Foi et Raison

Sommaire
I. Les théories erronées sur les rapports entre la raison et la foi 
II. Le réalisme de saint Thomas d’Aquin
III. Le rôle de la raison en matière de religion


Il vous est sans doute déjà arrivé d’entendre des paroles de cette sorte à la télévision, dans la rue, entre amis ou en famille :

« Mais enfin, tu ne peux pas dire ça, c’est contre la science, c’est une mentalité religieuse ! Nous sommes au XXIème siècle, plus au Moyen-Âge ! »

« Je suis rationnel, pas religieux »

« C’est religieux et dogmatique, pas scientifique ! »

« Je ne crois que ce que je vois. » ou encore « Les dogmes religieux sont absurdes. ».

Les personnes qui s’expriment ainsi n’ont la plupart du temps aucune idée précise et véritable de ce qu’est la religion ou la science. Ce sont des phrases toutes faites répétées sans réflexion, à tort et à travers, exactement ce qui est reproché à la religion (à tort). Le serpent se mord la queue !

Cependant, elles peuvent facilement déstabiliser un catholique sincère mais novice, ou tout homme de bonne volonté désireux de défendre la vérité. C’est la raison pour laquelle il faut aborder cette question avec sérénité et intelligence pour être prêt à répondre à ce genre de formules. Avoir des connaissances solides sur ce sujet permet aussi de renforcer nos convictions, notre capacité de réflexion et notre bon sens.

Ainsi, nous montrerons que nos certitudes (notre foi comme nos connaissances naturelles) s’appuient sur des fondements sérieux et sur une réflexion cohérente et rigoureuse. Puissent alors ces personnes se remettre en question et admettre que pour connaître ce qui est vrai, il ne suffit pas de répéter aveuglément des slogans, il faut encore en montrer la pertinence ! Voyons donc quels sont, dans la réalité, les rapports entre foi et raison, science et religion : Opposition ? Complémentarité ? C’est l’intention de dégager une solution raisonnable à ce problème qui nous pousse à mettre ce petit travail entre vos mains. Bonne lecture !

I. Les théories erronées sur les rapports entre la raison et la foi 

A. Le rationalisme 1

La première attitude à l’égard de ce problème est l’attitude rationaliste ou naturaliste. Selon elle, la raison naturelle de l’homme est la seule règle de la vérité et tous les autres types de connaissances sont à rejeter. C’est donc une négation a priori, avant même tout examen réfléchi, de l’existence de Dieu et de la possibilité d’une révélation. C’est pourquoi on l’appelle naturalisme, car elle rejette a priori ce qui est au-dessus des forces de l’homme et de la nature, c’est-à-dire le surnaturel. Ses défenseurs opposent la foi (donc la religion) et la raison (donc la science) et donnent une primauté absolue à la seconde sur la première. Pour eux, tout ce qui dépasse la raison est forcément faux. Certains naturalistes vont même jusqu’au relativisme : en plus de rejeter la légitimité de la religion, il refuse à la raison sa capacité de connaître véritablement les choses telles qu’elles sont.

Quelques exemples : 

  • Au Vème siècle avant notre ère, les sophistes de l’antiquité grecque comme Protagoras et Gorgias, véritables initiateurs du naturalisme et du relativisme. Pour eux, l’homme est la mesure de toute chose et la vérité est ce qui paraît tel à chacun, sans critère objectif discernable. En plus de ruiner les forces de la raison, ils bannissent la possibilité d’une révélation surnaturelle qui dépasse l’homme et s’impose à lui.
  • Au XVIIème siècle, Spinoza et son Traité théologico-politique.
  • Les penseurs rationalistes du XVIIIème siècle comme Kant, Diderot ou Voltaire. Ils prétendent que la religion et ses dogmes s’opposent à la science et aux progrès de la raison. Pour eux, la religion serait faite pour les gens simples et crédules. Il faut détruire l’influence de l’ordre surnaturel pour établir le règne de la pure raison : révolte de l’individu contre toute autorité, soit en obéissant qu’à soi (libéralisme) soit en rejetant les droits de l’Église (laïcisme).
  • Les modernistes de la fin du XIXème siècle comme Alfred Loisy, George Tyrrell, Romolo Murri ou Buonaiuti, jusqu’à aujourd’hui, qui estiment que les dogmes et les mystères de la religion, supérieurs à la raison, ne sont que des symboles nés du sentiment religieux. Ces symboles sont utiles et nécessaires pour la religion, ils n’ont en revanche aucune réalité objective et la science doit les écarter. Ainsi verrez-vous des chrétiens modernes dire que la résurrection de Jésus-Christ est une invention de ses disciples. Une invention sincère et utile, mais une invention qui n’a pas eu lieu historiquement. Ils distingueront le Jésus-Christ de la religion et celui de l’histoire, ils soumettront tous les dogmes catholiques au diktat de la raison, refusant l’existence réelle de tout ce qui la dépasse2.  
  • La plupart des tenants du positivisme, qui s’en tient exclusivement à la valeur des faits étudiés par les sciences, c’est-à-dire aux connaissances que la critique kantienne avait seules pleinement justifiées (ou cru avoir pleinement justifiées), bornant la connaissance aux phénomènes, excluant la possibilité de remonter à des causes spirituelles (donc à la connaissance des concepts et de Dieu) et rejetant toute possibilité d’une révélation. Sous toutes ses formes et tous ses dérivés proches ou lointains : le positivisme sociologique dans sa pureté d’Auguste Comte ; le darwinisme de Buffon, Lamarck ou Darwin ; l’agnosticisme de Spencer et Huxley ; le socialisme athée de Karl Marx ; l’école anglaise de Stuart Mill et l’utilitarisme de Jeremy Bentham ; l’école sociologique d’Émile Durkheim ; l’école rationaliste et scientiste des francs-maçons de la IIIe République française, d’Ernest Renan. 
  • Enfin, issu d’un mélange explosif de toutes ces théories (et de bien d’autres), l’esprit massivement diffusé dans les sociétés occidentales contemporaines et largement adopté par le commun des mortels : la science s’oppose à la religion et celle-ci ne peut en aucun cas s’imposer comme une vérité objective. C’est la position de toutes les autorités en place, qui ont banni Dieu et la religion de leurs discours et de leur conduite : hommes politiques, juges, journalistes, médecins, scientifiques ou « philosophes ». « Soyons rationnels ! » disent-ils.

Cette attitude rationaliste ou naturaliste est donc la plus répandue dans l’époque moderne.

B. Le fidéisme3

La deuxième attitude est le fidéisme issu de la réforme protestante. Elle consiste à placer la foi et le surnaturel au-dessus de tout jusqu’à mépriser et piétiner la raison. L’usage de la raison, autonome en philosophie comme instrumental en théologie, sera donc banni. Le fidéisme semble donc être l’inverse du rationalisme à l’égard de la foi et de la révélation. Mais en fait, il est aussi son frère jumeau dans l’erreur. Les deux attitudes opposent la raison et la foi et jugent que la révélation non seulement dépasse la raison, mais est aussi absurde. Pour les rationalistes (qui nient le surnaturel) comme pour les fidéistes (qui exagèrent le surnaturel et nient plus ou moins le naturel), la foi est absurde et contraire à la raison. Face à ce dilemme, les premiers laissent tomber la foi pour la raison, les seconds laissent tomber la raison pour la foi. Les uns comme les autres coupent la réalité pour ainsi dire en deux, comme si une chose et son contraire pouvaient être vrais pour le même sujet, en même temps et sous le même rapport. Malgré l’absurdité supposée de la foi, les modernistes rationalistes admettent que Jésus-Christ a fait des miracles (en tant que religieux) et en même temps qu’il n’en a pas fait (en tant que citoyen ou scientifique) ; les fidéistes purs admettent que le mystère de la Sainte Trinité est vrai (qu’il y ait en Dieu une unique nature en trois personnes) et en même temps qu’il est absurde, donc qu’il n’est pas… et partant sacrifie la raison qu’ils jugent entièrement mauvaise et incapable de quoique ce soit. 

Quelques exemples :

  • Au XVIème siècle Luther, qui appelle la raison « la plus féroce ennemie de Dieu » juge « qu’elle est directement opposée à la foi » et « doit être tuée et enterrée » et Calvin qui explique que « la pire des pestes est la raison humaine ». Pour eux, la foi est l’adhésion à l’irrationnel…
  • Au XIXème siècle, le père de l’existentialisme Kierkegaard, qui se réclame de la réforme pure et originelle.
  • Au XXème siècle, Karl Barth, pasteur protestant de la même veine.
  • Ajoutons ici aussi les modernistes. Cela peut paraître contradictoire puisque nous les avons déjà classés parmi les rationalistes. En fait, tout se tient, et tout tend à montrer que le modernisme est bien « l’égout collecteur de toutes les hérésies », selon les mots de saint Pie X. En effet, le modernisme ne s’attaque pas à tel ou tel vérité de foi, il change radicalement la notion même de foi, entraînant de fait l’écroulement de tout l’édifice des vérités révélées. Plus haut, nous avons vu que le modernisme était agnostique et rationaliste: l’intervention de Dieu dans l’histoire (par une révélation par exemple) serait inconnaissable puisque nos connaissances se borneraient aux phénomènes sensibles. Il n’y aurait donc aucun critère objectif permettant de discerner la véracité d’une révélation divine (son fait). Par conséquent, on doit expulser tous les phénomènes surnaturels de nos démarches scientifiques. Voici le rationalisme: comme homme, le surnaturel n’est pas et ne saurait être démontré. Mais le modernisme n’abdique cependant pas la religiosité. Il se dit encore chrétien et homme de foi. Comment parvient-il à faire ce tour de passe-passe, puisque le contenu de la révélation est en soi inconnaissable comme objet extérieur et intelligible ? Il recourt à l’expérience et au sentiment religieux. Le contenu de la religion (donc la révélation) serait déterminé au fil du temps par les besoins naturels et sentimentaux issus du subconscient des fidèles (ce que saint Pie X appelle « l’immanence vitale »). Il serait le fruit non d’une révélation extérieure, objective et intelligible, (donc immuable et indépendante de nos sentiments et désirs) ce qui irait contre l’exigence moderne de rationalité agnostique; mais d’un mouvement vital intérieur se traduisant par des expressions dogmatiques symboliques. Le besoin et le sentiment religieux font naître des dogmes de la conscience aveugle des fidèles, au gré de l’évolution des circonstances. Il n’y a plus rien d’objectif et d’immuable, tout est subjectif et changeant. Comme cette révélation intérieure est vitale (c’est-à-dire spontanée, incontrôlée, irréfléchie, plus ou moins vague et indescriptible) et répond à un besoin, elle s’impose comme telle et sans réflexion, indépendamment de la cohérence de son contenu. Voici le fidéisme: comme religieux, il faudrait admettre même des choses jugée absurdes car elle seraient imposées par le sentiment religieux. Ces vérités religieuses sont relatives et peuvent changer au gré des fluctuations de la vie des fidèles et de leurs exigences du moment. Comme les sentiments et les mouvements vitaux évoluent, les expressions religieuses qu’ils expriment évoluent aussi. Leur contradiction n’est pas un problème, puisque la religion n’est pas affaire de vérité mais de sentimentalité: on retrouve le fidéisme qui accepte le contradictoire et l’absurdité. La conséquence: Dieu n’est plus un être transcendant et parfait (l’acte pur de saint Thomas) qui se manifeste librement et gratuitement aux hommes (ce qui implique que la nature humaine n’exige pas cette révélation et cette participation à l’ordre surnaturel qui est un don, donc qui est indépendant de nous. Cela implique aussi qu’il n’y ait qu’une seule vérité et donc qu’une seule vraie religion); c’est une manifestation sentimentale des exigences humaines (ce qui implique que toutes les religions peuvent être légitimes, elles ne sont que des expressions particulières du sentiment religieux de différents peuples à différentes époques: qui pourrait oser dire que le sentiment religieux du protestant ou du musulman est moins fort que celui du catholique? Ce qui implique aussi que Dieu n’est plus transcendant, indépendant et parfait mais que c’est l’homme qui se forme un Dieu selon ses besoins et ses désirs subjectifs: Dieu est exigé par la nature en tant que besoin, il se confond avec l’homme en tant qu’expression sentimentale: le modernisme est donc un naturalisme et un panthéisme.)

II. Le réalisme de saint Thomas d’Aquin4

A. Le rejet du rationalisme et du fidéisme

Pour saint Thomas, ces deux attitudes sont inacceptables car elles sont incohérentes et illogiques. Saint Thomas ne tire aucune conclusion a priori, il essaie d’éclairer tous les problèmes posés avec une intelligence lumineuse et une incomparable prudence. Tout d’abord, il admet l’existence d’une unique réalité. Ainsi, deux propositions contradictoires ne peuvent être vraies en même temps. L’absurde n’a donc aucune consistance réelle, il ne peut pas exister car il implique une contradiction indépassable. Ainsi, un rond-carré ne peut exister, c’est absurde. Le rond et le carré s’excluent mutuellement, par conséquent, un rond-carré ne signifie rien. La foi ne peut donc pas être absurde car ce serait dire qu’elle n’est rien. Donc les fidéistes purs de la réforme se trompent.

Ensuite, la négation a priori des rationalistes est illégitime car elle ne repose sur aucun motif raisonnable. En effet, pour avoir le droit de rejeter le surnaturel, il faudrait que la raison humaine soit la raison absolue et totale, infaillible et omnisciente, capable de tout connaître de fond en comble. Alors seulement, le surnaturel, comme contenu supérieur à la raison, serait inexistant, puisqu’en dehors du champ intégral de celle-ci, qui sonde l’être sous tous ses rapports. Or, l’expérience quotidienne et le bon sens nous disent que la raison humaine est limitée, fragile et faillible. Nous nous trompons souvent et nous ne connaissons rien intégralement, même parmi les choses accessibles à la raison. Donc il n’est pas permis de nier quoique ce soit a priori, à moins que cette chose soit absurde (comme le rond-carré ; l’effet sans cause etc.). Le caractère incompréhensible (au sens de supérieur à la raison) d’une chose n’implique pas son inexistence. En niant a priori le surnaturel et la foi, le rationalisme procède de manière irrationnelle. En effet, la négation, au lieu de sortir de l’enquête, la domine et la dirige ; elle est érigée en principe absolu, en dehors et au-dessus de toute discussion : c’est une préférence irrationnelle et un choix capricieux tout à fait injustifié.

B. La solution thomiste

Se hissant comme sur un sommet surplombant ces deux vallées de perdition intellectuelle, saint Thomas propose une solution cohérente en adéquation avec la réalité et ses principes immuables. Tout d’abord, nous remarquons qu’il existe deux chemins différents pour connaître avec certitude la réalité. Soit par un constat ou une démonstration nous donnant l’évidence de la chose en elle-même, et c’est la science au sens large (j’existe; il fait beau; 2+2 = 4); soit par un témoignage crédible, sans que nous puissions constater ou démontrer la chose par nous-mêmes, et c’est la foi au sens large (La Révolution française a commencé en 1789; Hugues Capet a été couronné en 987). Si nous trouvons la solution d’un problème de mathématique par l’application d’un théorème adéquat, nous en avons la science via une connaissance intrinsèque. Nous pouvons dire que nous savons que cette solution est vraie. Si, ignorant encore des mathématiques, un enfant demande à son père de lui donner la solution d’un problème, il lui fera confiance en croyant son témoignage. Il aura raison de lui faire confiance car son père est digne de foi et qu’il est raisonnable de le croire. Il aura aussi la vraie solution du problème. En revanche, il ne l’aura pas acquise par lui même, mais par une foi humaine. Le chemin du savoir comme celui de la croyance, nous le voyons, peut permettre d’avoir une certitude. La condition est la même dans les deux cas : raisonner pour démontrer la vérité en elle-même ou raisonner pour démontrer la véracité du témoin et, partant, la vérité de ce qu’il dit. La finalité est aussi la même : avoir une certitude. Pour saint Thomas, l’existence de Dieu peut être démontrée par la raison naturelle. Il est donc objet de science (contre les fidéistes). On y arrive en appliquant les principes les plus essentiels de la raison (le principe de causalité par exemple) à l’expérience la plus immédiate (la réalité du mouvement ou l’ordre de l’univers par exemple). On s’élève ainsi, par une démonstration a posteriori et sans aucun préjugé indu (à partir des seules évidences : l’expérience et les principes), des choses qui sont mues au premier Moteur immobile, des causes subordonnées à la Cause première, des êtres contingents à l’Être nécessaire, des degrés de perfection au souverain Parfait, de l’ordre de l’univers à l’Intelligence ordinatrice. Cependant, cette connaissance scientifique nous amène à connaître le vrai Dieu comme Être suprême, créateur et parfait souverain, à travers ses créatures, non comme Dieu Trinitaire, Incarné, et Sauveur. Cette connaissance naturelle de Dieu avait aussi été atteinte par des philosophes non chrétiens (Aristote par exemple). Il est donc nécessaire, pour avoir une connaissance pour ainsi dire intime de Dieu, que Dieu lui-même nous la révèle. Alors, Dieu sera aussi objet de foi (contre les rationalistes). Dieu en lui-même (Une Nature en trois Personnes, Père, Fils et Saint-Esprit ; le Fils fait Homme en unissant la nature humaine et la nature divine dans la seule Personne du Verbe) est inaccessible à la raison humaine, il la surpasse de part en part. C’est par un acte gratuit et plein d’amour, la Révélation, que Dieu s’est fait connaître en lui-même aux hommes. C’est par un acte non moins gratuit et non moins plein d’amour qu’il a donné à leur intelligence la lumière de la foi qui la proportionne pour ainsi dire à la hauteur des vérités auxquelles il faut adhérer. La foi n’est pas un élan aveugle du subconscient ni un saut dans le vide. La révélation est rationnellement crédible (les « motifs de crédibilité » étudiés par l’apologétique) et son Auteur ne l’est pas moins (par analogie avec le cas du père évoqué plus haut, nous démontrons que Dieu est le plus crédible des témoins, ne pouvant ni se tromper, ni nous tromper). Lorsque nous demandons par exemple à un bon ami des nouvelles d’un parent, nous faisons un acte de foi humaine en son témoignage. Nous savons que cet ami est d’une grande probité: toujours égal à lui-même, constant, stable et équilibré, la farce n’est pas dans son caractère, resplendissant qu’il est de grâce et de vérité. Il ne nous passerait même pas par la tête une seconde de remettre en doute ses dires, par exemple: tel parent est désormais marié et a un fils. Nous serions même en quelque sorte obligé d’adhérer en conscience à ce témoignage au-delà de tout soupçon… sous peine d’agir imprudemment en niant indûment une vérité. Nous n’hésiterions d’ailleurs pas à la répandre: « un tel a désormais un fils, c’est merveilleux! », et notre interlocuteur de le répandre à son tour. Sans jamais avoir l’évidence de la réalité que nous n’avons pas pu constater par nous-mêmes, nous croyons cela vrai et de fait cela est vrai. Cette croyance nous dépasse en quelque sorte mais est précédé et s’appuie sur un acte de science par lequel on en démontre les motifs de crédibilité qui rendent cette croyance certaine. De manière analogue dans la révélation, avant d’y adhérer, nous prouvons par la seule raison que Dieu est le témoin le plus crédible qui soit et que c’est bien Dieu qui a révélé ce à quoi nous adhérons. L’acte de foi est donc un acte prudent et raisonnable qui nous pousse à adhérer, au moyen de notre intelligence et de notre volonté mues par la grâce, à Dieu lui-même se révélant. C’est la foi divine.

« Qu’une chose doive être crue, ce n’est pas la foi qui le voit, c’est la raison » Cardinal Pie, Discours et instructions.

« Celui qui croit une chose ne la croirait pas s’il ne voyait que cette chose doit être crue, soit à cause de signes évidents, soit pour un autre motif du même genre. » Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa-IIae, qu. I, art.4

« Dresser l’une contre l’autre la religion et la science, c’est surtout le fait de gens mal instruits dans l’une et dans l’autre. » P.Sabatier

Nous voyons comme cette solution est féconde et comme elle évite les excès de part et d’autre. La foi dépasse la raison (la Sainte-Trinité, l’Incarnation, sont des mystères) mais n’est pas absurde. Foi et raison ne peuvent se contredire car il existe une unique réalité qu’elles perçoivent sous différents rapports. La raison et la foi sont complémentaires, comme l’ordre naturel et l’ordre surnaturel : la foi suppose la raison car elle s’y enracine une fois celle-ci bien disposée. Cependant la foi éclaire, illumine et transcende la raison par une connaissance bien supérieure à ses exigences naturelles. Enfin, la foi jouit d’une certitude absolue car elle se fonde sur l’infaillibilité et la bonté de Dieu, elle aura donc un droit de contrôle sur les démarches de la raison (tout en laissant ces démarches autonomes en elles-mêmes). Saint Thomas fait donc une part à la raison et à la foi, excellentes toutes deux et unies par la vérité, tout en précisant ce qui les distingue. Ne pas accepter cette complémentarité reviendrait à refuser la réalité et à soutenir des absurdités. Ainsi l’avaient bien compris Bossuet et Chesterton :

« Les absurdités où les libertins tombent en niant la religion deviennent plus insoutenables que les vérités dont la hauteur les étonne ; et pour ne vouloir pas croire à des mystères incompréhensibles, ils suivent l’une après l’autre d’incompréhensibles erreurs. » – Bossuet, Oraison funèbre de la Princesse palatine, 1ère partie

« Quand on cesse de croire en Dieu, ce n’est pas pour croire en rien. C’est pour croire en n’importe quoi. » Chesterton (c’est du moins à lui qu’on l’attribue)

III. Le rôle de la raison en matière de religion

La raison et la foi ne peuvent donc pas se contredire. La foi, parce que son objet proprement dit est supérieur à la raison, la dépasse infiniment. En revanche, elle ne la contredit pas et ne propose à aucun moment l’absurdité au croyant. En effet, toutes les deux ont été données par Dieu à l’homme : la raison comme propriété naturelle due, la foi comme vertu surnaturelle gratuite ; et toutes les deux ont pour objet des choses réelles soient créées par Dieu et accessibles aux lumières naturelles de l’homme (la raison), soient Dieu lui-même en tant qu’il se révèle et inaccessibles aux lumières naturelles de l’homme (la foi). Donc, l’une ne saurait contredire l’autre. Le mystère et le supra-rationnel (ce qui dépasse l’entendement humain) est tout autre chose que l’absurde et l’irrationnel (qui implique contradiction et violation des premiers principes de l’être), il est simplement une part de la réalité que l’homme ne peut ni atteindre ni comprendre par lui-même. 

Ensuite, la raison et la foi coopèrent et se complètent admirablement par de multiples façons. Voyons-en quelques-unes. 

  1.  La raison peut démontrer les vérités philosophiques qui forment l’essentiel du spiritualisme réaliste (existence, spiritualité et immortalité de l’âme ; existence d’un Dieu personnel et transcendant, créateur et rémunérateur ; existence de la liberté humaine et de la morale naturelle, donc du mérité et du démérite, de la récompense et du châtiment). Ces démonstrations sont encore extérieures à la foi. Elles sont souvent utilisées en apologétique avant l’exposition des motifs de crédibilité proprement dits.
  2. La raison peut fournir des motifs de crédibilité de la foi (les miracles, les prophéties, le « Fait de l’Église ») pour établir le caractère légitimement croyable du catholicisme dans son ensemble. Ceci est encore purement philosophique et naturel. Mais une fois exposés, ces motifs de raison amènent l’homme sincère au seuil de la foi surnaturelle. Il est en effet rationnellement convaincu que l’unique Dieu de vérité et d’amour est l’Auteur de la religion catholique. Il est donc disposé, malgré l’absence d’évidence intrinsèque des mystères qui le dépassent infiniment, à embrasser tout ce que Dieu a révélé. Cette adhésion se fait sur l’autorité même de Dieu dont il a prouvé la véracité. Une motion de sa volonté et, par-dessus-tout, la motion de la grâce divine qui met la foi dans son âme complètent son chemin spirituel et illustrent à merveille la complémentarité entre raison et foi. 
  3. Le contenu de la foi s’exprime par des formules intelligibles accessibles au sens commun. il s’exprime avec des mots compréhensibles à la raison et par lesquels on s’élève par analogie au surnaturel proprement dit. Il faut donc développer et utiliser sa raison pour recevoir la foi. Ainsi, comme la foi est reçue dans l’intelligence, celle-ci joue un rôle de premier plan dans l’acte de foi. Parce que c’est aux hommes que Dieu se révèle, il adapte la communication de la vérité aux propriétés naturelles de ces hommes. De plus, le principe de non-contradiction étant inhérent au fonctionnement naturel de l’intelligence qui répugne à concevoir l’absurdité au sens strict (rond-carré; le tout est plus petit que la partie etc.), la foi ne peut en contenir si elle s’y enracine. Par exemple : En Jésus-Christ il y a deux natures en une personne. Chacun de ces mots est en soi compréhensible par la raison. Nous savons ce qu’est une nature, nous saisissons le sens de la numération, la notion de personne nous est aussi familière. S’il y a mystère (qu’une unique personne puisse posséder deux natures nous dépasse), il n’y a pas de contradiction (ce n’est pas deux natures en une nature par exemple). Si les formules sont assimilées naturellement par le sens commun, leur sens réel est élevé à l’ordre surnaturel par l’analogie de la foi. Ainsi, ce qu’une personne est dans l’ordre naturel créé, une personne divine l’est proportionnellement dans l’ordre surnaturel divin. Cette implantation féconde de la foi dans l’intelligence est ce qu’on appelle l’intelligence de la foi, intelligence que le fidéisme et le rationalisme démolissent. 
  4. La raison, mue et informée par la foi, peut chercher un motif vraisemblable aux données contenues dans la Révélation, données qui dépendent en fait d’une libre décision divine et échappent souvent à l’esprit humain.
  5. Le mystère est supra-rationnel mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons rien en savoir. Ce n’est pas un « vide absolu » qui nous condamnerait au silence ou au verbalisme. Travaillant en esprit de foi et retaillant en quelque sorte ses concepts et ses vues sur mesure, l’intelligence, qui n’aboutit certes pas à nous en faire voir clairement le cœur, ni même à nous en donner l’évidence, peut arriver à en acquérir une idée analogique, qui tend à être une explication, un peu comme un polygone inscrit dans un cercle tend à la limite à être un cercle. Ainsi des notions issues de la philosophie rationnelle comme celles de nature, de personne, de substance ou d’accident permettront de mener des analyses théologiques à propos de la Trinité, de l’Incarnation ou de l’Eucharistie. La foi n’est pas un impensé total. La théologie est justement là pour réfléchir sur les données de la foi.
  6. La raison peut établir que les mystères ne sont pas contradictoires et que les objections contre ces mystères sont erronées. (Ainsi l’Église réfute les attaques que les musulmans font à la Trinité en montrant qu’elles ne tiennent pas. S’il est impossible de prouver un mystère par définition, il est possible de défendre sa légitimité et sa convenance.)
  7. Les divers éléments contenus dans la révélation sont à l’état « brut » (Sainte Écriture et paroles de Jésus-Christ, enseignements des Pères, décrets des conciles). Il faut les coordonner, les rattacher par des liens de principe à conséquence. C’est un des principaux rôles de la théologie. 
  8. Enfin, en partant d’une proposition révélée et d’une proposition connue par la raison naturelle, on obtiendra, par voie déductive, une conclusion qui participera à la fois de la lumière révélée et de la lumière rationnelle. Par exemple : Jésus-Christ est un homme (proposition révélée), or les hommes ont une âme (proposition connue par la raison), donc Jésus-Christ a une âme (conclusion théologique). Ou encore : L’Eglise et le Pape sont infaillibles (proposition révélée), or Vatican II et ses papes successifs enseignent des erreurs opposées à la foi (proposition connue par la raison), donc Vatican II et ses papes successifs ne représentent pas l’Église et ne sont pas de vrais Papes (conclusion théologique).

Nous voyons que la foi et la raison, loin de s’opposer, s’épousent et se complètent admirablement dans le sujet humain pour la plus grande gloire de Dieu. Soyons donc raisonnables et mettons l’intelligence à la première place dans notre vie. Soyons fidèles et laissons la foi pénétrer notre intelligence, celle-ci n’en sera que plus forte. Nous devons être bien convaincus que le rejet de la religion, tantôt fanatique et militant, tantôt dédaigneux et paresseux, n’a pas sa source autre part que dans l’ignorance, l’orgueil et les attaches passionnelles. La raison n’y a jamais sa part. D’ailleurs, si la géométrie s’opposait autant à nos passions et à nos intérêts immédiats que la religion et la morale, elle serait tout autant contestée malgré toutes les démonstrations (et nous verrions des libertins dire que 2+2=4) … Avouer que la somme des angles d’un triangle est égale à 180° n’a en effet pas la même implication que d’accepter que Dieu existe et qu’il s’est révélé dans le catholicisme. Ceci explique peut-être cela ?

Lien vers une vidéo sur l’harmonie entre foi et raison, par M. l’Abbé Dutertre :

Cours extraits de trois ouvrages traitant la question des rapports entre foi et raison, philosophie et religion, philosophie et théologie. Nous en conseillons vivement la lecture :

  • Louis Jugnet, Pour connaître la pensée de saint Thomas d’Aquin, « Chapitre 1 : Foi et Raison » (nous lui empruntons la plupart de nos vues, surtout dans la partie III, jusqu’à recopier parfois texto.)

Mathis C.


 1 Dans son bref Eximiam Tuam de 1857, Grégoire XVI parle du « système erroné et très pernicieux du rationalisme, souvent condamné par le Siège apostoliques », pour mettre en échec les erreurs d’Antoine Günther. Dans le Syllabus de Pie IX publié en 1864, sont condamnés le rationalisme absolu dans la première partie, le rationalisme modéré dans la deuxième. Sont condamnées par exemple les thèses suivantes : « La raison humaine, considérée sans aucun rapport à « Dieu », est l’unique arbitre du vrai et du faux, du bien et du mal : elle est à elle-même sa loi » ou « La foi du Christ est en opposition avec la raison humaine, et la révélation divine non seulement ne sert de rien, mais encore elle nuit à la perfection de l’homme ». Le concile Vatican I (1870) renouvelle ces condamnations. Léon XIII, saint Pie X et leurs successeurs se sont élevés contre le rationalisme.

2 Saint Pie X a condamné le modernisme en 1907 dans une encyclique fameuse et profonde, Pascendi Dominici gregis. Le modernisme y est dénoncé comme étant « la synthèse de toutes les hérésies ». L’année suivante, en 1908, Alfred Loisy est excommunié. En 1950, dans son encyclique Humani Generis, Pie XII condamne les erreurs modernes qui menacent les fondements de la foi. Parmi elle, la nouvelle théologie, fille du modernisme, et la critique moderniste des Saintes Écritures.

3 En défendant la légitimité de la réflexion théologique depuis son institution, l’Église écarte de facto le fidéisme. Elle a toujours enseigné que la foi et le mystère dépassaient la raison sans la contredire. Les papes des XIXème et XXème siècles l’ont du reste nominalement dénoncé, surtout dans ses formes plus récentes (le fidéisme et le traditionalisme du XIXème siècle) qui, sans nier la non-contradiction foi-raison, ont tendance à raboter le rôle, la puissance et l’importance de l’ordre naturel et de la raison (Pie IX par le concile Vatican I, saint Pie X, Pie XII…).

4 La doctrine, les principes et la méthode de saint Thomas d’Aquin ont été pleinement adopté par l’Église au moins à partir du Concile de Trente (1545 – 1563), quand saint Pie V le déclara Docteur de l’Église (1567) et que la Somme théologique devint la référence absolue dans les séminaires. En 1879, l’Encyclique Aeterni Patris de Léon XIII promeut la philosophie de saint Thomas et prescrit son étude dans les écoles et les séminaires. On y lit que « quiconque s’y est tenu ne s’est jamais écarté du sentier de la vérité et que quiconque l’a attaquée a toujours été regardé comme suspect d’erreur. »En 1914, le Motu Proprio Pastoris Angelici de saint Pie X prescrit que dans les écoles de philosophie et les séminaires seraient enseignés et tenus religieusement les principes et les grands points de la doctrine de saint Thomas d’Aquin, et que, dans les centres d’études théologiques, la Somme théologique serait le livre de texte. Enfin, le Code de droit canon de 1917, préparé par saint Pie X et promulgué par Benoît XV, prescrit en son canon 1366, §2 : « Les professeurs doivent ordonner les études de philosophie rationnelle et de théologie, de même que la formation des élèves dans ces disciplines, selon la méthode du docteur angélique, et s’en tenir religieusement à sa doctrine et à ses principes. ». 

Saint François de Sales : précurseur de l’œcuménisme ?


saint François de Sales 6

Paul VI a affirmé, à l’occasion de la publication de sa lettre Sabaudiae Gemma (1967), lors du 400ème anniversaire de la naissance de Saint François de Sales :

Vous connaissez certainement ce saint. C’est l’une des plus grandes figures de l’Église et de l’Histoire. Il est le protecteur des journalistes et des publicistes parce qu’il rédigea lui-même une première publication périodique. Nous pouvons qualifier d’« œcuménique » ce saint qui écrivit les controverses afin de raisonner clairement et aimablement avec les calvinistes de son temps. Il fut un maître de spiritualité qui enseigna la perfection chrétienne pour tous les états de vie. Il fut sous ces aspects un précurseur du IIe concile œcuménique du Vatican. Ses grands idéaux sont toujours d’actualité. 

Cette proclamation est évidemment fallacieuse. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer l’enseignement de Vatican II sur l’œcuménisme avec l’enseignement de l’Église catholique prêché et suivi par saint François de Sales.

Vatican II et l’oecuménisme

Le document Unitatis Redintegratio (1964), ou Décret sur l’Œcuménisme, contient une hérésie flagrante contre le dogme catholique qui enseigne que hors de l’Eglise il n’y pas de salut. Le Concile affirme :

En conséquence, ces Églises et communautés séparées, bien que nous croyions qu’elles souffrent de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut, dont la vertu dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Église catholique.

Unitatis Redintegratio, n. 3

L’Eglise catholique enseigne comme un dogme qu’il n’y a pas de salut hors de l’Eglise. Le Concile affirme la proposition exactement contradictoire au dogme catholique, à savoir qu’il y a un salut hors de l’Eglise catholique, que ces religions non-catholiques peuvent procurer le salut à leurs adhérents, et sont en effet le moyen par lequel ceux-ci sont sauvés.

L’Œcuménisme découle donc essentiellement d’une erreur sur la nature de l’Église. Selon cette fausse théorie, les « églises séparées » (schismatiques et hérétiques) font encore partie de l’unique Église du Christ et participent à ce titre à la communion des saints. Ces communautés séparées, imparfaitement unies à l’Église catholique, n’en seraient pas moins porteuses de grâces et de vérités pour le salut. Par conséquent, elles procureraient aussi le salut. En réalité, L’Église catholique est l’unique et véritable Église de Jésus Christ, seule détentrice et dispensatrice de la doctrine et des moyens du salut. Il est impossible de se sauver en dehors d’elle. Certaines personnes de bonne volonté, sans être des membres visibles de l’Eglise catholique, peuvent être implicitement membre de l’âme de l’Église. Pour cela, il doivent avoir une volonté droite et ignorer de manière non-coupable les vérités de la foi, comme l’enseigne Pie IX. Mais alors ils se sauvent malgré leur religion et pas grâce à celle-ci, comme si elle contenait des « moyens de salut ».

Il existe, bien sûr, ceux qui se trouvent dans une situation d’ignorance invincible concernant notre très sainte religion. Observant avec sincérité la loi naturelle et ses préceptes que Dieu inscrit sur tous les cœurs, prêts à obéir à Dieu, ils mènent une vie honnête et droite, et peuvent, avec l’aide de la lumière et de la grâce divine, acquérir la vie éternelle. Car Dieu voit parfaitement, il scrute, il connaît les esprits, les âmes, les pensées, les habitudes de tous, et dans sa bonté suprême et sa clémence il ne permet point qu’on souffre les châtiments éternels sans être coupable de quelque faute volontaire.

Pie IX, Quanto conficiamur, encyclique à l’épiscopat italien, 10 août 1863 ; DENZINGER (1957) 2865

L’œcuménisme a par exemple conduit à la déclaration doctrinale de Balamand (1993) signée par Jean-Paul II, dans laquelle on peut lire :

L’Église catholique et l’Église orthodoxe se reconnaissent mutuellement comme Églises sœurs et responsables ensemble du maintien de l’Église de Dieu dans la fidélité au dessein divin, tout particulièrement en ce qui concerne l’unité.

Documentation Catholique 90, 1993, 711-714

C’est ce qui faisait dire à ce même Jean-Paul II, apôtre zélé de l’œcuménisme :

Par la grâce de Dieu, ce qui appartient à la structure de l’Eglise du Christ n’a pourtant pas été détruit, ni la communion qui demeure avec les autres Eglises et Communautés ecclésiales

Ut Unum Sint, 1995, n.11

S’il y a plus d’éléments d’unité que d’éléments de division entre l’Église catholique et les groupes hérétiques et schismatiques, pourquoi se faire la guerre ? Si ces groupes procurent aussi les moyens de salut aux âmes, pourquoi être catholique ? Pourquoi se convertir ? Rien ne presse en effet, il suffit de faire le vœu pieux que dans un lointain futur, si par miracle les volontés et les cœurs s’y résolvent, ces « Églises sœurs » se réuniront toutes un jour ! En attendant, chacun est libre de choisir celle qui lui plaît le plus, pourvu qu’il ne lance aucun anathème sur ses frères et qu’il se refuse à tout prosélytisme, quand bien même il serait bien intentionné et convaincu d’avoir raison. C’est une forfaiture empreinte de lâcheté faite sous couvert de bienveillance et d’amour. C’est un refus de prendre en compte la réalité (nous avons une fin dernière objective, il faut l’atteindre par les bons moyens), ce qui exigerait trop de responsabilité. C’est se complaire dans une union factice et hypocrite qui apaise la conscience et permet de se reposer en abandonnant l’effort pour le bien et le zèle pour le salut des âmes. Ce fût exactement l’attitude du « bon pape »… Jean XXIII alors qu’il était encore Mgr Roncalli (extrait de « Un œcuméniste dans les Balkans (1925-1939)  », par M. l’abbé Francesco Ricossa) :

Le Père Tanzella rapporte le cas du journaliste bulgare Etienne Karadgiov. “Orthodoxe”, il s’était présenté à Mgr. Roncalli pour être aidé à poursuivre ses études. Karadgiov nous dit :

« II m’accueillit avec beaucoup de bonté, m’écouta attentivement, et me dit : “très bien, mais on ne doit pas heurter la susceptibilité des orthodoxes. Ils ne doivent pas penser que nous autres les catholiques nous venons ici dans le but de faire du prosélytisme, de vouloir attirer la jeunesse. Les orthodoxes sont nos frères, et nous voulons vivre en harmonie avec eux. Nous nous trouvons dans ce pays pour montrer notre amitié à ce peuple et l’aider. Si tu veux donc étudier en Italie, tu dois d’abord demander l’autorisation à l’Église orthodoxe à laquelle tu appartiens”. J’écrivis, et la réponse fut négative. Mgr. Roncalli jugea opportun de m’envoyer en Italie par l’intermédiaire de l’œuvre Pro Oriente qu’il avait lui-même fondée avec Mgr. Francesco Galloni. L’œuvre avait pour but de financer le séjour en Italie des jeunes catholiques bulgares désirant acquérir des diplômes en ce pays. Moi, j’étais orthodoxe, et Mgr. Roncalli, qui de par sa position ne figurait pas comme fondateur de l’œuvre, fit pour moi une exception. “Un jour viendra, où les diverses Églises seront unies ; ce n’est qu’en s’unissant pour combattre les maux du monde, me dit-il, qu’elles pourront espérer gagner”.

J’ai ensuite étudié en Italie, où j’eus comme camarades d’études et d’internat les parlementaire Bettiol et Fanfani. Mgr. Roncalli suivait de loin mes études, comme si j’avais été son propre fils. Lorsque je parvins à la dernière année, il m’écrivit : “Si tu reviens en Bulgarie avec le diplôme d’une université catholique, comment vas-tu faire pour trouver un emploi ? Tes concitoyens sont presque tous orthodoxes, et ils ne vont pas avoir une grande sympathie pour toi. Je te conseille par conséquent de te présenter dans une Université laïque”. II écrivit au Père Gemelli, recteur de l’Université catholique de Milan, et je passai à Pavie où j’obtins le diplôme.

Entre-temps, j’avais décidé de devenir catholique. Je lui fis part de ma décision, et il me dit : “Mon fils, ne sois pas pressé. Réfléchis. Tu auras toujours le temps de te convertir. Nous ne sommes pas venus en Bulgarie pour faire du prosélytisme” »

Le Père Tanzella rapporte cet épisode comme s’il s’agissait de nouveaux fioretti de St. François. Des fioretti, certes, mais au contraire, dans lesquels la dernière recommandation du Christ : « Allez, enseignez toutes les nations… » n’est pas considérée comme valide. “Il y a toujours le temps” pour entrer dans l’Église, vivre en grâce de Dieu, quitter le schisme et l’hérésie… car un successeur des Apôtres n’est pas envoyé dans le monde “pour faire du prosélytisme” (c’est-à-dire pour convertir), mais pour laisser les âmes dans les ténèbres de l’erreur : voici le nouveau credo œcuméniste de Mgr. Roncalli.

Fidèle à cette lâcheté et infidèle à Jésus-Christ, Bergoglio, quelques années avant d’installer une statue de Luther au Vatican (en 2017, à l’occasion des 500 ans de la réforme), s’exprimait en ces termes auprès de son ami Eugenio Scalfari (journaliste athée du journal La Reppublica) qui retranscrit l’entretien (numéro du 1er octobre 2013) :

Le Pape entre et me serre la main, nous nous asseyons. Le Pape sourit et me dit : « Certains de mes collaborateurs qui vous connaissent m’ont averti que vous allez essayer de me convertir. »

A ce trait d’esprit, je réponds : mes amis vous prêtent la même intention à mon endroit.

Il sourit et répond : « Le prosélytisme est une pompeuse absurdité, cela n’a aucun sens. Il faut savoir se connaître, s’écouter les uns les autres et faire grandir la connaissance du monde qui nous entoure. Il m’arrive qu’après une rencontre j’ai envie d’en avoir un autre car de nouvelles idées ont vu le jour et de nouveaux besoins s’imposent. C’est cela qui est important : se connaître, s’écouter, élargir le cercle des pensée. Le monde est parcouru de routes qui rapprochent et éloignent, mais l’important c’est qu’elles conduisent vers le Bien« .


L’exemple de saint François de Sales

L’œcuménisme tel que défendu par Vatican II a été condamné par Pie XI dans l’encyclique Mortalium Animos (1928). Mais il n’a pas fallu attendre Pie XI pour que les catholiques croient qu’il n’y a point de salut hors de la communion de l’Eglise catholique et romaine, pour qu’ils croient que l’hérésie est une peste mortelle à extirper par tous les moyens, et que pour convertir les hérétiques et les schismatiques il était erroné et dangereux « d’insister sur ce qui nous unit au lieu de parler de ce qui nous divise » : voyons comment saint François de Sales vivait sa foi sur ce point là.

Alexandre VII, dans sa bulle de canonisation rédigée en 1665, écrit :

« En outre, armé du glaive de la parole divine, il attaqua, par ordre de l’évêque, l’hérésie de Calvin qui régnait dans le Chablais et les pays circonvoisins. Il est impossible d’exprimer avec quelle ardeur, quelle constance, quelle allégresse, quelle ferme confiance en Dieu, quelle inébranlable charité pour le prochain, il a combattu l’hérésie et soumis les errants au joug de la vraie foi. »

(IX)

« Jamais il ne prit conseil de la politique mondaine, ni du respect humain; mais se ressouvenant du conseil de l’Evangile, lorsqu’il ne pouvait pas paraître au grand jour et rendre un témoignage public à la foi, il s’abritait quelques instants dans sa solitude, pour reparaître, après un peu de silence, et s’élever plus vivement que jamais contre l’hérésie. »

(XIII)

« il s’appliqua à la défense de l’Eglise avec plus de soin et de zèle que jamais; et, comme on avait mis des obstacles à ce qu’il travaillât à la conversion des hérétiques par le ministère de la prédication, il se mit à les instruire par écrit, et composa plusieurs petits ouvrages de controverse où il attaquait l’hérésie jusque dans ses derniers retranchements. Il fit tant qu’il parvint à ériger une paroisse à Thonon, et que, peu après, il ramena à la lumière de la vérité plusieurs hommes distingués par leur science, dont l’autorité servait d’un grand appui au mensonge, et dont la conversion contribua beaucoup à la propagation de la religion catholique dans ces contrées. »

(XVIII)

« Elevé à cette nouvelle dignité, qui donnait un surcroît d’autorité à son zèle, il se livra tout entier au soin d’augmenter la religion catholique et de diminuer l’hérésie. »

(XXIII)

Pie IX, en 1877, en élevant saint François de Sales au rang de docteur de l’Eglise, écrit :

« Que la doctrine de François ait été très grandement appréciée de son vivant on le peut encore déduire de ceci : de tous les courageux défenseurs de la vérité catholique qui fleurissaient en ce temps-là, Clément VIII, Notre Prédécesseur de sainte mémoire, ne choisit que le seul Evêque de Genève. Il lui ordonna d’aller trouver Théodore de Bèze, propagateur passionné de la peste calviniste, et d’agir avec celui-ci dans le seul but qu’une fois cette brebis ramenée au bercail du Christ, il en reconduisit beaucoup d’autres. François, non sans péril pour sa vie, s’acquitta si bien de sa mission que l’hérétique, troublé dans son bon droit, confessa la vérité. Pourtant, au regard de son crime et, le jugement de Dieu lui demeurant impénétrable, il s’estima indigne de revenir dans le giron de l’Eglise. »

« Il est également manifeste que lui-même résolut beaucoup de questions avec une abondance de doctrine auprès des Pontifes Romains, des Princes, des Magistrats et de Prêtres, ses coopérateurs dans le ministère sacré. Son succès fut tel que grâce à son zèle, ses exhortations et ses avertissements, ses conseils furent souvent mis en œuvre et c’est ainsi que des contrées entières furent purgées de la corruption hérétique, le culte catholique rétabli et la religion accrue. »

« En outre, pour vaincre l’obstination des hérétiques de son époque et encourager les catholiques il écrivit, avec non moins de bonheur que sur l’ascétisme, le livre des « Controverses » qui contient une parfaite démonstration de la Foi catholique ; puis il écrivit d’autres traités et discours sur des vérités de Foi et aussi son « Vexillum Crucis. »  Par de tels écrits il combattit si énergiquement pour la cause de l’Eglise qu’il ramena en son sein une multitude innombrable d’égarés et restaura le Foi de fond en combles sur toute la province du Chablais. »

Il n’y a donc rien de commun entre l’œcuménisme de Vatican II fermement condamné par Pie XI et le zèle tout apostolique dont fit preuve saint François de Sales. L’œcuménisme est une démolition de la vérité et de la foi catholique. Pour ses défenseurs, toutes les confessions chrétiennes ont une certaine légitimité, et donc un droit à prendre place, malgré leurs divergences doctrinales, au sein d’une grande et unique église. L’œcuménisme suppose donc une certaine égalité des différentes confessions. D’un point de vue pratique, c’est renoncer à convaincre et à convertir. « Au mieux » (et c’est déjà terrible), c’est renoncer aux droits de la vérité objective sur tous et s’accommoder d’une union purement extérieure. Au pire, c’est renoncer entièrement à la vérité en retranchant des pans entiers de la doctrine pour créer une nouvelle religion convenable pour tous. L’œcuménisme fait  primer l’accord subjectif des hommes ici-bas sur l’adhésion aux vérités objectives de la révélation divine. C’est une forme de naturalisme : refuser notre dépendance envers Dieu et rejeter ses droits pour exalter une union humaine naturelle prétendument suffisante pour le salut. Il se traduit donc nécessairement par le relativisme. En effet, il juge légitimes des vérités contradictoires, en même temps et sous le même rapport. De plus, il nie la possibilité de s’affirmer comme l’unique et véritable Église de Jésus-Christ. Il mène à l’indifférence à l’égard des diverses religions, faisant croire que le salut est possible dans chacune d’elle. A l’inverse, saint François de Sales désirait ramener toutes les âmes égarées dans le giron de l’Église catholique. Il savait que l’Église catholique était l’Église de Jésus-Christ et qu’en dehors d’elle nul ne pouvait se sauver. Il savait que la foi est le socle fondamental sur lequel se bâtit tout l’édifice des vertus surnaturelles qui mènent au vrai Dieu. Il n’a jamais fait d’accommodements sur les principes de la foi, il les a exposés avec zèle et charité. Il n’a jamais jugé qu’un hérétique fût dans son bon droit, encore moins que sa secte était une partie de l’Église de Jésus-Christ. Il n’a jamais, comme Mgr. Roncalli, Wojtyla (Jean-Paul II) ou Bergoglio, refusé de faire du prosélytisme. Il aimait trop les âmes pour cela, il avait un désir trop ardent de leur salut pour accepter qu’elles se perdissent dans la voie de l’erreur et le chemin de la damnation. Il a donc placardé ses écrits contre les protestants sur les murs de Chablais, a fini par convertir la population et a été loué par l’Église pour cela.

Mathis C.


Vie de saint François de Sales

SOMMAIRE

. Vie de saint François de Sales
. Canonisation
. Docteur de l’Église
. Méditations sur saint François de Sales
. Un précurseur de l’œcuménisme et de Vatican II ?


Vie de saint François de Sales, évêque et docteur de l’Eglise (R.P. René Moreau, S. J.)

Prime enfance (1567-1573)

François de Sales, seigneur de Nouvelles, homme de guerre et diplomate habile, avait épousé la fille unique de Melchior de Sionnaz, qui lui avait apporté en dot la seigneurie de Boisy, à condition qu’il en prît le nom. Il habitait cependant au château de Sales, près de Thorens, dans le duché de Savoie, que gouvernait alors Charles-Emmanuel. C’est là que, six ans après son mariage, Dieu lui donna un premier fils, qui devait être le saint évêque de Genève. L’enfant, nommé François, comme son père, naquit le 21 août 1567. Dès sa toute petite enfance, il montra de singulières dispositions pour la piété. Les premiers mots qu’il prononça de lui-même furent : « Le bon Dieu et maman m’aiment bien. » Il avait joie à être porté à l’église, où il semblait ne s’ennuyer jamais, à imiter les cérémonies de la messe, à réciter des prières. Il chérissait aussi les pauvres et leur donnait, comme d’instinct, ce qu’il avait en mains. Et cependant il avait ses défauts, contre lesquels ses parents, excellents chrétiens l’un et l’autre, réagirent vigoureusement : la vanité, qui l’entraîna un jour à un petit vol, châtié immédiatement par son père, malgré l’aveu spontané du coupable ; la gourmandise, dont ses historiens citent un assez beau trait ; surtout une fougue et une impétuosité qui ressemblaient bien à la colère, mais qu’il combattit si bien et si longtemps, qu’il devint le modèle de la douceur et de la patience. Un jour, Mme de Chantal le priait « de s’émouvoir un peu sur le sujet de quelque traverse que l’on faisait à ce monastère de la Visitation. Il me répondit, raconte-t-elle : « Voudriez-vous que je perdisse en « un quart d’heure ce que j’ai eu bien de la peine à acquérir « en vingt ans? » Il ne devint donc un saint, comme il enseigna plus tard à faire, que par une correspondance exacte et généreuse aux grâces que Dieu lui donnait avec abondance et une lutte persévérante contre lui-même.

Les études et les premiers germes de sainteté (1573-1592)

Dès l’âge de six ans, François fut mis au collège, d’abord à la Roche, puis à Annecy jusqu’à treize ans ; il s’y montra aussi intelligent et ardent au travail que pieux et charitable. Ses humanités achevées, M. de Boisy résolut d’envoyer son fils terminer ses études à Paris, où la jeune noblesse savoyarde fréquentait le collège de Navarre. Mais François, qui avait entendu dire qu’on formait mieux dans ce collège à briller dans le monde qu’à plaire à Dieu, obtint par ses instances d’aller de préférence au collège de Clermont, — devenu plus tard Louis-le-Grand, — où professaient les Jésuites. II y passa six ans, deux en rhétorique, où il eut pour professeur le Père Sirmond, et quatre en philosophie. Dans le temps qu’il étudiait, Dieu, pour perfectionner sa vertu, permit qu’il fût en butte à une terrible tentation de désespoir. Ce jeune homme, si pur et si pieux, s’imagina qu’il se méprenait sur l’état de son âme, qu’il était destiné à la damnation éternelle. Cette affreuse persuasion ruina même ses forces physiques ; il tomba gravement malade. Mais sa charité héroïque et sa dévotion à la sainte Vierge le sauvèrent.

Aux pieds de Notre-Dame, dans l’église de Saint-Étienne-des-Grès, tandis qu’il récitait le Souvenez-vous avec toute la dévotion de son cœur et faisait vœu de chasteté perpétuelle, son âme et son corps furent subitement guéris. Sa philosophie était achevée ; sur l’ordre de son père, François  partit alors pour l’université de Padoue, renommée dans toute l’Europe à cause de ses cours de jurisprudence. Il s’en réjouit : depuis l’âge de onze ans, il avait obtenu la permission, accordée par M. de Boisy, comme à un désir enfantin et sans conséquence, de recevoir la tonsure. Mais ce n’était pour lui qu’un premier pas vers un but que de plus en plus il aspirait à atteindre. Il savait quelle opposition il rencontrerait dans son père, qui fondait sur son fils aîné toutes ses espérances mondaines. Mais à Padoue du moins, il lui serait possible de commencer, avec l’étude du droit, celle de la théologie. C’est ce qu’il fit, en même temps que, sous la direction du Père Possevin, il faisait de grands progrès en sainteté. Reçu docteur avec les plus grands éloges du célèbre jurisconsulte Pancirole, François revint en Savoie en 1592.

Retour en Savoie et ordination (1593)

M. de Boisy songea immédiatement à établir le fils dont il était si justement fier. Mais celui-ci déclina les projets de mariage et les offres d’un siège au sénat de Chambéry, et par ces refus fut amené à révéler sa résolution d’être à Dieu par le sacerdoce. Alors commença une lutte pénible entre le père et le fils; enfin la foi profonde de M. de Boisy fut victorieuse de son ambition paternelle. Il donna son consentement sans réserve avec sa bénédiction. François, qui à son insu avait été pourvu, grâce à Mgr de Granier, évêque de Genève, de la haute dignité de prévôt, — ou doyen, — du chapitre cathédral, fut rapidement ordonné prêtre (le 18 décembre 1593). Dès le premier moment, il se montra non seulement digne de ses fonctions, mais, — par sa science, sa profonde et touchante piété, son zèle infatigable, sa tendre et compatissante charité, son éloquence simple, chaude et prenante, — l’honneur et le modèle de tous ses confrères.

La conversion du Chablais (1594-1598)

Il ne tarda pas à donner la mesure de toutes ses vertus dans une circonstance qui les mit en pleine valeur. Le duc de Savoie venait de reconquérir, sur les Bernois, le pays du Chablais, qu’ils lui avaient enlevé depuis 1536 et qu’ils avaient presque entièrement gagné au protestantisme. Pour le convertir, il fallait des apôtres prêts à tout, et même au martyre. François s’offrit à cette tâche ; il la remplit avec un dévouement que ne rebuta pas un insuccès de sept mois, avec un courage qui, à plusieurs reprises, affronta une mort certaine, avec une apostolique habileté qui multiplia les industries et surtout les marques de dévouement désintéressé. Enfin il eut raison des résistances les plus acharnées ; au bout de quatre ans il remettait aux mains de son évêque le pays ramené par lui à la foi. Et le vieux prélat, au comble du bonheur, salua en lui le coadjuteur que Rome lui accordait et aux mains de qui il remettrait avec confiance le gouvernement de son peuple.

Évêque de Genève (1602), prédicateur doux, charitable et zélé

Le jour vint bientôt, de fait, où François lui succéda. Mgr de Granier mourait le 17 septembre 1602, laissant le souvenir de belles vertus et particulièrement de la plus sainte pauvreté. Sacré le 8 décembre suivant, fête de l’Immaculée Conception, son coadjuteur donnerait des exemples plus admirables encore. Il ne vécut que pour son église et spécialement pour  les plus petits, les plus malheureux et les plus misérables enfants de cette église. Il avait enjoint aux prêtres et aux religieux d’Annecy, sa résidence, d’envoyer à son confessionnal non seulement les pauvres et les misérables pour qu’il les consolât et les secourût, mais encore les personnes atteintes de quelque maladie infecte qui blessait la vue ou l’odorat. « Ce me sont roses, » disait-il. Mais ce n’était pas seulement à l’église qu’il recevait ceux qui désiraient une audience : sa demeure était toujours ouverte à tous les visiteurs, quels qu’ils fussent. Un gentilhomme était venu de Normandie lui proposer quelques cas de conscience. Il frappa à la porte au moment où l’évêque se mettait à table ; sans retard il fut admis ; il fut écouté pendant dix, heures d’horloge. En vain le moment (du souper arrive, on avertit l’évêque, on lui envoie message sur message : « Nonne anima plus est quam esca? Une âme ne vaut-elle pas plus qu’un souper? » répond-il aimablement. Et rien ne trahit en lui l’impatience ou la lassitude. Il ne se donnait pas moins aux foules, distribuant la parole divine avec une sorte de prodigalité. Déjà, à peine était-il prêtre, son père lui en faisait un reproche.

« Un jour, racontait-il, mon bon père me prit à part et me dit : « Prévôt, tu prêches trop souvent! J’entends, même en des jours ouvriers, sonner le sermon et toujours on me dit : C’est le prévôt, c’est le prévôt… Tu rends cet exercice si commun, qu’on n’en fait plus de cas et on n’a plus autant d’estime de toi. » Mais non, l’estime au contraire s’augmentait. Partout, en Savoie, en France, à Chambéry comme à Paris, où il passa l’année 1618 et prêcha trois cent soixante-cinq fois, on demandait à entendre cette parole qui par sa simplicité, sa grâce comme par sa forte et solide doctrine et sa persuasive piété, tranchait sur l’éloquence emphatique et subtile à la mode en ce temps. On ne se lassait pas de l’entendre, mais surtout à l’entendre on devenait meilleur.

Rencontre avec sainte Jeanne de Chantal (1604)

C’est au cours d’une station de Carême qu’il donnait à Dijon en 1604 que Dieu le mit en rapports avec celle qui devait être sa fille d’élection et, avec lui, fonder l’ordre de la Visitation. Il la reconnut au pied de sa chaire, sans l’avoir jamais vue, car une vision lui avait montré les traits de Jeanne-Françoise de Chantal (1572 – 1641) en lui révélant les desseins de Dieu sur elle. Avec une prudence toute céleste, une pitié attentive aux premières faiblesses, une énergie toute détrempée de tendresse, un zèle qui ne tolérait aucune défaillance, enfin dans une paix suave qui réprimait tout empressement et se nourrissait d’indifférence sereine, il la mena doucement et vigoureusement à la perfection où Dieu  l’appelait. Tels furent toujours, et pour tous et toutes, les caractères de sa direction. Hommes de cour ou de guerre, grandes dames ou religieuses ou femmes du peuple, il leur dépensait les trésors de sa pensée et de son cœur, fort dans sa tendresse et tendre dans ses plus rigoureuses exigences. Selon sa comparaison, il excelle à présenter aux lèvres la coupe la plus amère en parfumant ses bords d’un miel embaumé. Dans sa correspondance infinie, dans le Traité de l’Amour de Dieu, écrit pour ses chères filles de la Visitation, dans l’Introduction à la Vie dévote, composée d’abord de lettres adressées à Mme de Charmoisy, et véritable code de la piété dans le monde, c’est toujours par la séduction de son sourire paisible qu’il appelle, qu’il engage, qu’il force aux plus vaillantes résolutions.

Mort en odeur de sainteté (1622)

Au mois de novembre 1622, le duc de Savoie convoqua le saint évêque à l’accompagner à Avignon, où il voulait saluer le roi Louis XIII. Saint François de Sales partit, quoiqu’il se sentît bien fatigué ; il pensait obéir à Dieu en obéissant à son souverain. Mais quand il revenait de ce voyage, où la vénération des peuples lui avait partout fait cortège, à Lyon, le 27 décembre, il fut frappé soudain d’apoplexie ; néanmoins la connaissance ni la parole ne lui furent point enlevées. Jusqu’au dernier moment il supporta avec sa patience ordinaire les tourments qu’inventèrent les médecins dans l’espoir de l’arracher à l’envahissement du mal. Enfin, au soir de la fête des Saints Innocents, dont son âme, pure comme la leur, avait toujours eu la grâce, il rendit dans la paix son âme à Dieu, en disant : « Jésus ! »

Notice récapitulative


Canonisation

Bulle ou décret de la canonisation de saint François de Sales, prince et évêque de Genève, du pape Alexandre VII (19 avril 1665).


Docteur de l’Eglise

Décret Urbis et Orbis de la sacrée congrégation des rites : Première déclaration du Doctorat de saint François de Sales (19 juillet 1877).

Bref du pape Pie IX élevant saint François de Sales à la dignité de docteur de l’Eglise (1877)


Méditations sur saint François de Sales

Méditation du Père Hamon

Méditation de saint Alphonse de Liguori


Un précurseur de l’œcuménisme et de Vatican II ?

Comparaison entre l’exemple de saint François de Sales et la fausse doctrine de Vatican II sur les « chrétiens séparés » et le prosélytisme.

Le schisme dans le schisme

L’état actuel de la « communion orthodoxe »


Les schismatiques orientaux, que l’on appelle improprement «orthodoxes», portent bien leur nom de schismatiques : non seulement parce qu’ils sont séparés de l’unité de l’Église catholique depuis des siècles, mais aussi parce que leur mentalité et leurs constitutions contiennent le germe de dizaines d’autres schismes, et les privent de toute unité effective au sein même de leur parti. Au gré des passions nationales et politiques, de nouvelles «églises particulières» se forment, se divisent, et s’affrontent les unes contre les autres.

La notion «d’autocéphalie», qui veut dire pour une église «être sa propre tête», est un principe central de l’ecclésiologie des schismatiques orientaux. Pour eux l’Eglise fondée par Jésus-Christ est une société de constitution aristocratique, dans laquelle le pouvoir juridique et spirituel suprême appartient à certains évêques successeurs des apôtres : ils ont en général le titre de «patriarche», sinon celui de métropolite ou d’archevêque, et ont d’autres évêques sous leur juridiction. Leur idée est de dire que les patriarches sont les successeurs du «Collège des Apôtres», collège égalitaire dans lequel toute préséance ne serait qu’honorifique. Il n’y a aucun chef suprême dans cette organisation : chaque église autocéphale est entièrement autonome, au niveau juridique et même au niveau dogmatique et spirituel. Et donc, que se passe-t-il en cas de litiges entre deux patriarcats, ou de problèmes de juridiction internes ? Qui serait capable de restaurer l’ordre dans l’Eglise universelle ? Qui a le pouvoir de déterminer les contours de l’autocéphalie, ou d’ériger de nouveaux patriarcats ? Bonne question … La réponse est simple : rien ni personne n’est en mesure d’assurer l’ordre et l’unité entre ces différentes «églises autonomes», ni non plus de définir ce qui fonde juridiquement l’autocéphalie, il suffit pour s’en convaincre d’observer l’état actuel du monde «orthodoxe». Les dissensions et les schismes se multiplient, et s’aggravent avec le temps qui passe : nous nous proposons ici de les recenser, de manière non exhaustive (il faudrait maîtriser les langues des pays concernés pour être mieux informés de leur «actualité religieuse»), afin d’illustrer le caractère désastreux de cette doctrine de «l’autonomie ecclésiastique».

En théorie, personne n’a autorité pour décider qui est autocéphale ou qui dépend de quelle juridiction : une certaine coutume fait du patriarche de Constantinople l’autorité morale garante de l’ensemble de la «communion orthodoxe» et habilitée en dernière instance à régler les conflits de juridiction, mais cette coutume est contestée et les Russes en particulier la considèrent comme obsolète. En pratique, c’est l’autorité civile qui décide ou qui fait pression : les différentes juridictions autocéphales et les différents «schismes internes» sont purement et simplement le reflet de la situation politique des territoires concernés. Le césaropapisme du temps de l’empire byzantin est toujours présent dans la vie de ces «églises orthodoxes» : leur soumission plus ou moins totale aux autorités temporelles influe sur tous les domaines de la vie ecclésiale.

C’est encore un sujet sur lequel l’histoire du christianisme démontre la supériorité intrinsèque de la religion catholique et des principes de son ecclésiologie, par rapport à ceux des soi-disant orthodoxes : la primauté du Pape dans l’Eglise, et la primauté du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, sont les deux principes qui ont fait fleurir la chrétienté du Moyen-Age, qui ont donné naissance à une société si propice à la vie religieuse et aux œuvres de bien pour la gloire de Dieu. Il n’y aurait sans doute pas autant de saints dans le calendrier si saint Grégoire VII, la bête noire des schismatiques, des protestants et des gallicans qui en font un «horrible tyran», n’avait pas défendu avec autant de courage et de fermeté la primauté pontificale. Mais cela est encore un autre sujet : contentons-nous pour le moment de montrer les schismes internes aux schismatiques.

Bartholomée de Constantinople et Cyrille de Moscou.
Source de l’image : https://www.cath.ch/newsf/eglises-orthodoxes-russes-en-europe-pas-la-majorite-des-2-3-pour-rejoindre-moscou/

  • Schisme russo-ukrainien. Au jour du 15 octobre 2018, le patriarcat de Moscou rompt la communion avec le patriarcat œcuménique de Constantinople. Le conflit entre les deux juridictions, qui se disputent en quelques sortes la primauté symbolique sur l’ensemble des «orthodoxes» (avec la théorie très populaire faisant de Moscou la «Troisième Rome»), était larvé depuis des siècles : à présent, le schisme est officiel. C’est de loin le schisme le plus considérable des derniers siècles, étant donné le poids démographique et symbolique de la Russie dans le « monde orthodoxe », et la place qu’occupe la Russie sur la scène internationale. La « communion orthodoxe » de Constantinople perds d’un seul coup 50 à 60% de ses membres. Par ailleurs d’autres juridictions autocéphales prennent parti pour les Russes, ou affichent une position mitigée entre les deux camps, ce qui brouille encore les lignes de la « communion orthodoxe ». [1]
    • L’Eglise orthodoxe d’Albanie rejoint franchement le schisme russe, en signifiant sa rupture de la communion par une lettre adressée au patriarche de Constantinople le 14 janvier 2019 et rendue publique le 7 mars 2019. [2]
    • L’Eglise de Serbie joue double jeu. Traditionnellement très russophile, la Serbie avait condamné fermement l’érection d’une église autocéphale en Ukraine (qui fait écho à ses propres problèmes de juridiction avec le Monténégro et la Macédoine du Nord). Elle n’a pas rompu officiellement avec Constantinople pour autant, et continue de donner des gages d’amitié et de communion aux deux partis.
    • Le patriarcat de Roumanie, deuxième juridiction du « monde orthodoxe » par le nombre de fidèles (environ 20 millions) temporise également. Les Roumains se posent en observateurs critiques de la situation : ils accusent les deux partis (Moscou et Constantinople) de ne pas avoir su gérer adroitement la situation. Les Roumains reconnaissent sur le principe la légitimité de l’autocéphalie ukrainienne, mais attendent de la part du patriarcat de Kiev des garanties écrites concernant leur autorité sur les 127 paroisses roumaines situées sur le territoire ukrainien (Bucovine du nord). [3]
    • Le patriarcat de Bulgarie est fortement divisé entre ses éléments russophiles et ses éléments « non-alignés ». Certains clercs avaient vigoureusement fait campagne pour que l’Eglise de Bulgarie condamne l’autocéphalie ukrainienne, qui n’a pas été possible en raison de l’opposition de l’autre tendance. Par défaut, le synode bulgare a pour l’instant une position de neutralité. Cette crise est le reflet de la division entre un parti russophile et un parti européiste au sein de la population bulgare, qui se manifeste jusqu’au sein du haut clergé. [4]
    • Le patriarcat de Géorgie, qui vit dans un climat d’hostilité ou du moins de froideur vis-à-vis de Moscou, n’a pas pour autant pris publiquement position sur la question du schisme ukrainien : le patriarche a pris soin de démentir une rumeur selon laquelle il s’apprêtait à reconnaître la légitimité de l’autocéphalie ukrainienne. Le patriarche géorgien n’avait pas pris part au grand « concile panorthodoxe » de 2016, ce qui montre par ailleurs la froideur de ses relations avec Constantinople. De toutes les « églises autocéphales », elle semble être celle qui se sent le moins concernée par la querelle entre Moscou et Constantinople.
    • Le métropolite de Pologne déclare craindre le « chaos » engendré par cette décision, et ne reconnaît pas la légitimité du nouveau patriarche ukrainien. [5]
    • Les patriarcats grecs d’Antioche et d’Alexandrie ont manifesté leur « grande inquiétude » vis-à-vis de la volonté de Constantinople de séparer l’Ukraine du territoire de Moscou. Un peu plus tard en 2019, un synode des évêques de quatre sièges autocéphales anciens (Antioche, Alexandrie, Jérusalem et Chypre) vise à porter la voix de « l’unité du monde orthodoxe », et entend se poser en médiateur entre Constantinople et Moscou, sur fond de message œcuméniste plus large à destination des « autres Eglises chrétiennes ». [6]
  • Schisme monténégrin. En 1993, dans le sillage de la dislocation de la Yougoslavie, des clercs monténégrins restaurent une « église autocéphale » qui n’est pas reconnue par Constantinople. Cette « Eglise du Monténégro » est reconnue par l’église d’Ukraine (le schisme ukrainien antérieur à l’autocéphalie reconnue par Constantinople), ainsi que par l’église de Macédoine. Environ un tiers de la population du Monténégro suit cette église au détriment de l’église serbe. [7]
  • Schisme macédonien. En 1967 l’archevêché d’Ohrid proclame unilatéralement son indépendance vis-à-vis de l’église serbe : il revendique l’autocéphalie et devient « l’Eglise orthodoxe de Macédoine ». Elle est la seule église reconnue par le gouvernement de Macédoine du Nord et rassemble la majorité de la population du pays.
  • Schisme tchéco-slovaque. En janvier 2014, l’élection de l’archevêque slovaque Rotislav à la tête de la « juridiction autocéphale des Terres tchèques et de Slovaquie » est contestée par d’autres évêques tchèques de cette juridiction. Les Slovaques reconnaissent Rotislav comme patriarche légitime, les Tchèques ne le reconnaissent pas et demandent à Constantinople d’arbitrer le différent. Entre temps, le slovaque Rotislav a officiellement soutenu le schisme russe et appelé à condamner toute tentative visant à « légaliser les schismatiques ukrainiens ». [8]
  • Schisme abkhaze. L’Abkhazie est un petit état du Caucase, indépendant de facto de la Géorgie depuis 1992, mais dont la souveraineté n’est reconnue que par sept autres états. La situation de guerre avec la Géorgie a abouti à l’expulsion de tout le clergé géorgien, et à l’organisation d’une vie ecclésiale de facto indépendante : en 2009 l’autocéphalie de «l’Eglise orthodoxe abkhaze» est déclarée unilatéralement, et n’est reconnue ni par le patriarcat géorgien ni par le patriarcat russe. Un schisme apparaît au sein même de ce schisme : le «Saint Métropolitanat d’Abkhazie» fait concurrence à «l’Eglise orthodoxe abkhaze», et parvient à se placer sous la protection canonique de Constantinople, tandis que le second groupe dépends de manière officieuse de la Russie. [9]
  • Schisme antiochien. En 2015, le patriarcat d’Antioche rompt la communion avec le patriarcat de Jérusalem, avec lequel il se partage les différents pays du Moyen-Orient, à la suite d’un différend qui les a opposés concernant la juridiction du Qatar. [10]
  • Schisme américain. En 1970, le patriarcat de Moscou reconnaît l’autocéphalie de «l’Eglise orthodoxe en Amérique». Fort contestée, cette autocéphalie est notamment refusée par Constantinople, et n’est reconnue que par les juridictions qui se trouvaient à l’époque sous influence russo-soviétique : les églises bulgare, géorgienne, polonaise et tchéco-slovaque.
  • Schisme français. La situation de « l’Eglise catholique orthodoxe de France » (ECOF), petit groupe d’environ 4000 fidèles, semble illustrer l’absurdité qu’il y a pour des ressortissants de nations catholiques à vouloir « rejoindre la communion orthodoxe », étant donné que nul ne sait dire ce qui définit réellement cette communion. Elle est fondée par le prêtre moderniste Louis-Charles Winnaert, qui avait apostasié de la religion catholique en 1919 et avait depuis erré entre les anglicans, les vieux-catholiques et les occultistes théosophiques de «l’Eglise catholique libérale». Winnaert développe à partir de 1927 le souci de rejoindre la «communion orthodoxe» tout en ayant une expérience religieuse authentiquement «gallicane» : il invente un «rite des Gaules», et veut se placer sous les hospices de la Russie tout en maintenant cette identité particulière. Son «église» est reconnue par le patriarcat de Moscou entre 1936 et 1953. Puis l’ECOF se place en 1957 sous la juridiction de «l’Eglise orthodoxe russe hors frontières», qui était le schisme des clercs russes qui avaient préféré l’exil à la domination du communisme. En 1966 cette communion est rompue. Toujours à la recherche d’une protection canonique, l’ECOF se met finalement sous l’égide du patriarcat de Roumanie en 1972 : elle devient un diocèse de cette juridiction. Mais en 1993, le patriarcat de Roumanie rompt la communion avec l’ECOF. Elle semble être depuis lors dans une sorte d’autocéphalie de facto … Qui voudrait se «convertir à l’orthodoxie» en France aurait alors le choix entre ce groupe, d’autres groupes français étranges et sans reconnaissance canonique comme «l’Eglise orthodoxe celtique», et des dizaines d’autres paroisses ethniques, qui dépendent des différentes juridictions autocéphales : église russe, église de Constantinople, église roumaine, église serbe, église bulgare, etc … qui peut-être ne s’estiment pas toutes en communion les unes avec les autres.

Voici donc le modèle de « synodalité » auquel nous convient Vatican II et les modernistes, qui fustigent la « tyrannie pontificale » et le « centralisme romain », tout comme leurs amis les schismatiques. Ceux-ci ressemblent à des enfants qui, s’étant soustraits à l’autorité de leur père, se sentent soulagés et libres de faire tout ce qui leur plaît : ces enfants donc commencent à se disputer et à se déchirer entre eux de manière interminable, personne n’ayant à leur yeux une autorité légitime pour arbitrer les différents, et pour ramener chaque membre de la famille à la considération du bien commun et de l’unité. Ils devraient plutôt comprendre que se soumettre à un père n’est pas une torture ou un empiétement sur nos droits fondamentaux, même si cela demande un peu d’humilité et d’abnégation : il s’agit d’une nécessité harmonieusement ordonnée au bien du tout et des parties. Dieu a voulu que l’Eglise ait un père en la personne de saint Pierre et de ses successeurs : l’humble soumission au pontife romain a toujours été un principe de paix, d’ordre, d’unité et de sainteté pour des générations de chrétiens fidèles, à commencer par la génération des Pères de l’Eglise, et il est vraiment pénible de voir de plus en plus de «catholiques», ignorants de leur propre histoire, faire leurs les reproches amers et injustifiés des schismatiques contre Rome.

La «collégialité» des conciliaires n’est qu’une version un peu améliorée de cette fausse ecclésiologie : elle inclut la primauté réelle (et pas simplement honorifique) de juridiction de l’évêque de Rome, successeur de saint Pierre, mais la réduit beaucoup et augmente en contrepartie le pouvoir et l’autonomie de chaque évêque diocésain. L’Eglise des collégialistes est une sorte de monarchie parlementaire, ou moins que cela, car le pape n’est que «le premier du Collège des évêques», Collège qui devient, dans cette nouvelle doctrine, sujet de pouvoir plénier et universel sur l’Eglise. Chaque évêque recevrait directement son autorité de Dieu, par le biais du sacre épiscopal : cela rapproche beaucoup les conciliaires des schismatiques et de leur doctrine de l’autocéphalie. La véritable eccésiologie catholique n’enseigne pas du tout cela : l’Eglise est une monarchie absolue, fondée sur saint Pierre par Jésus-Christ comme nous le voyons dans l’évangile, dans laquelle toute juridiction relève du pape en dernière instance. La doctrine de l’Eglise est que la juridiction de l’évêque résident vient directement du Pape, par le «mandat romain», et non pas du sacre épiscopal (qui confère la plénitude du sacerdoce, mais pas de juridiction particulière). Et au delà de la question de l’origine de la juridiction épiscopale, il n’y a aucun domaine dans lequel un évêque pourrait résister à la juridiction suprême du Pape (contrairement à ce qu’affirmaient les gallicans de la Petite-Église, qui eux défendaient cette fausse théorie d’une juridiction autonome venant du sacre épiscopal : c’est en soi un principe infini de schisme, si chaque évêque pouvait décider que le pape empiétait sur ses droits propres et refuser de lui obéir).

Contempler les divisions interminables du monde « orthodoxe » est un moyen efficace de considérer, par comparaison, à quel point la constitution divine de l’Eglise, qui fait de cette société une monarchie absolue, est pleine de sagesse et est vraiment propre à procurer le bien des fidèles et l’unité du monde chrétien. Ceux qui prétendent que l’Eglise catholique doit s’inspirer des «orthodoxes» et de leur «synodalité» pour réaliser l’idéal de l’unité du monde chrétien s’aveuglent complètement : seule la soumission commune au successeur de saint Pierre pourrait être un véritable principe d’unité, et l’Eglise avant Vatican II n’a jamais entendu l’«œcuménisme» autrement que comme le retour dans la communion romaine des chrétiens séparés. Puissions-nous le comprendre et le vivre : prions chaque jour pour le retour des égarés dans la véritable Église, et pour que cette Eglise retrouve un chef visible qui soit capable de ramener les brebis à l’unité.

Jean-Tristan B.


[1]https://www.la-croix.com/Religion/Orthodoxie/Entre-Moscou-Constantinople-monde-orthodoxe-divise-2018-10-19-1200977224

[2]https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=https%3A%2F%2Fmospat.ru%2Ffr%2F2019%2F03%2F09%2Fnews171254%2F#federation=archive.wikiwix.com

[3]https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/mediateur-ou-spectateur-l-eglise-orthodoxe-roumaine-face-au-conflit-politico-religieux-en-ukrain

[4]https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/l-eglise-orthodoxe-bulgare-face-l-autocephalie-de-l-eglise-orthodoxe-d-ukraine

[5]https://www.la-croix.com/Religion/Orthodoxie/nouvelle-Eglise-dUkraine-fait-peur-orthodoxes-polonais-2019-01-08-1200993950

[6]https://www.terresainte.net/2019/04/unite-des-primats-dalexandrie-antioche-jerusalem-chypre/

[7]https://journals.openedition.org/balkanologie/595

[8]https://en.wikipedia.org/wiki/Rastislav_(Gont)

[9]https://fsspx.news/fr/news-events/news/un-schisme-intra-orthodoxe-69832

[10]https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Actualite/Monde/Le-Patriarcat-orthodoxe-d-Antioche-rompt-la-communion-avec-le-Patriarcat-de-Jerusalem-2015-07-09-1332919

Les miracles de Jésus-Christ

Nous avons vu que les Évangiles jouissaient d’une parfaite intégrité (le texte n’a pas été altéré dans son fond depuis sa rédaction), d’une totale authenticité (les auteurs sont bien les premiers disciples de Jésus qui ont écrit sur lui au 1er siècle, peu de temps après sa mort) et d’une indiscutable véracité (Les récits évangéliques sont vrais et les auteurs dignes de confiance). Avec constance, Jésus s’est affirmé envoyé de Dieu, Messie, Fils de Dieu, Dieu lui-même. Dans la section consacrée à l’étude de la personne même de Jésus, nous avons vu à quel point sa physionomie, sa doctrine et sa conduite étaient ravissantes, en bonté, en vérité et en beauté. Ces seuls critères permettent à tout un chacun de conclure à la divinité de Jésus-Christ et de sa religion, par conséquent à la nécessité de se faire son fidèle disciple. 

En effet, Jésus possède une science merveilleuse et une intelligence lumineuse. Il n’a pas pu se tromper en des domaines aussi graves que la nature et la volonté Dieu, la destinée des hommes, les obligeant à réformer leur vie et à tout abandonner pour le suivre ; ceci pendant trois ans et sans relâche aucune ! Il aurait prêché une chose qu’il savait fausse ou indémontrable, cela démontrerait un défaut d’intelligence et une grande perversité morale. Il eût commis des crimes contre Dieu en usurpant ses droits, contre les hommes en les trompant, contre lui-même en s’exposant à la damnation. Au contraire, ses amis comme ses ennemis admettent la merveille, l’unité et l’harmonie de sa doctrine, des dogmes et des préceptes qu’il a enseignés avec prudence et régularité. Jésus a fait preuve d’une sainteté héroïque envers Dieu, en l’honorant avec amour, envers le prochain en l’irradiant de sa bonté, de sa charité et de ses conseils avec douceur et fermeté, envers lui-même en pratiquant l’humilité, l’obéissance et la mortification. Sa science éminente est incompatible avec l’erreur, le doute et le balbutiement hasardeux du discours. Il savait donc tout ce qu’il disait et en mesurait pleinement la portée. Son éminente sainteté est incompatible avec l’hypocrisie, le mensonge et l’ambition personnelle. Il disait donc toujours la vérité avec une franche sincérité. Admettre sa science et sa sainteté et nier sa divinité, c’est se confiner à défendre une absurdité. Il se dit Fils de Dieu, c’est qu’il l’est. D’autre part, pourquoi avoir persévéré avec une telle constance et une telle humilité dans une doctrine qu’il savait fausse alors même que cette doctrine était pour lui-même un sujet de persécution et de condamnation ? Enfin, nous avons vu que le miracle ne pouvait avoir que Dieu pour cause. De plus, nous savons que Dieu est la Vérité même. Or, cette science et cette sainteté miraculeuses et uniques dans toute l’histoire de l’humanité auraient-elles été soutenues par Dieu si le message de Jésus était faux ? Non, évidemment.

Mais nous pouvons ajouter des preuves externes et plus impressionnantes pour les sens. Jésus lui-même les a utilisés afin de montrer de manière irrécusable sa divinité. Ce sont les miracles d’ordre physique. Si Jésus a véritablement opéré de tels miracles, alors Dieu était avec lui, c’est une conclusion que nous sommes contraints de tirer, comme nous l’avons déjà montré précédemment. Or, si Dieu était avec Jésus, ce que Jésus a dit est vrai et nous devons embrasser sa religion. Voyons ceci plus en détails. 

Les miracles d’ordre physique opérés par Jésus

I. Les faits miraculeux attribués à Jésus.

Nous verrons d’abord ceux que Jésus a accomplis sur les corps, c’est-à-dire les miracles d’ordre physique ; il suffit de lire l’Évangile pour voir qu’ils furent très nombreux, et encore, saint Jean nous avertit qu’ils sont loin d’être tous racontés dans ce livre (Saint Jean, XXI, 25). Ils furent aussi mêlés à tous les évènements de la vie du Maître, donnés comme preuve de ses enseignements, et entrent, comme des parties indispensables, dans la trame du récit.

A. Jésus opéra des miracles sur les éléments de la nature : 

  • Changement de l’eau en vin aux noces de Cana (Saint Jean, II, 1, 11) ; 
  • Tempête apaisée (Saint Matthieu, VIII, 24, 26) ; 
  • Marche sur les flots (Saint Matthieu, XIV, 25) ; 
  • Deux pêches miraculeuses (Saint Luc, V, 1, 11 ; Saint Jean, XXI, 3, 11)
  • Les deux multiplications des pains, le figuier desséché, etc.

B. Il en opéra un bien plus grand nombre sur le corps humain :

  1. Soit pour opérer des guérisons de malades, de lépreux, de paralytiques, de sourds-muets, d’aveugles, d’hydropiques ;
  1. Soit pour en chasser les démons, esprits mauvais qui les possédaient et les torturaient (par exemple : Saint Luc, VIII, 33, 37 ; Saint Marc, V, 1, 2, 20 ; IX, 14, 29) ;
  1. Soit, enfin, pour opérer des résurrections, exerçant ainsi sa puissance sur la mort elle-même. L’Évangile rapporte trois résurrections :
  • Celle du fils de la veuve de Naïm (Saint Luc, VII, 11, 17) ;
  • Celle de la fille de Jaïre, chef de la Synagogue (Saint Matthieu, IX, 18, 26 ; Saint Marc, V, 21, 43 ; Saint Luc, VIII, 40, 56) ;
  • Celle de Lazare à Béthanie (Saint Jean, XI, 1, 44).

N.B. – On pouvait ajouter les miracles opérés par Dieu à l’occasion de Jésus : à sa naissance (apparition des anges et de l’étoile) ; à son baptême (voix du Père et manifestation du Saint-Esprit par une colombe) ; à sa Transfiguration (le fait même et l’apparition de Moïse et d’Élie) ; à sa mort –ténèbres, voile du Temple déchiré, résurrection des morts) ; à sa résurrection et à son ascension (apparition d’anges).

II. Ce qu’il faut penser de ces faits.

Après ce qui a été dit dans la section sur les miracles en général, il nous suffira de montrer ici la vérité historique, théologique et apologétique des faits miraculeux rapportés dans l’Évangile et attribués à Jésus. Pour cela, nous n’aurons qu’à appliquer les principes donnés à ce propos. 

1. Vérité historique

Ces faits sont certains historiquement. Ce sont des faits réels qui nous ont été rapportés tels qu’ils ont eu lieu. 

A. Les faits ont été dûment constatés. En effet, ce sont des faits :

a) sensibles, extraordinaires, donc faciles à constater ; (Les faits, si ils sont extraordinaires, s’entourent cependant toujours de circonstances bien précises et d’une entière simplicité. En effet, les faux miracles, les supercheries, les mythes païens ou certains récits apocryphes (les récits évangéliques qui ne sont pas approuvés par l’Eglise et donc ne sont pas inspirés par Dieu, n’ont pas leur place dans la Sainte Écriture) sont toujours entourés de circonstances (temps, lieu, coutumes, culture, etc.) très vagues et souvent incohérentes. De plus, ils relèvent souvent bien plus du sensationnel qui flatte la curiosité et joue sur l’imagination que d’une profonde simplicité au service d’une cause noble et juste. Les récits évangéliques sont empreints de cette précision (ils correspondent aux travaux archéologiques, à la culture et aux coutumes de l’époque, aux temps et aux lieux historiques, etc.) et de cette simplicité : rien n’est superficiel, rien n’est ajouté pour flatter la vanité, rien n’est sur-joué et farfelu, tous les détails racontés ont toute leur place et aucun détail inutile ne trouve la sienne. Jésus, par humilité, demande même parfois que ces miracles ne soient pas connus. Rien de commun avec un imposteur. Enfin, les faits sensibles et extraordinaires qui sont en dehors du cours ordinaire des choses sont vérifiables et expérimentés encore aujourd’hui. L’image unique du saint-suaire est miraculeuse. Les miracles de Lourdes ne peuvent être remis en cause, pas plus que les miracles qui eurent lieu lors de l’apparition de Fatima en 1917 au Portugal. Ce sont les plus connus, mais de très nombreux faits miraculeux dûment constatés parsèment l’histoire. Ces faits incontestables ont eu lieu. Or, même sans émettre d’hypothèse sur leur origine et leur but, leur réalité historique suffit pour ne jamais nier a priori et sans examen un miracle. Donc, l’historicité des miracles opérés par Jésus ne peut être mise à mal par une simple négation de principe qui sent plus la mauvaise foi et la négligence que l’amour de la vérité et l’humilité.)

b) d’importance et de conséquences graves, donnés comme preuves à une doctrine élevée, difficile et austère : donc on y aura fait grande attention avant de les accepter (on ne pouvait se contenter de dire : « ah oui impressionnant ce miracle, bravo vraiment je vous félicite », puis continuer son chemin comme si de rien n’était ! Si ce miracle était réel, il impliquait que la doctrine de Jésus venait de Dieu et était vraie et par conséquent qu’il fallait changer entièrement de vie. Dans une semblable situation et avec des circonstances si graves, il était impossible de laisser place au doute, l’examen du miracle devait être soumis à un examen rigoureux et à une réflexion sérieuse.)

c) opérés publiquement, en présence d’adversaires (par exemple : la guérison de l’aveugle-né, du paralytique, la multiplication des pains, la résurrection de Lazare). (Or, aucune protestation contre la réalité de ces faits n’a eu lieu à l’époque. Nous ne retrouvons nulle trace, nul document qui attesterait d’une quelconque remise en cause de la réalité de ces faits ! Même les adversaires de Jésus-Christ, l’historien juif Flavius Josèphe par exemple, n’ose pas nier la réalité historique de ces miracles, ils se contentent naïvement de les attribuer au démon. Cette attribution est évidemment vaine, eu égard aux principes que nous avons énoncés dans la section générale sur les miracles. La foule était à chaque fois nombreuse, composée de divers peuples qui ont par la suite diffusé ces miracles dans leurs contrées et sont parfois morts pour en défendre l’authenticité. Enfin, êtes-vous capables de citer un seul et unique exemple de faits miraculeux opérés en public et ayant conquis une foule si nombreuse qu’elle a formé une immense société religieuse aux quatre coins du monde, société dont la croissance s’est faite avec une doctrine de paix, de renoncement et d’amour, hormis celui de Jésus-Christ et de ses disciples en religion ? Si une personne quelconque essayait de faire des miracles ou de tromper les gens en leur faisant croire à ses miracles, serait-elle suivit ? Pourrait-elle être à l’origine d’une religion organisée, cohérente, florissante et féconde en sainteté ? D’une religion qui prêche le renoncement et les efforts ici-bas pour une récompense au ciel ? Qui impose l’amour des ennemis, tendance qui paraît si contraire à la manière dont le genre humain a toujours agi ? Pourrait-elle s’être attaché une foule immense de fidèles disciples prêts à mourir pour lui et pour sa doctrine, avec constance à travers le temps et l’espace ? Ce faussaire pourrait-il avoir des apôtres et des martyrs, tous exemplaires en droiture et en honnêteté, tous désintéressés, raisonnables et équilibrés, plein d’humilité et d’amour de la vérité, qui donneraient leur vie pour lui ? En tout cas, nous n’en avons aucun exemple historique. Le seul est celui de Jésus-Christ. Les faussaires sont souvent des déséquilibrés qui créent des sectes et exploitent les pauvres gens crédules ou en détresse. Ils ne produisent aucun fruit et ne jouissent d’aucune crédibilité sérieuse. Mahomet n’a fait aucun miracle constatable et a répandu sa doctrine charnelle et facile à suivre par les armes. Jésus-Christ, galiléen, sans naissance et sans richesse, né dans une humble famille de Nazareth, petit hameau sans ressources dont les habitants étaient méprisés par les judéens et les élites juives, porteur d’une doctrine de renoncement, de paix et d’amour qui visait plutôt le ciel que la terre, est aujourd’hui l’homme le plus connu de l’humanité, celui dont l’on chante le plus haut les louanges, celui pour qui l’on érige temples les plus glorieux et au nom de qui l’on fait les actions les plus saintes. Il y aurait disproportion patente entre cet effet si gigantesque en magnificence et en fruits de bonté et cette cause si humble et si petite qu’est l’enfant de la grotte de Bethléem. Seule l’assistance de Dieu et la réalité publique des miracles peuvent expliquer cela. Donc Jésus-Christ a bien opéré des miracles en public, miracles dûment constatés et dûment diffusés. Ô bonté de Dieu !)

B. Les faits ont été véridiquement transmis. Ils sont contenus dans les évangiles, dont la véracité a été démontrée. La fidélité dans la transmission du récit est garantie, d’ailleurs :

a) par l’importance des faits et la place de premier plan qu’ils occupent dans l’ouvrage ;

b) par les preuves de sincérité des narrateurs (simplicité, précision du récit, héroïsme calme jusque dans le martyre) ;

c) par le soin et la surveillance dont amis et adversaires ont entouré ce livre.

2. Vérité théologique.

Ces faits sont vraiment des miracles. Les faits innombrables, allégués comme tels en l’Évangile, sont de vrais miracles, ayant Dieu seul comme cause principale et propre et opérés par Lui en dehors du cours ordinaire des choses.

A. Arguments positifs (constatation directe d’une action divine extraordinaire) :
  1. Les faits énoncés comme miraculeux dans l’Évangile s’opposent aux lois de la nature, clairement connues sur ces points : par exemple, la résurrection d’un cadavre, la guérison subite d’un aveugle-né sans moyen approprié ;
  2. Il n’y a dans les récits de l’Évangile que des circonstances en lesquelles jamais le fait ne se produit selon le cours ordinaire des choses ; la cause (par exemple : une parole, un geste) est sans aucune proportion naturelle avec l’effet ;
  3. Le sujet aussi est impuissant à recevoir l’effet. La disproportion existe soit pour recevoir l’effet lui-même (par exemple : le cadavre, pour recevoir la vie) ; soit pour recevoir cet effet instantanément (par exemple : changement instantané de l’eau en vin). Pour les résurrections, d’autres arguments encore seront donnés à propos de la résurrection de Jésus lui-même.
B. Arguments négatifs (par exclusion des causes inférieures à Dieu).
  1. Les miracles de Jésus ne sont pas explicables par les forces naturelles cachées et encore inconnues. Les causes naturelles agissent toujours suivant un déterminisme rigoureux (les mêmes causes, dans des circonstances identiques, produisent les mêmes effets). Or, dans les narrations évangéliques :
  • Parfois des causes et des circonstances naturellement différentes amènent le même effet (des aveugles, par exemple, sont guéris tantôt par une simple parole, tantôt par un attouchement) ;
  • Ailleurs, le même moyen (une simple parole) produit des choses aussi différentes que sont une résurrection et l’arrêt subit d’une tempête ;
  • Ailleurs encore, aucun moyen n’est employé (par exemple, dans le miracle de Cana), et l’effet se produit.
  1. Il faut de même exclure toute explication par des phénomènes hypnotiques. Tout le démontre impossible :

1° soit les œuvres elles-mêmes, qui souvent sont totalement disproportionnées, par exemple les résurrections et les miracles sur les choses ;

2° soit le mode opératoire : ici, il est souvent nul ou très varié, alors que la technique hypnotique est minutieuse et précise ;

3° soit les sujets, qui sont très divers, et non pas spécialement choisis comme nerveux : les miraculés de Jésus ne sont pas des « médiums » ;

4° soit le caractère instantané des guérisons, qui n’existe jamais dans les cas d’hypnotisme, de l’aveu même des spécialistes de la psychothérapie.

  1. Exclusion du démon :

1° Il faut d’abord remarquer que, dans beaucoup de miracles de Jésus, le démon se combattait lui-même (expulsions des démons) ;

2° Jésus fait des œuvres que le démon est radicalement incapable de faire (résurrections) ; ou que Dieu ne laisserait pas faire au démon parce qu’elles troubleraient les lois de la nature (par exemple : la marche sur les eaux.)

3° D’ailleurs, aucune empreinte de mal n’apparaît, ni en Jésus lui-même, ni en ses miracles, comme il le faudrait s’ils étaient diaboliques. Au contraire, Notre-Seigneur est très saint et sa doctrine est irréprochable. Tout s’oppose donc à ce qu’il soit l’instrument du démon.

Il est donc nécessaire d’admettre que les faits attribués à Jésus et opérés par Lui sont des faits en dehors du cours ordinaire des choses et exigent une intervention spéciale de Dieu lui-même.

3. Vérité apologétique.

Ces miracles sont faits pour prouver la divinité de Jésus et de sa doctrine. Ces évènements, réels et vrais miracles sont faits dans un but déterminé : prouver la divinité de la révélation chrétienne et de Jésus lui-même. Ils sont mis en relation de preuve à thèse avec cette révélation.

A. Relation explicite.
  1. Pour tous les miracles de Jésus en général :

1° Jésus met une relation générale de preuve à thèse entre sa doctrine et sa personnalité divine, d’une part, et tous ses miracles, ses œuvres, d’autre part : « Croyez à mes œuvres », dit-il sans cesse. « Les œuvres propres à mon Père et que je fais témoignent pour moi. » « Allez, rapportez ce que vous voyez et entendez : les aveugles recouvrent la vue ; les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés ; les sourds entendent ; les morts ressuscitent. » (Saint Matthieu, XI, 5 ; Saint Jean, V, 36 ; X, 25 ; X, 37, 38 ; XIV, 12 ; XV, 22, 24, etc.)

2° A son appel, ou, mieux, à son commandement (fait en son nom propre, d’ailleurs), le miracle se produit aussitôt.

3° Aucune intention spéciale de Dieu, différente de celle indiquée par Jésus ou s’y opposant, n’est manifestée et n’apparaît pour les miracles du Christ. Dès lors, les trois conditions nécessaires pour la valeur apologétique des miracles sont remplies dans ceux de Jésus ; ils prouvent donc la divinité de ses enseignements et, aussi comme Il l’affirme, la divinité de sa personne.

  1. Spécialement cette mise en relation est extrêmement lumineuse :

1° Dans la guérison de l’aveugle-né : « Crois-tu au Fils de Dieu ? » (Saint Jean, X, 36.)

2° Dans la guérison du paralytique : « Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme peut remettre les péchés. » (Saint Marc, II, 10, 11.)

3° A la résurrection de Lazare (Saint Jean, XI), où des affirmations très nettes sont répétées plusieurs fois (Lire le chapitre entier de saint Jean. Par exemple : 

« Jésus leur dit : Cette maladie (celle de Lazare) ne va pas à la mort ; mais elle est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle. » (Saint Jean, XI, 4.) 

« Marthe, la sœur du mort, lui dit : Seigneur, il sent déjà mauvais ; car il y a quatre jours qu’il est là. Jésus lui dit : Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? Ils enlevèrent donc la pierre. Et Jésus, levant les yeux en haut, dit : Père, je vous rends grâces de ce que vous m’avez écouté. Pour moi, je savais que vous m’écoutez toujours ; mais je parle ainsi à cause du peuple qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est vous qui m’avez envoyé. Ayant dit cela, il cria d’une voix forte : Lazare, viens dehors. Et aussitôt le mort sortit, ayant les pieds et les mains liés de bandes, et le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : Déliez-le, et laissez-le aller. Beaucoup donc d’entre les Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et de Marthe, et qui avaient vu ce qu’avait fait Jésus, crurent en lui. » (Saint Jean, XI, 39-45.)

D’ailleurs, tous les disciples l’ont bien compris ainsi et croient en Lui dès son premier miracle (Saint Jean, II, 11). Nicodème le lui dit clairement : « Maître, nous savons que vous êtes venu de Dieu pour nous enseigner, car nul ne peut faire les miracles que vous faites, si Dieu n’est pas avec lui. » (Saint Jean, III, 2). Les foules étaient dans l’admiration et disaient : « N’est-ce point là le Fils de David ? »

B. Relation implicite. La mise en rapport explicite faite par Jésus est encore confirmée de plusieurs façons :
  1. Dieu, en accordant un tel pouvoir au thaumaturge qui se dit constamment son fils unique, sanctionne cette affirmation. Si elle était fausse, Dieu soutiendrait le mensonge, ce qui est impossible.
  1. Jésus, d’ailleurs, accorde à Ses disciples le pouvoir de faire des miracles pour donner la foi en Lui (Saint Matthieu, XVI, 17 ; Saint Jean, XIV, 12). Donc les siens ont le même but.
  1. Ses miracles étaient prophétisés et réalisent ces prophéties. Il le rappelle (Saint Matthieu, XI, 5).
  1. Comme on l’a vu, Dieu fait des miracles à l’occasion de la naissance et de la mort de Jésus ou en d’autres circonstances se rapportant à Lui. Donc, Dieu s’est engagé en sa faveur. Il faut donc conclure que les miracles physiques de Jésus prouvent sa divinité. Ils en sont la « signature divine », indubitable et éclatante.

La soumission des conciliaires à l’ordre antireligieux

L’exemple du secret de la confession


6 décembre 2021, Paris. Mgr Eric de Moulins-Beaufort, président de la « conférence des évêques de France » et « archevêque de Reims », reçoit des mains du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin l’insigne de la légion d’honneur. [1]

Moins de deux mois plus tôt, le 12 octobre 2021, Moulins-Beaufort était convoqué par le même Darmanin, sommé de s’expliquer à la suite de ses propos jugés « choquants » sur le secret de la confession, tenus à l’antenne de France Info le 6 octobre : « le secret de la confession s’impose à nous … en cela, il est plus fort que les lois de la république. » [2]

La haine anticléricale des élites de notre pays, habituellement apaisée par les compromissions de Vatican II et de ses défenseurs, a aussitôt resurgi bruyamment. « Il n’y a rien de plus fort que les lois de la République dans notre pays », déclare sèchement le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal [3]. Moulins-Beaufort est aussitôt convoqué par le ministre de l’Intérieur pour clarifier ses propos. Un véritable déluge de condamnations et d’anathèmes a plu sur les propos du président de la conférence épiscopale : beaucoup de personnalités publiques prennent la parole, à commencer par le ministre de la justice Éric Dupont-Moretti qui déclare que le prêtre « doit être condamné » en cas de non-dénonciation de crimes entendus en confession. [4] Des condamnations fermes, malgré le caractère relativement anodin des propos, qui seraient compréhensible même pour des non-chrétiens : est-ce choquant de dire que les chrétiens, en tant que chrétiens, s’estiment tenus de respecter des lois et des obligations qui sont perçues comme supérieures aux simples lois civiles ? Où est donc passé le relativisme et le subjectivisme de ces braves gens ?

Moulins-Beaufort a dans un premier temps tenté d’expliquer que le secret de la confession était reconnu par la loi française comme un secret professionnel, qu’il n’était en rien attentatoire aux lois de la république. Mais cela ne fut pas suffisant pour contenter le gouvernement. S’en est suivi un odieux témoignage de lâcheté et de compromission. Cet homme, qui est censé être la première autorité morale de l’Église de France, n’a même pas été capable de soutenir publiquement cette évidence, qui est que les lois de Dieu et de son Église sont supérieures aux lois de la république. Que sont au juste les lois de la république ? Depuis quand existent-elles ? Qui les a établies, au nom de quoi ? Si l’on veut les rattacher à la Révolution française et à la déclaration des droits de l’homme, elles n’ont que 230 ans et quelques. Que sont en comparaison les lois de Dieu, qui est le créateur tout-puissant et éternel, et de son Église, qui a été fondée par Jésus-Christ il y a presque 2000 ans ? Est-ce qu’un chrétien sincère peut hésiter un seul instant, si on lui demande ce qui est le plus important entre les lois de la république et les lois de l’Église (en l’occurrence le secret de la confession), à répondre que la loi de l’Église est supérieure, et à le répondre une deuxième fois si on le somme de « clarifier ses propos » ? Encore faut-il avoir la vertu théologale de foi pour voir les choses ainsi. Voudrait-on se souvenir, en tant que catholiques, que le secret de la confession est si important dans la vie de l’Église qu’un prêtre l’a défendu au prix de sa vie, et est à présent honoré sur les autels comme un martyr de la foi ? Il s’agit de saint Jean Népomucène (v.1340-1393), torturé puis noyé à Prague sur ordre du roi de Bohême Wenceslas IV, pour avoir refusé de dévoiler les confessions de la reine.

Il aurait pourtant été simple d’expliquer, même de manière conciliante et sans apparaître nécessairement comme un « ennemi de la république », que la vie chrétienne est régie par des obligations morales et des lois qui sont supérieures aux lois terrestres, que les chrétiens sont attachés à respecter l’ordre public et les lois positives tant qu’elles n’entrent pas en conflit avec ces obligations morales supérieures. Parmi ces lois et ces obligations, le secret de la confession figure en bonne place. On ne peut pas demander à un chrétien de violer les lois de l’Église, ou demander autoritairement à l’Église de changer ses lois au gré des nécessités politiques du moment : ce serait, pour l’État, outrepasser ses prérogatives. Il aurait aussi été simple d’expliquer que l’abolition du secret de la confession ne serait pas une solution profitable au bien public et à la lutte contre la pédophilie, car un coupable n’irait jamais se confesser de crimes aussi graves s’il savait qu’il ne peut pas avoir confiance envers le prêtre pour la sauvegarde de sa réputation. De plus, l’absolution d’un péché de cette nature ne peut être donnée que si le pénitent accepte de procéder à une réparation et à une expiation proportionnée à sa faute : il faudrait, en clair, que le pénitent manifeste sa volonté de se livrer aux autorités pour purger la peine qu’il mérite, pour qu’il soit absout de son péché. Cette question du secret de la confession est complètement anecdotique dans la lutte contre les abus sexuels. Si l’on commençait par rappeler clairement à tous ceux qui s’engagent dans le clergé, ou même simplement aux fidèles à qui on n’enseigne bien peu de choses à ce sujet, les exigences rigoureuses de la loi morale concernant le VIème commandement et la pureté des mœurs, ainsi que les châtiments de l’enfer éternel qui menacent ceux qui se comportent suivant leurs goûts dépravés au lieu d’obéir à la loi de Dieu, il y aurait beaucoup moins de scandales de cette nature. Si l’on évitait de faire entrer au séminaire et d’ordonner des hommes notoirement homosexuels ou efféminés, cela changerait aussi les choses étant donné qu’environ 80% des abus sexuels recensés dans le clergé conciliaire sont commis sur des adolescents mâles et pubères. Il y a certainement beaucoup de choses à faire pour empêcher les abus, et abolir le secret de la confession ne fait pas partie des moyens qui seraient utiles dans cette lutte.

Moulins-Beaufort n’a pas tenu un tel discours, pas publiquement en tout cas. Après avoir tenté de jouer la carte du secret professionnel, et avoir essayé d’expliquer que le secret de la confession était ce qui mettait le pénitent en confiance, il s’est couché tout de son long. Il n’a pas eu le courage d’assumer ses propos sur le fait que le secret de la confession est supérieur aux lois de la république. Il s’est plutôt répandu dans des excuses accompagnées de propos évasifs et consensuels, qui laissent entendre aux antichrétiens que des aménagements seraient possibles concernant le secret de la confession. Voyons ces extraits du communiqué de presse de la CEF, consécutif à l’entrevue du 12 octobre :


« Je demande pardon aux personnes victimes et à tous ceux qui ont pu être peinés ou choqués par le fait que le débat suscité par mes propos, sur France Info, au sujet de la confession, ait pris le pas sur l’accueil du contenu du rapport de la CIASE et sur la prise en considération des personnes victimes. »

« Mgr Éric de Moulins-Beaufort a pu évoquer avec M. Gérald Darmanin la formulation maladroite de sa réponse sur France Info mercredi dernier matin. L’état a pour tâche d’organiser la vie sociale et de réguler l’ordre public. Pour nous chrétiens, la foi fait appel à la conscience de chacun, elle appelle à chercher le bien sans relâche, ce qui ne peut se faire sans respecter les lois de son pays. L’ampleur des violences et agressions sexuelles sur mineurs révélées par le rapport de la CIASE impose à l’Église de relire ses pratiques à la lumière de cette réalité. Un travail est donc nécessaire pour concilier la nature de la confession et la nécessité de protéger les enfants. Mgr Éric de Moulins-Beaufort a tenu à redire la détermination de tous les évêques et, avec eux, de tous les catholiques, à faire de la protection des enfants une priorité absolue, en étroite collaboration avec les autorités françaises. »

Communiqué de presse de la CEF, 12 octobre 2021 [5]

Il n’y a là, chacun en conviendra, aucune réaffirmation claire de l’inviolabilité du secret de la confession. Le fait que cette loi de l’Église soit « supérieure à la loi de la république » est à présent une « formulation maladroite ». L’Église doit « relire ses pratiques » à la lumière de la crise des abus sexuels, et faire un travail pour « concilier la nature de la confession et la nécessité de protéger les enfants ». Faut-il avoir l’esprit mal tourné pour lire : nous, évêques de France, serions éventuellement prêts à transiger sur le secret de la confession si l’état le demandait ? Dans le meilleur des cas, les évêques ne comptent pas transiger sur le secret de la confession, mais veulent laisser croire le contraire aux autorités de la république pour avoir temporairement la paix. Quelle veulerie.

Une telle décoration, dans ce contexte, a véritablement quelque chose de honteux. Légion du déshonneur, venant adouber la lâcheté et la trahison de ceux qui usurpent les institutions ecclésiastiques pour diffuser la fausse religion relativiste et laïciste de Vatican II : des hommes mous, sans force, qui ne défendent ce qui reste du catholicisme que lorsque cela n’engage pas leur confort ou leur réputation auprès des antichrétiens, qui sont incapables d’affirmer clairement leur altérité par rapport au monde sans religion, et leur intégrité dans la foi en Jésus-Christ et la défense des droits de son Église (alors que, disait saint Pie X, ce serait le meilleur moyen de gagner le respect des incrédules, et peut-être de les intéresser à la religion, que d’affirmer clairement nos convictions et de montrer à quel point elles sont pour nous un principe de vie). Nous pouvons remercier le gouvernement français et monsieur de Moulins-Beaufort de contribuer à rendre toujours plus évidente la réalité de la situation actuelle de l’Église. Chacun remarquera l’absence totale de commentaire du côté de Rome à propos de cette affaire touchant au secret de la confession, pourtant très lourde d’implications pour l’Église de France et au-delà pour l’Église universelle. Ce n’est pas à l’ordre du jour : on se contente de répéter, à tort et à travers, en demandant pardon à tout le monde, que la lutte contre la pédophilie est une priorité absolue pour l’Église (alors que les témoignages de faiblesse et de lâcheté – nous restons dans le même thème ! -, ou bien de complicité pure et simple, du haut clergé conciliaire dans la gestion des dossiers de pédophilie continuent de se multiplier). François continue de faire le contraire de ce que devrait faire un pape : ou bien en actions, ou bien en paroles, ou bien – comme ici – en omissions. Considérons seulement le contraste entre l’attitude de saint Pie X à l’égard des lois de 1905 en France, et l’attitude de François à l’égard de la persécution ouverte du secret de la confession dans ce même pays : ce n’est manifestement plus le même Esprit, ni la même foi que celle qui animait saint Pie X, qui anime François et ses subordonnés.

Jean-Tristan B.


[1]https://www.bfmtv.com/politique/de-maniere-discrete-darmanin-a-remis-la-legion-d-honneur-a-eric-de-moulins-beaufort-president-de-la-conference-des-eveques_AD-202112070297.html

[2]https://www.francetvinfo.fr/societe/religion/pedophilie-de-l-eglise/video-pedocriminalite-dans-l-eglise-le-secret-de-la-confession-est-plus-fort-que-les-lois-de-la-republique-selon-mgr-eric-de-moulins-beaufort_4796947.html

[3]https://www.bfmtv.com/politique/secret-de-la-confession-gabriel-attal-affirme-qu-il-n-y-a-rien-de-plus-fort-que-les-lois-de-la-republique_VN-202110070274.html

[4]https://www.ledauphine.com/societe/2021/10/08/le-pretre-a-l-imperieuse-obligation-d-alerter-sur-des-faits-de-pedocriminalite-selon-eric-dupont-moretti

[5]https://eglise.catholique.fr/wp-content/uploads/sites/2/2021/10/CP_12octobre2021_Mgr-de-Moulins-Beaufort-1.pdf

Modernisme et faux visionnaires : l’enfer vide

Hans Urs von Balthasar et Adrienne von Speyr

Peu de théologien ont acquis une réputation et un renom comparables à celui de Hans von Balthasar dans le monde conciliaire. Il est véritablement une référence et une autorité, et, ce qui nous semble d’autant plus intéressant, il l’est notamment pour les partisans les plus «conservateurs» de Vatican II, qui s’opposent violemment au progressisme : il est connu en effet pour avoir critiqué les dérives de l’église post-conciliaire, et pour avoir fondée la revue de «sensibilité conservatrice» Communio, avec Joseph Ratzinger et Henri de Lubac. Ledit Ratzinger, devenu «Benoît XVI», laisse entendre que ses deux théologiens préférés sont ses amis de longue date von Balthasar et de Lubac. Jean-Paul II était également l’ami personnel de von Balthasar, et lui a offert la dignité cardinalice peu de temps avant sa mort en 1988, pour consacrer son œuvre théologique et lui donner une autorité supplémentaire (comme il l’a fait pour Congar).

Voici ce qu’il dit de lui dans le discours qu’il prononce à l’occasion du «prix international Paul VI» qu’il lui décerne pour sa contribution à la théologie (1984) :

Sa passion pour la théologie, qui a soutenu son engagement dans la réflexion sur les œuvres des Pères, des théologiens et des mystiques, reçoit aujourd’hui une importante reconnaissance. Il a mis ses vastes connaissances au service d’une «intelligence de la foi» capable de montrer à l’homme contemporain la splendeur de la vérité qui émane de Jésus-Christ

https://www.cath.ch/newsf/hans-urs-von-balthasar-theologien-hors-norme-1-2/

Balthasar aurait certainement sa place dans un «top 5» des plus grands théologiens conciliaires (aux côtés de Yves Congar, Henri de Lubac, Joseph Ratzinger et Karl Rahner). Il se distingue de ses collègues précédemment cités par une sorte d’aura de piété et un intérêt particulier pour la mystique ; sa «cause de béatification» a été initiée en 2018 dans le diocèse suisse de Coire.

Or une grande partie de l’immense œuvre de von Balthasar est directement liée aux prétendues visions, révélations et apparitions de son étrange amie Adrienne von Speyr (1902-1967), femme mariée d’origine protestante exerçant la profession de médecin jusqu’en 1954, convertie au catholicisme en 1940 (après avoir été catéchisée par von Balthasar) et revendiquant avoir eu à partir de ce moment des expériences mystiques extraordinaires, une communication quasiment permanente avec l’au-delà. Balthasar était obnubilé par cette voyante : il est allé jusqu’à quitter l’ordre jésuite en 1950, ordre dans lequel il était entré en 1928, pour aller vivre chez von Speyr et son mari, et recueillir quotidiennement le récit de ses expériences mystiques. Il collabore avec elle pendant 27 ans, et vit chez elle pendant 15 ans. Interrogé sur son œuvre, le théologien répond volontiers qu’elle n’est rien par elle-même et que le mérite en revient plutôt à Adrienne von Speyr, chez qui il aurait puisé l’essentiel de sa science des choses surnaturelles. Il a en effet publié environ 60 ouvrages à propos des visions et révélations de von Speyr, dont il est l’unique témoin, dépositaire et commentateur.

Cette manière d’argumenter sur des grandes questions théologiques à partir de visions et de révélations privées, et cette relation «fusionnelle» entre une femme mariée et un prêtre sont tellement singulières et étranges qu’elles suscitent aujourd’hui encore de la méfiance auprès de certains conciliaires, qui n’ont pas tout oublié de la doctrine catholique et de l’esprit de l’Église. Un certain Ralph Martin, professeur de théologie au séminaire du Sacré-Cœur de Détroit (États-Unis), publie en 2014 dans la revue Angelicum un article intitulé «Balthasar and Speyr : First Steps in a Discernment of Spirits». [1] Pour ne pas attaquer trop brutalement cette figure si respectée du monde conciliaire, tant louée et honorée par les «papes», il use de précautions oratoires assez merveilleuses : n’étant pas du tout convaincu de la vérité de la principale thèse de von Balthasar et de von Speyr sur l’impossibilité pratique de la damnation (et à raison, puisque cette thèse contredit au moins l’enseignement ordinaire de l’Église, si elle ne contredit pas formellement certains passages de l’évangile), il propose quelques «réflexions préparatoires», quelques «premiers pas» pour permettre un meilleur «discernement des esprits» sur l’origine surnaturelle des visions d’Adrienne von Speyr et des thèses théologiques qui en sont issues. Pour nous qui ne sommes pas retenus par les mêmes impératifs de respect humain vis à vis des institutions conciliaires, il apparaît que tout ce que rapporte Ralph Martin dans son article est de nature à faire conclure certainement à la fausseté des visions de von Speyr [2]. Nous avons donc un cas d’école de fausses visions et de fausses révélations privées invoquées à l’appui d’une fausse doctrine.


Une doctrine fausse et scandaleuse

Balthasar l’avoue lui-même à demi-mot : cette proposition suivant laquelle la damnation est possible en théorie, mais impossible en pratique (infiniment improbable, suivant les termes que Balthasar reprend à Édith Stein), dont il trouve la confirmation dans les prétendues révélations de Speyr, est le fruit d’un effort visant à concilier l’hérésie de l’apocatastase avec l’enseignement de l’Église. L’apocatastase est une doctrine suivant laquelle à la fin des temps tout sera restauré «dans son ordre originel», ce qui signifie notamment que les démons et les damnés seront pardonnés et participeront à la gloire des bienheureux. Autrement dit, c’est une doctrine suivant laquelle «tout le monde se sauve». C’est une des thèses les plus célèbres d’Origène (185-253), et l’une de celles qui valut à cet auteur d’être anathématisé par le magistère de l’Église catholique, dans le 11e canon du IIe concile de Constantinople (553). Le pape Vigile (537-555) a par ailleurs condamné 9 propositions issues des écrits d’Origène (que l’on peut retrouver dans la compilation de textes magistériels du Denzinger, aux canons 403-410 de l’édition de 1957) ; l’apocatastase est condamnée par le pape en ces termes : «Si quelqu’un dit ou pense que le châtiment des démons et des impies est temporaire, et qu’il prendra fin après un certain temps, ou bien qu’il y aura restauration des démons et des impies, qu’il soit anathème». Les réflexions ultérieures sur l’apocatastase dépassent la simple question du pardon des démons et des damnés pour se concentrer sur la question plus générale du salut universel.

Von Balthasar, fasciné par Origène et en particulier par son eschatologie, veut croire à cette folle doctrine du salut universel, sans pour autant blesser extérieurement l’orthodoxie : il cherche à élaborer un cadre dans lequel on pourrait professer extérieurement l’enseignement de l’Église tout en le minimisant au point de pouvoir croire presque sans concessions à la thèse opposée. Remarquable exercice «d’herméneutique de la continuité» entre Origène et le IIe Concile de Constantinople…

Le fait de savoir si le Concile de Constantinople et le pape Vigile condamnent l’apocatastase et les autres doctrines hétérodoxes de l’origénisme est, paraît-il, l’objet de débats ou de réserves entre théologiens et historiens de l’Église : le canon ne précise aucune doctrine particulière, certes, mais il inclut Origène parmi une liste d’auteurs à anathématiser pour leurs doctrines impies ; nous savons par ailleurs que les débats préparatoires à l’ouverture du Concile ont porté entre autres choses sur l’origénisme, et l’origéniste Théodore de Scythopolis a été contraint de se rétracter suite aux anathèmes du Concile. Quant aux anathèmes du pape Vigile, certains font une difficulté du fait qu’ils aient été écrits par l’empereur Justinien, puis ensuite approuvés par le pape sous la pression de l’empereur qui le maintenait auprès de lui à Constantinople. [3]
Pour ce qui nous intéresse, la thèse du salut universel est si contraire à l’enseignement ordinaire de l’Église et à la sentence commune des théologiens que le débat sur la nature et la portée de l’anathème de Constantinople et des condamnations du pape Vigile nous semble secondaire, du moins nous n’avons pas besoin d’établir la force et la portée de ces condamnations pour prouver que cette thèse est fausse.

Les partisans de cette thèse répondent pour se défendre des accusations d’hétérodoxie qu’il ne s’agit pas d’une véritable doctrine mais d’une «pieuse espérance», dans le sens qu’il n’est pas certain que tous soient sauvés, mais que l’on peut l’espérer raisonnablement eut égard à la miséricorde de Dieu : pourtant, ils se placent bien sur un terrain spéculatif et rationnel en disant que la damnation de quiconque est «infiniment improbable», ce qui est émettre beaucoup plus qu’un simple souhait, comme Ralph Martin le remarque à juste titre. Y a-t-il une différence sémantique entre le fait qu’il soit «infiniment improbable» que des gens se damnent et le fait qu’il soit «certain» que personne ne se damne ? Non à vrai dire … Et quand bien même il ne s’agirait que d’une espérance, elle n’est pas fondée en raison, on pourrait même déjà dire qu’elle est réprouvée par le magistère ordinaire et universel de l’Église.

Que l’on prenne par exemple des extraits du catéchisme de saint Pie X ou du catéchisme du concile de Trente sur la question de la damnation et des damnés : il serait bien étrange d’affirmer que ces paroles auraient encore du sens si les damnés n’existaient que «en théorie» et pas «en pratique».

Comment seront les corps des damnés ?
Les corps des damnés seront privés des propriétés glorieuses des corps des Bienheureux et porteront la marque horrible de leur éternelle réprobation.

Catéchisme de saint Pie X, Chapitre 12, Le onzième article du credo


En quoi consiste le malheur des damnés ?
Le malheur des damnés consiste à être toujours privés de la vue de Dieu et punis par d’éternels tourments dans l’enfer.

Catéchisme de saint Pie X, Chapitre 13, Le douzième article du credo

… une prison affreuse et obscure, où les âmes des damnés sont tourmentées avec les esprits immondes par un feu perpétuel et qui ne s’éteint jamais. Ce lieu porte le nom de géhenne, d’abîme ; c’est l’Enfer proprement dit.

Catéchisme du concile de Trente, Chapitre 6

Le sens premier et évident de ces propositions implique l’existence en acte des damnés, pour aujourd’hui et pour les derniers temps. Si les damnés n’existaient qu’en théorie, le catéchisme aurait dû être réécrit au conditionnel : «le malheur des damnés consisterait à, le corps des damnés serait privé de». A moins de considérer que l’Église réserve cet enseignement «exotérique» de l’enfer et de la damnation au plus grand nombre, aux gens qui auraient besoin d’être effrayés pour pratiquer la vertu, et que seul le petit nombre pourrait comprendre l’enseignement ésotérique de l’absence de damnés en enfer … Les pères de l’Église, les saints, les docteurs et les théologiens ont toujours été à peu près unanimes pour dire non seulement qu’il y avait bien des gens en enfer (ce dont personne ne peut raisonnablement douter en lisant simplement l’évangile), mais encore que le plus grand nombre des hommes se damne : si personne ne peut avancer de chiffre ou de pourcentage avec certitude, tous s’accordent pour dire, en conformité avec l’enseignement de Jésus-Christ lui-même dans la parabole des noces, qu’il y a «beaucoup d’appelés mais peu d’élus» (Mat. XXII, 14) : tous les hommes sont appelés au salut et reçoivent de Dieu les grâces nécessaires et suffisantes pour opérer ce salut, mais la plupart ne répondent pas à l’appel et méprisent la grâce de Dieu. Réalité terrifiante que ne dément pas l’expérience quotidienne du monde : l’endurcissement dans le péché est visible partout, jusqu’à l’article de la mort. Et qui meurt endurci dans le péché se damne : on peut espérer qu’un pécheur endurci se soit secrètement repenti avant de mourir par l’effet d’une grâce spéciale, mais on ne peut pas présumer que ce genre de grâces extraordinaires soient fréquentes. Certains théologiens, comme Suarez, espèrent raisonnablement que le plus grand nombre des catholiques se sauve : ce n’est pas encore affirmer que le plus nombre des hommes se sauve, puisque les catholiques n’ont jamais formé plus de la moitié de l’humanité.

L’enfer d’après Brueghel le Jeune

Si l’Église a enseigné partout et toujours, dans son magistère ordinaire, que les damnés existaient réellement, et même qu’il est probable que le plus grand nombre des hommes se damne par obstination dans le péché, cet enseignement est infaillible et il est vain de se perdre dans des rêveries sur une existence «uniquement théorique» des damnés et de la damnation.

Ce n’est pas simplement vain : c’est dangereux et scandaleux.

Dangereux pour ceux qui y croient : car cela revient à dire qu’ils se croient assurés de leur salut quel que soit au fond leur degré de mérite, ce qui est difficilement dissociable du péché de présomption (selon le catéchisme de saint Pie X, «espérer par présomption se sauver sans mérite» est un des six péchés contre le Saint-Esprit, une faute particulièrement grave donc). Avoir la certitude que l’on aura le degré de mérite suffisant pour se sauver au moment de la mort est en pratique la même chose que de prétendre se sauver sans mérite : dans les deux cas, le salut devient une affaire acquise et sans enjeu, et «la vie continue» sans souci réellement motivé de perfection ou de combat spirituel, sans cette «angoisse du salut» que connaissaient tous les saints (pour eux-mêmes et pour leur prochain), et avec cette espèce de confiance insensée que Dieu ne pourra pas nous refuser le salut quoi que l’on fasse.

Scandaleux pour ceux à qui l’on enseigne cette doctrine : scandaleux au sens premier du terme, c’est à dire occasionnant le péché. Le «petit nombre» des «fervents» qui enseigne et diffuse cette doctrine (ou cette «espérance») du salut universel pourra prétendre qu’elle ne porte pas au laxisme mais plutôt au don généreux de soi à un Dieu si bon et miséricordieux ; pour le «grand nombre» qui entend cet enseignement, nous pouvons être certains que l’effet est tout autre en pratique. Depuis que pour des «motifs pastoraux» les conciliaires se refusent à prêcher sur l’enfer ou diffusent de manière plus ou moins explicite la croyance en un salut facile et universel (croyance très visible dans les cérémonies d’inhumation par exemple), les églises sont vides, les peuples ne croient plus à l’enseignement de l’Église, le nombre des vocations religieuses et sacerdotales est en chute libre : en bref les choses de Dieu ne suscitent plus que de l’indifférence et de la froideur pour le plus grand nombre des baptisés (si déjà ils croient encore en l’existence de Dieu). Il y a évidemment un lien de cause à effet entre ces deux phénomènes : si vous enseignez au peuple, explicitement (en parlant de von Balthasar …) ou insidieusement (en employant une liturgie joyeuse et une prédication naïvement optimiste à tous les enterrements, y compris des enterrements d’apostats ou de personnes ayant commis le suicide – qui sont normalement privées de sépulture ecclésiastique), que Dieu est trop bon pour damner quiconque et que tout le monde se sauve, alors le peuple vivra sans se soucier du respect des commandements de Dieu, puisqu’il n’y a pas de risque réel à les violer, et que le monde est rempli de tentations auxquelles il serait pénible de résister. C’est la voix du démon qui pousse l’homme tenté à commettre le péché en lui insinuant une vision déformée et excessive de la miséricorde de Dieu, nous disent tous les auteurs spirituels : force est de constater que les pasteurs conciliaires sont devenus, bon gré mal gré, la voix du démon pour le peuple dont sont censés avoir la garde.

Le pape Pie XII a rappelé à plusieurs occasions qu’il était un devoir grave pour ceux qui avaient charge d’âme de prêcher sur l’enfer, et de prêcher sans atténuation et sans fausse délicatesse sur ce sujet si grave et si propre à susciter dans les âmes tièdes ou pécheresses des germes de conversion et de pénitence. Un sujet grave en effet car il y a réellement des gens qui se damnent, et si l’on voulait opposer révélation privée à révélation privée, pour contrer les prétendues révélations d’Adrienne von Speyr, la bataille serait vite gagnée par le grand nombre de révélations et visions des saints concernant l’enfer et le nombre extrêmement grand des damnés. Sainte Thérèse d’Avila répétait à qui voulait l’entendre que la plus grande grâce de sa vie était d’avoir eu une vision de l’enfer et des horribles tourments des damnés, et plus précisément de la place qui lui était réservée en enfer si elle continuait à se complaire dans sa tiédeur. Elle fut pendant des années une religieuse médiocre et mondaine, toute occupée de converser avec la bonne société et de s’en faire admirer ; après avoir mesuré les conséquences possibles d’une conduite aussi légère pour la vie du siècle à venir, elle est devenue une sainte. Quel contraste entre la doctrine des véritables saints et celle de ces étranges visionnaires des temps modernes.


Pourquoi Balthasar s’est attaché à Speyr ?

Voici une citation qui illustre, dans toute sa profondeur, la raison pour laquelle Balthasar s’attache à Speyr, et qui est de nature à alarmer les chrétiens sincères sur les motivations de ce «grand théologien» :

«Troughout my patristic studies, what I longed and looked for (…) was a catholicity that excluded nothing (…) only in Adriennes’s theology, I found it.».

«Au cours de mes études patristiques, ce que je cherchais et désirais ardemment … était une catholicité qui n’exclue rien … je ne l’ai trouvée que dans la théologie d’Adrienne».

H.U. von Balthasar, Our Task, 44

Une catholicité, un catholicisme, qui n’exclue rien ? Effectivement, il ne pouvait pas trouver une telle catholicité chez des auteurs vraiment catholiques, et il ne l’a trouvée que chez une fausse visionnaire délirante et peut-être démoniaque, parce que cette attitude de «non-exclusion» radicale n’a rien de catholique et de divin : le bien exclut le mal, la vérité exclut l’erreur, Dieu exclut le démon, la cité de Dieu exclut la cité des hommes. Paroles «manichéennes» et insupportables pour un esprit imprégné des idées modernes, dont la racine est l’agnosticisme, qui veut brouiller ou nier les frontières entre le bien et le mal, entre la vérité et l’erreur. Si le fait de trancher, de définir et d’exclure certaines doctrines ou certaines personnes au profit d’autres était une faute ou un désordre, c’est Jésus-Christ en personne, le maître de vie, qu’il faut accuser de faute ou de désordre. Les paroles de Jésus-Christ sur la géhenne, qui sont effectivement assez «excluantes», n’ont pas plu à Balthasar : il est donc allé se chercher d’autres maîtres selon ses désirs. Il est heureux pour nous de pouvoir disposer d’une citation de lui qui décrive aussi explicitement ses motivations : il a cherché «une catholicité qui n’exclue rien», il ne l’a trouvée que chez une fausse visionnaire. La catholicité de von Balthasar n’exclut rien … sauf la vraie théologie catholique !

Bien que le seul fait que les «révélations» de Speyr contiennent une doctrine fausse et scandaleuse est, de soi, suffisant pour être certain que ses révélations ne sont pas d’origine divine, il est toujours utile de remarquer que ces soi-disant révélations sont entourées d’une foule de signes inquiétants et bizarres qui les privent définitivement de tout crédit. Les informations que nous allons relater sont issues de l’article de Ralph Martin précédemment évoqué, nous ne le citerons pas dans le détail mais les lecteurs pourront s’y rapporter au besoin.


Du merveilleux, du grotesque et du bizarre

Nous pouvons lister un ensemble de choses grotesques ou malsaines dans les récits des visions de Speyr :

  • Speyr prétendait être quotidiennement en relation avec l’au-delà : on ne connaît pas de saints, même parmi les plus grands visionnaires, qui aient été visités aussi souvent par le Ciel, au point de fournir matière à plus de soixante livres de révélations inédites. Il y a quelque chose de démesuré dans ces proportions. Il n’est d’ailleurs pas rare chez d’autres faux visionnaires d’avoir écrit ou parlé avec autant de profusion et de détail (Valtorta a rempli 122 cahiers, soit près de 15 000 pages manuscrites), ce qui est d’autant plus susceptible d’attirer la curiosité du public. En l’occurrence, Speyr prétendait être en communication quotidienne avec saint Ignace de Loyola, communication si aisée et régulière que Balthasar pouvait par exemple soumettre une question qu’il avait pour saint Ignace à sa voyante et obtenir sa réponse dans la journée, ou dans l’instant qui suivait. C’est pour le moins inhabituel, sinon invraisemblable …
  • Dans un de ses entretiens, saint Ignace aurait déclaré qu’il avait changé d’avis sur certaines questions spirituelles en discutant avec saint Jean l’évangéliste au Paradis … quelle stupidité ! Comme si les saints, absorbés et réjouis par la vision béatifique, se préoccupaient de débattre et de discourir entre eux comme les hommes le font sur terre. Comme si par ailleurs il y avait le moindre désaccord apparent entre la spiritualité de saint Ignace et la spiritualité contenue dans l’évangile de saint Jean. Le fait d’opposer saint Jean l’évangéliste à la «pensée dominante dans l’Église» est un thème typique du gnosticisme et de l’occultisme : comme saint Jean emploie un langage plus spirituel que les autres évangélistes, donc plus susceptible d’interprétations diverses, les ennemis de la vérité aiment à lui faire dire des choses contraire au magistère de l’Église et aux doctrines communément admises par les théologiens (sans se mettre en peine, d’ailleurs, de concilier les passages qui leurs plaisent chez saint Jean avec d’autres passages du même saint Jean qui les contredisent formellement : seule l’interprétation ecclésiastique de saint Jean est complète et cohérente). Il est plus courant pour des francs-maçons que pour des catholiques d’opposer la «spiritualité johannique» à la «spiritualité ignatienne». Il est d’autant plus étrange, dans ce contexte, que Balthasar prétende avoir quitté l’ordre jésuite pour fonder la «communauté de saint Jean» sur le conseil de saint Ignace de Loyola lui-même (via la voyante Speyr), qui serait devenu «johannique» en discutant avec saint Jean au Paradis … par ailleurs le thème de l’opposition entre «l’Église visible» de Pierre et «l’Église des saints» de Jean et de Marie est un thème central dans la «spiritualité» de Balthasar et de l’institut qu’il a fondé [4] … Difficile de passer à côté de la possible symbolique occultiste de cette posture.
  • Speyr se serait rendue dans l’âme de certaines personnes pour les consoler : elle aurait pu, en se rendant à l’intérieur des personnes, pénétrer leurs pensées les plus secrètes, et leur suggérer des meilleures pensées depuis l’intérieur de leur âme … voilà jusqu’à quel niveau peut aller l’extravagance et la folie des faux voyants. Il est métaphysiquement impossible qu’une personne humaine entre «dans» une autre âme humaine, ce langage est dépourvu de sens. Certains saints avaient le don de «lire dans les cœurs» des personnes qu’ils rencontraient : cela veut dire qu’ils connaissaient leurs pensées, pas qu’ils rentraient littéralement à l’intérieur d’eux comme le dit Speyr, qui prétendait avoir été transportée à de multiples reprises à l’intérieur de personnes souffrantes, par-delà le monde entier, pour les consoler, ou pour les aider à se confesser … violant au passage le secret de la confession entre le prêtre et le pénitent.
  • Speyr prétendait avoir retrouvé sa virginité physique : elle serait alors la première dans l’histoire de l’humanité à bénéficier de cet étrange miracle … Mariée à deux reprises, elle a engendré 3 enfants morts-nés. Speyr ne prétend pas avoir retrouvé une «virginité spirituelle» comme dans le cas d’une veuve qui se consacre à Dieu, ou de personnes mariées qui s’accordent entre elles pour faire vœu d’abstinence. Elle prétend avoir retrouvé sa virginité physique, dans le sens par exemple de la Sainte Vierge qui a donné naissance à Notre-Seigneur «sans rupture du sceau de sa virginité» et de l’honneur particulier qui y est associé. A quelle fin Dieu aurait-il restauré la virginité physique d’une personne qui l’a perdue ? En quoi cela pourrait la rendre plus spirituelle, plus humble et plus dévouée à Dieu ? L’effet serait présentement le contraire de l’humilité. Cela la rendrait simplement plus distinguée et plus honorable, dans le sens qu’un honneur spécial est associé aux femmes qui ont consacré leur virginité à Dieu : peut-être que la voyante voulait être associée à cet honneur, bien qu’elle ne le méritait pas…
  • Outre ces extravagances déjà mentionnées, il est intéressant de remarquer que Speyr a prétendu avoir vécu (ou Balthasar le prétend à propos d’elle) à peu près tout ce qu’il y a de plus extraordinaire dans la vie des grands saints du passé : stigmates, bilocation, radiation de lumière, lévitation, parler spontané en langues étrangères, extases. Pour la plupart des saints ayant vécu ces phénomènes, les témoins sont nombreux et dignes de foi. Pour Speyr, le seul témoin est Balthasar, qui est plutôt un témoin indirect parce qu’il croit sa voyante sur parole lorsqu’elle affirme qu’il lui est arrivée quelque expérience extraordinaire. Au vu de ce qui est mentionné plus haut, chacun saura juger de la crédibilité de ce témoin.

Une relation éminemment malsaine

La première chose qui frappe, à étudier la relation entre Balthasar et Speyr, est la forte intimité qui les unissait : comme nous l’avons déjà mentionné, Balthasar est allé jusqu’à quitter son ordre religieux (acte extrêmement grave et rare dans l’histoire de l’Église : il n’est pas anodin qu’un religieux soit relevé de ses vœux) pour vivre chez sa voyante, quinze années durant. Un prêtre qui vit chez une femme ?

On pourrait tenir comme un principe général qu’il n’est ni prudent ni souhaitable pour un clerc d’entretenir une amitié forte, nourrie par des entretiens intimes quasiment quotidiens, avec une femme. La principale raison du célibat consacré est d’ordre affective : le prêtre, le religieux ou la religieuse, a consacré entièrement son cœur à Dieu. L’état de perfection religieuse n’est possible que dans le célibat, parce que la vie conjugale est remplie d’affections et d’attachements qui, pour être parfaitement légitimes et même nécessaires au bon développement de la vie, empêchent de se consacrer aux choses de Dieu en toute liberté. S’il est possible d’atteindre un haut degré de sainteté en vivant dans le mariage, comme le prouve par exemple la vie de saint Louis, il faut convenir qu’il est plus facile et plus naturel de se sanctifier dans la vie religieuse et le célibat consacré, en n’ayant pas d’autre préoccupation que la gloire de Dieu et le salut des âmes.

Or l’amitié entre personnes du sexe opposé, et en dehors du strict cercle familial, nous parlons ici d’une amitié profonde basée sur des communications intimes de sentiments et d’idées, ne diffère de la vie amoureuse proprement dite que par l’absence de communication physique : le seul terme ordinaire et souhaitable d’une profonde amitié entre un homme et une femme est le mariage. Il n’est pas rare que l’adultère résulte d’une relation excessivement amicale entre un homme et une femme qui, initialement, n’avaient aucune intention de rompre les promesses de leur mariage : seulement ils se sont laissés aller imprudemment à l’attrait d’une amitié et d’une intimité spirituelle qu’ils ne trouvaient peut-être plus dans leur mariage. Entretenir une «relation platonique», ne pouvant pas raisonnablement mener à un mariage, est donc éminemment malsain et dangereux.

On pourrait objecter à ce raisonnement en invoquant des exemples d’amitiés profitables entre une personne consacrée et une autre personne du sexe opposé. L’histoire de l’Eglise compte en effet plusieurs exemples de saints de sexe opposé qui ont travaillé ensemble étroitement pour la gloire de Dieu : saint François d’Assise et sainte Claire, saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal, saint Vincent de Paul et sainte Louise de Marillac. On connaît aussi la pratique, encouragée par l’Église, de la fraternité spirituelle entre des religieuses contemplatives et des prêtres missionnaires via des échanges épistolaires (ainsi sainte Thérèse de Lisieux est connue pour avoir eu cette relation spéciale avec l’abbé Maurice Bellière). Mais nous répondrons que dans tous ces cas évoqués, la relation est fondée principalement si ce n’est uniquement sur le zèle pour la gloire de Dieu (et pas sur la complémentarité naturelle des caractères, comme dans une amitié humaine ordinaire), et l’amitié et l’intimité dans ces cas précis ne dépassent jamais certaines bornes que la prudence impose nécessairement à qui veut ne pas perdre son cœur, et ensuite perdre son âme.

Or la relation entre Balthasar et Speyr ressemble fort à une «relation platonique», bien différente d’une collaboration désintéressée en vue de la gloire de Dieu. En particulier, les termes qu’ils emploient pour décrire cette relation comportent un symbolisme sexuel pour le moins troublant. L’œuvre religieuse et spirituelle qu’ils estiment devoir mener en commun (la fondation de la «communauté Saint-Jean», qui n’existe quasiment plus aujourd’hui d’ailleurs) est souvent appelée par la voyante «leur enfant» : comment un homme et une femme peuvent-ils avoir un enfant ensemble ? … Cette image est déjà troublante, mais il y a plus encore : la voyante déclare qu’à l’âge de 15 ans elle aurait reçu une «blessure intérieure» ou une «marque» de Hans von Balthasar par anticipation de sa rencontre avec lui, et pour signifier leur future collaboration : il s’agirait de dire que comme ces deux âmes ne pouvaient pas avoir de relations sexuelles, mais qu’elles devaient ensemble «porter du fruit», il fallait que la femme soit en quelque manière marquée dans sa chair par la vertu fertilisante de l’homme, afin d’être fécondée … difficile de voir quelque chose de divin derrière ce mystico-sensualisme éminemment malsain.


Une voyante autoritaire et manipulatrice

Le fait qu’un prêtre ait une relation fusionnelle avec une femme mariée n’est pas le seul problème dans le cas présent : dans cette relation, le prêtre (qui est censé être le supérieur, le conseiller, le confesseur) est parfois comme à la merci de sa voyante qui semble lui donner des ordres, lui faire des reproches amers et lui dicter la voie de la bonne conduite spirituelle. Balthasar, subjugué, est docile et semble considérer comme venant du Ciel les brimades qu’il reçoit de la voyante. Les rôles sont inversés !

On ne le répétera jamais assez dans cette époque malade de d’égalitarisme, le catholicisme est une religion cléricale : le prêtre est supérieur aux fidèles, il a autorité pour les diriger, les conseiller, les reprendre et les guider dans la pratique des commandements et la recherche de la perfection spirituelle. Il est en pratique impossible d’atteindre la perfection spirituelle sans le conseil suivi d’un prêtre : c’est le moyen ordinaire que Dieu prévoit pour sanctifier les âmes, et à ceux qui disent que c’est d’abord le Saint-Esprit qui éclaire et qui sanctifie, le pape Léon XIII répond (dans son encyclique contre l’américanisme) que dans la Providence de Dieu le Saint-Esprit s’exprime aux âmes le plus souvent et le plus ordinairement dans la direction spirituelle (par un prêtre formé aux sciences sacrées et à l’enseignement de l’Église). Tous les grands saints mystiques et visionnaires avaient un confesseur et directeur spirituel auxquels ils étaient pleinement soumis : ce ne sont pas eux qui démentiraient Léon XIII.

Il n’est donc pas normal qu’un prêtre reçoive d’une laïque des directives de direction spirituelle. C’est auprès d’un autre prêtre qu’il devrait chercher des conseils et des directives dans cette matière délicate, quand bien même il aurait en face de lui une sainte. Imagine-t-on sainte Thérèse d’Avilla donner ne serait-ce que des conseils spirituels à son confesseur, sans que celui-ci le lui demande ? C’est invraisemblable. Nous évoquions dans notre précédent article sur les visions et révélations privées que l’attitude autoritaire d’une voyante était un signe disqualifiant pour sa crédibilité, car très éloignée de l’humilité qui accompagne nécessairement une piété sincère.

Cette remarque faite, on peut constater avec Ralph Martin que l’attitude de Speyr à l’égard de Balthasar relève plus de mécanismes humains de manipulation et de demande d’attention que d’une hypothétique mission spirituelle. Par exemple, Speyr l’accuse fréquemment de ne pas la soutenir et de ne pas être suffisamment présent pour l’épauler alors qu’elle «revit la Passion du Christ» pendant la semaine sainte … Elle dit par rapport à leur «enfant» que le rôle du «père» est de prendre soin de l’épouse, et que Balthasar ne remplit pas suffisamment bien son rôle. Elle dit que Balthasar ne la défends pas suffisamment par rapport aux critiques qui sont émises à son égard … la voyante demande de l’attention, mais elle sait aussi se montrer plus directrice et dit qu’elle voit dans l’âme de Balthasar de l’obscurité spirituelle, un manque d’amour de Dieu et un manque de vie de prière. Parfois la voyante prétend recevoir de saint Ignace des instructions précises pour des pénitences ou autres exercices spirituels, et le malheureux Balthasar est réprimandé s’il ne suit pas les instructions suffisamment bien. Tout ceci est bien étrange.


Des signes probablement démoniaques

Outre les bizarreries déjà mentionnées, un certain nombre de faits étranges dans la vie d’Adrienne von Speyr pourraient relever d’une influence démoniaque. En particulier, on retrouve plusieurs occurrences d’un phénomène communément attribué à l’action du démon : la modification de la voix, l’utilisation d’une intonation beaucoup plus rauque et sèche que d’ordinaire, avec un volume anormalement élevé.

Le 11 juillet 1941, Speyr «convoque» Balthasar à son bureau pour lui faire une violente sermonade d’environ une heure sur son manque de soutien : Balthasar rapporte que la voix de Speyr est différente que d’habitude, comme si «quelqu’un d’autre parlait à travers elle».

La cérémonie d’abjuration de Speyr (qui est née protestante), un an plus tôt, comporte un fait assez déroutant. Alors qu’elle doit réciter la profession de foi catholique, elle s’arrête et hésite au moment de prononcer les paroles «extra quam est nulla salus» : hors de laquelle [l’Église catholique] il n’y a point de salut. Balthasar dit qu’elle n’a pas prononcé les mots. Son mari en revanche, qui assistait à la cérémonie, dit qu’il l’a entendu dire les mots distinctement mais avec une voix étrange : autre occurrence possible du fameux phénomène de la voix modifiée. La voyante aurait-elle donc un problème avec le dogme selon lequel il n’y a pas de salut hors de l’Église catholique ?… Dans une version comme dans l’autre, elle n’a pas prononcé les paroles aisément et facilement comme le reste de la profession de foi.

Autre fait encore plus étrange : Balthasar rapporte que Speyr avait fréquemment des «missions de l’enfer», dans laquelle elle «témoignait des réalités de l’enfer» dans un état semi-extatique où elle «n’était plus la même personne» et était simplement le «véhicule» d’une réalité qui la dépasse … Elle ne se souvenait pas distinctement de ce qu’elle avait dit dans ces moments ensuite. Pendant ces «missions», elle parlait d’une manière différente de d’habitude, ne semblait pas reconnaître son interlocuteur et le traitait de manière froide et sarcastique, l’accusant de stupidité vis à vis des choses de Dieu par exemple. Sachant que ces «visions de l’enfer» de Speyr aboutissent à dire que personne ne se trouve réellement en enfer, serait-il vraiment étonnant qu’un démon ait parlé à travers Speyr dans ces moments si étranges ? Pas vraiment … suivant le mot de Baudelaire, «la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas» : on pourrait dire par extension que la meilleure ruse de l’enfer serait de faire croire qu’il n’y a pas d’enfer, ou que personne ne va en enfer. C’est le meilleur moyen en effet pour que le plus grand nombre oublie son salut et se damne. Balthasar dit que ces «missions de l’enfer», qui arrivaient une fois par an lors du Vendredi Saint depuis 1941 (elle prétendait «descendre aux enfers» comme Notre-Seigneur après sa mise à mort), constituent la contribution la plus importante de Speyr à sa théologie et le don le plus précieux qu’elle ait fait à l’Église

Balthasar disait que cette «obscurité» que Speyr avait pris sur elle comme participation à la passion du Christ et à sa descente aux enfers l’avait poussée «aux limites de la folie» … si nous voyons les choses d’une manière plus prosaïque, peut-être qu’elle était déjà mentalement déséquilibrée avant ces expériences pseudo-mystiques, et qu’une communication prolongée avec le démon l’a encore plus détraquée. L’histoire ne nous le dit pas : mais nous avons déjà en notre possession bien plus que ce qui est simplement nécessaire pour conclure que ces pseudo-révélations ne viennent pas du Ciel.


Résumé et conclusion

La thèse de Balthasar et de Speyr est contraire au catholicisme en plusieurs aspects :

  • Elle adopte en pratique les mêmes conclusions que la doctrine condamnée de l’apocatastase, Balthasar avouant que son intention dans sa recherche théologique était de concilier cette doctrine condamnée (qu’il était impossible de professer directement sous peine d’apparaître comme ouvertement hérétique) avec le magistère de l’Église.
  • Elle revient à tourner en ridicule l’enseignement ordinaire de l’Église sur l’enfer et sur la damnation, en le présentant comme une fable visant à faire peur à des fidèles encore immatures. Il y aurait alors deux niveaux d’enseignement dans la Révélation, un niveau exotérique «pétrinien» (l’Église visible de saint Pierre), et un niveau ésotérique «johannique» (l’Église mystique de saint Jean et de Marie) : tandis que l’Église visible enseigne que la damnation est un danger réel, «l’Église des saints» est capable de comprendre qu’en réalité personne ne se damne.
  • Elle revient inconsciemment à adopter les thèses jansénistes (également condamnées) sur l’irrésistibilité de la grâce et la négation du libre-arbitre : elle en est une sorte d’actualisation moderniste. Pour les jansénistes, qui s’inspirent des calvinistes, la théorie de l’irrésistibilité de la grâce est synonyme de double prédestination : puisque personne ne peut résister à la grâce de Dieu, alors les pécheurs endurcis et les damnés n’ont pas reçu les grâces suffisantes pour se convertir et sont mystérieusement destinés, de toute éternité, à être damnés. Doctrine odieuse et blasphématoire. Balthasar reprends l’élément central de cette thèse en en éliminant l’aspect damnatoire : la grâce est irrésistible au-delà de toute notion de libre-arbitre, mais Dieu impose cette grâce à tout le monde sans exception, il n’y a donc pas de damnés.
  • Enfin elle a comme principe implicite (en lien avec ce que nous disions sur le «johannisme») que les révélations privées des «saints» sont des arguments plus certains et plus élevés en théologie que les travaux de la raison, éclairés par les lumières de la foi, et les enseignements explicites du magistère de l’Église. Principe faux et ruineux qui sert le plus souvent à détruire la théologie sous apparence de piété : des personnages malveillants s’en servent pour tromper, et des personnes simples et trop naïves les suivent pour l’apparence de piété et de surnaturel qui entoure ces soi-disant révélations. Une apparition ou une révélation privée ne peut jamais être une réponse suffisante à un problème théologique, à plus forte raison si le message de cette «révélation» est contraire au magistère de l’Église.

De plus les activités soi-disant surnaturelles de Speyr, qui prétendait avoir reçu un nombre incalculable de révélations privées, sont douteuses et troublantes à bien des titres :

  • Le nombre excessivement élevé et extraordinaire de ses communications célestes ne ressemble pas à ce qui a cours d’ordinaire chez les saints.
  • Elle a des prétentions parfaitement fantaisistes sur ses activités surnaturelles et les dons particuliers qu’elle aurait reçu (recouvrement de la virginité physique, téléportation dans les âmes des pécheurs, etc.)
  • Son comportement autoritaire, manipulateur et assoiffé d’attention personnelle n’a rien à voir avec le comportement d’une sainte.
  • Sa relation avec le prêtre Balthasar, décrite en des termes de symbolisme nuptial ou même explicitement sexuel, est on ne peut plus malsaine, et se base parfois sur une inversion du rapport entre le directeur spirituel et l’âme dirigée (c’est elle qui prends le dessus à plusieurs reprises).
  • Elle était, de l’aveu même de son confident et admirateur, à moitié folle et soumise régulièrement à des états de transe pour «rendre compte» de ce qui se passait en enfer, avec un langage et des manières qui portent plus ou moins explicitement la marque du démon.
  • Elle n’a pas voulu prononcer les paroles de la profession de foi sur le fait qu’il n’y avait pas de salut hors de l’Église catholique, ou bien elle les a prononcées avec une voix bizarre.

Peut-on, après avoir considéré cela, accorder encore le moindre crédit à Hans Urs von Balthasar et à sa comparse Adrienne von Speyr ? Pas si l’on croit à la doctrine et à la spiritualité de l’Eglise catholique. Puissent le Seigneur et Notre-Dame éclairer les chrétiens sincères afin qu’ils ne soient pas trompés par ces mensonges, et qu’ils considèrent plutôt dans toute leur gravité les avertissements de la Révélation concernant les fins dernières.

Jean-Tristan B.


[1] https://www.jstor.org/stable/26392455

[2] Voir les principes invoqués dans cet article : https://religioncatholique.fr/2021/09/08/principes-de-discernement-sur-les-visions-et-revelations-privees/

[3] On peut lire à ce sujet l’article de la Catholic Encyclopedia sur Origène : https://www.newadvent.org/cathen/11306b.htm

[4] Voir le « manifeste » affiché fièrement par la communauté saint Jean : https://balthasarspeyr.org/communaute-saint-jean/

Le sédévacantisme est-il un jugement téméraire ? Non, c’est un constat inévitable

Réponse à une objection trop répandue


L’accusation de jugement téméraire à l’égard des sédévacantistes repose sur une mauvaise évaluation de la témérité du jugement. Si certains jugements sont téméraires, c’est bien que d’autres sont prudents et ordonnés : pour vivre et agir, il est nécessaire d’émettre continuellement des jugements sur les choses et les personnes qui nous entourent, ces jugements ne sont téméraires que s’ils ne reposent sur aucune raison sérieuse et suffisante pour établir la conviction. On entend par exemple certaines personnes (au sein de la FSSPX surtout) dire que le sédévacantisme est une possibilité, mais qu’il est téméraire de l’affirmer comme une certitude, et que la seule attitude prudente et raisonnable est d’attendre qu’un autre pape se prononce pour savoir si le siège était vacant entre Paul VI et François. Ce qui est déjà admettre qu’il y a un grave problème avec ces « papes douteux » … en réalité, nous n’avons pas besoin d’une nouvelle sentence du magistère pour être certains qu’il est impossible qu’un pape enseigne des erreurs doctrinales dans l’exercice de son ministère. On peut dire en quelques sortes que Pie IX, en définissant le dogme de l’infaillibilité pontificale, a déjà tranché sur le fait que Paul VI et ses successeurs ne pouvaient pas être papes.

D’autres personnes, moins dubitatives à l’égard des pontifes de Vatican II, estiment que le vice du sédévacantisme est plus profond : il consisterait à se mettre « au dessus des papes », à donner à son jugement privé une valeur plus importante qu’au magistère de l’Eglise, comme les protestants. En vérité, le point de départ du jugement sur la vacance du Saint-Siège est le magistère de l’Eglise, complété par un usage normal de la raison : si Paul VI enseigne de manière explicite et évidente l’inverse de ce qu’enseigne Pie IX, conclure qu’il n’y a pas de contradiction n’est pas la preuve d’une grande foi et d’une grande confiance en l’Eglise, mais plutôt la preuve d’une grande déficience dans l’usage de la raison. Cette position, poussée jusque dans ses dernières conclusions, est assimilable au fidéisme : elle consisterait à dire qu’il est impossible de juger droitement de quoi que ce soit sans un enseignement révélé. Le magistère même de l’Eglise enseigne qu’il est possible d’atteindre un certain nombre de vérités religieuses sans le secours de la Révélation, et que ces vérités doivent être connues préalablement à l’acte de foi. C’est le principe de non-contradiction qui fait conclure à la vacance du Saint-Siège, pas une quelconque prétention à la supériorité du jugement privé sur l’autorité de l’Eglise. Nous souhaitons ici expliquer en quoi le jugement concernant la vacance du Saint-Siège découle simplement de l’application des principes de la foi catholique et de l’usage ordinaire de la raison, qu’il n’est pas attentatoire au magistère ou à l’autorité de l’Eglise, et qu’il n’est pas non plus attentatoire à la vertu de charité, comme le serait un jugement téméraire sur les intentions secrètes d’une personne. En espérant convaincre nos lecteurs.


Un jugement est un acte par lequel l’esprit affirme une chose d’une autre. Il comporte donc trois éléments : un sujet, qui est l’être dont on affirme ou nie quelque chose ; un prédicat (ou attribut), qui est la chose que l’on affirme ou nie du sujet ; une affirmation ou une négation qui lie ou délie le prédicat et le sujet. Il s’exprime verbalement sous la forme d’une proposition. Par exemple : « Le monde existe (logiquement : le monde (sujet) est (affirmation) existant (prédicat) » ; « L’homme est raisonnable » ; « l’âme est immortelle » ; « Dieu est existant ».

Sauf pour les évidences immédiates (« le monde est existant » ; « tout effet est causé » ; « tout être est ce qu’il est » etc.), qui sont à proprement parler indémontrables [1], le jugement est le fruit d’un raisonnement, si rudimentaire soit-il. On peut définir celui-ci comme l’opération qui consiste à tirer de deux ou plusieurs jugements, un autre jugement contenu logiquement dans les premiers. C’est un passage du connu vers l’inconnu. Il s’exprime verbalement sous la forme d’un argument. Par exemple : « L’homme est mortel (jugement 1). Or Pierre est un homme (jugement 2). Donc Pierre est mortel (jugement conclusif contenu logiquement dans les premiers) » ; « Travailler me permet de nourrir ma famille. Pour travailler, je dois me réveiller et me lever. Donc pour nourrir ma famille, je dois me réveiller et me lever ». Ainsi pour toutes nos actions quotidiennes, sans pour autant les formaliser ainsi.

Les jugements, s’ils sont fondés, sont légitimes et nécessaires. Sans eux, on ne peut tout simplement pas vivre. Tout homme faisant correctement usage de son intelligence pourra affirmer avec certitude de nombreuses choses. Dans la mesure où son raisonnement est correct, c’est-à-dire qu’il met en œuvre des données certaines, son jugement sera lui aussi correct et vrai. L’Eglise nous enseigne par exemple que tout homme peut affirmer avec certitude que Dieu existe :

« La sainte Église tient et enseigne que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par les lumières naturelles de la raison humaine, au moyen des choses créées (Rom. 1, 20) ;  « car les choses invisibles de Dieu sont aperçues au moyen de la création du monde et comprises à l’aide des choses créées. »

Constitution Dei Filius , Concile Vatican I

Le canon correspondant du Concile :

« Si quelqu’un dit que Dieu unique et véritable, notre Créateur et Maître, ne peut pas être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine, au moyen des choses qui ont été créées ; qu’il soit anathème » 

L’Eglise défend ici la légitimité d’un jugement fondé sur des vérités naturelles. En l’occurrence : l’existence du monde, son harmonie et le principe de causalité. Ces choses étant certaines, la conclusion l’est aussi.

Si un raisonnement correct met en œuvre une vérité de foi fondée sur l’autorité de Dieu et une vérité naturelle évidente, la conclusion exprimera un jugement doté d’une certitude absolue, propre à entraîner l’assentiment plein et entier de l’intelligence. Une telle conclusion est dite théologique. Par exemple : « Jésus est un homme (vérité de foi). Or les hommes ont une âme (vérité naturelle). Donc Jésus a une âme (conclusion théologique) ». 

Le constat actuel de la vacance du Siège apostolique n’a pas plus de prétention. Il se sert, dans sa démonstration, de données de foi, de faits d’observation immédiate et du principe de non-contradiction. La foi nous assure de l’infaillibilité du magistère ordinaire et universel [2]. Elle nous assure qu’il est impossible qu’un Pape promulgue avec les évêques représentant l’Eglise universelle un texte contredisant un point de doctrine déjà fixé [3]. Or, une telle promulgation s’est produite lors du concile Vatican II : la déclaration Dignitatis Humanae du 7 décembre 1965 contredit explicitement l’enseignement de Pie IX (entre autres) sur la liberté religieuse dans Quanta Cura (lettre encyclique du 8 décembre 1864). Donc les occupants du Siège apostolique qui ont « promulgué » et maintiennent en union avec tous les évêques une telle doctrine ne peuvent pas être Papes.

Affirmations condamnées par Quanta Cura, 8 décembre 1864 [«  contre la doctrine de la Sainte Écriture, de l’Église et des saints Pères »] Affirmations de Dignitatis Humanae, 7 décembre 1965 [«  le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même »]

a) la meilleure condition de la société est celle où on ne reconnaît pas au pouvoir le devoir de réprimer par des peines légales les violations de la loi catholique, si ce n’est dans la mesure où la tranquillité publique le demande

a’) de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres

b) La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme

b’) Ce Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse

c) Ce droit doit être proclamé et garanti par la loi dans toute société bien organisée

c’) Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil

Ce qu’affirme Vatican II [4] en (a’), (b’), (c’) est condamné par Quanta Cura [5]en (a), (b), (c). Les deux textes se prononcent sur le même sujet : le droit d’exercice public des religions et des cultes, même non catholiques. Les deux textes en appellent à la Révélation et s’expriment, quoi que dans une époque particulière et en raison même de cette époque, d’une façon absolue, comme énonçant un principe de droit naturel.

Or, c’est dans un même et unique acte de foi que nous adhérons à la parole de Dieu exposée par l’Eglise et à l’Autorité infaillible qui la présente. Cette unité de la foi liant nécessairement l’Autorité et la vérité est inéluctable [6]. Pareillement, le rejet de la doctrine de Paul VI que la foi nous impose nous fait rejeter son autorité dans un même acte. Cette conclusion sur l’absence actuelle d’Autorité dans l’Eglise, au demeurant triste à poser et troublante pour tous les fidèles, s’impose dans la lumière de la foi, avec une certitude de l’ordre de la foi. Parce que la foi catholique est une, parce qu’elle n’abolit pas la raison et que le principe de non-contradiction est inhérent à son exercice, il est métaphysiquement impossible d’adhérer religieusement à l’enseignement et par conséquent à l’autorité de ces faux pasteurs. Tout fidèle prudent qui vit effectivement de la foi peut et doit conclure à l’absence d’Autorité. L’exercice de la foi catholique rend impossible l’assentiment à l’enseignement de Vatican II.

Un jugement est téméraire et illégitime s’il est prononcé précipitamment, sans intention droite et que les fondements sur lesquels il repose sont incertains ou faux. Par exemple : prêter une mauvaise intention à quelqu’un sans raison. Dans une matière si grave que la foi et avec des certitudes d’un degré tel que nous venons de l’exposer, le jugement s’impose absolument et constitue un devoir. Il ne s’agit pas d’un jugement a priori qui serait consécutif à un caprice de notre part, il s’agit de l’impossibilité métaphysique d’adhérer à une règle de foi qui contredit objectivement l’enseignement de l’Eglise. La meilleure volonté du monde ne pourrait pas changer la nature des choses, une chose ne peut pas, en même temps et sous le même rapport, être vraie et fausse. Nous pensons que cela suffit pour fonder la légitimité d’un tel jugement. Les catholiques ne peuvent donc pas, par jugement privé, ne pas accuser ceux qui « promulguent » ces enseignements, comme les fidèles de Constantinople rompirent la communion avec leur évêque Nestorius entre 428 et 431 (date de sa condamnation), car celui-ci enseignait une doctrine ouvertement contraire à la foi catholique.

L’imprudence se situerait au contraire dans la négation de ce jugement absolument certain. En effet, en rejetant cette conclusion, on est objectivement poussé à relativiser ou à nier des vérités de foi : soit en acceptant l’enseignement de Vatican II et ses suites, qui s’oppose en de nombreux points au Magistère de l’Eglise ; soit en refusant cet enseignement, attribuant ainsi l’erreur au Pape et à l’Eglise, niant de fait la sainteté et l’infaillibilité de celle-ci.

Les catholiques qui font le constat de la vacance du Siège apostolique ne se substituent nullement à l’Eglise et à son autorité. Ce jugement n’est qu’un constat indubitable, il n’a pas force de loi et n’a pas de portée juridique objective pour l’Eglise. La privation d’autorité qui affecte actuellement l’Eglise rend précisément compliquée une telle sentence authentique. En revanche, de ce jugement certain découle le devoir de ne rien dire ni rien faire qui reviendrait pratiquement à reconnaître l’Autorité à l’actuel occupant du Siège ainsi que celui de proclamer, selon les règles de la prudence et conformément aux moyens dont chacun dispose, la vacance actuelle du Siège apostolique : « Nous ne pouvons pas ne pas parler » (Act. IV, 20).

Mathis C.


[1] Une démonstration s’appuie sur des préalables. Or, les évidences sont les préalables à tout jugement, ils sont premiers et s’éclairent par eux-mêmes, d’où leur nom.

[2] Abbe Bernard Lucien, L’infaillibilité du Magistère ordinaire et universel de l’Église, Documents de Catholicité, Bruxelles 1984

[3] « Jésus-Christ a institué dans l’Eglise un magistère vivant, authentique et, de plus, perpétuel, qu’Il a investi de sa propre autorité, revêtu de l’esprit de vérité, confirmé par des miracles, et Il a voulu et très sévèrement ordonné que les enseignements doctrinaux de ce magistère fussent reçus comme les siens propres. >Toutes les fois donc que la parole de ce magistère déclare que telle ou telle vérité fait partie de l’ensemble de la doctrine divinement révélée, chacun doit croire avec certitude que cela est vrai ; car si cela pouvait en quelque manière être faux, il s’ensuivrait, ce qui est évidemment absurde, que Dieu lui-même serait l’auteur de l’erreur des hommes… Les Pères du Concile du Vatican n’ont donc rien édicté de nouveau, mais ils n’ont fait que se conformer à l’institution divine, à l’antique et constante doctrine de l’Eglise et à la nature même de la foi, quand ils ont formulé ce décret : « Est à croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la parole de Dieu ou écrite ou transmise, et que l’Eglise, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel, propose à croire comme divinement révélé » (issu de dei filius, Concile Vatican I, 1870) » Léon XIII, Satis Cognitum . Sur l’infaillibilité : https://www.sodalitium.eu/linfaillibilite-de-leglise/

[4] https://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651207_dignitatis-humanae_fr.html

[5] https://laportelatine.org/documents/magistere/pie-ix/encyclique-quanta-cura-1864

[6] « Il serait impossible de poser un acte de Foi quel qu’il soit, si on ne croyait, dans le même acte, au Magistère qui présente infailliblement les articles de la Foi comme étant divinement révélés; et si on n’était disposé à croire de la même Foi l’un quelconque de ces articles. Il serait possible, dans une église charismatique, de viser à conserver la foi, tout en dissolvant dans une indécise obscurité la question du rapport que l’on soutient avec 1’« autorité » : dans une telle église, 1’« Esprit » est censé suppléer… à tout, et en particulier à l’unité. Mais une telle conception est absolument incompatible avec la nature de la Foi telle que celle-ci est définie, et vécue, dans l’Eglise catholique romaine qui est le Corps mystique du Christ, c’est-à-dire de Celui qui est la Vérité. Il est impossible, sous peine d’introduire une contradiction dans l’ordre théologal, de suivre la monition de S. Pierre, en «rendant compte de l’espérance qui est en nous », si, en même temps, nous ne rendons pas compte du rapport que nous soutenons avec 1’« autorité » qui occupe le Siège de Pierre. Il est impossible de poser un acte de Foi en la divinité de Jésus-Christ, sans être, en cet acte même, disposé à faire un acte de la même Foi en la doctrine sur la liberté religieuse telle que l’Eglise l’a définie. Et il est impossible de faire un acte de Foi en la doctrine sur la liberté religieuse telle que l’Eglise l’a définie, sans préciser en quelle situation on entend être par rapport à l’ « autorité » qui a infirmé cette doctrine. En d’autres termes, il est impossible, au sein de l’Eglise catholique romaine qui est le Corps mystique du Christ, de soutenir la Foi et d’administrer les sacrements en s’opposant à 1’« autorité « , sans préciser quelle est la nature du rapport que l’on entend soutenir avec la dite  « autorité », qui devrait être l’Autorité. » R.P M.L Guérard des Lauriers o.p, Cahiers de Cassiciacum n°1, « Le siège apostolique est-il vacant ? », Association saint-Herménégilde, mai 1979, pp.25-26, note 13.

La prière des mamans pour les vocations à Lu Monferrato (Italie)

La Sainte Eglise traverse une tempête effroyable, une crise de la foi sans précédent. Cette situation affecte aussi grandement les vocations : chute vertigineuse des vocations sacerdotales et religieuses, et crise de formation des prêtres, des religieux et des religieuses. Voici une histoire pleine d’espoir sur l’efficacité de la prière et sur la confiance en Dieu pour les vocations. 

La prière des mamans de Lu Monferrato pour les vocations, à méditer : “Mon Dieu, faites qu’un de mes fils devienne prêtre ! Je veux vivre moi-même en bonne chrétienne. Je veux conduire mes enfants au Bien pour obtenir la grâce de pouvoir Vous offrir, Seigneur, un saint prêtre”.

La petite bourgade de Lu en Italie du nord est une localité qui compte quelques milliers d’habitants et qui se trouve dans une région rurale à 90 km à l’est de Turin. Cette petite ville serait restée inconnue si en 1881 quelques mères de famille n’avaient pris une décision qui allait avoir de “grandes répercussions”.  Plusieurs mamans portaient dans leur cœur le désir de voir un de leurs fils devenir prêtre ou frère, ou une de leurs filles s’engager totalement au service du Seigneur. Elles commencèrent donc par se réunir tous les mardis pour l’adoration du Saint Sacrement, sous la direction de leur curé, Mgr Alessandro Canora, et à prier pour les vocations. Tous les premiers dimanches du mois, elles communiaient à cette intention. Après la messe toutes les mamans priaient ensemble pour demander des vocations sacerdotales. Grâce à la prière pleine de confiance de ces mamans et à l’ouverture de cœur de ces parents, les familles vivaient dans un climat de paix, de sérénité et de piété joyeuse qui permit à leurs enfants de discerner leur vocation beaucoup plus facilement.

Quand le Seigneur a dit : “Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus” (Mt 22,14), il faut le comprendre ainsi : beaucoup seront appelés, mais peu y répondront. Personne n’aurait pensé que le Seigneur exaucerait avec autant de largesse la prière de ces mamans. De cette bourgade sont issues 323 vocations à la vie consacrée (trois cent vingt trois !): 152 prêtres (et religieux) et 171 religieuses appartenant à 41 congrégations différentes. Beaucoup de ces jeunes gens rejoignirent les Salésiens : la congrégation fondée par saint Jean Bosco à Turin en 1859. Don Bosco s’était en effet rendu à Lu quatre fois dans sa vie et sa spiritualité imprégnait la bourgade. Dans certaines familles il y eut même quelquefois trois à quatre vocations. L’exemple le plus connu est celui de la famille Rinaldi. Le Seigneur appela sept enfants de cette famille. Deux filles entrèrent chez les sœurs salésiennes et, envoyées à Saint Domingue, elles furent de courageuses pionnières et missionnaires. Parmi les garçons, cinq devinrent prêtres salésiens. Le plus connu de ces cinq frères, Filippo Rinaldi fut le troisième successeur de Don Bosco.

Saint Jean Bosco et les enfants de son oeuvre

Le cardinal Vaughan raconte que pendant 30 ans sa mère a passé une heure par jour de 17 à 18h devant le Saint-Sacrement à implorer Dieu de lui donner des enfants consacrés à Son service. Elle aimait beaucoup parler en famille de la dignité des prêtres et de leur ministère pour le salut des âmes. Elle eu quatre filles religieuses, deux religieux, un prêtre diocésain, un évêque, un archevêque et le cardinal Vaughan. 

Tous les 10 ans, un grand rassemblement se faisait à Lu avec les survivants de ces vocations éparpillés aux quatre coins du monde (voir la photo ci-contre de 1946). Ainsi, il y eu chaque année pendant 50 ans de nombreuses “première messe”, alors qu’il n’y en avait aucune dans les villages voisins.

Derrière chaque prêtre il y a toujours une mère, qui le plus souvent a été aussi à l’origine de la vocation sacerdotale ou religieuse de son enfant. On peut citer le témoignage ému de saint Augustin dans les Confessions : “Par les prières de ma mère, Votre fidèle, qui pleurait sur mon âme plus encore que ne pleurent les mères sur le corps de leur enfant décédé, Vous avez étendu votre main du Ciel et Vous avez tiré mon âme de ces ténèbres impénétrables… Ma chère mère, Votre servante, ne m’a jamais abandonné. Elle m’a mis au monde avec son corps à cette vie temporelle et avec son cœur à la vie éternelle. Ce que je suis devenu et de quelle manière, je le dois à ma mère”. Derrière la conversion, le sacerdoce et l’épiscopat du saint d’Hippone on devine les larmes incessantes de sainte Monique qui n’a jamais abandonné son fils.

L’histoire de Lu nous montre également l’importance de la foi chrétienne prêchée et authentiquement vécue au quotidien par les parents, de l’éducation des enfants à la piété et la pureté de cœur, dans la docilité de l’esprit et la joie simple, dans l’effort persévérant et le zèle des âmes, dans l’éloignement de l’esprit du monde. 

«Donnez-moi des mères vraiment chrétiennes et je sauverai le monde qui s’enlise», disait Saint Pie X.

Voici la prière que nous proposons aux mères de réciter à cette intention : 

Mon Dieu, faites qu’un de mes enfants devienne prêtre, religieux ou religieuse ! Je veux vivre moi-même en bonne chrétienne. Je veux conduire mes enfants au Bien pour obtenir la grâce de pouvoir Vous offrir, Seigneur, un saint prêtre, un saint religieux, une sainte religieuse.

Samuel C.

Principes de discernement sur les visions et révélations privées

S’il est arrivé souvent dans l’histoire de l’Église que Notre-Seigneur, Notre-Dame, des anges ou des saints visitent la terre pour apporter aux hommes un message exhortant à la piété et à la conversion, ou pour donner à quelqu’un une mission particulière pour le bien des âmes, le nombre de fausses apparitions ou de fausses visions à ce sujet est certainement plus grand que celui des vraies apparitions. Le nombre de vraies apparitions et révélations qui ont été après coup déformées, embellies ou revisitées par les hommes est aussi grand.

Une apparition ou une vision supposément surnaturelle peut être fausse de deux manières différentes : ou bien parce qu’elle vient de l’homme, ou bien parce qu’elle vient du démon.

Si elle vient de l’homme : elle est le fruit d’un pur mensonge de la part d’un prétendu visionnaire, ou bien de son imagination malade, de ses fantasmes, de quelque trouble psychologique d’ordre naturel. Tous les grands mystiques et même des saints visionnaires connaissaient cette propension de l’homme à prendre pour des visions surnaturelles des choses qui n’appartiennent qu’à leur propre imagination : il n’est pas rare justement pour ces saints visionnaires de se méfier des visions qu’ils reçoivent en se demandant dans un premier temps si elles ne sont pas le fruit d’hallucinations, et en en parlant à leur directeur spirituel.

Si elle vient du démon :  elle est le fruit de ses prodiges, auquel cas il est toujours possible pour les âmes de bonne volonté et de bon sens de trouver des indices permettant de détecter la présence du démon derrière certains phénomènes extraordinaires. Une anecdote célèbre de la vie de saint Pierre Martyr, inquisiteur dominicain au XIIIe siècle, relate un épisode dans lequel il déjoue une fausse apparition de la sainte Vierge auquel le peuple avait commencé à croire (cf. le tableau en illustration : Saint Pierre Martyr exorcisant un démon ayant pris les traits d’une Vierge à l’Enfant, Antonio Vivarini , 1450). Plus proche de nous, au XIXe siècle dans la suite des apparitions de Lourdes, les fausses apparitions de Ségus (petit village proche de Lourdes) ont été déjouées par le moyen d’une aspersion d’eau bénite. Dans le cas des apparitions de Ségus, une multiplication de faits bizarres et inhabituels entourant ces phénomènes (par exemple, les enfants visionnaires se mettaient à donner des ordres aux adultes pour leur dire comment il convenait de plaire à la sainte Vierge, en leur disant de faire des gestes et des actions qui n’avaient apparemment aucun sens) ont alarmé la vigilance des autorités ecclésiastiques locales, qui ont eu suffisamment de discernement pour suspecter la singerie du démon.

L’attitude des fidèles vis à vis des visions et révélations privées devrait être guidée par les principes qui suivent, principes qui appartiennent à la pratique multiséculaire de l’Église, et aux règles de la prudence et du discernement des esprits :

  • Premièrement, une vision, apparition ou révélation privée ne requiert jamais de la part du fidèle l’assentiment de la foi. Il est hors de propos d’accuser quelqu’un d’impiété ou d’hérésie s’il ne croit pas à la réalité d’une révélation que Dieu aurait faite à un visionnaire. C’est l’enseignement magistériel de l’Église qui requiert l’assentiment de la foi : même les visions les plus connues et les plus communément admises comme authentiques dans l’Église, comme celles de sainte Brigitte ou de sainte Marguerite-Marie Alacocque, n’appartiennent pas au dépôt de la Révélation proprement dite. Il est pieux d’y croire et il y a certainement un mauvais esprit à en douter, si ces visions sont en quelque manière approuvées par l’autorité ecclésiastique (qui se prononce rarement pour dire si les visions sont vraies ou non, mais plutôt pour dire que les dévotions ou les messages qui sont issus de la vision sont vraiment pieux, conformes à l’esprit de Dieu et de son Église). Mais ces révélations privées ne sont pas «de foi», seul le magistère de l’Église nous apprends avec certitude la vérité sur Dieu et sur les moyens du salut.
  • Deuxièmement, en l’absence d’une approbation ecclésiastique des publications faisant état de visions et de révélations privées, la plus grande circonspection est de mise pour les fidèles. Il serait sans doute plus agréable à Dieu de se retenir de croire à des visions ou révélations privées par défaut, tant qu’elles n’ont pas été approuvée par quelque autorité compétente, qu’à l’inverse de croire avec un enthousiasme naïf à tout ce qui a l’apparence de la piété et du surnaturel. Car on peut être trompé facilement dans cet enthousiasme, comme l’a été le peuple de Ségus ou le peuple du village visité par saint Pierre Martyr. Comme le sont aujourd’hui énormément de chrétiens à propos des apparitions bizarres et plus que douteuses de Međugorje. Derrière cette propension à se saisir immédiatement de tout ce qui semble être une apparition céleste, il peut se cacher une tendance au sensationnalisme et un goût immodéré pour l’extraordinaire, qui sont identifiés par les auteurs spirituels comme de possibles signes d’une influence du démon dans l’âme : l’esprit de Dieu fait incliner vers les biens invisibles et insensibles de la grâce, fait affectionner les choses simples et ordinaires en matière de piété et de sanctification. «On doit chercher le Dieu des consolations, pas les consolations de Dieu» dit l’adage. Si l’on est ennuyé par les exercices ordinaires de la piété, par l’étude du catéchisme et des ouvrages classiques de spiritualité, mais fasciné par les apparitions et les révélations, c’est certainement un signe de mauvaise santé spirituelle et une tendance à corriger pour le bien de notre âme.
  • Troisièmement, si le prétendu visionnaire fait preuve de certains comportements irréguliers et incompatibles avec la vraie piété chrétienne, c’est un signe très disqualifiant en défaveur de l’authenticité de ses révélations. Bien que le fait de recevoir des apparitions, des visions et des révélations privées ne constitue pas en soi un signe de sainteté, dans le cours ordinaire des choses Dieu ne donne ces messages particuliers qu’à des personnes saintes ou à des enfants innocents, pour donner de la crédibilité et de l’effet à son message. Si le prétendu visionnaire (très souvent : la prétendue visionnaire) témoigne, sous des apparences extérieures plus ou moins spectaculaires de piété, d’un esprit obstiné et rebelle, c’est qu’il n’a qu’un simulacre de sainteté et qu’il est fort probable qu’il trompe ses auditeurs en quelque manière. S’il fait preuve de comportements autoritaires et manipulateurs, en s’entourant d’une cour d’admirateurs et en accusant les autres de ne pas suffisamment croire à ses révélations par exemple, c’est encore pire. Or ces comportements sont très fréquents parmi les supposées visionnaires de ces derniers temps, et parmi ceux qui relaient avec le plus d’ardeur leurs supposées visions. Ces signes d’orgueil sont si contraires à l’esprit de Dieu qu’il est en pratique impossible que Dieu se serve de ces personnes superbes pour élever les fidèles à une plus grande piété.
  • Quatrièmement, si les prétendues visions et révélations contiennent des faits extravagants, excessivement spectaculaires et contraires aux mœurs ordinaires, c’est encore un signe disqualifiant. Les voies de Dieu sont des voies d’humilité et de simplicité. Même dans les véritables miracles et les signes surnaturels extraordinaires, il se trouve comme un parfum de simplicité qu’on ne retrouve jamais dans ce qui est le fruit de l’imagination ou de l’invention de l’homme. En lisant l’évangile, on peut être frappé par le fait suivant : rien de ce qui est relaté n’est exagéré, rien n’est grossi ou mis en scène, le récit est simple et direct, les miracles physiques de Notre-Seigneur n’incluent pas de signes «prodigieux» ou «fantaisistes» comme les récits populaires de miracles qui existent en terre chrétienne, islamique, hindouiste ou autre, où il est facile de déceler le merveilleux (par exemple, un des seuls «miracles» dont Mahomet est crédité par la tradition orale islamique est d’avoir pris la Lune dans le ciel puis de l’avoir mise dans sa manche … c’est pour le moins grotesque et inutile). Plusieurs fois d’ailleurs le Christ loue la foi de ceux qui n’attendent pas de signe visible et extraordinaire, mais savent que par un simple mouvement de sa volonté, il a le pouvoir de guérir : notamment le centurion romain, qui ne demande pas au Christ de venir chez lui guérir son serviteur, mais simplement de dire un mot pour sa guérison (Matthieu VIII, 5-13). Si donc un récit d’apparition supposément surnaturelle contient des éléments qui semblent oiseux, grotesques, merveilleux et bizarres, c’est une très bonne raison de douter de son caractère surnaturel. C’est parfois à ces signes de bizarreries que l’on peut détecter l’ingénierie du démon derrière des manifestations apparemment célestes : dans les prodiges démoniaques, il y a toujours quelque chose d’étrange et de ridicule, de telle sorte que les chrétiens sincères et avertis puissent se rendre compte qu’il y a une tromperie. Pour autant, il peut arriver que de vraies apparitions contiennent des faits surprenants et inhabituels, par rapport aux récits déjà connus de miracles et d’apparitions : il faut un vrai travail de discernement pour tirer au clair le caractère surnaturel d’une apparition ; dans ce travail de discernement l’étude des fruits de l’apparition est décisif, et en définitive le moyen le plus fiable d’avoir une vraie sécurité d’interprétation est de recourir aux jugements d’une autorité ecclésiastique, au moins à l’échelle d’un diocèse. Si après examen l’autorité ecclésiastique interdit la diffusion et la publication d’écrits faisant état d’une supposée révélation privée, c’est évidemment une raison très sérieuse de ne pas la tenir pour authentique.
  • Cinquièmement, si les prétendues révélations font état de choses qui flattent la curiosité plutôt qu’elles ne nourrissent la piété, c’est un fort indice en faveur d’une origine purement humaine. Énormément de supposées révélations privées, dont certains sont extrêmement friands dans les milieux traditionalistes, semblent n’être que de oiseuses et prétentieuses prédictions de l’avenir. Que sert à l’homme de savoir quels seront dans le détail les grands événements du temps futur ? En quoi cette connaissance permet d’être plus saint, plus humble, plus charitable et plus orienté vers Dieu ? Cette pseudo-connaissance a plutôt pour effet de flatter la curiosité et peut-être d’enfler l’orgueil en donnant la sensation que l’on a accédé à un savoir caché, et d’être ainsi «mieux préparé» que ceux qui ne veulent pas donner leur assentiment à ces révélations. Mais préparé à quoi exactement ? L’évangile nous apprend qu’un souci excessif de l’avenir et de ses incertitudes n’est pas conforme à l’esprit de Dieu : «N’ayez donc point le souci du lendemain, car le lendemain aura souci de lui-même : à chaque jour suffit sa peine» (Matthieu VI, 34). Pourquoi Dieu prendrait le temps de révéler les détails de l’avenir à des voyantes s’il nous dit par ailleurs, dans les saintes Écritures, qu’il n’y a pas à se préoccuper des détails de l’avenir, surtout s’ils concernent le monde dans son ensemble (et des choses sur lesquelles nous n’avons aucune emprise) plutôt que notre vie et notre devoir d’état en particulier ? Pour notre humilité, Dieu fait que l’avenir nous est en grande partie inconnu et obscur, y compris pour ce qui concerne les événements terribles qui doivent arriver à la fin des temps, sur lesquels l’Église n’enseigne que peu de choses et dans un langage peu explicite : de tout temps, l’Église a laissé les fidèles débattre librement sur l’interprétation du livre de l’Apocalypse et les événements entourant la fin des temps, ne définissant que trois signes devant certainement précéder cette fin des temps (la prédication universelle de l’évangile, la grande apostasie et la venue de l’Antéchrist). Il faut veiller pour nous à ce que cette curiosité concernant les derniers temps ne se transforme pas dans une sorte d’obsession malsaine et dévorante, qui pousse à chercher des «signes» partout d’une manière quasiment superstitieuse, car cela ne change strictement rien du point de vue de notre devoir d’état et de notre sanctification que la fin du monde soit demain, dans 10 ans ou dans 150 ans. La piété commande de se préparer personnellement à la mort, chaque jour de notre vie, plutôt que de nous «préparer à la fin des temps» en divaguant en imagination dans ces eaux incertaines. Ces supposées révélations sur la fin des temps ou sur l’avenir plus ou moins proche de la France et du monde ne sont d’aucun intérêt et d’aucune aide du point de vue de notre sanctification. Il faut de plus garder à l’esprit que l’histoire de l’Église et du monde est traversée, à chaque époque, de ces fausses visions et fausses révélations promettant un avenir politique glorieux à quelque prince ou à quelque nation, ou annonçant quelque malheur terrible. La fausse doctrine du millénarisme a inondé le monde de fausses révélations sur l’avenir. Par exemple, au XVe siècle en Aragon, beaucoup de «révélations privées» et de «prophéties» prétendaient que  le roi de l’époque était destiné à devenir le grand monarque universel devant inaugurer le «règne millénaire du Christ». Hélas pour les hommes de ce temps, le royaume d’Aragon n’est plus qu’un lointain souvenir aujourd’hui … Au Portugal, un équivalent est le «sébastianisme», sorte de mouvement culturel et spirituel nourri par de supposés miracles et de supposées prophéties, basé sur la croyance en la survie et au retour du roi Sébastien Ier, disparu durant la «bataille des Trois Rois» au Maroc en 1578. Il fait écho à de vieux mythes ibériques antérieurs sur le «roi caché» ou le «roi disparu» qui attend le bon moment pour revenir. Il se trouvait encore au XVIIIe siècle des auteurs ecclésiastiques qui croyaient à ces prophéties et les diffusaient. Il s’agit cette fois de dire que le grand règne chrétien universel sera dirigé par le Portugal. Qui ne voit que dans ces pseudo-prophéties, qu’elles soient relatives à l’Aragon, au Portugal ou à la France, ne sont que l’expression des des rêves de grandeur restaurée de ces nations, et flattent l’orgueil national et la curiosité beaucoup plus que la piété ? Chacun aura l’orgueil de prétendre être le nouvel Israël, comme si depuis la Nouvelle Loi Dieu avait prévu de s’appuyer sur une nation particulière, au détriment de toutes les autres, pour faire avancer son œuvre. Rien dans la Révélation ne permet d’avancer de telles théories., et l’histoire de l’Église nous montre que Dieu se sert parfois particulièrement de certains nations pour ses desseins (la France et le Portugal, grandes nations chrétiennes, sont certainement en bonne place sous ce rapport), mais pas d’une seule au détriment des autres comme le veulent ces supposées prophéties. Pourquoi même chercher à savoir si ces prophéties sont vraies ou fausses, vu l’impact inexistant qu’elles auront sur notre conduite quotidienne en présence de Dieu ? Enfin pour finir nous mentionnerons au titre des pseudo-révélations les soi-disant prophéties en vogue dans les milieux catholiques des années 1980 à propos d’une invasion violente et imminente de la France par l’URSS. En creusant un peu, on pourrait trouver à chaque époque des dizaines d’ouvrages remplis de ces pseudo-prophéties oiseuses, qui donnent l’air d’être des certitudes issues de la lumière divine et qui ne se réalisent jamais. Sans doute parce qu’elles proviennent de l’imagination et de l’orgueil des hommes, et pas de la sagesse de Dieu. A nous de savoir nous garder de ces distractions, pour privilégier le combat spirituel et la sanctification à toute autre préoccupation.
  • Sixièmement, si les prétendues visions et révélations contiennent des errances doctrinales, nient ou minimisent des dogmes de foi et proposent comme venant de Dieu des doctrines qui n’ont jamais été admises dans l’Église, alerte rouge ! L’apôtre saint Paul disait aux Galates : «Si jamais quelqu’un, fut-ce nous-même, fut-ce un ange venu du ciel, vous prêchait un évangile autre que celui que nous avons prêché, qu’il soit anathème ! Nous l’avons déjà dit, je le redis à cette heure : si quelqu’un vous prêche un évangile autre que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème !» (Gal. I, 8-9). Ce serait la dernière des folies de donner du crédit à une fausse doctrine sous le prétexte qu’elle émane d’une apparition qui semble vraie et d’une personne qui semble pieuse. Si les signes précédemment mentionnés permettent de douter de la véracité d’une révélation privée, ici l’errance doctrinale donne la certitude que la révélation est fausse, quelles que soient les apparences de piété qui l’entourent par ailleurs. Or ces fausses visions et fausses révélations invoquées à l’appui de fausses doctrines sont nombreuses, n’en soyons pas dupes.
  • Septièmement, et en lien avec le point précédent : il n’est jamais possible d’invoquer des révélations privées comme argument dans un débat théologique. La théologie est la science qui permet d’expliciter, d’approfondir et de connecter entre elles les vérités révélées, à l’aide de la raison. Elle est un «discours raisonnable» sur Dieu et ce qui est relatif à Dieu. Cette science a ses règles, ses méthodes, ses maîtres et ses autorités (saint Thomas d’Aquin, saint Robert Bellarmin, saint Alphonse de Liguori font partie des autorités les plus respectées et les plus recommandées par l’Église). Elle ne repose pas principalement sur l’autorité des auteurs du passé (l’argument d’autorité – humaine – dans la réflexion est le plus faible de tous d’après saint Thomas d’Aquin, qui évoque ce principe à propos d’Aristote en philosophie), mais sur les principes de la raison première et de la réalité, utilisés pour mieux comprendre la Révélation (l’argument d’autorité divine étant la base de toute théologie) ; ce qui fait le crédit et la qualité d’un théologien est généralement sa capacité à remonter aux principes pour élucider certaines questions obscures ou débattues à propos des vérités révélées. Jamais on n’a vu un théologien digne de ce nom, dont le travail a été approuvé en quelque manière par l’Église, citer à l’appui de ses thèses et de ses démonstrations des apparitions ou des révélations privées : quand bien même certaines véritables apparitions donnent du crédit à des thèses théologiques et peuvent motiver l’Église à définir des dogmes (par exemple, les apparitions de la médaille miraculeuse ont motivé la définition du dogme de l’Immaculée Conception, vérité déjà crue depuis longtemps dans l’Église par ailleurs), elles ne constituent pas en soi des arguments pour prouver la vérité d’une position dans le cadre d’une démonstration théologique, car elles n’appartiennent pas au dépôt de la foi et ne demandent pas un assentiment absolu de la part des catholiques. Il est courant pour des auteurs de spiritualité de parler de visions et de révélations privées pour illustrer certains principes et inciter à la piété ; une telle chose en revanche est inconnue dans le cadre de la théologie. Ce stratagème (d’invoquer une révélation privée en théologie) est en fait souvent employé par des ennemis de la vérité, pour donner du crédit à des doctrines par ailleurs absurdes en faisant croire qu’elles viennent directement du Ciel : les modernistes s’en sont abondamment servis et s’en servent encore aujourd’hui, notamment pour accréditer leurs thèses eschatologiques. Par exemple l’idée suivant laquelle les enfants morts sans Baptême sont au Paradis, l’idée suivant laquelle personne ne se damne, l’idée suivant laquelle chaque personne a une apparition personnelle du Christ pour pardonner les péchés et appeler à la conversion au moment de mourir (ce qui appuie beaucoup l’idée suivant laquelle un nombre infime ou nul de personnes se damnent). Un cas d’école en cette matière est le théologien Hans Urs von Balthasar (1905-1988), considéré comme «l’un des plus grands théologiens du XXe siècle» par les conciliaires, promu à la «commission théologique internationale» par Paul VI en 1969, puis nommé «cardinal» par Jean-Paul II en 1988, théologien préféré de Benoît XVI avec Henri de Lubac [1]. Il est connu surtout pour sa fameuse théorie suivant laquelle l’enfer existe réellement (c’est après tout un dogme de foi) mais est en fait vide : la damnation est théoriquement possible, mais la miséricorde de Dieu prévient en pratique la damnation de quiconque. Ses principaux arguments résident dans les prétendues visions d’Adrienne von Speyr (1902-1967), avec laquelle il entretenait une relation pour le moins bizarre et malsaine, dont nous souhaitons parler prochainement dans un article dédié. En réalité, l’essentiel du travail de von Balthasar, «génial théologien du XXe siècle», est un commentaire des prétendues visions de von Speyr, dont il est l’unique dépositaire et interprète …

Savoir reconnaître, déjouer et contredire les fausses communications surnaturelles, ou les révélations privées douteuses, est une science très utile aujourd’hui, en cette époque où beaucoup, ayant la démangeaison d’entendre des choses qui les flattent, se donnent une foule de docteurs selon leurs désirs, détournent l’oreille de la vérité et se tournent vers des fables (2 Timothée IV, 3). En suivant les principes précédemment exposés, tout chrétien saura aborder paisiblement et sans excès de passion le problème des visions, apparitions et révélations privées, à la lumière de la foi et de la raison.

Jean-Tristan B.


[1] Joseph Ratzinger, avant et après son élection au souverain pontificat, n’a de cesse de louer Hans Urs von Balthasar, sans l’ombre d’une critique. Il publie par exemple en 2005, dans l’exercice de son « pontificat », un document à la louange de son ami et de sa théologie : https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/messages/pont-messages/2005/documents/hf_ben-xvi_mes_20051006_von-balthasar.html


Pour continuer sur le même sujet, nous recommandons plusieurs articles en langue anglaise sur le blog « introibo ad altare Dei »:

http://introiboadaltaredei2.blogspot.com/2019/07/when-apparitions-become-dogma.html

http://introiboadaltaredei2.blogspot.com/2016/10/you-shouldnt-always-believe-what-you-see.html

http://introiboadaltaredei2.blogspot.com/2013/04/when-supernatural-becomes-superstitious.html