probablement été influencé par l’usage wisigoth), refusé par l’empire byzantin mais aussi par le pape jusqu’au XIe siècle, du moins dans le cadre de la liturgie romaine, puisque le pape permet aux églises qui le souhaitent d’utiliser le Filioque. Ce débat est l’occasion de révéler que cette doctrine du Filioque était largement acceptée par l’ensemble des chrétiens avant Photius, qu’elle se diffusait paisiblement en Occident et en Orient, et que si débat doctrinal il y avait c’était pour savoir s’il fallait dire que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, ou du Père par le Fils, la première formule étant plus usitée en Occident et la seconde en Orient, les papes n’ayant condamné aucune des deux formules. Les Francs attachent de l’importance à cette question du Filioque dans le cadre de la lutte contre l’adoptianisme, comme une manière d’insister sur la divinité éternelle du Fils, sur son rôle essentiel dans la Trinité. Ainsi Charlemagne demande à l’évêque Théodulfe d’Orléans une compilation de textes des Pères en faveur du Filioque en 809. C’est Photius qui innove en condamnant le Filioque : dans le cadre de ses différends juridictionnels avec Rome, la question du Filioque est mise sur le tapis et pour la première fois Photius entreprends de condamner le Filioque d’un point de vue doctrinal, pas simplement du point de vue de la pratique liturgique comme c’était le cas auparavant en Orient et en Occident. Les missionnaires Francs de Bulgarie utilisaient le Filioque dans la liturgie, ce qui a été l’occasion de cette diatribe de Photius.

Il aurait été bien en peine de fournir un travail équivalent à celui de Théodulfe : aucun Père ne condamne le Filioque en effet, et c’est sur la base de son jugement personnel qu’il prétend expliquer que cette doctrine diminue la parfaite monarchie du Père. Il s’agit bien plus d’un prétexte pour justifier sa révolte, son ambition et son mépris pour les Latins, que d’une préoccupation sincère pour l’orthodoxie. On voyait le même Photius, au début de son investiture, tenter d’entrer dans les bonnes grâces de Rome et prétendre être un bon catholique, avant de se retourner contre le pape une fois que ses ambitions ont été contrariées, comme Luther plusieurs siècles après lui, et comme tant d’autres hérétiques avant eux qui tentèrent dans un premier temps de se faire approuver par Rome.

Jean-Tristan B.


[1] Lettre de Saint Maxime le Confesseur à Marinus sur la procession du Saint-Esprit : « La
question que vous me posez, très cher ami, est grande et difficile. Elle est grande en
raison de la majesté du sujet lui-même et de l’impossibilité de le sonder en
profondeur. Elle est difficile parce que notre esprit, étant donné sa petitesse, ne peut
pas atteindre l’immensité des choses divines. Quant à la procession du Saint-Esprit, il
est évident que nous devons admettre qu’il procède de Dieu au sens où nous le
comprenons, mais il est impossible d’en dire davantage. Il est en effet faux de dire
que le Saint-Esprit ne procède pas du Fils. C’est le seul point sur lequel les Pères de
l’Église sont unanimes
, même si, bien sûr, il ne s’agit pas d’une seule et même chose
que de dire que le Saint-Esprit procède du Père par le Fils et de dire qu’il procède du
Fils. Il est bien clair que le Saint-Esprit procède de Dieu au sens où nous l’entendons ;
nous devons toutefois nous garder de trop nous enorgueillir, car cela est au-delà de
notre intelligence. Voilà ce que nous enseignent les divines Écritures et les saints
Pères. Je vous le dis sans détour, mais je ne peux rien ajouter d’autre à cela. Que
Dieu, qui est sans commencement et infini, nous accorde de partager un jour la
connaissance parfaite de la divine Trinité.

ΜΑΞΙΜΟΣ ΕΠΙΣΚΟΠΟΣ ΑΝΤΙΟΧΕΙΑΣ,
ΠΡΟΣ ΜΑΡΙΝΟΝ : Εἰδεῖν παρὰ τοῦ Πατρὸς τὸ πνεῦμα κατὰ τὴν προσδοκίαν τοῦ λόγου,
τὸ ὁμοούσιον αὐτῷ καὶ τῷ πατρί, θείῳ τρόπῳ προσφυές, τῇ τοῦ ἀγαθοῦ τῶν οὐρανίων
τέκνων θελήσει μεταλαβεῖν καὶ μάθειν ἐπιχειρεῖς, ἄθεος μὲν ὤν, καὶ θείας τῆς
ἀγαθότητος ἀφωρισμένος. ὅθεν ἀνεψιοῦ πνεύματι, οὐ τῷ μηδαμινῷ ἐκείνου φύσεως
μερίσματι, τῷ ἀχωρίστως ἀγαθῷ, μὴ διαιρεθεῖσαν ἀπὸ τοῦ τελείου αὐτοῦ γένους
ἀνθρωπίνου, τῷ μετ’ οὐδεμιᾶς ἀμίξουσα τῶν προστάξεων καὶ λόγων τοῦ Πατρὸς καὶ
τοῦ Υἱοῦ κατὰ πνευματικὴν καὶ θείαν πρόνοιαν δι’ αὐτοῦ συγκρίνεις, τὸ τοῦ μαθεῖν
πρόθυμον ἔχων; _ Πᾶς νοῦν ἔχων εὐσεβὴς τῶν ἱερῶν ἀγγείων τὰ κατ’ αὐτοῦ, τίς αὐτῷ
θέσις ἂν εἴη; Ὅτι εἰ δυνατόν, ὡς λέγεις, θείου φωτὸς πλάσματα καὶ κατ’ αὐτοῦ
συγγένειαν, τὴν μὲν ὡς Πατρὶ τὴν δὲ ὡς Υἱῷ τῇ τοῦ πνεύματος θελήσει μεταλαβεῖν. Εἰ δὲ
τοῦτο ἀδύνατον, ὡς ἀπολογεῖσαι τὰ τῶν οἰκονομιῶν τοῦ θεοῦ δογματικῶς λέγετε, τὴν
μὲν φύσιν αὐτοῦ μὴ συγγενῆ τῇ Πατρὶ λαμβάνετε, τὴν δὲ ἀφωρισμένην μὲν ἀπὸ τοῦ
παναγίου τριάδος γένους, μίαν ἅπασιν, τὴν τῶν θείων οὐσιῶν ἐπινοίαν συμβιβάζουσαν,
μὴ τοῦ πνεύματος τὴν θελητικὴν πρὸς τὴν τοῦ πατρὸς παραπειρασμένην προσδοκίαν
πρὸς τὴν Υἱοῦ διακρατήσασαν προσλαμβάνεσθαι, μὴ περὶ τῆς κατὰ τὴν φύσιν καὶ τὸν
τρόπον τῆς ἐκ τοῦ Πατρὸς διὰ τοῦ Υἱοῦ προβολῆς τοῦ Πνεύματος ἐκφόρου διαλογισμοῦ
δεδημιουργημένην ἐπινοεῖσθαι, καὶ μεταξὺ τῆς κατ’ αὐτοῦ συγγενείας καὶ τῶν τούτου
πρὸς Πατέρα παραπειρασμάτων ἐκ τῶν προστάξεων διαφορὰν τοποθετεῖν; Ἢ τίς,
φίλτατε Μάρινε, τούτων ἀπολογίαν ἀστιχεῖς

Les Pères de l’Eglise ont toujours affirmé la Papauté (Pourquoi être catholique plutôt qu’orthodoxe (3/7))

4- Les Pères affirment positivement la papauté, en rappelant son lien avec Saint Pierre

Il faut dès à présent couper court à l’objection qui prétend que ces citations ne sont pas “suffisamment claires” ou pas suffisamment explicites sur le primat romain, qu’elle peuvent être interprétées différemment, ce qui voudrait donc dire qu’il s’agit d’une extrapolation tardive de la part des Latins. Les schismatiques voudraient voir un Père déclarer la papauté en des termes aussi explicites que le Concile Vatican I.

Cette objection est aussi infondée que l’objection de certains ariens ou protestants contre la doctrine de la Trinité : le Christ n’a jamais dit “Il y a un seul Dieu en Trois Personnes”, en effet ; mais si l’on étudie en profondeur toutes ses déclarations, et tout l’enseignement apostolique, il n’y a pas d’autre interprétation possible des paroles du Christ sur sa propre divinité et sur le Saint-Esprit, que la doctrine de la Trinité des personnes dans l’unité de nature, de sorte que le Concile de Nicée n’a pas “inventé une nouvelle doctrine” mais simplement rendu plus clair ce qui était déjà contenu dans le dépôt de la foi, bien que tous les chrétiens de l’avaient pas compris ou n’avaient pas voulu l’accepter. 

Nous verrons ici que le contexte de ces citations et les termes qu’elles mobilisent doivent faire conclure que les premiers chrétiens croyaient en un primat romain, tant sous le rapport de l’enseignement de la foi que sous un rapport disciplinaire, bien que cette doctrine soit parfois affirmée en des termes moins clairs qu’elle ne l’a été à partir de la révolte de Photius (et c’est justement l’attitude de Photius vis à vis de Rome qui est novatrice, pas les prétentions de Rome à une autorité sur l’Eglise universelle).

Nous listerons dans l’ordre chronologique quelques citations fameuses des Pères et d’auteurs chrétiens qui précèdent l’époque de Photius à propos des successeurs de Saint Pierre, avec quelques commentaires. Cette liste n’est pas exhaustive et il existe bien d’autres citations utiles à démontrer notre propos, mais nous ne sélectionnons que celles qui nous semblent les plus importantes et les plus explicites. 


1- Saint Ignace d’Antioche (c. 110) :

Ignace […] à l’Église qui préside dans la région des Romains, digne de Dieu, digne d’honneur, digne d’être appelée bienheureuse, digne de louange, digne de succès, digne de pureté, qui préside à la charité, qui porte la loi du Christ, qui porte le nom du Père ; je la salue au nom de Jésus-Christ, le fils du Père ; aux frères qui, de chair et d’esprit, sont unis à tous ses commandements, remplis inébranlablement de la grâce de Dieu, purifiés de toute coloration étrangère, je leur souhaite en Jésus-Christ notre Dieu toute joie irréprochable

Lettre d’Ignace aux Romains

Le glorieux Ignace d’Antioche, martyrisé à Rome dans les années 110, est le second successeur de Saint Pierre sur le siège épiscopal d’Antioche, après Saint Evode : il est vraisemblablement un disciple direct des Apôtres, et fait partie à ce titre de ceux que l’on appelle les “pères apostoliques”. Le fait qu’il indique que Rome “préside à la charité” pourrait passer comme une simple formule de politesse, si on ne s’attardait pas un instant sur le contexte : Ignace est l’évêque d’Antioche, qui est entre tous les sièges épiscopaux l’un des plus glorieux, car il a été fondé par Saint Pierre avant que celui-ci ne s’installe à Rome, et “ce fut à Antioche que, pour la première fois, les disciples furent appelés chrétiens” (Actes XI, 26). Il reconnaît pourtant à Rome une forme de préséance, et pas des moindres : la charité est la plus importante de toutes les vertus (I Cor XIII, 13), elle est spécialement liée à tout ce qui touche au culte de Dieu, au souci de sa gloire, à la soumission à ses ordres, à l’ordination de toutes les actions humaines à Dieu.

Soit l’on peut considérer qu’Ignace parle du fait que les Romains sont plus saints que les autres chrétiens – mais pourquoi cela ? cette interprétation plait-elle vraiment aux “orthodoxes” ? ; Soit l’on peut considérer qu’Ignace parle du fait que l’Eglise de Rome a une ordination spéciale à Dieu, quelque chose de plus sacré et de plus saint par essence qui fait qu’elle a une préséance entre toutes les Églises : elle préside à l’Eglise universelle en tant que celle-ci est la “société de la charité”, la société des enfants de Dieu. 

Ignace a rédigé de multiples épîtres aux différentes églises qu’il rencontrait lors de son ultime voyage jusqu’à Rome, en multipliant les formules élogieuses : pourtant, il nous semble que dans aucune autre épître il n’indique qu’une église “préside” sous quelque rapport que ce soit. Ignace ne dit pas que Rome préside en dignité par rapport à son rang politique de capitale de l’empire, mais bien “en charité”, c’est-à-dire relativement à l’ordination à Dieu. Ce “détail” n’est pas  anodin : il y a un lien direct à établir entre cette “primauté de l’amour” et la triple profession de Saint Pierre en Jean XXI : “m’aimes-tu plus que ceux-ci ?” ; Jésus-Christ demande précisément à Pierre de présider aux autres apôtres en charité.


2- Saint Irénée de Lyon (c. 170-200)

Ainsi donc, la Tradition des apôtres, qui a été manifestée dans le monde entier, c’est en toute Église qu’elle peut être perçue par tous ceux qui veulent voir la vérité (…) Mais comme il serait trop long, dans un ouvrage tel que celui-ci, d’énumérer les successions de toutes les Églises, nous prendrons seulement l’une d’entre elles, l’Église très grande, très ancienne et connue de tous, que les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul fondèrent et établirent à Rome; en montrant que la Tradition qu’elle tient des apôtres et la foi qu’elle annonce aux hommes sont parvenues jusqu’à nous par des successions d’évêques, nous confondons tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, ou par infatuation, ou par vaine gloire, ou par aveuglement et erreur doctrinale, constituent des groupements illégitimes : car avec cette Église, en raison de son origine plus excellente, doit nécessairement s’accorder toute Église, c’est-à-dire les fidèles de partout, — elle en qui toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des apôtres

Contre les hérésies III, 3, 2

Les schismatiques s’offusquent que ce passage soit utilisé en défense de la primauté romaine : ils prétendent d’une part que Rome n’est listée que comme une église parmi d’autres par St Irénée, d’autre part que la principale raison pour laquelle Rome est mentionnée avec cette prééminence est le fait qu’il s’agissait à l’époque de la capitale de l’empire. Ils accusent donc les Latins d’extrapolation ; une brève analyse du contexte et des termes employés par St Irénée suffisent à dissiper cette accusation, et à montrer qu’il y a bien quelque chose de spécial dans l’Eglise de Rome qui n’est pas lié au statut politique de la ville

Quant au premier point, Saint Irénée dit certes que toutes les églises sont dépositaires de la Tradition des apôtres, par le principe de la succession apostolique ; mais il affirme également que si l’on n’en devait retenir qu’une seule, en étant certain d’y trouver la véritable doctrine apostolique, il faudrait choisir Rome : il indique par là que Rome est en un certain sens “plus apostolique” que les autres Églises, comme en atteste le titre traditionnel de sedes apostolica, “siège apostolique”, utilisé spécifiquement (y compris par plusieurs auteurs orientaux) pour parler de la chaire de Rome. Secondement, St Irénée affirme 1) qu’il faut être d’accord avec Rome en raison de son origine plus excellente, c’est à dire en raison de sa filiation avec Saint Pierre, qu’il vient de rappeler, et pas en raison de son statut géographique et politique dans l’empire romain ; 2) spécifiquement, que toute Église doit nécessairement s’accorder avec cette Eglise : St Irénée ne dit pas simplement “tout chrétien doit s’accorder avec l’Eglise de Rome”, mais “toute Église”, introduisant ainsi une hiérarchie entre les Eglises concernant l’enseignement apostolique. Rome est plus apostolique, plus excellente par origine, à tel point que les autres Églises doivent s’accorder avec elle.

D’où peut-on conclure, en lisant ce texte, que l’Eglise de Rome a une prééminence en raison de sa position géographique et de l’importance politique de la ville ? Une telle interprétation n’est due qu’à la fantaisie et à la mauvaise foi des schismatiques. 

Saint Irénée continue son développement et mentionne ensuite un évènement très important de l’histoire de l’Eglise primitive, qui est à lui seul déjà suffisant pour démontrer la primauté de Rome sur les autres Églises : 

“Sous ce Clément, donc, un grave dissentiment se produisit chez les frères de Corinthe ; l’Église de Rome adressa alors aux Corinthiens une très importante lettre pour les réconcilier dans la paix, renouveler leur foi et leur annoncer la Tradition qu’elle avait naguère reçue des apôtres”

Saint Clément, second successeur de Saint Pierre après Saint Lin, est celui qui a pris l’initiative de régler le différend de l’Eglise de Corinthe, de rappeler les Corinthiens aux enseignements apostoliques, et de mettre fin à la division. L’épître de Clément a marqué les Corinthiens à tel point qu’elle était utilisée lors des lectures durant la liturgie. Ce fait est spécialement important car il a lieu vers l’an 95, c’est-à dire du vivant de l’apôtre Saint Jean, une des “colonnes de l’Eglise”, le “disciple que Jésus aimait” :  pourquoi St Jean ne s’est pas occupé des problèmes de l’Église de Corinthe ? St Irénée semble dire que l’initiative revient à Rome de s’être exprimée sur les différends de Corinthe : mais si c’étaient les Corinthiens qui avaient pris l’initiative de demander une intervention de Rome, ce serait tout aussi probant pour démontrer l’existence d’une primauté romaine spécialement pour ce qui concerne les conflits de juridiction et de doctrine. Pourquoi Rome avant Saint Jean ? En raison de son origine plus excellente, qui fait qu’avec Rome doit nécessairement s’accorder toute Église.

Nous mentionnons au passage les arguties mensongères de certains schismatiques qui contestent que convenire ad soit traduit par “s’accorder avec”, et veulent lui donner un sens littéral de “venir à Rome physiquement” : nous ne comprenons pas comment certains peuvent accorder du crédit à des explications aussi stupides. St Irénée aurait dit que “les églises doivent venir à Rome physiquement car il s’agit de la cité la plus ancienne et la plus excellente de l’empire” ? Nous avons ici un exemple de ce que la mauvaise foi humaine peut produire de plus ridicule : pour nier l’évidence, on en vient à faire des traductions qui font fi même des termes employés par l’auteur et du contexte dans lequel il s’exprime (il parle de l’enseignement apostolique, et du fait qu’il choisit l’Église de Rome comme étant représentative plus que toute autre de cet enseignement), en inventant des mythes qui les confortent dans leur fausse doctrine. Les catholiques n’ont pas besoin de ces acrobaties et de ces artifices : il nous suffit d’interpréter ces phrases et ces mots dans leur sens le plus commun, et en adéquation avec leur contexte.


3- Tertullien (c. 200)

Quel est l’homme sensé qui croira qu’ils aient ignoré quelque chose, ceux que le Christ établit comme maîtres, qui furent ses compagnons, ses disciples, ses amis inséparables ? (…) Pierre aurait ignoré quelque chose, lui qui fut appelé la pierre sur laquelle l’Église devait être édifiée, qui reçut les clefs du royaume des cieux et le pouvoir de lier et de délier dans les cieux et sur la terre ?

Prescription contre les hérétiques, XXII

Le célèbre apologète Tertullien fut d’abord un défenseur de l’Eglise apostolique, avant de rejoindre la secte montaniste vers l’an 212, séduit par son esprit rigoriste. Dans cet extrait, il démontre clairement que contrairement au mythe véhiculé par les schismatiques, il n’est pas étranger au christianisme apostolique de considérer que lors du passage en Matthieu XVI, le Christ donne à Saint Pierre des pouvoirs personnels et spécifiques, et ne fait pas simplement une déclaration symbolique sur le fait que “la foi” est la pierre sur laquelle est fondée l’Église. Ici, nous lisons bien de la part de Tertullien que “Pierre” lui-même est “la pierre sur laquelle l’Église devait être édifiée”.   

Mais il apparaît que Tertullien parle encore plus clairement de l’autorité de Saint Pierre après sa révolte contre l’Eglise, en contestant les revendications de l’évêque de Rome : 

J’apprends qu’un édit est affiché, et même qu’il est péremptoire. Le souverain Pontife, c’est-à-dire l’évêque des évêques, parle en ces termes: « Quant à moi, je remets le péché de l’adultère et de la fornication à ceux qui ont fait pénitence. »

De pudicitas, 1

Tertullien critique vraisemblablement un édit du pape Zéphyrin (198-217), et dénie à l’Église le droit de remettre certains péchés tels que l’adultère. D’autres disent qu’il critique un évêque africain, mais le contexte et les termes spécifiques employés rendent cette hypothèse peu probable. Dans le même traité De pudicitas, il évoque le passage de Matthieu XVI : 

Maintenant, je prends acte de ta déclaration, pour te demander à quel titre tu usurpes le droit de l’Eglise. Si de ce que le Seigneur a dit à Pierre: « Je bâtirai mon Eglise sur cette pierre; Je t’ai donné les clefs du royaume des Cieux, » ou bien: « Tout ce que lu lieras ou délieras sur la terre, sera lié ou délié dans les cieux; » tu t’imagines orgueilleusement que la puissance de lier et de délier est descendue jusqu’à toi, c’est-à-dire à toute l’Eglise, qui est en communion avec Pierre, quelle est ton audace de pervertir et de ruiner la volonté manifeste du Seigneur, qui ne conférait ce privilège qu’à la personne de Pierre? « C’est sur toi que je bâtirai mon Église,» lui dit-il; c’est à toi que je donnerai les clefs, » et non à l’Eglise. « Tout ce que tu lieras ou que tu délieras; etc. » mais non pas tout ce qu’ils lieront ou délieront.”

De pudicitas, 22

L’interprétation de ce passage peut prêter à confusion : dans l’hypothèse peu probable où Tertullien  s’attaque à un évêque africain, ici il lui rappelle qu’il n’a pas reçu le pouvoir qui appartient à Pierre seul et à ses successeurs (mais on se demande pourquoi un tel rappel, si par ailleurs il s’est séparé de l’Eglise). Dans l’hypothèse plus sûre où il s’attaque au pape, ici il nie que le pouvoir de Pierre se soit transmis et déclare qu’il n’appartenait qu’à la personne de Pierre. Ce qui nous indique qu’à cette époque, autour de l’an 215, l’évêque de Rome revendique le “pouvoir des clés” donné à Saint Pierre en Matthieu XVI, ce que Tertullien critique comme une dérive orgueilleuse. Mais nous savons en réalité, comme pour le cas de Photius, de quel côté se trouve véritablement l’orgueil. 


4- Saint Cyprien de Carthage (c. 250)

Ainsi, déserteurs de l’Évangile et de la loi de Jésus-Christ, ils s’obstinent à se dire chrétiens; ils marchent dans les ténèbres, et ils croient jouir de la lumière. L’ennemi les flatte, il les trompe, cet ennemi qui, selon l’apôtre, se transfigure en ange de lumière, qui transforme ses ministres eux-mêmes en prédicateurs de la vérité, donnant la nuit au lieu du jour, la mort au lieu du salut, le désespoir à la place de l’espérance, la perfidie. sous le voile de la foi, l’antéchrist sous le nom adorable du Christ. C’est ainsi qu’au moyen d’une vraisemblance menteuse, ils privent les âmes de la vérité. Cela arrive, mes frères bien aimés, parce qu’on ne remonte pas à l’origine de la vérité; parce qu’on ne cherche pas le principe, parce qu’on ne conserve pas la doctrine du maître céleste. Si on se livrait à cet examen, on n’aurait besoin ni de longs traités, ni d’arguments. Rien de plus facile que d’établir sur ce point la foi véritable. Dieu parle à Pierre: Je te dis que tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église et les puissances des enfers n’en triompheront jamais. Je te donnerai les clefs du royaume du Ciel, et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le Ciels et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le Ciel (Matt., XVI.). Après sa résurrection, il dit au même apôtre : Pais mes brebis. Sur lui seul il bâtit son Église, à lui seul il confie la conduite de ses brebis. Quoique, après sa résurrection,. il donne à tous ses apôtres un pouvoir égal, en leur disant : Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie; recevez le Saint-Esprit, les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez (Joan., XX), cependant, afin de rendre l’unité évidente, il a établi une seule chaire et, de sa propre autorité, il a placé dans un seul homme le principe de cette même unité. Sans doute les autres apôtres étaient ce que fut Pierre; ils partageaient le même honneur, la même puissance, mais tout se réduit à l’unité. La primauté est donnée à Pierre, afin qu’il n’y ait qu’une seule Église du Christ et une seule chaire. Tous sont pasteurs; mais on ne voit qu’un troupeau dirigé par les apôtres avec un accord unanime. L’Esprit-Saint avait en vue cette Église une, quand il disait dans le Cantique des cantiques: Elle est une ma colombe, elle est parfaite, elle est unique pour sa mère; elle est l’objet de toutes ses complaisances (Cant., VI). Et celui qui ne tient pas à l’unité de l’Église croit avoir la foi! Et celui qui résiste à l’Église, qui déserte la chaire de Pierre sur laquelle l’Église repose, se flatte d’être dans l’Église!

De l’unité de l’Eglise

Nous avons souhaité garder cette longue citation sans la tronquer car elle permet de lever le voile sur un problème souvent soulevé par les schismatiques, celui de l’égalité des pouvoirs entre les apôtres et leurs successeurs, évoqué ici par Saint Cyprien. Ici on voit affirmés par Saint Cyprien deux principes, qui ne sont pas contradictoires puisqu’ils sont exposés en même temps comme des vérités révélées : d’une part le fait que les apôtres ont reçu les mêmes pouvoirs du Christ et sont tous pasteurs, d’autre part le fait qu’à Pierre seul a été remis le primat, afin qu’il soit un principe d’unité pour toute l’Eglise. Les schismatiques veulent prétendre que seule la première proposition fait partie de la Tradition apostolique, les voilà réfutés de la manière la plus claire possible par un évêque du IIIe siècle, puisqu’il explique que les deux principes ne sont pas contradictoires et sont même complémentaires. Les apôtres en effet ont reçu le pouvoir d’ordre ainsi qu’une certaine juridiction sur les fidèles, mais ils sont tous inférieurs à Pierre sous le rapport de cette juridiction, et lui seul est le principe de l’unité de l’Eglise. Saint Cyprien a des termes extrêmement durs contre ceux qui refusent l’autorité de Pierre, les appelant “déserteurs de l’évangile”, flattés par le démon, disant qu’ils “donnent la mort au lieu du salut”, parce qu’ils ne conservent pas la doctrine du maître céleste si clairement apparente dans les évangiles, disponibles à l’examen de tous : “Si on se livrait à cet examen, on n’aurait besoin ni de longs traités, ni d’arguments”. Cette phrase semble dirigée directement contre la passion des Grecs pour les interprétations alambiquées et les longues dissertations, qui masquent le véritable sens des évangiles ou des paroles des Pères.

Le fait que Saint Cyprien aurait lui-même désobéi à Rome en d’autres occasions ne prouverait pas qu’il ne croyait pas à la primauté, et qu’il faut donner une interprétation alambiquée à ses diverses déclarations sur le sujet (car on trouve, en effet, d’autres déclarations tout aussi explicites de sa part au sujet de la primauté romaine) : ce ne serait pas la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’un homme n’est pas exactement cohérent avec ses propres principes, et Saint Cyprien est saint par son martyr avant tout, pas nécessairement pour l’ensemble de sa vie et de son ministère. Il nous a légué néanmoins un témoignage fort, plus explicite encore que celui de Saint Irénée sur l’existence d’une primauté pétrinienne instituée par Dieu dans l’Eglise : La primauté est donnée à Pierre, afin qu’il n’y ait qu’une seule Église du Christ et une seule chaire


5- Saint Optat de Milève (c. 364-367)

Vous ne pouvez vous excuser sous prétexte d’ignorance ; car vous savez que la chaire épiscopale de Rome a été donnée d’abord à Saint Pierre, qui l’a occupée comme Chef de tous les Apôtres. C’est dans cette chaire unique que l’unité devait être conservée par tous, de peur que chacun des Apôtres ne prétendit se rendre indépendant dans la sienne. Dès lors celui-là est nécessairement schismatique et prévaricateur, qui ose élever une autre chaire contre celle-ci qui est unique

Traité contre les donatistes

Ce passage est spécialement intéressant car il affirme sans équivoque : 

  • Le fait que Saint Pierre est chef des apôtres. 
  • Le fait que la chaire de Rome est le centre de l’unité, en tant qu’elle est la chaire de Saint Pierre.
  • Le fait que cette chaire est “unique”, qu’elle n’est pas simplement un siège épiscopal parmi d’autres. 
  • Le fait que cette réalité est universellement connue par tous les chrétiens : “vous ne pouvez vous excuser sous prétexte d’ignorance”.
  • Le fait qu’il était nécessaire même pour les Apôtres d’être uni à la chaire de Saint Pierre, qu’il n’est pas possible que l’Eglise soit constituée de chaires épiscopales entièrement indépendantes les unes des autres.
  • Le fait que ceux qui élèvent leur chaire contre celle de Rome sont “schismatiques” et “prévaricateurs”. 

Même avec toute la mauvaise foi du monde, il nous semble bien difficile de donner un autre sens à ce passage de Saint Optat qu’une affirmation de la primauté romaine basée sur Saint Pierre (sans rapport avec une “primauté honorifique” basée sur le prestige de Rome), et une condamnation de ceux qui ne sont pas unis à cette chaire comme des schismatiques. Le contexte de la déclaration de Saint Optat est précisément la condamnation du schisme des donatistes, il oppose leur particularisme à l’universalité de l’Eglise basée sur la communion avec la chaire de Saint Pierre. 


6- Saint Ambroise de Milan (c. 380)

Si quelqu’un objecte à l’Eglise qu’elle peut se contenter de Jésus-Christ pour Chef et pour Époux unique, et qu’il ne lui en faut point d’autre, la réponse est facile. Jésus-Christ est pour nous non seulement l’Auteur mais encore le vrai Ministre intérieur de chaque Sacrement. C’est vraiment Lui qui baptise et qui absout, et néanmoins, Il n’a pas laissé de choisir des hommes pour être les ministres extérieurs des Sacrements. Ainsi, tout en gouvernant Lui-même l’Eglise par l’influence secrète de son esprit, Il place aussi à sa tête un homme pour être son Vicaire et le dépositaire extérieur de sa Puissance. A une Eglise visible, il fallait un Chef visible. Voilà pourquoi notre Sauveur établit Saint Pierre Chef et Pasteur de tout le troupeau des Fidèles, lorsqu’Il lui confia la charge de paître ses brebis. toutefois Il le fit en termes si généraux et si étendus qu’il voulut que ce même pouvoir de régir toute l’Eglise passât à ses successeurs.

Saint Ambroise voulait-il parler dans ce passage “des évêques” d’une manière générale, successeurs de Saint Pierre dans le sens le plus large du terme, c’est-à dire successeur des Apôtres ? Certains veulent le prétendre. Ils ne se rendent pas compte qu’ils font mentir le sens apparent du texte.

Ils oublient en effet un “détail” qui n’en est pas un : Saint Ambroise dit que “un homme” a été nommé “chef visible de l’Eglise”. Il ne dit pas “des hommes chefs de l’Eglise”, ni “un homme chef d’une Église”, mais : “un homme chef de l’Eglise”. Il a établi Saint Pierre “chef et pasteur de tout le troupeau des Fidèles”, pas chef d’une Eglise particulière. 

A ceux qui ne veulent pas à tout prix refuser la vérité, il apparaîtra de manière suffisamment claire que Saint Ambroise, comme d’autres Pères avant et après lui, considère que Saint Pierre a reçu une charge spécifique de gouverner toute l’Eglise et qu’il l’a transmise à ses successeurs. 


7- Saint Zosime (c. 418)

Bien que la tradition des pères ait reconnu au Siège apostolique une telle autorité que personne n’a osé mettre en cause son jugement, et qu’elle ait toujours observé cela par des canons et des règles, et que, par ses lois, la discipline ecclésiastique en vigueur jusqu’ici manifeste au nom de Pierre, dont elle descend elle-même ; l’antiquité canonique, du consentement de tous, a dévolu un tel pouvoir à cet apôtre, à qui Jésus-Christ Notre-Seigneur a conféré le privilège de lier ou de délier. Ce privilège appartient également par droit d’héritage à ses successeurs sur son siège. Pierre continue toujours à porter la sollicitude de toutes les Églises, mais il veille avec un soin particulier sur le Siège de Rome qui est le sien propre ; il ne souffre ni défaillance ni incorrection dans les jugements doctrinaux émanés de la Chaire qu’il a honorée de son nom et constituée sur des fondements inébranlables

Lettre 12 Quamvis Patrum à Aurélien et au concile de Carthage, 21 mars 418, PL, XX, 675-677 ; DS 221

Cette lettre du pape Zosime contient plusieurs affirmations précieuses : 

  • La “tradition des pères” reconnaît une autorité souveraine au Siège de Rome : ce pape du Ve siècle, d’ailleurs d’origine grecque, affirme que c’est une tradition apostolique de croire à une autorité spéciale de Rome, au point que “personne n’a osé mettre en cause son jugement”. 
  • Le pouvoir de Saint Pierre affirmé en Matthieu XVI, le “pouvoir de lier et de délier”, est transmis aux successeurs de Saint Pierre sur le Siège de Rome.
  • Par protection spéciale du Ciel, les jugements doctrinaux du Siège de Rome ne souffrent ni défaillance ni incorrection. 

Les textes que nous avons étudiés jusqu’ici sont surtout importants pour établir la croyance des premières générations de chrétiens dans la primauté de juridiction de l’évêque de Rome sur l’ensemble de l’Eglise. Ce texte est également utile pour prouver que les premiers chrétiens croyaient à l’infaillibilité du pape en matière doctrinale : il n’y a “ni défaillance ni incorrection” dans les jugements doctrinaux du Siège de Rome. A ceux qui prétendent que cette doctrine est une invention du Moyen-Âge latin, voici pour les réfuter une citation d’un Grec de l’antiquité. 


8- Saint Léon le Grand (c. 450)

Comme mes prédécesseurs l’ont fait pour les vôtres, j’ai moi-même délégué à votre charité le pouvoir de représenter mon propre gouvernement, afin que vous puissiez me venir en aide dans la charge qui nous incombe en vertu de l’institution divine à veiller sur toutes les églises. Vous serez ainsi présent aux églises qui sont les plus éloignées de nous, comme si vous les visitiez à notre place. (…) Cette union demande sans doute l’unanimité de sentiments dans le corps entier, mais surtout le concert entre les évêques. Quoique ceux-ci aient une même dignité, ils ne sont pas cependant tous placés au même rang, puisque parmi les apôtres eux-mêmes il y avait différence d’autorité avec ressemblance d’honneur, et que, quoiqu’ils fussent tous également choisis, un d’entre eux néanmoins jouissait de la prééminence sur tous les autres. C’est sur ce modèle qu’on a établi une distinction entre les évêques, et qu’on a très-sagement réglé que tous ne s’attribueraient pas indistinctement tout pouvoir, mais qu’il y en aurait dans chaque province qui auraient le droit d’initiative par-dessus leurs confrères, et que les évêques établis dans les villes les plus considérables, auraient aussi une juridiction plus étendue, en servant ainsi comme d’intermédiaire pour concentrer dans le siège de Pierre le gouvernement de l’Eglise universelle, et maintenir tous les membres en parfait accord avec leur chef

Lettre 14 à Anastase, évêque de Thessalonique, chapitres 11 et 12, PL, 54/668, 675-676

La pape Saint Léon le Grand (440-461), qui est considéré comme un saint par les schismatiques, figure pourtant parmi les témoins de la doctrine de la primauté pontificale, en paroles comme en actions.

Dans la présente lettre, il est question de la nomination d’un légat du Pape en Orient : Saint Léon explique les raisons doctrinales qui justifient que l’évêque de Rome puisse interférer d’aussi prêt dans les affaires des autres évêques.

L’évêque de Rome a reçu, “en vertu de l’institution divine”, une charge spéciale de veiller sur toutes les Églises. Les Apôtres et leurs successeurs les évêques, malgré leurs pouvoirs similaires, ne sont pas exactement égaux : il y a entre eux des hiérarchies d’institution humaine (les provinces ecclésiastiques et les patriarcats, dans lesquels un évêque a la prééminence sur les autres), et une hiérarchie d’institution divine (dans laquelle le Siège de Pierre domine sur tous les autres, afin d’assurer l’unité).

Le Pape Léon précise, ce qui est fort intéressant, que l’institution des provinces ecclésiastiques sert “d’intermédiaire pour concentrer dans le siège de Pierre le gouvernement de l’Eglise universelle” : la hiérarchie entre les évêques permets un gouvernement plus efficace dans l’Église, les archevêques et les patriarches pouvant rendre compte au Pape du gouvernement de contrées qui ne peuvent pas être gérées directement par le Pape. 


9- Saint Pélage Ier (c. 558-561)

Mais chaque fois qu’un doute s’élève sur une chose relative à un Concile universel, lorsqu’il s’agit de recevoir un enseignement du Concile que l’on ne comprend pas, ceux qui désirent promptement le salut de leur âme doivent s’accorder avec l’explication du Siège apostolique.

Sed quoties aliqua de universali synodo aliquibus dubitatio nascitur, ad recipiendam de eo quod non intellegunt, rationem, aut sponte ii qui salutem animae suae desiderunt, ad apostolicam sedem pro recipienda ratione conveniant

Lettre IV [alias V] au Patrice Narcès, PL 69, colonne 397

Le pape Pélage réaffirme ici, en écrivant à un proche de l’empereur Justinien Ier (le général Narsès, impliqué dans la reconquête byzantine de l’Italie) contre le schisme de Paulin d’Aquilée, que le pontife romain possède une autorité doctrinale supérieure dans toute l’Eglise : c’est le pape qui a autorité pour expliquer l’enseignement des Conciles, ou clarifier les doutes relatifs à la doctrine apostolique. Il affirme également, en quelques sortes, qu’il est nécessaire au salut de se laisser guider par le Siège apostolique : “ceux qui désirent le salut de leur âme” (ii qui salutem animae suae desiderunt), doivent aller au siège apostolique pour recevoir l’explication des enseignements des Conciles (ad apostolicam sedem pro recipienda ratione conveniant). 


10- Saint Euloge d’Alexandrie (c. 580-600)

Ce n’est ni à Jean ni à aucun autre des disciples que le sauveur a dit : “Je te donnerai les clefs du royaume des cieux, etc.”, mais c’est à Pierre seul, qui devait le renier, expier sa faute par les larmes de la pénitence, afin qu’il fut plus indulgent à l’égard des pécheurs.

Saint Euloge fut patriarche melkite d’Alexandrie entre 580 et 608. De ses écrits on ne trouve que peu de traces, on connaît surtout ceux qui sont cités et commentés par Photius. Photius commentait ce passage en exprimant son désaccord avec le patriarche d’Alexandrie, estimant que le “pouvoir des clés” désigne le pouvoir de lier et de délier les péchés que tous les apôtres ont reçu ainsi que les évêques leurs successeurs. Nous pouvons donc voir ici que Euloge, proche du pape Saint Grégoire le Grand, et malgré son statut de patriarche, croit que Pierre seul à l’exclusion des autres apôtres a reçu “le pouvoir des clés”, un gouvernement suprême sur l’Église. 


11- Saint Théodore Studite (c. 810)

Au très saint et souverain Père des Pères, à mon Seigneur Léon, Pape apostolique, Théodore, très humble prêtre et higoumène de Stoudion. Puisque c’est à Pierre le grand que le Christ notre Dieu, après lui avoir donné les clés du royaume des cieux, a conféré la dignité de chef du troupeau, c’est à Pierre, c’est-à-dire à son successeur, qu’il faut soumettre toutes les nouveautés hérétiques introduites dans l’Église universelle par ceux qui s’écartent de la vérité.

 Έπειδήπερ Πέτρω τώ μεγάλω δέδωκε Χρίστος ό Θεός μετά τας κλείς της βασιλείας τών ουρανών και το της ποιμνιαρχίας αξίωμα’ προς Πέτρον ήτοι τον αύτοΰ διάδοχον ότιοΰν καινοτομούμενον έν τη Καθολίκί) ‘Εκκλησία παρά τών άποσφαλλομένων της αληθείας άναγκαϊον άναφέρεσθαι.

Lettres, livre Ier, 33 ; P. G., t. XCIX, col. 1017 Β

Le meilleur “argument ad hominem” en faveur du catholicisme vis à vis des schismatiques orientaux est peut-être la doctrine de Saint Théodore Studite. Ces schismatiques honorent Saint Théodore comme une des plus grandes gloires de l’orthodoxie, un intrépide défenseur de la foi et du culte des icônes. Or Saint Théodore, comme d’autres saints du monastère du Stoudion, témoigne à plusieurs reprises de sa foi en la primauté et même l’infaillibilité pontificale. Confrontés aux défaillances du patriarche de Constantinople et à la violence des persécutions temporelles contre l’orthodoxie, les Studites ont compris mieux que d’autres la nécessité de s’appuyer sur le successeur de Saint Pierre, “roc de la foi”, centre de l’unité chrétienne et de la doctrine apostolique, qui continue d’enseigner la vérité quand le monde entier s’effondre. 


12- Théodore Abu Qurrah (c. 800-830)

Un exemple de témoignage des pouvoirs universels de la papauté extérieur au monde latin, et antérieur à la réforme grégorienne ou à la controverse photienne, est celui de Théodore Abu Qurrah, aussi appelé en Occident Aboucara (v. 750-v. 820). Aboucara est un personnage particulièrement intéressant : de formation gréco-syriaque (il se décrit lui-même comme un disciple de Saint Jean Damascène, ce qui doit s’entendre d’une manière symbolique car ce dernier est mort en 749), il écrit en langue arabe, et controverse contre les très nombreuses sectes, fausses religions et hérésies qui pullulent en Orient, spécialement à Harran, la ville dont il était évêque, en défendant toujours la doctrine catholique.

Le fait qu’il ait été confronté à tant de sectes différentes l’a poussé à donner à son exposé de la foi un caractère spécialement logique et exhaustif : précurseur de la scolastique en un certain sens, il utilise la raison et la philosophie d’Aristote (qui était mise en avant par les Arabes en ce temps) pour défendre les vérités de la foi, et aborde toutes choses d’une façon systématique et complète. Ceci explique qu’il a parlé plus abondamment de certains sujets sur lesquels d’autres Pères n’avaient auparavant pas jugé utile de s’attarder, ou n’en avaient pas eu l’occasion. Étant sans cesse au contact des fausses doctrines, Aboucara est poussé par une exigence apologétique spécialement forte.

Il est surtout connu pour sa controverse contre l’islam, qu’il a eu le courage de porter jusque devant le calife abasside Al-Mamun, dans une époque d’intenses débats intellectuels en Orient. Il est l’héritier d’une glorieuse tradition intellectuelle syriaque dont St Jean Damascène a été le plus grand représentant (“Le Damascène” et son “Exposé de la foi orthodoxe” est l’un des auteurs les plus cités par Saint Thomas d’Aquin dans la Somme théologique ; il semble en effet que l’exposé du Damascène soit la première “somme théologique” de l’histoire, le premier écrit qui expose de manière systématique et logique les différents dogmes de la foi). 

Avec Aboucara, apologète melkite du IXe siècle, nous sommes très loin, géographiquement et a fortiori intellectuellement, de la culture latine. Pourtant voici ce qu’Aboucara écrit, dans sa magistrale Démonstration de la foi de l’Eglise

Il faut noter que les Apôtres avaient pour chef saint Pierre à qui le Christ avait dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de l’enfer ne triompheront point d’elle » (Matth., XVI, 18); à qui il dit aussi trois fois, après sa résurrection, près de la mer de Tibériade : « Simon, m’aimes-tu ? (Si tu m’aimes) Pais mes agneaux, mes béliers et mes brebis. » (Joan., xxi, 15-18.) Il lui dit ailleurs : « Simon, Satan a demandé de vous cribler comme on crible le blé, et j’ai prié pour toi afin que tu ne perdes pas ta foi; mais, à l’instant, tourne-toi vers tes frères et affermis-les. » (Luc, XXII, 31.)Vous voyez bien que saint Pierre est le fondement de l’Eglise propre au troupeau (des fidèles), et celui qui a sa foi ne la perdra jamais; c’est lui aussi qui est chargé de se tourner vers ses frères et de les affermir. Les paroles du Seigneur : « J’ai prié pour toi afin que tu ne perdes pas ta foi; mais tourne-toi à l’instant vers tes frères et affermis-les », ne désignent pas la personne de Pierre ni les Apôtres eux-mêmes. Le Christ a voulu désigner par ces mots ceux qui tiendront la place de saint Pierre à Rome et les places des Apôtres. (…) Il est donc de toute évidence que ces mots désignent les successeurs de saint Pierre, qui ne cessent en effet d’affermir leurs frères et ne cesseront jamais jusqu’à la fin des siècles.”

Aboucara continue appuie ensuite son propos par une énumération des interventions des successeurs de Saint Pierre en défense de la foi : 

Vous savez bien que lorsque Arius se révolta, une assemblée fut réunie contre lui par l’ordre de l’évêque de Rome. Le saint Concile l’a condamné et a fait cesser son hérésie; (…) Ainsi lorsque Macédonius se révolta au sujet du Saint-Esprit, une assemblée fut réunie contre lui à Constantinople par l’ordre de l’évêque de Rome; ce concile rejeta l’hérésiarque et l’Église accepta sa décision comme elle avait accepté celle du premier. (…) Lorsque Nestorius se révolta en disant du Christ ce qu’il en a dit, l’Eglise rejeta sa doctrine et la porta, selon sa coutume, au saint concile, qui fut réuni à Ephèse par ordre de l’évêque de Rome (…) Lorsque Eutychès et Dioscore se révoltèrent en disant du Christ ce qu’ils en avaient dit, l’Eglise a repoussé leur hérésie et les Saints Pères se sont levés contre eux. Mais l’Eglise n’a pas accepté leur doctrine ni celle de ceux qui les contredisent, elle les a fait traduire au jugement du saint concile, selon sa coutume. Le quatrième concile a été réuni alors à Chalcédoine par l’ordre de l’évêque de Rome; il les a excommuniés et a fait cesser leur hérésie (…) Quand Macaire, Cyrus et Sergius se révoltèrent et enseignaient leurs erreurs au sujet du Christ, l’Eglise refusa d’accepter leur opinion et plusieurs Pères s’élevèrent contre eux pour les discuter et repousser leur hérésie. Mais l’Eglise n’a pas accepté absolument leur opinion ni celle de leurs adversaires; elle les a portées au concile, selon sa coutume. Alors le Ve concile a été convoqué à Constantinople par l’ordre de l’évêque de Rome qui les a excommuniés et fait cesser leur hérésie (…)

Il conclut sa profession de foi, en rappelant qu’elle est fondée sur Saint Pierre : 

Mais, nous, orthodoxes et enfants de la sainte Eglise, nous rendons gloire et action de grâces au Christ, notre Dieu, qui nous a accordé la bonne volonté et l’obéissance aux saints conciles que le Saint-Esprit a fait parler. Nous sommes dans sa maison et dans le bercail de ses troupeaux. Par sa protection,nous sommes sauvés de Satan qui, comme un loup dévorant,rôde autour de nos âmes pour surprendre celui qui se hasarde à sortir de l’Église et en faire sa proie. Nous supplions notre Seigneur et notre Dieu Jésus-Christ de nous affermir pour toujours sur le roc de son Église sainte et de nous faire boire la liqueur de sa douce doctrine. Nous serons ainsi enivrés de son amour qui remplit nos âmes et nos cœurs de joie et de bonheur en nous portant à lui obéir par l’observation de ses commandements, pour vivre éternellement et hériter son royaume céleste préparé pour tout ce qui a été édifié sur le fondement de saint Pierre par le Saint-Esprit. Esprit-Saint, faites-nous connaître le Christ, le Fils éternel de Dieu, qui s’est incarné de la Vierge Marie par le Saint-Esprit pour notre salut.

À lui soit la gloire, la puissance, la majesté et l’adoration, avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles.

Ainsi soit-il.

Ce témoignage de foi éclatant est plus que suffisant pour prouver que la papauté et les prétentions qu’elle a eu contre les “orthodoxes” n’ont pas été “inventées par les Latins” à une époque tardive : si un disciple de Saint Jean Damascène, de culture grecque, syriaque et arabe, parle en des termes aussi limpides de la papauté un demi-siècle avant la révolte de Photius, c’est bien que cette doctrine fait partie d’un dépôt de foi qui dépasse l’Occident latin.

On peut voir d’ailleurs une similitude de sentiments entre l’apologète melkite et les moines du Stoudion dont il est contemporain : peut-être était-il familier de leur doctrine, ou peut-être a-t-il simplement reçu cette même doctrine apostolique d’une source indépendante, de ses maîtres syriaques ou grecs. 


13- Photius lui-même affirme la primauté pontificale (c. 860)

Pour faire taire définitivement ceux qui prétendent que la primauté pontificale est une idée complètement étrangère aux Pères et aux chrétiens d’Orient, nous invoquons le témoignage de Photius lui-même : cet homme néfaste s’est séparé de Rome pour des raisons étrangères à la foi, et sa construction d’un arsenal théologique anti-romain n’intervient qu’après qu’il se soit vu refuser par le pape l’investiture en tant que patriarche de Constantinople. Dans un premier temps, Photius a enseigné, en unisson avec toute la tradition apostolique : 

  • Que Saint Pierre est le chef des Apôtres.
  • Que l’évêque de Rome est le successeur de Saint Pierre dans sa primauté. 

L’étude du R. P. Martin Jugie sur le sujet, dans laquelle les lecteurs pourront trouver toutes les citations originales en grec et bien d’autres citations encore, a de quoi ébranler toute la “mythologie” des schismatiques sur leur père fondateur, et confirmer le fait que la primauté romaine était acceptée par tous les orthodoxes avant les innovations de Photius.  Il a soutenu l’action de Grégoire Asbestas qui, en invoquant explicitement les canons du Concile de Sardique, en appelle à l’autorité du pape pour juger en appel la sentence de déposition du patriarche Ignace à son égard. Puis, après avoir lui-même usurpé le trône d’Ignace, Photius tente de se faire reconnaître par Rome et envoie une lettre pleine de respect à celui qu’il considère, à l’évidence, comme le successeur de Saint Pierre. Une partie de son argumentation contre Ignace est précisément le fait que celui-ci n’aurait pas respecté les prérogatives de l’évêque de Rome ! Avant que la condamnation définitive à son égard n’ait lieu, on trouve de la part de Photius une lettre au pape Nicolas Ier, déclarant que celui-ci et ses prédécesseurs avait reçu “la primauté”, bien qu’il glisse cette déclaration au milieu d’une critique sur le respect des canons :

les vrais canons doivent être gardés par tous, mais principalement par ceux que la Providence a amené à gouverner les autres; et parmi ces derniers, ceux qui ont en partage la primauté doivent briller entre tous par leur fidélité à les observer, car plus ils sont hauts placés, plus ils doivent s’attacher à la règle. (…) C’est pourquoi Votre Béatitude, prenant soin de faire observer la discipline ecclésiastique et suivant la droite ligne des canons, ne doit pas recevoir indistinctement sans lettres de recommandation ceux qui vont d’ici à Rome

P.G., t. CII, 596, 609

Ces actions et ces déclarations ne sont pas simplement des convenances ou des ruses : elles expriment simplement la manière dont les chrétiens orthodoxes considèrent le pape à l’époque, Photius compris, c’est à dire comme le successeur de Saint Pierre, héritier de la primauté et père de tous les chrétiens, doté d’une juridiction suprême, capable de briser en appel la sentence d’autres évêques, capable même de décider du sort du très puissant patriarcat de Constantinople. 

Le vendredi saint de l’année 861, Photius prêche un sermon sur l’espérance et la miséricorde dans l’église Sainte-Irène à Constantinople. Il invoque l’exemple du reniement de Saint Pierre, en disant que Dieu lui a donné la dignité de chef des apôtres et de pierre fondamentale de l’Eglise malgré ses péchés :

Voyez Pierre, leur disait-il; à la voix d’une servante, il renia son Maître, déclarant avec serment ne pas le connaître. Mais il lava la souillure de son apostasie par des larmes si abondantes qu’il ne déchut point de sa dignité de coryphée du chœur apostolique, qu’il a été établi pierre fondamentale de l’Eglise et qu’il a été proclamé par Celui qui est la Vérité même porte-clefs des cieux

S. ARISTARCHIS, t. I, p. 481-482

L’expression “coryphée” (κορυφαῖος, “chef de chœur”)  pour désigner Saint Pierre est d’ailleurs empruntée à Saint Jean Chrysostome. 

Dans la question 97 à Amphiloque, il déclare que Dieu a permis la chute de Pierre justement parce qu’il avait prévu de lui donner la primauté, et de le rendre compatissant pour les pécheurs dans son gouvernement : 

C’est dit-il, parce que Pierre devait recevoir le gouvernement de l’univers. Instruit par sa propre expérience, il se montrerait ainsi plein de bonté et d’indulgence à l’égard des pécheurs pénitents

Quaestio XCVII ad Amphilochium, P. G., CI, 608 C

Ce n’est que plus tard, après sa condamnation et déposition par le pape en 863, que Photius rédige un opuscule A ceux qui disent que Rome est le premier siège, dans lequel il laisse libre cours à son mépris des Latins et parle en des termes amers et violents. Il reprend le mythe de la “primauté de Saint André” par rapport à Saint Pierre, inventé du durant le schisme d’Acace (484-519), contredisant ce qu’il avait auparavant enseigné sur la primauté de Saint Pierre parmi les apôtres.

Quant à savoir si Photius considérait l’évêque de Rome comme le successeur de Saint Pierre, on peut dire qu’il connaissait ce principe aussi bien que tous les chrétiens de son temps, et qu’il l’affirme même dans son libelle contre la primauté : “Si Rome est le premier siège parce qu’elle reçut pour évêque le Coryphée, la primauté reviendra plutôt à Antioche. Pierre fut, en effet, évêque d’Antioche, avant de l’être de Rome”. Il appelle à plusieurs reprises le siège de Rome “trône apostolique par excellence”, même après le schisme, reconnaissant cette filiation avec Saint Pierre.  

Notons que Photius, qui était un homme orgueilleux, ambitieux et perfide, qui a changé de positions plusieurs fois suivant les circonstances (se montrant très courtois avec Rome dans les moments où il avait l’espoir d’être reconnu comme le patriarche légitime de Constantinople), n’était pas très aimé même parmi les schismatiques et n’a gagné leur admiration qu’assez tard dans l’histoire, quand ils ont senti le besoin de solidifier leur théologie anti-romaine. Ce n’est qu’à partir de 1911 que “Saint Photius” est fêté dans le calendrier de l’église de Constantinople. Il est en effet leur fondateur d’un point de vue logique et doctrinal, et il leur faut sauver Photius pour continuer d’être schismatiques, car si Photius est condamnable ils le sont autant que lui. Le schisme de 1054 est une conséquence directe des écrits et des scandales de Photius, bien que l’Eglise de Constantinople se soit réconciliée avec Rome et ait maintenu la communion jusqu’à cette date, non sans difficultés ; les arguments et surtout l’état d’esprit de Photius ont laissé des traces durables et préparé, par une espèce de mépris par principe des Latins et de tout ce qui vient d’Occident, la séparation finale. 


Conclusion

Nous avons vus de multiples témoignages patristiques, dont certains sont extérieurs à l’Occident, qui établissent sans discussion possible : 

  • Que l’on accordait à l’évêque de Rome une place spéciale et sans équivalent dans l’Eglise en raison des paroles de l’évangile contenues en Matthieu XVI où sont imposées à Saint Pierre “les clés du royaume des cieux”. 
  • Que cette primauté est d’abord une primauté de juridiction, une capacité à juger des causes relatives à n’importe quelle autre partie de l’Eglise, spécialement pour trancher un conflit n’a pas pu se résoudre au niveau local. 
  • Que cette primauté s’accompagne aussi d’un pouvoir spécial d’enseigner la vraie doctrine chrétienne, sans risque de corruption. Les jugements doctrinaux du Siège apostolique ont toujours été reconnus, par les véritables orthodoxes, comme des jugements définitifs. 

Si des discussions continuent d’avoir lieu sur la nature “papiste” des différents extraits que nous avons discutés, ce n’est pas parce que ceux-ci seraient fondamentalement ambigus, insuffisants ou mal traduits. C’est plutôt, nous devons l’admettre, parce que certains refusent par principe l’idée de la papauté. Ils ont endurci leur cœur et fait profession de lutter contre la vérité apparente pour défendre des doctrines qui leur plaisent davantage, pour des raisons étrangères au zèle pour la foi ; certainement pas en raison d’un souci de rigoureuse fidélité aux témoignages des Pères.

Jean-Tristan B.

Les Pères de l’Eglise n’ont jamais rejeté la Papauté (Pourquoi être catholique plutôt qu’orthodoxe (2/7))


Raisons patristiques : les Pères affirment la papauté


3- Les Pères affirment négativement la papauté, en ne protestant pas contre les prétentions de Rome

Avant d’étudier les témoignages positifs des Pères en faveur de la papauté, il nous faut nous arrêter sur un point qui est rarement évoqué, et qui a pourtant toute son importance dans le débat entre catholiques et schismatiques : où sont les témoignages des pères contre la papauté ? 

La réponse est très simple, il n’y a jamais eu de protestation des Pères à l’égard des titres et des prétentions de l’Eglise de Rome, qui – contrairement à la légende moderne colportée par les universitaires de gauche et par les ennemis de l’Eglise en tout genre – ne sont pas soudainement apparus au milieu du Moyen-Age, sous l’impulsion des moines de Cluny et de la réforme grégorienne, alors que l’ensemble des chrétiens auraient auparavant vécu sous le régime de la “pentarchie”, où les 5 patriarches les plus éminents de la chrétienté (Rome, Constantinople, Jérusalem, Antioche, Alexandrie) auraient dirigé l’Eglise sur une sorte de pied d’égalité. Cette conception de la pentarchie relève largement du mythe, car il a bien toujours existé une primauté de juridiction et de magistère de l’évêque de Rome (spécialement visible dans le fait que les évêques d’Orient y compris ceux de Constantinople, d’Antioche et d’Alexandrie recourent sans cesse à Rome 1) pour trancher les conflits et surmonter leurs difficultés internes, et 2) pour condamner les hérésies), qui n’est pas une simple primauté honorifique due au statut politique de Rome, mais une primauté due aux pouvoirs que le Christ a donné à Saint Pierre. 

Les schismatiques répondront peut-être qu’il n’y a pas eu de protestation contre la papauté car à cette époque les évêques de Rome n’avaient pas été gagnés par la “folie des grandeurs” de la réforme grégorienne, par les “idées extrémistes” du moine Hildebrand, devenu pape sous le nom de Grégoire VII. Si “folie des grandeurs” il y a, force est de constater qu’elle a commencé bien avant Cluny et qu’on en trouve des traces non équivoques dès l’antiquité, tout au long du Haut Moyen-Age, et pas uniquement en Occident. En vérité, ce que l’on constate dans l’histoire ancienne de l’Eglise est que les véritables orthodoxes ne contestent jamais les prérogatives de Rome, tandis que seuls les esprits teintés de schisme et d’hérésie se plaignent d’un “abus de pouvoir” ou d’une mauvaise interprétation des évangiles en faveur de la primauté pontificale.

L’étude de Mgr Batiffol sur les titres de l’évêque de Rome dans l’antiquité et le début du Moyen-Age (Cathedra Petri, 1938) nous fournit de nombreux et éclairants exemples sur cette primauté romaine revendiquée et manifestée dès l’antiquité, et jamais contestée par les véritables orthodoxes. Une autre étude de ce type, plus élargie, a été réalisée en 2003 par Scott Butler et John Collorafi (Keys over the Christian world: Evidence for Papal Authority [33 A.D.- 800 A.D.] from Ancient Latin, Greek, Chaldean, Syriac, Armenian, Coptic and Ethiopian documents). Nous en recommandons la lecture à ceux qui souhaitent approfondir le sujet.

Pour cet article nous ne sélectionnons que quelques exemples d’histoire ancienne de l’Église, dont certains datent d’avant que l’Église ait développé le moindre lien avec les autorités de l’empire romain, dans lesquels il est évident que Rome a revendiqué une primauté, non seulement en paroles mais en actes, et que cette primauté n’a pas fait l’objet d’une contestation forte et durable, l’ensemble des chrétiens la considérant comme normale même si certains ont contesté parfois la manière ou le sujet sur lesquels elle s’appliquait. Le principe de la primauté romaine était, implicitement ou explicitement, accepté par les chrétiens les plus sérieux, y compris en Orient.

Il est absurde de prétendre que ce principe est lié au prestige politique de la ville, dans un contexte où cette ville, mondialement réputée pour ses mœurs débauchées, est le siège d’un empire païen persécuteur, et aussi – ce qui ne manque pas d’importance – dans un contexte où la chrétienté romaine est beaucoup plus culturellement influencée par l’Orient que l’inverse (la liturgie même de l’église de Rome est en grec jusqu’au IVème siècle, et beaucoup de papes sont d’origine orientale). Rome, d’une manière générale, est d’un prestige culturel inférieur à l’Orient et les Romains de la haute société parlent grec en signe de distinction. Il n’y a aucune “primauté honorifique” crédible qui puisse être attachée à Rome par opposition aux autres sièges apostoliques avant que l’empire romain ne devienne chrétien. Seule la transmission du pouvoir de la primauté de Saint Pierre aux évêques de Rome peut expliquer ce qui s’est passé dans les épisodes d’histoire (très) ancienne de l’Église ci-dessous. 


1- La controverse sur la date de Pâques (c. 190)

Alors que l’Eglise vivait encore dans les catacombes, les contacts humains et épistolaires entre les différentes Églises et spécialement entre Rome et les Églises d’Orient étaient permanents. L’Occident et l’Orient ont en ce temps-là un mode de calcul différent pour la date de Pâques, l’Orient suivant l’ancienne coutume juive. Ce sujet inquiétait les papes du IIème siècle qui craignaient de voir une différence aussi importante entre l’Orient et l’Occident dans la loi de prière.

Le pape Victor Ier (189-199) s’empare de ce sujet d’une manière violente et excommunie les évêques d’Asie mineure : comment interpréter une telle action ? Il est impossible que l’évêque de Rome ait pris cette initiative si extrême, s’il n’estimait pas (et si l’ensemble des chrétiens n’estimaient pas) qu’elle était fondée en droit. Cette décision, sans doute excessive, fut contestée par les intéressés : mais il est fort intéressant d’étudier dans quels termes prennent place la contestation. Eusèbe de Césarée, dans le Vème tome de son Histoire ecclésiastique, explique que les Asiates ont contesté la violence de l’action, mais pas les pouvoirs de l’évêque de Rome : on ne voit aucun de ces anciens pères, bien qu’ils expriment un fort désaccord, contester comme le fit Photius que l’évêque de Rome ait même le droit d’excommunier un autre évêque en dehors de sa juridiction territoriale spécifique. Voyez le passage d’Eusèbe : 

Sur ce, le chef de l’église de Rome, Victor, entreprend de retrancher en masse de l’unité commune les chrétientés de toute l’Asie ainsi que les églises voisines, les tenant pour hétérodoxes. Il notifie par lettres et déclare que tous les frères de ces pays-là sans exception étaient excommuniés. Mais cela ne plut pas à tous les évêques, ils l’exhortèrent au contraire à avoir souci de la paix, de l’union avec le prochain et de la charité : on a encore leurs paroles ; ils s’adressaient à Victor d’une façon fort tranchante. Parmi eux encore se trouve Irénée, il écrivit au nom des frères qu’il gouvernait en Gaule. Il établit d’abord qu’il faut célébrer seulement le jour du dimanche le mystère de la Résurrection du Seigneur ; puis, il exhorte Victor respectueusement à ne pas retrancher des églises de Dieu tout entières qui gardent la tradition d’une coutume antique et donne beaucoup d’autres avis

Eusèbe de Césarée, Histoire Ecclésiastique, V, 24

Ainsi les évêques concernés, par la voix du grand Saint Irénée, “exhortent respectueusement” le pape de “ne pas retrancher des églises”. Si n’importe quel autre évêque, même un patriarche, avait pris une décision similaire en dehors de sa province ecclésiastique, il aurait été rappelé au fait que ses pouvoirs ne sont pas illimités. Ici pourtant, l’évêque de Rome excommunie les évêques d’Asie, bien loin du “patriarcat occidental” dont aiment parler les schismatiques modernes, et se voit respectueusement demander par Saint Irénée de lever son excommunication, ce qui sous-entend que celle-ci a une forme de validité, autrement il suffirait de l’ignorer. Si les chrétiens d’Orient avaient été animés à l’époque des mêmes sentiments que Photius, le schisme général entre Rome et l’Orient aurait commencé en 190. La manière dont a agi Victor Ier contre les Asiates est sans doute plus choquante que la manière dont a agi le pape Nicolas Ier à l’égard de l’usurpateur Photius. Pourtant, les vénérables Pères de l’Eglise apostolique n’ont pas entrepris à cette occasion de nier que Rome soit “le premier siège”. Suite à cette controverse, l’usage oriental de la célébration de la Pâque s’est peu à peu entièrement aligné sur celui de l’Eglise de Rome. 


2- La controverse sur le Baptême des hérétique (c. 250)

Dans la tourmente des persécutions de Dèce (249-250), de nombreux chrétiens ont malheureusement apostasié en acceptant de brûler un grain d’encens aux idoles. Une fois la persécution terminée, nombreux sont ceux qui demandent à être pardonnés et réintégrés dans la communion de l’Eglise. Le statut de ces lapsi divise : certains estiment que l’attitude de l’Eglise, qui consiste à accorder l’absolution aux apostats, est trop laxiste, parmi eux Novatien qui fait schisme et prétend être l’évêque légitime de Rome, et refuse d’accepter à la communion les lapsi pénitents.

A mesure que les persécutions s’éloignent, la secte de Novatien commence rapidement à s’étioler. De nombreux novatianistes veulent revenir dans l’Eglise : la question se pose de savoir s’il est nécessaire de baptiser à nouveau ceux qui ont été baptisés dans la secte novatienne. Saint Cyprien, et avec lui de nombreux évêques africains, défend l’opinion selon laquelle ce second baptême est nécessaire. Le Pape Etienne Ier (254-257) non seulement défend la doctrine contraire (selon laquelle le baptême des hérétiques et des schismatiques est valide, et qu’il est sacrilège d’effectuer un second baptême), mais impose aux autres évêques de rétracter la doctrine du second baptême. S’en suit une lutte passionnée avec le pape qui mène l’Eglise africaine au bord du schisme. 

De cet épisode, les schismatiques tentent parfois de puiser des preuves de “l’opposition de Saint Cyprien à la primauté romaine”. La question est en réalité complexe et Saint Cyprien, bien qu’il ait pu agir avec un mauvais esprit, n’a jamais véritablement cherché à réfuter la doctrine de la primauté. 

On pourrait tenter par exemple d’utiliser ce passage  :

Il ne faut point se retrancher derrière la coutume, mais vaincre par la raison. Pierre, que le Seigneur a choisi tout d’abord, et sur lequel il a bâti son Église, se trouvant par la suite en désaccord avec Paul au sujet de la circoncision, ne montra point d’arrogance ou de prétention insolente ; il ne dit point qu’il avait la primauté, et que les nouveaux-venus et les moins anciens devaient plutôt lui obéir, et il ne méprisa point Paul, sous le prétexte qu’il avait été persécuteur de l’Église, mais il se rendit de bonne grâce à la vérité et aux justes raisons que Paul faisait valoir. Il nous donnait ainsi une leçon d’union et de patience, et nous apprenait à ne point nous attacher avec obstination à notre propre sentiment, mais à faire plutôt nôtres, quand elles sont conformes à la vérité et à la justice, les idées bonnes et salutaires qui peuvent nous être suggérées par nos frères et nos collègues

Saint Cyprien, épître 71

Ce massage montre plutôt : 

  • Que Saint Cyprien est d’accord pour dire que “le Seigneur a bâti son Eglise sur Pierre”.
  • Que le pape de l’époque revendique la primauté.
  • Que Saint Cyprien ne dit pas qu’il est faux que Pierre ait la primauté, mais exhorte son successeur à agir avec humilité en acceptant les suggestions qui viennent de l’extérieur si elles sont vraies et justes, au lieu d’imposer toujours son avis au nom de la primauté. 

Saint Cyprien reste attaché à ses positions et convoque un concile des évêques d’Afrique, de Numidie et de Maurétanie en septembre 256, pour affirmer plus solennellement la doctrine du second baptême. Le concile s’ouvre sur une déclaration qui semble critiquer l’attitude du pape : “car nul d’entre nous ne se pose en évêque des évêques, nul ne tyrannise ses collègues ni ne les terrorise pour contraindre leur assentiment, vu que tout évêque est libre d’exercer son pouvoir comme il l’entend, et ne peut pas plus être jugé par un autre que juger lui-même un autre”. La critique n’est pas directe mais simplement suggérée, car le contexte de la déclaration est un propos plus général sur le fait que chaque évêque participant à ce concile local est amené à exprimer librement son opinion sans craindre d’être persécuté. Cependant le terme “évêque des évêques” et le vocabulaire de la “tyrannie” et de la contrainte sont probablement un écho du ressentiment de Cyprien contre les revendications du pape.

Saint Cyprien et les évêques africains étaient-ils alors dans une position analogue à celle de Photius, niant la primauté du pape et rejetant ses enseignements ? Ce n’est pas ce que nous apprend l’histoire de cette controverse. Saint Jérôme, écrivant environ un siècle et demi plus tard[1], nous apprend que :

  • Saint Cyprien et le concile de Carthage ont envoyé leur décret conciliaire au pape.
  • Que le pape (Sixte II, successeur d’Etienne) a refusé leur doctrine.
  • Que ces évêques rétractèrent leur opinion suite à la condamnation du Pape, pour accepter la doctrine de la validité du baptême conféré en dehors de l’Eglise.

La controverse s’est donc terminée, après plusieurs remous, par une acceptation de l’enseignement du pape de Rome. Nous avons conservé très peu de traces des interventions de Rome dans cette controverse, en dehors d’une citation du pape Etienne dans une épître de Saint Cyprien ; il est possible qu’à un moment donné, le pape – qui jusque là tentait de convaincre ceux de l’opinion adverse plutôt que de leur imposer une doctrine – a clairement usé de son autorité apostolique pour trancher le débat, et que Saint Cyprien – qui connaissait mieux que quiconque le principe de la primauté, exprimé dans son traité sur l’unité de l’Eglise – a fini par accepter de se rétracter.


3- La controverse arienne et le concile de Sardique (343)

Après la condamnation de l’arianisme par le concile de Nicée (325), un grand nombre d’évêques orientaux se sont malheureusement laissés séduire par des versions « modérées » de l’hérésie arienne et ont activement combattu les défenseurs de l’orthodoxie, dont le plus célèbre fut Saint Athanase, évêque d’Alexandrie entre 328 et 373.

L’empereur Constantin a légalisé le christianisme (313), soutenu l’Eglise et demandé la convocation du Concile de Nicée, mais il est cependant fort novice en théologie et n’est pas lui-même pas véritablement chrétien (il sera baptisé sur son lit de mort par un évêque arien). Pour des raisons non exactement élucidées, peut-être parce qu’il se préoccupe surtout de l’unité extérieure des chrétiens et que l’arianisme modéré est devenu la position majoritaire, il finit par renverser sa politique pour défendre les ariens. Ainsi dans les dernières années de la vie de Constantin (330-337), le parti des ariens devient le plus puissant dans la chrétienté.

Les ariens entreprennent de déposer Saint Athanase lors du concile d’Antioche (335), dirigé par Eusèbe de Nicomédie. A partir de ce moment, l’évêque de Rome entreprend, de sa propre autorité, de briser les décisions illégitimes des évêques d’Orient. Nous voyons le pape prendre fait et cause pour Saint Athanase, et agir véritablement comme s’il était l’autorité suprême dans l’Eglise ; qualité qui ne lui était contestée, en réalité, que par les sympathisants de l’arianisme.

L’historien Socrate de Constantinople (qui écrit son Histoire ecclésiastique vers 440) commente le conciliabule d’Antioche en disant qu’il est illégitime précisément parce que l’évêque de Rome n’était ni présent ni représenté :

Jules Evêque de Rome n’y assista point non plus, et n’y envoya personne en sa place, bien que selon un ancien Canon, il n’était pas permis de rien ordonner dans l’Eglise, sans le consentement de l’Evêque de Rome.

Socrate le Scholastique, Histoire ecclésiastique, Livre II, chapitre 8 dans PG, 67/195

De « l’ancien canon » mentionné par Socrate, nous ne savons rien de précis. Ce commentaire est simplement un témoignage supplémentaire que la primauté du pape était crue par les premiers chrétiens, au point d’être inscrite dans le droit ecclésiastique et ce avant le concile de Sardique dont nous discuterons bientôt. L’historien Sozomène (qui écrit aussi dans les années 440-450) rapporte substantiellement la même chose que Socrate, savoir que le pape a condamné le concile de Tyr et a rappelé qu’il était contraire aux canons de prendre une décision aussi grave pour l’Eglise que la déposition du patriarche d’Alexandrie sans son accord.

En 340, le pape tient un concile à Rome qui annule les décisions du concile de Tyr et rétablit Saint Athanase dans son droit. Pour donner un caractère plus solennel encore aux nouvelles définitions contre l’arianisme, les Occidentaux (surtout Saint Ossius de Cordoue, bras droit du pape ayant joué un rôle important lors du Concile de Nicée), appuyés par les empereurs Constant et Constance, souhaitent réunir un concile œcuménique. La localisation de Sardique (nom antique de Sofia, dans l’actuelle Bulgarie), entre Occident et Orient, est choisie pour permettre au plus grand nombre d’évêques de s’y rendre. La majorité des évêques d’Orient, sympathisants de l’arianisme, n’y participent malheureusement pas, ne supportant pas la présence de Saint Athanase, et multipliant les injures et les attaques contre Rome. C’est un véritable schisme entre l’Occident et la majeure partie de l’Orient qui s’en suit.

Le concile de Sardique rassemble néanmoins, d’après Sozomène, environ 300 évêques d’Occident et 76 d’Orient. D’autres historiens diminuent beaucoup le nombre d’évêques présents, mais cette question a peu d’importance. Les canons de ce concile relative à l’autorité du pontife de Rome (qui n’est par ailleurs même pas présent) témoignent de la foi des chrétiens de l’époque en une autorité suprême du successeur de Saint Pierre, contestée seulement par les sympathisants de l’arianisme :

3. (…) Si cependant un évêque pense qu’il fut condamné pour une affaire, qui à son avis n’est point mauvaise, mais bonne, en sorte que le jugement doive être révisé, s’il plaît à votre charité, honorons la mémoire de l’apôtre Pierre, et que les juges eux- mêmes écrivent à Jules, évêque de Rome, afin que le tribunal, le cas échéant, soit à nouveau constitué par les évêques de la province voisine et que lui-même envoie des arbitres; mais si un pareil tribunal ne peut être constitué -car c’est à lui de décider si l’affaire a besoin d’être révisée -, ce qui fut déjà décidé ne doit pas être remis en question et le décret rendu sera confirmé

Le 3e canon du concile de Sardique déclare que l’évêque de Rome a le pouvoir de réviser en appel la sentence d’un autre évêque, et que c’est « honorer la mémoire de l’apôtre Pierre » que de déclarer ce pouvoir. D’autres canons du même concile entrent dans le détail de ce thème de l’appel à Rome en cas de conflit de juridiction au niveau provincial.

Certains voudraient voir dans ces canons, et pourquoi pas dans la personne d’Ossius, l’origine de « l’invention de la papauté », dans le sens qu’un pouvoir de ce type n’existait pas auparavant et qu’il aurait été arbitrairement attribué à l’évêque de Rome par le concile de Sardique. Ces menteurs sont réfutés par le récit de Sozomène et de Socrate le Scolastique, qui témoignent que c’est en vertu d’un « ancien canon » que l’évêque de Rome proteste contre l’illégitimité du concile oriental réuni contre Athanase plusieurs années avant le concile de Sardique, et que ce pape Jules revendique à ce moment un droit de contrôle sur ces décisions qui pourtant ne relèvent pas de sa province ecclésiastique ou de son « patriarcat occidental ». Nous avons vu, dans les exemples précédents, que cette revendication du pape à réguler les affaires de l’Eglise universelle s’est déjà manifestée aux IIe et IIIe siècles. Le concile de Sardique ne fait donc que confirmer des notions déjà existantes dans la mentalité chrétienne et dans le droit canon. 

Nous voyons dans cette affaire que Saint Athanase et tous les orthodoxes acquiescent, tacitement par leur silence, ou explicitement par leur ratification, au pouvoir suprême de l’évêque de Rome dans l’Eglise, un pouvoir tel que celui-ci peut briser en appel n’importe quelle sentence prononcée à un niveau inférieur de la hiérarchie ecclésiastique.


4- L’affirmation de la papauté par le concile de Rome (382)

Peu de temps après le Ier concile de Constantinople (381), l’empereur Théodose Ier réunit un autre synode à Constantinople, auquel le pape ne participe pas : Damase Ier réunit plutôt un concile à Rome, qui est surtout célèbre pour avoir été l’occasion de la définition du canon des Saintes Ecritures. Le concile déclare en outre :

La sainte Église romaine n’a pas été placée en avant des autres par quelque décision synodale mais a obtenu le premier rang par la voix évangélique de notre Seigneur et Sauveur, puisqu’il dit : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église et les portes de l’enfer ne prévaudront pas sur elles, et je te donnerai les clefs du Royaume des cieux et tout ce que tu auras lié sur terre sera lié aussi dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur terre sera aussi délié dans les cieux » (Matthieu 16, 18). La société du très bienheureux Paul, le vase d’élection, lui a été ajoutée, lui qui, combattant, n’a pas été couronné à un (moment) différent, comme les hérésies (le) coassent, mais (l’a été) au même moment, en un seul et même jour, par une mort glorieuse, avec Pierre, dans la ville de Rome, sous le César Néron. Ils consacrèrent également la susdite sainte Église romaine au Seigneur Christ et la placèrent devant toutes villes dans le monde entier par leur puissance (praesentia) et leur triomphe à vénérer. Le premier rang de l’apôtre Pierre revient donc à l’Église romaine, qui n’a ni tache, ni ride, ni rien de ce genre (voir Éphésiens 5, 27). Le deuxième siège a été consacré au nom du bienheureux Pierre par son disciple et évangéliste Marc à Alexandrie, lui qui, envoyé par l’apôtre Pierre, a prêché la parole de vérité et a consommé le glorieux martyre en Égypte. Et c’est du bienheureux Pierre qu’à Antioche on tient l’honorabilité du troisième siège, parce que c’est là-bas qu’il s’était rendu avant d’habiter à Rome et (parce que) c’est là-bas que pour la première fois le nom de chrétiens s’est manifesté (Actes 11, 26) (comme celui d’) une nouvelle nation

Texte tiré du Decretum Gelasianum, 3, éd. E. von Dobschütz, Leipzig, 1912, p. 7 ; “Latin Lists of the Canonical Books. I. The Roman Council under Damasus, A.D. 382”, introd. et éd. C. H. Turner, Journal of Theological Studies, 1, 1899, p. 560.

Il apparaît donc que dès le IVème siècle, les papes énoncent ouvertement la doctrine finalement rejetée par Photius au IXème siècle, et par ses héritiers du XIème siècle, en déclarant que la primauté de Rome provient du premier rang de l’apôtre Pierre, et des paroles prononcées par le Christ sur « les clés du royaume des cieux ».


Conclusion

Ces différents épisodes de l’histoire de l’Eglise nous apprennent   :

  • Que la prétention à la primauté de la part de Rome existe depuis l’antiquité la plus reculée (exemples des IIème, IIIème et IVème siècles).
  • Que cette prétention n’a rien à voir avec la place de la ville dans l’empire romain, mais est explicitement reliée aux paroles de l’évangile sur Saint Pierre.
  • Que cette prétention à la primauté n’a pas suscité, parmi les Pères de l’Eglise et plus généralement parmi les orthodoxes, de condamnation ou de réfutation.
  • Que les protestations des premiers chrétiens contre les actions de Rome
    • Ne portent pas sur le principe même de la primauté.
    • Se plaignent de la sévérité de certains papes, mais sans nier leur droit à agir pour réguler les affaires des Eglises à travers le monde.
    • Ont tendance à cesser une fois que Rome a exprimé sa volonté de manière suffisamment ferme, et que ceux qui entendent cette volonté sont suffisamment pieux et orthodoxes.

Nous avons donc une affirmation au moins négative de la papauté de la part des Pères qui ne protestent pas contre ces revendications continuelles à la primauté de juridiction et même à l’autorité doctrinale suprême de la part de Rome. Nous verrons, dans la partie suivante, que plusieurs Pères ont plutôt explicitement soutenu ces revendications.

Jean-Tristan B.


[1] Blessed Cyprian… condemning the baptism of heretics, sent [the acts of] an African Council on this matter to Stephen, who was then bishop of the city of Rome, and the twenty-second from Blessed Peter; but his attempt was in vain. Eventually the very same bishops, who had laid down with him that heretics were to be rebaptized, returning to the ancient custom, published a new decree. [Contra Lucif., 23. PL 23: 186]

Arguments tirés de la Sainte-Ecriture en faveur de la Papauté et contre les orthodoxes (Pourquoi être catholique plutôt qu’orthodoxe (1/7))

12 raisons de rejeter le schisme oriental

Il se manifeste ces derniers temps une étrange sympathie pour les “orthodoxes” dans les milieux catholiques conservateurs ou traditionalistes, ce qui est un grave paradoxe quand on considère que la raison d’être du traditionalisme est principalement le rejet de l’œcuménisme de Vatican II, de cette sympathie excessive pour les “frères séparés” qui pousse à rejeter la doctrine catholique sur la nature de l’Eglise et la nécessité d’être en communion avec le Saint-Siège pour être un véritable chrétien et sauver son âme. 

On considère qu’il y a “peu de différences” entre ces “orthodoxes” et les catholiques, qu’ils sont plus proches de notre foi que ne l’est Vatican II, qu’ils sont dignes d’admiration. Cette sympathie grandit chez certains jusqu’au point de provoquer une apostasie : un rejet du catholicisme pour rejoindre la soi-disant orthodoxie, car l’orthodoxie aurait “conservé la vraie foi” tandis que Rome s’égare non seulement depuis Vatican II, mais même depuis le Moyen-Age ou la fin de l’empire romain.

Face à cette dangereuse tendance, qui procède de l’ignorance des choses de la foi et de l’affaiblissement de la charité, nous avons souhaité rappeler pourquoi, en présence de Dieu, nous devons absolument être catholiques et pas “orthodoxes” si nous voulons sauver notre âme. 

Nous prions Dieu et ses saints de dissiper les mensonges des schismatiques, qui cachent sous milles arguties et sophismes subtils leur orgueil et leur nationalisme, qui sont la seule cause de leur rejet de l’autorité bienfaisante et sanctifiante du bienheureux Pierre : car en effet, ni les saintes écritures, ni la lecture des saints Pères, ni la considération de l’histoire de l’Eglise, ni la raison et la logique ne permettent de rejeter l’autorité de Pierre et de ses successeurs sur l’ensemble de l’Eglise.

Comme nous aurons l’occasion de le voir, les schismatiques ont pour procédé de refuser le sens évident des textes polémiques ou problématiques, et de complexifier excessivement le sujet afin de le faire apparaître comme plus embrumé qu’il ne l’est réellement, et prétendre que les Ecritures ou les Pères parlent d’un tout autre sujet que ce qui est immédiatement apparent. Les catholiques pour leur part se contentent d’interpréter ces citations suivant leur sens évident et en lien avec leur contexte immédiat et éloigné, suivant les règles classiques de l’interprétation, puisqu’ils ne cherchent pas à cacher dans l’obscurité les vérités que contiennent ces citations. 

Puissent les chrétiens ne pas tomber dans les pièges des schismatiques, ne pas se laisser détourner par les quelques apparences de piété et de tradition qu’ils mettent en avant, et rester ou revenir dans le giron de l’unique et véritable Église, hors de laquelle il n’y a point de salut, celle que Jésus-Christ a fondé sur Pierre. Ainsi soit-il.  


SOMMAIRE

  • I- Raisons scripturales
    • 1- La papauté est affirmée dans les Évangiles
    • 2- La papauté est visible dans les Actes des Apôtres
  • II – Raisons patristiques
    • 3- Les Pères affirment négativement la papauté, en ne protestant pas contre Rome
    • 4- Les Pères affirment positivement la papauté, en défendant Rome
    • 5- Les Pères affirment le Filioque
  • III – Raisons historiques
    • 6- La bienfaisance de Rome dans l’histoire de la chrétienté
    • 7- Les saints affirment la papauté
    • 8- Les miracles se produisent dans la communion catholique
    • 9- La soumission des schismatiques au pouvoir temporel
  • IV – Raisons intrinsèques
    • 10- La monarchie est le gouvernement le plus parfait
    • 11- Les chrétiens ont besoin d’une autorité juridictionnelle suprême
    • 12- Les chrétiens ont besoin d’une autorité doctrinale suprême

Raisons scripturales : les Écritures affirment la papauté

Saint Pierre et Jésus, Eglise Saint-Germain-l’Auxerrois (Paris)

1- La papauté est affirmée dans les Évangiles

Les Évangiles comportent deux principaux passages relatifs au primat de Saint Pierre. Le premier est celui de la promesse du primat, ou de la désignation de Pierre, comme devant recevoir une autorité suprême (Mt XVI, 13-20). Le second est l’imposition du primat, après la Résurrection, suite à la triple profession de Pierre (Jn XXI, 15-17).

Les protestants et les schismatiques veulent prétendre que ces textes, surtout Matthieu XVI, sont purement symboliques et n’ont aucun rapport avec la personne de Pierre spécifiquement. Pourtant tous les passages de la Bible, même ceux qui ont le sens symbolique le plus riche, ont aussi un sens littéral qui n’est pas contradictoire avec le sens symbolique. Il appartient en dernière instance à l’Église d’interpréter authentiquement les Saintes Écritures, mais même en l’absence du jugement de l’Église, il existe des règles ordinaires d’interprétation, et celles-ci n’excluent pas par défaut le sens littéral ou apparent.  

Une lecture honnête de ces passages, sans a priori, suffit à comprendre qu’il y a plus qu’un symbole, et que le Christ a un dessein particulier sur Pierre qui n’est pas le même dessein que pour les autres apôtres. Notre Seigneur impose certains pouvoirs aux apôtres collectivement, mais impose certains pouvoirs à Pierre spécifiquement à l’exclusion des autres, ainsi qu’il est visible dans ces deux passages des Évangiles. 

On peut voir dans le premier texte : 

  1. La raison pour laquelle Jésus donne à Simon cet étrange surnom de Cephas (“pierre” en araméen). Jusqu’ici, l’Évangile dit simplement que le Christ a imposé ce surnom à Simon fils de Jean, sachant qu’il ne s’agit pas d’un prénom à l’époque, mais bien d’un surnom qui évoque la pierre physique (Jn I, 42). Par ailleurs, dans la culture juive, le changement de nom n’est pas anodin : il signifie par exemple l’accession à une nouvelle fonction, ou un changement radical de vie, comme lorsque Saul devient Paul. Aucun autre apôtre n’a reçu du Christ un tel changement de nom : il y a donc une raison spéciale à cette particularité du nouveau nom de Simon. Dans ce passage, le Christ dévoile la raison de ce changement de nom, qu’il a décidé de sa propre autorité, et la nature de la fonction associée : il destine “Pierre” à être le fondement de son Église.
  1. Que la fonction de Pierre a un lien spécial avec la foi : en effet, le Christ déclare que Pierre sera le fondement de son Église après avoir obtenu de lui une profession de foi éclatante, que les autres apôtres n’ont pas été en mesure de fournir : “Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant”.  Notre Seigneur répond : “Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas, parce que ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais Mon Père qui est dans les Cieux” : ainsi le Christ dit à Pierre qu’il a professé la foi exacte par l’inspiration directe de Dieu, et non pas par ses propres forces. Il s’agit d’une préfiguration de l’infaillibilité pontificale. 
  1. Que Jésus promet de donner à Pierre une forme d’autorité suprême sur l’Église : “je te donnerais les clés du royaume des Cieux”. Le sens de cette expression s’éclaire assez naturellement lorsqu’on la compare à d’autres passages des Écritures. Tout d’abord les clés, lorsqu’elles sont en lien avec une entité politique telle qu’une ville ou un royaume, symbolisent dans la Bible (et plus généralement dans les civilisations qui ont connu des cités fortifiées) l’autorité suprême sur cette entité. Ensuite, le royaume des Cieux doit s’entendre ici comme l’Église, et non comme le paradis, bien que le folklore chrétien représente Saint Pierre comme ayant les clés des “portes du paradis”, ce qui relève du symbole. Le contexte nous permet de comprendre que le Christ parle ici d’une société humaine (puisqu’elle est sujette à des “clés”, comme une cité qui possède des portes), c’est-à-dire l’Église qu’il projette d’instituer. L’interprétation la plus simple et évidente de ce passage est donc : Jésus promet de donner à Pierre l’autorité suprême sur l’Église. Il n’y a pas d’autre manière cohérente d’interpréter cette phrase, surtout en considérant sa seconde partie sur le fait de “lier” et de “délier”, qui évoque dans la phraséologie juive les actes de gouvernement et de législation.
  1. Que l’autorité que Jésus promet à Pierre est spécialement étendue et universelle : “tout ce que tu lieras sur terre sera lié dans le Ciel, tout ce que tu délieras sur terre sera délié dans le Ciel”. Qu’on médite un instant cette phrase : prise dans son sens littéral, il n’y a aucune limitation posée à cette autorité des clés. Nous lisons bien “tout” serait susceptible d’être lié ou délié, selon le pouvoir qui lui a été donné. Ainsi on peut dire que la théocratie pontificale (qui n’est pas un dogme de foi) trouve son origine dans une lecture littérale de la Bible : les catholiques du Moyen Âge n’ont pas tiré de nulle part l’idée que le Saint Père possède un pouvoir suprême sur “tout”, même en matière temporelle. Même si l’on ne voulait limiter cette autorité qu’à la sphère ecclésiastique, qu’au “royaume des Cieux”, on voit qu’elle est absolument suprême dans ce domaine. 

On peut voir dans le second :

  1. Que le Christ prend à part Pierre spécifiquement, dans une scène où tous les apôtres sont présents, pour demander de lui des sacrifices et un dévouement supplémentaire : m’aimes-tu plus que ceux-ci
  1. Que le Christ demande spécifiquement le consentement de Pierre à sa volonté, en réitérant la même question à trois reprises : m’aimes-tu ? L’amour, dit Saint Thomas, consiste à vouloir le bien de la personne aimée, et à le poursuivre et le procurer autant qu’il est possible. Le Christ demande donc à Pierre s’il est prêt à poursuivre son bien, et par extension le bien de son Église : à la profession de Pierre, le Christ répond en lui commandant de “paître”, de prendre soin de son troupeau. L’un des effets de l’amour entre deux êtres est l’union des volontés : le Christ demande à Pierre cette union de sa volonté à la sienne, concernant le bien du troupeau à paître. Nous trouvons donc dans l’Évangile le principe de l’acceptation de l’élection par le pape, par l’adhésion de sa volonté au bien de l’Église et à la fin pour laquelle elle a été instituée. 
  1. Que le Christ commande spécifiquement à Pierre de paître son troupeau, ce qui est une manière symbolique, et néanmoins non équivoque, de désigner l’ensemble de ceux qui croient en lui, tous les fidèles réunis dans l’Église : il ne fait pas de doute que c’est à ce moment que le Christ réalise la promesse faite à Pierre en Matthieu XVI ; après avoir promis à Pierre “les clés du royaume des Cieux”, le pouvoir de lier et de délier, voilà à présent qu’il commande à Pierre de “paître” son troupeau (c’est-à-dire son Église, le royaume des Cieux précédemment mentionné), peu de temps avant de quitter la terre dans sa glorieuse Ascension. L’Évangile relate donc le moment où Pierre a effectivement reçu du Christ l’autorité qu’il lui avait promise avant sa Crucifixion. 
  1. Que le Christ distingue les agneaux et les brebis, ce qui pourrait sembler à première vue comme une distinction anodine. Mais nous savons que chaque parole du Christ est pesée, et que les mots qu’il prononce ne sont pas employés au hasard. Ainsi, cette distinction entre “agneaux” et “brebis” est traditionnellement interprétée comme une distinction entre les simples fidèles (les agneaux, qui sont plus petits et moins forts) et le clergé, spécialement les évêques (les brebis, qui sont la partie mûre et forte du troupeau). L’Évangile suggère donc également que l’autorité de Pierre ne s’étend pas seulement aux simples fidèles, mais également aux évêques, aux “brebis” fortes qui ont néanmoins elles aussi besoin d’être soignées par le pasteur. 

Jésus-Christ n’a pas dit : je te donnerais un primat honorifique entre les apôtres tes pairs ; mais : je te donnerais les clés du royaume des Cieux. Il n’a pas dit : ta parole a une valeur honorifique supérieure entre les apôtres, qui sera de nature à apaiser les conflits ; mais : tout ce que tu lieras sur terre sera lié dans le Ciel, tout ce que tu délieras sur terre sera délié dans le Ciel, ce qui signifie en des termes particulièrement solennels l’imposition d’une autorité suprême : comme si le Ciel lui-même obéirait aux commandements de Pierre, tant l’autorité que le Christ lui promet est grande. Le Christ n’a pas dit à tous les apôtres ensemble : paissez mes agneaux, paissez mes brebis ; mais à Pierre seul : pais mes agneaux, pais mes brebis.

Il se trouve des protestants assez obtus pour reconnaître que Pierre a reçu l’autorité suprême du Christ, mais que cela devait servir uniquement à l’établissement de l’Église, et qu’à la mort de Pierre il n’y avait plus besoin d’un tel pouvoir et qu’il s’est éteint. Les “orthodoxes” contrairement aux protestants sont censés reconnaître le principe de la succession apostolique : le Christ donne aux apôtres certains pouvoirs qu’ils transmettent à leurs successeurs, dont la légitimité est attestée par l’unanimité des premiers chrétiens qui parlent des évêques comme les successeurs des apôtres. Ils devraient donc logiquement reconnaître le principe de la transmission du pouvoir de Pierre à ses successeurs ; et nous verrons plus tard que cette transmission a été effectivement reconnue par plusieurs Pères de l’Eglise.


2- La papauté est visible dans les Actes des apôtres

On trouve également dans les actes des apôtres certains signes des pouvoirs spéciaux de Saint Pierre par rapport aux autres Apôtres.

  1. Lors du premier concile de l’histoire de l’Église, qui se tient à Jérusalem pour trancher la question du maintien des pratiques judaïques dans les communautés chrétiennes (Actes XV), on constate que 1) Pierre est le premier à s’exprimer entre tous les apôtres, 2) Il s’exprime pour mettre fin à une dispute, 3) Tous les assistants se taisent suite à l’intervention de Pierre, 4) Jacques intervient dans un second temps pour soutenir le propos de Pierre. L’intervention de Jacques est souvent interprétée par les modernistes ou autres négateurs de la primauté pontificale comme une “preuve de la collégialité” et de l’égalité entre les apôtres : ce n’est pourtant pas ce que l’on voit dans le texte des Actes, puisque c’est bien Pierre qui condamne les judaïsants d’abord, et Jacques intervient pour confirmer le propos de Pierre, ce qui ressemble au déroulement des autres conciles œcuméniques dans lesquels le pape donne la direction avec la participation des différents évêques. 
  1. Saint Paul, après sa conversion et son séjour en Arabie, s’est rendu auprès de Saint Pierre spécifiquement avant de commencer son apostolat : Ensuite, trois ans plus tard, je vins à Jérusalem pour voir Pierre, et je demeurai auprès de lui quinze jours ; mais je ne vis aucun autre des Apôtres, sinon Jacques, le frère du Seigneur. (Gal I, 18-19). Notons bien le “pour voir Pierre”, qui n’est pas “pour voir les apôtres” ou “un apôtre”, il y a donc une raison qui l’a poussé à se recommander à Pierre spécifiquement. C’est seulement à partir de ce séjour à Jérusalem auprès de Pierre que Paul commence sa mission auprès des Gentils. 
  1. Dans la même Épître, Saint Paul évoque deux choses qui sont souvent interprétées à tort comme des arguments pour diminuer l’autorité pontificale : 1) le fait que sa mission a été confirmée par les “colonnes de l’Église”, Pierre, Jacques et Jean (Gal II, 9) ; 2) le fait qu’il s’est opposé de front à Pierre en critiquant vivement sa conduite à l’égard des judaïsants (Gal II, 11-14). Quant au premier point, il n’y a rien qui soit contradictoire avec la primauté pontificale d’appeler certains évêques et apôtres des “colonnes de l’Eglise”, ce genre d’expression a pu être employé à d’autres époques pour désigner des théologiens et des saints éminents. On voit par ailleurs dans les Actes et dans l’histoire de l’Église primitive qu’il y a bien une hiérarchie entre ces “colonnes”, et que Pierre est le premier et le seul qui a manifestement une primauté sur les autres. Quant au second point, saint Paul n’a pas critiqué un enseignement de Pierre, mais une action pratique et un problème disciplinaire : Il serait donc ridicule de fonder un prétendu “droit de s’opposer au pape” (sous-entendu, de s’opposer à ses enseignements et de refuser ses ordres) sur le fait que Paul a critiqué la politique de Pierre à l’égard des judaïsants. On peut être en désaccord avec les actes prudentiels du pape, sa manière de gérer tel ou tel problème ; cela n’a rien à voir avec le fait de corriger ses enseignements ou de refuser les lois qu’il a promulguées.

Jean-Tristan B.

Suivre la Semaine Sainte de Saint Pie X : est-ce désobéir à Pie XII ?

L’un des sujets les plus débattus entre les catholiques « non una cum » est celui du rite de la Semaine Sainte. Il existe deux positions qui comptent chacune un nombre de partisans importants, qui divisent  entre eux prêtres et groupes cléricaux, et qui suscitent parfois des échanges d’une grande violence. 

La première position consiste à suivre le rite réformé sous Pie XII, d’après le principe suivant lequel il  faut suivre toutes les lois en vigueur dans l’Église au moment de la mort du dernier pape. La seconde  position consiste à utiliser le rite de la Semaine Sainte en vigueur immédiatement avant cette réforme, celui qui a été codifié par Saint Pie X, étant donnés certains problèmes posés par le rite réformé (sans dire, pour autant, que ce rite est intrinsèquement mauvais, puisqu’il a été promulgué par l’Église – aucun partisan de la seconde position n’objecte à cela).

Les tenants de la première position ont souvent, vis-à-vis de ceux de la seconde, des propos très durs et parfois extrêmes : esprit d’orgueil et de caprice, péché grave de désobéissance, schisme. Refusant  habituellement d’entendre le moindre argument sur la nature problématique des réformes, les  partisans de la première position disent souvent qu’il ne faut « pas discuter » les lois et les ordres qui  viennent de l’Église. 

Nous espérons ici défendre la validité de la deuxième position. La nature des réformes a déjà été  suffisamment discutée, nous n’entrerons pas beaucoup dans le détail à ce sujet [1]. Nous souhaitons plutôt répondre au cœur du débat qui est de savoir si ce choix est, oui ou non, une désobéissance à Pie XII et à la Sainte Église, en discutant un certain nombre de points qui sont trop souvent négligés ou hâtivement contredits par les adversaires de cette position.


Sommaire

  1. L’absence du législateur
  2. Le recul historique sur les intentions de la réforme
  3. Le contexte actuel
  4. La lettre de la loi et l’intention du législateur
  5. Une conception excessive de l’obéissance

Premier problème : l’absence du législateur

Pour désobéir à Pie XII, il faudrait encore que Pie XII … soit vivant. Il n’est pas honnête de présenter le problème comme s’il était exactement identique à une situation dans laquelle un pape régnant impose un rite, et certains prêtres prennent l’initiative de refuser ce rite en arguant qu’il contient tel ou tel problème. Ceci serait, effectivement, une désobéissance inacceptable. 

L’absence de pape régnant change fondamentalement la nature du problème. La présence du législateur rend possible des discussions et des aménagements par rapport à la loi : et quiconque a la moindre connaissance du droit canon, ou des autres types de droit humain, sait que tout ce qui ne dépend pas directement de la loi naturelle ou de la loi divine est dispensable, réformable, diversement appliqué suivant les circonstances. Il existe trop d’ignorance sur ce sujet, trop de catholiques qui croient encore que le droit canon est une sorte de loi divine absolue qui excommunie automatiquement toute personne qui s’en écarte un tant soit peu. 

Les discussions et les aménagements avaient commencé dès l’époque de la promulgation de la réforme, nous en avons plusieurs témoignages historiques. Certains liturgistes éminents ont publiquement critiqué la réforme. Jean XXIII lui-même utilisait le rite de la semaine sainte selon Saint Pie X. Il apparaît donc que dès avant la promulgation du Novus Ordo par Paul VI, certains se rendaient compte des imperfections du rite réformé et auraient sans doute souhaité négocier avec le pape un aménagement de cette nouvelle loi.

À la question de savoir s’il est prudent de se dispenser d’une loi en l’absence d’un législateur qui est  en mesure d’accorder légalement la dispense, il peut y avoir différentes appréciations, différentes  réponses selon le contexte. Mais il est certain qu’en principe, cette initiative de ne plus suivre une loi en l’absence du législateur n’est pas systématiquement une désobéissance et une fantaisie arbitraire.  Tout dépend du contexte et de la gravité des raisons qui pousseraient, en temps normal, à demander une dispense, ou qui rendraient la lettre de la loi dangereuse. 


Deuxième problème : le recul historique sur les intentions de la réforme

Il ne fait aucun doute aujourd’hui que l’intention des réformateurs (par là nous voulons dire ceux qui ont élaboré la réforme, pas Pie XII en lui-même qui n’a fait que ratifier les travaux de ces réformateurs, qui ne lui ont pas touché mot de leurs véritables intentions) était de préparer la révolution liturgique qui a suivi sous Paul VI. Ceci a été dit et redit par les personnes même qui ont élaboré le nouveau rite de la semaine sainte [2]. La chose n’était pas apparente à l’époque, car très peu sont ceux qui connaissaient suffisamment la pensée des réformateurs pour établir les connexions avec les erreurs du « mouvement liturgique » [3]. Mais ces réformateurs, fiers de leurs accomplissements, se sont chargés de l’expliquer à la postérité, après le triomphe absolu de leurs idées perverses après Vatican II.

Ceci change également de manière radicale la nature du problème. A l’époque Pie XII ne savait pas, et la quasi-unanimité des catholiques ne savait pas, à quel point les intentions des réformateurs étaient viciées, et quels étaient les « sens cachés » de certains ajouts, de certaines omissions, de certaines modifications par rapport au rite de Saint Pie X. Le fait de le savoir actuellement nous fait porter un regard nouveau sur ces rites réformés ; la connexion avec la « nouvelle messe » est évidente.

Si l’on considère que ce rite de la nouvelle messe pose gravement problème, il est logique de se poser la question de l’opportunité de suivre le rite réformé de Pie XII ou non, maintenant que l’on connaît sa proche association avec la nouvelle messe. Ceux qui veulent nier cette association font preuve de mauvaise foi : il faudrait au moins reconnaître la réalité de cette association, et ensuite expliquer pourquoi malgré cette association, il est plus juste et plus prudent de continuer de suivre cette loi entrée en vigueur avant l’existence du nouveau rite (et il y a potentiellement des arguments valables en ce sens). Mais on ne peut plus raisonnablement prétendre que l’intention de cette réforme était sans rapport avec le modernisme.

Constater cela n’est pas nier l’infaillible protection des lois de l’Eglise. La semaine sainte réformée n’est pas un rite mauvais en soi. Cependant :

  • Les lois et les rites de l’Eglise ne sont pas tous également parfaits, il y a du plus ou moins bon, et rien ne garantit que les papes effectuent toujours les meilleurs choix en cette matière.
  • Toutes les lois, même celles de l’Eglise, considérées dans leur lettre, peuvent se révéler problématiques par accident dans certaines circonstances : dans ces circonstances doit s’exercer l’épikie, dont nous parlerons plus tard. 

Troisième problème : le contexte actuel

Les lois humaines sont dépendantes, pour leur application, d’un certain contexte. Souvent, des lois sont émises pour répondre à un problème donné, et deviennent plus ou moins inadéquates suite à un changement du contexte. Concernant le rite réformé de Pie XII, l’argument de ceux qui suivent le rite de Saint Pie X consiste notamment à dire que le contexte a changé de manière suffisamment grave pour rendre la loi inopportune actuellement. Voici en quoi consiste ce changement de contexte :

  • Nous connaissons les intentions cachées des réformateurs, le sens « intime » de la réforme.
  • Nous avons continuellement sous les yeux les scandales de la nouvelle liturgie (dont la semaine sainte réformée était pensée comme une préparation, bien plus subtile et moins dangereuse que le nouveau rite en lui-même, néanmoins une véritable préparation).
  • Les prêtres restés entièrement catholiques ont un devoir spécial, pour la gloire de Dieu et pour le salut des âmes, de lutter contre le modernisme et le libéralisme sous toutes ses formes, c’est une des choses les plus importantes qu’ils ont à faire pour prémunir leurs fidèles contre les dangers du monde et in fine contre la damnation. 

Nous savons aussi, ce qui sera peut-être considéré comme moins important, que Pie XII était gravement malade à l’époque où la réforme a été promulguée, et que les modernistes qui l’entouraient abusaient de sa faiblesse pour obtenir des approbations dans leurs entreprises, comme en témoigne Bunigni dans ses mémoires. Il est difficile, vu ces témoignages, de penser que Pie XII ait inspecté de manière très détaillée le contenu des réformes ; c’est notamment le cardinal Bea, confesseur de Pie XII et pourtant moderniste en secret, qui a abusé de la confiance que lui accordait le vénérable Pape.

Le point 1 (absence du législateur) combiné au point 3 (contexte actuel) aboutit à la décision prudentielle de s’en tenir au rite précédent la réforme, pour ne pas contracter la moindre association avec le modernisme destructeur, association qui n’était pas manifeste à l’époque où la loi a été promulguée, mais qui l’est clairement dans le contexte actuel.

Il faudrait, idéalement, n’avoir pas à se reposer sur ce type de jugement particulier pour suivre ou non une loi donnée : ce n’est pas ainsi que la loi est censée fonctionner, on ne doit pas voir les sujets continuellement discuter de l’opportunité de la loi, et se réserver la possibilité de l’appliquer ou non.  Mais nous ne sommes pas dans une « situation idéale », nous sommes plutôt dans une situation de crise catastrophique : il y a des choix de ce type qui s’imposent quotidiennement à ceux qui veulent continuer du mieux qu’ils peuvent à poursuivre la mission de l’Église, en l’absence d’une autorité juridictionnelle dans l’Église. 


Quatrième problème : la lettre de la loi et l’intention du législateur

Il existe de nombreuses circonstances dans lesquelles il est bon de ne pas appliquer la lettre de la loi, pour respecter son esprit. Cet exercice, potentiellement délicat, n’a rien à voir avec un choix arbitraire de ne plus appliquer la loi dans les cas où celle-ci nous incommode légèrement, pour faire valoir une préférence personnelle. Il s’agit de faire passer avant la lettre de la loi des impératifs supérieurs (justice, bien commun), quand dans certains cas précis que le législateur n’avait pas prévu la lettre va à l’encontre de ces impératifs. La vertu qui régule cette activité se nomme épikie. 

Certains catholiques ont une fausse conception de l’épikie, en la limitant seulement à des cas « d’urgence » ou de « nécessité absolue ». Ils prétendent donc que l’exercice de l’épikie se limite à quelques situations rares, et que le choix du rite de la semaine sainte ne rentre pas dans ce champ (étant donné que la semaine sainte réformée vient de l’Église, il ne s’agit pas d’un rite mauvais, et si l’on est simplement en train de discuter sur des « degrés de perfection », l’épikie ne peut pas  s’appliquer parce qu’il n’y a pas de nécessité). La véritable définition de l’épikie est beaucoup plus large : aussi appelée « équité », il s’agit d’une vertu qui annule l’observance littérale de la loi quand son application dans un cas particulier serait nuisible ou trop coûteuse, dans le respect de l’intention du législateur. L’exercice de cette vertu n’est pas spécialement lié à des circonstances dramatiques ou extraordinaires : il s’agit plutôt d’une vertu d’usage habituel, car la loi ne prévoit jamais tous les cas particuliers et tous les contextes. 

Saint Thomas explique :

…  les actes humains que les lois règlent consistant dans des choses contingentes qui peuvent varier d’une infinité de manières, il n’a pas été possible d’établir une règle légale qui ne fût défectueuse dans aucun cas. Les législateurs considèrent ce qui arrive le plus souvent, et d’après cela ils portent leur loi. Cependant l’observation de la loi peut être, dans certains cas, contraire à l’égalité de la justice et au bien commun que le législateur se propose. (…) Dans ces circonstances et dans d’autres semblables, c’est un mal de suivre la loi établie. Par conséquent, en mettant de côté les paroles de la loi, c’est un bien de suivre ce que demande la raison de la justice et l’utilité commune ; et c’est là le but de l’épikie, à laquelle nous donnons le nom d’équité.

Somme Théologique, IIa IIae, q. 120

Saint Alphonse de Liguori dit aussi :

L’Epikie est une exception dans un cas ou des circonstances dans lesquelles nous jugeons avec certitude ou avec une très grande probabilité que le législateur ignorait ce cas tombant sous la loi.

Theologia moralis, Lib. I Tract. II, III de Epikeia Legis

Si l’on suit la doctrine de Saint Alphonse, on agit vertueusement en n’appliquant pas une loi, si l’on  juge « avec certitude ou avec une très grande probabilité que le législateur ignorait ce cas tombant  sous la loi » : autrement dit, et appliqué à notre contexte actuel, il est un raisonnement valide de ne  plus appliquer la loi (réforme de la semaine sainte) considérant l’ignorance du législateur (Pie XII) sur  le cas actuel (nous vivons dans une époque postérieure à la révolution liturgique et doctrinale de  Vatican II, et nous avons aussi une information historique fiable et complète sur la véritable nature de  la réforme). L’intention du législateur n’est pas que nous suivions coûte que coûte un rite qui s’avère, dans le contexte actuel, évocateur de choses mauvaises. 

Il est déplorable de voir de nombreux catholiques considérer l’exercice de l’épikie comme le signe d’une « insubordination satanique ». Un catholique sérieux devrait être capable de faire la différence entre un éloignement prudent de la lettre de la loi, et un caprice de l’orgueil. L’exemple des Pharisiens nous apprend d’ailleurs qu’il y a souvent plus d’orgueil chez ceux qui en appellent en toutes  circonstances au respect littéral de la loi, que chez ceux qui savent discerner, par le bon sens, les cas où cette loi ne doit plus être respectée. « Qui de vous, si son âne ou son bœuf tombe dans un puits, ne l’en retirera pas aussitôt, le jour du sabbat ? » (Luc 14, 5).

Et Jésus, prenant la parole, dit aux docteurs de la loi et aux pharisiens: Est-il permis de guérir le jour du sabbat?
Mais ils gardèrent le silence. Alors Lui, prenant cet homme par la main, le guérit et le renvoya. (Luc 14, 3-4)

Cinquième problème : une conception excessive de l’obéissance

N’est-ce pas là le cœur du problème ? De nombreux catholiques, souvent bien intentionnés, ont de l’obéissance une conception simpliste et excessive : il faudrait accepter aveuglément, sans la moindre réserve, tout ordre émanant de l’autorité, et chercher à discuter ou adapter cet ordre serait la marque d’un esprit orgueilleux, sur la voie de la perdition. Ces catholiques « ultra-obéissants » ont tendance à voir dans les lois humaines, qui émanent de l’autorité, quelque chose qui exige un respect absolu et scrupuleux, avec laquelle on ne peut jamais transiger sous peine de péché. 

Cet état d’esprit n’est pas l’esprit catholique de l’obéissance. L’obéissance, en effet, porte sur l’adhésion à la finalité de la loi avant de porter sur sa lettre : sinon l’épikie ne serait pas une vertu, car elle consiste à chercher l’esprit de la loi dans les circonstances où sa lettre est inopportune ou  nuisible. Il est légitime, en toutes circonstances, de se demander si les lois et les ordres des supérieurs humains sont conformes au bien, et si elles doivent s’appliquer littéralement dans tel ou tel contexte. 

La perfection catholique ne consiste pas à se plier aveuglément à tous les ordres et à toutes les lois, sans la moindre réflexion : même dans la vie religieuse, qui est spécifiquement basée sur l’obéissance, le religieux peut être amené à demander respectueusement à ses supérieurs des aménagements ou des modifications par rapport aux ordres qui lui ont été donnés, si pour une raison ou une autre l’ordre donné lui semble inopportun ou impraticable.

Si le supérieur ne rétracte pas son ordre, alors le religieux fera acte de vertu en continuant de se soumettre à cet ordre. Mais il ne commet aucune faute en soumettant à son supérieur des  observations et des demandes relatives à cet ordre : car le supérieur ne voit pas tout, ne comprend pas tout, et son inférieur peut, moyennant les formes appropriées, le lui signifier dans l’intérêt de tous. Il n’est pas demandé au religieux de se priver définitivement, en prononçant ses vœux, de tout raisonnement ou de toute réflexion. 

Imaginons le cas dans lequel le religieux a reçu un ordre, et pour une raison ou une autre son supérieur n’est plus présent (il est mort, exilé, emprisonné, etc.). De nouvelles circonstances ont rendu cet ordre inopportun, impraticable, dangereux : est-ce que le religieux commet un péché en ne suivant plus cet ordre ? Non évidemment, étant entendu que si le supérieur était présent, il lui demanderait l’autorisation requise, et qu’il n’agit pas par pure préférence arbitraire et orgueilleuse, mais pour des raisons graves et circonstanciées.

On a déjà employé, à propos d’un ordre rendu inopportun par les circonstances, l’exemple d’un enfant qui reçoit de sa mère l’ordre de ne pas quitter la maison en son absence. Si la maison prend feu, est-ce que l’enfant commet un péché de désobéissance en sortant de la maison ? Évidemment non, car l’intention de la mère n’est pas d’obliger l’enfant à rester à la maison à tout prix même si cela le met en grave danger. Ce n’est pas l’esprit de la loi. La mère n’est pas là pour que l’enfant puisse lui demander s’il peut sortir de la maison : qu’importe, la nécessité lui impose de sortir, et si sa mère apprend ensuite que l’enfant est sorti de la maison pour échapper à l’incendie, elle comprendra évidemment que son enfant n’a pas agi en esprit de désobéissance et a bien fait. 

Voici à peu près la situation dans laquelle se trouvent les prêtres qui choisissent la semaine sainte de Saint Pie X. L’ordre reçu il y a longtemps par le pape n’est plus opportun, pour plusieurs raisons. Le pape n’est plus là pour que l’on lui demande une autorisation, en expliquant les problèmes posés par cet ordre ; il est prudent de prendre la décision de ne plus suivre cet ordre, à tout le moins cette décision ne peut pas être qualifiée de péché de désobéissance, étant entendu qu’il y a des raisons graves de ne plus suivre la règle autrefois prescrite. L’intention du législateur (celui qui donne l’ordre) n’est pas de mettre en danger le sujet de la loi : quand la lettre de la loi contredit cette intention dans une circonstance particulière, c’est agir vertueusement que de se détourner de la lettre de la loi pour agir dans l’esprit de la loi.

Vouloir abandonner absolument toute réflexion sur les ordres ou sur les lois, c’est s’exposer, malgré des intentions pures (il est louable de vouloir renoncer à soi-même), à des dangers plus ou moins graves. Que l’on songe à tous ces catholiques qui, par « esprit d’obéissance » et par une sorte d’ignorance volontaire, ont accepté Vatican II et toutes les réformes consécutives : leur intention était droite, on peut le supposer, et pourtant leur action a été extrêmement mauvaise, pour eux-mêmes et pour tous les chrétiens qui subissent encore aujourd’hui les conséquences de leurs mauvais choix. Les scandales de cette fausse obéissance sont peut-être plus graves que les scandales du modernisme débridé : car le modernisme outrancier rebute les âmes pieuses, tandis que cette fausse obéissance attire les âmes pieuses vers les pièges du modernisme de manière plus insidieuse.

Le raisonnement de certains sédévacantistes sur « l’obéissance à Pie XII », poussé jusque dans ses dernières conclusions logiques, pourrait aboutir tout simplement à faire accepter Vatican II : car si l’on ne « doit pas discuter », si l’on ne « doit pas réfléchir » sur ce qui provient de l’autorité, pourquoi discuter et réfléchir sur ce que dit Paul VI, qui a été élu au souverain pontificat et reconnu pape par l’écrasante majorité des catholiques ? N’est-ce pas une manifestation d’un « esprit orgueilleux et indépendant », qui cherche à contrôler et à faire le tri vis-à-vis de ce qui émane de l’autorité ? Si le  sédévacantisme existe, c’est-à-dire s’il y a des catholiques qui réalisent que ce qu’a dit et fait Paul VI est incompatible avec l’autorité pontificale, c’est bien parce qu’il est resté présent à l’esprit de  certains catholiques que l’obéissance ne doit pas être aveugle, et qu’il est légitime de réfléchir et d’étudier ce qui émane ou semble émaner de l’autorité (quitte à conclure, dans certains cas, que ce qui semble être une loi n’en est pas une, ou que ce qui ce qui semble être une autorité n’en est pas  une).

Il faut renoncer à soi-même, mais pas renoncer à ce que l’on sait être vrai, juste et bon. On a entendu, dans le contexte de la crise de l’Église, certains catholiques défendre une conception délirante de l’obéissance, allant jusqu’à dire que « même si le pape disait que Dieu n’existait pas, il faudrait le suivre ». Ceci a toutes les caractéristiques du fidéisme : comme si la raison ne pouvait rien nous apprendre de vrai, et que seule la soumission à une autorité pouvait éclairer notre intelligence et nous rendre vertueux. L’abbé Cekada a entendu son supérieur religieux dire les paroles que nous venons de citer : il comprit alors qu’il y avait, chez ces « conciliaires conservateurs », un grave problème de principes. Ce genre d’obéissance aveugle n’a rien à voir avec la perfection chrétienne.


Conclusion

Ceux qui suivent la semaine sainte de Saint Pie X, de préférence à la semaine sainte réformée sous Pie XII, n’ont aucune volonté de désobéir à l’Église ou d’innover en matière de liturgie.

Les ennemis de cette position ont trop souvent tendance à la comparer à des choix liturgiques personnels et arbitraires, à de l’innovation, à de l’esprit d’indépendance, voir à une volonté de « légiférer sur les rites » à la place du pape : or cette position consiste simplement à s’en tenir au rite en vigueur dans l’Église immédiatement avant la réforme, non pas à une quelconque invention ou fantaisie arbitraire.

Ce choix n’a pas de prétention d’être une « nouvelle loi », de s’imposer à qui que ce soit : c’est une ferme préférence, basée sur des principes bien clairs, cependant il n’a jamais été question de dire que ceux qui suivent la semaine sainte réformée sont dans l’erreur ou dans le péché : seuls les tenants de l’autre opinion (suivre la Semaine Sainte réformée) accusent les autres d’être dans le péché et la désobéissance.

Ce choix est réalisé en l’absence du législateur, en l’absence du pape, ce qui enlève à cette décision le caractère spécifique de la désobéissance : il y aurait désobéissance si, face à un ordre du pape régnant, ces prêtres continueraient de préférer un autre rite à celui qui leur est commandé. Ce n’est pas ce qui se passe actuellement.

L’absence d’autorité dans l’Église pousse les prêtres restés fidèles à effectuer quotidiennement des  actions qui sont contre la lettre du droit canon, mais qui sont dans l’esprit du législateur : n’ayant pas  reçu d’autorisation canonique à leur ministère, ils ont néanmoins reçu, de droit divin, la mission de  donner les sacrements et de sanctifier les âmes, et doivent agir en conséquence, dans un contexte où  la lettre de la loi ne peut pas être respectée.

Il y a des raisons graves, objectives, qui poussent à considérer que la semaine sainte réformée 1) sans être mauvaise, est cependant moins parfaite que le rite auparavant en vigueur, 2) est inopportune dans le contexte actuel (qui n’est pas celui de l’époque de Pie XII). S’en suit un choix prudentiel de préférer le rite auparavant en vigueur, en l’absence d’un pape auprès duquel l’on pourrait faire une respectueuse pétition pour modifier la loi, en présence d’une connaissance plus précise des intentions des réformateurs (inconnues de Pie XII), et en présence des scandales de la nouvelle liturgie qui provient des mêmes réformateurs.

C’est avec une intention droite que ces prêtres choisissent de s’en tenir au rite de Saint Pie X, et que leurs fidèles assistent à ces offices. Nous souhaitons de tout cœur qu’un pape règne de nouveau, et  légifère sur cette question du rite de la semaine sainte : en attendant, nous nous efforçons de faire ce  qui nous apparaît être le plus opportun et le meilleur pour la défense de la foi, la gloire de Dieu et le  salut des âmes, dans la situation bien particulière qui est celle de l’Église actuellement, en  soumettant par avance cette décision au jugement souverain de l’Église, si Dieu nous donnait la grâce d’avoir de nouveau un pape et une hiérarchie catholique.

Jean-Tristan B.


[1] Ceux qui voudraient approfondir peuvent lire avec profit le livre de l’abbé Rioult, La semaine sainte réformée sous Pie XII.

[2] Voir notamment les mémoires d’Annibale Bunigni, La réforme de la liturgie (1948-1975).

[3] Sur les erreurs du mouvement liturgique, voir l’article de l’abbé Ricossa sur L’hérésie antiliturgique : https://www.sodalitium.eu/lheresie-antiliturgique/

10. Rosaire et sainteté parfaite

Extrait du livre « Rosaire et Sainteté » du R.P. Hugon

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Le Père Hugon s’adresse ici tout spécialement aux religieux. Cependant, Dieu nous appelle tous à la perfection et nous sommes tous tenus de pratiquer l’esprit des conseils évangéliques d’obéissance, de pauvreté et de chasteté selon notre état. Les quatrième (obéissance), sixième et neuvième (chasteté), septième et dixième commandements (pauvreté d’esprit contre l’avarice) ne prescrivent pas autre chose. La pratique de ces vertus et l’observation de ces commandements nous détournent et nous préservent de l’orgueil, des concupiscences de la chair (luxure) et des yeux (avarice) pour nous pousser à réaliser toujours plus parfaitement et dans tous les champs de notre vie le premier de tous les commandements qui résume tous les autres et définit la perfection chrétienne ici-bas :

« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, et de tout ton esprit. C’est là le plus grand et le premier et le premier commandement. Mais le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Dans ces deux commandements sont renfermés la loi et les prophètes »

Matthieu: 22, 35-40

Nous devons tous désirer tendre sans cesse à la perfection de l’amour dans la perfection du sacrifice. Notre-Seigneur nous a aimés par le sacrifice. Nous devons répondre par le sacrifice de notre volonté propre, de nos ambitions déréglées, de nos affections désordonnées qui entravent l’acte d’amour de Dieu que doit constituer chaque instant de notre vie. Cela implique de notre part une volonté ferme d’éviter tout péché véniel délibéré. Sans jamais nous décourager, nous devons nous relever en mettant notre confiance en Dieu qui nous a livré son Fils par amour pour nous. C’est dans notre vie quotidienne que doit se manifester cette sainteté et y fleurir.

C’est dans notre vie quotidienne que doit
se manifester cette sainteté et y fleurir.

Le Rosaire bien fait nous donne un moyen admirable d’atteindre cette perfection de l’amour dans la perfection du sacrifice. Nous y admirons Jésus comme le modèle parfait de la sainteté, de l’homme vraiment religieux qui a Dieu pour principe et pour fin et qui fait tout dans une dépendance absolue et toute amoureuse à l’égard de son Père, pour réparer la faute originelle et nos désordres qui proviennent au contraire d’un désir d’absolue indépendance, nous détournant du Dieu trois fois saint, de la Bonté Infinie, de notre Créateur et Seigneur.

Dès l’Incarnation, Jésus accepte de prendre la nature humaine limitée, fragile, souffrante, lui qui en tant que Dieu est infini et parfait, tout-puissant, bienheureux. Retrouvé au temple, il était tout entier aux affaires de son Père. En portant la Croix et en y étant attaché pour y expirer, Jésus s’offre pour rétablir le sacrifice d’adoration dû à Dieu, il pense à rétablir la justice entre les hommes et Dieu et à tous les biens extraordinaires qui découleront de ce sang : l’Église, les sacrements, les saints, la profusion de la grâce et la glorification de Dieu.

Dans tous les mystères on voit Jésus pauvre, Jésus obéissant, Jésus vierge, modèle parfait de l’accomplissement de la volonté de Dieu. Nous pourrions résumer sa vie ainsi : Mon Père, que votre volonté soit faite, non la mienne.
Marie l’a parfaitement accompagné : qu’il me soit fait selon votre parole. Ayons donc un vif désir de la perfection en vue du bonheur éternel. Demandons constamment dans nos prières la grâce de tendre vers cette perfection. Laissons-nous guider par les exemples du Rosaire en suivant Jésus qui est notre voie et notre vie.

Laissons Marie nous prendre par la main et nous conduire à son divin Fils, elle qui est vraiment tout à Dieu et n’a jamais commis le moindre péché véniel.


Fête de Marie-Reine · Encyclique Ad Cœli Reginam

Le 11 octobre 1954, cent ans après la proclamation de l’Immaculée Conception par Pie IX, Pie XII institue la fête de Marie-Reine au 31 mai. Le Pape nous rappelle les fondements de la royauté de Marie et nous exhorte à toujours plus aimer une si bonne mère. Voici un résumé de l’encyclique et un fichier pdf qui contient l’encyclique elle-même dans son intégralité.



L’espérance mise en la Mère de Jésus-Christ n’a jamais été déçue. La foi qui proclame que la Sainte Vierge Marie règne sur l’univers entier couronnée dans la gloire du ciel ne s’est jamais affaiblie. Il faut donc recourir à Marie notre Reine avec amour et confiance. L’encyclique ne propose pas une nouvelle vérité à croire puisque les arguments en faveur de la royauté de Marie sont abondamment formulés dans les documents anciens de l’Église et les livres liturgiques.

Royauté de Marie dans les documents anciens

Celle dont est né le Fils du Très-Haut, « Rois des rois et Seigneur des Seigneurs », par son union intime avec ce divin Roi, a reçu des privilèges uniques, dont la dignité royale.

Saint Ephrem (306-373) la prie ainsi : « … noble jeune fille et patronne, Reine, Maîtresse, garde-moi, protège-moi, de peur que Satan auteur de tout mal ne se réjouisse à mon sujet et que le criminel adversaire ne triomphe de moi »

Saint Jérôme (347-420) s’exprime ainsi : « Il faut savoir qu’en syriaque Marie signifie Souveraine »

Saint André de Crète (660-740) appelle Marie « Reine de tout le genre humain » et saint Jean Damascène (675-749) « Reine, Patronne, Souveraine [de toutes les créatures] »

Les témoignages sont innombrables, l’encyclique en énumère davantage sans les épuiser pour autant. Ainsi, les théologiens de l’Église et les Papes ont définir la doctrine de la Très Sainte Vierge Reine de toutes les créatures, Reine du monde, Souveraine de l’Univers.

Une lettre de Grégoire II (669-731) lue durant le septième Concile œcuménique convoqué à Nicée (787), donne à Marie le titre de « Souveraine universelle et vraie Mère de Dieu »; et Sixte IV (1414-1484) celui de « Reine du Ciel et de la terre » dans sa lettre Cum praeexcelsa (1476). Saint Alphonse de Liguori (1696-1787) résume ainsi que « puisque la Vierge Marie a été élevée à la dignité si haute de Mère de Dieu, c’est à bon droit que l’Eglise lui a décerné le titre de Reine ».

Royauté de Marie dans les livres liturgiques

La liturgie est le fidèle miroir de la foi transmise par les anciens et crue par le peuple chrétiens : lex orandi, lex credendi. Elle a toujours chanté les louanges de la Reine des cieux.

En Orient: « Je dirai un hymne à la Mère Reine, et je m’approcherai d’elle avec joie pour chanter dans l’allégresse ses merveilles… O Souveraine, notre langue ne peut te chanter dignement, parce que Tu es plus élevée que les Séraphins, Toi qui as engendré le Christ Roi… Salut, ô Reine du monde, salut ô Marie, Souveraine de nous tous »

L’Église latine chante le « Salve Regina » ou le « Regina coeli, laetare » et les antiennes chantées pour l’Assomption proclament « Aujourd’hui la Vierge Marie est montée aux cieux : réjouissez-vous, car elle règne avec le Christ à jamais ».

L’art chrétien également représente abondamment Marie en Reine et en Impératrice, et les souverains pontifes ont toujours loué et favoriser cette authentique piété populaire.

Raisons théologiques de la royauté de Marie

L’argument principal sur lequel se fonde la dignité royale de Marie est sa maternité divine. Ainsi, la « Mère du Seigneur » (Luc. 1, 43), Seigneur dont le « règne n’aura point de fin » (Luc. 1, 33) « est vraiment devenue la Souveraine de toute la création au moment où elle devint Mère du Créateur » (St. Jean Damascène).

La Bienheureuse Vierge Marie doit aussi être proclamée Reine parce que selon la volonté de Dieu, elle joua un rôle éminent dans l’œuvre de notre salut éternel. En effet, Jésus-Christ est Roi non seulement par nature, mais aussi par conquête, puisqu’il nous a rachetés au prix de son sang (Pie XI, Quas Primas, 1925). Ainsi:

« Comme le Christ pour nous avoir rachetés est notre Seigneur et notre Roi à un titre particulier, ainsi la Bienheureuse Vierge est aussi notre Reine et Souveraine à cause de la manière unique dont elle contribua à notre Rédemption, en donnant sa chair à son Fils et en l’offrant volontairement pour nous, désirant, demandant et procurant notre salut d’une manière toute spéciale » (Suarez (1548-1617))

On pourra donc légitimement en conclure que, comme le Christ, nouvel Adam, est notre Roi parce qu’il est non seulement Fils de Dieu, mais aussi notre Rédempteur, il est également permis d’affirmer, par une certaine analogie, que la Vierge est Reine, et parce qu’elle est Mère de Dieu et parce que comme une nouvelle Eve, elle fut associée au nouvel Adam

Pie XII, Coeli Reginam

L’excellence souveraine et la dignité royale de Marie se déduit de sa plénitude de grâce.  En effet: Dieu « a enrichi Marie avec munificence de tous les dons célestes, puisés au trésor de la divinité ; aussi, toujours préservée des moindres souillures du péché, toute belle et parfaite, elle a atteint une telle plénitude d’innocence et de sainteté qu’on ne peut en imaginer de plus grande en dessous de Dieu et que jamais personne, sauf Dieu lui-même, ne réussira à la comprendre » (Pie IX, Ineffabilis Deus, 1854)

La Sainte Vierge possède donc un pouvoir « presque sans limites » (Léon XIII, Adjutricem populii, 1895) pour concéder des grâce, office qu’elle remplit « pour ainsi dire de droit maternel » (Saint Pie X, Ad diem illum, 1903)

Nous, chrétiens, devrions nous glorifier à chaque instant d’être soumis à l’empire de la Vierge Marie dont le cœur brûle d’amour maternel.

Institution de la fête de Marie Reine

Pie XII finit par décréter l’institution de la fête de Marie Reine, qui se célébrera chaque année dans le monde entier le 31 mai, pour que cette vérité si solidement établie et si nécessaire au salut des hommes soit mieux connue et rendue plus resplendissante aux yeux de tous.

Il nous exhorte ensuite :

« Que le nom de Marie, plus doux que le nectar, plus précieux que n’importe quelle gemme soit l’objet des plus grands honneurs ; que personne ne prononce des blasphèmes impies, signe d’une âme corrompue, contre un nom qui brille d’une telle majesté ; qu’on n’ose même rien dire qui trahisse un manque de respect à son égard. »

« Que tous s’efforcent selon leur condition de reproduire dans leur cœur et dans leur vie, avec un zèle vigilant et attentif, les grandes vertus de la Reine du Ciel, Notre Mère très aimante. »

« Que personne, donc, ne se croie fils de Marie, digne d’être accueilli sous sa puissante protection, si, à son exemple, il ne se montre doux, juste et chaste, et ne contribue avec amour à la vraie fraternité, soucieuse non de blesser et de nuire, mais d’aider et de consoler. »

Pour enfin souhaiter l’établissement d’une véritable paix chrétienne, en ces temps troubler par les ravages du communisme athée et l’impiété du laïcisme libéral :

« Quiconque donc honore la Souveraine des Anges et des hommes l’invoque aussi comme la Reine très puissante, médiatrice de paix […] qui n’est ni injustice impunie ni licence effrénée mais concorde bien ordonnée dans l’obéissance à la volonté de Dieu« 

9. Rosaire, source de la sainteté

Extrait du livre « Rosaire et Sainteté » du R.P. Hugon

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Le Rosaire n’est qu’une suave union à Jésus et à l’Esprit-Saint, à la tête et au cœur de l’Église, un accès à la source de la grâce et une voie vers la sainteté.


Dieu veut que nous soyons saints comme lui. Il nous consacre et nous sanctifie à tous les moments de notre vie par le baptême, la confirmation, l’extrême-onction, et dans tous nos états de vie avec le mariage, l’ordre, les vœux. Le chrétien est un consacré à Dieu. Il est marqué du sceau de Jésus-Christ. Cette sainteté est cependant ordonnée à La Sainteté : la vie de la grâce, l’union à Dieu par la grâce en attente de la vision béatifique qui n’est que l’épanouissement et la fleur de ce germe d’éternité. La vie de la grâce, c’est-à-dire la vie chrétienne, est un commencement du paradis, un germe de la Gloire du ciel, semen gloriae.

La sainteté est une participation à l’être même de Dieu. Par la grâce qu’il infuse dans notre âme, nous le connaissons comme il se connaît, nous vivons de sa vie, nous aimons de son amour. Nous devrions pouvoir et surtout vouloir dire à chaque instant : Ce n’est plus moi qui vis, c’est Jésus qui vit en moi.

Or le rosaire nous communique cette sainteté qui est la vie même de Dieu. Les organes de la vie sont la tête et le Cœur. La tête, c’est Jésus-Christ car il est au premier rang et que toutes les grâces qui alimentent les membres passent par Lui (Nous l’avons vu plein de grâce et de vérité et nous avons été enrichis de sa plénitude); le cœur c’est l’Esprit-saint qui opère de façon invisible mais irrésistible pour lancer la vie et la grâce dans toute l’Église.

Pour avancer en perfection et avoir le salut, il faut être uni à la tête et au cœur. Dans chaque mystère nous touchons Jésus dans ses intentions, ses pensées, ses actions, sa vertu, son amour, qui impriment en nous un mouvement toujours plus irrésistible d’union totale à Dieu. Dans chaque mystère, nous voyons l’Esprit-Saint agir en faisant concevoir la Vierge Immaculée, tressaillir Jean-Baptiste ou enflammer les Apôtres.

Aimons méditer avec intelligence et piété ces mystères qui nous font vivre avec Jésus et aimer avec l’Esprit-Saint, et donc nous met en présence du Père et nous repose sur le sein de la Trinité.

Ô Marie, intercédez pour moi, misérable pécheur, et obtenez-moi la grâce de la sainteté !


8. Rosaire et saint Joseph

Extrait du livre « Rosaire et Sainteté » du R.P. Hugon

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Jésus, Marie, Joseph, trois noms indissociables que nous devons inscrire dans nos cœurs.

Saint Joseph est le patron de tous les chrétiens parce qu’il est le patron universel de l’Église. Nous trouvons tous en lui un modèle, un père, un protecteur, un ami. Ne séparons pas ce que Dieu a uni : quand nous méditons sur Jésus et Marie, pensons à Joseph !


La méditation du rosaire nous fait connaître le rôle glorieux de saint Joseph par rapport à l’Incarnation et à la Rédemption.

Jésus, Marie, Joseph sont tous les trois vierges, tous les trois associés dans une vie commune, tous les trois associés dans des souffrances communes.

Saint Joseph a de véritable droits sur Jésus et Marie. Sur Marie qui lui appartient comme son épouse. Sur Jésus qui appartient à saint Joseph comme fils de son épouse. Jésus et Marie ont été confiés à saint Joseph pour qu’il veille sur eux et participe ainsi à l’œuvre de l’Incarnation rédemptrice.

Saint Joseph a répondu de la plus sainte des manières à ce dessein de la Providence. Inspirons nous de sa sainteté, de son attention et de sa soumission à la volonté de Dieu, de sa force et de son humilité.

Joseph était un homme juste (Mt, 1, 19) nous dit la sainte Écriture, ni plus, ni moins: Juste. Ce seul mot indique la pureté et la simplicité extraordinaires de saint Joseph: il était tout entier dévoué à accomplir la volonté de Dieu, tout entier ordonné à Dieu. Des mots supplémentaires dilueraient l’unité surnaturelle qui caractérisait son action. Il était juste, point. Travaillons-nous être juste, à commencer par la fidélité dans les plus petites choses : accepter tranquillement même les plus petites contradictions qui peuvent se rencontrer dans une journée, faire toutes les actions indispensables de nos vies (lever, coucher, manger, conversation, déplacement, travail domestique) paisiblement, sans empressement et le plus parfaitement possible sous le regard de Dieu.

Avec une mission si élevée et des droits si grands sur Jésus et Marie, saint Joseph devait être d’une sainteté suréminente. Dans l’intimité de la sainte famille, la grâce de Jésus et Marie rejaillissait sur son âme.

Le rosaire fait rayonner l’histoire et le rôle de ce très chaste époux. Dans les mystères joyeux, il apparaît tout d’abord lors de l’Annonciation comme l’humble et obéissant époux qui se soumet aux décrets de Dieu malgré ses angoisses; lors de la Nativité, de la Purification, du Recouvrement au Temple, comme le père nourricier de Jésus. Dans les mystères douloureux, après la crucifixion, Jésus descend dans les limbes et nous imaginons la béatitude de saint Joseph retrouvant Jésus. Dans les mystères glorieux, saint Joseph triomphe toujours aux côtés de Jésus, qu’il a élevé et fait grandir.

L’Église est la continuation de l’Incarnation à travers les siècle. Dès lors saint Joseph doit avoir dans l’Église un rôle analogue à celui qui fut le sien dans l’Incarnation : le patron, la figure tutélaire et protectrice. Raison pour laquelle Pie IX le déclare officiellement Patron de l’Église universelle en 1870.

Saint Joseph est véritablement intercesseur pour toutes les grâces, ministre des trésors spirituels, patron de toutes les conditions : enfants car il a protégé le plus parfait et le plus pur des enfants; familles car il fut à la tête de la plus sainte d’entre elles; ouvriers car il est le très saint charpentier de Nazareth; vierges car il est vierge, époux d’une vierge, père nourricier d’un Dieu vierge; prêtres car il a aussi reçu la mission de porter Jésus aux hommes, de vivre dans son intimité, de le faire aimer; affligés car il a souffert beaucoup par amour et fidélité à Dieu; exilés car la fuite en Égypte l’a éloigné de sa patrie.


7. Rosaire et Marie patronne de la bonne mort

Extrait du livre « Rosaire et Sainteté » du R.P. Hugon

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Par la méditation du Crucifiement et de l’Assomption, Marie nous obtient la grâce de la persévérance finale et une mort heureuse. Dans chaque Ave Maria : « Priez pour nous maintenant et à l’heure de notre mort » est contenue une grâce de pieuse et sainte mort.


Le jour de la mort est le jour le plus solennel. C’est le jour du Seigneur, dies Domini. C’est aussi le jour de Marie qui nous bénit, nous sourit, nous soutient à ce moment si grave.

Le mourant est tourmenté par ses péchés passés, l’enfer qui pourrait l’attendre dans le futur et la justice de Dieu à la lumière de laquelle il va être jugé présentement. En même temps, Marie le console par la vision de tous les bienfaits reçus d’elle depuis le baptême, l’espérance du ciel où Marie triomphe avec les bienheureux, enfin la miséricorde divine et le sourire de Marie. Soyons vraiment dévots à Marie pour faire une mort joyeuse et paisible.

Marie nous prépare à faire une bonne mort. Grâce à son intercession et à sa présence dans l’esprit et le cœur des fidèles, Dieu les fait mourir au meilleur moment pour eux: jeune, vieux, un an plus tôt ou plus tard de sorte que nous soyons sauvés.

Marie nous assiste au moment de la mort. Dieu a voulu que son Fils soit formé et meurt sous les yeux de Marie, il veut que ses fils adoptifs par la grâce soient formés par Marie et assistés par Marie quand ils meurent.

Marie fait fuir le démon au moment de la mort: Si elle est avec nous, qui sera contre nous ?

Grâce à la Sainte Vierge, le trépas devient un breuvage qu’on savoure avec délices.