Suivre la Semaine Sainte de Saint Pie X : est-ce désobéir à Pie XII ?

L’un des sujets les plus débattus entre les catholiques « non una cum » est celui du rite de la Semaine Sainte. Il existe deux positions qui comptent chacune un nombre de partisans importants, qui divisent  entre eux prêtres et groupes cléricaux, et qui suscitent parfois des échanges d’une grande violence. 

La première position consiste à suivre le rite réformé sous Pie XII, d’après le principe suivant lequel il  faut suivre toutes les lois en vigueur dans l’Église au moment de la mort du dernier pape. La seconde  position consiste à utiliser le rite de la Semaine Sainte en vigueur immédiatement avant cette réforme, celui qui a été codifié par Saint Pie X, étant donnés certains problèmes posés par le rite réformé (sans dire, pour autant, que ce rite est intrinsèquement mauvais, puisqu’il a été promulgué par l’Église – aucun partisan de la seconde position n’objecte à cela).

Les tenants de la première position ont souvent, vis-à-vis de ceux de la seconde, des propos très durs et parfois extrêmes : esprit d’orgueil et de caprice, péché grave de désobéissance, schisme. Refusant  habituellement d’entendre le moindre argument sur la nature problématique des réformes, les  partisans de la première position disent souvent qu’il ne faut « pas discuter » les lois et les ordres qui  viennent de l’Église. 

Nous espérons ici défendre la validité de la deuxième position. La nature des réformes a déjà été  suffisamment discutée, nous n’entrerons pas beaucoup dans le détail à ce sujet [1]. Nous souhaitons plutôt répondre au cœur du débat qui est de savoir si ce choix est, oui ou non, une désobéissance à Pie XII et à la Sainte Église, en discutant un certain nombre de points qui sont trop souvent négligés ou hâtivement contredits par les adversaires de cette position.


Sommaire

  1. L’absence du législateur
  2. Le recul historique sur les intentions de la réforme
  3. Le contexte actuel
  4. La lettre de la loi et l’intention du législateur
  5. Une conception excessive de l’obéissance

Premier problème : l’absence du législateur

Pour désobéir à Pie XII, il faudrait encore que Pie XII … soit vivant. Il n’est pas honnête de présenter le problème comme s’il était exactement identique à une situation dans laquelle un pape régnant impose un rite, et certains prêtres prennent l’initiative de refuser ce rite en arguant qu’il contient tel ou tel problème. Ceci serait, effectivement, une désobéissance inacceptable. 

L’absence de pape régnant change fondamentalement la nature du problème. La présence du législateur rend possible des discussions et des aménagements par rapport à la loi : et quiconque a la moindre connaissance du droit canon, ou des autres types de droit humain, sait que tout ce qui ne dépend pas directement de la loi naturelle ou de la loi divine est dispensable, réformable, diversement appliqué suivant les circonstances. Il existe trop d’ignorance sur ce sujet, trop de catholiques qui croient encore que le droit canon est une sorte de loi divine absolue qui excommunie automatiquement toute personne qui s’en écarte un tant soit peu. 

Les discussions et les aménagements avaient commencé dès l’époque de la promulgation de la réforme, nous en avons plusieurs témoignages historiques. Certains liturgistes éminents ont publiquement critiqué la réforme. Jean XXIII lui-même utilisait le rite de la semaine sainte selon Saint Pie X. Il apparaît donc que dès avant la promulgation du Novus Ordo par Paul VI, certains se rendaient compte des imperfections du rite réformé et auraient sans doute souhaité négocier avec le pape un aménagement de cette nouvelle loi.

À la question de savoir s’il est prudent de se dispenser d’une loi en l’absence d’un législateur qui est  en mesure d’accorder légalement la dispense, il peut y avoir différentes appréciations, différentes  réponses selon le contexte. Mais il est certain qu’en principe, cette initiative de ne plus suivre une loi en l’absence du législateur n’est pas systématiquement une désobéissance et une fantaisie arbitraire.  Tout dépend du contexte et de la gravité des raisons qui pousseraient, en temps normal, à demander une dispense, ou qui rendraient la lettre de la loi dangereuse. 


Deuxième problème : le recul historique sur les intentions de la réforme

Il ne fait aucun doute aujourd’hui que l’intention des réformateurs (par là nous voulons dire ceux qui ont élaboré la réforme, pas Pie XII en lui-même qui n’a fait que ratifier les travaux de ces réformateurs, qui ne lui ont pas touché mot de leurs véritables intentions) était de préparer la révolution liturgique qui a suivi sous Paul VI. Ceci a été dit et redit par les personnes même qui ont élaboré le nouveau rite de la semaine sainte [2]. La chose n’était pas apparente à l’époque, car très peu sont ceux qui connaissaient suffisamment la pensée des réformateurs pour établir les connexions avec les erreurs du « mouvement liturgique » [3]. Mais ces réformateurs, fiers de leurs accomplissements, se sont chargés de l’expliquer à la postérité, après le triomphe absolu de leurs idées perverses après Vatican II.

Ceci change également de manière radicale la nature du problème. A l’époque Pie XII ne savait pas, et la quasi-unanimité des catholiques ne savait pas, à quel point les intentions des réformateurs étaient viciées, et quels étaient les « sens cachés » de certains ajouts, de certaines omissions, de certaines modifications par rapport au rite de Saint Pie X. Le fait de le savoir actuellement nous fait porter un regard nouveau sur ces rites réformés ; la connexion avec la « nouvelle messe » est évidente.

Si l’on considère que ce rite de la nouvelle messe pose gravement problème, il est logique de se poser la question de l’opportunité de suivre le rite réformé de Pie XII ou non, maintenant que l’on connaît sa proche association avec la nouvelle messe. Ceux qui veulent nier cette association font preuve de mauvaise foi : il faudrait au moins reconnaître la réalité de cette association, et ensuite expliquer pourquoi malgré cette association, il est plus juste et plus prudent de continuer de suivre cette loi entrée en vigueur avant l’existence du nouveau rite (et il y a potentiellement des arguments valables en ce sens). Mais on ne peut plus raisonnablement prétendre que l’intention de cette réforme était sans rapport avec le modernisme.

Constater cela n’est pas nier l’infaillible protection des lois de l’Eglise. La semaine sainte réformée n’est pas un rite mauvais en soi. Cependant :

  • Les lois et les rites de l’Eglise ne sont pas tous également parfaits, il y a du plus ou moins bon, et rien ne garantit que les papes effectuent toujours les meilleurs choix en cette matière.
  • Toutes les lois, même celles de l’Eglise, considérées dans leur lettre, peuvent se révéler problématiques par accident dans certaines circonstances : dans ces circonstances doit s’exercer l’épikie, dont nous parlerons plus tard. 

Troisième problème : le contexte actuel

Les lois humaines sont dépendantes, pour leur application, d’un certain contexte. Souvent, des lois sont émises pour répondre à un problème donné, et deviennent plus ou moins inadéquates suite à un changement du contexte. Concernant le rite réformé de Pie XII, l’argument de ceux qui suivent le rite de Saint Pie X consiste notamment à dire que le contexte a changé de manière suffisamment grave pour rendre la loi inopportune actuellement. Voici en quoi consiste ce changement de contexte :

  • Nous connaissons les intentions cachées des réformateurs, le sens « intime » de la réforme.
  • Nous avons continuellement sous les yeux les scandales de la nouvelle liturgie (dont la semaine sainte réformée était pensée comme une préparation, bien plus subtile et moins dangereuse que le nouveau rite en lui-même, néanmoins une véritable préparation).
  • Les prêtres restés entièrement catholiques ont un devoir spécial, pour la gloire de Dieu et pour le salut des âmes, de lutter contre le modernisme et le libéralisme sous toutes ses formes, c’est une des choses les plus importantes qu’ils ont à faire pour prémunir leurs fidèles contre les dangers du monde et in fine contre la damnation. 

Nous savons aussi, ce qui sera peut-être considéré comme moins important, que Pie XII était gravement malade à l’époque où la réforme a été promulguée, et que les modernistes qui l’entouraient abusaient de sa faiblesse pour obtenir des approbations dans leurs entreprises, comme en témoigne Bunigni dans ses mémoires. Il est difficile, vu ces témoignages, de penser que Pie XII ait inspecté de manière très détaillée le contenu des réformes ; c’est notamment le cardinal Bea, confesseur de Pie XII et pourtant moderniste en secret, qui a abusé de la confiance que lui accordait le vénérable Pape.

Le point 1 (absence du législateur) combiné au point 3 (contexte actuel) aboutit à la décision prudentielle de s’en tenir au rite précédent la réforme, pour ne pas contracter la moindre association avec le modernisme destructeur, association qui n’était pas manifeste à l’époque où la loi a été promulguée, mais qui l’est clairement dans le contexte actuel.

Il faudrait, idéalement, n’avoir pas à se reposer sur ce type de jugement particulier pour suivre ou non une loi donnée : ce n’est pas ainsi que la loi est censée fonctionner, on ne doit pas voir les sujets continuellement discuter de l’opportunité de la loi, et se réserver la possibilité de l’appliquer ou non.  Mais nous ne sommes pas dans une « situation idéale », nous sommes plutôt dans une situation de crise catastrophique : il y a des choix de ce type qui s’imposent quotidiennement à ceux qui veulent continuer du mieux qu’ils peuvent à poursuivre la mission de l’Église, en l’absence d’une autorité juridictionnelle dans l’Église. 


Quatrième problème : la lettre de la loi et l’intention du législateur

Il existe de nombreuses circonstances dans lesquelles il est bon de ne pas appliquer la lettre de la loi, pour respecter son esprit. Cet exercice, potentiellement délicat, n’a rien à voir avec un choix arbitraire de ne plus appliquer la loi dans les cas où celle-ci nous incommode légèrement, pour faire valoir une préférence personnelle. Il s’agit de faire passer avant la lettre de la loi des impératifs supérieurs (justice, bien commun), quand dans certains cas précis que le législateur n’avait pas prévu la lettre va à l’encontre de ces impératifs. La vertu qui régule cette activité se nomme épikie. 

Certains catholiques ont une fausse conception de l’épikie, en la limitant seulement à des cas « d’urgence » ou de « nécessité absolue ». Ils prétendent donc que l’exercice de l’épikie se limite à quelques situations rares, et que le choix du rite de la semaine sainte ne rentre pas dans ce champ (étant donné que la semaine sainte réformée vient de l’Église, il ne s’agit pas d’un rite mauvais, et si l’on est simplement en train de discuter sur des « degrés de perfection », l’épikie ne peut pas  s’appliquer parce qu’il n’y a pas de nécessité). La véritable définition de l’épikie est beaucoup plus large : aussi appelée « équité », il s’agit d’une vertu qui annule l’observance littérale de la loi quand son application dans un cas particulier serait nuisible ou trop coûteuse, dans le respect de l’intention du législateur. L’exercice de cette vertu n’est pas spécialement lié à des circonstances dramatiques ou extraordinaires : il s’agit plutôt d’une vertu d’usage habituel, car la loi ne prévoit jamais tous les cas particuliers et tous les contextes. 

Saint Thomas explique :

…  les actes humains que les lois règlent consistant dans des choses contingentes qui peuvent varier d’une infinité de manières, il n’a pas été possible d’établir une règle légale qui ne fût défectueuse dans aucun cas. Les législateurs considèrent ce qui arrive le plus souvent, et d’après cela ils portent leur loi. Cependant l’observation de la loi peut être, dans certains cas, contraire à l’égalité de la justice et au bien commun que le législateur se propose. (…) Dans ces circonstances et dans d’autres semblables, c’est un mal de suivre la loi établie. Par conséquent, en mettant de côté les paroles de la loi, c’est un bien de suivre ce que demande la raison de la justice et l’utilité commune ; et c’est là le but de l’épikie, à laquelle nous donnons le nom d’équité.

Somme Théologique, IIa IIae, q. 120

Saint Alphonse de Liguori dit aussi :

L’Epikie est une exception dans un cas ou des circonstances dans lesquelles nous jugeons avec certitude ou avec une très grande probabilité que le législateur ignorait ce cas tombant sous la loi.

Theologia moralis, Lib. I Tract. II, III de Epikeia Legis

Si l’on suit la doctrine de Saint Alphonse, on agit vertueusement en n’appliquant pas une loi, si l’on  juge « avec certitude ou avec une très grande probabilité que le législateur ignorait ce cas tombant  sous la loi » : autrement dit, et appliqué à notre contexte actuel, il est un raisonnement valide de ne  plus appliquer la loi (réforme de la semaine sainte) considérant l’ignorance du législateur (Pie XII) sur  le cas actuel (nous vivons dans une époque postérieure à la révolution liturgique et doctrinale de  Vatican II, et nous avons aussi une information historique fiable et complète sur la véritable nature de  la réforme). L’intention du législateur n’est pas que nous suivions coûte que coûte un rite qui s’avère, dans le contexte actuel, évocateur de choses mauvaises. 

Il est déplorable de voir de nombreux catholiques considérer l’exercice de l’épikie comme le signe d’une « insubordination satanique ». Un catholique sérieux devrait être capable de faire la différence entre un éloignement prudent de la lettre de la loi, et un caprice de l’orgueil. L’exemple des Pharisiens nous apprend d’ailleurs qu’il y a souvent plus d’orgueil chez ceux qui en appellent en toutes  circonstances au respect littéral de la loi, que chez ceux qui savent discerner, par le bon sens, les cas où cette loi ne doit plus être respectée. « Qui de vous, si son âne ou son bœuf tombe dans un puits, ne l’en retirera pas aussitôt, le jour du sabbat ? » (Luc 14, 5).

Et Jésus, prenant la parole, dit aux docteurs de la loi et aux pharisiens: Est-il permis de guérir le jour du sabbat?
Mais ils gardèrent le silence. Alors Lui, prenant cet homme par la main, le guérit et le renvoya. (Luc 14, 3-4)

Cinquième problème : une conception excessive de l’obéissance

N’est-ce pas là le cœur du problème ? De nombreux catholiques, souvent bien intentionnés, ont de l’obéissance une conception simpliste et excessive : il faudrait accepter aveuglément, sans la moindre réserve, tout ordre émanant de l’autorité, et chercher à discuter ou adapter cet ordre serait la marque d’un esprit orgueilleux, sur la voie de la perdition. Ces catholiques « ultra-obéissants » ont tendance à voir dans les lois humaines, qui émanent de l’autorité, quelque chose qui exige un respect absolu et scrupuleux, avec laquelle on ne peut jamais transiger sous peine de péché. 

Cet état d’esprit n’est pas l’esprit catholique de l’obéissance. L’obéissance, en effet, porte sur l’adhésion à la finalité de la loi avant de porter sur sa lettre : sinon l’épikie ne serait pas une vertu, car elle consiste à chercher l’esprit de la loi dans les circonstances où sa lettre est inopportune ou  nuisible. Il est légitime, en toutes circonstances, de se demander si les lois et les ordres des supérieurs humains sont conformes au bien, et si elles doivent s’appliquer littéralement dans tel ou tel contexte. 

La perfection catholique ne consiste pas à se plier aveuglément à tous les ordres et à toutes les lois, sans la moindre réflexion : même dans la vie religieuse, qui est spécifiquement basée sur l’obéissance, le religieux peut être amené à demander respectueusement à ses supérieurs des aménagements ou des modifications par rapport aux ordres qui lui ont été donnés, si pour une raison ou une autre l’ordre donné lui semble inopportun ou impraticable.

Si le supérieur ne rétracte pas son ordre, alors le religieux fera acte de vertu en continuant de se soumettre à cet ordre. Mais il ne commet aucune faute en soumettant à son supérieur des  observations et des demandes relatives à cet ordre : car le supérieur ne voit pas tout, ne comprend pas tout, et son inférieur peut, moyennant les formes appropriées, le lui signifier dans l’intérêt de tous. Il n’est pas demandé au religieux de se priver définitivement, en prononçant ses vœux, de tout raisonnement ou de toute réflexion. 

Imaginons le cas dans lequel le religieux a reçu un ordre, et pour une raison ou une autre son supérieur n’est plus présent (il est mort, exilé, emprisonné, etc.). De nouvelles circonstances ont rendu cet ordre inopportun, impraticable, dangereux : est-ce que le religieux commet un péché en ne suivant plus cet ordre ? Non évidemment, étant entendu que si le supérieur était présent, il lui demanderait l’autorisation requise, et qu’il n’agit pas par pure préférence arbitraire et orgueilleuse, mais pour des raisons graves et circonstanciées.

On a déjà employé, à propos d’un ordre rendu inopportun par les circonstances, l’exemple d’un enfant qui reçoit de sa mère l’ordre de ne pas quitter la maison en son absence. Si la maison prend feu, est-ce que l’enfant commet un péché de désobéissance en sortant de la maison ? Évidemment non, car l’intention de la mère n’est pas d’obliger l’enfant à rester à la maison à tout prix même si cela le met en grave danger. Ce n’est pas l’esprit de la loi. La mère n’est pas là pour que l’enfant puisse lui demander s’il peut sortir de la maison : qu’importe, la nécessité lui impose de sortir, et si sa mère apprend ensuite que l’enfant est sorti de la maison pour échapper à l’incendie, elle comprendra évidemment que son enfant n’a pas agi en esprit de désobéissance et a bien fait. 

Voici à peu près la situation dans laquelle se trouvent les prêtres qui choisissent la semaine sainte de Saint Pie X. L’ordre reçu il y a longtemps par le pape n’est plus opportun, pour plusieurs raisons. Le pape n’est plus là pour que l’on lui demande une autorisation, en expliquant les problèmes posés par cet ordre ; il est prudent de prendre la décision de ne plus suivre cet ordre, à tout le moins cette décision ne peut pas être qualifiée de péché de désobéissance, étant entendu qu’il y a des raisons graves de ne plus suivre la règle autrefois prescrite. L’intention du législateur (celui qui donne l’ordre) n’est pas de mettre en danger le sujet de la loi : quand la lettre de la loi contredit cette intention dans une circonstance particulière, c’est agir vertueusement que de se détourner de la lettre de la loi pour agir dans l’esprit de la loi.

Vouloir abandonner absolument toute réflexion sur les ordres ou sur les lois, c’est s’exposer, malgré des intentions pures (il est louable de vouloir renoncer à soi-même), à des dangers plus ou moins graves. Que l’on songe à tous ces catholiques qui, par « esprit d’obéissance » et par une sorte d’ignorance volontaire, ont accepté Vatican II et toutes les réformes consécutives : leur intention était droite, on peut le supposer, et pourtant leur action a été extrêmement mauvaise, pour eux-mêmes et pour tous les chrétiens qui subissent encore aujourd’hui les conséquences de leurs mauvais choix. Les scandales de cette fausse obéissance sont peut-être plus graves que les scandales du modernisme débridé : car le modernisme outrancier rebute les âmes pieuses, tandis que cette fausse obéissance attire les âmes pieuses vers les pièges du modernisme de manière plus insidieuse.

Le raisonnement de certains sédévacantistes sur « l’obéissance à Pie XII », poussé jusque dans ses dernières conclusions logiques, pourrait aboutir tout simplement à faire accepter Vatican II : car si l’on ne « doit pas discuter », si l’on ne « doit pas réfléchir » sur ce qui provient de l’autorité, pourquoi discuter et réfléchir sur ce que dit Paul VI, qui a été élu au souverain pontificat et reconnu pape par l’écrasante majorité des catholiques ? N’est-ce pas une manifestation d’un « esprit orgueilleux et indépendant », qui cherche à contrôler et à faire le tri vis-à-vis de ce qui émane de l’autorité ? Si le  sédévacantisme existe, c’est-à-dire s’il y a des catholiques qui réalisent que ce qu’a dit et fait Paul VI est incompatible avec l’autorité pontificale, c’est bien parce qu’il est resté présent à l’esprit de  certains catholiques que l’obéissance ne doit pas être aveugle, et qu’il est légitime de réfléchir et d’étudier ce qui émane ou semble émaner de l’autorité (quitte à conclure, dans certains cas, que ce qui semble être une loi n’en est pas une, ou que ce qui ce qui semble être une autorité n’en est pas  une).

Il faut renoncer à soi-même, mais pas renoncer à ce que l’on sait être vrai, juste et bon. On a entendu, dans le contexte de la crise de l’Église, certains catholiques défendre une conception délirante de l’obéissance, allant jusqu’à dire que « même si le pape disait que Dieu n’existait pas, il faudrait le suivre ». Ceci a toutes les caractéristiques du fidéisme : comme si la raison ne pouvait rien nous apprendre de vrai, et que seule la soumission à une autorité pouvait éclairer notre intelligence et nous rendre vertueux. L’abbé Cekada a entendu son supérieur religieux dire les paroles que nous venons de citer : il comprit alors qu’il y avait, chez ces « conciliaires conservateurs », un grave problème de principes. Ce genre d’obéissance aveugle n’a rien à voir avec la perfection chrétienne.


Conclusion

Ceux qui suivent la semaine sainte de Saint Pie X, de préférence à la semaine sainte réformée sous Pie XII, n’ont aucune volonté de désobéir à l’Église ou d’innover en matière de liturgie.

Les ennemis de cette position ont trop souvent tendance à la comparer à des choix liturgiques personnels et arbitraires, à de l’innovation, à de l’esprit d’indépendance, voir à une volonté de « légiférer sur les rites » à la place du pape : or cette position consiste simplement à s’en tenir au rite en vigueur dans l’Église immédiatement avant la réforme, non pas à une quelconque invention ou fantaisie arbitraire.

Ce choix n’a pas de prétention d’être une « nouvelle loi », de s’imposer à qui que ce soit : c’est une ferme préférence, basée sur des principes bien clairs, cependant il n’a jamais été question de dire que ceux qui suivent la semaine sainte réformée sont dans l’erreur ou dans le péché : seuls les tenants de l’autre opinion (suivre la Semaine Sainte réformée) accusent les autres d’être dans le péché et la désobéissance.

Ce choix est réalisé en l’absence du législateur, en l’absence du pape, ce qui enlève à cette décision le caractère spécifique de la désobéissance : il y aurait désobéissance si, face à un ordre du pape régnant, ces prêtres continueraient de préférer un autre rite à celui qui leur est commandé. Ce n’est pas ce qui se passe actuellement.

L’absence d’autorité dans l’Église pousse les prêtres restés fidèles à effectuer quotidiennement des  actions qui sont contre la lettre du droit canon, mais qui sont dans l’esprit du législateur : n’ayant pas  reçu d’autorisation canonique à leur ministère, ils ont néanmoins reçu, de droit divin, la mission de  donner les sacrements et de sanctifier les âmes, et doivent agir en conséquence, dans un contexte où  la lettre de la loi ne peut pas être respectée.

Il y a des raisons graves, objectives, qui poussent à considérer que la semaine sainte réformée 1) sans être mauvaise, est cependant moins parfaite que le rite auparavant en vigueur, 2) est inopportune dans le contexte actuel (qui n’est pas celui de l’époque de Pie XII). S’en suit un choix prudentiel de préférer le rite auparavant en vigueur, en l’absence d’un pape auprès duquel l’on pourrait faire une respectueuse pétition pour modifier la loi, en présence d’une connaissance plus précise des intentions des réformateurs (inconnues de Pie XII), et en présence des scandales de la nouvelle liturgie qui provient des mêmes réformateurs.

C’est avec une intention droite que ces prêtres choisissent de s’en tenir au rite de Saint Pie X, et que leurs fidèles assistent à ces offices. Nous souhaitons de tout cœur qu’un pape règne de nouveau, et  légifère sur cette question du rite de la semaine sainte : en attendant, nous nous efforçons de faire ce  qui nous apparaît être le plus opportun et le meilleur pour la défense de la foi, la gloire de Dieu et le  salut des âmes, dans la situation bien particulière qui est celle de l’Église actuellement, en  soumettant par avance cette décision au jugement souverain de l’Église, si Dieu nous donnait la grâce d’avoir de nouveau un pape et une hiérarchie catholique.

Jean-Tristan B.


[1] Ceux qui voudraient approfondir peuvent lire avec profit le livre de l’abbé Rioult, La semaine sainte réformée sous Pie XII.

[2] Voir notamment les mémoires d’Annibale Bunigni, La réforme de la liturgie (1948-1975).

[3] Sur les erreurs du mouvement liturgique, voir l’article de l’abbé Ricossa sur L’hérésie antiliturgique : https://www.sodalitium.eu/lheresie-antiliturgique/

Pour en finir avec Archidiacre


L’impasse de l’herméneutique de la continuité en 10 points

Un certain « Archidiacre », de son vrai nom Jérôme Ferrier, et son serviteur « semper papiste » / « catholique lorrain » / « quiche lorraine » se font connaître depuis des années sur internet comme les ennemis mortels du sédévacantisme ou du traditionalisme d’une manière générale, menant un apostolat très actif contre cette position, estimant être en possession d’une réfutation définitive du traditionalisme par la solution dite de « l’herméneutique de la continuité », qui consiste à interpréter Vatican II comme étant en parfaite continuité avec la Tradition catholique.

Cette position, qui semble procéder d’une bonne intention (sauvegarder la foi catholique et la fidélité à la hiérarchie ecclésiastique) et qui a malheureusement le pouvoir de séduire certains traditionalistes par l’apparence de sérieux qu’elle comporte et les questions graves qu’elle soulève (l’obéissance à l’Eglise, la possibilité d’errer dans son jugement privé, etc.), n’a en réalité qu’une apparence de sérieux et comporte de très graves problèmes à la fois internes (concernant ses postulats et sa logique) et externes (concernant son rapport avec la réalité qu’elle cherche à expliquer).

Cet article ne vise pas à être exhaustif dans l’exposition et la réfutation des problèmes posés par  l’herméneutique de la continuité, ni à répondre aux objections qu’elle soulève contre le sédévacantisme (ce qui pourrait faire l’objet d’autres développements), mais à donner une liste de principes qui permettent déjà de comprendre que cette position est, en réalité, absolument insoutenable pour un catholique soucieux de la défense de la foi et de la fidélité à l’Eglise. Ses conséquences pratiques, qui sont de pousser les derniers catholiques sérieux à se soumettre aux modernistes qui détruisent l’Eglise et scandalisent les âmes depuis plus de 60 ans, sont spécialement désastreuses et méritent que cette position soit énergiquement combattue.

Sommaire
I. Le principe fondamental de l’herméneutique de la continuité est vicié.
1) Interpréter le magistère est détruire la notion même de magistère
2) Il est déjà un problème en soi que Vatican II soit si ambigu qu’il puisse être interprété de différentes manières.
3) L’existence même de l’herméneutique de la continuité est une preuve que Vatican II pose problème.

II. L’état d’esprit fondamental de cette position est fidéiste.
4) La raison humaine peut parvenir à la certitude de certaines vérités sans avoir besoin d’une autorité.
5) Il n’est pas pieux d’interpréter pieusement des actions qui sont évidemment mauvaises.

III. Cette position repose sur la négation de la réalité.
6) La majorité des conciliaires n’accepte pas la position d’Archidiacre.
7) Cette position n’offre aucune explication sérieuse au problème du modernisme dans le clergé.
8) Cette position nie le scandale objectif dans les actions des pontifes conciliaires.
9) La contradiction entre Vatican II et le magistère de l’Eglise n’est pas simplement apparente.
10) L’histoire de Vatican II, et du monde catholique depuis Vatican II, contredisent définitivement les postulats fantaisistes de l’herméneutique de la continuité.

« Il y a dans le Coran bien des choses indignes de Dieu. (…) Il y a dans le Coran nombre de mensonges. (…) On trouve une infinité de contradictions dans le Coran. (…) Le paradis que le Coran promet est un paradis qui ferait rougir de honte les bêtes elles-mêmes. »
Saint Alphonse de Liguori, Les Vérités de la Foi, Partie 3, Chapitre 4

Partie I. Le principe fondamental de l’herméneutique de la continuité est vicié.

  • 1) Interpréter le magistère est détruire la notion même de magistère.
    L’Eglise a reçu de Jésus-Christ la charge d’interpréter infailliblement le dépôt de la Foi, en enseignant les fidèles avec clarté et certitude sur le contenu et la portée de ce dépôt. Les Saintes Ecritures sont, par nature, sujette à diverses interprétations, parfois une très grande latitude d’interprétation est permise aux catholiques sur des sujets qui n’ont pas fait l’objet de définitions magistérielles (par exemple, lorsqu’il s’agit d’interpréter les prophéties de l’Apocalypse). Mais le magistère est par nature une clarification du dépôt de la foi (Saintes Ecritures et Tradition), il est la règle prochaine de la foi, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une interprétation privée, sous peine de perdre toute sa valeur autoritative. La raison d’être du magistère est précisément de mettre fin aux interprétations privées, de donner aux fidèles une norme de pensée directive, claire et définitive, qui ne peut pas être interprétée mais doit simplement être reçue dans son sens premier et évident, comme étant l’enseignement de Dieu lui-même.  Par conséquent, le premier et plus fondamental principe de « l’herméneutique de la continuité », qui consiste à dire que l’on doit « interpréter le magistère » dans un certain sens, est absolument faux, et mène en à l’absurdité et à la contradiction : car il peut y avoir autant de « bonnes interprétations du magistère » qu’il y aura « d’herméneutes de la continuité », si c’est un acte de jugement privé qui doit redonner au magistère son véritable sens.
  • 2) Il est déjà un problème en soi que Vatican II soit si ambigu qu’il puisse être interprété de différentes manières.
    La Sainte Église a condamné plusieurs propositions non pour leur contenu évident, mais simplement pour leur formulation dangereuse qui était de nature à encourager l’hérésie [1], faire déshonneur à certaines vérités révélées, ne pas suffisamment condamner certains erreurs, etc… les censures théologiques réservées à ces formulations sont : ambigüe (ambigua), captieuse (captiosa), malsonante (male sonans), offensive des oreilles pies (piarum aurium offensiva).  Nous citons la Catholic Encyclopedia à l’article des censures théologiques :

Une proposition est ambiguë lorsqu’elle est formulée de manière à présenter deux ou plus interprétations possibles, l’une d’entre elles étant condamnables ; captieuse lorsque des termes acceptables sont utilisées pour exprimer une idée condamnable ; malsonnante lorsque des termes inconvenants sont utilisés pour exprimer des vérités par ailleurs acceptables ; offensive lorsque les expressions employées sont de nature à choquer le sens catholique et la délicatesse de la foi.

Catholic Encyclopedia

Combien de propositions de Vatican II ne tombent pas au moins sous le coup de ces censures ? Si tel n’était pas le cas, comment se pourrait-il que la majorité des conciliaires aient une interprétation hérétique de Vatican II ? Il y a bien, à la racine, un problème grave de formulation dans la plupart des documents de Vatican II, et nous croyons qu’il serait une insulte à Dieu, et qu’il serait contraire à l’infaillibilité négative des actes de l’autorité ecclésiastique, de soutenir qu’il est possible que le magistère infaillible de la Sainte Eglise, guidée par le Saint-Esprit, puisse contenir des propositions par nature ambiguës, captieuses ou malsonnantes, de sorte qu’elles laisseraient la plupart des fidèles dans le danger immédiat d’une mauvaise interprétation.

3) L’existence même de l’herméneutique de la continuité est une preuve que Vatican II pose problème.
Il n’a jamais existé dans l’histoire de l’Eglise une position théologique affirmant qu’il était nécessaire d’interpréter le nouveau magistère en continuité avec l’ancien magistère, car il a toujours été absolument évident, de par la nature même du magistère,  que les nouveaux enseignements magistériels étaient en continuité avec les anciens. Les protestants ont prétendu que l’Eglise s’était éloignée de son ancien enseignement, mais ils l’ont fait en rejetant la notion même de magistère, sans s’appuyer sur du magistère plus ancien (en faisant l’affirmation purement gratuite que l’Eglise apostolique partageait leurs croyances, et en interprétant de manière partiale certains Pères de l’Eglise). La nouveauté introduite par Vatican II est, au moins, la perte de cette claire évidence de la continuité avec le magistère antérieur [2].

Partie II. L’état d’esprit fondamental de cette position est fidéiste.

  • 4) La raison humaine peut parvenir à la certitude de certaines vérités sans avoir besoin d’une autorité.
    • Un des postulats non formulés et implicites de la position d’Archidiacre est que la raison humaine, qui pousse la plupart des personnes ayant étudié Vatican II (progressistes, indifférents ou conservateurs/traditionnalistes) à conclure que sa doctrine s’éloigne très distinctement de la doctrine enseignée auparavant par l’Eglise catholique (sur des sujets tels que la liberté religieuse, l’œcuménisme ou le judaïsme), que cette raison humaine est si faible et corrompue qu’elle est généralement incapable d’accéder à la vérité, surtout en matière religieuse, de sorte qu’il est en pratique nécessaire que l’esprit humain se repose sur une autorité pour parvenir à des conclusions certaines. Ainsi, les archidiacriens passeront leur temps à exhorter à la soumission et l’obéissance à ce qui est perçu comme « l’autorité », tout raisonnement subsidiaire n’étant qu’un accessoire visant à justifier et donner un aspect crédible à cette autorité.
    • Il devrait être inutile de représenter à quel point cette attitude est contraire à toute la Tradition catholique et au magistère même de la Sainte Eglise, qui a plusieurs fois jeté l’anathème sur ceux qui niaient que l’on puisse accéder à certaines vérités religieuses par le simple raisonnement, spécialement contre la doctrine agnostique (au sens étymologique de « l’impossibilité de connaître ») des modernistes, et qui a loué la doctrine intellectualiste de Saint Thomas d’Aquin (qui a une grande confiance dans la capacité de la raison humaine à atteindre le réel) chaque fois qu’il était possible de le faire. La manière catholique de procéder face à l’erreur n’est pas premièrement d’exhorter à la soumission et à l’abandon du raisonnement, mais plutôt d’exposer la crédibilité intrinsèque des doctrines catholiques (et pas seulement la crédibilité de l’autorité ecclésiastique), de réfuter les erreurs dans leurs fondements logiques – c’est ainsi que l’on voit les papes du XVIe siècle envoyer d’abord des théologiens controverser contre Luther et les autres réformateurs, avant que le Concile de Trente ne définisse ses célèbres anathèmes.
    • Le procédé des herméneutes est inverse : ils commencent par jeter des anathèmes et appeler à la soumission à l’Eglise, puis à justifier après coup par quelques raisonnements hasardeux, qui sont en réalité plus des hypothèses que des affirmations sur le véritable sens de Vatican II, la crédibilité intrinsèque des doctrines enseignées. L’essentiel des arguments des « herméneutes » archidiacriens consistent à établir que Vatican II est l’autorité et donc qu’il faut s’y soumettre, au lieu d’établir que le contenu intelligible de Vatican II est positivement défendable (il est en effet beaucoup plus difficile de manœuvrer sur ce second terrain et d’impressionner le public que sur le premier). Il y a, à la racine de leur démarche et dans le fond de leur argumentation, cette idée que la raison humaine n’est pas fiable et qu’il faut nécessairement la plier à une autorité. Nous notons que ce sont presque toujours des profils scrupuleux qui sont sensibles à leurs arguments, précisément parce que le scrupule est une incapacité à utiliser correctement la raison pour déterminer ce qui est bien ou mal, déterminer le vrai et le faux dans un certain domaine, et que le seul remède aux scrupules est l’humble soumission à un directeur spirituel. Encore faut-il que ces âmes sachent déterminer suffisamment quel genre de directeur et quel genre d’autorité sont susceptibles de prendre véritablement soin de leur âme.
  • 5) Il n’est pas pieux d’interpréter pieusement des actions qui sont évidemment mauvaises.
    • Archidiacre et ses partisans aiment parler du « devoir de pieuse interprétation » concernant les actions du prochain (en l’occurrence, les actions des « papes » et prélats conciliaires), qui consiste à supposer, autant que possible, un motif honorable à une action douteuse du prochain. L’inverse de cette attitude étant le soupçon ou le jugement téméraire, qui consiste à supposer ou à affirmer une intention mauvaise chez le prochain pour une action insignifiante ou objectivement bonne. Ils estiment donc qu’il est de leur devoir d’interpréter toutes les actions et paroles inqualifiables de Bergoglio dans un sens parfaitement catholique, comme s’il était un honorable défenseur de la foi qui commettait des  maladresses. Notons deux choses :
      1. la contradiction quelque peu hypocrite de ceux qui prétendent qu’ils appliquent la « pieuse interprétation » conformément à la morale catholique, tout en insultant les traditionnalistes en disant sans plus de formalités qu’ils sont hérétiques et schismatiques : des termes extrêmement graves, qui impliquent l’affirmation d’une intention gravement mauvaise, sinon on utiliserait des termes plus mitigés pour distinguer le fait objectif qui peut être schismatique ou hérétique et l’intention des personnes qui pourrait être bonne (comme ils savent si bien le faire à propos des « frères séparés », qu’ils n’osent plus appeler hérétiques ou schismatiques). Nous ne nous permettons pas pour notre part d’affirmer que ces gens sont hérétiques, bien qu’ils défendent des doctrines insoutenables, car il ne nous appartient pas de juger l’intention avec laquelle ils défendent Vatican II, et nous supposons d’ailleurs qu’ils défendent ces doctrines avec une bonne intention. Cette présomption ne semble pas fonctionner dans l’autre sens.
      2. l’absurdité d’appliquer la « pieuse interprétation » à des actions qui sont par nature mauvaises et qu’on ne peut pas raisonnablement expliquer sans un certain degré de mauvaise intention, ou qui ont des conséquences si désastreuses qu’il n’est pas besoin de discuter sur la validité de l’intention des personnes pour condamner avec violence leur action. L’obligation morale de la pieuse interprétation se limite à des actions qui sont objectivement bonnes ou dont la malignité est fondamentalement douteuse, ainsi le jugement téméraire est le jugement qui consiste à mettre des motifs pervers derrière une action innocente, neutre ou de matière légère. Considérer que deux personnes qui vivent dans l’adultère vivent dans l’habitude du péché mortel, ce n’est pas un jugement téméraire, c’est un constat nécessaire (car il ne peut pas exister une « ignorance invincible » de la loi naturelle chez des êtres capables d’utiliser leur raison). Considérer qu’un homme d’Eglise qui embrasse le Coran devant le monde entier peut le faire avec une autre intention que de donner l’image d’une bénédiction de l’islam par l’Eglise catholique, chose absolument impie et dégoutante qui ferait frémir d’horreur tous les saints et les papes des siècles passés, c’est simplement nier la réalité, car ce geste ne peut pas raisonnablement signifier autre chose.
    • Nous ne citons ici qu’une des actions parmi les plus choquantes des pontifes de Vatican II, parmi les nombreuses actions et paroles qui prouvent chaque jour qu’ils n’ont aucune intention de poursuivre le bien de l’Eglise et de défendre la doctrine catholique : le sujet n’est pas, d’ailleurs, d’établir le degré de malignité de leurs actions, simplement de constater qu’ils vivent dans une intention objective qui est contraire au bien de l’Eglise, et donc qu’ils ne peuvent pas, en l’état actuel, recevoir l’autorité du Christ pour régner sur son Eglise. Constater cela n’a rien à voir avec un jugement téméraire au sens de la théologie morale, et ce n’est pas Archidiacre et « le lorrain » qui sont en mesure de nous donner des leçons sur le fait d’interpréter pieusement les actions et les paroles du prochain.  

Partie III. Cette position repose sur la négation de la réalité.

  • 6) La majorité des conciliaires n’accepte pas la position d’Archidiacre.
    On pourrait réfuter l’herméneutique de la continuité simplement en citant des autorités conciliaires, tant cette position est minoritaire et même marginale dans le monde catholique d’aujourd’hui. Ses partisans semblent avoir une telle assurance que l’on voudrait croire que leur position est la position officielle de l’Eglise catholique, qu’ils sont les fidèles interprètes des desseins de la hiérarchie et du sentiment commun des fidèles. Il n’en est rien : la majorité des fidèles et la majorité de la hiérarchie, y compris Bergoglio et ses prédécesseurs, sont évidemment plus « à gauche » qu’eux et admettent sans problème qu’il y a une contradiction entre Vatican II et le magistère antérieur. Pour ne citer qu’une de ces autorités, et pas des moindres : « En liaison avec les textes sur la liberté religieuse et sur les religions du monde, Gaudium et Spes est une révision du Syllabus de Pie IX, une sorte de contre-Syllabus dans la mesure où il représente une tentative pour une réconciliation officielle de l’Église avec le monde tel qu’il est devenu depuis 1789. » (Joseph Ratzinger, Les principes de la théologie catholique).
  • 7) Cette position n’offre aucune explication sérieuse au problème du modernisme dans le clergé.
    Pour les partisans d’Archidiacre, le fait que la majorité du clergé conciliaire soit grevé à des degrés plus ou moins graves par le modernisme, le libéralisme et toutes autres sortes de doctrines folles et perverses, est soit une réalité qu’ils cherchent à nier (en prétendant contre l’absurde que « l’Eglise se porte bien », que la foi rayonne partout y compris dans le clergé, etc.), soit une chose dont ils reconnaissent l’existence mais dont ils cherchent absolument à enlever la responsabilité aux plus hauts degrés de la hiérarchie (surtout à celui qu’ils pensent être le pape). Un prêtre traditionaliste allemand répondait par dérision, à ceux qui disaient que Paul VI n’était pas responsable de la crise de l’Eglise, qu’il « ne savait pas » ce qui se passait : « ah, si seulement le Fürher avait su ! » – autrement dit : prétendre que Paul VI n’est pas responsable de l’explosion du modernisme dans le clergé est aussi ridicule que de prétendre, par exemple, qu’Hitler n’est pas responsable des actions commises par le régime nazi. Dans toute société, c’est le chef qui doit être tenu pour responsable des dysfonctionnements quand ils répandus partout et qu’ils corrompent le fonctionnement ordinaire de cette société, au point de causer un tort immense à la majorité des sujets : pourquoi en serait-il tout d’un coup autrement avec les pontifes conciliaires ? C’est encore une sévère négation de la réalité, que de prétendre qu’il n’y a pas de lien de cause à effet entre la doctrine et les exemples des pontifes de Vatican II, d’une part, et la doctrine et les actions de la plupart des clercs conciliaires d’autre part. La soi-disant « mauvaise interprétation » de Vatican II n’est visiblement pas mauvaise au point que l’autorité se soit  donnée des moyens de la combattre efficacement.
  • 8) Cette position nie le scandale objectif dans les actions des pontifes conciliaires.
    Nous avions évoqué plus haut la question de la pieuse interprétation et du jugement téméraire. Mais cette question est en réalité secondaire dans le problème qui nous occupe. Archidiacre et le lorrain s’évertuent à sauver la pureté de l’intention des pontifes conciliaires lorsqu’ils effectuent des paroles ou des gestes de profonde vénération à l’égard des fausses religions et des hérésies, l’essentiel du problème réside dans les conséquences pratiques des actions des pontifes sur la foi des fidèles : elles sont évidemment et irrémédiablement désastreuses, elles doivent évidemment être dénoncées et combattues par ceux qui sont encore attachés à la foi catholique. Il y a dans ces actions un scandale immense et objectif, qui appelle une réaction proportionnée, et une réflexion sérieuse sur l’intention réelle de ces personnes qui prétendent être les vicaires de Jésus-Christ : est-il seulement possible qu’un pape manifeste, de manière habituelle et publique, de la sympathie pour les fausses religions, au point d’entraîner la plupart des catholiques à considérer que ces fausses religions sont bonnes ? Est-ce seulement compatible avec l’autorité pontificale ? La question n’est même pas de savoir s’ils ont une intention subjectivement mauvaise dans cette entreprise, mais de constater l’extrême divergence entre les devoirs d’un souverain pontife et l’intention objective de Jean-Paul II ou de François. L’aspect objectif de la question est évacué par les partisans de cette position, qui essayent par exemple de sauver les réunions d’Assise en expliquant dans une improbable démonstration que ces réunions doivent être qualifiées de « coopération matérielle éloignée » aux faux cultes  – outre l’aspect ridicule de cette démonstration, elle nie les conséquences pratiques et immédiates des scandales de Jean-Paul II.
  • 9) La contradiction entre Vatican II et le magistère de l’Eglise n’est pas simplement apparente.
    Pour en revenir au postulat de départ de « l’herméneutique de la continuité » qui consiste à réconcilier avec le dogme catholique toutes les « contradictions apparentes » de Vatican II n’est pas seulement erroné d’un point de vue logique (cf. point n°1), elle l’est aussi et surtout d’un point de vue factuel : ce qui est libellé comme « contradiction apparente » est en réalité une contradiction nette et évidente, et les rédacteurs de Vatican II en avaient plus ou moins conscience : ainsi Congar, qui haïssait le Syllabus et les définitions antimodernes des papes,  raconte dans ses mémoires qu’il n’avait pas pu établir que la liberté religieuse soit fondée sur la Révélation, bien que cela soit affirmé dans le texte conciliaire.  « Gaudium et spes est un contre-Syllabus » disait Ratzinger (cf. point 6). N’importe quel historien ou sociologue, étranger ou familier au monde catholique, sait que Vatican II est un changement radical dans l’attitude de l’Eglise face au monde moderne, et sait que ce « monde moderne » se définit d’abord par un ensemble de doctrines et de principes, et que Vatican II a cherché d’une manière ou d’une autre à s’accommoder à ces principes et ces doctrines, pourtant condamnés par les papes du XIXe et du XXe siècle. Ceci appartient à l’ordre des faits et si être un « herméneute de la continuité » signifie nier ce fait et nier les contradictions textuelles évidentes, par exemple entre les définitions de Pie IX et celles de Vatican II sur la liberté religieuse,  cela signifie que l’herméneutique de la continuité est un système faux, car il n’est pas possible qu’une doctrine vraie ait pour fondement la négation d’un fait évident et universellement constaté. Contra factum non fit argumentum : on ne peut pas bâtir toute une argumentation sur la négation d’un fait. Une bonne manière d’élucider le « véritable sens » des textes de Vatican II est de voir comment ils ont été appliqués par la hiérarchie conciliaire, et ils ont en effet été appliqués suivant leur sens évident : le Vatican a forcé l’Espagne de Franco à  autoriser d’autres cultes que le catholicisme, au nom du « droit à la liberté religieuse » ; le nouveau concordat de 1984 avec l’Italie inaugure la neutralité religieuse de la première nation catholique du monde (dont le catholicisme état auparavant religion d’état), avec une référence explicite à Vatican II et à la liberté religieuse comme principe directeur de cette révision du concordat [3].
  • 10) L’histoire de Vatican II, et du monde catholique depuis Vatican II, contredisent définitivement les postulats fantaisistes de l’herméneutique de la continuité.
    Les herméneutes vivent dans un monde imaginaire, un monde dans lequel Vatican II fut une paisible assemblée des défenseurs de la foi, qui se réunirent pour rappeler les grandes vérités chrétiennes au monde moderne dans un langage plus adapté à l’époque actuelle. Il suffit de lire les mémoires de ceux qui ont participé à la rédaction de Vatican II [4], ou simplement de lire n’importe quel livre d’histoire sérieux sur le sujet [5], pour comprendre que Vatican II est bien le résultat du triomphe d’une faction « progressiste » (si l’on ne veut pas dire moderniste), encouragée et protégée par Jean XXIII puis par Paul VI, sur une faction « conservatrice » qui elle incarne, en fait, les positions et les croyances que les catholiques ont toujours tenu jusqu’ici sur le monde moderne, les fausses religions, les sectes hérétiques et schismatiques. Il y a donc eu un changement radical initié par une clique de théologiens condamnés à l’époque de Pie XII et accueillis voir même appelés au Vatican par Jean XXIII. Jean XXIII et Paul VI eux-mêmes étaient parfaitement conscients de cette situation, et sympathisants du groupe de théologiens qui ont introduit dans le texte de Vatican II des notions novatrices telles que le droit naturel à la liberté religieuse, la distinction réelle entre l’Eglise du Christ et l’Eglise catholique, l’innocence du peuple juif dans la crucifixion, le fait qu’une secte schismatique puisse être l’instrument du salut des âmes. Il y a eu ensuite un changement liturgique radical, en continuité avec les changements théologiques et suivant des principes modernistes : au vu de la documentation historique dont nous disposons, il est pareillement ridicule et insoutenable de prétendre que cette réforme liturgique ait été menée suivant les principes catholiques traditionnels, et qu’elle n’ait rien à voir avec le protestantisme ou l’accommodation aux lubies du monde moderne impie. Toute l’histoire du catholicisme depuis 60 ans est une négation des postulats de l’herméneutique de la continuité.
« Planter, c’est avoir l’espérance. C’est croire en une vie qui croît et qui est féconde, pour satisfaire la faim de la création de la Terre Mère. Cela nous ramène à notre origine par la reconnexion avec l’énergie divine et nous enseigne le chemin du retour vers le Père Créateur. « Le synode, c’est planter cet arbre, l’arroser et le cultiver, pour faire que les peuples amazoniens soient entendus et respectés dans leurs coutumes et leurs traditions, en faisant l’expérience du mystère de la divinité présente dans le sol amazonien. « L’acte de planter dans le jardin du Vatican est un symbole qui invite l’Eglise à engager encore davantage avec les peuples de la forêt et toute l’humanité. Mais aussi, c’est la dénonciation de ceux qui détruisent notre maison commune par esprit de lucre, en recherchant leur propre profit. »
Explications données par Ednamar de Oliveira Viana, organisatrice de l’évènement du 4 octobre 2019 impliquant la plantation d’un « arbre sacré » et la vénération de « symboles de fertilité » dans les jardins du Vatican. Le culte de la déesse-mère chez les peuples sud-américains est basé sur l’idée de la faim de cette terre-mère, que l’on doit apaiser par des offrandes.

Conclusion : quelles conséquences pratiques ?

« L’enfer est pavé de bonnes intentions » : on peut faire le travail du démon avec les meilleurs intentions du monde. Certaines âmes pieuses se sont illusionnées en pensant, comme Saul a pensé qu’il était agréable à Dieu de persécuter les chrétiens, qu’elles feraient la meilleure œuvre du monde en persécutant les derniers défenseurs de la foi et de la Tradition de l’Eglise dans un monde apostat. Ce qu’ils se proposent de faire, c’est que ces derniers résistants se mettent sous l’influence du clergé moderniste, et finissent par devenir des libéraux insensibles à l’erreur et au mal, comme sont voués à le devenir ces défenseurs de l’orthodoxie eux-mêmes.

Car en effet, il est impossible d’être sincèrement soumis à l’autorité conciliaire sans finir par admettre une foule de choses choquantes, grotesques, dangereuses ou parfaitement immorales comme étant des choses de rien, des choses secondaires. A leur contact, le sens de la foi s’affaiblit et finira peut-être par mourir. Qu’est-ce que les « herméneutes » ne finiront pas par accepter au nom de la soumission aux conciliaires ? N’oublions pas que ces gens nous proposent d’admettre qu’un « saint » a embrassé le Coran devant le monde entier.

Les verra-t-on bientôt se prosterner devant des idoles démoniaques pour « honorer la partie bonne » de ces idoles ou de ce qu’elles représentent ? En tout cas, ils acceptent parfaitement que cela se fasse dans les jardins du Vatican, en utilisant toutes les distinctions artificieuses que leur imagination pourrait produire pour « interpréter pieusement ». Ainsi au contact de cette hiérarchie conciliaire, on devient peu à peu tiède, insensible ou complaisant face à tous les travers intellectuels et moraux du monde moderne, face à toutes les fausses religions et les hérésies (sauf l’horrible hérésie sédévacantiste !), puisque c’est la directive officielle.

Nous conclurons avec une réflexion tirée des épîtres de Saint Paul : si quelqu’un qui semblait être un saint et un apôtre, qui avait toutes les garanties extérieures d’être envoyé par l’Eglise et de parler en son nom, devait prêcher un autre évangile que celui qui a été véritablement reçu du Christ, faudrait-il présumer une erreur de compréhension de notre part et fournir un effort d’interprétation favorable de ce nouvel évangile en continuité avec l’ancien ? Saint Paul dit simplement, en évoquant la possibilité que lui-même se mette à annoncer un faux évangile : qu’il soit anathème. 

Mais si quelqu’un, fût-ce nous-même ou un Ange du Ciel, vous annonçait un autre évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu’il soit anathème! Je l’ai dit, et je le dis encore maintenant: Si quelqu’un vous annonçait un autre évangile que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème! Car, en ce moment, est-ce la faveur des hommes que je désire, ou celle de Dieu? Est-ce que je cherche à plaire aux hommes? Si je plaisais encore aux hommes, je ne serais pas serviteur du Christ.

(Galates 1, 8-10)

Jean-Tristan B.


[1] La bulle Auctorem Fidei (1794), contre les erreurs des jansénistes, est particulièrement sévère contre les discours ambigus introduisant des idées dangereuses sous apparence de piété, et contre les hypocrites qui se justifient par milles subtilités d’être en parfait accord avec la doctrine catholique, alors qu’ils sont en réalité attachés à des idées mauvaises.

[2] C’est ce que disait Benoît XVI lui-même : « Il est clair que dans tous ces secteurs, dont l’ensemble forme une unique question, pouvait ressortir une certaine forme de discontinuité et que, dans un certain sens, s’était effectivement manifestée une discontinuité dans laquelle, pourtant, une fois établies les diverses distinctions entre les situations historiques concrètes et leurs exigences, il apparaissait que la continuité des principes n’était pas abandonnée – un fait qui peut échapper facilement au premier abord. » Benoît XVI prétend donc qu’il y a « continuité de principes », mais admet qu’il y a une « une certaine forme de discontinuité ». Notons par ailleurs que la « continuité de principes » ne signifie pas pour Benoît XVI ce qu’elle semble signifier pour les herméneutes archidiacriens : il admet que Vatican II contredit le magistère de l’Eglise (cf. point 6), et réduit les « principes catholiques » à une sorte d’ensemble vague et flou de vérités plus ou moins communes à toutes les dénominations chrétiennes, à quelques exceptions près. Prétendre à la « continuité des principes » face à une discontinuité évidente dans la doctrine est une technique typiquement moderniste déjà vue à l’époque de Saint Pie X : les modernistes prétendent être toujours fidèle à l’essence de la religion, débarrassée de ses « additions historiques » (c’est à dire, de la plupart de ses dogmes).

[3] « compte tenu du processus de transformation politique et sociale qui s’est manifesté en Italie durant les dernières décennies et des changements introduits dans l’Eglise par le Concile Vatican II ;compte tenu, pour la République italienne, des principes établis par sa Constitution, et, pour le Saint-Siège, des déclarations du Concile œcuménique Vatican Il concernant la liberté religieuse et les rapports entre l’Eglise et la communauté politique, ainsi que de la nouvelle codification du droit canonique ; … La République italienne et le Saint-Siège réaffirment que l’Etat et l’Eglise catholique sont, chacun dans son propre domaine, indépendants et souverains » https://legirel.cnrs.fr/spip.php?article284

[4] Les personnalités suivantes ont écrits des mémoires relatifs à leur participation à Vatican II : Yves Congar, Marie-Dominique Chenu, Gerard Philips, Léon-Joseph Suenens (cardinal & évêque de Malines-Bruxelles), Maurice Pourchet (évêque de Saint-Flour), et d’autres. L’architecte de la réforme liturgique et de la nouvelle messe, Annibale Bunigni, a également écrit ses mémoires qui nous renseignent de manière on ne peut plus directe et explicite sur les véritables buts de la réforme : faire des concessions aux protestants et au monde moderne, en faisant plus ou moins disparaître de la liturgie l’expression de certains dogmes catholiques, et en y introduisant diverses notions modernistes.   

[5] Exemples d’ouvrages 1) Sur la réforme liturgique : les mémoires de Bunigni, « Demain la liturgie » de Joseph Gélineau, « La messe de Paul VI en question » de l’abbé Cekada (qui cite des documents historiques de première main). 2) Sur les débats théologiques : « Iota unum » de Romano Amerio, « Le Rhin se jette dans le Tibre » de Ralph Witgen. 3) Sur Jean XXIII : « le Pape du Concile » de Peter Hebblethwaite.

Un hérétique et schismatique déclaré docteur de l’Eglise

Le dossier Grégoire de Narek

Certaines sources[1] font état d’un nouveau projet dans la Rome conciliaire, celui d’un processus de canonisation spécifique pour les non-catholiques. Ce projet serait, en soi, en parfaite continuité avec la doctrine de Vatican II, suivant laquelle n’importe quelle religion est sanctifiante. Mais il a un côté particulièrement choquant, qui donnerait une sensation de « roue libre » de la part du Vatican conciliaire, s’ils en sont réduits à honorer comme saints des personnes qui n’ont pas daigné rendre à Dieu le minimum des honneurs qui lui sont dus, en professant les vérités de la foi et la communion avec l’unique Eglise de Jésus-Christ.

Pourtant, ce fait exceptionnellement choquant et grotesque a déjà eu lieu, dans une indifférence presque générale. L’occupant du Saint-Siège, Jorge Bergoglio, a en effet de facto « canonisé » et même déclaré « docteur de l’Eglise » (le 23 février 2015) une personne qui, de manière certaine, n’a jamais fait partie de la communion catholique : Grégoire de Narek (mort au début du XIe siècle), célèbre moine et écrivain arménien, membre de la secte schismatique et hérétique qui se fait appeler « église apostolique arménienne ».

On nous objectera que Grégoire de Narek n’a pas vraiment été « canonisé » puisqu’il n’y a pas eu de procès ou de déclaration particulière à l’égard de sa sainteté : oui et en un certain sens c’est encore pire que s’il y avait eu un faux procès, car Bergoglio (et avant lui Jean-Paul II) semblent en fait accorder à l’église hérétique et schismatique des Arméniens le pouvoir de faire des canonisations elle-même, ou bien considérer que la simple réputation de sainteté parmi les hérétiques et les schismatiques est suffisante pour que l’Eglise catholique puisse considérer une personne comme sainte. Comment une telle énormité a pu passer presque inaperçue !

Nous avons souhaité, pour laver un tant soit peu l’honneur de l’Eglise, de ses saints et de ses docteurs, et démontrer une nouvelle fois toute la malfaisance de Bergoglio et des conciliaires, revenir sur cette « affaire » invraisemblable, qui semble constituer les prémices d’un déluge à venir de fausses canonisations d’hérétiques, de schismatiques ou même de païens.


1/ Les Principes

Qu’est-ce qu’une canonisation ?

La confusion universelle parmi les esprits catholiques, faisant suite à Vatican II, laisse parfois une sorte de flou autour de la notion de canonisation. Pour certains, la canonisation consiste simplement, pour l’Eglise, à dire qu’une personne a sauvé son âme : on appelle en effet, sous un certain rapport, « saintes » toutes les personnes qui sont en état de grâce, ce qui inclut les personnes vivant sur terre et celles qui ont connu la mort naturelle (âmes du Purgatoire et âmes du Paradis). Cette conception minimaliste de la canonisation est tout simplement fausse : lorsque l’Eglise prends soin de déclarer qu’une personne est « sainte » et de se référer à elle par ce titre, ce n’est certainement pas pour se contenter de dire qu’elle a sauvé son âme ; l’Eglise canonise et honore du titre de saint uniquement des personnes qui ont fait preuve d’une pratique héroïque des vertus, pour faire de leur vie un exemple à suivre pour tous les catholiques :

« Les Saints sont ceux qui, pratiquant héroïquement les vertus selon les enseignements et les exemples de Jésus-Christ, ont mérité une gloire spéciale dans le ciel et même sur la terre , où, de par l’autorité de l’Eglise, ils sont publiquement honorés et invoqués ».

Catéchisme de Saint Pie X

« L’Eglise catholique ne canonise ou ne béatifie que ceux dont la vie a été marquée par l’exercice d’une vertu héroïque, et uniquement après que ce fait ait été prouvé par une réputation commune de sainteté et par des arguments concluants ».

Catholic Encyclopedia : « Beatification and Canonization »

A ce titre, la canonisation est à considérer, de manière certaine, comme relevant du magistère infaillible de l’Eglise catholique (c’est ce qu’enseignait, en outre, le cardinal Lambertini, futur pape Benoît XIV, dans un ouvrage de référence sur la question[2]) : elle est un enseignement à part entière, puisque le pape, lorsqu’il proclame la sainteté d’une personne, nous dit que la vie publique de cette personne est un exemple incarné de ce qu’il faut croire (la foi) et de ce qu’il faut faire (les mœurs) pour vivre dans l’amitié de Dieu et sauver son âme. Ne disons-nous pas que les actes valent plus que les paroles ? Ainsi, la vie des saints telle que l’Eglise nous propose de la contempler est une sorte de magistère encore plus frappant  que le seul énoncé des vérités doctrinales. La vie des saints est encore une apologétique plus efficace que les meilleures démonstrations logiques : la logique prouve l’existence de Dieu dans l’abstrait, la vie des saints prouve l’existence de Dieu « dans le concret » : oui, Dieu est vivant, si de simples hommes ont pu vivre de cette manière et faire ce qu’ils ont fait[3]. Enfin il n’y a rien de plus propre que la vie des saints pour mouvoir la volonté vers plus d’héroïsme, plus de résolution, plus d’amour pur et sincère pour Dieu. Nous avons tous un besoin instinctif d’admirer, d’imiter et de nous conformer à des exemples d’hommes que nous percevons comme supérieurs à nous-même : plutôt que d’admirer des mondains qui n’ont travaillé que pour des choses périssables, l’Eglise nous enseigne d’admirer des hommes et des femmes qui ont travaillé pour l’éternité.

Sachant donc ce qu’est une canonisation, il est impossible d’envisager un seul instant que l’Eglise puisse considérer comme « saint » quelqu’un qui n’était pas catholique. Ici, il ne s’agit pas de discuter de la question de savoir si une personne qui se trouve extérieurement hors de la communion catholique peut sauver son âme, question déjà tranchée en un sens favorable par le magistère de l’Eglise[4]. Il s’agit de savoir si quelqu’un qui, malgré sa possible bonne foi, s’est trouvée de manière objective et indiscutable hors de la communion avec l’unique Eglise de Jésus-Christ, et en communion avec une secte hérétique et schismatique, peut servir d’exemple parfait de vertu à l’ensemble des catholiques. Pour toute personne de bonne foi, il sera impossible de répondre autrement que par la négative : non, évidemment, il est impossible que l’Eglise canonise quelqu’un qui était publiquement schismatique et hérétique. Car agir en sens contraire serait dire, par des actes qui parlent plus que des mots : il est possible de vivre dans une parfaite amitié avec Dieu et d’atteindre les plus hauts sommets de la vertu en étant schismatique et hérétique. Autrement dit : il est purement facultatif d’adhérer à l’Eglise catholique pour sauver son âme et être saint, du moment que l’on a une expérience religieuse personnelle fructueuse. C’est précisément ce que veut enseigner Vatican II, en disant que les églises hérétiques et schismatiques sont des « moyens de salut »[5].


Qu’est-ce qu’un docteur de l’Eglise ?

L’imposition du titre de « docteur de l’Eglise » n’est réservée par le pape qu’à certains saints bien particuliers, des personnes qui se sont spécialement distinguées, en plus de leurs vertus héroïques, par la clarté et l’abondance de leur enseignement sur tout ou partie de la doctrine chrétienne, par leur « doctrine éminente »(eminens doctrina). Il ne s’agit pas simplement d’un titre honorifique  parmi d’autres : l’Eglise a créé ce titre pour donner une autorité morale spéciale à l’enseignement de ces maîtres de la doctrine chrétienne, et a prévu pour les honorer des dispositions liturgiques bien spéciales (messe propre, avec rang liturgique équivalent à celui des apôtres et des évangélistes).

Saint Athanase, déclaré docteur de l’Eglise par Saint Pie V

Le pape Boniface VIII créé ce titre et les privilèges liturgiques associés en 1295, à l’intention des quatre Pères de l’Eglise latins : St Augustin, St Ambroise, St Jérôme et St Grégoire le Grand. Le pape St Pie V accorde ensuite ce titre à quatre Pères de l’Eglise orientaux ainsi qu’à Saint Thomas d’Aquin. Le titre sera ensuite accordé progressivement à d’autres saints éminents pour leur doctrine, jusqu’à atteindre sous Pie XII le nombre de 29 docteurs de l’Eglise.

Ces docteurs ont tous pour points commun d’être saints, soit qu’ils aient fait l’objet d’un procès de canonisation en bonne et due forme, soit qu’ils jouissent d’une très éminente et très ancienne réputation de sainteté dans l’Eglise. Le site « eglise.catholique.fr », géré par les évêques conciliaires de France, rappelle que cette canonisation est  nécessaire pour être docteur de l’Eglise :

«  Les conditions requises pour devenir docteur, d’ailleurs toujours à titre posthume, sont d’être un saint canonisé, d’avoir élaboré une pensée de la foi en accord avec les principes de base de l’Église tout en découvrant un pan inexploré de l’écriture se vérifiant comme fondamental par son influence auprès des fidèles et par une renommée internationale. Le Vatican concède, à la suite d’une étude poussée des candidatures proposées, ce titre exceptionnel. »[6]

On ne pourra donc nous reprocher « d’inventer » la condition de la canonisation pour les docteurs de l’Eglise, puisque les autorités conciliaires elles-mêmes admettent ce principe comme évident.

***

Or voici le problème : les conciliaires considèrent comme saint, au même titre que les saints canonisés, quelqu’un qui a été canonisé par une secte hérétique, et qui a toujours été publiquement hérétique.

Prétendre qu’un hérétique puisse être « d’éminente doctrine » et être suivi comme un guide sûr par l’ensemble des catholiques est une moquerie insupportable. Il s’agit d’un signe évident, un de plus, que Bergoglio n’a aucune intention de poursuivre le bien de l’Eglise, en particulier de défendre la foi et de lutter contre l’hérésie.


2- Les faits

Pour bien comprendre la gravité de cette fausse imposition du titre de « docteur de l’Eglise », et de cette fausse imposition du titre de « saint », il est utile de revenir un instant sur 1) ce qu’est « l’église apostolique arménienne », 2) qui a été Grégoire de Narek, 3) dans quel contexte il a été nommé « docteur de l’Eglise ».


L’église apostolique arménienne

L’Arménie est la première nation à avoir adopté comme religion officielle le christianisme autour de l’an 300, grâce à l’apostolat de Saint Grégoire l’Illuminateur. Durant l’antiquité tardive, l’Arménie est une zone montagneuse disputée entre l’influence de l’empire romain d’Orient (qui possède une partie de l’ancien royaume d’Arménie, la province d’« Arménie mineure ») et celle de l’empire perse sassanide (dont le roi d’« Arménie majeure » est vassal) : cette double pression byzantine et perse en Arménie dure jusqu’à la conquête arabe. Les prélats arméniens doivent lutter contre le paganisme, le mazdéisme/zoroastrisme et le nestorianisme, hérésie adoptée par l’Eglise de Perse. Politiquement, culturellement et ensuite religieusement, les Arméniens cherchent à s’extirper de la double influence byzantine et perse, ce qui va favoriser une mentalité schismatique.

Si les Arméniens ont toujours été très virulents contre le nestorianisme, il ne semble pas qu’ils aient adopté immédiatement le monophysisme, après les condamnations du Concile de Chalcédoine (451). C’est en l’an 506, lors du premier concile de Dvin, que commence clairement le schisme arménien : les évêques d’Arménie, d’Ibérie et d’Albanie du Caucase ratifient intégralement l’Henotikon de l’empereur Zénon, déclaration trop favorable au monophysisme condamnée par le pape Félix III en 484 ; les Byzantins ayant ignoré l’anathème, cet épisode donna lieu au premier schisme entre Rome et Constantinople (484-518). C’est donc dans cette période de schisme que les Arméniens décident de prendre le parti de Constantinople. Le deuxième concile de Dvin (555) entérine le choix de l’hérésie monophysite et de la séparation complète par rapport à Constantinople et au reste de la communion catholique. Depuis cette date, au moins, il faut admettre que l’église arménienne s’est séparée de l’Eglise universelle, pour n’y plus jamais retourner.

A plusieurs reprises suite à cet évènement, les Arméniens refusent les invitations des empereurs byzantins à accepter les canons du Concile de Chalcédoine. Sous le catholicossat de Komitas d’Aghdsk (615-628), un recueil de textes dogmatiques de l’Eglise arménienne est édité sous le nom de « Sceau de la Foi », au contenu virulemment anti-chalcédonien (il contient entre autres choses des écrits de Timothée II d’Alexandrie, premier « pape copte » suite à la déposition du patriarche Dioscore Ier par le Concile de Chalcédoine pour son hérésie miaphysite). Depuis ce temps, « l’église apostolique arménienne » ne s’est jamais départie du monophysisme : elle est en contact régulier avec l’Eglise de Constantinople, mais ne s’y rallie jamais. En l’an 726, le catholicos Hovhannès III d’Odzoun convoque un concile interne au monophysisme, chargé de réconcilier les Jacobites (monophysites syriaques) et les Arméniens sur la question de la corruptibilité du corps du Christ. Au cours des VIIIe et IX siècles, les persécutions des Arabes poussent de nombreux Arméniens à s’exiler vers les terres de l’empire byzantin, ce qui augmente les tensions ecclésiologiques byzantino-arméniennes. En l’an 862, le patriarche de Constantinople Photius (qui sera bientôt excommunié par le pape) tente de rallier l’Eglise arménienne à Constantinople : le prince d’Arménie et le catholicos ne produisent que des réponses ambiguës,  aucun ralliement réel n’a lieu. Au Xe siècle le catholicos Théodore Ier Rechtouni (régnant dans les années 930) tentera de se rapprocher, sans succès, du patriarche de Constantinople et de l’empereur. Sous le catholicossat d’Ananias Ier de Moks (943-967), ennemi plus déterminé de la doctrine catholique, les conditions du dialogue se raidissent brutalement : les clercs arméniens jugés trop chalcédoniens sont persécutés, il va jusqu’à imposer de rebaptiser les personnes qui ont reçu le baptême dans l’Eglise grecque. Il faut attendre de longs siècles pour voir ensuite des groupes significatifs d’Arméniens revenir au catholicisme, essentiellement des membres de la diaspora.


Grégoire de Narek

Grégoire de Narek naît vers l’an 950, à l’époque d’Ananias Ier, dans une famille noble. Il est le fils de Khosrov d’Andzev, devenu prêtre en 950 puis évêque suite au décès de sa femme. En tant qu’évêque, Khosrov finit par être « excommunié » de l’Eglise arménienne par Ananias qui le juge trop favorable à la doctrine chalcédonienne. Elevé par son oncle Anania de Narek (c. 920-980), supérieur du monastère de Narek, Grégoire grandit dans une ambiance de défiance vis-à-vis de l’autorité de l’église arménienne, quand de nombreux clercs arméniens envisagent un rapprochement avec l’Eglise catholique : simple défiance, car officiellement le monastère de Narek est en « pleine communion » avec l’église apostolique arménienne.  Le monastère a même été fondé par des moines chassés de Cappadoce pour leur refus du chalcédonisme. 

Mais la question du ralliement au Concile de Chalcédoine n’est pas le seul débat théologique de l’époque. Il semble que les moines de Narek aient développé une doctrine qui mette au second plan l’appartenance à l’institution ecclésiastique pour se concentrer sur une relation personnelle avec Dieu : il faudrait étudier le détail de leurs écrits pour mieux comprendre ce sujet, mais certains commentateurs établissent un parallèle entre la doctrine mystique de Grégoire de Narek et le protestantisme. La secte des pauliciens/tondrakites, active en Arménie à l’époque, rejette  frontalement toute notion de clergé et de sacrements (ils sont, vraisemblablement, les précurseurs du catharisme). Certains pensent que Grégoire de Narek a écrit contre les tondrakites (par exemple dans son ouvrage Histoire de la croix d’Aparan) parce qu’il était suspecté par ses contemporains d’adhérer à cette hérésie.   

Une chose est certaine, concernant la position théologique et ecclésiale de Grégoire de Narek : il n’a jamais adhéré au catholicisme et à l’Eglise catholique[7]. Le site « catholique » nominis.cef.fr, chargé de répertorier les différents « saints du jour », nous apprend dans une courte biographie de « Saint Grégoire de Narek, docteur de l’Eglise » que « des jaloux [l’ont accusé] d’hérésie »[8], avant qu’il ne prouve son innocence par un miracle. Le site ne prend pas la peine de préciser pour quelle « hérésie » Grégoire fut mis en cause par les Arméniens … car en effet, le moine de Narek fut à ce moment accusé de chalcédonisme, c’est-à-dire de catholicisme, comme son père Khosrov l’avait été[9]. Son hagiographie légendaire (ayant court dans l’église schismatique et hérétique des Arméniens) rapporte donc qu’il aurait prouvé par un miracle qu’il n’adhérait pas à la doctrine catholique … le miracle en question étant de rendre la vie à des pigeons cuits qu’on essayait de lui faire manger un jour de jeûne. On croit marcher sur la tête en voyant de prétendus catholiques rapporter candidement ces récits.

S’il n’a pas toujours été en grâce de son vivant, Grégoire de Narek est devenu après sa mort un saint et un écrivain de premier plan pour « l’église apostolique arménienne », à partir du XIIe siècle au moins : on chante aujourd’hui encore, dans les églises arméniennes, des hymnes et des prières composées par lui, et son « Livre des Lamentations » est un élément de base de la culture religieuse arménienne. Il jouit visiblement d’une renommée littéraire considérable, qui lui donnerait un statut analogue à celui de Bossuet pour la langue française, avec un style particulièrement émouvant et pieux. Bossuet n’a pas cessé d’être respecté et cité par les catholiques en plus haut lieu[10], malgré son adhésion aux thèses hérétiques du gallicanisme : pour autant, on ne songerait pas un seul instant à faire de Bossuet un « docteur de l’Eglise » pour faire plaisir aux Français, précisément en raison de  ses fautes doctrinales publiques. Eût-il erré en bonne foi, l’image publique de Bossuet est irrémédiablement souillée par le gallicanisme, et à ce titre il est impossible d’en faire un modèle pour tous les chrétiens. Et pourtant Bossuet n’a jamais (à notre connaissance) officiellement rompu la communion avec l’Eglise catholique, ou fait l’objet d’une sentence d’excommunication, à une époque où la condamnation du gallicanisme était moins claire qu’elle ne l’est depuis Vatican I ; Grégoire de Narek, en sens contraire, a toujours été hors de la communion catholique et membre d’une secte monophysite. Il est infiniment moins éligible que ne pourrait l’être Bossuet au titre de docteur de l’Eglise, et la beauté de ses écrits n’y change rien.


Les conciliaires et Grégoire de Narek

François faisant l’accolade aux chefs des « Églises d’Arménie » lors de l’inauguration d’une statut de Grégoire de Narek dans les Jardins du Vatican, le 5 avril 2018.

Jean-Paul II avait déjà appelé Grégoire de Narek « saint » dans son encyclique Redemptoris Mater (25 mars 1987) : « Dans son panégyrique de la Théotokos, saint Grégoire de Narek, une des gloires les plus éclatantes de l’Arménie, approfondit avec une puissante inspiration poétique les différents aspects du mystère de l’Incarnation, et chacun d’eux est pour lui une occasion de chanter et d’exalter la dignité extraordinaire et l’admirable beauté de la Vierge Marie, Mère du Verbe incarné» [11]. Ainsi François n’est pas le premier faux-pape de Vatican II à « canoniser » un hérétique et un schismatique, dans la plus grande des décontractions.

Cette « canonisation de facto » est, disions-nous, en un certain sens plus choquante que s’il y avait eu un faux procès de canonisation, car elle implique :

  • une reconnaissance tacite de l’autorité de « l’église apostolique arménienne » en matière de canonisation ;
  • ou alors une reconnaissance tacite du fait que la réputation de sainteté parmi les hérétiques et les schismatiques équivaut à la réputation de sainteté parmi les catholiques et suffit à faire considérer comme sainte une personne qui n’a pas été canonisée, ce qui n’est guère mieux.

Il ne faut pas voir dans cette « canonisation » et cette imposition du titre de « docteur de l’Eglise » autre chose qu’une mise en application de l’œcuménisme, dans la droite ligne de Vatican II : pour François, les églises schismatiques et hérétiques sont véritablement membres de l’unique Eglise du Christ ; sinon, comment un membre de ces églises séparées pourrait-il être « docteur de l’Eglise » ?

En effet François nous fait comprendre, dans son allocution prononcée à cette occasion[12], qu’il lui importerait peu de nommer Grégoire de Narek « docteur de l’Eglise », si celui-ci n’était pas précisément membre d’une église schismatique et hérétique, car il s’agit d’un de ces « gestes œcuméniques » qui sont supposés faire progresser la cause de l’unité chrétienne :

  • Cette proclamation a lieu en présence de « Sa Sainteté Karekin II, Patriarche Suprême et Catholicos de tous les Arméniens », et « Sa Sainteté Aram Ier, Catholicos de la Grande Maison de Cilicie », soit les deux personnages les plus élevés de la hiérarchie de « l’église apostolique arménienne ».
  • Le message qui accompagne la proclamation répète à l’envi que le peuple arménien (non-catholique dans son immense majorité) compte un grand nombre de martyrs et d’authentiques confesseurs de la foi.
  • Cette déclaration intervient dans le contexte du centenaire du génocide arménien : Bergoglio souhaite « que ceci soit surtout un temps fort de prière, pour que le sang versé, par la force rédemptrice du sacrifice du Christ, opère le prodige de la pleine unité entre ses disciples. Qu’il renforce en particulier les liens d’amitié fraternelle qui déjà unissent l’Église Catholique et l’Église Arménienne Apostolique. Le témoignage de tant de frères et sœurs qui, sans défense, ont sacrifié leur vie pour leur foi, rapproche les diverses confessions : c’est l’œcuménisme du sang qui a conduit saint Jean-Paul II à célébrer ensemble, durant le Jubilé de l’an 2000, tous les martyrs du XXème siècle » : encore un exemple de l’œcuménisme de Vatican II, qui consiste à « rapprocher » les « églises » entre elles, au lieu de souhaiter le retour des non-catholiques dans l’unique Eglise du Christ.
  • Bergoglio va même jusqu’à assurer sa « proximité », « à l’occasion de la cérémonie de canonisation des martyrs de l’Église Arménienne Apostolique qui aura lieu le 23 avril prochain en la cathédrale d’Etchmiadzin» : comme si, encore une fois, il reconnaissait à cette secte non-catholique le pouvoir de canoniser, et  comme s’il était bien fondé de déclarer sans examen que toutes les victimes du génocide arménien soient des « martyrs de la foi ».

Conclusion

Le dossier Grégoire de Narek est une synthèse de l’absurdité de l’œcuménisme. Dans l’esprit de Vatican II, le « pape » se met à déclarer qu’un moine hérétique et schismatique est un exemple de vertu héroïque (un saint), un maître spécialement éminent de la doctrine catholique (un docteur de l’Eglise), en considérant comme valide sa « canonisation » par une secte hérétique et schismatique (l’église apostolique arménienne), et en espérant que cette occasion permettra d’augmenter « l’amitié fraternelle » entre l’Eglise catholique et cette secte monophysite.

En plus d’être une insulte à l’honneur de l’Eglise catholique, cette situation est d’une tristesse insupportable pour le salut des Arméniens et plus généralement de tous les peuples d’Orient, séparés de l’Eglise depuis des siècles : prions pour qu’un véritable pape retourne sur le trône de Saint Pierre et leur montre l’exemple éclatant de la vérité du catholicisme, afin qu’ils reviennent dans l’unité de l’Eglise.

Jean-Tristan B.


[1] https://infovaticana.com/2022/10/07/el-vaticano-inaugura-un-proceso-de-canonizacion-para-los-no-catolicos/

[2] Voir cet article concernant le débat entre FSSPX et sédévacantistes à propos de l’infaillibilité des canonisations : https://www.sodalitium.eu/canonisation-escriva-de-balaguer-commentaire-sodalitium/

[3] Une anecdote célèbre rapporte la conversion d’un juif qui, chargé de mettre de l’ordre dans certains dossiers de béatification dans les archives du Vatican, s’est trouvé frappé par le caractère exceptionnel des faits rapportés : son étonnement fut au comble lorsqu’on lui expliqua qu’il n’avait consulté que les dossiers de personnes dont la cause de béatification n’avait pas abouti, faute de preuves suffisantes.

[4] Suivant la doctrine dite de « l’âme de l’Eglise » : une personne peut se trouver, sans faute de sa part par suite d’une « ignorance invincible », hors de la communion visible avec l’Eglise catholique – corps de l’Eglise -, mais être unie à l’Eglise mystique – âme de l’Eglise – par une foi implicite et une charité sincère envers Dieu : le principe « hors de l’Eglise, pas de salut » reste valable dans ce cas, car il y a appartenance implicite et invisible à l’Eglise chez « l’infidèle de bonne foi ».

[5] Voir un article autour de cette question : https://religioncatholique.fr/2021/05/15/les-schismatiques-sont-ils-membres-de-leglise/

[6] https://eglise.catholique.fr/approfondir-sa-foi/temoigner/figures-de-saintete/441329-quest-ce-quun-docteur-de-leglise/

[7] Ceci est affirmé sans ambiguïté par les conciliaires eux-mêmes, par exemple ce professeur de l’Université de Saint-Thomas (St Paul, Minnesota) : “St. Gregory of Narek lived and died as a member of Armenian Apostolic Church, making him the only Doctor who was not in communion with the Catholic Church during his lifetime” – https://news.stthomas.edu/theology-matters-new-doctor-church-st-gregory-narek/

[8] https://nominis.cef.fr/contenus/saint/5899/Saint-Gregoire-de-Narek.html

[9] Jean-Michel Thierry, « Indépendance retrouvée : royaume du Nord et royaume du Sud (ixe – xie siècle) — Le royaume du Sud : le Vaspourakan », dans Gérard Dédéyan (dir.), Histoire du peuple arménien, Toulouse, Privat, 2007 (1re éd. 1982) (ISBN 978-2-7089-6874-5), p.290

[10] Le pape Léon XIII, dans son encyclique Depuis le jour (08/09/1899), ne craint pas de recommander l’étude de Bossuet aux étudiants ecclésiastiques français : « Toutefois, et après avoir fait à cette exigence des programmes la part qu’imposent les circonstances, il faut que les études des aspirants au sacerdoce demeurent fidèles aux méthodes traditionnelles des siècles passés. Ce sont elles qui ont formé les hommes éminents dont l’Eglise de France est fière à si juste titre, les Pétau, les Thomassin, les Mabillon et tant d’autres, sans parler de votre Bossuet, appelé l’aigle de Meaux, parce que, soit par l’élévation des pensées, soit par la noblesse du langage, son génie plane dans les plus sublimes régions de la science et de l’éloquence chrétienne ». Il serait donc contraire à la pratique de l’Eglise de prétendre qu’il faille jeter tout Bossuet à la poubelle en raison de ses errements doctrinaux. Ses enseignements sur la spiritualité ne sont pas spécialement entachés par le gallicanisme. 

[11] https://www.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_25031987_redemptoris-mater.html

[12] https://www.vatican.va/content/francesco/fr/messages/pont-messages/2015/documents/papa-francesco_20150412_messaggio-armeni.html

La collégialité est une hérésie


Tous les textes de Vatican II posent des problèmes doctrinaux et disciplinaires, indirectement ou directement, parce qu’ils ont été construits et promulgués par des gens qui voulaient « réformer la religion catholique » de fond en comble, c’est-à-dire en pratique remplacer la religion catholique par une nouvelle religion, mais en s’efforçant de maintenir une certaine continuité légale et extérieure entre les deux (à court terme, il fallait aussi s’efforcer de calmer la vigueur des défenseurs de l’orthodoxie, en les endormant par des rappels de doctrine rassurants). Mais parmi ces textes, on peut extraire quatre grandes erreurs qui sont directement opposées au magistère infaillible de la Sainte Église catholique :

  • L’Église du Christ n’est pas identique à l’Église catholique romaine (erreur contre l’unité de l’Église).
  • Les Églises schismatiques sont des moyens de salut (œcuménisme).
  • N’importe qui a le droit naturel et inviolable de pratiquer publiquement n’importe quelle religion (liberté religieuse).
  • L’autorité suprême dans l’Église appartient de manière permanente au collège des évêques conjointement avec le pape (collégialité).

La quatrième erreur (la collégialité) revient moins souvent dans les débats, elle a moins de « succès médiatique ». Et pourtant, elle n’est pas des moindres : elle s’oppose directement à la constitution divine de l’Église, établie par Jésus-Christ lui-même, selon laquelle l’autorité suprême appartient uniquement à saint Pierre et à ses successeurs (Je te donnerai les clés du royaume des Cieux, Mt 16 :19). On ne peut nullement fonder sur la Révélation la théorie d’une autorité suprême qui appartiendrait de manière diffuse et collective à l’ensemble des apôtres et à leurs successeurs : à aucun autre apôtre que saint Pierre il n’est dit « je te donnerai les clés du royaume des Cieux », c’est-à-dire l’autorité sur l’Église.

Nous souhaitons donc revenir sur la nature de cette erreur et sur son opposition avec le magistère (dont nous présenterons quelques extraits), et ce sans parler de l’autre erreur conjointe qui est la négation de la distinction réelle entre le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction, qui devrai faire l’objet d’une étude séparée. Le sujet de la collégialité mérite en effet d’être mieux connu, et il faut également pouvoir répondre à quelques objections émises pour défendre la « validité » de cette doctrine.


SOMMAIRE
1- Historique de la collégialité
— Erreurs sur la primauté du pontife romain
— Le pourquoi de la collégialité
— La collégialité débattue pendant Vatican II : quelques témoignages
2- La constitution monarchique de l’Église dans le magistère
— Concile de Florence
— Concile Vatican I (Pastor Æternus)
— Léon XIII (Satis Cognitum)
— Pie XII (Mysticis Corporis)
3- La collégialité dans Vatican II et dans le code de 1983
Lumen Gentium n°22
— La nota prævia
— Le code de 1983
4- Les commentaires des réformateurs
— Collégialisme pur et collégialisme mitigé
— La collégialité selon Benoît XVI
— La mise en application de la collégialité
5- Les tentatives d’« herméneutique de la continuité »
6- Conclusion


1 – Historique de la collégialité

De l’aveu du « cardinal » Paul Poupard, un proche de Jean-Paul II, le terme même de collégialité « était absent des anciens dictionnaires de théologie » avant Vatican II [1] : il s’agit en effet d’une idée complètement étrangère à l’enseignement de l’Église. S’agit-il d’un nouveau mot, employé pour exprimer une idée traditionnelle ? L’idée que l’ensemble des évêques possèdent ensemble, avec le pape, l’autorité suprême dans l’Église, est plutôt explicitement condamnée par le Magistère lorsqu’il rappelle que le pape seul a reçu la primauté de juridiction. Ce mot de collégialité n’est même pas employé par les textes de Vatican II ou du code de 1983 : c’est bien pour désigner la nouveauté introduite par ces textes que l’on emploie ce nouveau mot.


Erreurs sur la primauté du pontife romain

L’histoire de l’Église a connu de nombreuses tentatives visant à diminuer l’autorité suprême attribuée par le Christ à saint Pierre, et à exalter en contrepartie une supposée autorité suprême des évêques successeurs du Collège apostolique. L’ecclésiologie « orthodoxe » n’accepte pas cette primauté de juridiction sur l’Église universelle, et parle simplement d’une primauté honorifique. Le « conciliarisme » apparu au moment du Grand Schisme d’Occident fait du Concile œcuménique l’autorité suprême dans l’Église, supérieure au Pape. Le gallicanisme exalte une supposée indépendance du pouvoir épiscopal et réduit l’autorité du Pape aux seules questions doctrinales. Le fébronianisme prétend que le pouvoir des clefs a été confié au corps entier de l’Église, dont le pape n’est que le représentant ou le dépositaire, comme s’il était « président » de la « république ecclésiastique ». Les modernistes comme Yves Congar regardent toutes ces hérésies comme des manifestations d’une « préoccupation légitime » envers les excès du centralisme romain et des fantasmes de la théologie ultramontaine.


Le pourquoi de la collégialité

Cette primauté souveraine et universelle de juridiction du souverain pontife est la vérité de la foi catholique qui déplaît le plus aux protestants et aux schismatiques : peut-être même s’agit-il du « principal obstacle à la pleine communion ». Paul VI [2] et Ratzinger ont dit en effet que « la papauté est le plus grand obstacle à l’œcuménisme » [3]. Il n’était pas pensable que le « Concile de l’œcuménisme » qu’est Vatican II laisse inchangée cette difficile doctrine de la primauté pontificale. L’amoindrir ou la mutiler en quelque manière était une nécessité.

L’émergence de la collégialité à Vatican II ne répond pas seulement à un « impératif œcuménique » : selon les termes de la Commission Théologique Internationale, « un discernement plus attentif des requêtes avancées par la conscience moderne en termes de participation de tous les citoyens à la gestion des affaires publiques, pousse à une nouvelle et plus profonde expérience et présentation du mystère de l’Église dans sa dimension synodale intrinsèque. »[4] Il répond à un besoin des fidèles éclairés qui « attendent que le changement démocratique affectant la société actuelle passe, par une sorte d’osmose inéluctable mais bénéfique, au domaine de la vie ecclésiastique » [5]. Autrement dit, en langage intelligible, il faut « démocratiser » l’Église, amoindrir voire détruire totalement son caractère monarchique, qui offense la mentalité moderne.

La « collégialité » arrive à la fin de cette série d’erreurs sur la primauté du pontife romain comme une doctrine hybride, une doctrine de compromis. Pour répondre à cette double pression œcuméniste et démocratiste, tout en ne présentant pas au monde catholique une rupture trop violente avec l’enseignement de l’Église, les réformateurs de Vatican II ont inventé un système dans lequel le souverain pontife garde un primat réel, mais partage l’autorité suprême avec le Collège des évêques, pour ainsi dire.

La collégialité veut donc concilier les vieilles erreurs sur la primauté du Collège, qu’admiraient les modernistes, avec la primauté du pontife romain : on arrive à une improbable ecclésiologie dans laquelle le pouvoir suprême et plénier sur l’Église appartient à la fois au pape seul et au Collège uni au pape – et jamais sans le pape, précisent les textes, ce qui est une manière de « calmer » les conservateurs, mais n’enlève rien au fond du problème qui est l’apparition d’un nouveau sujet de pouvoir plénier et universel dans l’Église.


La collégialité débattue pendant Vatican II

La doctrine de la collégialité telle qu’exprimée dans les textes de Vatican II et du CIC 1983 résulte manifestement d’un compromis entre l’ecclésiologie catholique et l’ecclésiologie hérétique des réformateurs, dont le plus notable est Yves Congar. Ce dernier ne cessait de déverser son fiel sur la « théologie romaine » faisant du pape le monarque absolu de l’Église. Le pape est, en effet, d’après le Magistère vivant de la Sainte Église (et pas seulement la « théologie romaine »), monarque absolu de l’Église, suivant sa constitution divine, seul récipiendaire de l’autorité suprême dans l’Église : une simple lecture honnête de l’évangile peut nous en convaincre, et le témoignage univoque de l’Église enseignante ensuite. Les modernistes détestent cette doctrine. Pour Congar et ses amis, il faudrait plutôt considérer le pape comme le « président » de l’Église, celui qui a la plus haute fonction et qui peut trancher les conflits, dont l’existence est un puissant facteur d’unité pour l’Église, mais dont la légitimité et les prérogatives dépendent en quelque manière du consentement des évêques ou de l’ensemble des fidèles. La théorie d’une Église fondée sur le « Collège des douze » comme autorité suprême leur semble plus séduisante et plus « adaptée aux besoins du monde moderne ».

Mgr Gerard Philips, qui croit en cette hérésie de la collégialité, nous transmet dans ses mémoires un récit des débats parfois virulents qui eurent lieu à ce sujet pendant les sessions de Vatican II. Nous y voyons que Mgr Ugo Lattanzi, qui a publié ensuite des écrits contre la collégialité, s’était déjà manifesté à l’époque pour défendre la doctrine catholique, en qualifiant d’hérésie l’opinion des réformateurs.


Extraits des mémoires de Mgr Gerard Philips [6]

« 9 mars 1963. La discussion sur le chapitre II a connu trois difficultés. D’abord l’affirmation des Douze comme fondement de l’Église. Cette thèse est niée par certains. Lattanzi explique dans un déluge de paroles que seul Pierre est le roc sur lequel l’Église a été bâtie. Les autres ne sont que le fondement posé sur le roc : themelios sur le Petra. Le texte de l’Apocalypse est purement eschatologique, selon le P. Kerrigan ; en Eph. 2,20 on trouve aussi bien Prophètes qu’Apôtres : s’agit-il dès lors des Douze ? En tout cas, on veut exprimer très nettement la différence entre Pierre et les Apôtres et l’on préfère le mot « Rupes » pour Pierre seul.

(…) Le deuxième cas difficile concerne la collégialité des évêques dispersés, – donc hors Concile -, comme sujets de l’autorité suprême. Ici il semble y avoir eu un accord, dans le groupe des théologiens, sur un texte de Gagnebet. Mais l’accord ne se renouvela pas en commission, et le président invita tous les intéressés à trouver une issue le lendemain matin sous la présidence du cardinal Santos. En nommant Santos, le cardinal Ottaviani a écarté explicitement le cardinal Léger. Ce dernier en fut vraiment indigné.

13 mars 1963. Les évêques favorables étaient présents à la session de la matinée, ainsi que le cardinal Léger « in nigris » en signe de protestation, ainsi que la plupart des théologiens. Je propose une formule brève : les évêques peuvent arriver à un acte collégial, à condition que le pape ne s’y oppose pas. Cette fois, Gagnebet veut qu’on ajoute que le pape doit préciser d’avance de quelle manière cet acte doit être accompli : si le pape ne donne pas de directives, un acte collégial ne peut être posé. Schauf a une formule plus large et même plus précise que la mienne. Il imagine l’exemple d’un pape, détenu en Sibérie, qui approuverait l’acte des évêques après sa libération. Cela semble sauver l’affaire. Je me rallie à la formule de Schauf qui est acceptée à l’unanimité. (…)

Vendredi Saint, 12 avril 1963. J’ai oublié de noter dans mon récit qu’à un moment, Lattanzi a isolé une phrase de notre texte, et l’a interprétée comme hérétique en la prenant en elle-même, sans vouloir, selon ses dires, y associer l’intention de l’auteur. Bref, c’était quelque chose comme une hérésie en soi, l’hérésie de personne, sinon de la proposition. Je trouve pareil procédé pénible et blessant. De plus, ce procédé est irréel et ne tient pas compte de l’ensemble du contexte. Il ne fait apparaître qu’un fantôme. Je me suis plaint par la suite auprès de Lattanzi de ce procédé. Mais je n’ai pas pu lui faire comprendre que sa façon de parler était blessante. Rien ne lui semble plus naturel que de condamner certaines phrases de cette manière, qui procède d’un sens de l’orthodoxie et de la prudence. J’ai l’impression que c’est une manière très efficace de fabriquer des hérésies. Cela a dû se produire plus d’une fois dans l’histoire. La méthode de Lattanzi n’est donc pas nouvelle. En un certain sens on pourrait la qualifier de « traditionnelle ». C’est un exemple typique d’une « théologie de l’angoisse » qui, en outre, néglige les règles élémentaires de l’interprétation. En résumé, ce fut un incident instructif. Lattanzi est l’innocence et la naïveté même. »

Ce témoignage sur l’apparition de la collégialité dans les débats préparatoires à Vatican II est corroboré par d’autres, notamment celui du père Ralph M. Wiltgen, auteur du célèbre récit de l’histoire de Vatican II Le Rhin se jette dans le Tibre. Les modernistes ont en effet rejeté les schémas préparatoires de la constitution sur l’ Eglise, et ont fait de la collégialité leur principale priorité ecclésiologique : « L’une des premières questions soulevées [par les réformateurs] fut celle de la collégialité, c’est-à-dire du gouvernement de l’Eglise universelle par le Pape en collaboration avec tous les évêques du monde. C’était là le cœur même de tout le deuxième Concile du Vatican, destiné à compléter le premier Concile du Vatican où la primauté du Pape avait été étudiée en détail et solennellement promulguée. »

Ainsi l’idée de la collégialité épiscopale, loin d’aller de soi, a suscité la vive réaction de théologiens catholiques tels que Lattanzi, réaction qui a heurté la délicate sensibilité du moderniste Philips, qui mis en face du caractère intrinsèquement hérétique de ses propositions, répond exactement comme les modernistes de l’époque de saint Pie X, en disant que les catholiques soucieux de rigueur doctrinale « inventent des hérésies » qui n’existent pas

Ce témoignage nous montre également la « dynamique » des textes de Vatican II et la manière dont ils ont été rédigés : les modernistes (la « gauche » d’après les termes que Philips emploie lui-même dans ses mémoires) proposent des textes qui sont ouvertement en contradiction avec le magistère de l’Église. Les catholiques (la « droite ») réagissent avec virulence, en émettant diverses objections et en allant parfois jusqu’à parler d’hérésie. Les modernistes, face à cette résistance, s’entendent avec des conservateurs plus « modérés » (une sorte de centre-droit constitué de libéraux qui ont perdu toute sensibilité au danger du modernisme : les Gagnebet, Schauf, Kerrigan et compagnie) pour rédiger un nouveau texte plus « large » et plus ambigu, qui permette d’enfumer les catholiques « rigides » en leur donnant le sentiment que le texte respecte toujours la doctrine catholique, alors qu’au fond il continue de contenir des propositions erronées. Ces propositions sont simplement noyées dans un flot rassurant de doctrine apparemment compatible avec le catholicisme. « Cela semble sauver l’affaire », comme disait Philips.


2 – La constitution monarchique de l’Église dans le magistère

I. Acte du Concile oecuménique de Florence (9 juillet 1439)

« De même nous définissons que le Saint-Siège apostolique et le Pontife romain exerce la primauté (tenere primatum, τό πρωτείον ϰατέχειν) dans tout l’univers ; que ce même Pontife romain est le successeur du bienheureux Pierre, prince des apôtres, qu’il est le véritable vicaire du Christ, le chef de toute l’Église (caput, ϰεφαλήν), le père et le docteur de tous les chrétiens, et qu’à lui, en la personne du bienheureux Pierre, Notre-Seigneur Jésus-Christ a donné plein pouvoir de faire paître, de régir et de gouverner l’Église universelle, comme cela est contenu dans les actes des conciles œcuméniques et dans les sacrés canons. »

Contre les erreurs des Grecs, le Concile de Florence définit la primauté absolue de juridiction du successeur de saint Pierre. Le fait qu’il soit le seul à recevoir ce plein pouvoir est implicite, et se comprend par le contexte de la déclaration : les Grecs tendraient plutôt à dire que le plein pouvoir de juridiction appartient de manière diffuse au collège des Apôtres et à leurs successeurs. Le Concile définit donc qu’il n’y a qu’une seule autorité suprême dans l’Église, le Pontife romain.


II. Constitution dogmatique Pastor Æternus (18 juillet 1870)

« Nous enseignons donc et nous déclarons, suivant les témoignages de l’Évangile, que la primauté de juridiction sur toute l’Église de Dieu a été promise et donnée immédiatement et directement au bienheureux Apôtre Pierre par le Christ notre Seigneur. (…) Cette doctrine si claire des Saintes Écritures se voit opposer ouvertement l’opinion fausse de ceux qui, pervertissant la forme de gouvernement instituée par le Christ notre Seigneur, nient que Pierre seul se soit vu doté par le Christ d’une primauté de juridiction véritable et proprement dite, de préférence aux autres Apôtres, pris soit isolément soit tous ensemble, ou de ceux qui affirment que cette primauté n’a pas été conférée directement et immédiatement au bienheureux Pierre, mais à l’Église et, par celle-ci, à Pierre comme à son ministre. »

Ce passage du Concile Vatican I condamne explicitement la doctrine de la collégialité élaborée par les modernistes.  Ceux-ci en effet « nient que Pierre seul se soit vu doté par le Christ d’une primauté de juridiction véritable et proprement dite », car ils disent que cette primauté de juridiction véritable appartient « au Collège des Évêques dont le chef est le Pontife Suprême » : Vatican II, confirmé par le code de droit canon de 1983, enseigne bien que ce n’est plus « Pierre seul », mais « Pierre avec les autres apôtres » qui possède cette primauté universelle de juridiction, ou alors que les deux entités (le pape et le Collège-avec-le-pape) possèdent conjointement l’autorité suprême.

Dans la même constitution dogmatique, au chapitre sur la nature de la primauté du pontife romain, est condamnée cette idée suivant laquelle il n’a « qu’une charge de direction », et qu’il ne possède pas la plénitude totale de juridiction. La doctrine de la collégialité tombe visiblement sous cet anathème, étant donné qu’elle fait du souverain pontife le chef du Collège, lui-même sujet de pouvoir plénier et universel sur l’Église, au lieu d’être le seul chef plénier et universel de l’Église.


III. Lettre encyclique Satis Cognitum (29 juin 1896)

Les enseignements du pape Léon XIII sont un trésor de clarté et de précision. Non content de transmettre fidèlement l’enseignement traditionnel, Léon XIII s’attachait toujours à en expliquer les raisons profondes, les justifications scripturaires et patristiques, en puisant aussi dans les ressources de l’histoire et de la philosophie, et en répondant à de nombreuses objections. Ici donc, Léon XIII détaille la primauté du pontife romain et, ce qui nous intéresse d’autant plus, le rapport entre cette primauté et le pouvoir des évêques.

« De même que l’autorité de Pierre est nécessairement permanente et perpétuelle dans le Pontife romain, ainsi les évêques, en leur qualité de successeurs des Apôtres, sont les héritiers du pouvoir ordinaire des Apôtres, de telle sorte que l’ordre épiscopal fait nécessairement partie de la constitution intime de l’Église. Et quoique l’autorité des évêques ne soit ni pleine, ni universelle, ni souveraine, on ne doit pas cependant les regarder comme de simples vicaires des Pontifes romains, car ils possèdent une autorité qui leur est propre, et ils portent en toute vérité le nom de prélats ordinaires des peuples qu’ils gouvernent. (…) C’est pourquoi il faut faire ici une remarque importante. Rien n’a été conféré aux Apôtres indépendamment de Pierre ; plusieurs choses ont été conférées à Pierre isolément et indépendamment des Apôtres. (…) Lui seul, en effet, a été désigné par le Christ comme fondement de l’Église. C’est à lui qu’a été donné tout pouvoir de lier et de délier ; à lui seul également a été confié le pouvoir de paître le troupeau. (…) Et il ne faut pas croire que la soumission des mêmes sujets à deux autorités entraîne la confusion de l’administration. Un tel soupçon nous est interdit tout d’abord par la sagesse de Dieu, qui a Lui-même conçu et établi l’organisation de ce gouvernement. De plus, il faut remarquer que ce qui troublerait l’ordre et les relations mutuelles, ce serait la coexistence, dans une société, de deux autorités du même degré, dont aucune ne serait soumise à l’autre. Mais l’autorité du Pontife est souveraine, universelle et pleinement indépendante : celle des évêques est limitée d’une façon précise et n’est pas pleinement indépendante. »

Pierre seul a reçu « tout pouvoir de lier et de délier », Pierre seul a reçu « le pouvoir de paître le troupeau ». L’autorité des évêques ensemble n’est ni pleine, ni universelle, ni souveraine. Léon XIII (dans la continuité de Pie IX) insiste sur le fait que seul le Pape est sujet du pouvoir suprême et plénier sur l’Église tout entière. Léon XIII ne dit rien qui puisse laisser penser que le collège des évêques, qu’il évoque régulièrement dans l’encyclique, soit dépositaire de l’autorité suprême avec le pape auquel il est uni, ou conjointement avec lui. Il parle du pouvoir épiscopal comme une autorité véritable en son domaine, mais définit cette autorité des évêques comme limitée, non totalement indépendante, n’étant ni pleine, ni universelle, ni souveraine. Plutôt, il exclut et condamne cette idée au moins implicitement, en rappelant que le pouvoir des clés (l’autorité suprême) n’a été confié qu’à Pierre seul.


IV. Lettre encyclique Mystici Corporis (29 juin 1943)

« Mais parce que, comme Nous l’avons déjà dit, par la volonté de son Fondateur, ce Corps de nature sociale qu’est le Corps du Christ doit être un corps visible, il faut que cet accord de tous les membres se manifeste aussi extérieurement, par la profession d’une même foi, mais aussi par la communion des mêmes mystères, par la participation au même sacrifice, enfin par la mise en pratique et l’observance des mêmes lois. Il est, en outre, absolument nécessaire qu’il y ait, manifeste aux yeux de tous, un Chef suprême, par qui la collaboration de tous en faveur de tous soit dirigée efficacement pour atteindre le but proposé : Nous avons nommé le Vicaire de Jésus-Christ sur la terre. En effet, de même que le divin Rédempteur a envoyé l’Esprit de vérité, le Paraclet, pour assumer à sa propre place l’invisible gouvernement de l’Église, ainsi, à Pierre et à ses successeurs, il a confié le mandat de tenir son propre rôle sur terre pour assurer aussi le gouvernement visible de la cité chrétienne. »

Dans sa belle encyclique sur l’Église conçue comme Corps Mystique de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Pie XII décrit l’harmonie qui existe entre les aspects juridiques de l’Église et ses aspects invisibles. L’Église, société parfaite de manière analogue à celle des États, a une constitution établie par Dieu lui-même dans laquelle il y a un chef suprême (un seul), qui a reçu le mandat de tenir le rôle même de Jésus-Christ sur terre et d’assurer le gouvernement visible de la cité chrétienne. Pie XII détaille ailleurs dans l’encyclique les caractéristiques de la mission des Apôtres et de leurs successeurs : à aucun moment il ne laisse entendre que le pouvoir suprême, le vicariat de Jésus-Christ, le gouvernement visible de la cité chrétienne, ait pu être confié aux Apôtres considérés ensemble en Collège. Pie XII rappelle également, contre les théories de l’indépendance du pouvoir épiscopal (qui sont un préalable de la collégialité), que si les évêques « jouissent du pouvoir de juridiction ordinaire, ce pouvoir leur est immédiatement communiqué par le Souverain Pontife ».


3- La collégialité dans Vatican II et dans le code de 1983

I. Lumen Gentium, n°22

« L’Ordre des évêques […] constitue, lui aussi [en plus du pape considéré seul], en union avec (una cum) le Pontife romain, son chef, et jamais en dehors de (numquam sine) ce chef, le sujet d’un pouvoir suprême et plénier sur toute l’Église »

Cette définition qui introduit un nouveau sujet de pouvoir plénier dans l’Église prétend se baser sur une déclaration de Mgr Zinelli, rapporteur de la Députation de la Foi pendant le Concile de Vatican I, concernant le fait que les évêques unis au pape lors d’un Concile œcuménique « possèdent le pouvoir plénier » (plenam potestatem habent). Voici la déclaration invoquée, dont la référence se situe en note de bas de page du texte officiel de Vatican II :

« Concedimus lubenter et nos in concilio oecumenico sive in episcopis coniuctim cum suo capite supremam inesse et plenam ecclesiasticam potestatem in fideles omnes … Igitur episcopi congregati cum capite in concilio oecumenico, quo in casu totam ecclesiam repraesentant, aut dispersi, sed cum suo capite, quo casu sunt ipsa ecclesia, vere plenam potestatem habent. »

Con. Vat. I : Mansi 52, c. 1109

Il est fallacieux de prétendre, comme le fait Gustave Thils et comme l’ont fait ceux qui ont rédigé et ratifié Vatican II, que ces deux propositions expriment exactement la même doctrine : sans nous risquer à une traduction détaillée, il est évident que Zinelli ne parle que du Concile œcuménique, et pas de « l’ordre des évêques » considéré dans l’abstrait. Il y est simplement question d’un mode extraordinaire d’exercice du pouvoir plénier dans l’Église, celui du Concile œcuménique dans lequel le pape s’associe l’ensemble des évêques, et pas de l’existence d’un pouvoir plénier habituel dans le Collège apostolique en dehors de ce cas du Concile œcuménique. Du texte de Zinelli, on ne peut inférer l’idée d’un double sujet du pouvoir plénier, mais plutôt l’idée d’un pouvoir plénier dont le seul sujet est le Pape, et qui est exercé de manière extraordinaire par l’ensemble des évêques réunis au pape en un Concile. L’assertion de l’existence d’un pouvoir plénier habituel dans un sujet distinct du pape est le sens obvie du texte de Vatican II, qui emploie le terme « quoque » (aussi) pour marquer une différence réelle entre deux sujets du pouvoir plénier : le pape considéré seul, et le collège des évêques uni au pape.

Mgr Parente, rapporteur de la commission théologique durant Vatican II, a affirmé face aux questions et aux amendements de certains pères conciliaires, quelque peu interloqués par cette doctrine aux accents nouveaux, que le Saint-Siège n’avait pas l’intention de trancher la question de l’unicité ou de la pluralité du sujet, et que la particule « quoque » ne cherche pas à exclure l’une ou l’autre de ces interprétations. C’est en quelque sorte encore pire que s’il avait affirmé que le Saint-Siège voulait affirmer l’hérésie de la collégialité : Mgr Parente explique que le Saint-Siège, face à une doctrine déjà définie, veut sciemment laisser la porte ouverte à une interprétation hérétique, tout en voulant stratégiquement faire croire à une absence de rupture avec l’enseignement magistériel. Mais il s’agit ici plus que d’une porte ouverte puisque les termes employés sont, pris dans leur sens premier, contraires à la constitution divine de l’Église, et ont été compris comme tels par la majorité des conciliaires ensuite.


II. La nota prævia : « cela semble sauver l’affaire » …

Durant les débats autour de la rédaction de Lumen Gentium, une « note explicative préliminaire » (Nota explicativa praevia), rédigée en grande partie par Mgr Philips, a été ajoutée au texte initial pour calmer l’opposition des conservateurs. Elle est si habilement construite que même Mgr Lefebvre s’estimait quitte de tous ses doutes et toutes ses objections contre le texte une fois la nota émise : elle semble en effet rappeler la doctrine traditionnelle sur le sujet unique du pouvoir plénier et les deux modes d’exercice du pouvoir (individuel ou collégial). Pourtant, à l’examiner sérieusement, elle confirme la doctrine du double sujet, telle qu’exprimée par le sens obvie de la phrase du n°22. Remarquable travail de diplomatie et d’argutie théologique, cette nota praevia ne rétablit qu’en apparence l’orthodoxie de Vatican II, car tout en affirmant la primauté du Pontife romain et le fait qu’elle ne peut pas être limitée par le Collège (ce que les modernistes auraient voulu suggérer), elle continue de laisser telle quelle l’affirmation du Collège comme sujet ordinaire du pouvoir suprême et plénier dans l’Église. Mgr Philips « noie tous les poissons admirablement », comme disait son compère le moderniste de Lubac [7] : mais il n’a pas pu noyer le poisson du double sujet, car il fallait bien que le projet moderniste de détruire la constitution monarchique de l’Église puisse aboutir, même de manière aussi compromise et diminuée, à travers ce bricolage hasardeux. La nota ne fait que réaffirmer la primauté de juridiction du pontife romain, et conditionner l’exercice de la primauté du Collège au bon vouloir du souverain pontife, sans infirmer donc cette primauté de juridiction du Collège : ainsi la constitution divine de l’Église est niée, puisqu’au lieu d’être une monarchie absolue elle devient une sorte de monstre à deux têtes dans laquelle il y a deux sujets de l’autorité suprême, l’un ne pouvant pas exercer l’autorité sans l’autre, mais les deux étant en même temps distinctement possesseurs de l’autorité.


III. Code de droit canonique de 1983 – Canon n°336

« Le Collège des Évêques dont le chef est le Pontife Suprême et dont les Évêques sont les membres en vertu de la consécration sacramentelle et par la communion hiérarchique entre le chef et les membres du Collège, et dans lequel se perpétue le corps apostolique, est lui aussi en union avec son chef et jamais sans lui, sujet du pouvoir suprême et plénier sur l’Église tout entière. »

Collegium episcoparum … subiectum quoque supremae et plenae potestatis in universam Ecclesiam exsistit

Le code de 1983 entérine la définition de Lumen Gentium, en gardant bien les termes problématiques subiectum quoque, avec le terme Collegium qui rend encore mieux l’idée d’une personne morale distincte du pape considéré seul. Elle lève la dernière ambiguïté qui pouvait encore subsister sur le fait que le Collège considéré en lui-même soit véritablement sujet ordinaire en droit du pouvoir suprême et plénier, au lieu de ne l’être que de manière occasionnelle par délégation du Pape lors d’un Concile : l’aspect juridique de la question est confirmé, puisqu’il est à présent gravé dans le « droit canon ».


4- Les commentaires des réformateurs

Collégialisme pur et collégialisme mitigé

Yves Congar

Les commentateurs de la collégialité, parmi lesquels plusieurs ont participé au Concile en tant qu’experts, se divisent principalement en deux opinions. L’opinion des plus zélés modernistes (Congar, Schillebeeckx, Rahner, etc.) est celle qu’ils ont défendu lors de Vatican II, qui explique pourquoi le Concile insiste autant sur le Collège, mais qui a été empêchée d’aboutir à cause des protestations de la « droite » : c’est le collégialisme pur dans lequel l’autorité suprême appartient au Collège des évêques, dont le pape n’est que le membre le plus éminent. Ainsi a-t-on pu voir dans les années 1970 des théologiens tels que Gustave Thils appeler en toute décontraction à une « étude critique de Vatican I », et reléguer au musée de l’histoire des idées les notions de monarchie ecclésiastique et de juridiction épiscopale déléguée [cf. note 5]. L’autre opinion est celle de la majorité des conciliaires, qui s’accordent sur ce qui est, en effet, le sens évident des textes de Vatican II : le « collégialisme mitigé » dans lequel il y a deux sujets distincts du pouvoir suprême dans l’Église. Contre ces deux opinions, viennent certains conservateurs « herméneutes de la continuité », extrêmement minoritaires, qui disent que Vatican II n’enseigne en réalité rien de nouveau, mais ils sont obligés de contredire le texte même de Vatican II pour l’affirmer.


La collégialité selon Benoît XVI

Ratzinger et Congar

Joseph Ratzinger, qui est censé être le maître de « l’herméneutique de la continuité », a une conception bien personnelle de la continuité en ce qui concerne le primat romain et la collégialité. On pourrait penser qu’il soit fidèle à la lettre de Vatican II et défende le « collégialisme mitigé » de Lumen Gentium : en réalité, la doctrine présente dans ses écrits théologiques est bien plus proche du collégialisme pur. Il estime que « la primauté ne peut pas être basée sur le modèle d’une monarchie absolue, comme si le pape était le monarque sans restriction d’un état surnaturel centralisé appelé Église ». Au contraire, sa juste place réside dans « le centre officiel de la collégialité des évêques ». Le pape occupe simplement le premier rôle au sein du Collège, et son primat n’existe pas réellement indépendamment du Collège. Il estime que l’Église ne doit pas être vue comme un cercle avec un seul centre (ecclésiologie traditionnelle), mais comme une « ellipse à deux foyers » étroitement interdépendants : la papauté et le collège.

Ratzinger, devenu Benoît XVI, n’a apparemment pas cessé d’affirmer la même doctrine : ainsi déclarait-il dans une interview télévisée en 2006 « le pape n’est pas du tout un monarque absolu » [8]. Si le pape n’est pas un monarque absolu, alors son pouvoir est limité par quelque autre pouvoir : alors sa primauté n’est pas pleine, souveraine et universelle comme l’affirme le magistère de la Sainte Église. En d’autres endroits en effet, Ratzinger affirme explicitement que le pouvoir du pape est limité par celui des offices épiscopaux, comme le disaient les gallicans. Il prétend que le schisme de 1054 trouve sa cause principale dans l’erreur des Latins qui consiste à confondre les prétentions administratives du « patriarcat latin » avec la primauté apostolique du Siège romain dont la vraie notion est d’être le centre de la collégialité : il avalise ainsi le discours classique des schismatiques d’Orient, qui disent que l’évêque de Rome a plein pouvoir dans les limites de son patriarcat occidental, mais ne doit pas empiéter sur les autres patriarcats de la « pentarchie » ; il propose à ces même schismatiques de se contenter de reconnaître l’évêque de Rome comme centre de la collégialité, sans presque rien changer à leurs structures juridiques.

Ceux qui voudraient entrer dans le détail des hérésies de Ratzinger peuvent se référer à l’étude de Richard G. DeClue sur « la primauté et la collégialité dans les travaux de Joseph Ratzinger », d’où sont issues les précédentes citations : précisons que l’étude émane d’un admirateur de Ratzinger, et pas d’un critique [9].


Le ridicule problème de la mise en application de la collégialité

La collégialité telle qu’exprimée par Vatican II est une doctrine ridicule et contradictoire, qui fait de l’Eglise un monstre à deux têtes, dont une tête ne peut pas agir sans l’autre. Les réformateurs se sont tellement empêtrés dans les compromis vis-à-vis de la « droite » qu’à la fin leur grande idée de détruire la constitution monarchique de l’Eglise et de lui donner un souffle plus « démocratique » ne se traduit dans les textes que d’une manière très diminuée, et très peu pratique. Les réformateurs n’ont pas abandonné cette grande idée d’enlever des pouvoirs au pape pour en donner davantage aux évêques, mais ils ont les plus grandes peines du monde à la rendre crédible et à la mettre en application : les conciliaires n’arrêtent pas de faire des synodes, de débattre, d’écrire des livres entiers sur l’application de la collégialité et de son mystérieux corollaire la « synodalité », dont personne ne connaît la définition ; ils s’estiment insatisfaits de la tournure des évènements. Les textes faisant « autorité » contiennent une hérésie, mais elle est enrobée d’autres éléments qui la « neutralisent » dans ses effets pratiques : difficile en effet de mettre le pape au second plan quand les textes rappellent qu’il possède le primat à titre individuel et sans dépendre du Collège, et que le Collège dépend de lui dans l’exercice de son propre primat (puisque le pape est chef du Collège). Plusieurs observateurs ont remarqué que François était le premier « pape » à véritablement prendre à cœur le sujet de la collégialité, quand Jean-Paul II était encore trop flamboyant et autoritaire à leur goût : en effet, François passe un temps considérable à essayer de saper ce qui reste de la structure organisationnelle de l’Église catholique, à « décentraliser » et à déréguler les institutions, à salir et humilier encore plus que ses prédécesseurs le prestige du souverain pontificat. Mais il se trouvera toujours des gens pour trouver que le « vrai sens de la collégialité » n’est pas encore pleinement compris, que Vatican II n’en est qu’aux débuts de son application. Le théologien conciliaire Jan Grootaers (1921-2016), présent à Vatican II, a écrit en 2012 un livre sur les Heurs et malheurs de la collégialité, qui retrace sur un ton plaintif les méandres de ces débats et de ces contradictions. Situation ridicule et contradictoire du début jusqu’à la fin.


5 – Les tentatives d’« herméneutique de la continuité »

Durant le temps même des sessions de Vatican II, certains théologiens conservateurs se sont empressés de « donner la véritable interprétation de Vatican II » pour faire taire les modernistes de la trempe de Ratzinger. Ainsi Mgr Ugo Lattanzi, que nous avions évoqué, et le cardinal Dino Staffa, ont écrit pour dire que Lumen Gentium parle d’un unique sujet du primat qui est le pape, et de deux modalités d’exercice du primat (le pape seul ou le pape avec les évêques), conformément à la doctrine catholique. En réalité, l’exercice auquel se sont livrés ces deux théologiens était bien maladroit et artificiel : ils reconnaissent eux-mêmes être forcés d’interpréter la déclaration problématique contre son contexte, contre l’ambiguïté volontaire des réformateurs et contre le sens littéral du texte. Dit autrement, Staffa et Lattanzi n’ont pas « donné la véritable interprétation de Vatican II », mais ont corrigé l’erreur affirmée par Vatican II, en voulant prétendre qu’elle n’était pas vraiment affirmée [10].

Cette posture est une escroquerie intellectuelle. Face à un texte dont le sens premier est contraire au magistère de l’Église, le propos d’un « herméneute de la continuité » consiste à dire qu’il faut appliquer au magistère de Vatican II des règles analogues à celles que l’on applique pour l’interprétation des Saintes Écritures (le terme « herméneutique » vient du monde de l’exégèse) pour réconcilier la contradiction apparente avec ce qui a été enseigné précédemment. Sauf qu’il y a une différence profonde de nature entre le Magistère et les Saintes Écritures : celles-ci doivent être interprétées, car en de nombreux endroits leur sens est spirituel, caché et difficile à saisir, et Dieu a donné à l’Église le pouvoir d’interpréter infailliblement ce dépôt de la Révélation, contre toutes les déviations possibles de l’esprit humain face à des textes aussi complexes. Le Magistère existe précisément pour trancher avec une autorité infaillible les débats et les incompréhensions qui pourraient émerger d’une mauvaise interprétation de la Révélation : il oblige en conscience les fidèles, qui doivent y soumettre leur intelligence sans discussion. Si l’on prétend qu’il faut interpréter le magistère, alors on lui dénie sa fonction qui est de clarifier avec autorité la Révélation, et on fait reposer en dernière instance dans la raison individuelle la charge de déterminer ce qui est véritablement révélé : ce n’est donc que du protestantisme, avec une étape intermédiaire entre les Saintes Écritures et la raison individuelle, qui serait un magistère flou, difficile et sujet à des interprétations variables. Puisque l’on refuse de recevoir ce magistère dans son sens premier et évident, avec la simplicité et la droiture attendue d’un fidèle catholique, la compréhension des vérités révélées est donc laissée à une sorte de libre-examen individuel postérieur au magistère : c’est une folie, et en effet il existe autant « d’interprétations de Vatican II » qu’il y a d’herméneutes, de la même manière que chaque protestant a son interprétation de la Bible [11].

Cette attitude a quelque chose de compréhensible pour le contexte de l’époque, dans le sens qu’il était impossible pour les catholiques que le pape approuve un enseignement erroné, et que Paul VI avait extérieurement les garanties d’être le pape : élection et acceptation pacifique. Comme Paul VI est apparemment le pape, et qu’il promulgue une doctrine apparemment erronée, la réaction majoritaire des catholiques a été de tenter de donner une explication catholique de la doctrine problématique. Même des prêtres très antimodernistes comme l’abbé Julio Meinvielle se sont livrés à cet exercice, intellectuellement absurde, mais humainement compréhensible : car en effet, personne n’avait réellement envisagé que les réflexions des théologiens sur le « pape hérétique » puissent être un jour d’actualité, et affirmer la vacance du Saint-Siège apparaissait comme une folie tant les conséquences d’une telle occupation illégitime du Saint-Siège seraient graves pour l’Église. À mesure que le temps passe et que les hérésies de Paul VI et ses successeurs se multiplient toujours plus clairement, cet exercice devient de plus en plus difficile et absurde, jusqu’au ridicule dans certains cas : il n’est vraiment plus possible de réconcilier leurs propos avec la doctrine catholique, par conséquent la seule conclusion logique qui s’impose est que ni Paul VI ni ses successeurs qui ont enseigné la même chose que lui ne possèdent l’autorité pontificale. Donc ils ne sont pas papes, puisque la forme de la papauté (ce qui donne l’être) est l’autorité, et non pas l’élection.


6 – Conclusion

Les définitions du magistère de l’Église ne contiennent aucune équivoque sur ce sujet : le pape seul est sujet de pouvoir plénier et universel dans l’Église, le pape seul a reçu et conserve de manière permanente une primauté de juridiction véritable, à l’exclusion des autres évêques même considérés ensemble en tant que collège. Les déclarations de Vatican II, clarifiées par le canon 336 du code de 1983, établissent une doctrine suivant laquelle le Collège des évêques est « lui aussi » sujet de pouvoir plénier et universel dans l’Église, de manière permanente. Cette doctrine étant en contradiction directe avec le magistère, elle est une hérésie, pas simplement une imprécision doctrinale.

Les tentatives « d’herméneutique de la continuité » au sujet de la collégialité sont inopérantes, parce qu’elles ne répondent pas au problème central des nouvelles définitions qui est l’apparition d’un nouveau sujet de pouvoir plénier, d’un nouveau dépositaire permanent de la primauté de juridiction autre que saint Pierre ; elles font dire au texte de Vatican II l’inverse de ce qu’il dit. Il faut étudier l’histoire de la rédaction de Vatican II (par exemple à la travers les mémoires de Congar ou de Mgr Philips) pour mieux comprendre l’intention hérétique des réformateurs, et trouver une confirmation supplémentaire du « véritable sens » de la collégialité, si Lumen Gentium et le code de 1983 n’étaient pas déjà suffisamment clairs.

Jean-Tristan B.


[1]https://www.revuedesdeuxmondes.fr/wp-content/uploads/2016/11/46dd48fbdd3f24a51d12045f237e14eb.pdf

[2] « Et que dirons-Nous de la difficulté à laquelle sont toujours si sensibles nos Frères séparés : celle qui provient de la fonction que le Christ Nous a assignée dans l’Église de Dieu et que Notre tradition a sanctionnée avec tant d’autorité ? Le Pape, Nous le savons bien, est sans doute l’obstacle le plus grave sur la route de l’œcuménisme. »  Paul VI, 28 avril 1967, Discours aux membres du secrétariat pour l’unité des chrétiens.

[3]https://www.sodalitium.eu/ratzinger-protestant-a-99/

[4]https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/cti_documents/rc_cti_20180302_sinodalita_fr.html

[5] Gustave Thils, La théologie de la primauté. En vue d’une révision, Revue Théologique de Louvain 1972, 3-1 pp. 22-39

[6] Carnets conciliaires de Mgr Gérard Philips, secrétaire adjoint de la commission doctrinale. Texte néerlandais avec traduction française et commentaires par L. Schelkens. Avec une introduction par L. Declerck (coll. Instrumenta theologica, 29). 2006

[7] Journal du Concile d’Henri de Lubac, p. 597

[8]http://benoit-et-moi.fr/2013-II/benoit/collegialite-et-primaute-selon-benoit-xvi.html

[9]https://www.communio-icr.com/articles/view/primacy-and-collegiality-in-the-works-of-joseph-ratzinger

[10]https://laportelatine.org/critique-du-concile-vatican-ii/une-conception-collegiale-de-leglise-vue-comme-communion

[11] Comme nous l’avons vu, pour la collégialité il existe au moins trois « exégèses » de Vatican II. La seule qui est intellectuellement honnête est celle du double sujet de la primauté, puisqu’elle se base sur le sens premier des textes, y compris la nota praevia : les deux autres émanent de personnes qui veulent faire correspondre la réalité à leurs désirs, les uns à leurs désirs mauvais et hérétiques (collégialisme pur, le pape mis au second plan), les autres à leurs désirs pieux et catholiques (le pape seul sujet permanent du primat : comment Paul VI pourrait vouloir enseigner autre chose, puisqu’il est pape ? etc.). Rappelons à l’intention du deuxième groupe que la piété véritable ne peut pas être séparée de la vérité : il vaut mieux dire que Paul VI n’est pas pape, s’il est évident qu’il enseigne des hérésies, plutôt que de nier l’évidence pour se maintenir dans une illusion procédant d’une apparence de piété (désir d’être fidèle à l’Église). C’est s’aveugler volontairement, et refuser la croix que Dieu nous envoie, pour quelque motif de facilité humaine (il serait « trop dur » que le Saint-Siège soit vacant et avec lui tous les sièges épiscopaux, pendant une période prolongée : c’est très dur en effet, mais cela n’a rien d’impossible en soi, et Dieu ne manquera pas de nous donner les grâces nécessaires pour surmonter ces maux qu’il a permis).

Faut-il absolument être uni aux évêques ?

Retour sur une objection au sédévacantisme

Depuis quelques temps, certains estiment avoir trouvé l’argument d’autorité définitif contre le sédévacantisme dans l’exhortation Pastoris Aaeterni de Léon XII (26 juillet 1826) contre la Petite-Eglise anticoncordataire :

« Car, comment l’Église sera-t-elle pour vous une mère, si vous n’avez pas pour pères les Pasteurs de l’Église, c’est-à-dire les évêques ? (…) L’Église catholique est une ; elle n’est point déchirée, ni divisée. Votre Petite Église ne peut donc en aucune manière appartenir à l’Église Catholique. Car, de l’aveu même de vos maîtres, ou plutôt de ceux qui vous trompent, il ne reste plus aucun des évêques français qui soutienne et qui défende le parti que vous suivez »

Il s’agirait donc de dire : puisqu’aucun évêque n’a refusé Vatican II, et qu’aucun évêque n’a soutenu le sédévacantisme, c’est une preuve absolue que le sédévacantisme est faux, et que « l’Eglise sédévacantiste » est une secte schismatique. Les comparaisons vont bon train entre les sédévacantistes et la Petite-Eglise, qui sont présentés comme des phénomènes similaires en tout point. Nous souhaitons revenir brièvement sur chacun de ces points, et expliquer :

1) Concernant l’enseignement du pape Léon XII

  • Que Léon XII ne donne pas formellement un enseignement sur la nécessité d’être uni aux évêques en toutes circonstances, mais donne un argument ad hominem aux membres de la Petite-Eglise. Il faut se souvenir que le point de départ du schisme de la Petite-Eglise est la prétendue « fidélité aux évêques » : certains évêques ayant courageusement combattu contre la Révolution ont été déposés par le pape Pie VII à la suite du concordat. Pie VII avait dû accepter plusieurs concessions pour que l’Eglise catholique puisse retrouver une vie normale et que la paix puisse exister entre l’Eglise et l’Etat, la déposition de certains évêques jugés trop légitimistes en faisait partie. La mentalité gallicane étant répandu partout en France à cette époque, certains prêtres et fidèles y ont vu un « abus » de la part du pape, et ont prétendu que le pape n’avait pas le droit de déposer les évêques s’ils n’avaient pas commis une faute grave. Etant donné que le point de départ de leur schisme est le soutien à certains évêques déposés, Léon XII leur fait remarquer qu’il n’y a plus aucun évêque en France qui les soutienne, qu’ils sont donc dépourvus de ce qui faisait leur raison d’être
  • Qu’il est évident que l’union aux évêques, que Léon XII présente comme la marque de la catholicité, est relative à l’union des évêques au pape. Lorsque Léon XII dit « comment l’Eglise sera-t-elle pour vous une mère (…) si vous n’avez pas pour père les pasteurs de l’Eglise, c’est à dire évêques ? », veut-il dire par exemple qu’un russe doit avoir pour père le patriarche schismatique de Moscou ? Evidemment non. Lorsque le magistère parle de la soumission aux évêques, il parle évidemment des évêques qui sont en communion avec le souverain pontife : pas des évêques considérés indépendamment de ce critère de la soumission au pape, sinon il faudrait soutenir contre l’absurde que les évêques schismatiques doivent être nos pasteurs et nos pères. A l’époque de Léon XII, les évêques catholiques étant unis à un vrai pape, il était en effet nécessaire de leur être soumis comme à des successeurs des apôtres pour être catholique. C’est bien différent si l’ensemble des évêques se trouvent être unis à quelqu’un qui n’est pas pape.
  • Qu’il est évident qu’il ne faut pas, à tout prix et en toutes circonstances, être uni à l’unanimité morale des évêques pour être catholique. Nos contradicteurs auraient-ils oublié qu’à l’époque de saint Athanase, la majorité des évêques étaient ariens ? Il n’est pas soutenable de présenter ce critère de majorité (ou même d’unanimité) de l’épiscopat comme règle absolue de la vérité. C’était probablement ce que faisaient les ariens pour justifier leurs hérésies à l’époque : la plupart des grands sièges épiscopaux étaient acquis à l’arianisme, c’est le signe que c’est une doctrine « d’Eglise ». Ceci est évidemment fallacieux. Le raisonnement de nos contradicteurs consisterait à dire : puisque la majorité des évêques étaient unis à Paul VI, alors c’est une preuve qu’il était véritablement pape. Pourtant le raisonnement catholique doit être l’inverse : il faut établir que Paul VI est pape d’abord, car il n’est pas garanti que les évêques soient infaillibles pour ce qui regarde le fait de savoir qui est réellement pape ou non.

2) Concernant la comparaison entre le sédévacantisme et la Petite-Eglise

  • Que la Petite-Eglise se base sur les hérésies du gallicanisme pour justifier sa rébellion. Nous disions plus haut que le point de départ de ces « dissidents » est l’idée que le pape n’a pas le droit de déposer un évêque sauf dans certaines circonstances. Leur schisme est basé sur deux erreurs : 1) l’idée que les évêques ont une juridiction autonome de celle du pape, au lieu d’avoir une juridiction déléguée par lui (idée aujourd’hui chère aux sectateurs de Vatican II, avec leur « collégialité » et leur théorie du sacre donnant la juridiction) ; 2) l’idée que le pape n’a pas le droit d’empiéter sur cette autorité sacrée, puisqu’elle vient de Dieu directement. Le magistère de l’Eglise réprouve absolument cette fausse conception de la juridiction épiscopale.
  • Qu’à l’inverse le sédévacantisme se base sur la doctrine « ultralmontaine », le respect et la soumission due au Pape, et la fidélité au magistère infaillible de l’Eglise. Quoi de commun entre une doctrine qui prétend que le « droit divin des évêques » est inviolable et que même le pape ne peut pas y toucher, et une doctrine qui défend qu’il est impossible que le pape contredise un autre pape dans l’exercice de son magistère ? Voici le point de départ du sédévacantisme : 1) Vatican II enseigne des erreurs qui tombent sous l’anathème de l’Eglise (ex. liberté religieuse), 2) Or il est impossible qu’un pape promulgue de telles erreurs, 3) et pour sauver son âme, un catholique doit être sincèrement et universellement soumis au pape, 4) donc on ne peut pas en même temps dire que Vatican II est erroné et dire que Paul VI est pape, ni dire que Paul VI est pape et en même temps lui « résister » en refusant ses lois liturgiques par exemple. Ce qui distingue les sédévacantistes des conciliaires est une fidélité plus grande à l’infaillibilité du souverain pontife (puisqu’à présent l’immense majorité des conciliaires prétend que le syllabus de Pie IX n’était pas infaillible, par exemple). Ce qui distingue les sédévacantistes des autres traditionnalistes, est cette même fidélité couplée à la conscience de la nécessité d’être soumis au souverain pontife en toutes choses (pas seulement dans son magistère, mais aussi dans toutes ses lois et même dans des matières non-infaillibles). Quelle ressemblance avec la doctrine de la « Petite Eglise » ? La comparaison ne résiste pas à un examen sérieux des doctrines et des intentions des deux groupes.
  • Qu’il est impossible de démontrer que nous adhérons à une hérésie ou que nous avons du mépris pour l’autorité ecclésiastique légitime. Nos contradicteurs nous reprochent principalement deux « hérésies » ou « attitudes schismatiques » :
    • Le rejet de « l’acceptation pacifique et universelle » (APU) comme signe certain du pontificat de Paul VI
    • Le rejet de l’enseignement de la majorité des évêques (qui ont accepté Vatican II), ou du moins le fait de ne pas être soumis à cette majorité des évêques – ce qui serait une sorte d’hérésie d’après leur interprétation de Pastoris Aeterni.
  • Mais en quoi de telles choses peuvent constituer des hérésies ? Une hérésie est un enseignement qui contredit les définitions du magistère de l’Eglise. Or il n’existe à notre connaissance aucune définition magistérielle sur l’APU, bien que cette doctrine soit effectivement présente dans l’enseignement de nombreux théologiens (notre point n’est pas de donner ici une réponse de fond, simplement de discuter du fait qu’il s’agisse d’un enseignement magistériel). Le problème est que ces théologiens n’enseignent pas tous la même chose sur l’APU, et leur langage n’est pas suffisamment précis pour que toute question et toute réflexion théologique soit absolument tranchée par leur enseignement. Est-ce que l’APU concerne simplement la validité l’élection, ou bien l’autorité ? (les deux notions étant distinctes dans la théologie catholique, cf. les explications de saint Antonin sur la distinction entre la papauté matérielle et la papauté formelle). Est-ce que l’APU implique une simple ratification extérieure de l’élection, ou bien une soumission réelle au pape en tant que docteur et législateur ? Il n’y a tout simplement aucune définition magistérielle sur le sujet, de telle sorte que si je voulais « rétracter mon hérésie » sur l’APU, je ne saurais même pas précisément ce que je dois rétracter. Je n’ai d’ailleurs jamais prétendu que je refusais la doctrine des théologiens sur l’APU, il est possible de lui donner un sens compatible avec la situation actuelle de l’autorité dans l’Eglise. Surtout, nous ne nions pas le fondement de cette doctrine qui est l’indéfectibilité de l’Eglise catholique et l’impossibilité que tous les catholiques soient trompés par un faux pape sans qu’il n’y ait de moyen de se rendre compte de la tromperie [1]. Concernant l’infaillibilité des évêques considérée indépendamment du pape, il en va de même, ce n’est pas un enseignement magistériel (nous évoquons le sujet plus loin).
  • Enfin concernant le mépris pour l’autorité légitime, je porterais à la connaissance de nos contradicteurs le fait que la majorité de ceux qui sont devenus « sédévacantistes » dans le courant des années 1970-1980 ont dans un premier temps tenter d’expliquer Vatican II en continuité avec le magistère de l’Eglise, et défendu l’idée que « le pape » était dépassé par les « abus » choquants qui avaient eu lieu suite à Vatican II. Il est normal que la présomption aille dans ce sens, pour un catholique qui est habitué à respecter l’autorité légitime. Mais cette position ne peut être légitimement soutenue que si l’on est dans l’ignorance de ce que Vatican II enseigne réellement par rapport à l’enseignement antérieur de l’Eglise, et dans l’ignorance de l’attitude de Paul VI et de ses successeurs à l’égard des prétendus « abus » incontrôlés. Ne pouvant pas refuser la réalité, certains ont fini par accepter le constat de la vacance du Saint-Siège, parce que c’était une exigence logique, pas pour le plaisir de privilégier leurs opinions personnelles à celles de la hiérarchie apparente.

3) Concernant l’acceptation de Vatican II par les évêques

  • Qu’il s’agit en effet de l’objection ou de la difficulté la plus sérieuse au sédévacantisme. Nous ne balayons pas cette objection d’un revers de la manche comme s’il s’agissait d’une chose insignifiante ou facile à écarter. Comme nous le disions plus haut, nous ne basons pas notre position sur une sorte de mépris de principe pour la hiérarchie, donc le fait que la hiérarchie ait massivement adhéré à Vatican II mérite sérieuse réflexion. Il est en effet une grave difficulté de constater que la plupart des évêques ont accepté Vatican II, qu’ils ont accepté Paul VI et ses successeurs comme papes. Aucun théologien n’aurait pu imaginer qu’une telle chose arrive, que l’épiscopat tombe presque unanimement dans une telle défection.
  • Mais que l’on peut répondre à ce problème en conformité avec la doctrine catholique
    • Parce que l’infaillibilité des évêques est relative à la soumission au pape. Lorsque le magistère de l’Eglise parle de l’infaillibilité des évêques, c’est toujours d’une manière relative à celle du pape, dans le sens que l’unanimité morale des évêques en union avec le pape donnent aux fidèles un magistère infaillible. De sorte qu’il serait théoriquement possible que tous les évêques ensemble adhèrent à une autre règle de foi que le pape, en prenant pour le pape un usurpateur, et donc n’enseignent pas infailliblement. Si par ailleurs il est évident que l’usurpateur enseigne des hérésies alors qu’il devrait être infaillible, il est donc évident qu’il n’est pas pape, les fidèles catholiques ne sont pas privés de toute possibilité de discernement à cet égard.
    • Parce que la doctrine sur l’indéfectibilité du corps épiscopal est une opinion théologique. Un certain nombre de théologiens ont donné une extension nouvelle à l’infaillibilité des évêques en disant qu’elle existe même indépendamment du pape. Il s’agirait de dire par exemple que même en cas de vacance prolongée du siège apostolique, le corps épiscopal constituerait toujours un sujet d’enseignement infaillible, qu’il n’est pas possible que ce corps uni des évêques fasse défection de la foi catholique, et qu’un enseignement de l’unanimité morale des évêques doit recueillir l’assentiment des fidèles même s’il n’est pas évident qu’ils soient tous unis au pape. C’est une pieuse opinion, mais ce n’est pas un enseignement magistériel. Nous voudrions y croire : mais contra factum non fit argumentum, contre les faits il n’y a pas d’arguments. On ne peut pas nier des évidences sous le prétexte d’être fidèle à une opinion théologique, si pieuse et soutenable fût-elle considérée indépendamment des faits qui lui sont opposés. Si l’on voulait choisir une opinion contre une réalité évidente, cela ne procéderait que d’une apparence trompeuse de piété, puisque la véritable piété inclut le zèle pour la vérité.
    • Parce qu’il est possible d’expliquer que la succession apostolique continue malgré la défection de l’épiscopat (thèse de Cassiciacum). La plupart de ceux qui refusent le sédévacantisme le font parce qu’il s’oppose apparemment à la visibilité de l’Eglise, à son indéfectibilité et à sa perpétuité jusqu’à la fin des temps. C’est effectivement la seule objection de fond au sédévacantisme, puisque l’indéfectibilité et la perpétuité de l’Eglise dans tous ses éléments essentiels, et pas simplement dans son aspect mystique et invisible, est un dogme de foi. Celui qui nie cette perpétuité de l’Eglise dans son aspect visible et institutionnel est un hérétique. Il faut donc pouvoir expliquer comment, d’une part, Paul VI n’était pas pape ni ses successeurs puisqu’ils enseignent des erreurs et détruisent l’Eglise, et comment d’autre part l’Eglise catholique en tant qu’institution n’a pas « disparu » et qu’il reste possible, jusqu’à la fin des temps, de retrouver un successeur légitime de saint Pierre sur le Siège Apostolique. La thèse de Cassiciacum y répond en se basant sur la philosophie thomiste et sur les explications de quelques savants théologiens : la hiérarchie de l’Eglise et la succession apostolique de juridiction continue d’exister materialiter chez les conciliaires, et il suffit que les hiérarques conciliaires rejettent Vatican II pour retrouver la juridiction formelle pour laquelle ils ont été légitimement désignés [pour plus d’explications, voir ce lien]. Ceux qui prétendent qu’il est impossible que l’Eglise subsiste sans qu’il y ait en son sein une hiérarchie formelle et une juridiction en acte ne se basent pas sur le magistère : la thèse explique suffisamment que les définitions du magistère peuvent se limiter à l’aspect matériel [2]. Ceux qui prétendent que la hiérarchie de juridiction se perpétue chez les « évêques sédévacantistes » ne se basent pas non plus sur le magistère, mais se basent plutôt sur des opinions téméraires et imprécises qui les rapprochent des conciliaires et de leur fausse conception de la juridiction épiscopale, et les propulse tout droit vers la consommation d’un nouveau schisme (aucun de ces évêques n’a le droit d’élire un pape, par conséquent leur « conclave » serait absolument sans valeur et schismatique, parce qu’il instituerait une hiérarchie en dehors de la véritable Eglise fondée par Jésus-Christ sur saint Pierre : il n’est pas possible de soutenir que les évêques sédévacantistes ont une juridiction ordinaire, ce qui les rendrait susceptible d’élire le pape en l’absence de cardinaux d’après saint Robert Bellarmin – la juridiction ordinaire vient toujours du pape, et certainement pas du sacre épiscopal, or il n’y a pas de pape actuellement donc pas de juridiction ordinaire possible).
    • D’autre part, il n’existe aucune unanimité de l’épiscopat sur l’enseignement de Vatican II, ce qui réduit l’argument de la soumission aux évêques à quelque chose de purement extérieur et légaliste. Nos contradicteurs insistent sur le fait que tous les évêques, même ceux qui ont rejeté Vatican II ensuite, ont signé les textes du Concile préalablement à leur promulgation. C’est vrai, en effet, qu’ils ont tous signé y compris Mgr Lefebvre, Mgr de Castro-Mayer et Mgr Ngo Dinh Thuc. Pour eux, ce fait est suffisant pour que s’applique leur conception de l’infaillibilité des évêques et de la nécessité de leur être soumis. Si l’on se borne à ce critère purement extérieur, la position a une certaine apparence de validité. Mais si l’on s’avise de regarder plus profondément ce qui pourrait constituer un « enseignement de l’épiscopat » sur Vatican II, puisque l’on part du principe que tous les évêques ensemble sont infaillibles, on réalise mieux la faiblesse de cette position, étant donné que :
      • L’épiscopat ne s’accorde même pas pour savoir ce que Vatican II enseigne réellement. C’est dommage si l’on veut prétendre que l’enseignement des évêques est le critère de la vérité.
      • Il existe en réalité au moins quatre attitudes complètement différentes à cet égard, qui impliquent toutes une sorte de rejet pratique de Vatican II :
        • Les conservateurs qui ont déploré la promulgation de Vatican II, qui ont lutté contre les progressistes pendant le Concile (cf. le Coetus internationalis patrum dont faisaient partie notamment de nombreux évêques brésiliens), et qui ont essayé désespérément de trouver un sens catholique aux définitions ambigües de Vatican II, pour réfuter les progressistes ;
        • Les conservateurs qui ont finalement rejeté ouvertement Vatican II et refusé son application (cf. les trois évêques que nous avions cité) ;
        • Les progressistes qui se réjouissent de la promulgation de Vatican II mais déplorent quelques « extravagances » et quelques « dérapages » dans son application, comme s’ils n’étaient pas contenus dans les textes même de Vatican II ou les directives disciplinaires qui l’ont accompagné ;
        • Les progressistes qui estiment que Vatican II est un bon début mais qu’il faut aller encore beaucoup plus loin dans la subversion du catholicisme et la fusion entre l’Eglise et le monde moderne.
    • Chacune de ces quatre positions implique un certain degré de rejet de Vatican II. La première position implique d’interpréter Vatican II, comme s’il était possible « d’interpréter » le magistère, dans un sens contraire à son sens apparent, ce qui est une posture de libre-examen bien que l’intention ne soit pas protestante. La troisième position prétend que Vatican II ou la nouvelle règlementation liturgique ne permettent pas les « abus », ce qui est encore une interprétation subjective (et fausse) des textes. Vatican II est, dans l’ensemble, suffisamment flou et suffisamment captieux pour permettre à tout le monde se s’y retrouver, soit qu’on veuille lui donner un sens orthodoxe, soit qu’on veuille lui donner un sens hérétique, ainsi sont également les lois liturgiques qui par leur nature même permettent ou même encouragent les abus fustigés par les conservateurs [3]. Mais comme chacun refuse certains aspects de Vatican II, on pourrait conclure sans discrédit que tous les évêques conciliaires ont rejeté Vatican II d’une manière ou d’une autre. Donc mettons que je veuille être « soumis à l’épiscopat » concernant Vatican II : la seule chose que je pourrais faire, c’est de me borner à une sorte d’acceptation extérieure et superficielle de la validité de Vatican II, puis conserver mon opinion privée sur le véritable sens de Vatican II. Est-ce cela, le catholicisme ? Est-ce cela, la soumission à la hiérarchie ecclésiastique et le fait d’avoir pour pasteurs et pour pères les évêques ? Ce n’est rien de plus que la conception janséniste de la soumission à l’Eglise : pourvu que l’on signe les formulaires et que l’on ait l’air extérieurement et légalement unis à la hiérarchie, on est un bon catholique, et on peut se réserver en privé le droit de penser ce que l’on veut sur ces formulaires et ces enseignements. Nos contradicteurs sont d’autant plus légalistes qu’ils regardent comme rien le fait que quelques évêques comme Mgr Lefebvre ont ensuite rejeté Vatican II et regretté leur signature des documents : pour eux cela ne compte pas, tout ce qui importe est la signature, c’est à dire l’acte extérieur et superficiel d’adhésion à Vatican II, quoi que cela puisse signifier intrinsèquement.

Conclusion

L’utilisation de Pastoris Aeterni par les adversaires du sédévacantisme est abusive, parce qu’elle néglige certaines distinctions élémentaires : les évêques sont « pasteurs et pères » des fidèles pourvu qu’ils soient unis au pontife romain, et pas simplement par le fait qu’ils sont évêques (sinon, il faudrait considérer les centaines d’évêques schismatiques comme nos pasteurs et nos pères : cela n’a aucun sens, ils sont séparés de l’Eglise). Il n’existe pas d’infaillibilité du corps épiscopal indépendante de de l’infaillibilité du pontife romain, auxquels les évêques doivent être soumis pour enseigner collectivement de manière infaillible. L’essentiel de la discussion sur la validité du sédévacantisme reste donc, et restera toujours, de savoir si Paul VI était réellement pape ou non, pas de savoir ce que les évêques ont pensé de Paul VI (d’autant plus que ceux-ci ont eu, sur Paul VI et sur Vatican II, des opinions diverses et irréconciliables, il n’existe aucun consensus de l’épiscopat sur la nature de l’enseignement de Vatican II). La ressemblance entre la « Petite-Eglise » et les groupes sédévacantistes ne supporte pas une comparaison sérieuse : les premiers sont gallicans, les seconds sont ultramontains et ne peuvent pas être convaincus de rejeter un enseignement du magistère de l’Eglise (du moins pour ce qui concerne la question de la vacance actuelle du Saint-Siège : certains sédévacantistes sont peut-être hérétiques sur d’autres sujets, mais c’est leur problème personnel, et pas le problème de cette question de savoir si Paul VI et ses successeurs sont réellement papes). Ceux qui adoptent cette posture, qui consiste à dire qu’il faut être extérieurement soumis à la « l’unanimité morale des évêques » pour être catholique, ont en réalité une conception purement légaliste de la soumission à l’Eglise, qui ne regarde que le for externe et pas le for interne, puisque chacun se réserve au for interne une sorte de droit de penser ce qu’il veut de Vatican II. En quoi cette position diffère de celle des serpents jansénistes, qui prétendaient être de bons catholiques tant qu’ils avaient l’air extérieurement unis à l’épiscopat et à la papauté ? Cela n’a rien à voir avec le véritable esprit catholique d’obéissance à la hiérarchie et de soumission au magistère infaillible de l’Eglise.

Jean-Tristan B.


[1] En tout état de cause, le plus important demeure le fondement de la doctrine sur l’APU, qui est l’indéfectibilité de l’Eglise. Ce caractère indéfectible implique en effet l’impossibilité radicale, en raison des promesses de Notre-Seigneur, que les membres de l’Eglise soient, à cause de l’usurpation du trône de saint-Pierre par un faux pape, privés de tout critère objectif pour refuser leur adhésion à l’erreur religieuse (dans ce cas toute l’Eglise adhérerait à une fausse doctrine et ferait défection, ce qui évidemment impossible). Ce n’est pas le refus de l’APU mais la négation de cette « impossibilité radicale » qui constitue une hérésie, or cette impossibilité nous y adhérons et la professons publiquement. La position sédévacantiste ne lui est pas contraire et le refus de l’APU n’implique pas la négation de l’indéfectibilité de l’Eglise. Le Cardinal Billot, qui soutient l’APU, dit que « l’adhésion de l’Église universelle est toujours à elle seule le signe infaillible de la légitimité de la personne du Pontife, et donc de l’existence de toutes les conditions requises à cette légitimité ». Il affirme ensuite que la raison de ceci est que, dans le cas contraire, les portes de l’enfer auraient prévalu contre l’Église. Cela se comprend puisque, selon l’éminent théologien, « ce serait en effet la même chose, pour l’Église, d’adhérer à un faux Pontife que d’adhérer à une fausse règle de foi […] le Pape [étant] la règle vivante que l’Église doit suivre en croyant, et de fait suit toujours ». L’abbé Lucien a déjà apporté une réponse tout à fait convaincante sur ce point et que voici : « L’impossibilité absolue à laquelle se réfère implicitement le cardinal Billot c’est que l’ensemble des fidèles adhèrent à une doctrine fausse : cela relève immédiatement de l’indéfectibilité de l’Eglise. Or, la reconnaissance d’un faux pape n’est pas encore l’adhésion à une doctrine fausse. Ladite reconnaissance ne peut entraîner une telle adhésion que dans le cas d’un acte magistériel contenant une erreur. Mais nous avons vu qu’il existait un critère intrinsèque de discernement, accessible à tout fidèle : la non-contradiction par rapport à tout ce qui est déjà infailliblement enseigné par l’Eglise. L’indéfectibilité de l’Eglise implique très certainement qu’un éventuel “faux pape” (tenu pour vrai par tous) ne puisse définir faussement un point de doctrine librement discuté jusqu’alors dans l’Eglise. Dans le cas contraire en effet, les fidèles seraient privés de tout critère objectif pour refuser leur adhésion à l’erreur : ils seraient donc inéluctablement induits en erreur et l’indéfectibilité de l’Eglise serait atteinte (telle est la ‘part de vérité’ de la thèse du cardinal Billot). Mais l’indéfectibilité de l’Eglise ne s’oppose pas à ce qu’un faux pape prétende enseigner officiellement un point déjà infailliblement condamné par l’Eglise. Bien au contraire, c’est alors le signe infaillible que ce faux pape ne possède pas l’Autorité pontificale divinement assistée : ne pas conclure à cette absence d’Autorité, c’est refuser la Lumière providentiellement accordée ». Si nous ne sommes pas d’accord pour dire qu’adhérer à un faux pontife implique forcément l’adhésion à une fausse règle de la Foi, nous demeurons d’accord sur le fondement invoqué par Billot : oui, il est impossible que toute l’Eglise adhère à une fausse règle de Foi. Seulement, pour maintenir ce point que la Foi nous impose de tenir fermement, il suffit de dire que jamais l’Eglise ne sera privée de critère objectif pour refuser une fausse doctrine. Quand un loup ravisseur (un faux pape) s’introduit dans la bergerie (l’Eglise), les moyens ne manquent pas et ne manqueront jamais pour le débusquer et refuser sa doctrine empoisonnée.

[2] La papauté et l’épiscopat sont perpétuels dans l’Église, nous ne le nions pas. La succession matérielle des sièges suffit pour garantir cette double pérennité : l’élection d’un Pape légitime et le retour de l’Episcopat en acte demeurent possibles. Précisions également que si pour la succession ininterrompue des Papes il suffit d’une continuité morale (c’est-à-dire que les périodes de vacance de siège sont admises et possibles) alors, a fortiori, pour la succession des Evêques une continuité morale suffit : la chose étant admise pour le Chef, on peut l’admettre du Corps Episcopal. Donc puisqu’une vacance (formelle) du Saint-Siège ne s’oppose pas à la perpétuité de la papauté, la vacance formelle des sièges épiscopaux ne s’oppose pas à la perpétuité de l’Episcopat.

[3] L’abbé Cekada a produit une démonstration définitive sur ce point : ce que les conservateurs considèrent comme un abus dans la liturgie, le fait que le centre de la célébration doive être la vie communautaire au lieu d’être Dieu, est véritablement l’enseignement de Paul VI, pas une « mauvaise interprétation de la réforme liturgique ».

Le sédévacantisme est-il un jugement téméraire ?

Réponse à une objection trop répandue


L’accusation de jugement téméraire à l’égard des sédévacantistes repose sur une mauvaise évaluation de la témérité du jugement. Si certains jugements sont téméraires, c’est bien que d’autres sont prudents et ordonnés : pour vivre et agir, il est nécessaire d’émettre continuellement des jugements sur les choses et les personnes qui nous entourent, ces jugements ne sont téméraires que s’ils ne reposent sur aucune raison sérieuse et suffisante pour établir la conviction. On entend par exemple certaines personnes (au sein de la FSSPX surtout) dire que le sédévacantisme est une possibilité, mais qu’il est téméraire de l’affirmer comme une certitude, et que la seule attitude prudente et raisonnable est d’attendre qu’un autre pape se prononce pour savoir si le siège était vacant entre Paul VI et François. Ce qui est déjà admettre qu’il y a un grave problème avec ces « papes douteux » … en réalité, nous n’avons pas besoin d’une nouvelle sentence du magistère pour être certains qu’il est impossible qu’un pape enseigne des erreurs doctrinales dans l’exercice de son ministère. On peut dire en quelques sortes que Pie IX, en définissant le dogme de l’infaillibilité pontificale, a déjà tranché sur le fait que Paul VI et ses successeurs ne pouvaient pas être papes.

D’autres personnes, moins dubitatives à l’égard des pontifes de Vatican II, estiment que le vice du sédévacantisme est plus profond : il consisterait à se mettre « au dessus des papes », à donner à son jugement privé une valeur plus importante qu’au magistère de l’Eglise, comme les protestants. En vérité, le point de départ du jugement sur la vacance du Saint-Siège est le magistère de l’Eglise, complété par un usage normal de la raison : si Paul VI enseigne de manière explicite et évidente l’inverse de ce qu’enseigne Pie IX, conclure qu’il n’y a pas de contradiction n’est pas la preuve d’une grande foi et d’une grande confiance en l’Eglise, mais plutôt la preuve d’une grande déficience dans l’usage de la raison. Cette position, poussée jusque dans ses dernières conclusions, est assimilable au fidéisme : elle consisterait à dire qu’il est impossible de juger droitement de quoi que ce soit sans un enseignement révélé. Le magistère même de l’Eglise enseigne qu’il est possible d’atteindre un certain nombre de vérités religieuses sans le secours de la Révélation, et que ces vérités doivent être connues préalablement à l’acte de foi. C’est le principe de non-contradiction qui fait conclure à la vacance du Saint-Siège, pas une quelconque prétention à la supériorité du jugement privé sur l’autorité de l’Eglise. Nous souhaitons ici expliquer en quoi le jugement concernant la vacance du Saint-Siège découle simplement de l’application des principes de la foi catholique et de l’usage ordinaire de la raison, qu’il n’est pas attentatoire au magistère ou à l’autorité de l’Eglise, et qu’il n’est pas non plus attentatoire à la vertu de charité, comme le serait un jugement téméraire sur les intentions secrètes d’une personne. En espérant convaincre nos lecteurs.


Un jugement est un acte par lequel l’esprit affirme une chose d’une autre. Il comporte donc trois éléments : un sujet, qui est l’être dont on affirme ou nie quelque chose ; un prédicat (ou attribut), qui est la chose que l’on affirme ou nie du sujet ; une affirmation ou une négation qui lie ou délie le prédicat et le sujet. Il s’exprime verbalement sous la forme d’une proposition. Par exemple : « Le monde existe (logiquement : le monde (sujet) est (affirmation) existant (prédicat) » ; « L’homme est raisonnable » ; « l’âme est immortelle » ; « Dieu est existant ».

Sauf pour les évidences immédiates (« le monde est existant » ; « tout effet est causé » ; « tout être est ce qu’il est » etc.), qui sont à proprement parler indémontrables [1], le jugement est le fruit d’un raisonnement, si rudimentaire soit-il. On peut définir celui-ci comme l’opération qui consiste à tirer de deux ou plusieurs jugements, un autre jugement contenu logiquement dans les premiers. C’est un passage du connu vers l’inconnu. Il s’exprime verbalement sous la forme d’un argument. Par exemple : « L’homme est mortel (jugement 1). Or Pierre est un homme (jugement 2). Donc Pierre est mortel (jugement conclusif contenu logiquement dans les premiers) » ; « Travailler me permet de nourrir ma famille. Pour travailler, je dois me réveiller et me lever. Donc pour nourrir ma famille, je dois me réveiller et me lever ». Ainsi pour toutes nos actions quotidiennes, sans pour autant les formaliser ainsi.

Les jugements, s’ils sont fondés, sont légitimes et nécessaires. Sans eux, on ne peut tout simplement pas vivre. Tout homme faisant correctement usage de son intelligence pourra affirmer avec certitude de nombreuses choses. Dans la mesure où son raisonnement est correct, c’est-à-dire qu’il met en œuvre des données certaines, son jugement sera lui aussi correct et vrai. L’Eglise nous enseigne par exemple que tout homme peut affirmer avec certitude que Dieu existe :

« La sainte Église tient et enseigne que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par les lumières naturelles de la raison humaine, au moyen des choses créées (Rom. 1, 20) ;  « car les choses invisibles de Dieu sont aperçues au moyen de la création du monde et comprises à l’aide des choses créées. »

Constitution Dei Filius , Concile Vatican I

Le canon correspondant du Concile :

« Si quelqu’un dit que Dieu unique et véritable, notre Créateur et Maître, ne peut pas être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine, au moyen des choses qui ont été créées ; qu’il soit anathème » 

L’Eglise défend ici la légitimité d’un jugement fondé sur des vérités naturelles. En l’occurrence : l’existence du monde, son harmonie et le principe de causalité. Ces choses étant certaines, la conclusion l’est aussi.

Si un raisonnement correct met en œuvre une vérité de foi fondée sur l’autorité de Dieu et une vérité naturelle évidente, la conclusion exprimera un jugement doté d’une certitude absolue, propre à entraîner l’assentiment plein et entier de l’intelligence. Une telle conclusion est dite théologique. Par exemple : « Jésus est un homme (vérité de foi). Or les hommes ont une âme (vérité naturelle). Donc Jésus a une âme (conclusion théologique) ». 

Le constat actuel de la vacance du Siège apostolique n’a pas plus de prétention. Il se sert, dans sa démonstration, de données de foi, de faits d’observation immédiate et du principe de non-contradiction. La foi nous assure de l’infaillibilité du magistère ordinaire et universel [2]. Elle nous assure qu’il est impossible qu’un Pape promulgue avec les évêques représentant l’Eglise universelle un texte contredisant un point de doctrine déjà fixé [3]. Or, une telle promulgation s’est produite lors du concile Vatican II : la déclaration Dignitatis Humanae du 7 décembre 1965 contredit explicitement l’enseignement de Pie IX (entre autres) sur la liberté religieuse dans Quanta Cura (lettre encyclique du 8 décembre 1864). Donc les occupants du Siège apostolique qui ont « promulgué » et maintiennent en union avec tous les évêques une telle doctrine ne peuvent pas être Papes.

Affirmations condamnées par Quanta Cura, 8 décembre 1864 [«  contre la doctrine de la Sainte Écriture, de l’Église et des saints Pères »] Affirmations de Dignitatis Humanae, 7 décembre 1965 [«  le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même »]

a) la meilleure condition de la société est celle où on ne reconnaît pas au pouvoir le devoir de réprimer par des peines légales les violations de la loi catholique, si ce n’est dans la mesure où la tranquillité publique le demande

a’) de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres

b) La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme

b’) Ce Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse

c) Ce droit doit être proclamé et garanti par la loi dans toute société bien organisée

c’) Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil

Ce qu’affirme Vatican II [4] en (a’), (b’), (c’) est condamné par Quanta Cura [5]en (a), (b), (c). Les deux textes se prononcent sur le même sujet : le droit d’exercice public des religions et des cultes, même non catholiques. Les deux textes en appellent à la Révélation et s’expriment, quoi que dans une époque particulière et en raison même de cette époque, d’une façon absolue, comme énonçant un principe de droit naturel.

Or, c’est dans un même et unique acte de foi que nous adhérons à la parole de Dieu exposée par l’Eglise et à l’Autorité infaillible qui la présente. Cette unité de la foi liant nécessairement l’Autorité et la vérité est inéluctable [6]. Pareillement, le rejet de la doctrine de Paul VI que la foi nous impose nous fait rejeter son autorité dans un même acte. Cette conclusion sur l’absence actuelle d’Autorité dans l’Eglise, au demeurant triste à poser et troublante pour tous les fidèles, s’impose dans la lumière de la foi, avec une certitude de l’ordre de la foi. Parce que la foi catholique est une, parce qu’elle n’abolit pas la raison et que le principe de non-contradiction est inhérent à son exercice, il est métaphysiquement impossible d’adhérer religieusement à l’enseignement et par conséquent à l’autorité de ces faux pasteurs. Tout fidèle prudent qui vit effectivement de la foi peut et doit conclure à l’absence d’Autorité. L’exercice de la foi catholique rend impossible l’assentiment à l’enseignement de Vatican II.

Un jugement est téméraire et illégitime s’il est prononcé précipitamment, sans intention droite et que les fondements sur lesquels il repose sont incertains ou faux. Par exemple : prêter une mauvaise intention à quelqu’un sans raison. Dans une matière si grave que la foi et avec des certitudes d’un degré tel que nous venons de l’exposer, le jugement s’impose absolument et constitue un devoir. Il ne s’agit pas d’un jugement a priori qui serait consécutif à un caprice de notre part, il s’agit de l’impossibilité métaphysique d’adhérer à une règle de foi qui contredit objectivement l’enseignement de l’Eglise. La meilleure volonté du monde ne pourrait pas changer la nature des choses, une chose ne peut pas, en même temps et sous le même rapport, être vraie et fausse. Nous pensons que cela suffit pour fonder la légitimité d’un tel jugement. Les catholiques ne peuvent donc pas, par jugement privé, ne pas accuser ceux qui « promulguent » ces enseignements, comme les fidèles de Constantinople rompirent la communion avec leur évêque Nestorius entre 428 et 431 (date de sa condamnation), car celui-ci enseignait une doctrine ouvertement contraire à la foi catholique.

L’imprudence se situerait au contraire dans la négation de ce jugement absolument certain. En effet, en rejetant cette conclusion, on est objectivement poussé à relativiser ou à nier des vérités de foi : soit en acceptant l’enseignement de Vatican II et ses suites, qui s’oppose en de nombreux points au Magistère de l’Eglise ; soit en refusant cet enseignement, attribuant ainsi l’erreur au Pape et à l’Eglise, niant de fait la sainteté et l’infaillibilité de celle-ci.

Les catholiques qui font le constat de la vacance du Siège apostolique ne se substituent nullement à l’Eglise et à son autorité. Ce jugement n’est qu’un constat indubitable, il n’a pas force de loi et n’a pas de portée juridique objective pour l’Eglise. La privation d’autorité qui affecte actuellement l’Eglise rend précisément compliquée une telle sentence authentique. En revanche, de ce jugement certain découle le devoir de ne rien dire ni rien faire qui reviendrait pratiquement à reconnaître l’Autorité à l’actuel occupant du Siège ainsi que celui de proclamer, selon les règles de la prudence et conformément aux moyens dont chacun dispose, la vacance actuelle du Siège apostolique : « Nous ne pouvons pas ne pas parler » (Act. IV, 20).

Mathis C.


[1] Une démonstration s’appuie sur des préalables. Or, les évidences sont les préalables à tout jugement, ils sont premiers et s’éclairent par eux-mêmes, d’où leur nom.

[2] Abbe Bernard Lucien, L’infaillibilité du Magistère ordinaire et universel de l’Église, Documents de Catholicité, Bruxelles 1984

[3] « Jésus-Christ a institué dans l’Eglise un magistère vivant, authentique et, de plus, perpétuel, qu’Il a investi de sa propre autorité, revêtu de l’esprit de vérité, confirmé par des miracles, et Il a voulu et très sévèrement ordonné que les enseignements doctrinaux de ce magistère fussent reçus comme les siens propres. >Toutes les fois donc que la parole de ce magistère déclare que telle ou telle vérité fait partie de l’ensemble de la doctrine divinement révélée, chacun doit croire avec certitude que cela est vrai ; car si cela pouvait en quelque manière être faux, il s’ensuivrait, ce qui est évidemment absurde, que Dieu lui-même serait l’auteur de l’erreur des hommes… Les Pères du Concile du Vatican n’ont donc rien édicté de nouveau, mais ils n’ont fait que se conformer à l’institution divine, à l’antique et constante doctrine de l’Eglise et à la nature même de la foi, quand ils ont formulé ce décret : « Est à croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la parole de Dieu ou écrite ou transmise, et que l’Eglise, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel, propose à croire comme divinement révélé » (issu de dei filius, Concile Vatican I, 1870) » Léon XIII, Satis Cognitum . Sur l’infaillibilité : https://www.sodalitium.eu/linfaillibilite-de-leglise/

[4] https://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651207_dignitatis-humanae_fr.html

[5] https://laportelatine.org/documents/magistere/pie-ix/encyclique-quanta-cura-1864

[6] « Il serait impossible de poser un acte de Foi quel qu’il soit, si on ne croyait, dans le même acte, au Magistère qui présente infailliblement les articles de la Foi comme étant divinement révélés; et si on n’était disposé à croire de la même Foi l’un quelconque de ces articles. Il serait possible, dans une église charismatique, de viser à conserver la foi, tout en dissolvant dans une indécise obscurité la question du rapport que l’on soutient avec 1’« autorité » : dans une telle église, 1’« Esprit » est censé suppléer… à tout, et en particulier à l’unité. Mais une telle conception est absolument incompatible avec la nature de la Foi telle que celle-ci est définie, et vécue, dans l’Eglise catholique romaine qui est le Corps mystique du Christ, c’est-à-dire de Celui qui est la Vérité. Il est impossible, sous peine d’introduire une contradiction dans l’ordre théologal, de suivre la monition de S. Pierre, en «rendant compte de l’espérance qui est en nous », si, en même temps, nous ne rendons pas compte du rapport que nous soutenons avec 1’« autorité » qui occupe le Siège de Pierre. Il est impossible de poser un acte de Foi en la divinité de Jésus-Christ, sans être, en cet acte même, disposé à faire un acte de la même Foi en la doctrine sur la liberté religieuse telle que l’Eglise l’a définie. Et il est impossible de faire un acte de Foi en la doctrine sur la liberté religieuse telle que l’Eglise l’a définie, sans préciser en quelle situation on entend être par rapport à l’ « autorité » qui a infirmé cette doctrine. En d’autres termes, il est impossible, au sein de l’Eglise catholique romaine qui est le Corps mystique du Christ, de soutenir la Foi et d’administrer les sacrements en s’opposant à 1’« autorité « , sans préciser quelle est la nature du rapport que l’on entend soutenir avec la dite  « autorité », qui devrait être l’Autorité. » R.P M.L Guérard des Lauriers o.p, Cahiers de Cassiciacum n°1, « Le siège apostolique est-il vacant ? », Association saint-Herménégilde, mai 1979, pp.25-26, note 13.

Principes de discernement sur les visions et révélations privées

S’il est arrivé souvent dans l’histoire de l’Église que Notre-Seigneur, Notre-Dame, des anges ou des saints visitent la terre pour apporter aux hommes un message exhortant à la piété et à la conversion, ou pour donner à quelqu’un une mission particulière pour le bien des âmes, le nombre de fausses apparitions ou de fausses visions à ce sujet est certainement plus grand que celui des vraies apparitions. Le nombre de vraies apparitions et révélations qui ont été après coup déformées, embellies ou revisitées par les hommes est aussi grand.

Une apparition ou une vision supposément surnaturelle peut être fausse de deux manières différentes : ou bien parce qu’elle vient de l’homme, ou bien parce qu’elle vient du démon.

Si elle vient de l’homme : elle est le fruit d’un pur mensonge de la part d’un prétendu visionnaire, ou bien de son imagination malade, de ses fantasmes, de quelque trouble psychologique d’ordre naturel. Tous les grands mystiques et même des saints visionnaires connaissaient cette propension de l’homme à prendre pour des visions surnaturelles des choses qui n’appartiennent qu’à leur propre imagination : il n’est pas rare justement pour ces saints visionnaires de se méfier des visions qu’ils reçoivent en se demandant dans un premier temps si elles ne sont pas le fruit d’hallucinations, et en en parlant à leur directeur spirituel.

Si elle vient du démon :  elle est le fruit de ses prodiges, auquel cas il est toujours possible pour les âmes de bonne volonté et de bon sens de trouver des indices permettant de détecter la présence du démon derrière certains phénomènes extraordinaires. Une anecdote célèbre de la vie de saint Pierre Martyr, inquisiteur dominicain au XIIIe siècle, relate un épisode dans lequel il déjoue une fausse apparition de la sainte Vierge auquel le peuple avait commencé à croire (cf. le tableau en illustration : Saint Pierre Martyr exorcisant un démon ayant pris les traits d’une Vierge à l’Enfant, Antonio Vivarini , 1450). Plus proche de nous, au XIXe siècle dans la suite des apparitions de Lourdes, les fausses apparitions de Ségus (petit village proche de Lourdes) ont été déjouées par le moyen d’une aspersion d’eau bénite. Dans le cas des apparitions de Ségus, une multiplication de faits bizarres et inhabituels entourant ces phénomènes (par exemple, les enfants visionnaires se mettaient à donner des ordres aux adultes pour leur dire comment il convenait de plaire à la sainte Vierge, en leur disant de faire des gestes et des actions qui n’avaient apparemment aucun sens) ont alarmé la vigilance des autorités ecclésiastiques locales, qui ont eu suffisamment de discernement pour suspecter la singerie du démon.

L’attitude des fidèles vis à vis des visions et révélations privées devrait être guidée par les principes qui suivent, principes qui appartiennent à la pratique multiséculaire de l’Église, et aux règles de la prudence et du discernement des esprits :

  • Premièrement, une vision, apparition ou révélation privée ne requiert jamais de la part du fidèle l’assentiment de la foi. Il est hors de propos d’accuser quelqu’un d’impiété ou d’hérésie s’il ne croit pas à la réalité d’une révélation que Dieu aurait faite à un visionnaire. C’est l’enseignement magistériel de l’Église qui requiert l’assentiment de la foi : même les visions les plus connues et les plus communément admises comme authentiques dans l’Église, comme celles de sainte Brigitte ou de sainte Marguerite-Marie Alacocque, n’appartiennent pas au dépôt de la Révélation proprement dite. Il est pieux d’y croire et il y a certainement un mauvais esprit à en douter, si ces visions sont en quelque manière approuvées par l’autorité ecclésiastique (qui se prononce rarement pour dire si les visions sont vraies ou non, mais plutôt pour dire que les dévotions ou les messages qui sont issus de la vision sont vraiment pieux, conformes à l’esprit de Dieu et de son Église). Mais ces révélations privées ne sont pas «de foi», seul le magistère de l’Église nous apprends avec certitude la vérité sur Dieu et sur les moyens du salut.
  • Deuxièmement, en l’absence d’une approbation ecclésiastique des publications faisant état de visions et de révélations privées, la plus grande circonspection est de mise pour les fidèles. Il serait sans doute plus agréable à Dieu de se retenir de croire à des visions ou révélations privées par défaut, tant qu’elles n’ont pas été approuvée par quelque autorité compétente, qu’à l’inverse de croire avec un enthousiasme naïf à tout ce qui a l’apparence de la piété et du surnaturel. Car on peut être trompé facilement dans cet enthousiasme, comme l’a été le peuple de Ségus ou le peuple du village visité par saint Pierre Martyr. Comme le sont aujourd’hui énormément de chrétiens à propos des apparitions bizarres et plus que douteuses de Međugorje. Derrière cette propension à se saisir immédiatement de tout ce qui semble être une apparition céleste, il peut se cacher une tendance au sensationnalisme et un goût immodéré pour l’extraordinaire, qui sont identifiés par les auteurs spirituels comme de possibles signes d’une influence du démon dans l’âme : l’esprit de Dieu fait incliner vers les biens invisibles et insensibles de la grâce, fait affectionner les choses simples et ordinaires en matière de piété et de sanctification. «On doit chercher le Dieu des consolations, pas les consolations de Dieu» dit l’adage. Si l’on est ennuyé par les exercices ordinaires de la piété, par l’étude du catéchisme et des ouvrages classiques de spiritualité, mais fasciné par les apparitions et les révélations, c’est certainement un signe de mauvaise santé spirituelle et une tendance à corriger pour le bien de notre âme.
  • Troisièmement, si le prétendu visionnaire fait preuve de certains comportements irréguliers et incompatibles avec la vraie piété chrétienne, c’est un signe très disqualifiant en défaveur de l’authenticité de ses révélations. Bien que le fait de recevoir des apparitions, des visions et des révélations privées ne constitue pas en soi un signe de sainteté, dans le cours ordinaire des choses Dieu ne donne ces messages particuliers qu’à des personnes saintes ou à des enfants innocents, pour donner de la crédibilité et de l’effet à son message. Si le prétendu visionnaire (très souvent : la prétendue visionnaire) témoigne, sous des apparences extérieures plus ou moins spectaculaires de piété, d’un esprit obstiné et rebelle, c’est qu’il n’a qu’un simulacre de sainteté et qu’il est fort probable qu’il trompe ses auditeurs en quelque manière. S’il fait preuve de comportements autoritaires et manipulateurs, en s’entourant d’une cour d’admirateurs et en accusant les autres de ne pas suffisamment croire à ses révélations par exemple, c’est encore pire. Or ces comportements sont très fréquents parmi les supposées visionnaires de ces derniers temps, et parmi ceux qui relaient avec le plus d’ardeur leurs supposées visions. Ces signes d’orgueil sont si contraires à l’esprit de Dieu qu’il est en pratique impossible que Dieu se serve de ces personnes superbes pour élever les fidèles à une plus grande piété.
  • Quatrièmement, si les prétendues visions et révélations contiennent des faits extravagants, excessivement spectaculaires et contraires aux mœurs ordinaires, c’est encore un signe disqualifiant. Les voies de Dieu sont des voies d’humilité et de simplicité. Même dans les véritables miracles et les signes surnaturels extraordinaires, il se trouve comme un parfum de simplicité qu’on ne retrouve jamais dans ce qui est le fruit de l’imagination ou de l’invention de l’homme. En lisant l’évangile, on peut être frappé par le fait suivant : rien de ce qui est relaté n’est exagéré, rien n’est grossi ou mis en scène, le récit est simple et direct, les miracles physiques de Notre-Seigneur n’incluent pas de signes «prodigieux» ou «fantaisistes» comme les récits populaires de miracles qui existent en terre chrétienne, islamique, hindouiste ou autre, où il est facile de déceler le merveilleux (par exemple, un des seuls «miracles» dont Mahomet est crédité par la tradition orale islamique est d’avoir pris la Lune dans le ciel puis de l’avoir mise dans sa manche … c’est pour le moins grotesque et inutile). Plusieurs fois d’ailleurs le Christ loue la foi de ceux qui n’attendent pas de signe visible et extraordinaire, mais savent que par un simple mouvement de sa volonté, il a le pouvoir de guérir : notamment le centurion romain, qui ne demande pas au Christ de venir chez lui guérir son serviteur, mais simplement de dire un mot pour sa guérison (Matthieu VIII, 5-13). Si donc un récit d’apparition supposément surnaturelle contient des éléments qui semblent oiseux, grotesques, merveilleux et bizarres, c’est une très bonne raison de douter de son caractère surnaturel. C’est parfois à ces signes de bizarreries que l’on peut détecter l’ingénierie du démon derrière des manifestations apparemment célestes : dans les prodiges démoniaques, il y a toujours quelque chose d’étrange et de ridicule, de telle sorte que les chrétiens sincères et avertis puissent se rendre compte qu’il y a une tromperie. Pour autant, il peut arriver que de vraies apparitions contiennent des faits surprenants et inhabituels, par rapport aux récits déjà connus de miracles et d’apparitions : il faut un vrai travail de discernement pour tirer au clair le caractère surnaturel d’une apparition ; dans ce travail de discernement l’étude des fruits de l’apparition est décisif, et en définitive le moyen le plus fiable d’avoir une vraie sécurité d’interprétation est de recourir aux jugements d’une autorité ecclésiastique, au moins à l’échelle d’un diocèse. Si après examen l’autorité ecclésiastique interdit la diffusion et la publication d’écrits faisant état d’une supposée révélation privée, c’est évidemment une raison très sérieuse de ne pas la tenir pour authentique.
  • Cinquièmement, si les prétendues révélations font état de choses qui flattent la curiosité plutôt qu’elles ne nourrissent la piété, c’est un fort indice en faveur d’une origine purement humaine. Énormément de supposées révélations privées, dont certains sont extrêmement friands dans les milieux traditionalistes, semblent n’être que de oiseuses et prétentieuses prédictions de l’avenir. Que sert à l’homme de savoir quels seront dans le détail les grands événements du temps futur ? En quoi cette connaissance permet d’être plus saint, plus humble, plus charitable et plus orienté vers Dieu ? Cette pseudo-connaissance a plutôt pour effet de flatter la curiosité et peut-être d’enfler l’orgueil en donnant la sensation que l’on a accédé à un savoir caché, et d’être ainsi «mieux préparé» que ceux qui ne veulent pas donner leur assentiment à ces révélations. Mais préparé à quoi exactement ? L’évangile nous apprend qu’un souci excessif de l’avenir et de ses incertitudes n’est pas conforme à l’esprit de Dieu : «N’ayez donc point le souci du lendemain, car le lendemain aura souci de lui-même : à chaque jour suffit sa peine» (Matthieu VI, 34). Pourquoi Dieu prendrait le temps de révéler les détails de l’avenir à des voyantes s’il nous dit par ailleurs, dans les saintes Écritures, qu’il n’y a pas à se préoccuper des détails de l’avenir, surtout s’ils concernent le monde dans son ensemble (et des choses sur lesquelles nous n’avons aucune emprise) plutôt que notre vie et notre devoir d’état en particulier ? Pour notre humilité, Dieu fait que l’avenir nous est en grande partie inconnu et obscur, y compris pour ce qui concerne les événements terribles qui doivent arriver à la fin des temps, sur lesquels l’Église n’enseigne que peu de choses et dans un langage peu explicite : de tout temps, l’Église a laissé les fidèles débattre librement sur l’interprétation du livre de l’Apocalypse et les événements entourant la fin des temps, ne définissant que trois signes devant certainement précéder cette fin des temps (la prédication universelle de l’évangile, la grande apostasie et la venue de l’Antéchrist). Il faut veiller pour nous à ce que cette curiosité concernant les derniers temps ne se transforme pas dans une sorte d’obsession malsaine et dévorante, qui pousse à chercher des «signes» partout d’une manière quasiment superstitieuse, car cela ne change strictement rien du point de vue de notre devoir d’état et de notre sanctification que la fin du monde soit demain, dans 10 ans ou dans 150 ans. La piété commande de se préparer personnellement à la mort, chaque jour de notre vie, plutôt que de nous «préparer à la fin des temps» en divaguant en imagination dans ces eaux incertaines. Ces supposées révélations sur la fin des temps ou sur l’avenir plus ou moins proche de la France et du monde ne sont d’aucun intérêt et d’aucune aide du point de vue de notre sanctification. Il faut de plus garder à l’esprit que l’histoire de l’Église et du monde est traversée, à chaque époque, de ces fausses visions et fausses révélations promettant un avenir politique glorieux à quelque prince ou à quelque nation, ou annonçant quelque malheur terrible. La fausse doctrine du millénarisme a inondé le monde de fausses révélations sur l’avenir. Par exemple, au XVe siècle en Aragon, beaucoup de «révélations privées» et de «prophéties» prétendaient que  le roi de l’époque était destiné à devenir le grand monarque universel devant inaugurer le «règne millénaire du Christ». Hélas pour les hommes de ce temps, le royaume d’Aragon n’est plus qu’un lointain souvenir aujourd’hui … Au Portugal, un équivalent est le «sébastianisme», sorte de mouvement culturel et spirituel nourri par de supposés miracles et de supposées prophéties, basé sur la croyance en la survie et au retour du roi Sébastien Ier, disparu durant la «bataille des Trois Rois» au Maroc en 1578. Il fait écho à de vieux mythes ibériques antérieurs sur le «roi caché» ou le «roi disparu» qui attend le bon moment pour revenir. Il se trouvait encore au XVIIIe siècle des auteurs ecclésiastiques qui croyaient à ces prophéties et les diffusaient. Il s’agit cette fois de dire que le grand règne chrétien universel sera dirigé par le Portugal. Qui ne voit que dans ces pseudo-prophéties, qu’elles soient relatives à l’Aragon, au Portugal ou à la France, ne sont que l’expression des des rêves de grandeur restaurée de ces nations, et flattent l’orgueil national et la curiosité beaucoup plus que la piété ? Chacun aura l’orgueil de prétendre être le nouvel Israël, comme si depuis la Nouvelle Loi Dieu avait prévu de s’appuyer sur une nation particulière, au détriment de toutes les autres, pour faire avancer son œuvre. Rien dans la Révélation ne permet d’avancer de telles théories., et l’histoire de l’Église nous montre que Dieu se sert parfois particulièrement de certains nations pour ses desseins (la France et le Portugal, grandes nations chrétiennes, sont certainement en bonne place sous ce rapport), mais pas d’une seule au détriment des autres comme le veulent ces supposées prophéties. Pourquoi même chercher à savoir si ces prophéties sont vraies ou fausses, vu l’impact inexistant qu’elles auront sur notre conduite quotidienne en présence de Dieu ? Enfin pour finir nous mentionnerons au titre des pseudo-révélations les soi-disant prophéties en vogue dans les milieux catholiques des années 1980 à propos d’une invasion violente et imminente de la France par l’URSS. En creusant un peu, on pourrait trouver à chaque époque des dizaines d’ouvrages remplis de ces pseudo-prophéties oiseuses, qui donnent l’air d’être des certitudes issues de la lumière divine et qui ne se réalisent jamais. Sans doute parce qu’elles proviennent de l’imagination et de l’orgueil des hommes, et pas de la sagesse de Dieu. A nous de savoir nous garder de ces distractions, pour privilégier le combat spirituel et la sanctification à toute autre préoccupation.
  • Sixièmement, si les prétendues visions et révélations contiennent des errances doctrinales, nient ou minimisent des dogmes de foi et proposent comme venant de Dieu des doctrines qui n’ont jamais été admises dans l’Église, alerte rouge ! L’apôtre saint Paul disait aux Galates : «Si jamais quelqu’un, fut-ce nous-même, fut-ce un ange venu du ciel, vous prêchait un évangile autre que celui que nous avons prêché, qu’il soit anathème ! Nous l’avons déjà dit, je le redis à cette heure : si quelqu’un vous prêche un évangile autre que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème !» (Gal. I, 8-9). Ce serait la dernière des folies de donner du crédit à une fausse doctrine sous le prétexte qu’elle émane d’une apparition qui semble vraie et d’une personne qui semble pieuse. Si les signes précédemment mentionnés permettent de douter de la véracité d’une révélation privée, ici l’errance doctrinale donne la certitude que la révélation est fausse, quelles que soient les apparences de piété qui l’entourent par ailleurs. Or ces fausses visions et fausses révélations invoquées à l’appui de fausses doctrines sont nombreuses, n’en soyons pas dupes.
  • Septièmement, et en lien avec le point précédent : il n’est jamais possible d’invoquer des révélations privées comme argument dans un débat théologique. La théologie est la science qui permet d’expliciter, d’approfondir et de connecter entre elles les vérités révélées, à l’aide de la raison. Elle est un «discours raisonnable» sur Dieu et ce qui est relatif à Dieu. Cette science a ses règles, ses méthodes, ses maîtres et ses autorités (saint Thomas d’Aquin, saint Robert Bellarmin, saint Alphonse de Liguori font partie des autorités les plus respectées et les plus recommandées par l’Église). Elle ne repose pas principalement sur l’autorité des auteurs du passé (l’argument d’autorité – humaine – dans la réflexion est le plus faible de tous d’après saint Thomas d’Aquin, qui évoque ce principe à propos d’Aristote en philosophie), mais sur les principes de la raison première et de la réalité, utilisés pour mieux comprendre la Révélation (l’argument d’autorité divine étant la base de toute théologie) ; ce qui fait le crédit et la qualité d’un théologien est généralement sa capacité à remonter aux principes pour élucider certaines questions obscures ou débattues à propos des vérités révélées. Jamais on n’a vu un théologien digne de ce nom, dont le travail a été approuvé en quelque manière par l’Église, citer à l’appui de ses thèses et de ses démonstrations des apparitions ou des révélations privées : quand bien même certaines véritables apparitions donnent du crédit à des thèses théologiques et peuvent motiver l’Église à définir des dogmes (par exemple, les apparitions de la médaille miraculeuse ont motivé la définition du dogme de l’Immaculée Conception, vérité déjà crue depuis longtemps dans l’Église par ailleurs), elles ne constituent pas en soi des arguments pour prouver la vérité d’une position dans le cadre d’une démonstration théologique, car elles n’appartiennent pas au dépôt de la foi et ne demandent pas un assentiment absolu de la part des catholiques. Il est courant pour des auteurs de spiritualité de parler de visions et de révélations privées pour illustrer certains principes et inciter à la piété ; une telle chose en revanche est inconnue dans le cadre de la théologie. Ce stratagème (d’invoquer une révélation privée en théologie) est en fait souvent employé par des ennemis de la vérité, pour donner du crédit à des doctrines par ailleurs absurdes en faisant croire qu’elles viennent directement du Ciel : les modernistes s’en sont abondamment servis et s’en servent encore aujourd’hui, notamment pour accréditer leurs thèses eschatologiques. Par exemple l’idée suivant laquelle les enfants morts sans Baptême sont au Paradis, l’idée suivant laquelle personne ne se damne, l’idée suivant laquelle chaque personne a une apparition personnelle du Christ pour pardonner les péchés et appeler à la conversion au moment de mourir (ce qui appuie beaucoup l’idée suivant laquelle un nombre infime ou nul de personnes se damnent). Un cas d’école en cette matière est le théologien Hans Urs von Balthasar (1905-1988), considéré comme «l’un des plus grands théologiens du XXe siècle» par les conciliaires, promu à la «commission théologique internationale» par Paul VI en 1969, puis nommé «cardinal» par Jean-Paul II en 1988, théologien préféré de Benoît XVI avec Henri de Lubac [1]. Il est connu surtout pour sa fameuse théorie suivant laquelle l’enfer existe réellement (c’est après tout un dogme de foi) mais est en fait vide : la damnation est théoriquement possible, mais la miséricorde de Dieu prévient en pratique la damnation de quiconque. Ses principaux arguments résident dans les prétendues visions d’Adrienne von Speyr (1902-1967), avec laquelle il entretenait une relation pour le moins bizarre et malsaine, dont nous souhaitons parler prochainement dans un article dédié. En réalité, l’essentiel du travail de von Balthasar, «génial théologien du XXe siècle», est un commentaire des prétendues visions de von Speyr, dont il est l’unique dépositaire et interprète …

Savoir reconnaître, déjouer et contredire les fausses communications surnaturelles, ou les révélations privées douteuses, est une science très utile aujourd’hui, en cette époque où beaucoup, ayant la démangeaison d’entendre des choses qui les flattent, se donnent une foule de docteurs selon leurs désirs, détournent l’oreille de la vérité et se tournent vers des fables (2 Timothée IV, 3). En suivant les principes précédemment exposés, tout chrétien saura aborder paisiblement et sans excès de passion le problème des visions, apparitions et révélations privées, à la lumière de la foi et de la raison.

Jean-Tristan B.


[1] Joseph Ratzinger, avant et après son élection au souverain pontificat, n’a de cesse de louer Hans Urs von Balthasar, sans l’ombre d’une critique. Il publie par exemple en 2005, dans l’exercice de son « pontificat », un document à la louange de son ami et de sa théologie : https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/messages/pont-messages/2005/documents/hf_ben-xvi_mes_20051006_von-balthasar.html


Pour continuer sur le même sujet, nous recommandons plusieurs articles en langue anglaise sur le blog « introibo ad altare Dei »:

http://introiboadaltaredei2.blogspot.com/2019/07/when-apparitions-become-dogma.html

http://introiboadaltaredei2.blogspot.com/2016/10/you-shouldnt-always-believe-what-you-see.html

http://introiboadaltaredei2.blogspot.com/2013/04/when-supernatural-becomes-superstitious.html

Peut-on rejeter Vatican II car il s’agit d’un concile pastoral ?

Réponse à une objection au sédévacantisme

*Nota bene : Nous nous plaçons dans cet article sur le plan du droit et non du fait. Dans les faits, le concile n’est pas infaillible puisque son enseignement n’a pas été promulgué par un Pape authentique (Paul VI en l’occurrence). Nous parlons donc de ce qui, en droit, c’est-à-dire eu égard aux principes qui régissent l’Eglise et à la nature des actes posés, aurait dû être infaillible.

L’idée selon laquelle Vatican II n’est qu’un « concile pastoral » et que l’on peut donc rejeter ses enseignements en sûreté de conscience, s’attaque au fondement même de la position « sédévacantiste ». En effet, si les passages problématiques du concile et les réformes qui suivirent n’engageaient pas en droit l’infaillibilité, les erreurs qui y sont contenues ne remettraient pas en cause l’autorité de celui qui les a promulgués. Ainsi, Paul VI et ses successeurs, qui ont dispensé ces faux enseignements et mis en œuvre ces lois mauvaises auraient conservé l’autorité pontificale et seraient demeurés vicaires de Jésus-Christ.

Pour répondre, il faut donc considérer deux choses :

  • La divinité de l’Eglise et son magistère en général
  • La qualification du concile en particulier

Enfin, une courte conclusion répondra à l’objection formulée contre la position sédévacantiste.


La divinité de l’Eglise et son magistère

Jésus-Christ a fondé l’Eglise catholique pour continuer son œuvre salvatrice [1] et lui a pour cela transmis son pouvoir  d’enseigner, de gouverner et de sanctifier les âmes. L’Eglise est divine et a une vocation surnaturelle : guider surement les âmes à Dieu en leur donnant les moyens du salut. Pour accomplir cette mission, Dieu l’assiste continuellement en demeurant avec elle.

« Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit, et leur enseignant à observer tout ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles »

Matth. XXVIII, 19-20

Pour aimer Dieu et nous sauver en l’atteignant comme notre fin, il faut d’abord le connaître dans son intimité puisqu’on ne peut atteindre ce qu’on ne connaît pas. Cette connaissance intime de Dieu nous dépasse et nous ne pouvons l’atteindre que parce que Dieu a parlé directement aux hommes en se révélant. C’est en cette adhésion de l’intelligence aux vérités révélées par Dieu que consiste la foi. L’Eglise, par son magistère, c’est-à-dire son enseignement, nous atteste avec certitude que telle ou telle vérité est révélée, et, par conséquent, oblige notre assentiment. L’Eglise est la règle prochaine de notre foi [2], la gardienne, la colonne et le fondement de la Vérité (1 Tim. III, 15). L’Eglise est un admirable trésor de Dieu, elle est un roc immaculé d’une importance capitale pour notre salut : elle éclaire et surélève nos intelligences par la conservation et l’explication du dépôt révélé, objet de la foi.

Jésus-Christ a donné à saint Pierre et à ses successeurs, les papes, la primauté suprême sur l’Eglise. Ils en sont les chefs, vicaires de Jésus-Christ.

« Et Moi, Je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre Je bâtirai Mon église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. Et Je te donnerai les clefs du royaume des Cieux ; et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aussi dans les Cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aussi dans les Cieux »

Matth. XVI, 18-19

Si l’Eglise n’était pas revêtue de l’autorité de Dieu, et si son magistère n’était pas la règle prochaine de notre foi, nous ne serions certains de rien : ni le culte, ni le canon des livres de la Bible, ni les dogmes fondamentaux de la religion, ne seraient certainement véridiques et agréables à Dieu. L’idée d’une « Tradition » qui servirait de règle prochaine de la foi ne nous sortirais pas de manière définitive du doute et de l’incertitude : nous en serions réduits, comme les sectes protestantes, à des divisions intestines et à des querelles pour savoir ce qui est vraiment traditionnel, ce qui a vraiment été cru « partout et toujours ». C’est pourquoi il a toujours été évident pour les catholiques (avant Vatican II) que l’enseignement ordinaire de l’Eglise était la règle prochaine de la foi, et que c’est l’Eglise enseignante qui a autorité pour savoir ce qui est traditionnel ou non, au sens de la Tradition apostolique.

« L’Eglise universelle ne peut se tromper, car elle est gouvernée par le Saint-Esprit, qui est l’Esprit de vérité : le Seigneur, en effet l’a promis à ses disciples en disant (Jean XVI, 13) : « Lorsqu’il viendra, l’Esprit de vérité, il vous enseignera toute la vérité ». »

Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, II-II, q. 1, a. 9

« Notre position est donc que l’Eglise ne peut absolument pas se tromper, ni dans les choses absolument nécessaires, ni dans les autres choses qu’elle nous propose à croire ou à faire, que ces choses soient expressément dans l’Ecriture ou qu’elles n’y soient pas. »

Saint Robert Bellarmin, Des conciles et de l’Eglise ; Lib. III : De l’Eglise militante répandue sur toute la terre, Ch. XIV : l’Eglise ne peut errer

« Vous avez ouï dire, Théotime, que dans les conciles généraux il se fait des grandes discussions et recherches de la vérité, par discours, raisons et arguments de théologie; mais la chose étant débattue, les pères, c’est-à-dire les évêques, et spécialement le pape, qui est le chef des évêques, concluent, résolvent et déterminent, et la détermination étant prononcée, chacun s’y arrête et acquiesce pleinement, non point en considération des raisons alléguées en la discussion et recherche précédente, mais en vertu de l’autorité du Saint-Esprit qui, présidant invisiblement dans les conciles, a jugé, déterminé et conclu par la bouche de ses serviteurs qu’il a établi pasteurs du christianisme. L’enquête donc et la discussion se font au parvis des prêtres, entre les docteurs; mais la résolution et l’acquiescement se font au sanctuaire, où le Saint-Esprit, qui anime le corps de l’Eglise, parle par la bouche de ses chefs, selon que notre Seigneur l’a promis »

Saint François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, Livre II, chap. XIV

« C’est Dieu, c’est Jésus-Christ qui a fondé sur la terre et constitué l’Église; et c’est lui qui a divisé l’Église en deux parties, unies mais distinctes. L’Église enseignante et l’Église enseignée. L’Église enseignée est formée des laïques et des simples prêtres, lesquels ne sont, en aucun cas, juges de la foi. L’Église enseignante, par laquelle Dieu enseigne et gouverne les fidèles répandus sur toute la terre, est composée du Pape et des Évêques ; et comme c’est Dieu lui-même qui parle par elle, qui, par elle, enseigne, commande, condamne, pardonne, tout ce que l’Église enseignante lie ou délie sur la terre, est en même temps infailliblement lié et délié dans les cieux. En d’autres termes, l’Eglise enseignante est infaillible; elle ne peut se tromper ni nous tromper; elle est immédiatement assistée de Dieu. Or, le Concile n’est autre chose que l’Église enseignante assemblée; et c’est pour cela que le Concile est infaillible, et que tous ses décrets, toutes ses décisions ont un caractère d’autorité souveraine et divine. Tout le monde doit s’y soumettre ; tout le monde, sans exception. Et c’est tout simple : qui a le droit de ne pas se soumettre à Dieu »

Mgr de Ségur, L’infaillibilité du Pape, Chap. I

L’Eglise est donc infaillible parce que Dieu est infaillible. Le pape seul et les évêques unis au pape sont infaillibles lorsqu’ils enseignent ce qu’il faut croire et ce qu’il faut faire parce qu’ils en ont divinement reçu la mission de Jésus-Christ, chef invisible de l’Eglise. Un catholique aime l’Eglise parce qu’il aime Dieu ; il croit et écoute ce que lui dit l’Eglise parce qu’il a confiance en Dieu, Amour subsistant et Vérité même. Le credo nous enseigne que l’Eglise est une, sainte, catholique et apostolique : elle ne peut pas donner de poison à ses fils, elle ne peut pas se contredire, elle ne peut pas enseigner l’erreur en matière de foi, elle ne peut pas inciter au mal par de mauvaises disciplines. Même dans son enseignement « pastoral » (c’est-à-dire par ses dispositions non dogmatiques, contingentes, liées au temps et au lieu), elle ne fait qu’appliquer pratiquement des principes certains. Ses lois disciplinaires, si elles peuvent être changées par l’autorité légitime, sont vierges de tout danger et ne peuvent conduire au mal. Le contraire s’opposerait à la mission et à la constitution divine de l’Eglise. C’est ce qu’a enseigné le pape Pie VI, en 1794, dans sa bulle Auctorem Fidei par laquelle il condamna la 78ème proposition du conciliabule janséniste de Pistoie tenu en 1786 :

« Le synode prescrit l’ordre des matières à traiter dans les conférences : il dit d’abord, que « dans chaque article, il faut distinguer ce qui se rapporte à la foi et à l’essence de la religion de ce qui est propre à la discipline » ; il ajoute que, « dans cette discipline même, il faut distinguer ce qui est nécessaire ou utile pour retenir les fidèles dans le bon esprit, de ce qui est inutile ou trop pesant pour la liberté des enfants de la nouvelle alliance, et encore plus de ce qui est dangereux et nuisible, comme conduisant à la superstition et au matérialisme » (ibid., § 4). Par la généralité des expressions, le synode comprend et soumet à l’examen, qu’il prescrit, même la discipline constituée et approuvée par l’Église, comme si l’Église, dirigée par l’Esprit de Dieu, pouvait établir une discipline non seulement inutile et trop onéreuse pour la liberté chrétienne, mais encore dangereuse, nuisible et conduisant à la superstition et au matérialisme. Cette proposition est fausse, téméraire, scandaleuse, pernicieuse, offensive des oreilles pies, injurieuse pour l’Église et pour l’Esprit de Dieu par qui elle est conduite, et erronée pour le moins »

Pie VI, Auctorem Fidei

Concluons avec Léon XIII :

« Il est donc évident, d’après tout ce qui vient d’être dit, que Jésus-Christ a institué dans l’Eglise un magistère vivant, authentique et, de plus, perpétuel qu’Il a investi de Sa propre autorité, revêtu de l’esprit de vérité, confirmé par des miracles, et Il a voulu et très sévèrement ordonné que les enseignements doctrinaux de ce magistère fussent reçus comme les Siens propres »

Satis Cognitum

« Quant à déterminer quelles doctrines sont renfermées dans cette révélation divine, c’est la mission de l’Eglise enseignante, à laquelle Dieu a confié la garde et l’interprétation de sa parole; dans l’Eglise, le docteur suprême est le Pontife Romain. L’union des esprits réclame donc, avec un parfait accord dans la même foi, une parfaite soumission et obéissance des volontés à l’Eglise et au pontife Romain, comme à Dieu lui-même »

Sapientiae Christianae

La qualification de Vatican II

Nous avons vu que l’infaillibilité du magistère de l’Eglise vient de Dieu. Il a pour objet les vérités révélées par Dieu et liées nécessairement à la révélation. Il a pour sujet le pape seul ou les évêques unis au pape. Il peut aussi s’exercer selon différents modes : solennel ou ordinaire. Ces subtilités ne doivent pas éclipser l’essentiel : l’Eglise est infaillible dans son enseignement sur la foi et les mœurs en vertu de l’assistance continuelle qu’elle reçoit de Dieu. Quand elle donne un tel enseignement, le fidèle doit le recevoir dans la lumière de la foi comme une vérité certaine.

Le concile Vatican II se tient du 11 octobre 1962 au 8 décembre 1965. Il réunissait 2450 pères conciliaires et a mené à la « promulgation » de quatre constitutions, trois déclarations et neuf décrets. Normalement, un tel concile œcuménique est l’expression du magistère solennel de l’Eglise enseignante. Cependant, l’absence de définition solennelle et la déclaration de Paul VI lors d’une audience du 12 janvier 1966 [3] le classe plutôt au sein du Magistère ordinaire et universel de l’Eglise. Cette expression est utilisée par le Concile Vatican I (1870) pour expliciter les modes d’exposition des vérités de foi. La Députation de la foi, commission de 24 membres chargée de donner aux Pères conciliaires le sens exact des textes, s’appuie sur la lettre envoyée par Pie IX à l’archevêque de Munich pour expliquer ce qu’est le magistère ordinaire et universel :

« Quand il ne s’agirait que de la soumission qui doit se manifester par l’acte de foi divine, on ne pourrait pas la restreindre aux seuls points définis par les décrets des conciles œcuméniques ou des Pontifes romains et de ce Siège apostolique ; il faudrait encore l’étendre à tout ce qui est transmis comme divinement révélé par le magistère ordinaire de toute l’Eglise dispersée sur la terre »

Pie IX, Tuas Libenter, 1863

Le Magistère ordinaire et universel est donc l’enseignement quotidien de l’ensemble des évêques unis au pape. Comme le signale Pie IX, Les évêques sont habituellement dispersés sur la terre lorsqu’ils exercent ce magistère. Cependant, l’union physique (un concile) de l’Eglise enseignante (pape et évêques) n’abolit pas leur union formelle (accord moral sur ce qui est enseigné) dans l’enseignement. Ces qualifications désignent des modes d’exercice accidentels du Magistère. Solennel ou ordinaire, papal ou universel (évêques unis au pape), en concile ou dispersé sur la terre, c’est la nature de l’acte magistériel et de son contenu qui est essentiel. Ce qui doit faire l’objet d’un acte de foi et d’un assentiment religieux des fidèles, c’est la vérité révélée par Dieu ou rattachée à la révélation, indépendamment de la manière dont elle est présentée par le pape et l’Eglise. C’est l’enseignement du Concile Vatican I sur l’objet de la foi :

« Est à croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la Parole de Dieu ou écrite ou transmise, et que l’Eglise, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel, propose à croire comme divinement révélé. »

Constitution Dei Filius

C’est ce que confirme Léon XIII en reprenant les enseignements du Concile Vatican I :

« Quand il s’agit d’établir les limites de l’obéissance, que personne ne s’imagine que la soumission à l’autorité des pasteurs sacrés et surtout du Pontife Romain s’arrête à ce qui concerne les dogmes, dont le rejet opiniâtre ne peut aller sans le crime d’hérésie. Il ne suffit même pas de donner un sincère et ferme assentiment aux doctrines qui, sans avoir été définies par un jugement solennel de l’Eglise, sont cependant proposées à notre foi, par son magistère ordinaire et universel, à la croyance des fidèles comme étant divinement révélées ; et que l’on doit croire, selon le décret du Concile du Vatican de foi catholique et divine »

Léon XIII, Sapientiae Christianae

Le concile Vatican II aurait donc dû jouir de l’infaillibilité toutes les fois où il affirme dans ses enseignements que telle ou telle vérité est révélée par Dieu ou rattachée à la révélation. Or, ce lien avec la révélation est affirmé dans de nombreux documents issus du concile. Ceci est normal, puisqu’un concile a justement pour but de proposer aux fidèles des vérités à croire pour éclairer leur intelligence avec certitude dans la voie du salut. Prenons par exemple la déclaration Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse, « promulguée » le 7 décembre 1965 par Paul VI :

« Le Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. […] Il déclare en outre que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité de la personne humaine telle que l’on fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même. […] Cette doctrine de la liberté a ses racines dans la révélation divine, ce qui, pour les chrétiens, est un titre de plus à lui être saintement fidèles […] L’Eglise, donc, fidèle à la vérité de l’Evangile, suit la voie qu’ont suivie le Christ et les Apôtres lorsqu’elle reconnaît le principe de la liberté religieuse comme conforme à la dignité de l’homme et à la Révélation divine, et qu’elle encourage une telle pratique »

Déclaration Dignitatis Humanae

Le concile affirme ici l’existence d’un droit à la liberté religieuse inhérent à la nature même de l’homme. Il ne s’agit nullement d’une tolérance de fait pour éviter un plus grand mal mais d’un droit inaliénable et indépendant des circonstances. Ce droit inconditionnel attaché à la nature humaine est explicitement enseigné comme étant contenu dans la Parole de Dieu où il trouverait son fondement et sa justification. Par conséquent, il doit faire l’objet d’un acte de foi divine et catholique de la part des fidèles.

Paul VI confirme « la promulgation » de ce texte en vertu de sa suprême autorité :

« Tout l’ensemble et chacun des points qui a été édictés dans cette déclaration ont plu aux Pères conciliaires. Et Nous, en vertu du pouvoir apostolique que nous tenons de Christ, en union avec les vénérables Pères, Nous les approuvons, arrêtons et décrétons dans le Saint-Esprit, et Nous ordonnons que ce qui a été établi en concile soit promulgué pour la gloire de Dieu. Rome, à Saint-Pierre, le 7 décembre 1965, Moi, Paul, Evêque de l’Eglise catholique. »

Déclaration Dignitatis Humanae

Loin d’être un conseil purement pratique ou pastoral, la liberté religieuse est définie par celui qui aurait dû jouir de l’autorité pontificale comme un droit naturel explicitement contenu dans la Révélation.

Si par pastoral, il faut entendre ordinaire, non solennel, alors nous concédons que Vatican II soit pastoral. Si il faut entendre non-doctrinal (et que serait-il alors ? Pourquoi aurait-il eu lieu ? De quoi aurait-il parlé ?), ne s’imposant en aucune façon à la foi des croyants, nous nions. Vatican II n’est pas pastoral en tant que tel tout comme il n’aurait pas dû être infaillible dans la moindre de ses phrases. En revanche, en tant que concile théoriquement promulgué par l’autorité du pape et en vertu du magistère vivant et infaillible dont Jésus-Christ a doté l’Eglise, ses enseignements en matière de foi et de morale auraient dû être infaillibles et impérer conséquemment un acte de foi de la part des fidèles. Par ailleurs, il fût compris comme telle par les pères conciliaires, les théologiens et les imposteurs qui se succédèrent sur le siège apostolique. [4] Citons Yves Congar, peritus au concile, « élevé au cardinalat » par Jean-Paul II en 1994 :

« Vatican II a été doctrinal. Le fait qu’il n’ait pas « défini » de nouveaux dogmes ne retire rien à sa valeur doctrinale, selon la qualification que la théologie classique donne, de façon différentiée, aux documents qu’il a promulgués. Certains sont « dogmatiques », ils expriment la doctrine commune, ils seraient comparables aux grande encycliques doctrinales (qu’ils citent d’ailleurs souvent), à cela près qu’ils expriment, par la voie (et la voix) du magistère extraordinaire l’enseignement de ce que Vatican I a appelé « le magistère ordinaire et universel ». Tel est le statut de Lumen Gentium, des parties doctrinales de Dei Verbum, de la Constitution sur la liturgie et de Gaudium et spes, mais aussi de plusieurs « décrets » et de la déclaration Dignitatis Humanae personae. D’autres textes ou parties de ces mêmes documents sont de nature purement « pastorale » c’est-à-dire donnant, selon la prudence surnaturelle des pasteurs réunis en concile, des directives en matière pratique. »

Yves Congar, Le Concile de Vatican II, édit. Beauchesne, 1984, p.64

Si donc l’on rejette à bon droit le concile et ses suites qui subvertissent objectivement la foi catholique et entraînent une destruction du culte et de la morale, il faut rejeter du même coup l’autorité de ceux qui en sont responsables. Autrement, on en vient à défendre par naïveté ou par entêtement des absurdités injustifiables, on se perd dans des gauchissements de la doctrine catholique en s’éloignant toujours plus de la vérité.

Mathis C.


[1] « L’Eglise, c’est Jésus-Christ répandu et communiqué » écrivait Bossuet.

[2] Ce que nous croyons à proprement parler est la Parole de Dieu, objet de notre foi. Cette parole est toute entière contenue dans la Sainte Ecriture et dans la Tradition, c’est la règle éloignée de la foi. Pour la connaître avec certitude nous avons besoin que le magistère de l’Eglise nous dise avec une autorité infaillible où se trouve la parole de Dieu et comment nous devons l’interpréter; que ce même magistère nous dise encore tout ce qui lui est contraire et qu’il faut éviter, c’est la règle prochaine de la foi. Saint Pie X rappelait lors d’une visite à des étudiants cet enseignement fondamental pour tout bon chrétien : « Le premier et le plus grand critérium de la foi, la règle suprême et inébranlable de l’orthodoxie est l’obéissance au magistère toujours vivant et infaillible de l’Église établie par le Christ « columna et firmamentum veritatis, la colonne et le soutien de la vérité ».  Nous renvoyons le lecteur à un autre article sur la règle de notre foi : https://www.sodalitium.eu/regle-de-foi/ 

[3] « Etant donné son caractère pastoral le Concile a évité de proclamer selon le mode extraordinaire des dogmes dotés de la note d’infaillibilité. Toutefois le Concile a attribué à son enseignement l’autorité du magistère suprême ordinaire ; cet enseignement est manifestement authentique et doit être accepté par tous les fidèles suivant les normes que lui a attribuées le Concile, compte tenu de la nature et du but de chaque document » (La Documentation Catholique, n° 1466, 1966, p.420)

[4] Le 30 janvier 2021, François recevait au Vatican l’Office national italien de la catéchèse. Il rappelait que le concile faisait partie du magistère et qu’à ce titre, il n’était pas négociable : « C’est le magistère : le Concile est le magistère de l’Eglise. Sois tu restes avec l’Eglise et donc tu suis le Concile, et si tu ne suis pas le Concile ou si tu l’interprètes à ta façon, comme tu veux, tu ne restes pas avec l’Eglise. Nous devons être exigeants sur ce point, sévères. Le Concile ne doit pas être négocié, pour avoir plus de ceci… Non, le Concile est ainsi. » https://fr.zenit.org/2021/01/30/le-pape-exhorte-leglise-a-ne-pas-avoir-peur-decouter-les-questions-les-fragilites-les-incertitudes/ 

Traditionis Custodes : Les traditionalistes doivent faire un choix

Réflexions sur le motu proprio Traditionis Custodes (16/07/2021)


Ce document était attendu depuis un moment : il fait suite à une grande « enquête sur le rite extraordinaire » commandée par Bergoglio aux différentes conférences épiscopales le 7 mars 2020. Le motu proprio Summorum Pontificum (2007) de Benoît XVI avait donné lieu à une « régularisation » ou « légalisation » du culte catholique suivant le rite tridentin, apanage de quelques communautés qui vivent et agissent en marge des structures officielles du catholicisme depuis le Concile Vatican II et l’instauration obligatoire du Novus Ordo Missae en 1969. En 2007, quand Benoît XVI émet son motu proprio pour autoriser officiellement la pratique du rite tridentin, ces traditionalistes, restés attachés à « l’ancien rite » et à la foi catholique telle qu’elle a toujours été enseignée, ont presque tous exulté (y compris la FSSPX, héritière de Mgr Lefebvre), ne voyant pas ou feignant de ne pas voir l’absurdité de la situation, sa fragilité et son hypocrisie. 13 ans plus tard, le constat de cette absurdité et de cette hypocrisie est fait par les conciliaires eux-mêmes, qui cherchent à limiter drastiquement les dispositions du motu proprio précédent. Serait-ce l’occasion pour les traditionalistes de réfléchir en profondeur à leurs engagements, à leur foi et à la nature véritable de la crise de l’Eglise ? Quelle conclusion logique faut-il tirer de la détestation des autorités conciliaires à l’égard de la vraie liturgie catholique ?

Le motu proprio de Benoît XVI était déjà une hypocrisie et une absurdité

Les traditionalistes ont commencé leur combat en refusant une « messe protestante », une « messe bâtarde » (l’expression est de Mgr Lefebvre), qui n’est que l’expression sensible et extérieure de la « foi » bâtarde et protestante promue par Vatican II. Lex orandi, lex credendi : la loi de prière est la loi de croyance ; la liturgie est l’expression et l’illustration de ce que l’on croit. Par ses innombrables omissions et ses nouveautés, le rite de Paul VI s’éloigne « de manière impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe »(1). Par extension, Vatican II s’éloigne de manière impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique … Liberté religieuse, œcuménisme de type « théorie des branches », collégialité épiscopale, laïcité, exaltation du judaïsme talmudique, soutien intellectuel et pratique au mondialisme maçonnique athée, dévalorisation de la vie intérieure et de la mortification au profit de « l’action » et de la « positivité », effacement de l’objectivité de la morale au profit de la subjectivité et des sentiments (au point que la contraception artificielle, la sodomie ou le suicide peuvent devenir un « bien subjectif »), tout ceci est contenu dans Vatican II et/ou dans l’enseignement des successeurs de Paul VI.

Par les desseins miséricordieux de la Providence, qui a permis que l’Eglise soit infiltrée de l’intérieur et sabordée par ses pires ennemis (exactement comme le craignait Saint Pie X), cette infiltration et ce sabordage ont été rendus particulièrement visibles et évidents, avec la réforme liturgique de 1969. Nos jeunes générations ne se représentent pas bien à quel point la réaction au nouveau missel a été massivement défavorable chez les catholiques, particulièrement en France. Entre ceux qui s’interrogent sur la pertinence du changement, ceux qui abandonnent la pratique religieuse par dégoût pour cette désacralisation, ceux qui demandent timidement le maintien de certaines pratiques anciennes et ne comprennent pas l’abandon brutal de plusieurs siècles de tradition liturgique, il y eut aussi ceux qui refusèrent catégoriquement toute participation à cette liturgie protestante et commencèrent à s’organiser en groupes de « résistants », bien convaincus qu’il ne s’agissait pas seulement de préférences esthétiques personnelles mais de questions relatives à la foi catholique elle-même, dans toute sa profondeur, et donc du salut de leur âme dont dépend la profession de la foi.

Le temps passant ces « résistants » se sont organisés en groupes différents et ont précisé leur position doctrinale vis-à-vis de la crise de l’Eglise et de la trahison de ses autorités. Ils sont devenus les « sédévacantistes », la FSSPX, la FSSP, l’IBP et d’autres groupes plus ou moins « régularisés » vis-à-vis de la Rome conciliaire, qui tolère avec une forme de résignation et non sans un certain mépris leur « différence liturgique » et leur « sensibilité droitière ». Après avoir tenté sans succès d’interdire brutalement, à renfort de menaces et de sanctions spectaculaires, l’usage de la liturgie tridentine et la défiance à l’égard de Vatican II au nom de la doctrine catholique reçue avant le concile, les conciliaires (à partir de Jean-Paul II) ont opté pour une stratégie plus diplomatique et ont cherché à donner un « cadre » à ces groupes et à ces pratiques en dissonance avec l’esprit de Vatican II. Joseph Ratzinger, devenu « pape », a acté de manière officielle cette « réconciliation » et cette « légalisation » par le motu proprio de 2007. 

Le 30 mars 1987, à la demande de Mgr Thomas évêque de Versailles, le Père Bruno de Blignères est expulsé manu militari de l’église Saint-Louis du Port-Marly, pendant qu’il célèbre la Messe

Mais qui ne voit que le motu proprio de Benoît XVI oblige ces traditionalistes à renier les engagements et les principes du combat qui les a poussés à rejeter la nouvelle liturgie ? Ratzinger, qui n’est un « conservateur » que pour l’œil non averti, était connu comme l’un des penseurs les plus progressistes pendant le concile Vatican II, un véritable et pur moderniste (2). Le principe qui sous-tend la « légalisation » de la liturgie tridentine est le suivant : ce rite est aussi bon et légitime que le nouveau, dans l’absolu ; et pour autant il ne faut pas les considérer sur un strict pied d’égalité, car le nouveau rite est le rite ordinaire de la liturgie romaine, tandis que la liturgie tridentine n’existe que sous un régime dérogatoire, elle est le rite extraordinaire. Accepter le régime du motu proprio signifie, pour les traditionalistes, accepter que la « nouvelle messe » qu’ils ont rejeté et combattu est « aussi bonne » que la vraie Messe et même supérieure en dignité en tant que rite ordinaire de l’Eglise universelle.

Personne ne devrait être content dans cette situation absurde. Ni les traditionalistes, ni les modernistes.

Pourquoi tant de traditionalistes ont chanté le Te Deum, ont sabré le magnum de champagne, à l’occasion de cette « concession » de la part de la Rome conciliaire, qui est plutôt au fond une capitulation de la part des traditionalistes ? Ont-ils oublié les principes qui motivent leur combat, et qui font constater que le nouveau rite est équivoque, scandaleux, dangereux du point de vue de la foi et même probablement invalide ? Comment peut-on se contenter et se réjouir d’une telle situation, si l’on est convaincu que le nouveau rite est mauvais ? La réponse est simple : il faut ou bien se convaincre que finalement le nouveau rite n’est pas mauvais, ou bien être hypocrite et accepter en apparence la dignité du nouveau rite tout en pensant autrement en secret. Ainsi semblent faire beaucoup de prêtres et de fidèles des groupes dits « ralliés », qui critiquent en secret Vatican II et sa liturgie, tout en professant extérieurement d’une union et d’une obéissance à l’égard de ce qu’ils estiment être le Saint-Siège. Ils font mine « d’en être », sans en être vraiment, en conservant leur propre manière de voir les choses. Comme si le Pape et l’Eglise pouvaient enseigner des hérésies et promulguer une liturgie mauvaise : il faut, pour défendre une telle position, ressusciter les arguments mille fois réfutés des gallicans et des jansénistes contre l’autorité et les prérogatives du successeur de Saint Pierre, contre la sainteté et l’infaillibilité de l’Eglise.

Du côté des modernistes, le motu proprio de Benoît XVI est très mal vu. Pourquoi donner du crédit et du soutien à ces groupuscules d’extrême-droite, qui sont contre le progrès et contre l’amour ? Ils ralentissent l’œuvre de Vatican II. Bien qu’intellectuellement parlant, on puisse être un vrai moderniste et reconnaître un certain intérêt et une certaine légitimité au rite tridentin (comme Ratzinger), en pratique ce que ce rite représente est trop en rupture avec le modernisme et la religion de Vatican II pour qu’il soit en affection chez la plupart de ses partisans. En définitive, ce que les modernistes reprochent principalement aux traditionalistes, c’est d’adhérer à la théologie catholique d’avant Vatican II, dont la Messe tridentine est l’expression : ainsi le professeur Massimo Faggioli explique les inquiétudes du Vatican vis-à-vis des traditionalistes de cette manière : « You can have that latin mass, you cannot have the theology of the 16th century that was at the basis of latin mass »(3). La Messe en latin, passe encore ; mais la théologie antiprotestante des papes, des docteurs et des saints du XVIème siècle, pas question.

Ce rite a été abandonné par Paul VI et ses suivants parce qu’il était trop attentatoire aux croyances des protestants, qu’il était nuisible à l’œcuménisme : pourquoi autoriser sa diffusion s’il va contre les principes et les objectifs de Vatican II ? Cette situation de coexistence des deux rites est perçue par la plupart comme une bizarrerie, quasiment un attentat à « l’unité de l’Eglise » dans sa loi de prière. Plusieurs posent ouvertement la question de savoir si les communautés traditionnalistes sont en communion avec l’Eglise catholique : quand Vatican II donne la certitude que les protestants et les schismatiques orientaux sont membres de l’Eglise, apparemment l’appartenance des traditionalistes à l’Eglise fait débat !(4)

L’actuelle décision de François de briser les dispositifs établis par son prédécesseur et de placer sous un contrôle beaucoup plus drastique les groupes traditionalistes n’est que l’aboutissement naturel d’une situation qui était, dès le départ, incohérente et bancale. La stratégie de Benoît XVI, qui consiste à amadouer les traditionalistes pour mieux les contrôler, ne porte pas les fruits attendus. Les modernistes commencent à le dire de plus en plus fortement : le sempiternel « dialogue œcuménique », si richement mené à l’égard des sectateurs de Luther et de Photius, ne peut pas être mené avec les traditionalistes parce qu’ils sont trop « de droite ». Les conciliaires progressistes reconnaissent (avec raison) qu’ils sont plus proches des libéraux de toute confession, que des catholiques trop fortement attachés au catholicisme. François a multiplié ces derniers temps les déclarations très hostiles et à peine voilées à l’égard des catholiques « trop conservateurs », considérés comme des pharisiens ou des personnes cliniquement malades. La rupture de fait et l’impossibilité d’une conciliation entre ces deux camps, que tout oppose au point de vue des idées, va se traduire de plus en plus dans le droit conciliaire. Et pour les traditionalistes, il faudra finir par sortir de ce statu quo insensé et inique entre ceux qui veulent détruire la foi et ceux qui veulent la défendre.

Le motu proprio de François ne fait que mettre le « traditionalisme » devant ses propres contradictions

Les traditionalistes qui avaient exulté en 2007 se trouvent à présent désemparés. Pour beaucoup d’entre eux, c’est peut-être la disparition pure et simple de leur « paroisse » qui les attends. Pour tous, on attendra d’eux des gages explicites de soumission à Vatican II et à la nouvelle liturgie. Certains sont littéralement excédés, et ne comprennent pas qu’un pape puisse à ce point persécuter l’usage des saintes et émouvantes cérémonies de la liturgie tridentine, et les doctrines qu’elles expriment. 

Mais faut-il s’étonner de cette situation ? Absolument pas, disions-nous plus tôt.

Les conciliaires s’opposent à la liturgie tridentine, parce qu’elle est explicitement incompatible avec le protestantisme, elle choque les « frères séparés »(5). Ils veulent faire plaisir aux protestants avec leur « nouvelle messe », parce qu’ils considèrent que le protestantisme est légitime et que les protestants sont véritablement membres de l’Eglise : on ne parle plus « d’œcuménisme du retour », mais d’œcuménisme de l’approfondissement ou de la perfection du lien déjà existant.

Luther et le Cardinal Cajetan

Les traditionalistes sont, a priori, conscients que ces idées sont contraires à la foi catholiques, condamnées par le magistère de l’Eglise et par la voix unanime des docteurs et des saints catholiques des derniers siècles. Pourquoi s’étonnent-ils d’être persécutés par les défenseurs de l’hérésie ?

Pourquoi les traditionalistes s’attendent, de la part des défenseurs de l’hérésie, à ce qu’ils leur concèdent un quelconque droit à exister dans la dénonciation de l’hérésie et la profession de la doctrine catholique intégrale ? Pourquoi se réjouissent-ils quand les défenseurs de l’hérésie font mine de leur donner un semblant d’existence, et s’attristent-ils quand les défenseurs de l’hérésie leur dénient les concessions précédemment faites ?

Voilà la grande contradiction du traditionalisme « rallié » : ils recherchent l’approbation … de leurs ennemis, de ceux contre qui ils luttent. Au moins de ceux contre qui ils luttaient initialement. Si la « nouvelle messe » ne posait pas un grave problème de conscience, il n’y aurait aucune raison d’être traditionaliste, les traditionalistes ne seraient que des schismatiques, des extravagants, des fous. Si la « nouvelle messe » était vraiment bonne et sainte, comme l’affirme le motu proprio de Benoît XVI, le traditionalisme est alors relégué au rang de fantaisie droitière pharisaïque : c’est ainsi qu’il est considéré par le clergé conciliaire.

Cette « relation » entre les traditionalistes et les autorités conciliaires est profondément incohérente. Au fond, qu’ils en soient conscients ou non, les traditionalistes qui recherchent l’approbation de la Rome conciliaire ne cherchent qu’une chose : un sentiment de régularité et de normalité institutionnelle. Ils ne cherchent pas sincèrement à obéir au pape : ils cherchent à avoir le sentiment que le pape est d’accord avec eux. Ils veulent avoir le sentiment qu’il y a une continuité entre l’Eglise d’avant et celle d’après Vatican II. Ils veulent avoir le sentiment que tout est normal, que Vatican II n’est qu’une regrettable imperfection humaine dans l’histoire de l’Eglise et qu’elle n’engage pas son autorité infaillible, ou bien que Vatican II n’est pas fondamentalement incompatible avec leur « sensibilité intégriste ». Ils veulent avoir le sentiment que l’on peut pratiquer la foi catholique intégrale sans passer pour un fou et un sectaire. Ils passeront quand même pour des fous et des sectaires auprès des autorités ecclésiastiques actuelles, et seront traités comme tels …

Ce sentiment ne peut qu’être fragile et illusoire, parce que les personnes dont ils veulent l’approbation ne recherchent plus le bien de l’Eglise et la fin pour laquelle elle a été instituée. Ce fait est manifeste depuis le concile Vatican II. Ces personnes ont usurpé les institutions de l’Eglise, sa structure, pour défendre d’autres doctrines et d’autres finalités que celles de l’Eglise du Christ : la nouvelle religion humanitaire, œcuméniste et laxiste enfantée par le modernisme et la conjuration antichrétienne. Ce sont les ennemis déclarés de Dieu : ils ne recherchent pas sa gloire, mais cherchent à plaire au monde, ils suivent sans discernement ses lubies et ses modes intellectuelles impies, ils aiment ce monde maudit et anathématisé par Jésus-Christ lui-même, sans comprendre son vide profond et sa laideur. Ils détestent le renoncement et la mortification des saints des siècles passés, parce qu’ils n’ont pas la même foi que les saints des siècles passés. Ils détestent aussi leur zèle pour la lutte contre l’hérésie et les fausses religions, leur zèle pour la condamnation des mauvais discours et des mauvais livres, parce qu’ils croient à la « liberté de pensée », suivant la mode du temps et contre le magistère de la sainte Eglise. Ils ne veulent pas ce que veulent les catholiques : la gloire de Dieu, l’exaltation de la foi et l’extirpation des hérésies, la conversion des pêcheurs et le salut des âmes. Voici ce qu’ils veulent : la gloire de l’homme, l’effacement de la foi et la libre prolifération des hérésies, le contentement des pécheurs dans leurs péchés, l’oubli des fins dernières et du jugement de Dieu (remplacés par une croyance au salut universel inconditionnel)(6).

On ne peut pas être pape et poursuivre objectivement, de manière habituelle, quelque chose de contraire au bien de l’Eglise et à sa finalité. C’est tout simplement un empêchement, un obex à l’autorité pontificale. Cet argument développé par Mgr Guérard des Lauriers prouve de manière philosophiqueplus que théologique combien il est impossible que Paul VI et ses successeurs soient papes.  Et si l’on se posait la question, juste et légitime question, de savoir où se trouvent l’autorité et la juridiction dans l’Eglise actuellement en crise (car elles ne peuvent disparaître, de droit divin), la « thèse de Cassiciacum » y répond en toute conformité avec la théologie catholique, le magistère de l’Eglise et la philosophie de Saint Thomas : https://www.sodalitium.eu/lexplication-thomiste-de-letat-actuel-de-lautorite-leglise/

Deux alternatives logiques : accepter Vatican II et la nouvelle messe, ou accepter le constat de la vacance du Saint-Siège

La position de la FSSPX, qui est malheureusement celle vers laquelle vont se tourner par défaut beaucoup de « ralliés » malmenés par les nouvelles restrictions, ne peut pas être une alternative logique, conforme à la raison et à la foi. Ces « ralliés » ont accepté de se rallier par esprit « romain », par opposition à la dérive schismatique de la FSSPX qui sacre des évêques en faisant comme si le pape n’existait pas ; par esprit romain (c’est-à-dire par esprit catholique, suivant le principe de la foi en l’autorité suprême du Pape) ils doivent choisir entre la soumission réelle, extérieure et intérieure, à ce qu’ils pensent être l’autorité de l’Eglise, ou bien le sédévacantisme, c’est-à-dire la claire conscience de l’impossibilité qu’un pape enseigne des hérésies et détruise la liturgie catholique, et en conséquence le constat que le Saint-Siège est vacant au plus tard depuis 1965, date de la promulgation de Vatican II, contenant notamment la fausse doctrine de la liberté religieuse. Conclusion difficile, déchirante, mais froidement logique, et conforme aux principes de la doctrine catholique, face au problème évident et toujours plus grave de la crise de l’Eglise.

La raison pour laquelle tant de traditionalistes se refusent, avec une obstination parfois passionnée, à considérer l’hypothèse du sédévacantisme, est liée à ce dont nous parlions plus haut : la recherche d’un sentiment de régularité et de normalité institutionnelle, la recherche d’une vaine et illusoire approbation de la part de ceux qui occupent les structures institutionnelles de l’Eglise. Et donc, dans cette recherche, le sédévacantisme est vu comme la pire chose possible : d’après cette doctrine, il n’y a actuellement plus de régularité et de normalité dans l’Eglise, chacun est comme livré à lui-même en l’absence d’autorité régnante… Comme si depuis Vatican II, les fidèles étaient bien guidés et n’étaient pas livrés à eux-mêmes, quand les « papes » enseignent des doctrines condamnées par le magistère de l’Eglise et promulguent une liturgie si douteuse qu’il a fallu créer des groupes séparés pour pouvoir continuer à enseigner la vraie doctrine et pratiquer la vraie liturgie contre le « courant dominant du catholicisme ». Sentiment fragile et illusoire disions-nous : au fond, la vie des communautés ralliées diffère peu, en pratique, de la vie des communautés sédévacantiste, la différence réside surtout sur un bout de papier (7). Maintenant que le bout de papier va être déchiré, les ralliés vont-ils réfléchir sérieusement à la gravité de la crise actuelle de l’Eglise catholique, et aux conclusions que doivent nous faire admettre la théologie catholique face à cette crise ?

Nous espérons que les traditionalistes profiteront de ces évènements douloureux pour comprendre que cette recherche est sentimentale, qu’elle vise à procurer un sentiment de confort psychologique, mais que la raison et la foi ensemble se liguent pour discréditer ce sentiment. Il ne faut pas chercher le confort, mais la vérité : tous les traditionalistes seront d’accord avec ce principe, sur le papier. Si une vérité est inconfortable, elle n’en est pas moins vraie, et elle mérite que l’on se prive du confort que nous cherchons, pour accepter l’inconfort de la croix. On ne se sauve pas sans la croix, on ne se sauve pas sans la souffrance : les traditionalistes connaissent ce principe. C’est effectivement une souffrance et un inconfort d’être privé d’autorité et de cadre ecclésiastique légitime, privé de régularité, privé de la sécurité que procure la soumission à une institution visible et forte. Mais si telle est la réalité, on ferait offense à Dieu en ne vivant pas en conformité avec cette réalité.

Nous espérons, sincèrement et charitablement, que ces évènements soient l’occasion pour le plus grand nombre des traditionalistes, qui depuis des années combattent sincèrement pour garder la foi dans un monde apostat, de considérer sérieusement qu’il est impossible qu’un véritable pape persécute la liturgie catholique pour imposer à la place une fausse liturgie protestante, qu’il est impossible qu’un pape enseigne dans l’exercice de son ministère les fausses doctrines qui justifient son amour du protestantisme. Et donc, qu’il est impossible que François soit actuellement pape, vicaire de Jésus-Christ et successeur de Saint Pierre dans l’autorité apostolique. Nous prions pour que le grand saint Pie X, qui a pressenti et cherché à empêcher le noyautage des institutions ecclésiastiques par les modernistes, intercède pour nous tous et nous obtienne d’être vraiment fidèles à son combat, et à tous les sacrifices qu’exigent la défense de la vérité.

Jean-Tristan B.


Il est impossible qu’un arbre bon produise de mauvais fruits. Placé dans un mauvais terrain, un arbre bon meurt, mais jamais il ne produit de mauvais fruits. Nous ne pouvons donc pas imputer les désordres dont nous sommes les spectateurs navrés, nous ne pouvons pas les imputer aux malheurs des temps ou à toutes sortes de causes extrinsèques. Non, les malheurs de l’Église, ils viennent de ce que, à l’origine, au sommet, il y a une viciosité radicale qui découle de l’esprit de Satan qui est le père du mensonge, et non pas de l’ESPRIT SAINT qui est l’ESPRIT de VÉRITÉ.

Efforçons-nous discrètement mais fermement, de porter le jugement que nous avons à porter sur la situation, dans la lumière de la très sainte Foi. Efforçons-nous, avec intrépidité, avec courage, avec simplicité et en allant jusqu’au bout de nous-mêmes, jusqu’au bout de nos forces, usque ad mortem si le Bon Dieu nous le demande, de joindre le témoignage de l’action à la profondeur de la conviction.

R.P. Guérard des Lauriers 1977
Lire le sermon entierhttps://www.sodalitium.eu/sermon-du-r-p-guerard-des-lauriers/


1 Bref examen critique du nouvel Ordo Missae, signé par les cardinaux Ottaviani et Bacci, rédigé principalement par le Père Michel-Louis Guérard des Lauriers alors professeur à l’Angelicum(1969). Le texte est disponible ici :https://laportelatine.org/documents/crise-eglise/nouvelle-messe/le-bref-examen-critique-du-nouvel-ordo-missae


2 Le « dossier Ratzinger» est vaste et il faudrait une vie pour exhumer toutes ses citations modernistes. Par rapport au sujet qui nous intéresse, il est manifeste que Ratzinger n’aime pas les traditionalistes, il les considère comme dangereux et sectaires. Le but de sa politique est de les amadouer, et de noyer leur résistance par une série de mesures qui leur sont en apparence favorables. Voici ce qu’il déclarait en 1982 : « We must be on gard against minimizing these movements [that oppose Vatican II]. Without a doubt, they represent a sectarian zealotry that is the anthitesis of Catholicity. We cannot resist them too firmly.”. (Joseph Ratzinger, Principles of Catholic Theology, Ignatius Press, 1987, pp.389-90 – Traduit de l’original allemande Katolische Prinzipienlehre, 1982). Citation issue du dossier de “Novus Ordo Watch” sur Ratzinger, précieuse mine d’informations pour qui veut comprendre qui est réellement le « pape intégriste » : https://novusordowatch.org/benedict-xvi/


3 https://www.youtube.com/watch?v=5UI3FJJ8SNo
Cet entretien a lieu dans le contexte des restrictions et régulations imposées par François début 2021 à propos de la célébration dans le « rite extraordinaire » dans la basilique Saint Pierre. Faggioli (partisan enthousiaste de Vatican II) explique que le cœur du problème n’est pas que François n’aime pas cette forme du rite, mais qu’il n’aime pas la théologie qui la sous-tend. Pour pouvoir dire la messe en latin en étant agréé par les autorités conciliaires, il faut préalablement donner des garanties d’être suffisamment moderniste, d’accepter toutes les concessions qu’imposent l’esprit moderne : c’est ce qui attends les communautés ralliées actuellement.


4 Voir le document émis par la « conférence des évêques de France » dans le cadre de l’enquête demandée par François sur l’application du motu proprio de Benoît XVI. Une mine d’or pour comprendre la mentalité des conciliaires, qui mériterait un commentaire dédié.
https://fsspx.news/sites/sspx/files/202012synthesecefsummorumpontificium.pdf


5 Un exemple de témoignage pour illustrer cette idée : dans l’Osservatore Romano du 19 mars 1965, Mgr Bugnini, secrétaire du Conseil pour l’application de la Constitution sur la liturgie et sous-secrétaire de la congrégation des Rites pour la liturgie, principal auteur de la réforme liturgique, présenteles modifications qui ont été apportées à certaines des oraisons solennelles du Vendredi saint. Il explique ses motivations œcuménistes : « L’Église a été guidée par l’amour des âmes et le désir de tout faire pour faciliter à nos frères séparés le chemin de
l’union, en écartant toute pierre qui pourrait constituer ne serait-ce que l’ombre d’un risque d’achoppement ou de déplaisir. » (Osservatore Romano, 15 mars 1965).
Le même Bunigni déclare au long de ses mémoires que la réforme de la semaine sainte est un prémice de la réforme générale de la liturgie qu’il dirigera ensuite.


6 Veut-on un exemple pour illustrer à quel point « l’œcuménisme »de Vatican II est contraire au salut des âmes ? François a déclaré en 2016, alors en déplacement à Tbilissi en Géorgie, qu’il ne fallait pasconvertir les orthodoxes, et mieux encore : que le prosélytisme était un grand péché contre l’œcuménisme. Les citations sont consultables ici : https://novusordowatch.org/2016/10/francis-converting-orthodox-sin-against-ecumenism/


7 Nous ne disons pas cela pour dire que le « bout de papier » n’est pas important. Au contraire, du point de vue de Dieu, il est très important de savoir si l’on se déclare en communion avec François ou non. Nous voulons plutôt insister sur le fait que les ralliés s’imaginent qu’ils sont dans la régularité, l’obéissance et la communion, alors qu’en pratique ils se permettent de critiquer les « papes » et qui plus est des « papes saints », de critiquer un « Concile œcuménique », ils essayant de vivre comme si Vatican II n’avait pas existé : les conciliaires ont raison de s’interroger sur la réalité de leur communion avec eux, vu le faible degré d’alignement entre les ralliés et Vatican II.

La liberté religieuse et Pie XI

Nous sommes tombé sur un commentaire (erroné) de l’encyclique Mit brennender sorge qui prétend démontrer que Pie XI avait approuvé la liberté religieuse. Nous avons souhaité y répondre pour défendre la sainte doctrine, mais aussi la mémoire du Pape Pie XI


Commençons par une citation de l’encyclique :

« Il vous faudra veiller d’un œil particulièrement attentif, Vénérables Frères, à ce que les concepts religieux fondamentaux ne viennent pas à être vidés de leur contenu essentiel et détournés vers un sens profane […] La  » foi « consiste à tenir pour vrai ce que Dieu a révélé et propose par son Église à la croyance des hommes. C’est la  » conviction solide des choses invisibles « . (Hebr., XI, 1.) La joyeuse et fière confiance dans l’avenir de son peuple, qui tient au cœur de chacun, signifie toute autre chose que la foi dans le sens religieux du mot. Donner l’un pour l’autre, vouloir remplacer l’un par l’autre, et exiger là-dessus [sur la base de cette confusion] d’être reconnu par les disciples du Christ comme un  » croyant « , c’est un jeu de mots vide de sens, quand ce n’est pas la confusion voulue des concepts, ou quelque chose de pire ».

Pie XI nous explique ce qu’est la foi et dit à ceux qui confondent la « fière confiance dans l’avenir de [leur] peuple » avec la foi, qu’ils ne peuvent réclamer le titre de croyant parce que leur « croyance » n’a aucun rapport avec la foi religieuse. Chose qui semble indiquer que le croyant est, dans cette encyclique, celui qui a la foi (telle que définie dans l’extrait, donc la foi catholique). Nous verrons plus bas que cette indication, insuffisante en elle-même, est confirmée par le texte.

Pie XI écrit ensuite plus loin :

« Le croyant a un droit inaliénable à professer sa foi et à la vivre comme elle veut être vécue. Des lois qui étouffent ou rendent difficile la profession et la pratique de cette foi sont en contradiction avec le droit naturel ».

Si les explications précédentes font pencher la balance en faveur d’une certaine interprétation, celles qui suivent permettent de trancher sans l’ombre d’un doute.

Il faut donc ajouter d’une part, que Pie XI utilise le mot « croyant(e) » [abstraction faite des deux passages précités] 4 fois dans l’encyclique, que chaque fois, il s’agit de désigner un sujet catholique.

D’autre part, que le mot « foi », abondamment utilisé, n’est pas détachable de la Vraie Religion, et cela, chaque fois qu’il est employé (hormis certains [rares] passages où il est question de la seule « foi en Dieu »(1), passages qui ne doivent pas être interprétés comme une « défense de la foi théiste », voir explication ci-dessous).

(1) Encore que, même ici, si le lien avec la Vraie Religion n’est pas explicite il est sous-jacent.


Partant du fait que Pie XI distingue en deux parties la « Vraie foi en Dieu » et la « Vraie foi au Christ », certains affirment que l’encyclique « défend la foi théiste ». Ce raisonnement est erroné, déjà parce que dans la première partie (« La Vraie foi en Dieu »), il s’agit pour Pie XI de dénoncer une fausse vision de Dieu [et c’est semble-t-il, une réfutation ciblée du « christianisme positif », ce  « nouveau paganisme agressif », auquel Pie XI oppose le (vrai) Dieu catholique], non pas de défendre positivement la foi théiste qui d’ailleurs « ne peut se maintenir longtemps pure et sans alliage si elle n’est soutenue par la foi au Christ ». Si Pie XI oppose la foi en Dieu à une « foi » panthéistique et idolâtrique, il ne le fait pas pour « défendre la foi théiste » mais pour avertir d’un danger qui corrompt la foi catholique, puisque ladite foi catholique présuppose une croyance en Dieu et donc une juste connaissance de ses attributs.

Pie XI précise dans cette même première partie sur la « Vraie foi en Dieu » que « Notre Dieu est le Dieu personnel, surnaturel, tout-puissant, infiniment parfait, unique dans la Trinité des Personnes, et tripersonnel dans l’unité de l’Essence divine, le Créateur de tout ce qui existe, le Seigneur et Roi et l’ultime consommateur de l’histoire du monde, qui n’admet ni ne peut admettre à côté de lui aucun autre dieu [En lien avec l’interprétation de l’extrait précité « Le croyant à un droit […] avec le droit naturel », on peut préciser que si le vrai Dieu n’admet aucun autre dieu, il serait tout à fait étonnant que Pie XI, lui, admette un droit inaliénable à professer une foi purement théiste, détachée de tout lien avec la Sainte Trinité] ».

Enfin, l’encyclique traite de la situation de l’Église catholique dans l’empire allemand, des problèmes de compatibilité entre le nazisme et le catholicisme, et souvent, il est question de dénoncer les conséquences néfastes qui en résultent pour les catholiques allemands : jamais il n’est fait mention des conséquences pour les autres confessions.

Voir dans cette encyclique une défense de la liberté religieuse pour les juifs [ou tout autre communauté religieuse] est un non-sens absolu. Sur ce point on ne trouvera pas d’échappatoire en relevant que Pie XI insiste sur la valeur de l’Ancien Testament, cette insistance vise, une fois de plus, à avertir des dangers qui guettent l’intégrité de la foi catholique ; les seuls juifs auxquels cette insistance nous fait penser, ce sont les vrais juifs de l’Ancien Testament.

Laissons d’ailleurs Pie XI nous éclairer sur le but de cette encyclique :

« Mais le but de la présente lettre, Vénérables Frères (2), est autre. De même que vous êtes venus Nous faire, à Notre chevet de malade, une visite affectueuse, de même, à Notre tour, Nous Nous tournons aujourd’hui vers vous et, par vous, vers les Catholiques d’Allemagne qui, comme tous les fils souffrants et opprimés, sont plus particulièrement présents au coeur du Père Commun. En cette heure où votre foi est éprouvée, comme l’or, au feu de la tribulation et de la persécution, tant ouverte que cachée, à l’heure où votre liberté religieuse est victime d’un investissement organisé sous mille formes, à l’heure ou pèse lourdement sur vous le manque d’un enseignement fidèle à la vérité et de normales possibilités de défense, vous avez doublement droit à une parole de vérité et de spirituel réconfort de la part de celui dont le premier prédécesseur s’entendit adresser par le Sauveur cette parole si pleine :  » J’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point, et toi, à ton tour, confirme tes frères. » (Luc, XXII, 32.) ».

(2) Les « Vénérables Frères » auxquels Pie XI s’adresse ici sont les « Archevêques et Évêques d’Allemagne et autres Ordinaires en paix et Communion avec le Siège Apostolique ».

En conclusion : il ne fait aucun doute, au regard du texte et du contexte, que dans la phrase « Le croyant a un droit inaliénable à professer sa foi et à la vivre comme elle veut être vécue », « le croyant » et « sa foi » désigne respectivement « le fidèle » et « sa foi catholique ».

Les soutiens d’une autre thèse, s’appuient [notamment] sur l’utilisation du mot « croyant » dans une autre encyclique (Divini Redemptoris).

Cet argument n’a qu’une valeur relative, prime évidemment le sens [non équivoque, nous l’avons vu] donné à l’intérieur de l’encyclique commentée.

Hugo Ch.