Le schisme dans le schisme

L’état actuel de la « communion orthodoxe »


Les schismatiques orientaux, que l’on appelle improprement «orthodoxes», portent bien leur nom de schismatiques : non seulement parce qu’ils sont séparés de l’unité de l’Église catholique depuis des siècles, mais aussi parce que leur mentalité et leurs constitutions contiennent le germe de dizaines d’autres schismes, et les privent de toute unité effective au sein même de leur parti. Au gré des passions nationales et politiques, de nouvelles «églises particulières» se forment, se divisent, et s’affrontent les unes contre les autres.

La notion «d’autocéphalie», qui veut dire pour une église «être sa propre tête», est un principe central de l’ecclésiologie des schismatiques orientaux. Pour eux l’Eglise fondée par Jésus-Christ est une société de constitution aristocratique, dans laquelle le pouvoir juridique et spirituel suprême appartient à certains évêques successeurs des apôtres : ils ont en général le titre de «patriarche», sinon celui de métropolite ou d’archevêque, et ont d’autres évêques sous leur juridiction. Leur idée est de dire que les patriarches sont les successeurs du «Collège des Apôtres», collège égalitaire dans lequel toute préséance ne serait qu’honorifique. Il n’y a aucun chef suprême dans cette organisation : chaque église autocéphale est entièrement autonome, au niveau juridique et même au niveau dogmatique et spirituel. Et donc, que se passe-t-il en cas de litiges entre deux patriarcats, ou de problèmes de juridiction internes ? Qui serait capable de restaurer l’ordre dans l’Eglise universelle ? Qui a le pouvoir de déterminer les contours de l’autocéphalie, ou d’ériger de nouveaux patriarcats ? Bonne question … La réponse est simple : rien ni personne n’est en mesure d’assurer l’ordre et l’unité entre ces différentes «églises autonomes», ni non plus de définir ce qui fonde juridiquement l’autocéphalie, il suffit pour s’en convaincre d’observer l’état actuel du monde «orthodoxe». Les dissensions et les schismes se multiplient, et s’aggravent avec le temps qui passe : nous nous proposons ici de les recenser, de manière non exhaustive (il faudrait maîtriser les langues des pays concernés pour être mieux informés de leur «actualité religieuse»), afin d’illustrer le caractère désastreux de cette doctrine de «l’autonomie ecclésiastique».

En théorie, personne n’a autorité pour décider qui est autocéphale ou qui dépend de quelle juridiction : une certaine coutume fait du patriarche de Constantinople l’autorité morale garante de l’ensemble de la «communion orthodoxe» et habilitée en dernière instance à régler les conflits de juridiction, mais cette coutume est contestée et les Russes en particulier la considèrent comme obsolète. En pratique, c’est l’autorité civile qui décide ou qui fait pression : les différentes juridictions autocéphales et les différents «schismes internes» sont purement et simplement le reflet de la situation politique des territoires concernés. Le césaropapisme du temps de l’empire byzantin est toujours présent dans la vie de ces «églises orthodoxes» : leur soumission plus ou moins totale aux autorités temporelles influe sur tous les domaines de la vie ecclésiale.

C’est encore un sujet sur lequel l’histoire du christianisme démontre la supériorité intrinsèque de la religion catholique et des principes de son ecclésiologie, par rapport à ceux des soi-disant orthodoxes : la primauté du Pape dans l’Eglise, et la primauté du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, sont les deux principes qui ont fait fleurir la chrétienté du Moyen-Age, qui ont donné naissance à une société si propice à la vie religieuse et aux œuvres de bien pour la gloire de Dieu. Il n’y aurait sans doute pas autant de saints dans le calendrier si saint Grégoire VII, la bête noire des schismatiques, des protestants et des gallicans qui en font un «horrible tyran», n’avait pas défendu avec autant de courage et de fermeté la primauté pontificale. Mais cela est encore un autre sujet : contentons-nous pour le moment de montrer les schismes internes aux schismatiques.

Bartholomée de Constantinople et Cyrille de Moscou.
Source de l’image : https://www.cath.ch/newsf/eglises-orthodoxes-russes-en-europe-pas-la-majorite-des-2-3-pour-rejoindre-moscou/

  • Schisme russo-ukrainien. Au jour du 15 octobre 2018, le patriarcat de Moscou rompt la communion avec le patriarcat œcuménique de Constantinople. Le conflit entre les deux juridictions, qui se disputent en quelques sortes la primauté symbolique sur l’ensemble des «orthodoxes» (avec la théorie très populaire faisant de Moscou la «Troisième Rome»), était larvé depuis des siècles : à présent, le schisme est officiel. C’est de loin le schisme le plus considérable des derniers siècles, étant donné le poids démographique et symbolique de la Russie dans le « monde orthodoxe », et la place qu’occupe la Russie sur la scène internationale. La « communion orthodoxe » de Constantinople perds d’un seul coup 50 à 60% de ses membres. Par ailleurs d’autres juridictions autocéphales prennent parti pour les Russes, ou affichent une position mitigée entre les deux camps, ce qui brouille encore les lignes de la « communion orthodoxe ». [1]
    • L’Eglise orthodoxe d’Albanie rejoint franchement le schisme russe, en signifiant sa rupture de la communion par une lettre adressée au patriarche de Constantinople le 14 janvier 2019 et rendue publique le 7 mars 2019. [2]
    • L’Eglise de Serbie joue double jeu. Traditionnellement très russophile, la Serbie avait condamné fermement l’érection d’une église autocéphale en Ukraine (qui fait écho à ses propres problèmes de juridiction avec le Monténégro et la Macédoine du Nord). Elle n’a pas rompu officiellement avec Constantinople pour autant, et continue de donner des gages d’amitié et de communion aux deux partis.
    • Le patriarcat de Roumanie, deuxième juridiction du « monde orthodoxe » par le nombre de fidèles (environ 20 millions) temporise également. Les Roumains se posent en observateurs critiques de la situation : ils accusent les deux partis (Moscou et Constantinople) de ne pas avoir su gérer adroitement la situation. Les Roumains reconnaissent sur le principe la légitimité de l’autocéphalie ukrainienne, mais attendent de la part du patriarcat de Kiev des garanties écrites concernant leur autorité sur les 127 paroisses roumaines situées sur le territoire ukrainien (Bucovine du nord). [3]
    • Le patriarcat de Bulgarie est fortement divisé entre ses éléments russophiles et ses éléments « non-alignés ». Certains clercs avaient vigoureusement fait campagne pour que l’Eglise de Bulgarie condamne l’autocéphalie ukrainienne, qui n’a pas été possible en raison de l’opposition de l’autre tendance. Par défaut, le synode bulgare a pour l’instant une position de neutralité. Cette crise est le reflet de la division entre un parti russophile et un parti européiste au sein de la population bulgare, qui se manifeste jusqu’au sein du haut clergé. [4]
    • Le patriarcat de Géorgie, qui vit dans un climat d’hostilité ou du moins de froideur vis-à-vis de Moscou, n’a pas pour autant pris publiquement position sur la question du schisme ukrainien : le patriarche a pris soin de démentir une rumeur selon laquelle il s’apprêtait à reconnaître la légitimité de l’autocéphalie ukrainienne. Le patriarche géorgien n’avait pas pris part au grand « concile panorthodoxe » de 2016, ce qui montre par ailleurs la froideur de ses relations avec Constantinople. De toutes les « églises autocéphales », elle semble être celle qui se sent le moins concernée par la querelle entre Moscou et Constantinople.
    • Le métropolite de Pologne déclare craindre le « chaos » engendré par cette décision, et ne reconnaît pas la légitimité du nouveau patriarche ukrainien. [5]
    • Les patriarcats grecs d’Antioche et d’Alexandrie ont manifesté leur « grande inquiétude » vis-à-vis de la volonté de Constantinople de séparer l’Ukraine du territoire de Moscou. Un peu plus tard en 2019, un synode des évêques de quatre sièges autocéphales anciens (Antioche, Alexandrie, Jérusalem et Chypre) vise à porter la voix de « l’unité du monde orthodoxe », et entend se poser en médiateur entre Constantinople et Moscou, sur fond de message œcuméniste plus large à destination des « autres Eglises chrétiennes ». [6]
  • Schisme monténégrin. En 1993, dans le sillage de la dislocation de la Yougoslavie, des clercs monténégrins restaurent une « église autocéphale » qui n’est pas reconnue par Constantinople. Cette « Eglise du Monténégro » est reconnue par l’église d’Ukraine (le schisme ukrainien antérieur à l’autocéphalie reconnue par Constantinople), ainsi que par l’église de Macédoine. Environ un tiers de la population du Monténégro suit cette église au détriment de l’église serbe. [7]
  • Schisme macédonien. En 1967 l’archevêché d’Ohrid proclame unilatéralement son indépendance vis-à-vis de l’église serbe : il revendique l’autocéphalie et devient « l’Eglise orthodoxe de Macédoine ». Elle est la seule église reconnue par le gouvernement de Macédoine du Nord et rassemble la majorité de la population du pays.
  • Schisme tchéco-slovaque. En janvier 2014, l’élection de l’archevêque slovaque Rotislav à la tête de la « juridiction autocéphale des Terres tchèques et de Slovaquie » est contestée par d’autres évêques tchèques de cette juridiction. Les Slovaques reconnaissent Rotislav comme patriarche légitime, les Tchèques ne le reconnaissent pas et demandent à Constantinople d’arbitrer le différent. Entre temps, le slovaque Rotislav a officiellement soutenu le schisme russe et appelé à condamner toute tentative visant à « légaliser les schismatiques ukrainiens ». [8]
  • Schisme abkhaze. L’Abkhazie est un petit état du Caucase, indépendant de facto de la Géorgie depuis 1992, mais dont la souveraineté n’est reconnue que par sept autres états. La situation de guerre avec la Géorgie a abouti à l’expulsion de tout le clergé géorgien, et à l’organisation d’une vie ecclésiale de facto indépendante : en 2009 l’autocéphalie de «l’Eglise orthodoxe abkhaze» est déclarée unilatéralement, et n’est reconnue ni par le patriarcat géorgien ni par le patriarcat russe. Un schisme apparaît au sein même de ce schisme : le «Saint Métropolitanat d’Abkhazie» fait concurrence à «l’Eglise orthodoxe abkhaze», et parvient à se placer sous la protection canonique de Constantinople, tandis que le second groupe dépends de manière officieuse de la Russie. [9]
  • Schisme antiochien. En 2015, le patriarcat d’Antioche rompt la communion avec le patriarcat de Jérusalem, avec lequel il se partage les différents pays du Moyen-Orient, à la suite d’un différend qui les a opposés concernant la juridiction du Qatar. [10]
  • Schisme américain. En 1970, le patriarcat de Moscou reconnaît l’autocéphalie de «l’Eglise orthodoxe en Amérique». Fort contestée, cette autocéphalie est notamment refusée par Constantinople, et n’est reconnue que par les juridictions qui se trouvaient à l’époque sous influence russo-soviétique : les églises bulgare, géorgienne, polonaise et tchéco-slovaque.
  • Schisme français. La situation de « l’Eglise catholique orthodoxe de France » (ECOF), petit groupe d’environ 4000 fidèles, semble illustrer l’absurdité qu’il y a pour des ressortissants de nations catholiques à vouloir « rejoindre la communion orthodoxe », étant donné que nul ne sait dire ce qui définit réellement cette communion. Elle est fondée par le prêtre moderniste Louis-Charles Winnaert, qui avait apostasié de la religion catholique en 1919 et avait depuis erré entre les anglicans, les vieux-catholiques et les occultistes théosophiques de «l’Eglise catholique libérale». Winnaert développe à partir de 1927 le souci de rejoindre la «communion orthodoxe» tout en ayant une expérience religieuse authentiquement «gallicane» : il invente un «rite des Gaules», et veut se placer sous les hospices de la Russie tout en maintenant cette identité particulière. Son «église» est reconnue par le patriarcat de Moscou entre 1936 et 1953. Puis l’ECOF se place en 1957 sous la juridiction de «l’Eglise orthodoxe russe hors frontières», qui était le schisme des clercs russes qui avaient préféré l’exil à la domination du communisme. En 1966 cette communion est rompue. Toujours à la recherche d’une protection canonique, l’ECOF se met finalement sous l’égide du patriarcat de Roumanie en 1972 : elle devient un diocèse de cette juridiction. Mais en 1993, le patriarcat de Roumanie rompt la communion avec l’ECOF. Elle semble être depuis lors dans une sorte d’autocéphalie de facto … Qui voudrait se «convertir à l’orthodoxie» en France aurait alors le choix entre ce groupe, d’autres groupes français étranges et sans reconnaissance canonique comme «l’Eglise orthodoxe celtique», et des dizaines d’autres paroisses ethniques, qui dépendent des différentes juridictions autocéphales : église russe, église de Constantinople, église roumaine, église serbe, église bulgare, etc … qui peut-être ne s’estiment pas toutes en communion les unes avec les autres.

Voici donc le modèle de « synodalité » auquel nous convient Vatican II et les modernistes, qui fustigent la « tyrannie pontificale » et le « centralisme romain », tout comme leurs amis les schismatiques. Ceux-ci ressemblent à des enfants qui, s’étant soustraits à l’autorité de leur père, se sentent soulagés et libres de faire tout ce qui leur plaît : ces enfants donc commencent à se disputer et à se déchirer entre eux de manière interminable, personne n’ayant à leur yeux une autorité légitime pour arbitrer les différents, et pour ramener chaque membre de la famille à la considération du bien commun et de l’unité. Ils devraient plutôt comprendre que se soumettre à un père n’est pas une torture ou un empiétement sur nos droits fondamentaux, même si cela demande un peu d’humilité et d’abnégation : il s’agit d’une nécessité harmonieusement ordonnée au bien du tout et des parties. Dieu a voulu que l’Eglise ait un père en la personne de saint Pierre et de ses successeurs : l’humble soumission au pontife romain a toujours été un principe de paix, d’ordre, d’unité et de sainteté pour des générations de chrétiens fidèles, à commencer par la génération des Pères de l’Eglise, et il est vraiment pénible de voir de plus en plus de «catholiques», ignorants de leur propre histoire, faire leurs les reproches amers et injustifiés des schismatiques contre Rome.

La «collégialité» des conciliaires n’est qu’une version un peu améliorée de cette fausse ecclésiologie : elle inclut la primauté réelle (et pas simplement honorifique) de juridiction de l’évêque de Rome, successeur de saint Pierre, mais la réduit beaucoup et augmente en contrepartie le pouvoir et l’autonomie de chaque évêque diocésain. L’Eglise des collégialistes est une sorte de monarchie parlementaire, ou moins que cela, car le pape n’est que «le premier du Collège des évêques», Collège qui devient, dans cette nouvelle doctrine, sujet de pouvoir plénier et universel sur l’Eglise. Chaque évêque recevrait directement son autorité de Dieu, par le biais du sacre épiscopal : cela rapproche beaucoup les conciliaires des schismatiques et de leur doctrine de l’autocéphalie. La véritable eccésiologie catholique n’enseigne pas du tout cela : l’Eglise est une monarchie absolue, fondée sur saint Pierre par Jésus-Christ comme nous le voyons dans l’évangile, dans laquelle toute juridiction relève du pape en dernière instance. La doctrine de l’Eglise est que la juridiction de l’évêque résident vient directement du Pape, par le «mandat romain», et non pas du sacre épiscopal (qui confère la plénitude du sacerdoce, mais pas de juridiction particulière). Et au delà de la question de l’origine de la juridiction épiscopale, il n’y a aucun domaine dans lequel un évêque pourrait résister à la juridiction suprême du Pape (contrairement à ce qu’affirmaient les gallicans de la Petite-Église, qui eux défendaient cette fausse théorie d’une juridiction autonome venant du sacre épiscopal : c’est en soi un principe infini de schisme, si chaque évêque pouvait décider que le pape empiétait sur ses droits propres et refuser de lui obéir).

Contempler les divisions interminables du monde « orthodoxe » est un moyen efficace de considérer, par comparaison, à quel point la constitution divine de l’Eglise, qui fait de cette société une monarchie absolue, est pleine de sagesse et est vraiment propre à procurer le bien des fidèles et l’unité du monde chrétien. Ceux qui prétendent que l’Eglise catholique doit s’inspirer des «orthodoxes» et de leur «synodalité» pour réaliser l’idéal de l’unité du monde chrétien s’aveuglent complètement : seule la soumission commune au successeur de saint Pierre pourrait être un véritable principe d’unité, et l’Eglise avant Vatican II n’a jamais entendu l’«œcuménisme» autrement que comme le retour dans la communion romaine des chrétiens séparés. Puissions-nous le comprendre et le vivre : prions chaque jour pour le retour des égarés dans la véritable Église, et pour que cette Eglise retrouve un chef visible qui soit capable de ramener les brebis à l’unité.

Jean-Tristan B.


[1]https://www.la-croix.com/Religion/Orthodoxie/Entre-Moscou-Constantinople-monde-orthodoxe-divise-2018-10-19-1200977224

[2]https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=https%3A%2F%2Fmospat.ru%2Ffr%2F2019%2F03%2F09%2Fnews171254%2F#federation=archive.wikiwix.com

[3]https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/mediateur-ou-spectateur-l-eglise-orthodoxe-roumaine-face-au-conflit-politico-religieux-en-ukrain

[4]https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/l-eglise-orthodoxe-bulgare-face-l-autocephalie-de-l-eglise-orthodoxe-d-ukraine

[5]https://www.la-croix.com/Religion/Orthodoxie/nouvelle-Eglise-dUkraine-fait-peur-orthodoxes-polonais-2019-01-08-1200993950

[6]https://www.terresainte.net/2019/04/unite-des-primats-dalexandrie-antioche-jerusalem-chypre/

[7]https://journals.openedition.org/balkanologie/595

[8]https://en.wikipedia.org/wiki/Rastislav_(Gont)

[9]https://fsspx.news/fr/news-events/news/un-schisme-intra-orthodoxe-69832

[10]https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Actualite/Monde/Le-Patriarcat-orthodoxe-d-Antioche-rompt-la-communion-avec-le-Patriarcat-de-Jerusalem-2015-07-09-1332919

Les miracles de Jésus-Christ

Nous avons vu que les Évangiles jouissaient d’une parfaite intégrité (le texte n’a pas été altéré dans son fond depuis sa rédaction), d’une totale authenticité (les auteurs sont bien les premiers disciples de Jésus qui ont écrit sur lui au 1er siècle, peu de temps après sa mort) et d’une indiscutable véracité (Les récits évangéliques sont vrais et les auteurs dignes de confiance). Avec constance, Jésus s’est affirmé envoyé de Dieu, Messie, Fils de Dieu, Dieu lui-même. Dans la section consacrée à l’étude de la personne même de Jésus, nous avons vu à quel point sa physionomie, sa doctrine et sa conduite étaient ravissantes, en bonté, en vérité et en beauté. Ces seuls critères permettent à tout un chacun de conclure à la divinité de Jésus-Christ et de sa religion, par conséquent à la nécessité de se faire son fidèle disciple. 

En effet, Jésus possède une science merveilleuse et une intelligence lumineuse. Il n’a pas pu se tromper en des domaines aussi graves que la nature et la volonté Dieu, la destinée des hommes, les obligeant à réformer leur vie et à tout abandonner pour le suivre ; ceci pendant trois ans et sans relâche aucune ! Il aurait prêché une chose qu’il savait fausse ou indémontrable, cela démontrerait un défaut d’intelligence et une grande perversité morale. Il eût commis des crimes contre Dieu en usurpant ses droits, contre les hommes en les trompant, contre lui-même en s’exposant à la damnation. Au contraire, ses amis comme ses ennemis admettent la merveille, l’unité et l’harmonie de sa doctrine, des dogmes et des préceptes qu’il a enseignés avec prudence et régularité. Jésus a fait preuve d’une sainteté héroïque envers Dieu, en l’honorant avec amour, envers le prochain en l’irradiant de sa bonté, de sa charité et de ses conseils avec douceur et fermeté, envers lui-même en pratiquant l’humilité, l’obéissance et la mortification. Sa science éminente est incompatible avec l’erreur, le doute et le balbutiement hasardeux du discours. Il savait donc tout ce qu’il disait et en mesurait pleinement la portée. Son éminente sainteté est incompatible avec l’hypocrisie, le mensonge et l’ambition personnelle. Il disait donc toujours la vérité avec une franche sincérité. Admettre sa science et sa sainteté et nier sa divinité, c’est se confiner à défendre une absurdité. Il se dit Fils de Dieu, c’est qu’il l’est. D’autre part, pourquoi avoir persévéré avec une telle constance et une telle humilité dans une doctrine qu’il savait fausse alors même que cette doctrine était pour lui-même un sujet de persécution et de condamnation ? Enfin, nous avons vu que le miracle ne pouvait avoir que Dieu pour cause. De plus, nous savons que Dieu est la Vérité même. Or, cette science et cette sainteté miraculeuses et uniques dans toute l’histoire de l’humanité auraient-elles été soutenues par Dieu si le message de Jésus était faux ? Non, évidemment.

Mais nous pouvons ajouter des preuves externes et plus impressionnantes pour les sens. Jésus lui-même les a utilisés afin de montrer de manière irrécusable sa divinité. Ce sont les miracles d’ordre physique. Si Jésus a véritablement opéré de tels miracles, alors Dieu était avec lui, c’est une conclusion que nous sommes contraints de tirer, comme nous l’avons déjà montré précédemment. Or, si Dieu était avec Jésus, ce que Jésus a dit est vrai et nous devons embrasser sa religion. Voyons ceci plus en détails. 

Les miracles d’ordre physique opérés par Jésus

I. Les faits miraculeux attribués à Jésus.

Nous verrons d’abord ceux que Jésus a accomplis sur les corps, c’est-à-dire les miracles d’ordre physique ; il suffit de lire l’Évangile pour voir qu’ils furent très nombreux, et encore, saint Jean nous avertit qu’ils sont loin d’être tous racontés dans ce livre (Saint Jean, XXI, 25). Ils furent aussi mêlés à tous les évènements de la vie du Maître, donnés comme preuve de ses enseignements, et entrent, comme des parties indispensables, dans la trame du récit.

A. Jésus opéra des miracles sur les éléments de la nature : 

  • Changement de l’eau en vin aux noces de Cana (Saint Jean, II, 1, 11) ; 
  • Tempête apaisée (Saint Matthieu, VIII, 24, 26) ; 
  • Marche sur les flots (Saint Matthieu, XIV, 25) ; 
  • Deux pêches miraculeuses (Saint Luc, V, 1, 11 ; Saint Jean, XXI, 3, 11)
  • Les deux multiplications des pains, le figuier desséché, etc.

B. Il en opéra un bien plus grand nombre sur le corps humain :

  1. Soit pour opérer des guérisons de malades, de lépreux, de paralytiques, de sourds-muets, d’aveugles, d’hydropiques ;
  1. Soit pour en chasser les démons, esprits mauvais qui les possédaient et les torturaient (par exemple : Saint Luc, VIII, 33, 37 ; Saint Marc, V, 1, 2, 20 ; IX, 14, 29) ;
  1. Soit, enfin, pour opérer des résurrections, exerçant ainsi sa puissance sur la mort elle-même. L’Évangile rapporte trois résurrections :
  • Celle du fils de la veuve de Naïm (Saint Luc, VII, 11, 17) ;
  • Celle de la fille de Jaïre, chef de la Synagogue (Saint Matthieu, IX, 18, 26 ; Saint Marc, V, 21, 43 ; Saint Luc, VIII, 40, 56) ;
  • Celle de Lazare à Béthanie (Saint Jean, XI, 1, 44).

N.B. – On pouvait ajouter les miracles opérés par Dieu à l’occasion de Jésus : à sa naissance (apparition des anges et de l’étoile) ; à son baptême (voix du Père et manifestation du Saint-Esprit par une colombe) ; à sa Transfiguration (le fait même et l’apparition de Moïse et d’Élie) ; à sa mort –ténèbres, voile du Temple déchiré, résurrection des morts) ; à sa résurrection et à son ascension (apparition d’anges).

II. Ce qu’il faut penser de ces faits.

Après ce qui a été dit dans la section sur les miracles en général, il nous suffira de montrer ici la vérité historique, théologique et apologétique des faits miraculeux rapportés dans l’Évangile et attribués à Jésus. Pour cela, nous n’aurons qu’à appliquer les principes donnés à ce propos. 

1. Vérité historique

Ces faits sont certains historiquement. Ce sont des faits réels qui nous ont été rapportés tels qu’ils ont eu lieu. 

A. Les faits ont été dûment constatés. En effet, ce sont des faits :

a) sensibles, extraordinaires, donc faciles à constater ; (Les faits, si ils sont extraordinaires, s’entourent cependant toujours de circonstances bien précises et d’une entière simplicité. En effet, les faux miracles, les supercheries, les mythes païens ou certains récits apocryphes (les récits évangéliques qui ne sont pas approuvés par l’Eglise et donc ne sont pas inspirés par Dieu, n’ont pas leur place dans la Sainte Écriture) sont toujours entourés de circonstances (temps, lieu, coutumes, culture, etc.) très vagues et souvent incohérentes. De plus, ils relèvent souvent bien plus du sensationnel qui flatte la curiosité et joue sur l’imagination que d’une profonde simplicité au service d’une cause noble et juste. Les récits évangéliques sont empreints de cette précision (ils correspondent aux travaux archéologiques, à la culture et aux coutumes de l’époque, aux temps et aux lieux historiques, etc.) et de cette simplicité : rien n’est superficiel, rien n’est ajouté pour flatter la vanité, rien n’est sur-joué et farfelu, tous les détails racontés ont toute leur place et aucun détail inutile ne trouve la sienne. Jésus, par humilité, demande même parfois que ces miracles ne soient pas connus. Rien de commun avec un imposteur. Enfin, les faits sensibles et extraordinaires qui sont en dehors du cours ordinaire des choses sont vérifiables et expérimentés encore aujourd’hui. L’image unique du saint-suaire est miraculeuse. Les miracles de Lourdes ne peuvent être remis en cause, pas plus que les miracles qui eurent lieu lors de l’apparition de Fatima en 1917 au Portugal. Ce sont les plus connus, mais de très nombreux faits miraculeux dûment constatés parsèment l’histoire. Ces faits incontestables ont eu lieu. Or, même sans émettre d’hypothèse sur leur origine et leur but, leur réalité historique suffit pour ne jamais nier a priori et sans examen un miracle. Donc, l’historicité des miracles opérés par Jésus ne peut être mise à mal par une simple négation de principe qui sent plus la mauvaise foi et la négligence que l’amour de la vérité et l’humilité.)

b) d’importance et de conséquences graves, donnés comme preuves à une doctrine élevée, difficile et austère : donc on y aura fait grande attention avant de les accepter (on ne pouvait se contenter de dire : « ah oui impressionnant ce miracle, bravo vraiment je vous félicite », puis continuer son chemin comme si de rien n’était ! Si ce miracle était réel, il impliquait que la doctrine de Jésus venait de Dieu et était vraie et par conséquent qu’il fallait changer entièrement de vie. Dans une semblable situation et avec des circonstances si graves, il était impossible de laisser place au doute, l’examen du miracle devait être soumis à un examen rigoureux et à une réflexion sérieuse.)

c) opérés publiquement, en présence d’adversaires (par exemple : la guérison de l’aveugle-né, du paralytique, la multiplication des pains, la résurrection de Lazare). (Or, aucune protestation contre la réalité de ces faits n’a eu lieu à l’époque. Nous ne retrouvons nulle trace, nul document qui attesterait d’une quelconque remise en cause de la réalité de ces faits ! Même les adversaires de Jésus-Christ, l’historien juif Flavius Josèphe par exemple, n’ose pas nier la réalité historique de ces miracles, ils se contentent naïvement de les attribuer au démon. Cette attribution est évidemment vaine, eu égard aux principes que nous avons énoncés dans la section générale sur les miracles. La foule était à chaque fois nombreuse, composée de divers peuples qui ont par la suite diffusé ces miracles dans leurs contrées et sont parfois morts pour en défendre l’authenticité. Enfin, êtes-vous capables de citer un seul et unique exemple de faits miraculeux opérés en public et ayant conquis une foule si nombreuse qu’elle a formé une immense société religieuse aux quatre coins du monde, société dont la croissance s’est faite avec une doctrine de paix, de renoncement et d’amour, hormis celui de Jésus-Christ et de ses disciples en religion ? Si une personne quelconque essayait de faire des miracles ou de tromper les gens en leur faisant croire à ses miracles, serait-elle suivit ? Pourrait-elle être à l’origine d’une religion organisée, cohérente, florissante et féconde en sainteté ? D’une religion qui prêche le renoncement et les efforts ici-bas pour une récompense au ciel ? Qui impose l’amour des ennemis, tendance qui paraît si contraire à la manière dont le genre humain a toujours agi ? Pourrait-elle s’être attaché une foule immense de fidèles disciples prêts à mourir pour lui et pour sa doctrine, avec constance à travers le temps et l’espace ? Ce faussaire pourrait-il avoir des apôtres et des martyrs, tous exemplaires en droiture et en honnêteté, tous désintéressés, raisonnables et équilibrés, plein d’humilité et d’amour de la vérité, qui donneraient leur vie pour lui ? En tout cas, nous n’en avons aucun exemple historique. Le seul est celui de Jésus-Christ. Les faussaires sont souvent des déséquilibrés qui créent des sectes et exploitent les pauvres gens crédules ou en détresse. Ils ne produisent aucun fruit et ne jouissent d’aucune crédibilité sérieuse. Mahomet n’a fait aucun miracle constatable et a répandu sa doctrine charnelle et facile à suivre par les armes. Jésus-Christ, galiléen, sans naissance et sans richesse, né dans une humble famille de Nazareth, petit hameau sans ressources dont les habitants étaient méprisés par les judéens et les élites juives, porteur d’une doctrine de renoncement, de paix et d’amour qui visait plutôt le ciel que la terre, est aujourd’hui l’homme le plus connu de l’humanité, celui dont l’on chante le plus haut les louanges, celui pour qui l’on érige temples les plus glorieux et au nom de qui l’on fait les actions les plus saintes. Il y aurait disproportion patente entre cet effet si gigantesque en magnificence et en fruits de bonté et cette cause si humble et si petite qu’est l’enfant de la grotte de Bethléem. Seule l’assistance de Dieu et la réalité publique des miracles peuvent expliquer cela. Donc Jésus-Christ a bien opéré des miracles en public, miracles dûment constatés et dûment diffusés. Ô bonté de Dieu !)

B. Les faits ont été véridiquement transmis. Ils sont contenus dans les évangiles, dont la véracité a été démontrée. La fidélité dans la transmission du récit est garantie, d’ailleurs :

a) par l’importance des faits et la place de premier plan qu’ils occupent dans l’ouvrage ;

b) par les preuves de sincérité des narrateurs (simplicité, précision du récit, héroïsme calme jusque dans le martyre) ;

c) par le soin et la surveillance dont amis et adversaires ont entouré ce livre.

2. Vérité théologique.

Ces faits sont vraiment des miracles. Les faits innombrables, allégués comme tels en l’Évangile, sont de vrais miracles, ayant Dieu seul comme cause principale et propre et opérés par Lui en dehors du cours ordinaire des choses.

A. Arguments positifs (constatation directe d’une action divine extraordinaire) :
  1. Les faits énoncés comme miraculeux dans l’Évangile s’opposent aux lois de la nature, clairement connues sur ces points : par exemple, la résurrection d’un cadavre, la guérison subite d’un aveugle-né sans moyen approprié ;
  2. Il n’y a dans les récits de l’Évangile que des circonstances en lesquelles jamais le fait ne se produit selon le cours ordinaire des choses ; la cause (par exemple : une parole, un geste) est sans aucune proportion naturelle avec l’effet ;
  3. Le sujet aussi est impuissant à recevoir l’effet. La disproportion existe soit pour recevoir l’effet lui-même (par exemple : le cadavre, pour recevoir la vie) ; soit pour recevoir cet effet instantanément (par exemple : changement instantané de l’eau en vin). Pour les résurrections, d’autres arguments encore seront donnés à propos de la résurrection de Jésus lui-même.
B. Arguments négatifs (par exclusion des causes inférieures à Dieu).
  1. Les miracles de Jésus ne sont pas explicables par les forces naturelles cachées et encore inconnues. Les causes naturelles agissent toujours suivant un déterminisme rigoureux (les mêmes causes, dans des circonstances identiques, produisent les mêmes effets). Or, dans les narrations évangéliques :
  • Parfois des causes et des circonstances naturellement différentes amènent le même effet (des aveugles, par exemple, sont guéris tantôt par une simple parole, tantôt par un attouchement) ;
  • Ailleurs, le même moyen (une simple parole) produit des choses aussi différentes que sont une résurrection et l’arrêt subit d’une tempête ;
  • Ailleurs encore, aucun moyen n’est employé (par exemple, dans le miracle de Cana), et l’effet se produit.
  1. Il faut de même exclure toute explication par des phénomènes hypnotiques. Tout le démontre impossible :

1° soit les œuvres elles-mêmes, qui souvent sont totalement disproportionnées, par exemple les résurrections et les miracles sur les choses ;

2° soit le mode opératoire : ici, il est souvent nul ou très varié, alors que la technique hypnotique est minutieuse et précise ;

3° soit les sujets, qui sont très divers, et non pas spécialement choisis comme nerveux : les miraculés de Jésus ne sont pas des « médiums » ;

4° soit le caractère instantané des guérisons, qui n’existe jamais dans les cas d’hypnotisme, de l’aveu même des spécialistes de la psychothérapie.

  1. Exclusion du démon :

1° Il faut d’abord remarquer que, dans beaucoup de miracles de Jésus, le démon se combattait lui-même (expulsions des démons) ;

2° Jésus fait des œuvres que le démon est radicalement incapable de faire (résurrections) ; ou que Dieu ne laisserait pas faire au démon parce qu’elles troubleraient les lois de la nature (par exemple : la marche sur les eaux.)

3° D’ailleurs, aucune empreinte de mal n’apparaît, ni en Jésus lui-même, ni en ses miracles, comme il le faudrait s’ils étaient diaboliques. Au contraire, Notre-Seigneur est très saint et sa doctrine est irréprochable. Tout s’oppose donc à ce qu’il soit l’instrument du démon.

Il est donc nécessaire d’admettre que les faits attribués à Jésus et opérés par Lui sont des faits en dehors du cours ordinaire des choses et exigent une intervention spéciale de Dieu lui-même.

3. Vérité apologétique.

Ces miracles sont faits pour prouver la divinité de Jésus et de sa doctrine. Ces évènements, réels et vrais miracles sont faits dans un but déterminé : prouver la divinité de la révélation chrétienne et de Jésus lui-même. Ils sont mis en relation de preuve à thèse avec cette révélation.

A. Relation explicite.
  1. Pour tous les miracles de Jésus en général :

1° Jésus met une relation générale de preuve à thèse entre sa doctrine et sa personnalité divine, d’une part, et tous ses miracles, ses œuvres, d’autre part : « Croyez à mes œuvres », dit-il sans cesse. « Les œuvres propres à mon Père et que je fais témoignent pour moi. » « Allez, rapportez ce que vous voyez et entendez : les aveugles recouvrent la vue ; les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés ; les sourds entendent ; les morts ressuscitent. » (Saint Matthieu, XI, 5 ; Saint Jean, V, 36 ; X, 25 ; X, 37, 38 ; XIV, 12 ; XV, 22, 24, etc.)

2° A son appel, ou, mieux, à son commandement (fait en son nom propre, d’ailleurs), le miracle se produit aussitôt.

3° Aucune intention spéciale de Dieu, différente de celle indiquée par Jésus ou s’y opposant, n’est manifestée et n’apparaît pour les miracles du Christ. Dès lors, les trois conditions nécessaires pour la valeur apologétique des miracles sont remplies dans ceux de Jésus ; ils prouvent donc la divinité de ses enseignements et, aussi comme Il l’affirme, la divinité de sa personne.

  1. Spécialement cette mise en relation est extrêmement lumineuse :

1° Dans la guérison de l’aveugle-né : « Crois-tu au Fils de Dieu ? » (Saint Jean, X, 36.)

2° Dans la guérison du paralytique : « Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme peut remettre les péchés. » (Saint Marc, II, 10, 11.)

3° A la résurrection de Lazare (Saint Jean, XI), où des affirmations très nettes sont répétées plusieurs fois (Lire le chapitre entier de saint Jean. Par exemple : 

« Jésus leur dit : Cette maladie (celle de Lazare) ne va pas à la mort ; mais elle est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle. » (Saint Jean, XI, 4.) 

« Marthe, la sœur du mort, lui dit : Seigneur, il sent déjà mauvais ; car il y a quatre jours qu’il est là. Jésus lui dit : Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ? Ils enlevèrent donc la pierre. Et Jésus, levant les yeux en haut, dit : Père, je vous rends grâces de ce que vous m’avez écouté. Pour moi, je savais que vous m’écoutez toujours ; mais je parle ainsi à cause du peuple qui m’entoure, afin qu’ils croient que c’est vous qui m’avez envoyé. Ayant dit cela, il cria d’une voix forte : Lazare, viens dehors. Et aussitôt le mort sortit, ayant les pieds et les mains liés de bandes, et le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit : Déliez-le, et laissez-le aller. Beaucoup donc d’entre les Juifs, qui étaient venus auprès de Marie et de Marthe, et qui avaient vu ce qu’avait fait Jésus, crurent en lui. » (Saint Jean, XI, 39-45.)

D’ailleurs, tous les disciples l’ont bien compris ainsi et croient en Lui dès son premier miracle (Saint Jean, II, 11). Nicodème le lui dit clairement : « Maître, nous savons que vous êtes venu de Dieu pour nous enseigner, car nul ne peut faire les miracles que vous faites, si Dieu n’est pas avec lui. » (Saint Jean, III, 2). Les foules étaient dans l’admiration et disaient : « N’est-ce point là le Fils de David ? »

B. Relation implicite. La mise en rapport explicite faite par Jésus est encore confirmée de plusieurs façons :
  1. Dieu, en accordant un tel pouvoir au thaumaturge qui se dit constamment son fils unique, sanctionne cette affirmation. Si elle était fausse, Dieu soutiendrait le mensonge, ce qui est impossible.
  1. Jésus, d’ailleurs, accorde à Ses disciples le pouvoir de faire des miracles pour donner la foi en Lui (Saint Matthieu, XVI, 17 ; Saint Jean, XIV, 12). Donc les siens ont le même but.
  1. Ses miracles étaient prophétisés et réalisent ces prophéties. Il le rappelle (Saint Matthieu, XI, 5).
  1. Comme on l’a vu, Dieu fait des miracles à l’occasion de la naissance et de la mort de Jésus ou en d’autres circonstances se rapportant à Lui. Donc, Dieu s’est engagé en sa faveur. Il faut donc conclure que les miracles physiques de Jésus prouvent sa divinité. Ils en sont la « signature divine », indubitable et éclatante.

Modernisme et faux visionnaires : l’enfer vide

Hans Urs von Balthasar et Adrienne von Speyr

Peu de théologien ont acquis une réputation et un renom comparables à celui de Hans von Balthasar dans le monde conciliaire. Il est véritablement une référence et une autorité, et, ce qui nous semble d’autant plus intéressant, il l’est notamment pour les partisans les plus «conservateurs» de Vatican II, qui s’opposent violemment au progressisme : il est connu en effet pour avoir critiqué les dérives de l’église post-conciliaire, et pour avoir fondée la revue de «sensibilité conservatrice» Communio, avec Joseph Ratzinger et Henri de Lubac. Ledit Ratzinger, devenu «Benoît XVI», laisse entendre que ses deux théologiens préférés sont ses amis de longue date von Balthasar et de Lubac. Jean-Paul II était également l’ami personnel de von Balthasar, et lui a offert la dignité cardinalice peu de temps avant sa mort en 1988, pour consacrer son œuvre théologique et lui donner une autorité supplémentaire (comme il l’a fait pour Congar).

Voici ce qu’il dit de lui dans le discours qu’il prononce à l’occasion du «prix international Paul VI» qu’il lui décerne pour sa contribution à la théologie (1984) :

Sa passion pour la théologie, qui a soutenu son engagement dans la réflexion sur les œuvres des Pères, des théologiens et des mystiques, reçoit aujourd’hui une importante reconnaissance. Il a mis ses vastes connaissances au service d’une «intelligence de la foi» capable de montrer à l’homme contemporain la splendeur de la vérité qui émane de Jésus-Christ

https://www.cath.ch/newsf/hans-urs-von-balthasar-theologien-hors-norme-1-2/

Balthasar aurait certainement sa place dans un «top 5» des plus grands théologiens conciliaires (aux côtés de Yves Congar, Henri de Lubac, Joseph Ratzinger et Karl Rahner). Il se distingue de ses collègues précédemment cités par une sorte d’aura de piété et un intérêt particulier pour la mystique ; sa «cause de béatification» a été initiée en 2018 dans le diocèse suisse de Coire.

Or une grande partie de l’immense œuvre de von Balthasar est directement liée aux prétendues visions, révélations et apparitions de son étrange amie Adrienne von Speyr (1902-1967), femme mariée d’origine protestante exerçant la profession de médecin jusqu’en 1954, convertie au catholicisme en 1940 (après avoir été catéchisée par von Balthasar) et revendiquant avoir eu à partir de ce moment des expériences mystiques extraordinaires, une communication quasiment permanente avec l’au-delà. Balthasar était obnubilé par cette voyante : il est allé jusqu’à quitter l’ordre jésuite en 1950, ordre dans lequel il était entré en 1928, pour aller vivre chez von Speyr et son mari, et recueillir quotidiennement le récit de ses expériences mystiques. Il collabore avec elle pendant 27 ans, et vit chez elle pendant 15 ans. Interrogé sur son œuvre, le théologien répond volontiers qu’elle n’est rien par elle-même et que le mérite en revient plutôt à Adrienne von Speyr, chez qui il aurait puisé l’essentiel de sa science des choses surnaturelles. Il a en effet publié environ 60 ouvrages à propos des visions et révélations de von Speyr, dont il est l’unique témoin, dépositaire et commentateur.

Cette manière d’argumenter sur des grandes questions théologiques à partir de visions et de révélations privées, et cette relation «fusionnelle» entre une femme mariée et un prêtre sont tellement singulières et étranges qu’elles suscitent aujourd’hui encore de la méfiance auprès de certains conciliaires, qui n’ont pas tout oublié de la doctrine catholique et de l’esprit de l’Église. Un certain Ralph Martin, professeur de théologie au séminaire du Sacré-Cœur de Détroit (États-Unis), publie en 2014 dans la revue Angelicum un article intitulé «Balthasar and Speyr : First Steps in a Discernment of Spirits». [1] Pour ne pas attaquer trop brutalement cette figure si respectée du monde conciliaire, tant louée et honorée par les «papes», il use de précautions oratoires assez merveilleuses : n’étant pas du tout convaincu de la vérité de la principale thèse de von Balthasar et de von Speyr sur l’impossibilité pratique de la damnation (et à raison, puisque cette thèse contredit au moins l’enseignement ordinaire de l’Église, si elle ne contredit pas formellement certains passages de l’évangile), il propose quelques «réflexions préparatoires», quelques «premiers pas» pour permettre un meilleur «discernement des esprits» sur l’origine surnaturelle des visions d’Adrienne von Speyr et des thèses théologiques qui en sont issues. Pour nous qui ne sommes pas retenus par les mêmes impératifs de respect humain vis à vis des institutions conciliaires, il apparaît que tout ce que rapporte Ralph Martin dans son article est de nature à faire conclure certainement à la fausseté des visions de von Speyr [2]. Nous avons donc un cas d’école de fausses visions et de fausses révélations privées invoquées à l’appui d’une fausse doctrine.


Une doctrine fausse et scandaleuse

Balthasar l’avoue lui-même à demi-mot : cette proposition suivant laquelle la damnation est possible en théorie, mais impossible en pratique (infiniment improbable, suivant les termes que Balthasar reprend à Édith Stein), dont il trouve la confirmation dans les prétendues révélations de Speyr, est le fruit d’un effort visant à concilier l’hérésie de l’apocatastase avec l’enseignement de l’Église. L’apocatastase est une doctrine suivant laquelle à la fin des temps tout sera restauré «dans son ordre originel», ce qui signifie notamment que les démons et les damnés seront pardonnés et participeront à la gloire des bienheureux. Autrement dit, c’est une doctrine suivant laquelle «tout le monde se sauve». C’est une des thèses les plus célèbres d’Origène (185-253), et l’une de celles qui valut à cet auteur d’être anathématisé par le magistère de l’Église catholique, dans le 11e canon du IIe concile de Constantinople (553). Le pape Vigile (537-555) a par ailleurs condamné 9 propositions issues des écrits d’Origène (que l’on peut retrouver dans la compilation de textes magistériels du Denzinger, aux canons 403-410 de l’édition de 1957) ; l’apocatastase est condamnée par le pape en ces termes : «Si quelqu’un dit ou pense que le châtiment des démons et des impies est temporaire, et qu’il prendra fin après un certain temps, ou bien qu’il y aura restauration des démons et des impies, qu’il soit anathème». Les réflexions ultérieures sur l’apocatastase dépassent la simple question du pardon des démons et des damnés pour se concentrer sur la question plus générale du salut universel.

Von Balthasar, fasciné par Origène et en particulier par son eschatologie, veut croire à cette folle doctrine du salut universel, sans pour autant blesser extérieurement l’orthodoxie : il cherche à élaborer un cadre dans lequel on pourrait professer extérieurement l’enseignement de l’Église tout en le minimisant au point de pouvoir croire presque sans concessions à la thèse opposée. Remarquable exercice «d’herméneutique de la continuité» entre Origène et le IIe Concile de Constantinople…

Le fait de savoir si le Concile de Constantinople et le pape Vigile condamnent l’apocatastase et les autres doctrines hétérodoxes de l’origénisme est, paraît-il, l’objet de débats ou de réserves entre théologiens et historiens de l’Église : le canon ne précise aucune doctrine particulière, certes, mais il inclut Origène parmi une liste d’auteurs à anathématiser pour leurs doctrines impies ; nous savons par ailleurs que les débats préparatoires à l’ouverture du Concile ont porté entre autres choses sur l’origénisme, et l’origéniste Théodore de Scythopolis a été contraint de se rétracter suite aux anathèmes du Concile. Quant aux anathèmes du pape Vigile, certains font une difficulté du fait qu’ils aient été écrits par l’empereur Justinien, puis ensuite approuvés par le pape sous la pression de l’empereur qui le maintenait auprès de lui à Constantinople. [3]
Pour ce qui nous intéresse, la thèse du salut universel est si contraire à l’enseignement ordinaire de l’Église et à la sentence commune des théologiens que le débat sur la nature et la portée de l’anathème de Constantinople et des condamnations du pape Vigile nous semble secondaire, du moins nous n’avons pas besoin d’établir la force et la portée de ces condamnations pour prouver que cette thèse est fausse.

Les partisans de cette thèse répondent pour se défendre des accusations d’hétérodoxie qu’il ne s’agit pas d’une véritable doctrine mais d’une «pieuse espérance», dans le sens qu’il n’est pas certain que tous soient sauvés, mais que l’on peut l’espérer raisonnablement eut égard à la miséricorde de Dieu : pourtant, ils se placent bien sur un terrain spéculatif et rationnel en disant que la damnation de quiconque est «infiniment improbable», ce qui est émettre beaucoup plus qu’un simple souhait, comme Ralph Martin le remarque à juste titre. Y a-t-il une différence sémantique entre le fait qu’il soit «infiniment improbable» que des gens se damnent et le fait qu’il soit «certain» que personne ne se damne ? Non à vrai dire … Et quand bien même il ne s’agirait que d’une espérance, elle n’est pas fondée en raison, on pourrait même déjà dire qu’elle est réprouvée par le magistère ordinaire et universel de l’Église.

Que l’on prenne par exemple des extraits du catéchisme de saint Pie X ou du catéchisme du concile de Trente sur la question de la damnation et des damnés : il serait bien étrange d’affirmer que ces paroles auraient encore du sens si les damnés n’existaient que «en théorie» et pas «en pratique».

Comment seront les corps des damnés ?
Les corps des damnés seront privés des propriétés glorieuses des corps des Bienheureux et porteront la marque horrible de leur éternelle réprobation.

Catéchisme de saint Pie X, Chapitre 12, Le onzième article du credo


En quoi consiste le malheur des damnés ?
Le malheur des damnés consiste à être toujours privés de la vue de Dieu et punis par d’éternels tourments dans l’enfer.

Catéchisme de saint Pie X, Chapitre 13, Le douzième article du credo

… une prison affreuse et obscure, où les âmes des damnés sont tourmentées avec les esprits immondes par un feu perpétuel et qui ne s’éteint jamais. Ce lieu porte le nom de géhenne, d’abîme ; c’est l’Enfer proprement dit.

Catéchisme du concile de Trente, Chapitre 6

Le sens premier et évident de ces propositions implique l’existence en acte des damnés, pour aujourd’hui et pour les derniers temps. Si les damnés n’existaient qu’en théorie, le catéchisme aurait dû être réécrit au conditionnel : «le malheur des damnés consisterait à, le corps des damnés serait privé de». A moins de considérer que l’Église réserve cet enseignement «exotérique» de l’enfer et de la damnation au plus grand nombre, aux gens qui auraient besoin d’être effrayés pour pratiquer la vertu, et que seul le petit nombre pourrait comprendre l’enseignement ésotérique de l’absence de damnés en enfer … Les pères de l’Église, les saints, les docteurs et les théologiens ont toujours été à peu près unanimes pour dire non seulement qu’il y avait bien des gens en enfer (ce dont personne ne peut raisonnablement douter en lisant simplement l’évangile), mais encore que le plus grand nombre des hommes se damne : si personne ne peut avancer de chiffre ou de pourcentage avec certitude, tous s’accordent pour dire, en conformité avec l’enseignement de Jésus-Christ lui-même dans la parabole des noces, qu’il y a «beaucoup d’appelés mais peu d’élus» (Mat. XXII, 14) : tous les hommes sont appelés au salut et reçoivent de Dieu les grâces nécessaires et suffisantes pour opérer ce salut, mais la plupart ne répondent pas à l’appel et méprisent la grâce de Dieu. Réalité terrifiante que ne dément pas l’expérience quotidienne du monde : l’endurcissement dans le péché est visible partout, jusqu’à l’article de la mort. Et qui meurt endurci dans le péché se damne : on peut espérer qu’un pécheur endurci se soit secrètement repenti avant de mourir par l’effet d’une grâce spéciale, mais on ne peut pas présumer que ce genre de grâces extraordinaires soient fréquentes. Certains théologiens, comme Suarez, espèrent raisonnablement que le plus grand nombre des catholiques se sauve : ce n’est pas encore affirmer que le plus nombre des hommes se sauve, puisque les catholiques n’ont jamais formé plus de la moitié de l’humanité.

L’enfer d’après Brueghel le Jeune

Si l’Église a enseigné partout et toujours, dans son magistère ordinaire, que les damnés existaient réellement, et même qu’il est probable que le plus grand nombre des hommes se damne par obstination dans le péché, cet enseignement est infaillible et il est vain de se perdre dans des rêveries sur une existence «uniquement théorique» des damnés et de la damnation.

Ce n’est pas simplement vain : c’est dangereux et scandaleux.

Dangereux pour ceux qui y croient : car cela revient à dire qu’ils se croient assurés de leur salut quel que soit au fond leur degré de mérite, ce qui est difficilement dissociable du péché de présomption (selon le catéchisme de saint Pie X, «espérer par présomption se sauver sans mérite» est un des six péchés contre le Saint-Esprit, une faute particulièrement grave donc). Avoir la certitude que l’on aura le degré de mérite suffisant pour se sauver au moment de la mort est en pratique la même chose que de prétendre se sauver sans mérite : dans les deux cas, le salut devient une affaire acquise et sans enjeu, et «la vie continue» sans souci réellement motivé de perfection ou de combat spirituel, sans cette «angoisse du salut» que connaissaient tous les saints (pour eux-mêmes et pour leur prochain), et avec cette espèce de confiance insensée que Dieu ne pourra pas nous refuser le salut quoi que l’on fasse.

Scandaleux pour ceux à qui l’on enseigne cette doctrine : scandaleux au sens premier du terme, c’est à dire occasionnant le péché. Le «petit nombre» des «fervents» qui enseigne et diffuse cette doctrine (ou cette «espérance») du salut universel pourra prétendre qu’elle ne porte pas au laxisme mais plutôt au don généreux de soi à un Dieu si bon et miséricordieux ; pour le «grand nombre» qui entend cet enseignement, nous pouvons être certains que l’effet est tout autre en pratique. Depuis que pour des «motifs pastoraux» les conciliaires se refusent à prêcher sur l’enfer ou diffusent de manière plus ou moins explicite la croyance en un salut facile et universel (croyance très visible dans les cérémonies d’inhumation par exemple), les églises sont vides, les peuples ne croient plus à l’enseignement de l’Église, le nombre des vocations religieuses et sacerdotales est en chute libre : en bref les choses de Dieu ne suscitent plus que de l’indifférence et de la froideur pour le plus grand nombre des baptisés (si déjà ils croient encore en l’existence de Dieu). Il y a évidemment un lien de cause à effet entre ces deux phénomènes : si vous enseignez au peuple, explicitement (en parlant de von Balthasar …) ou insidieusement (en employant une liturgie joyeuse et une prédication naïvement optimiste à tous les enterrements, y compris des enterrements d’apostats ou de personnes ayant commis le suicide – qui sont normalement privées de sépulture ecclésiastique), que Dieu est trop bon pour damner quiconque et que tout le monde se sauve, alors le peuple vivra sans se soucier du respect des commandements de Dieu, puisqu’il n’y a pas de risque réel à les violer, et que le monde est rempli de tentations auxquelles il serait pénible de résister. C’est la voix du démon qui pousse l’homme tenté à commettre le péché en lui insinuant une vision déformée et excessive de la miséricorde de Dieu, nous disent tous les auteurs spirituels : force est de constater que les pasteurs conciliaires sont devenus, bon gré mal gré, la voix du démon pour le peuple dont sont censés avoir la garde.

Le pape Pie XII a rappelé à plusieurs occasions qu’il était un devoir grave pour ceux qui avaient charge d’âme de prêcher sur l’enfer, et de prêcher sans atténuation et sans fausse délicatesse sur ce sujet si grave et si propre à susciter dans les âmes tièdes ou pécheresses des germes de conversion et de pénitence. Un sujet grave en effet car il y a réellement des gens qui se damnent, et si l’on voulait opposer révélation privée à révélation privée, pour contrer les prétendues révélations d’Adrienne von Speyr, la bataille serait vite gagnée par le grand nombre de révélations et visions des saints concernant l’enfer et le nombre extrêmement grand des damnés. Sainte Thérèse d’Avila répétait à qui voulait l’entendre que la plus grande grâce de sa vie était d’avoir eu une vision de l’enfer et des horribles tourments des damnés, et plus précisément de la place qui lui était réservée en enfer si elle continuait à se complaire dans sa tiédeur. Elle fut pendant des années une religieuse médiocre et mondaine, toute occupée de converser avec la bonne société et de s’en faire admirer ; après avoir mesuré les conséquences possibles d’une conduite aussi légère pour la vie du siècle à venir, elle est devenue une sainte. Quel contraste entre la doctrine des véritables saints et celle de ces étranges visionnaires des temps modernes.


Pourquoi Balthasar s’est attaché à Speyr ?

Voici une citation qui illustre, dans toute sa profondeur, la raison pour laquelle Balthasar s’attache à Speyr, et qui est de nature à alarmer les chrétiens sincères sur les motivations de ce «grand théologien» :

«Troughout my patristic studies, what I longed and looked for (…) was a catholicity that excluded nothing (…) only in Adriennes’s theology, I found it.».

«Au cours de mes études patristiques, ce que je cherchais et désirais ardemment … était une catholicité qui n’exclue rien … je ne l’ai trouvée que dans la théologie d’Adrienne».

H.U. von Balthasar, Our Task, 44

Une catholicité, un catholicisme, qui n’exclue rien ? Effectivement, il ne pouvait pas trouver une telle catholicité chez des auteurs vraiment catholiques, et il ne l’a trouvée que chez une fausse visionnaire délirante et peut-être démoniaque, parce que cette attitude de «non-exclusion» radicale n’a rien de catholique et de divin : le bien exclut le mal, la vérité exclut l’erreur, Dieu exclut le démon, la cité de Dieu exclut la cité des hommes. Paroles «manichéennes» et insupportables pour un esprit imprégné des idées modernes, dont la racine est l’agnosticisme, qui veut brouiller ou nier les frontières entre le bien et le mal, entre la vérité et l’erreur. Si le fait de trancher, de définir et d’exclure certaines doctrines ou certaines personnes au profit d’autres était une faute ou un désordre, c’est Jésus-Christ en personne, le maître de vie, qu’il faut accuser de faute ou de désordre. Les paroles de Jésus-Christ sur la géhenne, qui sont effectivement assez «excluantes», n’ont pas plu à Balthasar : il est donc allé se chercher d’autres maîtres selon ses désirs. Il est heureux pour nous de pouvoir disposer d’une citation de lui qui décrive aussi explicitement ses motivations : il a cherché «une catholicité qui n’exclue rien», il ne l’a trouvée que chez une fausse visionnaire. La catholicité de von Balthasar n’exclut rien … sauf la vraie théologie catholique !

Bien que le seul fait que les «révélations» de Speyr contiennent une doctrine fausse et scandaleuse est, de soi, suffisant pour être certain que ses révélations ne sont pas d’origine divine, il est toujours utile de remarquer que ces soi-disant révélations sont entourées d’une foule de signes inquiétants et bizarres qui les privent définitivement de tout crédit. Les informations que nous allons relater sont issues de l’article de Ralph Martin précédemment évoqué, nous ne le citerons pas dans le détail mais les lecteurs pourront s’y rapporter au besoin.


Du merveilleux, du grotesque et du bizarre

Nous pouvons lister un ensemble de choses grotesques ou malsaines dans les récits des visions de Speyr :

  • Speyr prétendait être quotidiennement en relation avec l’au-delà : on ne connaît pas de saints, même parmi les plus grands visionnaires, qui aient été visités aussi souvent par le Ciel, au point de fournir matière à plus de soixante livres de révélations inédites. Il y a quelque chose de démesuré dans ces proportions. Il n’est d’ailleurs pas rare chez d’autres faux visionnaires d’avoir écrit ou parlé avec autant de profusion et de détail (Valtorta a rempli 122 cahiers, soit près de 15 000 pages manuscrites), ce qui est d’autant plus susceptible d’attirer la curiosité du public. En l’occurrence, Speyr prétendait être en communication quotidienne avec saint Ignace de Loyola, communication si aisée et régulière que Balthasar pouvait par exemple soumettre une question qu’il avait pour saint Ignace à sa voyante et obtenir sa réponse dans la journée, ou dans l’instant qui suivait. C’est pour le moins inhabituel, sinon invraisemblable …
  • Dans un de ses entretiens, saint Ignace aurait déclaré qu’il avait changé d’avis sur certaines questions spirituelles en discutant avec saint Jean l’évangéliste au Paradis … quelle stupidité ! Comme si les saints, absorbés et réjouis par la vision béatifique, se préoccupaient de débattre et de discourir entre eux comme les hommes le font sur terre. Comme si par ailleurs il y avait le moindre désaccord apparent entre la spiritualité de saint Ignace et la spiritualité contenue dans l’évangile de saint Jean. Le fait d’opposer saint Jean l’évangéliste à la «pensée dominante dans l’Église» est un thème typique du gnosticisme et de l’occultisme : comme saint Jean emploie un langage plus spirituel que les autres évangélistes, donc plus susceptible d’interprétations diverses, les ennemis de la vérité aiment à lui faire dire des choses contraire au magistère de l’Église et aux doctrines communément admises par les théologiens (sans se mettre en peine, d’ailleurs, de concilier les passages qui leurs plaisent chez saint Jean avec d’autres passages du même saint Jean qui les contredisent formellement : seule l’interprétation ecclésiastique de saint Jean est complète et cohérente). Il est plus courant pour des francs-maçons que pour des catholiques d’opposer la «spiritualité johannique» à la «spiritualité ignatienne». Il est d’autant plus étrange, dans ce contexte, que Balthasar prétende avoir quitté l’ordre jésuite pour fonder la «communauté de saint Jean» sur le conseil de saint Ignace de Loyola lui-même (via la voyante Speyr), qui serait devenu «johannique» en discutant avec saint Jean au Paradis … par ailleurs le thème de l’opposition entre «l’Église visible» de Pierre et «l’Église des saints» de Jean et de Marie est un thème central dans la «spiritualité» de Balthasar et de l’institut qu’il a fondé [4] … Difficile de passer à côté de la possible symbolique occultiste de cette posture.
  • Speyr se serait rendue dans l’âme de certaines personnes pour les consoler : elle aurait pu, en se rendant à l’intérieur des personnes, pénétrer leurs pensées les plus secrètes, et leur suggérer des meilleures pensées depuis l’intérieur de leur âme … voilà jusqu’à quel niveau peut aller l’extravagance et la folie des faux voyants. Il est métaphysiquement impossible qu’une personne humaine entre «dans» une autre âme humaine, ce langage est dépourvu de sens. Certains saints avaient le don de «lire dans les cœurs» des personnes qu’ils rencontraient : cela veut dire qu’ils connaissaient leurs pensées, pas qu’ils rentraient littéralement à l’intérieur d’eux comme le dit Speyr, qui prétendait avoir été transportée à de multiples reprises à l’intérieur de personnes souffrantes, par-delà le monde entier, pour les consoler, ou pour les aider à se confesser … violant au passage le secret de la confession entre le prêtre et le pénitent.
  • Speyr prétendait avoir retrouvé sa virginité physique : elle serait alors la première dans l’histoire de l’humanité à bénéficier de cet étrange miracle … Mariée à deux reprises, elle a engendré 3 enfants morts-nés. Speyr ne prétend pas avoir retrouvé une «virginité spirituelle» comme dans le cas d’une veuve qui se consacre à Dieu, ou de personnes mariées qui s’accordent entre elles pour faire vœu d’abstinence. Elle prétend avoir retrouvé sa virginité physique, dans le sens par exemple de la Sainte Vierge qui a donné naissance à Notre-Seigneur «sans rupture du sceau de sa virginité» et de l’honneur particulier qui y est associé. A quelle fin Dieu aurait-il restauré la virginité physique d’une personne qui l’a perdue ? En quoi cela pourrait la rendre plus spirituelle, plus humble et plus dévouée à Dieu ? L’effet serait présentement le contraire de l’humilité. Cela la rendrait simplement plus distinguée et plus honorable, dans le sens qu’un honneur spécial est associé aux femmes qui ont consacré leur virginité à Dieu : peut-être que la voyante voulait être associée à cet honneur, bien qu’elle ne le méritait pas…
  • Outre ces extravagances déjà mentionnées, il est intéressant de remarquer que Speyr a prétendu avoir vécu (ou Balthasar le prétend à propos d’elle) à peu près tout ce qu’il y a de plus extraordinaire dans la vie des grands saints du passé : stigmates, bilocation, radiation de lumière, lévitation, parler spontané en langues étrangères, extases. Pour la plupart des saints ayant vécu ces phénomènes, les témoins sont nombreux et dignes de foi. Pour Speyr, le seul témoin est Balthasar, qui est plutôt un témoin indirect parce qu’il croit sa voyante sur parole lorsqu’elle affirme qu’il lui est arrivée quelque expérience extraordinaire. Au vu de ce qui est mentionné plus haut, chacun saura juger de la crédibilité de ce témoin.

Une relation éminemment malsaine

La première chose qui frappe, à étudier la relation entre Balthasar et Speyr, est la forte intimité qui les unissait : comme nous l’avons déjà mentionné, Balthasar est allé jusqu’à quitter son ordre religieux (acte extrêmement grave et rare dans l’histoire de l’Église : il n’est pas anodin qu’un religieux soit relevé de ses vœux) pour vivre chez sa voyante, quinze années durant. Un prêtre qui vit chez une femme ?

On pourrait tenir comme un principe général qu’il n’est ni prudent ni souhaitable pour un clerc d’entretenir une amitié forte, nourrie par des entretiens intimes quasiment quotidiens, avec une femme. La principale raison du célibat consacré est d’ordre affective : le prêtre, le religieux ou la religieuse, a consacré entièrement son cœur à Dieu. L’état de perfection religieuse n’est possible que dans le célibat, parce que la vie conjugale est remplie d’affections et d’attachements qui, pour être parfaitement légitimes et même nécessaires au bon développement de la vie, empêchent de se consacrer aux choses de Dieu en toute liberté. S’il est possible d’atteindre un haut degré de sainteté en vivant dans le mariage, comme le prouve par exemple la vie de saint Louis, il faut convenir qu’il est plus facile et plus naturel de se sanctifier dans la vie religieuse et le célibat consacré, en n’ayant pas d’autre préoccupation que la gloire de Dieu et le salut des âmes.

Or l’amitié entre personnes du sexe opposé, et en dehors du strict cercle familial, nous parlons ici d’une amitié profonde basée sur des communications intimes de sentiments et d’idées, ne diffère de la vie amoureuse proprement dite que par l’absence de communication physique : le seul terme ordinaire et souhaitable d’une profonde amitié entre un homme et une femme est le mariage. Il n’est pas rare que l’adultère résulte d’une relation excessivement amicale entre un homme et une femme qui, initialement, n’avaient aucune intention de rompre les promesses de leur mariage : seulement ils se sont laissés aller imprudemment à l’attrait d’une amitié et d’une intimité spirituelle qu’ils ne trouvaient peut-être plus dans leur mariage. Entretenir une «relation platonique», ne pouvant pas raisonnablement mener à un mariage, est donc éminemment malsain et dangereux.

On pourrait objecter à ce raisonnement en invoquant des exemples d’amitiés profitables entre une personne consacrée et une autre personne du sexe opposé. L’histoire de l’Eglise compte en effet plusieurs exemples de saints de sexe opposé qui ont travaillé ensemble étroitement pour la gloire de Dieu : saint François d’Assise et sainte Claire, saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal, saint Vincent de Paul et sainte Louise de Marillac. On connaît aussi la pratique, encouragée par l’Église, de la fraternité spirituelle entre des religieuses contemplatives et des prêtres missionnaires via des échanges épistolaires (ainsi sainte Thérèse de Lisieux est connue pour avoir eu cette relation spéciale avec l’abbé Maurice Bellière). Mais nous répondrons que dans tous ces cas évoqués, la relation est fondée principalement si ce n’est uniquement sur le zèle pour la gloire de Dieu (et pas sur la complémentarité naturelle des caractères, comme dans une amitié humaine ordinaire), et l’amitié et l’intimité dans ces cas précis ne dépassent jamais certaines bornes que la prudence impose nécessairement à qui veut ne pas perdre son cœur, et ensuite perdre son âme.

Or la relation entre Balthasar et Speyr ressemble fort à une «relation platonique», bien différente d’une collaboration désintéressée en vue de la gloire de Dieu. En particulier, les termes qu’ils emploient pour décrire cette relation comportent un symbolisme sexuel pour le moins troublant. L’œuvre religieuse et spirituelle qu’ils estiment devoir mener en commun (la fondation de la «communauté Saint-Jean», qui n’existe quasiment plus aujourd’hui d’ailleurs) est souvent appelée par la voyante «leur enfant» : comment un homme et une femme peuvent-ils avoir un enfant ensemble ? … Cette image est déjà troublante, mais il y a plus encore : la voyante déclare qu’à l’âge de 15 ans elle aurait reçu une «blessure intérieure» ou une «marque» de Hans von Balthasar par anticipation de sa rencontre avec lui, et pour signifier leur future collaboration : il s’agirait de dire que comme ces deux âmes ne pouvaient pas avoir de relations sexuelles, mais qu’elles devaient ensemble «porter du fruit», il fallait que la femme soit en quelque manière marquée dans sa chair par la vertu fertilisante de l’homme, afin d’être fécondée … difficile de voir quelque chose de divin derrière ce mystico-sensualisme éminemment malsain.


Une voyante autoritaire et manipulatrice

Le fait qu’un prêtre ait une relation fusionnelle avec une femme mariée n’est pas le seul problème dans le cas présent : dans cette relation, le prêtre (qui est censé être le supérieur, le conseiller, le confesseur) est parfois comme à la merci de sa voyante qui semble lui donner des ordres, lui faire des reproches amers et lui dicter la voie de la bonne conduite spirituelle. Balthasar, subjugué, est docile et semble considérer comme venant du Ciel les brimades qu’il reçoit de la voyante. Les rôles sont inversés !

On ne le répétera jamais assez dans cette époque malade de d’égalitarisme, le catholicisme est une religion cléricale : le prêtre est supérieur aux fidèles, il a autorité pour les diriger, les conseiller, les reprendre et les guider dans la pratique des commandements et la recherche de la perfection spirituelle. Il est en pratique impossible d’atteindre la perfection spirituelle sans le conseil suivi d’un prêtre : c’est le moyen ordinaire que Dieu prévoit pour sanctifier les âmes, et à ceux qui disent que c’est d’abord le Saint-Esprit qui éclaire et qui sanctifie, le pape Léon XIII répond (dans son encyclique contre l’américanisme) que dans la Providence de Dieu le Saint-Esprit s’exprime aux âmes le plus souvent et le plus ordinairement dans la direction spirituelle (par un prêtre formé aux sciences sacrées et à l’enseignement de l’Église). Tous les grands saints mystiques et visionnaires avaient un confesseur et directeur spirituel auxquels ils étaient pleinement soumis : ce ne sont pas eux qui démentiraient Léon XIII.

Il n’est donc pas normal qu’un prêtre reçoive d’une laïque des directives de direction spirituelle. C’est auprès d’un autre prêtre qu’il devrait chercher des conseils et des directives dans cette matière délicate, quand bien même il aurait en face de lui une sainte. Imagine-t-on sainte Thérèse d’Avilla donner ne serait-ce que des conseils spirituels à son confesseur, sans que celui-ci le lui demande ? C’est invraisemblable. Nous évoquions dans notre précédent article sur les visions et révélations privées que l’attitude autoritaire d’une voyante était un signe disqualifiant pour sa crédibilité, car très éloignée de l’humilité qui accompagne nécessairement une piété sincère.

Cette remarque faite, on peut constater avec Ralph Martin que l’attitude de Speyr à l’égard de Balthasar relève plus de mécanismes humains de manipulation et de demande d’attention que d’une hypothétique mission spirituelle. Par exemple, Speyr l’accuse fréquemment de ne pas la soutenir et de ne pas être suffisamment présent pour l’épauler alors qu’elle «revit la Passion du Christ» pendant la semaine sainte … Elle dit par rapport à leur «enfant» que le rôle du «père» est de prendre soin de l’épouse, et que Balthasar ne remplit pas suffisamment bien son rôle. Elle dit que Balthasar ne la défends pas suffisamment par rapport aux critiques qui sont émises à son égard … la voyante demande de l’attention, mais elle sait aussi se montrer plus directrice et dit qu’elle voit dans l’âme de Balthasar de l’obscurité spirituelle, un manque d’amour de Dieu et un manque de vie de prière. Parfois la voyante prétend recevoir de saint Ignace des instructions précises pour des pénitences ou autres exercices spirituels, et le malheureux Balthasar est réprimandé s’il ne suit pas les instructions suffisamment bien. Tout ceci est bien étrange.


Des signes probablement démoniaques

Outre les bizarreries déjà mentionnées, un certain nombre de faits étranges dans la vie d’Adrienne von Speyr pourraient relever d’une influence démoniaque. En particulier, on retrouve plusieurs occurrences d’un phénomène communément attribué à l’action du démon : la modification de la voix, l’utilisation d’une intonation beaucoup plus rauque et sèche que d’ordinaire, avec un volume anormalement élevé.

Le 11 juillet 1941, Speyr «convoque» Balthasar à son bureau pour lui faire une violente sermonade d’environ une heure sur son manque de soutien : Balthasar rapporte que la voix de Speyr est différente que d’habitude, comme si «quelqu’un d’autre parlait à travers elle».

La cérémonie d’abjuration de Speyr (qui est née protestante), un an plus tôt, comporte un fait assez déroutant. Alors qu’elle doit réciter la profession de foi catholique, elle s’arrête et hésite au moment de prononcer les paroles «extra quam est nulla salus» : hors de laquelle [l’Église catholique] il n’y a point de salut. Balthasar dit qu’elle n’a pas prononcé les mots. Son mari en revanche, qui assistait à la cérémonie, dit qu’il l’a entendu dire les mots distinctement mais avec une voix étrange : autre occurrence possible du fameux phénomène de la voix modifiée. La voyante aurait-elle donc un problème avec le dogme selon lequel il n’y a pas de salut hors de l’Église catholique ?… Dans une version comme dans l’autre, elle n’a pas prononcé les paroles aisément et facilement comme le reste de la profession de foi.

Autre fait encore plus étrange : Balthasar rapporte que Speyr avait fréquemment des «missions de l’enfer», dans laquelle elle «témoignait des réalités de l’enfer» dans un état semi-extatique où elle «n’était plus la même personne» et était simplement le «véhicule» d’une réalité qui la dépasse … Elle ne se souvenait pas distinctement de ce qu’elle avait dit dans ces moments ensuite. Pendant ces «missions», elle parlait d’une manière différente de d’habitude, ne semblait pas reconnaître son interlocuteur et le traitait de manière froide et sarcastique, l’accusant de stupidité vis à vis des choses de Dieu par exemple. Sachant que ces «visions de l’enfer» de Speyr aboutissent à dire que personne ne se trouve réellement en enfer, serait-il vraiment étonnant qu’un démon ait parlé à travers Speyr dans ces moments si étranges ? Pas vraiment … suivant le mot de Baudelaire, «la plus belle des ruses du diable est de vous persuader qu’il n’existe pas» : on pourrait dire par extension que la meilleure ruse de l’enfer serait de faire croire qu’il n’y a pas d’enfer, ou que personne ne va en enfer. C’est le meilleur moyen en effet pour que le plus grand nombre oublie son salut et se damne. Balthasar dit que ces «missions de l’enfer», qui arrivaient une fois par an lors du Vendredi Saint depuis 1941 (elle prétendait «descendre aux enfers» comme Notre-Seigneur après sa mise à mort), constituent la contribution la plus importante de Speyr à sa théologie et le don le plus précieux qu’elle ait fait à l’Église

Balthasar disait que cette «obscurité» que Speyr avait pris sur elle comme participation à la passion du Christ et à sa descente aux enfers l’avait poussée «aux limites de la folie» … si nous voyons les choses d’une manière plus prosaïque, peut-être qu’elle était déjà mentalement déséquilibrée avant ces expériences pseudo-mystiques, et qu’une communication prolongée avec le démon l’a encore plus détraquée. L’histoire ne nous le dit pas : mais nous avons déjà en notre possession bien plus que ce qui est simplement nécessaire pour conclure que ces pseudo-révélations ne viennent pas du Ciel.


Résumé et conclusion

La thèse de Balthasar et de Speyr est contraire au catholicisme en plusieurs aspects :

  • Elle adopte en pratique les mêmes conclusions que la doctrine condamnée de l’apocatastase, Balthasar avouant que son intention dans sa recherche théologique était de concilier cette doctrine condamnée (qu’il était impossible de professer directement sous peine d’apparaître comme ouvertement hérétique) avec le magistère de l’Église.
  • Elle revient à tourner en ridicule l’enseignement ordinaire de l’Église sur l’enfer et sur la damnation, en le présentant comme une fable visant à faire peur à des fidèles encore immatures. Il y aurait alors deux niveaux d’enseignement dans la Révélation, un niveau exotérique «pétrinien» (l’Église visible de saint Pierre), et un niveau ésotérique «johannique» (l’Église mystique de saint Jean et de Marie) : tandis que l’Église visible enseigne que la damnation est un danger réel, «l’Église des saints» est capable de comprendre qu’en réalité personne ne se damne.
  • Elle revient inconsciemment à adopter les thèses jansénistes (également condamnées) sur l’irrésistibilité de la grâce et la négation du libre-arbitre : elle en est une sorte d’actualisation moderniste. Pour les jansénistes, qui s’inspirent des calvinistes, la théorie de l’irrésistibilité de la grâce est synonyme de double prédestination : puisque personne ne peut résister à la grâce de Dieu, alors les pécheurs endurcis et les damnés n’ont pas reçu les grâces suffisantes pour se convertir et sont mystérieusement destinés, de toute éternité, à être damnés. Doctrine odieuse et blasphématoire. Balthasar reprends l’élément central de cette thèse en en éliminant l’aspect damnatoire : la grâce est irrésistible au-delà de toute notion de libre-arbitre, mais Dieu impose cette grâce à tout le monde sans exception, il n’y a donc pas de damnés.
  • Enfin elle a comme principe implicite (en lien avec ce que nous disions sur le «johannisme») que les révélations privées des «saints» sont des arguments plus certains et plus élevés en théologie que les travaux de la raison, éclairés par les lumières de la foi, et les enseignements explicites du magistère de l’Église. Principe faux et ruineux qui sert le plus souvent à détruire la théologie sous apparence de piété : des personnages malveillants s’en servent pour tromper, et des personnes simples et trop naïves les suivent pour l’apparence de piété et de surnaturel qui entoure ces soi-disant révélations. Une apparition ou une révélation privée ne peut jamais être une réponse suffisante à un problème théologique, à plus forte raison si le message de cette «révélation» est contraire au magistère de l’Église.

De plus les activités soi-disant surnaturelles de Speyr, qui prétendait avoir reçu un nombre incalculable de révélations privées, sont douteuses et troublantes à bien des titres :

  • Le nombre excessivement élevé et extraordinaire de ses communications célestes ne ressemble pas à ce qui a cours d’ordinaire chez les saints.
  • Elle a des prétentions parfaitement fantaisistes sur ses activités surnaturelles et les dons particuliers qu’elle aurait reçu (recouvrement de la virginité physique, téléportation dans les âmes des pécheurs, etc.)
  • Son comportement autoritaire, manipulateur et assoiffé d’attention personnelle n’a rien à voir avec le comportement d’une sainte.
  • Sa relation avec le prêtre Balthasar, décrite en des termes de symbolisme nuptial ou même explicitement sexuel, est on ne peut plus malsaine, et se base parfois sur une inversion du rapport entre le directeur spirituel et l’âme dirigée (c’est elle qui prends le dessus à plusieurs reprises).
  • Elle était, de l’aveu même de son confident et admirateur, à moitié folle et soumise régulièrement à des états de transe pour «rendre compte» de ce qui se passait en enfer, avec un langage et des manières qui portent plus ou moins explicitement la marque du démon.
  • Elle n’a pas voulu prononcer les paroles de la profession de foi sur le fait qu’il n’y avait pas de salut hors de l’Église catholique, ou bien elle les a prononcées avec une voix bizarre.

Peut-on, après avoir considéré cela, accorder encore le moindre crédit à Hans Urs von Balthasar et à sa comparse Adrienne von Speyr ? Pas si l’on croit à la doctrine et à la spiritualité de l’Eglise catholique. Puissent le Seigneur et Notre-Dame éclairer les chrétiens sincères afin qu’ils ne soient pas trompés par ces mensonges, et qu’ils considèrent plutôt dans toute leur gravité les avertissements de la Révélation concernant les fins dernières.

Jean-Tristan B.


[1] https://www.jstor.org/stable/26392455

[2] Voir les principes invoqués dans cet article : https://religioncatholique.fr/2021/09/08/principes-de-discernement-sur-les-visions-et-revelations-privees/

[3] On peut lire à ce sujet l’article de la Catholic Encyclopedia sur Origène : https://www.newadvent.org/cathen/11306b.htm

[4] Voir le « manifeste » affiché fièrement par la communauté saint Jean : https://balthasarspeyr.org/communaute-saint-jean/

Le sédévacantisme est-il un jugement téméraire ?

Réponse à une objection trop répandue


L’accusation de jugement téméraire à l’égard des sédévacantistes repose sur une mauvaise évaluation de la témérité du jugement. Si certains jugements sont téméraires, c’est bien que d’autres sont prudents et ordonnés : pour vivre et agir, il est nécessaire d’émettre continuellement des jugements sur les choses et les personnes qui nous entourent, ces jugements ne sont téméraires que s’ils ne reposent sur aucune raison sérieuse et suffisante pour établir la conviction. On entend par exemple certaines personnes (au sein de la FSSPX surtout) dire que le sédévacantisme est une possibilité, mais qu’il est téméraire de l’affirmer comme une certitude, et que la seule attitude prudente et raisonnable est d’attendre qu’un autre pape se prononce pour savoir si le siège était vacant entre Paul VI et François. Ce qui est déjà admettre qu’il y a un grave problème avec ces « papes douteux » … en réalité, nous n’avons pas besoin d’une nouvelle sentence du magistère pour être certains qu’il est impossible qu’un pape enseigne des erreurs doctrinales dans l’exercice de son ministère. On peut dire en quelques sortes que Pie IX, en définissant le dogme de l’infaillibilité pontificale, a déjà tranché sur le fait que Paul VI et ses successeurs ne pouvaient pas être papes.

D’autres personnes, moins dubitatives à l’égard des pontifes de Vatican II, estiment que le vice du sédévacantisme est plus profond : il consisterait à se mettre « au dessus des papes », à donner à son jugement privé une valeur plus importante qu’au magistère de l’Eglise, comme les protestants. En vérité, le point de départ du jugement sur la vacance du Saint-Siège est le magistère de l’Eglise, complété par un usage normal de la raison : si Paul VI enseigne de manière explicite et évidente l’inverse de ce qu’enseigne Pie IX, conclure qu’il n’y a pas de contradiction n’est pas la preuve d’une grande foi et d’une grande confiance en l’Eglise, mais plutôt la preuve d’une grande déficience dans l’usage de la raison. Cette position, poussée jusque dans ses dernières conclusions, est assimilable au fidéisme : elle consisterait à dire qu’il est impossible de juger droitement de quoi que ce soit sans un enseignement révélé. Le magistère même de l’Eglise enseigne qu’il est possible d’atteindre un certain nombre de vérités religieuses sans le secours de la Révélation, et que ces vérités doivent être connues préalablement à l’acte de foi. C’est le principe de non-contradiction qui fait conclure à la vacance du Saint-Siège, pas une quelconque prétention à la supériorité du jugement privé sur l’autorité de l’Eglise. Nous souhaitons ici expliquer en quoi le jugement concernant la vacance du Saint-Siège découle simplement de l’application des principes de la foi catholique et de l’usage ordinaire de la raison, qu’il n’est pas attentatoire au magistère ou à l’autorité de l’Eglise, et qu’il n’est pas non plus attentatoire à la vertu de charité, comme le serait un jugement téméraire sur les intentions secrètes d’une personne. En espérant convaincre nos lecteurs.


Un jugement est un acte par lequel l’esprit affirme une chose d’une autre. Il comporte donc trois éléments : un sujet, qui est l’être dont on affirme ou nie quelque chose ; un prédicat (ou attribut), qui est la chose que l’on affirme ou nie du sujet ; une affirmation ou une négation qui lie ou délie le prédicat et le sujet. Il s’exprime verbalement sous la forme d’une proposition. Par exemple : « Le monde existe (logiquement : le monde (sujet) est (affirmation) existant (prédicat) » ; « L’homme est raisonnable » ; « l’âme est immortelle » ; « Dieu est existant ».

Sauf pour les évidences immédiates (« le monde est existant » ; « tout effet est causé » ; « tout être est ce qu’il est » etc.), qui sont à proprement parler indémontrables [1], le jugement est le fruit d’un raisonnement, si rudimentaire soit-il. On peut définir celui-ci comme l’opération qui consiste à tirer de deux ou plusieurs jugements, un autre jugement contenu logiquement dans les premiers. C’est un passage du connu vers l’inconnu. Il s’exprime verbalement sous la forme d’un argument. Par exemple : « L’homme est mortel (jugement 1). Or Pierre est un homme (jugement 2). Donc Pierre est mortel (jugement conclusif contenu logiquement dans les premiers) » ; « Travailler me permet de nourrir ma famille. Pour travailler, je dois me réveiller et me lever. Donc pour nourrir ma famille, je dois me réveiller et me lever ». Ainsi pour toutes nos actions quotidiennes, sans pour autant les formaliser ainsi.

Les jugements, s’ils sont fondés, sont légitimes et nécessaires. Sans eux, on ne peut tout simplement pas vivre. Tout homme faisant correctement usage de son intelligence pourra affirmer avec certitude de nombreuses choses. Dans la mesure où son raisonnement est correct, c’est-à-dire qu’il met en œuvre des données certaines, son jugement sera lui aussi correct et vrai. L’Eglise nous enseigne par exemple que tout homme peut affirmer avec certitude que Dieu existe :

« La sainte Église tient et enseigne que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être connu avec certitude par les lumières naturelles de la raison humaine, au moyen des choses créées (Rom. 1, 20) ;  « car les choses invisibles de Dieu sont aperçues au moyen de la création du monde et comprises à l’aide des choses créées. »

Constitution Dei Filius , Concile Vatican I

Le canon correspondant du Concile :

« Si quelqu’un dit que Dieu unique et véritable, notre Créateur et Maître, ne peut pas être connu avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine, au moyen des choses qui ont été créées ; qu’il soit anathème » 

L’Eglise défend ici la légitimité d’un jugement fondé sur des vérités naturelles. En l’occurrence : l’existence du monde, son harmonie et le principe de causalité. Ces choses étant certaines, la conclusion l’est aussi.

Si un raisonnement correct met en œuvre une vérité de foi fondée sur l’autorité de Dieu et une vérité naturelle évidente, la conclusion exprimera un jugement doté d’une certitude absolue, propre à entraîner l’assentiment plein et entier de l’intelligence. Une telle conclusion est dite théologique. Par exemple : « Jésus est un homme (vérité de foi). Or les hommes ont une âme (vérité naturelle). Donc Jésus a une âme (conclusion théologique) ». 

Le constat actuel de la vacance du Siège apostolique n’a pas plus de prétention. Il se sert, dans sa démonstration, de données de foi, de faits d’observation immédiate et du principe de non-contradiction. La foi nous assure de l’infaillibilité du magistère ordinaire et universel [2]. Elle nous assure qu’il est impossible qu’un Pape promulgue avec les évêques représentant l’Eglise universelle un texte contredisant un point de doctrine déjà fixé [3]. Or, une telle promulgation s’est produite lors du concile Vatican II : la déclaration Dignitatis Humanae du 7 décembre 1965 contredit explicitement l’enseignement de Pie IX (entre autres) sur la liberté religieuse dans Quanta Cura (lettre encyclique du 8 décembre 1864). Donc les occupants du Siège apostolique qui ont « promulgué » et maintiennent en union avec tous les évêques une telle doctrine ne peuvent pas être Papes.

Affirmations condamnées par Quanta Cura, 8 décembre 1864 [«  contre la doctrine de la Sainte Écriture, de l’Église et des saints Pères »] Affirmations de Dignitatis Humanae, 7 décembre 1965 [«  le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même »]

a) la meilleure condition de la société est celle où on ne reconnaît pas au pouvoir le devoir de réprimer par des peines légales les violations de la loi catholique, si ce n’est dans la mesure où la tranquillité publique le demande

a’) de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres

b) La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme

b’) Ce Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse

c) Ce droit doit être proclamé et garanti par la loi dans toute société bien organisée

c’) Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil

Ce qu’affirme Vatican II [4] en (a’), (b’), (c’) est condamné par Quanta Cura [5]en (a), (b), (c). Les deux textes se prononcent sur le même sujet : le droit d’exercice public des religions et des cultes, même non catholiques. Les deux textes en appellent à la Révélation et s’expriment, quoi que dans une époque particulière et en raison même de cette époque, d’une façon absolue, comme énonçant un principe de droit naturel.

Or, c’est dans un même et unique acte de foi que nous adhérons à la parole de Dieu exposée par l’Eglise et à l’Autorité infaillible qui la présente. Cette unité de la foi liant nécessairement l’Autorité et la vérité est inéluctable [6]. Pareillement, le rejet de la doctrine de Paul VI que la foi nous impose nous fait rejeter son autorité dans un même acte. Cette conclusion sur l’absence actuelle d’Autorité dans l’Eglise, au demeurant triste à poser et troublante pour tous les fidèles, s’impose dans la lumière de la foi, avec une certitude de l’ordre de la foi. Parce que la foi catholique est une, parce qu’elle n’abolit pas la raison et que le principe de non-contradiction est inhérent à son exercice, il est métaphysiquement impossible d’adhérer religieusement à l’enseignement et par conséquent à l’autorité de ces faux pasteurs. Tout fidèle prudent qui vit effectivement de la foi peut et doit conclure à l’absence d’Autorité. L’exercice de la foi catholique rend impossible l’assentiment à l’enseignement de Vatican II.

Un jugement est téméraire et illégitime s’il est prononcé précipitamment, sans intention droite et que les fondements sur lesquels il repose sont incertains ou faux. Par exemple : prêter une mauvaise intention à quelqu’un sans raison. Dans une matière si grave que la foi et avec des certitudes d’un degré tel que nous venons de l’exposer, le jugement s’impose absolument et constitue un devoir. Il ne s’agit pas d’un jugement a priori qui serait consécutif à un caprice de notre part, il s’agit de l’impossibilité métaphysique d’adhérer à une règle de foi qui contredit objectivement l’enseignement de l’Eglise. La meilleure volonté du monde ne pourrait pas changer la nature des choses, une chose ne peut pas, en même temps et sous le même rapport, être vraie et fausse. Nous pensons que cela suffit pour fonder la légitimité d’un tel jugement. Les catholiques ne peuvent donc pas, par jugement privé, ne pas accuser ceux qui « promulguent » ces enseignements, comme les fidèles de Constantinople rompirent la communion avec leur évêque Nestorius entre 428 et 431 (date de sa condamnation), car celui-ci enseignait une doctrine ouvertement contraire à la foi catholique.

L’imprudence se situerait au contraire dans la négation de ce jugement absolument certain. En effet, en rejetant cette conclusion, on est objectivement poussé à relativiser ou à nier des vérités de foi : soit en acceptant l’enseignement de Vatican II et ses suites, qui s’oppose en de nombreux points au Magistère de l’Eglise ; soit en refusant cet enseignement, attribuant ainsi l’erreur au Pape et à l’Eglise, niant de fait la sainteté et l’infaillibilité de celle-ci.

Les catholiques qui font le constat de la vacance du Siège apostolique ne se substituent nullement à l’Eglise et à son autorité. Ce jugement n’est qu’un constat indubitable, il n’a pas force de loi et n’a pas de portée juridique objective pour l’Eglise. La privation d’autorité qui affecte actuellement l’Eglise rend précisément compliquée une telle sentence authentique. En revanche, de ce jugement certain découle le devoir de ne rien dire ni rien faire qui reviendrait pratiquement à reconnaître l’Autorité à l’actuel occupant du Siège ainsi que celui de proclamer, selon les règles de la prudence et conformément aux moyens dont chacun dispose, la vacance actuelle du Siège apostolique : « Nous ne pouvons pas ne pas parler » (Act. IV, 20).

Mathis C.


[1] Une démonstration s’appuie sur des préalables. Or, les évidences sont les préalables à tout jugement, ils sont premiers et s’éclairent par eux-mêmes, d’où leur nom.

[2] Abbe Bernard Lucien, L’infaillibilité du Magistère ordinaire et universel de l’Église, Documents de Catholicité, Bruxelles 1984

[3] « Jésus-Christ a institué dans l’Eglise un magistère vivant, authentique et, de plus, perpétuel, qu’Il a investi de sa propre autorité, revêtu de l’esprit de vérité, confirmé par des miracles, et Il a voulu et très sévèrement ordonné que les enseignements doctrinaux de ce magistère fussent reçus comme les siens propres. >Toutes les fois donc que la parole de ce magistère déclare que telle ou telle vérité fait partie de l’ensemble de la doctrine divinement révélée, chacun doit croire avec certitude que cela est vrai ; car si cela pouvait en quelque manière être faux, il s’ensuivrait, ce qui est évidemment absurde, que Dieu lui-même serait l’auteur de l’erreur des hommes… Les Pères du Concile du Vatican n’ont donc rien édicté de nouveau, mais ils n’ont fait que se conformer à l’institution divine, à l’antique et constante doctrine de l’Eglise et à la nature même de la foi, quand ils ont formulé ce décret : « Est à croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la parole de Dieu ou écrite ou transmise, et que l’Eglise, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel, propose à croire comme divinement révélé » (issu de dei filius, Concile Vatican I, 1870) » Léon XIII, Satis Cognitum . Sur l’infaillibilité : https://www.sodalitium.eu/linfaillibilite-de-leglise/

[4] https://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decl_19651207_dignitatis-humanae_fr.html

[5] https://laportelatine.org/documents/magistere/pie-ix/encyclique-quanta-cura-1864

[6] « Il serait impossible de poser un acte de Foi quel qu’il soit, si on ne croyait, dans le même acte, au Magistère qui présente infailliblement les articles de la Foi comme étant divinement révélés; et si on n’était disposé à croire de la même Foi l’un quelconque de ces articles. Il serait possible, dans une église charismatique, de viser à conserver la foi, tout en dissolvant dans une indécise obscurité la question du rapport que l’on soutient avec 1’« autorité » : dans une telle église, 1’« Esprit » est censé suppléer… à tout, et en particulier à l’unité. Mais une telle conception est absolument incompatible avec la nature de la Foi telle que celle-ci est définie, et vécue, dans l’Eglise catholique romaine qui est le Corps mystique du Christ, c’est-à-dire de Celui qui est la Vérité. Il est impossible, sous peine d’introduire une contradiction dans l’ordre théologal, de suivre la monition de S. Pierre, en «rendant compte de l’espérance qui est en nous », si, en même temps, nous ne rendons pas compte du rapport que nous soutenons avec 1’« autorité » qui occupe le Siège de Pierre. Il est impossible de poser un acte de Foi en la divinité de Jésus-Christ, sans être, en cet acte même, disposé à faire un acte de la même Foi en la doctrine sur la liberté religieuse telle que l’Eglise l’a définie. Et il est impossible de faire un acte de Foi en la doctrine sur la liberté religieuse telle que l’Eglise l’a définie, sans préciser en quelle situation on entend être par rapport à l’ « autorité » qui a infirmé cette doctrine. En d’autres termes, il est impossible, au sein de l’Eglise catholique romaine qui est le Corps mystique du Christ, de soutenir la Foi et d’administrer les sacrements en s’opposant à 1’« autorité « , sans préciser quelle est la nature du rapport que l’on entend soutenir avec la dite  « autorité », qui devrait être l’Autorité. » R.P M.L Guérard des Lauriers o.p, Cahiers de Cassiciacum n°1, « Le siège apostolique est-il vacant ? », Association saint-Herménégilde, mai 1979, pp.25-26, note 13.

Principes de discernement sur les visions et révélations privées

S’il est arrivé souvent dans l’histoire de l’Église que Notre-Seigneur, Notre-Dame, des anges ou des saints visitent la terre pour apporter aux hommes un message exhortant à la piété et à la conversion, ou pour donner à quelqu’un une mission particulière pour le bien des âmes, le nombre de fausses apparitions ou de fausses visions à ce sujet est certainement plus grand que celui des vraies apparitions. Le nombre de vraies apparitions et révélations qui ont été après coup déformées, embellies ou revisitées par les hommes est aussi grand.

Une apparition ou une vision supposément surnaturelle peut être fausse de deux manières différentes : ou bien parce qu’elle vient de l’homme, ou bien parce qu’elle vient du démon.

Si elle vient de l’homme : elle est le fruit d’un pur mensonge de la part d’un prétendu visionnaire, ou bien de son imagination malade, de ses fantasmes, de quelque trouble psychologique d’ordre naturel. Tous les grands mystiques et même des saints visionnaires connaissaient cette propension de l’homme à prendre pour des visions surnaturelles des choses qui n’appartiennent qu’à leur propre imagination : il n’est pas rare justement pour ces saints visionnaires de se méfier des visions qu’ils reçoivent en se demandant dans un premier temps si elles ne sont pas le fruit d’hallucinations, et en en parlant à leur directeur spirituel.

Si elle vient du démon :  elle est le fruit de ses prodiges, auquel cas il est toujours possible pour les âmes de bonne volonté et de bon sens de trouver des indices permettant de détecter la présence du démon derrière certains phénomènes extraordinaires. Une anecdote célèbre de la vie de saint Pierre Martyr, inquisiteur dominicain au XIIIe siècle, relate un épisode dans lequel il déjoue une fausse apparition de la sainte Vierge auquel le peuple avait commencé à croire (cf. le tableau en illustration : Saint Pierre Martyr exorcisant un démon ayant pris les traits d’une Vierge à l’Enfant, Antonio Vivarini , 1450). Plus proche de nous, au XIXe siècle dans la suite des apparitions de Lourdes, les fausses apparitions de Ségus (petit village proche de Lourdes) ont été déjouées par le moyen d’une aspersion d’eau bénite. Dans le cas des apparitions de Ségus, une multiplication de faits bizarres et inhabituels entourant ces phénomènes (par exemple, les enfants visionnaires se mettaient à donner des ordres aux adultes pour leur dire comment il convenait de plaire à la sainte Vierge, en leur disant de faire des gestes et des actions qui n’avaient apparemment aucun sens) ont alarmé la vigilance des autorités ecclésiastiques locales, qui ont eu suffisamment de discernement pour suspecter la singerie du démon.

L’attitude des fidèles vis à vis des visions et révélations privées devrait être guidée par les principes qui suivent, principes qui appartiennent à la pratique multiséculaire de l’Église, et aux règles de la prudence et du discernement des esprits :

  • Premièrement, une vision, apparition ou révélation privée ne requiert jamais de la part du fidèle l’assentiment de la foi. Il est hors de propos d’accuser quelqu’un d’impiété ou d’hérésie s’il ne croit pas à la réalité d’une révélation que Dieu aurait faite à un visionnaire. C’est l’enseignement magistériel de l’Église qui requiert l’assentiment de la foi : même les visions les plus connues et les plus communément admises comme authentiques dans l’Église, comme celles de sainte Brigitte ou de sainte Marguerite-Marie Alacocque, n’appartiennent pas au dépôt de la Révélation proprement dite. Il est pieux d’y croire et il y a certainement un mauvais esprit à en douter, si ces visions sont en quelque manière approuvées par l’autorité ecclésiastique (qui se prononce rarement pour dire si les visions sont vraies ou non, mais plutôt pour dire que les dévotions ou les messages qui sont issus de la vision sont vraiment pieux, conformes à l’esprit de Dieu et de son Église). Mais ces révélations privées ne sont pas «de foi», seul le magistère de l’Église nous apprends avec certitude la vérité sur Dieu et sur les moyens du salut.
  • Deuxièmement, en l’absence d’une approbation ecclésiastique des publications faisant état de visions et de révélations privées, la plus grande circonspection est de mise pour les fidèles. Il serait sans doute plus agréable à Dieu de se retenir de croire à des visions ou révélations privées par défaut, tant qu’elles n’ont pas été approuvée par quelque autorité compétente, qu’à l’inverse de croire avec un enthousiasme naïf à tout ce qui a l’apparence de la piété et du surnaturel. Car on peut être trompé facilement dans cet enthousiasme, comme l’a été le peuple de Ségus ou le peuple du village visité par saint Pierre Martyr. Comme le sont aujourd’hui énormément de chrétiens à propos des apparitions bizarres et plus que douteuses de Međugorje. Derrière cette propension à se saisir immédiatement de tout ce qui semble être une apparition céleste, il peut se cacher une tendance au sensationnalisme et un goût immodéré pour l’extraordinaire, qui sont identifiés par les auteurs spirituels comme de possibles signes d’une influence du démon dans l’âme : l’esprit de Dieu fait incliner vers les biens invisibles et insensibles de la grâce, fait affectionner les choses simples et ordinaires en matière de piété et de sanctification. «On doit chercher le Dieu des consolations, pas les consolations de Dieu» dit l’adage. Si l’on est ennuyé par les exercices ordinaires de la piété, par l’étude du catéchisme et des ouvrages classiques de spiritualité, mais fasciné par les apparitions et les révélations, c’est certainement un signe de mauvaise santé spirituelle et une tendance à corriger pour le bien de notre âme.
  • Troisièmement, si le prétendu visionnaire fait preuve de certains comportements irréguliers et incompatibles avec la vraie piété chrétienne, c’est un signe très disqualifiant en défaveur de l’authenticité de ses révélations. Bien que le fait de recevoir des apparitions, des visions et des révélations privées ne constitue pas en soi un signe de sainteté, dans le cours ordinaire des choses Dieu ne donne ces messages particuliers qu’à des personnes saintes ou à des enfants innocents, pour donner de la crédibilité et de l’effet à son message. Si le prétendu visionnaire (très souvent : la prétendue visionnaire) témoigne, sous des apparences extérieures plus ou moins spectaculaires de piété, d’un esprit obstiné et rebelle, c’est qu’il n’a qu’un simulacre de sainteté et qu’il est fort probable qu’il trompe ses auditeurs en quelque manière. S’il fait preuve de comportements autoritaires et manipulateurs, en s’entourant d’une cour d’admirateurs et en accusant les autres de ne pas suffisamment croire à ses révélations par exemple, c’est encore pire. Or ces comportements sont très fréquents parmi les supposées visionnaires de ces derniers temps, et parmi ceux qui relaient avec le plus d’ardeur leurs supposées visions. Ces signes d’orgueil sont si contraires à l’esprit de Dieu qu’il est en pratique impossible que Dieu se serve de ces personnes superbes pour élever les fidèles à une plus grande piété.
  • Quatrièmement, si les prétendues visions et révélations contiennent des faits extravagants, excessivement spectaculaires et contraires aux mœurs ordinaires, c’est encore un signe disqualifiant. Les voies de Dieu sont des voies d’humilité et de simplicité. Même dans les véritables miracles et les signes surnaturels extraordinaires, il se trouve comme un parfum de simplicité qu’on ne retrouve jamais dans ce qui est le fruit de l’imagination ou de l’invention de l’homme. En lisant l’évangile, on peut être frappé par le fait suivant : rien de ce qui est relaté n’est exagéré, rien n’est grossi ou mis en scène, le récit est simple et direct, les miracles physiques de Notre-Seigneur n’incluent pas de signes «prodigieux» ou «fantaisistes» comme les récits populaires de miracles qui existent en terre chrétienne, islamique, hindouiste ou autre, où il est facile de déceler le merveilleux (par exemple, un des seuls «miracles» dont Mahomet est crédité par la tradition orale islamique est d’avoir pris la Lune dans le ciel puis de l’avoir mise dans sa manche … c’est pour le moins grotesque et inutile). Plusieurs fois d’ailleurs le Christ loue la foi de ceux qui n’attendent pas de signe visible et extraordinaire, mais savent que par un simple mouvement de sa volonté, il a le pouvoir de guérir : notamment le centurion romain, qui ne demande pas au Christ de venir chez lui guérir son serviteur, mais simplement de dire un mot pour sa guérison (Matthieu VIII, 5-13). Si donc un récit d’apparition supposément surnaturelle contient des éléments qui semblent oiseux, grotesques, merveilleux et bizarres, c’est une très bonne raison de douter de son caractère surnaturel. C’est parfois à ces signes de bizarreries que l’on peut détecter l’ingénierie du démon derrière des manifestations apparemment célestes : dans les prodiges démoniaques, il y a toujours quelque chose d’étrange et de ridicule, de telle sorte que les chrétiens sincères et avertis puissent se rendre compte qu’il y a une tromperie. Pour autant, il peut arriver que de vraies apparitions contiennent des faits surprenants et inhabituels, par rapport aux récits déjà connus de miracles et d’apparitions : il faut un vrai travail de discernement pour tirer au clair le caractère surnaturel d’une apparition ; dans ce travail de discernement l’étude des fruits de l’apparition est décisif, et en définitive le moyen le plus fiable d’avoir une vraie sécurité d’interprétation est de recourir aux jugements d’une autorité ecclésiastique, au moins à l’échelle d’un diocèse. Si après examen l’autorité ecclésiastique interdit la diffusion et la publication d’écrits faisant état d’une supposée révélation privée, c’est évidemment une raison très sérieuse de ne pas la tenir pour authentique.
  • Cinquièmement, si les prétendues révélations font état de choses qui flattent la curiosité plutôt qu’elles ne nourrissent la piété, c’est un fort indice en faveur d’une origine purement humaine. Énormément de supposées révélations privées, dont certains sont extrêmement friands dans les milieux traditionalistes, semblent n’être que de oiseuses et prétentieuses prédictions de l’avenir. Que sert à l’homme de savoir quels seront dans le détail les grands événements du temps futur ? En quoi cette connaissance permet d’être plus saint, plus humble, plus charitable et plus orienté vers Dieu ? Cette pseudo-connaissance a plutôt pour effet de flatter la curiosité et peut-être d’enfler l’orgueil en donnant la sensation que l’on a accédé à un savoir caché, et d’être ainsi «mieux préparé» que ceux qui ne veulent pas donner leur assentiment à ces révélations. Mais préparé à quoi exactement ? L’évangile nous apprend qu’un souci excessif de l’avenir et de ses incertitudes n’est pas conforme à l’esprit de Dieu : «N’ayez donc point le souci du lendemain, car le lendemain aura souci de lui-même : à chaque jour suffit sa peine» (Matthieu VI, 34). Pourquoi Dieu prendrait le temps de révéler les détails de l’avenir à des voyantes s’il nous dit par ailleurs, dans les saintes Écritures, qu’il n’y a pas à se préoccuper des détails de l’avenir, surtout s’ils concernent le monde dans son ensemble (et des choses sur lesquelles nous n’avons aucune emprise) plutôt que notre vie et notre devoir d’état en particulier ? Pour notre humilité, Dieu fait que l’avenir nous est en grande partie inconnu et obscur, y compris pour ce qui concerne les événements terribles qui doivent arriver à la fin des temps, sur lesquels l’Église n’enseigne que peu de choses et dans un langage peu explicite : de tout temps, l’Église a laissé les fidèles débattre librement sur l’interprétation du livre de l’Apocalypse et les événements entourant la fin des temps, ne définissant que trois signes devant certainement précéder cette fin des temps (la prédication universelle de l’évangile, la grande apostasie et la venue de l’Antéchrist). Il faut veiller pour nous à ce que cette curiosité concernant les derniers temps ne se transforme pas dans une sorte d’obsession malsaine et dévorante, qui pousse à chercher des «signes» partout d’une manière quasiment superstitieuse, car cela ne change strictement rien du point de vue de notre devoir d’état et de notre sanctification que la fin du monde soit demain, dans 10 ans ou dans 150 ans. La piété commande de se préparer personnellement à la mort, chaque jour de notre vie, plutôt que de nous «préparer à la fin des temps» en divaguant en imagination dans ces eaux incertaines. Ces supposées révélations sur la fin des temps ou sur l’avenir plus ou moins proche de la France et du monde ne sont d’aucun intérêt et d’aucune aide du point de vue de notre sanctification. Il faut de plus garder à l’esprit que l’histoire de l’Église et du monde est traversée, à chaque époque, de ces fausses visions et fausses révélations promettant un avenir politique glorieux à quelque prince ou à quelque nation, ou annonçant quelque malheur terrible. La fausse doctrine du millénarisme a inondé le monde de fausses révélations sur l’avenir. Par exemple, au XVe siècle en Aragon, beaucoup de «révélations privées» et de «prophéties» prétendaient que  le roi de l’époque était destiné à devenir le grand monarque universel devant inaugurer le «règne millénaire du Christ». Hélas pour les hommes de ce temps, le royaume d’Aragon n’est plus qu’un lointain souvenir aujourd’hui … Au Portugal, un équivalent est le «sébastianisme», sorte de mouvement culturel et spirituel nourri par de supposés miracles et de supposées prophéties, basé sur la croyance en la survie et au retour du roi Sébastien Ier, disparu durant la «bataille des Trois Rois» au Maroc en 1578. Il fait écho à de vieux mythes ibériques antérieurs sur le «roi caché» ou le «roi disparu» qui attend le bon moment pour revenir. Il se trouvait encore au XVIIIe siècle des auteurs ecclésiastiques qui croyaient à ces prophéties et les diffusaient. Il s’agit cette fois de dire que le grand règne chrétien universel sera dirigé par le Portugal. Qui ne voit que dans ces pseudo-prophéties, qu’elles soient relatives à l’Aragon, au Portugal ou à la France, ne sont que l’expression des des rêves de grandeur restaurée de ces nations, et flattent l’orgueil national et la curiosité beaucoup plus que la piété ? Chacun aura l’orgueil de prétendre être le nouvel Israël, comme si depuis la Nouvelle Loi Dieu avait prévu de s’appuyer sur une nation particulière, au détriment de toutes les autres, pour faire avancer son œuvre. Rien dans la Révélation ne permet d’avancer de telles théories., et l’histoire de l’Église nous montre que Dieu se sert parfois particulièrement de certains nations pour ses desseins (la France et le Portugal, grandes nations chrétiennes, sont certainement en bonne place sous ce rapport), mais pas d’une seule au détriment des autres comme le veulent ces supposées prophéties. Pourquoi même chercher à savoir si ces prophéties sont vraies ou fausses, vu l’impact inexistant qu’elles auront sur notre conduite quotidienne en présence de Dieu ? Enfin pour finir nous mentionnerons au titre des pseudo-révélations les soi-disant prophéties en vogue dans les milieux catholiques des années 1980 à propos d’une invasion violente et imminente de la France par l’URSS. En creusant un peu, on pourrait trouver à chaque époque des dizaines d’ouvrages remplis de ces pseudo-prophéties oiseuses, qui donnent l’air d’être des certitudes issues de la lumière divine et qui ne se réalisent jamais. Sans doute parce qu’elles proviennent de l’imagination et de l’orgueil des hommes, et pas de la sagesse de Dieu. A nous de savoir nous garder de ces distractions, pour privilégier le combat spirituel et la sanctification à toute autre préoccupation.
  • Sixièmement, si les prétendues visions et révélations contiennent des errances doctrinales, nient ou minimisent des dogmes de foi et proposent comme venant de Dieu des doctrines qui n’ont jamais été admises dans l’Église, alerte rouge ! L’apôtre saint Paul disait aux Galates : «Si jamais quelqu’un, fut-ce nous-même, fut-ce un ange venu du ciel, vous prêchait un évangile autre que celui que nous avons prêché, qu’il soit anathème ! Nous l’avons déjà dit, je le redis à cette heure : si quelqu’un vous prêche un évangile autre que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème !» (Gal. I, 8-9). Ce serait la dernière des folies de donner du crédit à une fausse doctrine sous le prétexte qu’elle émane d’une apparition qui semble vraie et d’une personne qui semble pieuse. Si les signes précédemment mentionnés permettent de douter de la véracité d’une révélation privée, ici l’errance doctrinale donne la certitude que la révélation est fausse, quelles que soient les apparences de piété qui l’entourent par ailleurs. Or ces fausses visions et fausses révélations invoquées à l’appui de fausses doctrines sont nombreuses, n’en soyons pas dupes.
  • Septièmement, et en lien avec le point précédent : il n’est jamais possible d’invoquer des révélations privées comme argument dans un débat théologique. La théologie est la science qui permet d’expliciter, d’approfondir et de connecter entre elles les vérités révélées, à l’aide de la raison. Elle est un «discours raisonnable» sur Dieu et ce qui est relatif à Dieu. Cette science a ses règles, ses méthodes, ses maîtres et ses autorités (saint Thomas d’Aquin, saint Robert Bellarmin, saint Alphonse de Liguori font partie des autorités les plus respectées et les plus recommandées par l’Église). Elle ne repose pas principalement sur l’autorité des auteurs du passé (l’argument d’autorité – humaine – dans la réflexion est le plus faible de tous d’après saint Thomas d’Aquin, qui évoque ce principe à propos d’Aristote en philosophie), mais sur les principes de la raison première et de la réalité, utilisés pour mieux comprendre la Révélation (l’argument d’autorité divine étant la base de toute théologie) ; ce qui fait le crédit et la qualité d’un théologien est généralement sa capacité à remonter aux principes pour élucider certaines questions obscures ou débattues à propos des vérités révélées. Jamais on n’a vu un théologien digne de ce nom, dont le travail a été approuvé en quelque manière par l’Église, citer à l’appui de ses thèses et de ses démonstrations des apparitions ou des révélations privées : quand bien même certaines véritables apparitions donnent du crédit à des thèses théologiques et peuvent motiver l’Église à définir des dogmes (par exemple, les apparitions de la médaille miraculeuse ont motivé la définition du dogme de l’Immaculée Conception, vérité déjà crue depuis longtemps dans l’Église par ailleurs), elles ne constituent pas en soi des arguments pour prouver la vérité d’une position dans le cadre d’une démonstration théologique, car elles n’appartiennent pas au dépôt de la foi et ne demandent pas un assentiment absolu de la part des catholiques. Il est courant pour des auteurs de spiritualité de parler de visions et de révélations privées pour illustrer certains principes et inciter à la piété ; une telle chose en revanche est inconnue dans le cadre de la théologie. Ce stratagème (d’invoquer une révélation privée en théologie) est en fait souvent employé par des ennemis de la vérité, pour donner du crédit à des doctrines par ailleurs absurdes en faisant croire qu’elles viennent directement du Ciel : les modernistes s’en sont abondamment servis et s’en servent encore aujourd’hui, notamment pour accréditer leurs thèses eschatologiques. Par exemple l’idée suivant laquelle les enfants morts sans Baptême sont au Paradis, l’idée suivant laquelle personne ne se damne, l’idée suivant laquelle chaque personne a une apparition personnelle du Christ pour pardonner les péchés et appeler à la conversion au moment de mourir (ce qui appuie beaucoup l’idée suivant laquelle un nombre infime ou nul de personnes se damnent). Un cas d’école en cette matière est le théologien Hans Urs von Balthasar (1905-1988), considéré comme «l’un des plus grands théologiens du XXe siècle» par les conciliaires, promu à la «commission théologique internationale» par Paul VI en 1969, puis nommé «cardinal» par Jean-Paul II en 1988, théologien préféré de Benoît XVI avec Henri de Lubac [1]. Il est connu surtout pour sa fameuse théorie suivant laquelle l’enfer existe réellement (c’est après tout un dogme de foi) mais est en fait vide : la damnation est théoriquement possible, mais la miséricorde de Dieu prévient en pratique la damnation de quiconque. Ses principaux arguments résident dans les prétendues visions d’Adrienne von Speyr (1902-1967), avec laquelle il entretenait une relation pour le moins bizarre et malsaine, dont nous souhaitons parler prochainement dans un article dédié. En réalité, l’essentiel du travail de von Balthasar, «génial théologien du XXe siècle», est un commentaire des prétendues visions de von Speyr, dont il est l’unique dépositaire et interprète …

Savoir reconnaître, déjouer et contredire les fausses communications surnaturelles, ou les révélations privées douteuses, est une science très utile aujourd’hui, en cette époque où beaucoup, ayant la démangeaison d’entendre des choses qui les flattent, se donnent une foule de docteurs selon leurs désirs, détournent l’oreille de la vérité et se tournent vers des fables (2 Timothée IV, 3). En suivant les principes précédemment exposés, tout chrétien saura aborder paisiblement et sans excès de passion le problème des visions, apparitions et révélations privées, à la lumière de la foi et de la raison.

Jean-Tristan B.


[1] Joseph Ratzinger, avant et après son élection au souverain pontificat, n’a de cesse de louer Hans Urs von Balthasar, sans l’ombre d’une critique. Il publie par exemple en 2005, dans l’exercice de son « pontificat », un document à la louange de son ami et de sa théologie : https://www.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/messages/pont-messages/2005/documents/hf_ben-xvi_mes_20051006_von-balthasar.html


Pour continuer sur le même sujet, nous recommandons plusieurs articles en langue anglaise sur le blog « introibo ad altare Dei »:

http://introiboadaltaredei2.blogspot.com/2019/07/when-apparitions-become-dogma.html

http://introiboadaltaredei2.blogspot.com/2016/10/you-shouldnt-always-believe-what-you-see.html

http://introiboadaltaredei2.blogspot.com/2013/04/when-supernatural-becomes-superstitious.html

Peut-on rejeter Vatican II car il s’agit d’un concile pastoral ?

Réponse à une objection au sédévacantisme

*Nota bene : Nous nous plaçons dans cet article sur le plan du droit et non du fait. Dans les faits, le concile n’est pas infaillible puisque son enseignement n’a pas été promulgué par un Pape authentique (Paul VI en l’occurrence). Nous parlons donc de ce qui, en droit, c’est-à-dire eu égard aux principes qui régissent l’Eglise et à la nature des actes posés, aurait dû être infaillible.

L’idée selon laquelle Vatican II n’est qu’un « concile pastoral » et que l’on peut donc rejeter ses enseignements en sûreté de conscience, s’attaque au fondement même de la position « sédévacantiste ». En effet, si les passages problématiques du concile et les réformes qui suivirent n’engageaient pas en droit l’infaillibilité, les erreurs qui y sont contenues ne remettraient pas en cause l’autorité de celui qui les a promulgués. Ainsi, Paul VI et ses successeurs, qui ont dispensé ces faux enseignements et mis en œuvre ces lois mauvaises auraient conservé l’autorité pontificale et seraient demeurés vicaires de Jésus-Christ.

Pour répondre, il faut donc considérer deux choses :

  • La divinité de l’Eglise et son magistère en général
  • La qualification du concile en particulier

Enfin, une courte conclusion répondra à l’objection formulée contre la position sédévacantiste.


La divinité de l’Eglise et son magistère

Jésus-Christ a fondé l’Eglise catholique pour continuer son œuvre salvatrice [1] et lui a pour cela transmis son pouvoir  d’enseigner, de gouverner et de sanctifier les âmes. L’Eglise est divine et a une vocation surnaturelle : guider surement les âmes à Dieu en leur donnant les moyens du salut. Pour accomplir cette mission, Dieu l’assiste continuellement en demeurant avec elle.

« Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils, et du Saint-Esprit, et leur enseignant à observer tout ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles »

Matth. XXVIII, 19-20

Pour aimer Dieu et nous sauver en l’atteignant comme notre fin, il faut d’abord le connaître dans son intimité puisqu’on ne peut atteindre ce qu’on ne connaît pas. Cette connaissance intime de Dieu nous dépasse et nous ne pouvons l’atteindre que parce que Dieu a parlé directement aux hommes en se révélant. C’est en cette adhésion de l’intelligence aux vérités révélées par Dieu que consiste la foi. L’Eglise, par son magistère, c’est-à-dire son enseignement, nous atteste avec certitude que telle ou telle vérité est révélée, et, par conséquent, oblige notre assentiment. L’Eglise est la règle prochaine de notre foi [2], la gardienne, la colonne et le fondement de la Vérité (1 Tim. III, 15). L’Eglise est un admirable trésor de Dieu, elle est un roc immaculé d’une importance capitale pour notre salut : elle éclaire et surélève nos intelligences par la conservation et l’explication du dépôt révélé, objet de la foi.

Jésus-Christ a donné à saint Pierre et à ses successeurs, les papes, la primauté suprême sur l’Eglise. Ils en sont les chefs, vicaires de Jésus-Christ.

« Et Moi, Je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre Je bâtirai Mon église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. Et Je te donnerai les clefs du royaume des Cieux ; et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aussi dans les Cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié aussi dans les Cieux »

Matth. XVI, 18-19

Si l’Eglise n’était pas revêtue de l’autorité de Dieu, et si son magistère n’était pas la règle prochaine de notre foi, nous ne serions certains de rien : ni le culte, ni le canon des livres de la Bible, ni les dogmes fondamentaux de la religion, ne seraient certainement véridiques et agréables à Dieu. L’idée d’une « Tradition » qui servirait de règle prochaine de la foi ne nous sortirais pas de manière définitive du doute et de l’incertitude : nous en serions réduits, comme les sectes protestantes, à des divisions intestines et à des querelles pour savoir ce qui est vraiment traditionnel, ce qui a vraiment été cru « partout et toujours ». C’est pourquoi il a toujours été évident pour les catholiques (avant Vatican II) que l’enseignement ordinaire de l’Eglise était la règle prochaine de la foi, et que c’est l’Eglise enseignante qui a autorité pour savoir ce qui est traditionnel ou non, au sens de la Tradition apostolique.

« L’Eglise universelle ne peut se tromper, car elle est gouvernée par le Saint-Esprit, qui est l’Esprit de vérité : le Seigneur, en effet l’a promis à ses disciples en disant (Jean XVI, 13) : « Lorsqu’il viendra, l’Esprit de vérité, il vous enseignera toute la vérité ». »

Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, II-II, q. 1, a. 9

« Notre position est donc que l’Eglise ne peut absolument pas se tromper, ni dans les choses absolument nécessaires, ni dans les autres choses qu’elle nous propose à croire ou à faire, que ces choses soient expressément dans l’Ecriture ou qu’elles n’y soient pas. »

Saint Robert Bellarmin, Des conciles et de l’Eglise ; Lib. III : De l’Eglise militante répandue sur toute la terre, Ch. XIV : l’Eglise ne peut errer

« Vous avez ouï dire, Théotime, que dans les conciles généraux il se fait des grandes discussions et recherches de la vérité, par discours, raisons et arguments de théologie; mais la chose étant débattue, les pères, c’est-à-dire les évêques, et spécialement le pape, qui est le chef des évêques, concluent, résolvent et déterminent, et la détermination étant prononcée, chacun s’y arrête et acquiesce pleinement, non point en considération des raisons alléguées en la discussion et recherche précédente, mais en vertu de l’autorité du Saint-Esprit qui, présidant invisiblement dans les conciles, a jugé, déterminé et conclu par la bouche de ses serviteurs qu’il a établi pasteurs du christianisme. L’enquête donc et la discussion se font au parvis des prêtres, entre les docteurs; mais la résolution et l’acquiescement se font au sanctuaire, où le Saint-Esprit, qui anime le corps de l’Eglise, parle par la bouche de ses chefs, selon que notre Seigneur l’a promis »

Saint François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, Livre II, chap. XIV

« C’est Dieu, c’est Jésus-Christ qui a fondé sur la terre et constitué l’Église; et c’est lui qui a divisé l’Église en deux parties, unies mais distinctes. L’Église enseignante et l’Église enseignée. L’Église enseignée est formée des laïques et des simples prêtres, lesquels ne sont, en aucun cas, juges de la foi. L’Église enseignante, par laquelle Dieu enseigne et gouverne les fidèles répandus sur toute la terre, est composée du Pape et des Évêques ; et comme c’est Dieu lui-même qui parle par elle, qui, par elle, enseigne, commande, condamne, pardonne, tout ce que l’Église enseignante lie ou délie sur la terre, est en même temps infailliblement lié et délié dans les cieux. En d’autres termes, l’Eglise enseignante est infaillible; elle ne peut se tromper ni nous tromper; elle est immédiatement assistée de Dieu. Or, le Concile n’est autre chose que l’Église enseignante assemblée; et c’est pour cela que le Concile est infaillible, et que tous ses décrets, toutes ses décisions ont un caractère d’autorité souveraine et divine. Tout le monde doit s’y soumettre ; tout le monde, sans exception. Et c’est tout simple : qui a le droit de ne pas se soumettre à Dieu »

Mgr de Ségur, L’infaillibilité du Pape, Chap. I

L’Eglise est donc infaillible parce que Dieu est infaillible. Le pape seul et les évêques unis au pape sont infaillibles lorsqu’ils enseignent ce qu’il faut croire et ce qu’il faut faire parce qu’ils en ont divinement reçu la mission de Jésus-Christ, chef invisible de l’Eglise. Un catholique aime l’Eglise parce qu’il aime Dieu ; il croit et écoute ce que lui dit l’Eglise parce qu’il a confiance en Dieu, Amour subsistant et Vérité même. Le credo nous enseigne que l’Eglise est une, sainte, catholique et apostolique : elle ne peut pas donner de poison à ses fils, elle ne peut pas se contredire, elle ne peut pas enseigner l’erreur en matière de foi, elle ne peut pas inciter au mal par de mauvaises disciplines. Même dans son enseignement « pastoral » (c’est-à-dire par ses dispositions non dogmatiques, contingentes, liées au temps et au lieu), elle ne fait qu’appliquer pratiquement des principes certains. Ses lois disciplinaires, si elles peuvent être changées par l’autorité légitime, sont vierges de tout danger et ne peuvent conduire au mal. Le contraire s’opposerait à la mission et à la constitution divine de l’Eglise. C’est ce qu’a enseigné le pape Pie VI, en 1794, dans sa bulle Auctorem Fidei par laquelle il condamna la 78ème proposition du conciliabule janséniste de Pistoie tenu en 1786 :

« Le synode prescrit l’ordre des matières à traiter dans les conférences : il dit d’abord, que « dans chaque article, il faut distinguer ce qui se rapporte à la foi et à l’essence de la religion de ce qui est propre à la discipline » ; il ajoute que, « dans cette discipline même, il faut distinguer ce qui est nécessaire ou utile pour retenir les fidèles dans le bon esprit, de ce qui est inutile ou trop pesant pour la liberté des enfants de la nouvelle alliance, et encore plus de ce qui est dangereux et nuisible, comme conduisant à la superstition et au matérialisme » (ibid., § 4). Par la généralité des expressions, le synode comprend et soumet à l’examen, qu’il prescrit, même la discipline constituée et approuvée par l’Église, comme si l’Église, dirigée par l’Esprit de Dieu, pouvait établir une discipline non seulement inutile et trop onéreuse pour la liberté chrétienne, mais encore dangereuse, nuisible et conduisant à la superstition et au matérialisme. Cette proposition est fausse, téméraire, scandaleuse, pernicieuse, offensive des oreilles pies, injurieuse pour l’Église et pour l’Esprit de Dieu par qui elle est conduite, et erronée pour le moins »

Pie VI, Auctorem Fidei

Concluons avec Léon XIII :

« Il est donc évident, d’après tout ce qui vient d’être dit, que Jésus-Christ a institué dans l’Eglise un magistère vivant, authentique et, de plus, perpétuel qu’Il a investi de Sa propre autorité, revêtu de l’esprit de vérité, confirmé par des miracles, et Il a voulu et très sévèrement ordonné que les enseignements doctrinaux de ce magistère fussent reçus comme les Siens propres »

Satis Cognitum

« Quant à déterminer quelles doctrines sont renfermées dans cette révélation divine, c’est la mission de l’Eglise enseignante, à laquelle Dieu a confié la garde et l’interprétation de sa parole; dans l’Eglise, le docteur suprême est le Pontife Romain. L’union des esprits réclame donc, avec un parfait accord dans la même foi, une parfaite soumission et obéissance des volontés à l’Eglise et au pontife Romain, comme à Dieu lui-même »

Sapientiae Christianae

La qualification de Vatican II

Nous avons vu que l’infaillibilité du magistère de l’Eglise vient de Dieu. Il a pour objet les vérités révélées par Dieu et liées nécessairement à la révélation. Il a pour sujet le pape seul ou les évêques unis au pape. Il peut aussi s’exercer selon différents modes : solennel ou ordinaire. Ces subtilités ne doivent pas éclipser l’essentiel : l’Eglise est infaillible dans son enseignement sur la foi et les mœurs en vertu de l’assistance continuelle qu’elle reçoit de Dieu. Quand elle donne un tel enseignement, le fidèle doit le recevoir dans la lumière de la foi comme une vérité certaine.

Le concile Vatican II se tient du 11 octobre 1962 au 8 décembre 1965. Il réunissait 2450 pères conciliaires et a mené à la « promulgation » de quatre constitutions, trois déclarations et neuf décrets. Normalement, un tel concile œcuménique est l’expression du magistère solennel de l’Eglise enseignante. Cependant, l’absence de définition solennelle et la déclaration de Paul VI lors d’une audience du 12 janvier 1966 [3] le classe plutôt au sein du Magistère ordinaire et universel de l’Eglise. Cette expression est utilisée par le Concile Vatican I (1870) pour expliciter les modes d’exposition des vérités de foi. La Députation de la foi, commission de 24 membres chargée de donner aux Pères conciliaires le sens exact des textes, s’appuie sur la lettre envoyée par Pie IX à l’archevêque de Munich pour expliquer ce qu’est le magistère ordinaire et universel :

« Quand il ne s’agirait que de la soumission qui doit se manifester par l’acte de foi divine, on ne pourrait pas la restreindre aux seuls points définis par les décrets des conciles œcuméniques ou des Pontifes romains et de ce Siège apostolique ; il faudrait encore l’étendre à tout ce qui est transmis comme divinement révélé par le magistère ordinaire de toute l’Eglise dispersée sur la terre »

Pie IX, Tuas Libenter, 1863

Le Magistère ordinaire et universel est donc l’enseignement quotidien de l’ensemble des évêques unis au pape. Comme le signale Pie IX, Les évêques sont habituellement dispersés sur la terre lorsqu’ils exercent ce magistère. Cependant, l’union physique (un concile) de l’Eglise enseignante (pape et évêques) n’abolit pas leur union formelle (accord moral sur ce qui est enseigné) dans l’enseignement. Ces qualifications désignent des modes d’exercice accidentels du Magistère. Solennel ou ordinaire, papal ou universel (évêques unis au pape), en concile ou dispersé sur la terre, c’est la nature de l’acte magistériel et de son contenu qui est essentiel. Ce qui doit faire l’objet d’un acte de foi et d’un assentiment religieux des fidèles, c’est la vérité révélée par Dieu ou rattachée à la révélation, indépendamment de la manière dont elle est présentée par le pape et l’Eglise. C’est l’enseignement du Concile Vatican I sur l’objet de la foi :

« Est à croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la Parole de Dieu ou écrite ou transmise, et que l’Eglise, soit par un jugement solennel, soit par son magistère ordinaire et universel, propose à croire comme divinement révélé. »

Constitution Dei Filius

C’est ce que confirme Léon XIII en reprenant les enseignements du Concile Vatican I :

« Quand il s’agit d’établir les limites de l’obéissance, que personne ne s’imagine que la soumission à l’autorité des pasteurs sacrés et surtout du Pontife Romain s’arrête à ce qui concerne les dogmes, dont le rejet opiniâtre ne peut aller sans le crime d’hérésie. Il ne suffit même pas de donner un sincère et ferme assentiment aux doctrines qui, sans avoir été définies par un jugement solennel de l’Eglise, sont cependant proposées à notre foi, par son magistère ordinaire et universel, à la croyance des fidèles comme étant divinement révélées ; et que l’on doit croire, selon le décret du Concile du Vatican de foi catholique et divine »

Léon XIII, Sapientiae Christianae

Le concile Vatican II aurait donc dû jouir de l’infaillibilité toutes les fois où il affirme dans ses enseignements que telle ou telle vérité est révélée par Dieu ou rattachée à la révélation. Or, ce lien avec la révélation est affirmé dans de nombreux documents issus du concile. Ceci est normal, puisqu’un concile a justement pour but de proposer aux fidèles des vérités à croire pour éclairer leur intelligence avec certitude dans la voie du salut. Prenons par exemple la déclaration Dignitatis Humanae sur la liberté religieuse, « promulguée » le 7 décembre 1965 par Paul VI :

« Le Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. […] Il déclare en outre que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité de la personne humaine telle que l’on fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même. […] Cette doctrine de la liberté a ses racines dans la révélation divine, ce qui, pour les chrétiens, est un titre de plus à lui être saintement fidèles […] L’Eglise, donc, fidèle à la vérité de l’Evangile, suit la voie qu’ont suivie le Christ et les Apôtres lorsqu’elle reconnaît le principe de la liberté religieuse comme conforme à la dignité de l’homme et à la Révélation divine, et qu’elle encourage une telle pratique »

Déclaration Dignitatis Humanae

Le concile affirme ici l’existence d’un droit à la liberté religieuse inhérent à la nature même de l’homme. Il ne s’agit nullement d’une tolérance de fait pour éviter un plus grand mal mais d’un droit inaliénable et indépendant des circonstances. Ce droit inconditionnel attaché à la nature humaine est explicitement enseigné comme étant contenu dans la Parole de Dieu où il trouverait son fondement et sa justification. Par conséquent, il doit faire l’objet d’un acte de foi divine et catholique de la part des fidèles.

Paul VI confirme « la promulgation » de ce texte en vertu de sa suprême autorité :

« Tout l’ensemble et chacun des points qui a été édictés dans cette déclaration ont plu aux Pères conciliaires. Et Nous, en vertu du pouvoir apostolique que nous tenons de Christ, en union avec les vénérables Pères, Nous les approuvons, arrêtons et décrétons dans le Saint-Esprit, et Nous ordonnons que ce qui a été établi en concile soit promulgué pour la gloire de Dieu. Rome, à Saint-Pierre, le 7 décembre 1965, Moi, Paul, Evêque de l’Eglise catholique. »

Déclaration Dignitatis Humanae

Loin d’être un conseil purement pratique ou pastoral, la liberté religieuse est définie par celui qui aurait dû jouir de l’autorité pontificale comme un droit naturel explicitement contenu dans la Révélation.

Si par pastoral, il faut entendre ordinaire, non solennel, alors nous concédons que Vatican II soit pastoral. Si il faut entendre non-doctrinal (et que serait-il alors ? Pourquoi aurait-il eu lieu ? De quoi aurait-il parlé ?), ne s’imposant en aucune façon à la foi des croyants, nous nions. Vatican II n’est pas pastoral en tant que tel tout comme il n’aurait pas dû être infaillible dans la moindre de ses phrases. En revanche, en tant que concile théoriquement promulgué par l’autorité du pape et en vertu du magistère vivant et infaillible dont Jésus-Christ a doté l’Eglise, ses enseignements en matière de foi et de morale auraient dû être infaillibles et impérer conséquemment un acte de foi de la part des fidèles. Par ailleurs, il fût compris comme telle par les pères conciliaires, les théologiens et les imposteurs qui se succédèrent sur le siège apostolique. [4] Citons Yves Congar, peritus au concile, « élevé au cardinalat » par Jean-Paul II en 1994 :

« Vatican II a été doctrinal. Le fait qu’il n’ait pas « défini » de nouveaux dogmes ne retire rien à sa valeur doctrinale, selon la qualification que la théologie classique donne, de façon différentiée, aux documents qu’il a promulgués. Certains sont « dogmatiques », ils expriment la doctrine commune, ils seraient comparables aux grande encycliques doctrinales (qu’ils citent d’ailleurs souvent), à cela près qu’ils expriment, par la voie (et la voix) du magistère extraordinaire l’enseignement de ce que Vatican I a appelé « le magistère ordinaire et universel ». Tel est le statut de Lumen Gentium, des parties doctrinales de Dei Verbum, de la Constitution sur la liturgie et de Gaudium et spes, mais aussi de plusieurs « décrets » et de la déclaration Dignitatis Humanae personae. D’autres textes ou parties de ces mêmes documents sont de nature purement « pastorale » c’est-à-dire donnant, selon la prudence surnaturelle des pasteurs réunis en concile, des directives en matière pratique. »

Yves Congar, Le Concile de Vatican II, édit. Beauchesne, 1984, p.64

Si donc l’on rejette à bon droit le concile et ses suites qui subvertissent objectivement la foi catholique et entraînent une destruction du culte et de la morale, il faut rejeter du même coup l’autorité de ceux qui en sont responsables. Autrement, on en vient à défendre par naïveté ou par entêtement des absurdités injustifiables, on se perd dans des gauchissements de la doctrine catholique en s’éloignant toujours plus de la vérité.

Mathis C.


[1] « L’Eglise, c’est Jésus-Christ répandu et communiqué » écrivait Bossuet.

[2] Ce que nous croyons à proprement parler est la Parole de Dieu, objet de notre foi. Cette parole est toute entière contenue dans la Sainte Ecriture et dans la Tradition, c’est la règle éloignée de la foi. Pour la connaître avec certitude nous avons besoin que le magistère de l’Eglise nous dise avec une autorité infaillible où se trouve la parole de Dieu et comment nous devons l’interpréter; que ce même magistère nous dise encore tout ce qui lui est contraire et qu’il faut éviter, c’est la règle prochaine de la foi. Saint Pie X rappelait lors d’une visite à des étudiants cet enseignement fondamental pour tout bon chrétien : « Le premier et le plus grand critérium de la foi, la règle suprême et inébranlable de l’orthodoxie est l’obéissance au magistère toujours vivant et infaillible de l’Église établie par le Christ « columna et firmamentum veritatis, la colonne et le soutien de la vérité ».  Nous renvoyons le lecteur à un autre article sur la règle de notre foi : https://www.sodalitium.eu/regle-de-foi/ 

[3] « Etant donné son caractère pastoral le Concile a évité de proclamer selon le mode extraordinaire des dogmes dotés de la note d’infaillibilité. Toutefois le Concile a attribué à son enseignement l’autorité du magistère suprême ordinaire ; cet enseignement est manifestement authentique et doit être accepté par tous les fidèles suivant les normes que lui a attribuées le Concile, compte tenu de la nature et du but de chaque document » (La Documentation Catholique, n° 1466, 1966, p.420)

[4] Le 30 janvier 2021, François recevait au Vatican l’Office national italien de la catéchèse. Il rappelait que le concile faisait partie du magistère et qu’à ce titre, il n’était pas négociable : « C’est le magistère : le Concile est le magistère de l’Eglise. Sois tu restes avec l’Eglise et donc tu suis le Concile, et si tu ne suis pas le Concile ou si tu l’interprètes à ta façon, comme tu veux, tu ne restes pas avec l’Eglise. Nous devons être exigeants sur ce point, sévères. Le Concile ne doit pas être négocié, pour avoir plus de ceci… Non, le Concile est ainsi. » https://fr.zenit.org/2021/01/30/le-pape-exhorte-leglise-a-ne-pas-avoir-peur-decouter-les-questions-les-fragilites-les-incertitudes/ 

Traditionis Custodes : Les traditionalistes doivent faire un choix

Réflexions sur le motu proprio Traditionis Custodes (16/07/2021)


Ce document était attendu depuis un moment : il fait suite à une grande « enquête sur le rite extraordinaire » commandée par Bergoglio aux différentes conférences épiscopales le 7 mars 2020. Le motu proprio Summorum Pontificum (2007) de Benoît XVI avait donné lieu à une « régularisation » ou « légalisation » du culte catholique suivant le rite tridentin, apanage de quelques communautés qui vivent et agissent en marge des structures officielles du catholicisme depuis le Concile Vatican II et l’instauration obligatoire du Novus Ordo Missae en 1969. En 2007, quand Benoît XVI émet son motu proprio pour autoriser officiellement la pratique du rite tridentin, ces traditionalistes, restés attachés à « l’ancien rite » et à la foi catholique telle qu’elle a toujours été enseignée, ont presque tous exulté (y compris la FSSPX, héritière de Mgr Lefebvre), ne voyant pas ou feignant de ne pas voir l’absurdité de la situation, sa fragilité et son hypocrisie. 13 ans plus tard, le constat de cette absurdité et de cette hypocrisie est fait par les conciliaires eux-mêmes, qui cherchent à limiter drastiquement les dispositions du motu proprio précédent. Serait-ce l’occasion pour les traditionalistes de réfléchir en profondeur à leurs engagements, à leur foi et à la nature véritable de la crise de l’Eglise ? Quelle conclusion logique faut-il tirer de la détestation des autorités conciliaires à l’égard de la vraie liturgie catholique ?

Le motu proprio de Benoît XVI était déjà une hypocrisie et une absurdité

Les traditionalistes ont commencé leur combat en refusant une « messe protestante », une « messe bâtarde » (l’expression est de Mgr Lefebvre), qui n’est que l’expression sensible et extérieure de la « foi » bâtarde et protestante promue par Vatican II. Lex orandi, lex credendi : la loi de prière est la loi de croyance ; la liturgie est l’expression et l’illustration de ce que l’on croit. Par ses innombrables omissions et ses nouveautés, le rite de Paul VI s’éloigne « de manière impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe »(1). Par extension, Vatican II s’éloigne de manière impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique … Liberté religieuse, œcuménisme de type « théorie des branches », collégialité épiscopale, laïcité, exaltation du judaïsme talmudique, soutien intellectuel et pratique au mondialisme maçonnique athée, dévalorisation de la vie intérieure et de la mortification au profit de « l’action » et de la « positivité », effacement de l’objectivité de la morale au profit de la subjectivité et des sentiments (au point que la contraception artificielle, la sodomie ou le suicide peuvent devenir un « bien subjectif »), tout ceci est contenu dans Vatican II et/ou dans l’enseignement des successeurs de Paul VI.

Par les desseins miséricordieux de la Providence, qui a permis que l’Eglise soit infiltrée de l’intérieur et sabordée par ses pires ennemis (exactement comme le craignait Saint Pie X), cette infiltration et ce sabordage ont été rendus particulièrement visibles et évidents, avec la réforme liturgique de 1969. Nos jeunes générations ne se représentent pas bien à quel point la réaction au nouveau missel a été massivement défavorable chez les catholiques, particulièrement en France. Entre ceux qui s’interrogent sur la pertinence du changement, ceux qui abandonnent la pratique religieuse par dégoût pour cette désacralisation, ceux qui demandent timidement le maintien de certaines pratiques anciennes et ne comprennent pas l’abandon brutal de plusieurs siècles de tradition liturgique, il y eut aussi ceux qui refusèrent catégoriquement toute participation à cette liturgie protestante et commencèrent à s’organiser en groupes de « résistants », bien convaincus qu’il ne s’agissait pas seulement de préférences esthétiques personnelles mais de questions relatives à la foi catholique elle-même, dans toute sa profondeur, et donc du salut de leur âme dont dépend la profession de la foi.

Le temps passant ces « résistants » se sont organisés en groupes différents et ont précisé leur position doctrinale vis-à-vis de la crise de l’Eglise et de la trahison de ses autorités. Ils sont devenus les « sédévacantistes », la FSSPX, la FSSP, l’IBP et d’autres groupes plus ou moins « régularisés » vis-à-vis de la Rome conciliaire, qui tolère avec une forme de résignation et non sans un certain mépris leur « différence liturgique » et leur « sensibilité droitière ». Après avoir tenté sans succès d’interdire brutalement, à renfort de menaces et de sanctions spectaculaires, l’usage de la liturgie tridentine et la défiance à l’égard de Vatican II au nom de la doctrine catholique reçue avant le concile, les conciliaires (à partir de Jean-Paul II) ont opté pour une stratégie plus diplomatique et ont cherché à donner un « cadre » à ces groupes et à ces pratiques en dissonance avec l’esprit de Vatican II. Joseph Ratzinger, devenu « pape », a acté de manière officielle cette « réconciliation » et cette « légalisation » par le motu proprio de 2007. 

Le 30 mars 1987, à la demande de Mgr Thomas évêque de Versailles, le Père Bruno de Blignères est expulsé manu militari de l’église Saint-Louis du Port-Marly, pendant qu’il célèbre la Messe

Mais qui ne voit que le motu proprio de Benoît XVI oblige ces traditionalistes à renier les engagements et les principes du combat qui les a poussés à rejeter la nouvelle liturgie ? Ratzinger, qui n’est un « conservateur » que pour l’œil non averti, était connu comme l’un des penseurs les plus progressistes pendant le concile Vatican II, un véritable et pur moderniste (2). Le principe qui sous-tend la « légalisation » de la liturgie tridentine est le suivant : ce rite est aussi bon et légitime que le nouveau, dans l’absolu ; et pour autant il ne faut pas les considérer sur un strict pied d’égalité, car le nouveau rite est le rite ordinaire de la liturgie romaine, tandis que la liturgie tridentine n’existe que sous un régime dérogatoire, elle est le rite extraordinaire. Accepter le régime du motu proprio signifie, pour les traditionalistes, accepter que la « nouvelle messe » qu’ils ont rejeté et combattu est « aussi bonne » que la vraie Messe et même supérieure en dignité en tant que rite ordinaire de l’Eglise universelle.

Personne ne devrait être content dans cette situation absurde. Ni les traditionalistes, ni les modernistes.

Pourquoi tant de traditionalistes ont chanté le Te Deum, ont sabré le magnum de champagne, à l’occasion de cette « concession » de la part de la Rome conciliaire, qui est plutôt au fond une capitulation de la part des traditionalistes ? Ont-ils oublié les principes qui motivent leur combat, et qui font constater que le nouveau rite est équivoque, scandaleux, dangereux du point de vue de la foi et même probablement invalide ? Comment peut-on se contenter et se réjouir d’une telle situation, si l’on est convaincu que le nouveau rite est mauvais ? La réponse est simple : il faut ou bien se convaincre que finalement le nouveau rite n’est pas mauvais, ou bien être hypocrite et accepter en apparence la dignité du nouveau rite tout en pensant autrement en secret. Ainsi semblent faire beaucoup de prêtres et de fidèles des groupes dits « ralliés », qui critiquent en secret Vatican II et sa liturgie, tout en professant extérieurement d’une union et d’une obéissance à l’égard de ce qu’ils estiment être le Saint-Siège. Ils font mine « d’en être », sans en être vraiment, en conservant leur propre manière de voir les choses. Comme si le Pape et l’Eglise pouvaient enseigner des hérésies et promulguer une liturgie mauvaise : il faut, pour défendre une telle position, ressusciter les arguments mille fois réfutés des gallicans et des jansénistes contre l’autorité et les prérogatives du successeur de Saint Pierre, contre la sainteté et l’infaillibilité de l’Eglise.

Du côté des modernistes, le motu proprio de Benoît XVI est très mal vu. Pourquoi donner du crédit et du soutien à ces groupuscules d’extrême-droite, qui sont contre le progrès et contre l’amour ? Ils ralentissent l’œuvre de Vatican II. Bien qu’intellectuellement parlant, on puisse être un vrai moderniste et reconnaître un certain intérêt et une certaine légitimité au rite tridentin (comme Ratzinger), en pratique ce que ce rite représente est trop en rupture avec le modernisme et la religion de Vatican II pour qu’il soit en affection chez la plupart de ses partisans. En définitive, ce que les modernistes reprochent principalement aux traditionalistes, c’est d’adhérer à la théologie catholique d’avant Vatican II, dont la Messe tridentine est l’expression : ainsi le professeur Massimo Faggioli explique les inquiétudes du Vatican vis-à-vis des traditionalistes de cette manière : « You can have that latin mass, you cannot have the theology of the 16th century that was at the basis of latin mass »(3). La Messe en latin, passe encore ; mais la théologie antiprotestante des papes, des docteurs et des saints du XVIème siècle, pas question.

Ce rite a été abandonné par Paul VI et ses suivants parce qu’il était trop attentatoire aux croyances des protestants, qu’il était nuisible à l’œcuménisme : pourquoi autoriser sa diffusion s’il va contre les principes et les objectifs de Vatican II ? Cette situation de coexistence des deux rites est perçue par la plupart comme une bizarrerie, quasiment un attentat à « l’unité de l’Eglise » dans sa loi de prière. Plusieurs posent ouvertement la question de savoir si les communautés traditionnalistes sont en communion avec l’Eglise catholique : quand Vatican II donne la certitude que les protestants et les schismatiques orientaux sont membres de l’Eglise, apparemment l’appartenance des traditionalistes à l’Eglise fait débat !(4)

L’actuelle décision de François de briser les dispositifs établis par son prédécesseur et de placer sous un contrôle beaucoup plus drastique les groupes traditionalistes n’est que l’aboutissement naturel d’une situation qui était, dès le départ, incohérente et bancale. La stratégie de Benoît XVI, qui consiste à amadouer les traditionalistes pour mieux les contrôler, ne porte pas les fruits attendus. Les modernistes commencent à le dire de plus en plus fortement : le sempiternel « dialogue œcuménique », si richement mené à l’égard des sectateurs de Luther et de Photius, ne peut pas être mené avec les traditionalistes parce qu’ils sont trop « de droite ». Les conciliaires progressistes reconnaissent (avec raison) qu’ils sont plus proches des libéraux de toute confession, que des catholiques trop fortement attachés au catholicisme. François a multiplié ces derniers temps les déclarations très hostiles et à peine voilées à l’égard des catholiques « trop conservateurs », considérés comme des pharisiens ou des personnes cliniquement malades. La rupture de fait et l’impossibilité d’une conciliation entre ces deux camps, que tout oppose au point de vue des idées, va se traduire de plus en plus dans le droit conciliaire. Et pour les traditionalistes, il faudra finir par sortir de ce statu quo insensé et inique entre ceux qui veulent détruire la foi et ceux qui veulent la défendre.

Le motu proprio de François ne fait que mettre le « traditionalisme » devant ses propres contradictions

Les traditionalistes qui avaient exulté en 2007 se trouvent à présent désemparés. Pour beaucoup d’entre eux, c’est peut-être la disparition pure et simple de leur « paroisse » qui les attends. Pour tous, on attendra d’eux des gages explicites de soumission à Vatican II et à la nouvelle liturgie. Certains sont littéralement excédés, et ne comprennent pas qu’un pape puisse à ce point persécuter l’usage des saintes et émouvantes cérémonies de la liturgie tridentine, et les doctrines qu’elles expriment. 

Mais faut-il s’étonner de cette situation ? Absolument pas, disions-nous plus tôt.

Les conciliaires s’opposent à la liturgie tridentine, parce qu’elle est explicitement incompatible avec le protestantisme, elle choque les « frères séparés »(5). Ils veulent faire plaisir aux protestants avec leur « nouvelle messe », parce qu’ils considèrent que le protestantisme est légitime et que les protestants sont véritablement membres de l’Eglise : on ne parle plus « d’œcuménisme du retour », mais d’œcuménisme de l’approfondissement ou de la perfection du lien déjà existant.

Luther et le Cardinal Cajetan

Les traditionalistes sont, a priori, conscients que ces idées sont contraires à la foi catholiques, condamnées par le magistère de l’Eglise et par la voix unanime des docteurs et des saints catholiques des derniers siècles. Pourquoi s’étonnent-ils d’être persécutés par les défenseurs de l’hérésie ?

Pourquoi les traditionalistes s’attendent, de la part des défenseurs de l’hérésie, à ce qu’ils leur concèdent un quelconque droit à exister dans la dénonciation de l’hérésie et la profession de la doctrine catholique intégrale ? Pourquoi se réjouissent-ils quand les défenseurs de l’hérésie font mine de leur donner un semblant d’existence, et s’attristent-ils quand les défenseurs de l’hérésie leur dénient les concessions précédemment faites ?

Voilà la grande contradiction du traditionalisme « rallié » : ils recherchent l’approbation … de leurs ennemis, de ceux contre qui ils luttent. Au moins de ceux contre qui ils luttaient initialement. Si la « nouvelle messe » ne posait pas un grave problème de conscience, il n’y aurait aucune raison d’être traditionaliste, les traditionalistes ne seraient que des schismatiques, des extravagants, des fous. Si la « nouvelle messe » était vraiment bonne et sainte, comme l’affirme le motu proprio de Benoît XVI, le traditionalisme est alors relégué au rang de fantaisie droitière pharisaïque : c’est ainsi qu’il est considéré par le clergé conciliaire.

Cette « relation » entre les traditionalistes et les autorités conciliaires est profondément incohérente. Au fond, qu’ils en soient conscients ou non, les traditionalistes qui recherchent l’approbation de la Rome conciliaire ne cherchent qu’une chose : un sentiment de régularité et de normalité institutionnelle. Ils ne cherchent pas sincèrement à obéir au pape : ils cherchent à avoir le sentiment que le pape est d’accord avec eux. Ils veulent avoir le sentiment qu’il y a une continuité entre l’Eglise d’avant et celle d’après Vatican II. Ils veulent avoir le sentiment que tout est normal, que Vatican II n’est qu’une regrettable imperfection humaine dans l’histoire de l’Eglise et qu’elle n’engage pas son autorité infaillible, ou bien que Vatican II n’est pas fondamentalement incompatible avec leur « sensibilité intégriste ». Ils veulent avoir le sentiment que l’on peut pratiquer la foi catholique intégrale sans passer pour un fou et un sectaire. Ils passeront quand même pour des fous et des sectaires auprès des autorités ecclésiastiques actuelles, et seront traités comme tels …

Ce sentiment ne peut qu’être fragile et illusoire, parce que les personnes dont ils veulent l’approbation ne recherchent plus le bien de l’Eglise et la fin pour laquelle elle a été instituée. Ce fait est manifeste depuis le concile Vatican II. Ces personnes ont usurpé les institutions de l’Eglise, sa structure, pour défendre d’autres doctrines et d’autres finalités que celles de l’Eglise du Christ : la nouvelle religion humanitaire, œcuméniste et laxiste enfantée par le modernisme et la conjuration antichrétienne. Ce sont les ennemis déclarés de Dieu : ils ne recherchent pas sa gloire, mais cherchent à plaire au monde, ils suivent sans discernement ses lubies et ses modes intellectuelles impies, ils aiment ce monde maudit et anathématisé par Jésus-Christ lui-même, sans comprendre son vide profond et sa laideur. Ils détestent le renoncement et la mortification des saints des siècles passés, parce qu’ils n’ont pas la même foi que les saints des siècles passés. Ils détestent aussi leur zèle pour la lutte contre l’hérésie et les fausses religions, leur zèle pour la condamnation des mauvais discours et des mauvais livres, parce qu’ils croient à la « liberté de pensée », suivant la mode du temps et contre le magistère de la sainte Eglise. Ils ne veulent pas ce que veulent les catholiques : la gloire de Dieu, l’exaltation de la foi et l’extirpation des hérésies, la conversion des pêcheurs et le salut des âmes. Voici ce qu’ils veulent : la gloire de l’homme, l’effacement de la foi et la libre prolifération des hérésies, le contentement des pécheurs dans leurs péchés, l’oubli des fins dernières et du jugement de Dieu (remplacés par une croyance au salut universel inconditionnel)(6).

On ne peut pas être pape et poursuivre objectivement, de manière habituelle, quelque chose de contraire au bien de l’Eglise et à sa finalité. C’est tout simplement un empêchement, un obex à l’autorité pontificale. Cet argument développé par Mgr Guérard des Lauriers prouve de manière philosophiqueplus que théologique combien il est impossible que Paul VI et ses successeurs soient papes.  Et si l’on se posait la question, juste et légitime question, de savoir où se trouvent l’autorité et la juridiction dans l’Eglise actuellement en crise (car elles ne peuvent disparaître, de droit divin), la « thèse de Cassiciacum » y répond en toute conformité avec la théologie catholique, le magistère de l’Eglise et la philosophie de Saint Thomas : https://www.sodalitium.eu/lexplication-thomiste-de-letat-actuel-de-lautorite-leglise/

Deux alternatives logiques : accepter Vatican II et la nouvelle messe, ou accepter le constat de la vacance du Saint-Siège

La position de la FSSPX, qui est malheureusement celle vers laquelle vont se tourner par défaut beaucoup de « ralliés » malmenés par les nouvelles restrictions, ne peut pas être une alternative logique, conforme à la raison et à la foi. Ces « ralliés » ont accepté de se rallier par esprit « romain », par opposition à la dérive schismatique de la FSSPX qui sacre des évêques en faisant comme si le pape n’existait pas ; par esprit romain (c’est-à-dire par esprit catholique, suivant le principe de la foi en l’autorité suprême du Pape) ils doivent choisir entre la soumission réelle, extérieure et intérieure, à ce qu’ils pensent être l’autorité de l’Eglise, ou bien le sédévacantisme, c’est-à-dire la claire conscience de l’impossibilité qu’un pape enseigne des hérésies et détruise la liturgie catholique, et en conséquence le constat que le Saint-Siège est vacant au plus tard depuis 1965, date de la promulgation de Vatican II, contenant notamment la fausse doctrine de la liberté religieuse. Conclusion difficile, déchirante, mais froidement logique, et conforme aux principes de la doctrine catholique, face au problème évident et toujours plus grave de la crise de l’Eglise.

La raison pour laquelle tant de traditionalistes se refusent, avec une obstination parfois passionnée, à considérer l’hypothèse du sédévacantisme, est liée à ce dont nous parlions plus haut : la recherche d’un sentiment de régularité et de normalité institutionnelle, la recherche d’une vaine et illusoire approbation de la part de ceux qui occupent les structures institutionnelles de l’Eglise. Et donc, dans cette recherche, le sédévacantisme est vu comme la pire chose possible : d’après cette doctrine, il n’y a actuellement plus de régularité et de normalité dans l’Eglise, chacun est comme livré à lui-même en l’absence d’autorité régnante… Comme si depuis Vatican II, les fidèles étaient bien guidés et n’étaient pas livrés à eux-mêmes, quand les « papes » enseignent des doctrines condamnées par le magistère de l’Eglise et promulguent une liturgie si douteuse qu’il a fallu créer des groupes séparés pour pouvoir continuer à enseigner la vraie doctrine et pratiquer la vraie liturgie contre le « courant dominant du catholicisme ». Sentiment fragile et illusoire disions-nous : au fond, la vie des communautés ralliées diffère peu, en pratique, de la vie des communautés sédévacantiste, la différence réside surtout sur un bout de papier (7). Maintenant que le bout de papier va être déchiré, les ralliés vont-ils réfléchir sérieusement à la gravité de la crise actuelle de l’Eglise catholique, et aux conclusions que doivent nous faire admettre la théologie catholique face à cette crise ?

Nous espérons que les traditionalistes profiteront de ces évènements douloureux pour comprendre que cette recherche est sentimentale, qu’elle vise à procurer un sentiment de confort psychologique, mais que la raison et la foi ensemble se liguent pour discréditer ce sentiment. Il ne faut pas chercher le confort, mais la vérité : tous les traditionalistes seront d’accord avec ce principe, sur le papier. Si une vérité est inconfortable, elle n’en est pas moins vraie, et elle mérite que l’on se prive du confort que nous cherchons, pour accepter l’inconfort de la croix. On ne se sauve pas sans la croix, on ne se sauve pas sans la souffrance : les traditionalistes connaissent ce principe. C’est effectivement une souffrance et un inconfort d’être privé d’autorité et de cadre ecclésiastique légitime, privé de régularité, privé de la sécurité que procure la soumission à une institution visible et forte. Mais si telle est la réalité, on ferait offense à Dieu en ne vivant pas en conformité avec cette réalité.

Nous espérons, sincèrement et charitablement, que ces évènements soient l’occasion pour le plus grand nombre des traditionalistes, qui depuis des années combattent sincèrement pour garder la foi dans un monde apostat, de considérer sérieusement qu’il est impossible qu’un véritable pape persécute la liturgie catholique pour imposer à la place une fausse liturgie protestante, qu’il est impossible qu’un pape enseigne dans l’exercice de son ministère les fausses doctrines qui justifient son amour du protestantisme. Et donc, qu’il est impossible que François soit actuellement pape, vicaire de Jésus-Christ et successeur de Saint Pierre dans l’autorité apostolique. Nous prions pour que le grand saint Pie X, qui a pressenti et cherché à empêcher le noyautage des institutions ecclésiastiques par les modernistes, intercède pour nous tous et nous obtienne d’être vraiment fidèles à son combat, et à tous les sacrifices qu’exigent la défense de la vérité.

Jean-Tristan B.


Il est impossible qu’un arbre bon produise de mauvais fruits. Placé dans un mauvais terrain, un arbre bon meurt, mais jamais il ne produit de mauvais fruits. Nous ne pouvons donc pas imputer les désordres dont nous sommes les spectateurs navrés, nous ne pouvons pas les imputer aux malheurs des temps ou à toutes sortes de causes extrinsèques. Non, les malheurs de l’Église, ils viennent de ce que, à l’origine, au sommet, il y a une viciosité radicale qui découle de l’esprit de Satan qui est le père du mensonge, et non pas de l’ESPRIT SAINT qui est l’ESPRIT de VÉRITÉ.

Efforçons-nous discrètement mais fermement, de porter le jugement que nous avons à porter sur la situation, dans la lumière de la très sainte Foi. Efforçons-nous, avec intrépidité, avec courage, avec simplicité et en allant jusqu’au bout de nous-mêmes, jusqu’au bout de nos forces, usque ad mortem si le Bon Dieu nous le demande, de joindre le témoignage de l’action à la profondeur de la conviction.

R.P. Guérard des Lauriers 1977
Lire le sermon entierhttps://www.sodalitium.eu/sermon-du-r-p-guerard-des-lauriers/


1 Bref examen critique du nouvel Ordo Missae, signé par les cardinaux Ottaviani et Bacci, rédigé principalement par le Père Michel-Louis Guérard des Lauriers alors professeur à l’Angelicum(1969). Le texte est disponible ici :https://laportelatine.org/documents/crise-eglise/nouvelle-messe/le-bref-examen-critique-du-nouvel-ordo-missae


2 Le « dossier Ratzinger» est vaste et il faudrait une vie pour exhumer toutes ses citations modernistes. Par rapport au sujet qui nous intéresse, il est manifeste que Ratzinger n’aime pas les traditionalistes, il les considère comme dangereux et sectaires. Le but de sa politique est de les amadouer, et de noyer leur résistance par une série de mesures qui leur sont en apparence favorables. Voici ce qu’il déclarait en 1982 : « We must be on gard against minimizing these movements [that oppose Vatican II]. Without a doubt, they represent a sectarian zealotry that is the anthitesis of Catholicity. We cannot resist them too firmly.”. (Joseph Ratzinger, Principles of Catholic Theology, Ignatius Press, 1987, pp.389-90 – Traduit de l’original allemande Katolische Prinzipienlehre, 1982). Citation issue du dossier de “Novus Ordo Watch” sur Ratzinger, précieuse mine d’informations pour qui veut comprendre qui est réellement le « pape intégriste » : https://novusordowatch.org/benedict-xvi/


3 https://www.youtube.com/watch?v=5UI3FJJ8SNo
Cet entretien a lieu dans le contexte des restrictions et régulations imposées par François début 2021 à propos de la célébration dans le « rite extraordinaire » dans la basilique Saint Pierre. Faggioli (partisan enthousiaste de Vatican II) explique que le cœur du problème n’est pas que François n’aime pas cette forme du rite, mais qu’il n’aime pas la théologie qui la sous-tend. Pour pouvoir dire la messe en latin en étant agréé par les autorités conciliaires, il faut préalablement donner des garanties d’être suffisamment moderniste, d’accepter toutes les concessions qu’imposent l’esprit moderne : c’est ce qui attends les communautés ralliées actuellement.


4 Voir le document émis par la « conférence des évêques de France » dans le cadre de l’enquête demandée par François sur l’application du motu proprio de Benoît XVI. Une mine d’or pour comprendre la mentalité des conciliaires, qui mériterait un commentaire dédié.
https://fsspx.news/sites/sspx/files/202012synthesecefsummorumpontificium.pdf


5 Un exemple de témoignage pour illustrer cette idée : dans l’Osservatore Romano du 19 mars 1965, Mgr Bugnini, secrétaire du Conseil pour l’application de la Constitution sur la liturgie et sous-secrétaire de la congrégation des Rites pour la liturgie, principal auteur de la réforme liturgique, présenteles modifications qui ont été apportées à certaines des oraisons solennelles du Vendredi saint. Il explique ses motivations œcuménistes : « L’Église a été guidée par l’amour des âmes et le désir de tout faire pour faciliter à nos frères séparés le chemin de
l’union, en écartant toute pierre qui pourrait constituer ne serait-ce que l’ombre d’un risque d’achoppement ou de déplaisir. » (Osservatore Romano, 15 mars 1965).
Le même Bunigni déclare au long de ses mémoires que la réforme de la semaine sainte est un prémice de la réforme générale de la liturgie qu’il dirigera ensuite.


6 Veut-on un exemple pour illustrer à quel point « l’œcuménisme »de Vatican II est contraire au salut des âmes ? François a déclaré en 2016, alors en déplacement à Tbilissi en Géorgie, qu’il ne fallait pasconvertir les orthodoxes, et mieux encore : que le prosélytisme était un grand péché contre l’œcuménisme. Les citations sont consultables ici : https://novusordowatch.org/2016/10/francis-converting-orthodox-sin-against-ecumenism/


7 Nous ne disons pas cela pour dire que le « bout de papier » n’est pas important. Au contraire, du point de vue de Dieu, il est très important de savoir si l’on se déclare en communion avec François ou non. Nous voulons plutôt insister sur le fait que les ralliés s’imaginent qu’ils sont dans la régularité, l’obéissance et la communion, alors qu’en pratique ils se permettent de critiquer les « papes » et qui plus est des « papes saints », de critiquer un « Concile œcuménique », ils essayant de vivre comme si Vatican II n’avait pas existé : les conciliaires ont raison de s’interroger sur la réalité de leur communion avec eux, vu le faible degré d’alignement entre les ralliés et Vatican II.

De la possibilité d’un pape schismatique

Cajetan et le « schisme capital »

Beaucoup de « catholiques conciliaires » estiment que le sédévacantisme est une absurdité, voire une hérésie, au motif qu’il est impossible que Dieu permette une défaillance de l’élu au souverain pontificat en matière de foi, ou permette qu’il se sépare volontairement de l’unité de l’Eglise. Une fois élu, le nouveau pape serait comme physiquement empêché de perdre la foi ou de se séparer de l’Eglise : il est pape « malgré lui » et quoi qu’il puisse vouloir en son for intérieur. Il n’a plus de libre-arbitre sur cette question.

Cette idée se base sur une série de confusions et d’erreurs :

  • La confusion entre l’aspect matériel de la papauté (l’élection) et son aspect formel (l’autorité), comme s’il suffisait d’être élu à la papauté pour devenir Pape ipso facto.
  • L’ignorance ou l’omission du principe suivant lequel il est nécessaire que l’élu accepte la charge de souverain pontife pour recevoir l’autorité et les grâces spéciales associées à son ministère : tant que l’élu accepte de recevoir la charge du souverain pontificat, il sera assisté personnellement par le Saint-Esprit pour son enseignement ; mais s’il refuse cette charge, il ne sera pas plus infaillible qu’un homme ordinaire.
  • La confusion entre les promesses du Christ concernant l’infaillibilité et l’indéfectibilité de l’Eglise, qui sont bien réelles et basées sur les Saintes Ecritures, et une supposée promesse d’indéfectibilité individuelle pour la personne élue au souverain pontificat : le Christ promet que l’Eglise ne faillira pas, mais il ne promet pas qu’un pape ne puisse pas se séparer de l’Eglise et perdre sa charge par ses fautes personnelles
  • Une vision trop humaine et temporelle de l’unité de l’Eglise, qui consiste à faire croire qu’il est « nécessaire » que l’Eglise ait toujours un chef visible, sans quoi les chrétiens seraient désemparés. On veut bien reconnaître qu’il y a eu des périodes de vacance du Saint-Siège plus ou moins longues, jusqu’à 2 ou 3 ans dans les premiers siècles, mais il ne serait pas possible que cela dure « trop longtemps ». En vérité, si une telle situation peut durer deux ans, il est métaphysiquement possible qu’elle dure cent ans, sans que l’unité substantielle de l’Eglise soit altérée.

Ces distinctions (matière et forme de la papauté, infaillibilité de l’Eglise et faillibilité individuelle de l’élu au souverain pontificat) sont celles de la théologie catholique : elles n’ont pas été inventées par Mgr Guérard des Lauriers ou quelque autre personnalité postérieure à Vatican II, pour tenter de donner une explication à la crise de l’Eglise, mais elles sont discutées dans des ouvrages de théologie respectés et antérieurs à Vatican II.

Il apparaît, pour un grand nombre de théologiens catholiques, et contrairement à l’opinion anti-sédévacantiste précitée, qu’il est tout à fait possible :

  • Qu’une personne élue au souverain pontificat ne devienne pas Pape (parce qu’elle refuse la charge explicitement, ou bien parce qu’il y a dans ses qualités essentielles ou dans sa volonté un obstacle incompatible avec l’autorité pontificale : par exemple, le fait d’être privé de raison, ou le fait d’être hérétique)
  • Qu’un véritable Pape perde sa charge :
    • Par renonciation
    • Par hérésie (cas discuté notamment par Saint Robert Bellarmin)
    • Par schisme

Le dernier point (la possibilité qu’un pape devienne schismatique) nous intéresse particulièrement, parce qu’il fait écho à la thèse de Cassiciacum : selon cette thèse, l’élu actuel au souverain pontificat est schismatique et ceux qui le déclarent pape et offrent le sacrifice en union avec lui agissent de manière (au moins matériellement) schismatique : c’est le « schisme capital », schisme par la tête, dont parle Mgr Guérard. Aussi étrange que cette possibilité puisse paraître (un pape schismatique semble être une contradiction dans les termes, car on est schismatique à partir du moment où l’on refuse de se soumettre au pape : comment un pape pourrait-il désobéir à lui-même ?), elle a été affirmée comme une possibilité réelle par plusieurs théologiens, en particulier le cardinal Thomas Cajetan (1469-1534). Il se n’agit pas de dire que le pape est en contradiction avec lui-même, mais que l’homme désigné pour être souverain pontife est en contradiction avec la papauté, de telle sorte qu’il n’est lui-même plus pape et qu’il se sépare de l’Eglise, quand bien même il serait « l’occupant du Saint-Siège ».


Luther devant le cardinal Cajetan pendant la controverse de ses 95 thèse
s, Ferdinand Wilhelm Pauwels, 1870

Dans son livre « L’Eglise du Verbe incarné » (1952), Charles Journet fait la synthèse de ces opinions dans les termes suivants :

De la possibilité d’un Pape schismatique

1 – Les anciens théologiens (4), qui pensaient, à la suite du Décret de Gratien, pars I, dist. XV, c. VI, que le pape, infaillible comme docteur de l’Église, pouvait cependant pécher personnellement contre la foi et tomber dans l’hérésie (5), admettaient à plus forte raison que le pape pouvait pécher contre la charité, même en tant qu’elle fait l’unité de la communion ecclésiastique, et tomber dans le schisme (6).

L’unité de l’Église, disaient-ils, subsiste quand le pape meurt. Elle pourrait donc subsister même quand un pape céderait au schisme (7).

Mais, demandaient-ils, comment le pape serait-il schismatique ? Il ne peut se séparer ni du chef de l’Église, à savoir de lui-même, ni de l’Église, car où est le pape, là est l’Église.

A quoi Cajetan répond que le pape pourrait rompre la communion en renonçant à se comporter comme chef spirituel de l’Église, décrétant par exemple d’agir comme pur principe temporel. Pour sauver sa liberté, il éluderait alors les devoirs de sa charge ; et s’il y mettait de la pertinacité, il y aurait du schisme (8). Quant à l’axiome : où est le pape, là est l’Église, il vaut lorsque le pape se comporte comme pape et chef de l’Église : autrement, ni l’Église n’est en lui, ni lui en l’Église (9).

2 – On dit parfois que le pape, ne pouvant désobéir, n’a qu’une porte d’entrée dans le schisme (10). Des analyses que nous avons faites, il résulte plutôt qu’il peut, lui aussi, pêcher de deux manières contre le communion ecclésiastique : 1° en brisant l’unité de connexion, ce qui supposerait chez lui la volonté de s’arracher à l’invasion de la grâce en tant qu’elle est sacramentelle et fait l’unité de l’Église ; 2° en brisant l’unité de direction, ce qui se produirait, selon la pénétrante analyse de Cajetan, s’il se rebellait comme une personne privée contre le devoir de sa charge, et refusait à l’Église, – en tentant de l’excommunier toute entière ou simplement en choisissant délibérément de vivre en pur prince temporel -, l’orientation spirituelle qu’elle est en droit d’attendre de lui au nom d’un plus grand que lui, du Christ même et de Dieu.

3 – La supposition d’un pape schismatique nous révèle davantage, en le cernant d’un jour tragique, le mystère de la sainteté de cette unité d’orientation qui est nécessaire à l’Église ; et peut-être pourrait-elle aider l’historien de l’Église, – ou plutôt le théologien de l’histoire du Royaume de Dieu -, à illuminer d’un rayon divin les plus sombres époques des annales de la papauté, en lui permettant de montrer comment elle a été trahie par certains de ses dépositaires.

C’est en refusant d’être chefs spirituels et en se comportant en purs princes temporels que les papes, au dire des anciens théologiens, étaient tentés de faire schisme. Aujourd’hui ce danger paraît aboli. En vertu de sa loi génératrice, l’Église tend à devenir à la fois toujours plus visible et toujours plus indépendante des formations temporelles (11). Le vœu de Moehler de voir un temps où le chef de l’Église serait autorisé à n’être que chef de l’Église (12) est exaucé. Certaines aberrations semblent désormais impossibles.

(4) Turrecremata, Cajetan, Banez.

(5) Cf. L’Eglise du Verbe incarné, t. I, p. 596.

(6) Cette possibilité n’est pas admise universellement. Cependant, dit M.-J. Congar, « à l’envisager d’une manière purement théorique, elle ne paraît pas douteuse ». Loc. Cit., col. 1306. Ell est enseignée par Suarez, De charitate, disp. 12, sect. I, n° 2, T. XII, p. 733.

(7) Cajetan, II-II, qu. 39, a. I, n° VI.

(8) « Persona papae potest renuere subesse officio papae… Et si hoc in animo pertinaciter gereret, esset schismatic us per separationem sui ab unitate capitis. Ligatur siquidem, persona sua, legibus officii sui quad Deum ». Ibid.

(9) Ibid.

(10) « Il y a, dit Suarez, De charitate, disp. 12, sect. I, n°2n t. XII, p. 733, deux façons de devenir schismatique : 1° sans nier que le pape est chef de l’Église, ce qui serait déjà l’hérésie, on agit comme s’il ne l’était pas : c’est la façon la plus fréquente ; 2° on refuse d’entrer en communion avec le corps de l’Église par la participation des sacrements… De cette seconde façon le pape pourrait être schismatique, par exemple, en tentant d’excommunier toute l’Église, ou en renversant tous les rites traditionnels ». Selon Suarez, le pape ne pourrait dont pécher contre l’unité de direction. Mais il apporte en exemple ce que nous regardons précisément comme un péché contre l’unité de direction.

(11) Voir plus haut, p. 47.

(12) Joseph-Emile Vierneisel, Actualité de Moehler, dans L’Église est une, Paris, 1939, p. 303.

Charles Journet, L’Eglise du Verbe incarné. Tome 2, pp. 839-841.

Notons au passage que Charles Journet, un « catholique libéral » qui fut « élevé au cardinalat » par Paul VI, exprime dans le troisième paragraphe son opinion personnelle erronée (et même condamnée par le magistère de l’Eglise [1]), sur l’opportunité et le bienfait de la perte du pouvoir temporel par l’Eglise ; mais c’est une autre question que celle qui nous occupe présentement.

Charles Journet est parfois invoqué par les partisans de l’impossibilité radicale du sédévacantisme, en tant que défenseur de la « thèse de l’acceptation universelle ». Nous voyons ici qu’en réalité, Charles Journet s’accorde avec la théologie catholique antérieure pour dire qu’il est possible qu’un pape se sépare de l’Eglise, sans d’ailleurs donner de précisions sur les effets de cette séparation et le rapport de celle-ci avec l’acceptation pacifique et universelle : est-ce qu’il faut qu’une majorité de fidèles catholiques (ou d’évêques) se rende compte que le pape est devenu schismatique – ou l’a toujours été, et donc n’a jamais été véritablement pape – pour que le fait devienne une certitude suivie d’effets pratiques ? Il n’en est nullement question ici. Reste cette possibilité de principe suivant laquelle un pape peut se séparer de l’Eglise en devenant schismatique, s’il refuse les devoirs de sa charge : la conclusion nécessaire de ce principe est qu’il cesse d’être pape (n’étant plus membre de l’Eglise, il ne peut pas en être le chef : cf. Saint Robert Bellarmin), à partir du moment où il refuse les devoirs spirituels de sa charge.

Dans le troisième paragraphe, Journet tient des propos qui indiquent assez clairement qu’il est prêt à envisager que certains papes particulièrement scandaleux dans l’histoire de l’Eglise aient pu être schismatiques(ce qui veut dire, nous le rappelons, que ces papes n’étaient pas réellement papes): selon lui cette supposition d’un pape schismatique peut « aider l’historien de l’Eglise » à « montrer comment elle [la papauté] a été trahie par certains de ses dépositaires». Charles Journet dit, ni plus ni moins, que l’on peut se permettre de douter que certains papes du passé aient été réellement papes, que c’est peut-être un moyen légitime d’expliquer les périodes de crises les plus graves qu’a traversé la papauté. Quid de « l’acceptation pacifique et universelle » de ces papes excessivement désintéressés du bien spirituel de l’Eglise ? Il y a visiblement, pour Charles Journet, d’autres principes et d’autres critères qui permettent de déterminer si quelqu’un qui est pape « en apparence » est pape réellement, ou qui peuvent susciter à tout le moins des doutes et des interrogations légitimes sur le fait qu’un homme réputé pape ait été réellement pape.

Si l’on analyse un peu ce principe (le pape se sépare de l’Eglise s’il refuse les devoirs de sa charge) et ses conclusions, il apparaît de manière frappante qu’un des principes centraux de la « thèse de Cassiciacum» était déjà exprimé par des théologiens du XVIe siècle tels que Cajetan ou Suarez. Charles Journet, avec son prisme libéral, concentre son analyse du problème du « pape schismatique » sur la dichotomie entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Mais le principe est plus général : pour recevoir l’autorité pontificale, l’élu au souverain pontificat doit, en plus d’être élu suivant les règles canoniques (ce qui constitue la matière de la papauté, selon les termes de Saint Antonin de Florence), accepter sa charge, ce qui signifie que l’élu doit accepter de poursuivre le bien de l’Eglise et la fin pour laquelle l’Eglise a été instituée : le salut des âmes, la défense de la foi, la gloire de Dieu. C’est ce que l’on peut comprendre derrières les termes employés par Cajetan et Journet, quand ils disent que le pape doit « se comporter comme chef spirituel de l’Eglise ». Et si le pape, ou celui qui semble l’être, s’oppose à cette finalité de l’Eglise de manière évidente et visible (par exemple – l’exemple est de Suarez, pas des traditionalistes du XXe siècle ! – en renversant tous les rites traditionnels touchant l’administration des sacrements), il serait à considérer comme schismatique.

Cajetan et Suarez admettent implicitement le principe suivant lequel il faut avoir la volonté objective et manifeste de procurer le bien de l’Eglise pour pouvoir être pape, et si cette volonté fait défaut, l’élu est un usurpateur de la papauté et un schismatique au moins matériellement (pour que le schisme soit formel, il faut la pertinacité, comme dans le cas de l’hérésie). C’est donc à la condition expresse de cette adhésion de la volonté à la poursuite du bien de l’Eglise que Dieu impose à l’élu l’autorité pontificale : autrement, il en est privé, et demeure « pape matériellement » puisque élu, sans l’être formellement.

Notons qu’il ne suffit pas d’un assentiment verbal extérieur à la réception de la charge pontificale : un homme pourrait extérieurement accepter l’élection au souverain pontificat, en ayant intérieurement l’intention de poursuivre un autre but et une autre fin que celle de l’Eglise : par exemple, la seule intention d’accroître le pouvoir et la gloire temporelle de la papauté, sans lien avec sa mission spirituelle, comme le ferait un athée (cas décrit par Cajetan et Journet) ; ou bien l’intention de défendre des hérésies, d’utiliser la structure et la hiérarchie de l’Eglise pour propager une autre doctrine que celle de l’Eglise (cas décrit par le P. Guérard). Ces obstacles intérieurs de la volonté empêchent absolument la personne, même élue de la manière la plus canonique, de recevoir l’autorité pontificale et les grâces associées.

Sans chercher à tout prix des « arguments d’autorité » en faveur du sédévacantisme ou d’une explication de la crise actuelle de l’Eglise (le plus important dans ce contexte reste de remonter aux principes), il reste très intéressant de constater que l’idée qu’un pape puisse se séparer de l’Eglise par défaut d’intention de remplir la charge spirituelle qui lui incombe n’est pas étrangère à la théologie catholique. En ceci comme dans tout le reste, les « guérardiens » ou « sédévacantistes » ne sont ni des novateurs, ni des esprits imbus d’hérésie : il faut accuser Journet, Cajetan et Suarez de verser dans l’hérésie, si l’on considère qu’il est hérétique d’envisager qu’un homme « réputé pape » par une majorité de catholiques puisse être en réalité en état de schisme avec l’Eglise. Journet admet plus ou moins explicitement que ce principe (de la possibilité d’un pape schismatique) peut être invoqué pour mettre en doute l’autorité pontificale de certains papes du passé qui ont agi (ou semblent avoir agi) de manière fondamentalement contraire au bien de l’Eglise.

En cette époque où la plupart des traditionalistes adoptent les positions des gallicans et des jansénistes sur la papauté pour trouver une explication à la crise de l’Eglise, nous pouvons voir que la vraie et saine théologie catholique est déjà suffisamment riche pour permettre d’expliquer ce qui se passe actuellement dans l’Eglise.

Jean-Tristan B.


[1] Son opinion fait écho à plusieurs propositions condamnée dans le Syllabus de Pie IX (1864) :
XXVII. Les ministres sacrés de l’Église et le Pontife Romain doivent être exclus de toute gestion et possession des choses temporelles.
LXXV. Les fils de l’Église chrétienne et catholique disputent entre eux sur la compatibilité du pouvoir temporel avec le pouvoir spirituel.

Ce qui signifie : le pontife romain ne doit pas être exclu de toute gestion et possessions temporelles pour remplir avec perfection sa mission de chef spirituel de l’Eglise, comme le prétendent les Möhler et les Journet ; le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel sont compatibles, et ce point de doctrine n’est pas sujet à libre discussion entre catholiques.

Les schismatiques sont-ils membres de l’Eglise ?

Paul VI contre le magistère

Les schismatiques, volontairement séparés de l’unité catholique, sont-ils membres de l’Eglise du Christ ? Réponse de l’Eglise catholique : non. Réponse de Paul VI : oui.

Qui sont ceux qui n’appartiennent pas à la Communion des saints ?
Ceux qui n’appartiennent pas à la communion des saints sont dans l’autre vie les damnés, et en cette vie ceux qui n’appartiennent ni à l’âme ni au corps de l’Église, c’est-à-dire ceux qui sont en état de péché mortel et se trouvent hors de la véritable Église.


Qui sont ceux qui se trouvent hors de la véritable Église ?
Ceux qui se trouvent hors de la véritable Église sont les infidèles, les juifs, les hérétiques, les apostats, les schismatiques et les excommuniés.


Qu’est-ce que les schismatiques ?
Les schismatiques sont les chrétiens qui, ne niant explicitement aucun dogme, se séparent volontairement de l’Église de Jésus-Christ ou des légitimes pasteurs.

Grand catéchisme de Saint Pie X, Chapitre 10, §6

La question de la nature de l’Eglise du Christ, de son identité avec l’Eglise catholique romaine, et du rapport qu’entretiennent les schismatiques d’Orient (entre autres communautés chrétiennes) avec l’Eglise du Christ, est l’objet d’âpres débats depuis Vatican II. Parmi les conciliaires, les progressistes disent que Vatican II enseigne que les schismatiques font partie de l’Eglise du Christ, les conservateurs (du moins certains) veulent prétendre que Vatican II n’enseigne rien de nouveau concernant cette question ecclésiologique tranchée depuis longtemps, et que le Concile ne dit en rien que les schismatiques font partie de l’Eglise. Pour éclairer « l’effort d’interprétation » des textes de Vatican II, personne n’est mieux placé que Paul VI : il est celui qui a promulgué le Concile. Ses commentaires sur les textes conciliaires ont plus de valeur que ceux de n’importe qui d’autre. Or voici ce que Paul VI déclare dans une audience générale du premier juin 1966 :

« Le Concile, et avant lui la tradition chrétienne, nous dit que les fidèles sont incorporés dans l’Église par le baptême (. . .) Alors, tous ceux qui sont baptisés, même s’ils sont séparés de l’unité catholique, sont-ils dans l’Église, dans la vraie Église, dans l’unique Église? Oui. C’est là une des grandes vérités de la tradition catholique, confirmée à plusieurs reprises par le Concile (cf. Lumen Gentium 11, 15; Unitatis redintegratio, 3; etc.). Cette vérité se rattache à l’article du Credo que nous chantons à la messe : « Je crois en un seul baptême pour la rémission des péchés ».

Audience générale du 1.6.1966 : Documentation catholique, n° 1474

Cette déclaration est d’une grande clarté, et nous pourrions nous arrêter ici sans la commenter. Mais pour prévenir toute tentative « d’interpréter dans le sens de la continuité » une déclaration aussi limpide en faveur de l’hérésie, nous prendrons le temps de la décomposer et de l’analyser.

Voici le raisonnement contenu dans la déclaration sous forme de syllogisme :

  • Majeure. Par le sacrement du Baptême, le baptisé est incorporé dans l’Eglise.
  • Mineure. Or les chrétiens qui sont séparés de l’unité catholique (c’est à dire les schismatiques) sont baptisés.
  • Conclusion. Donc les schismatiques sont membres de l’Eglise.

Et Paul VI insiste pour dire que c’est bien ce que Vatican II enseigne.

Le raisonnement est faux, car la majeure est incomplète : le Baptême seul ne suffit pas pour être incorporé dans l’Eglise. Il faut pour être membre de l’Eglise ces trois conditions nécessairement réunies ensemble :

  • Le Baptême
  • La profession de la vraie foi
  • L’adhésion à la communion catholique

Quelqu’un qui est baptisé, professe la vraie foi mais se sépare de l’unité catholique, est hors de l’Eglise. Le schisme, au même titre que l’excommunication, sépare automatiquement quelqu’un de l’Eglise : autrement dit, les schismatiques ne sont pas membres de l’Eglise. Cet enseignement est rappelé par le Pape Pie XII dans l’encyclique Mystici Corporis :

 « Seuls font partie des membres de l’Église ceux qui ont reçu le baptême de régénération et professent la vraie foi, qui, d’autre part, ne se sont pas pour leur malheur séparés de l’ensemble du Corps, ou n’en ont pas été retranchés pour des fautes très graves par l’autorité légitime ».

Encyclique Mystici Corporis, 29 juin 1943

Faudrait-il comprendre la déclaration de Paul VI dans le sens que tous ceux qui sont baptisés, et qui bien qu’étant visiblement et extérieurement séparés de la communion catholique, sont invisiblement et intérieurement unis à l’âme de l’Eglise par suite d’une ignorance invincible sur leur erreur et d’un désir implicite d’être catholique ? C’est la théorie d’Arnaud Dumouch concernant l’enseignement de Vatican II sur les schismatiques membres de l’Eglise. Cette théorie, qui part du principe que tous les schismatiques sont de bonne foi (ce qui est insoutenable : lorsque l’Eglise condamne le schisme et les schismatiques, elle condamne donc quelque chose qui n’existe pas ? ou bien à partir de Vatican II, tous les schismatiques sont soudainement devenus de bonne foi ?), n’est pas fidèle aux propos de Paul VI précédemment cités : « Alors, tous ceux qui sont baptisés, même s’ils sont séparés de l’unité catholique, sont-ils dans l’Église, dans la vraie Église, dans l’unique Église? Oui. ». Paul VI ne parle nullement d’une disposition intérieure qui conditionnerait l’effet d’incorporation automatique à l’Eglise qu’il prête au Baptême. Il n’y a pas de « et », pas de condition supplémentaire. Rajouter un « et » implicite dans sa déclaration, c’est trahir l’unité de son propos : il cherche à expliquer que le Baptême incorpore à l’Eglise. Il dit sans équivoque : « les fidèles sont incorporés dans l’Église par le baptême » , « tous ceux qui sont baptisés sont dans l’Eglise », et précise que c’est l’enseignement de Vatican II. Nous lisons bien : « tous ». Il n’est pas possible de prétendre que Paul VI admet implicitement des limites ou des distinctions sur cette question de l’incorporation à l’Eglise par le Baptême  : par le langage qu’il emploie, il exclut justement ces distinctions. Pourquoi dirait-il « tous » si en réalité, il ne pensait pas que « tous » les baptisés étaient membres de l’Eglise ? Les mots ont un sens précis. Voudrait-on avoir l’impudence de faire dire à Paul VI l’inverse de ce qu’il dit ?

Ce propos, pris comme tel, est gravement erroné en matière de foi, étant donné que l’Eglise enseigne exactement l’inverse, à savoir que tous ceux qui sont baptisés ne sont pas dans l’Eglise : ils peuvent s’en séparer par l’hérésie et/ou par le schisme. Paul VI dit très explicitement que le schisme, la désunion d’avec l’Eglise catholique romaine, ne sépare pas de la véritable Eglise : et cette déclaration n’a rien d’étonnant, elle est cohérente avec l’ensemble de la nouvelle ecclésiologie de Vatican II sur la « communion imparfaite » et sur l’absence d’identité absolue entre l’Eglise catholique romaine et l’Eglise du Christ (cette dernière étant une réalité plus large incluant de manière réelle mais diminuée les autres dénominations chrétiennes). Dans cette optique, le schisme est bien un problème que l’on cherche à résoudre : mais il n’est pas question de le résoudre suivant cette mentalité « périmée » du retour des égarés à l’unité catholique. Car d’une part la responsabilité du schisme est partagée (c’est à cause des péchés de l’Eglise catholique que les schismes ont lieu : préalablement au retour à l’unité, il faut de la part de l’Eglise catholique des amendements et des réparations), d’autre part l’Eglise perd qualitativement en catholicité à l’occasion des schismes (chercher la réunion des chrétiens est donc, pour l’Eglise catholique, chercher à retrouver des éléments de doctrine et de vie religieuse qu’elle aurait perdus : le dialogue est à double sens), enfin – et surtout – les schismatiques font toujours partie de l’Eglise du Christ, par conséquent il serait déplacé de leur demander de « revenir dans l’Eglise » dont il sont toujours membres par leur Baptême : il faut chercher la communio perfecta, la pleine communion, quand il existe déjà une « communion imparfaite ». Ce sont les principes de l’œcuménisme tels que promus par Vatican II et ses faux pontifes.

Cette doctrine est absolument et radicalement incompatible avec la doctrine catholique, exposée dans le catéchisme de Saint Pie X et l’encyclique Mystici Corporis, parmi beaucoup d’autres documents du magistère. Puissent les générations présentes de chrétiens le comprendre et le vivre.

Pour conclure ce propos, nous souhaitons nous unir à la prière que l’Eglise adresse au Seigneur à l’intention des hérétiques et des schismatiques, dans les grandes oraisons du Vendredi Saint : les conciliaires diront qu’elle relève de « l’œcuménisme du retour » que Vatican II a rendu caduc, nous dirons plutôt qu’elle respire la foi et la charité puisées dans la vie même de Dieu, qui appelle toutes les âmes sans exception à la profession de la vraie foi à la communion avec l’Eglise catholique, unique bergerie du Bon Pasteur, unique arche du salut.

« Prions également pour les hérétiques et les schismatiques, afin que le Seigneur notre Dieu les arrache à toutes leurs erreurs, et qu’il daigne les ramener à notre sainte mère l’Eglise catholique et apostolique.
Dieu tout-puissant et éternel, qui sauvez tous les hommes, et ne voulez pas qu’aucun périsse, jetez les yeux sur les âmes séduites par les artifices du démon ; afin que, déposant toute la perversité de l’hérésie, leurs cœurs égarés viennent à la résipiscence, et retournent à l’unité de toute vérité. »

Jean-Tristan B.

Bientôt un leader socialiste béatifié ?

Julius Nyerere déclaré « vénérable » en 2005

C’est une information qui est apparemment passée en faisant peu de bruit dans le monde médiatique occidental : en mai 2005, la Congrégation pour la cause des Saints émets un décret d’héroïcité des vertus en faveur de Julius Nyerere (1922-1999), président de la république de Tanzanie entre 1964 et 1985.

Il s’agit de la deuxième étape de la procédure devant mener à la canonisation : dans un premier temps, le fidèle dont on ouvre la cause de béatification et de canonisation est appelé « serviteur de Dieu ». Après une première phase d’étude, un premier décret établissant de la vie exemplaire de l’intéressé est émis, qui lui donne droit au titre de « vénérable », la cause de béatification proprement dite commence ensuite d’être instruite : vu les procédures actuelles, il ne manque plus, pour passer à l’étape suivante, qu’un miracle soit attribué à la personne, ou qu’on établisse qu’un miracle a eu lieu par son intercession, pour que le titre de bienheureux lui soit accordé et que son culte soit autorisé canoniquement. Ce « décret d’héroïcité des vertus » n’est pas du tout émis à la légère, il fait suite à des enquêtes sévères impliquant l’intervention de théologiens, d’évêques et de cardinaux.

Autrement dit, Julius Nyerere est déjà quasiment béatifié, ce n’est qu’une question de temps. Mais il sera, et il est déjà très difficile, pour quelqu’un qui veut croire que les « papes » de Vatican II sont la véritable  autorité de l’Eglise catholique,  d’admettre que cet homme puisse être un saint. Il est déjà proprement incroyable que le décret d’héroïcité des vertus ait pu être émis, car l’intéressé n’est rien de moins qu’un des principaux leaders socialistes de l’histoire de l’Afrique, et pas seulement sur un plan purement politique mais aussi sur un plan idéologique. Julius Nyerere, surnommé dans son pays « l’instituteur » (mwalimu) était un homme instruit et lettré, qui a laissé à la postérité des livres et des discours : il a théorisé pour la Tanzanie le Ujamaa, socialisme à l’africaine, comme Kim Il-Song a théorisé pour la Corée le Juche. Nous présenterons quelques extraits de ses discours pour mesurer le degré d’opposition et de contradiction de sa pensée avec celle de l’Eglise catholique.

La cause de béatification est portée par ses compatriotes qui le considèrent comme le « père de la nation » et se souviennent avec émotion de son désintéressement, de sa générosité, de sa simplicité malgré les responsabilités qu’il occupait. C’est oublier que ce « père de la nation » a précipité leur pays dans une ruine insondable pour avoir voulu y appliquer une sorte de communisme à la chinoise, et que le pays ne s’est relevé un tant soit peu qu’après avoir renié entièrement ces doctrines économiques absurdes, injustes et contre-nature. La propagande du régime tanzanien en faveur du « culte de la personnalité » de Nyerere doit jouer pour beaucoup dans cette amnésie. Qu’il ait pu être un homme simple et désintéressé, respectueux dans sa vie privée des pratiques de l’Eglise catholique, n’est pas suffisant pour en faire un saint, ni même un vénérable : voyez ce qui suit, pour vous en convaincre.

Il est impossible d’être catholique et socialiste

En plusieurs endroits la doctrine socialiste a été explicitement condamnée par le magistère de l’Eglise catholique, comme contraire à la loi naturelle : c’est un enseignement infaillible relatif aux mœurs. L’encyclique Rerum novarum du Pape Léon XIII (1891), portée sur la question sociale, condamne fermement le socialisme comme un remède pire que le mal en présence (la misère ouvrière et les pratiques injustes des magnats de la finance et de l’industrie). Nous ne citons qu’un passage qui prouve suffisamment combien la condamnation est explicite et circonstanciée :

« De tout ce que Nous venons de dire, il résulte que la théorie socialiste de la propriété collective est absolument à répudier comme préjudiciable à ceux-là mêmes qu’on veut secourir, contraire aux droits naturels des individus, comme dénaturant les fonctions de l’Etat et troublant la tranquillité publique

Léon XIII, Rerum Novarum (1891)

Dans l’encyclique Quadragesimo Anno (1930), le Pape Pie XI se fait encore plus précis, et parle de formes atténuées ou mitigées de socialisme qui ne sont pas non plus acceptables. Entre l’époque de Léon XIII et celle de Pie XI, le mouvement socialiste s’est scindé en une branche réformiste (ceux que nous appelons aujourd’hui socialistes) et une branche révolutionnaire (les communistes). Pie XI explique bien, à l’intention de qui voudrait prétendre que le socialisme réformiste est une voie acceptable pour les catholiques, que le poison de l’erreur est toujours présent dans cette forme atténuée, et qu’il n’est pas possible pour un catholique de marcher de front avec ces socialistes, et encore moins de se déclarer socialiste.

« Mais que dire, si, pour ce qui est de la lutte des classes et de la propriété privée, le socialisme s’est véritablement atténué et corrigé au point que, sur ces deux questions, on n’ait plus rien à lui reprocher ? S’est-il par-là débarrassé instantanément de sa nature antichrétienne ? Telle est la question devant laquelle beaucoup d’esprits restent hésitants. Nombreux sont les catholiques qui, voyant bien que les principes chrétiens ne peuvent être ni laissés de côté, ni supprimés, semblent tourner les regards vers le Saint-Siège et Nous demander avec insistance de décider si ce socialisme est  suffisamment revenu de ses fausses doctrines pour pouvoir, sans sacrifier aucun principe chrétien, être admis, et en quelque sorte baptisé. Voulant, dans Notre sollicitude paternelle, répondre à leur attente, Nous décidons ce qui suit : qu’on le considère soit comme doctrine, soit comme fait historique, soit comme « action », le socialisme, s’il demeure vraiment socialisme, même après avoir concédé à la vérité et à la justice ce que Nous venons de dire, ne peut pas se concilier avec les principes de l’Église catholique : car sa conception de la société est on ne peut plus contraire à la vérité chrétienne.

Selon la doctrine chrétienne, en effet, le but pour lequel l’homme, doué d’une nature sociale, se trouve placé sur cette terre, est que, vivant en société et sous une autorité émanée de Dieu, il cultive et développe pleinement toutes ses facultés à la louange et à la gloire de son Créateur, et que, remplissant fidèlement les devoirs de sa profession ou de sa vocation, quelle qu’elle soit, il assure son bonheur à la fois temporel et éternel. Le socialisme, au contraire, ignorant complètement cette sublime fin de l’homme et de la société, ou n’en tenant aucun compte, suppose que la communauté humaine n’a été constituée qu’en vue du seul bien-être. »

Pie XI, Quadragesimo Anno (1930)

Plus loin Pie XI donne une formule qui rends impossible tout équivoque, suivant laquelle catholique et socialiste sont des termes définitivement contradictoires :

« Que si le socialisme, comme toutes les erreurs, contient une part de vérité (ce que d’ailleurs les Souverains Pontifes n’ont jamais nié), il n’en reste pas moins qu’il repose sur une théorie de la société qui lui est propre et qui est inconciliable avec le christianisme authentique. Socialisme religieux, socialisme chrétien, sont des contradictions : personne ne peut être en même temps bon catholique et vrai socialiste. »

Le souverain pontife récapitule ensuite ses propos sur le socialisme et dit :

« Nous avons fait ensuite l’examen du communisme et du socialisme, et toutes leurs formes, même les plus mitigées, se sont révélées très éloignées de l’Évangile. »

Voilà le cœur du problème en somme : si « personne ne peut être en même temps bon catholique et vrai socialiste », si le socialisme est irrecevable parce que « sa conception de la société est on ne peut plus contraire à la vérité chrétienne », s’il n’est pas permis même de soutenir une forme atténuée et mitigée de socialisme, n’importe quelle forme de socialisme, à plus forte raison il n’est pas possible d’avoir pratiqué héroïquement les vertus surnaturelles en ayant milité toute sa vie en faveur d’un socialisme décomplexé et destructeur.

Le socialisme de Julius Nyerere

Il serait vain de prétendre que le socialisme de Julius Nyerere est autre que le socialisme condamné par Pie XI, qu’il y a eu entre temps des évolutions significatives qui rendent le socialisme « baptisable ». Le socialisme de Nyerere entre dans la catégorie du « socialisme mitigé », dont les pires énormités sont tempérées par un semblant de bon sens et de sentiments humains, mais restant toujours irrecevable car contraire à la justice, à certains principes de la loi naturelle, et reposant en dernière instance sur une conception de la vie humaine qui est incompatible avec la doctrine chrétienne. Pour s’en convaincre, nous pouvons étudier quelques extraits de la « déclaration d’Arusha » de 1967, discours-programme de Nyerere et du TANU (Tanganyika African National Union), dont la première partie prends la forme d’un « credo socialiste » et inclus les déclarations suivantes :

« 5. That all citizens together possess all the natural resources of the country in trust for their descendants


6. That in order to ensure economic justice the State must have effective control over the principal means of production; and


7. That it is the responsibility of the State to intervene actively in the economic life of the Nation so as to ensure the well being of all citizens and so as to prevent the exploitation of one person by another or one group by another, and so as to prevent the accumulation of wealth to an extent which is inconsistent with a classless society »[1]

Ce que nous pouvons traduire par :

5. Que les citoyens, tous ensemble, ont la possession de toutes les ressources naturelles du pays en fiducie [2] pour leurs descendants ;

6. Que pour assurer la justice économique, l’Etat doit avoir le contrôle effectif sur les principaux moyens de production ;

7. Qu’il est de la responsabilité de l’Etat d’intervenir activement dans la vie économique de la Nation, afin d’assurer le bien-être de tous les citoyens, d’empêcher l’exploitation d’une personne par l’autre ou d’un groupe par l’autre, et d’empêcher l’accumulation de richesse dans une mesure qui serait incompatible avec une société sans classes.

Il y a dans ces déclarations plusieurs erreurs condamnées ou réfutées par Léon XIII et Pie XI :

  • Le principe suivant lequel l’ensemble des ressources naturelles appartiennent confusément à l’ensemble des citoyens : ce qui est une négation pratique du droit de propriété sur les terrains agricoles et autres surfaces susceptibles de procurer des ressources exploitables par l’homme [3] ;
  • Le principe suivant lequel les principaux moyens de production économique doivent se placer sous le contrôle direct de l’Etat : c’est une des erreurs les plus ruineuse du socialisme au point de vue de l’efficacité économique, et celle-ci n’est nullement atténuée dans le « socialisme  africain » de Nyerere.
  • Le principe suivant lequel il y aurait des limites, qui seraient comme fixées par la loi naturelle, à l’enrichissement légitime de certains individus plus travailleurs, plus doués, plus intelligents ou plus chanceux que d’autres : il faut que l’Etat leur empêche de poursuivre leur réussite économique, qu’ils ne puissent pas s’enrichir au-delà d’un certain montant de richesses. Les seules limites fixées par la loi naturelle sont en réalité celles de la manière dont la richesse est obtenue : il n’est jamais permis de s’enrichir en employant des moyens immoraux, qui porteraient un préjudice au prochain, à soi-même, au bien public ou à la loi de Dieu d’une manière générale. D’un point de vue spirituel, celui est attaché de manière immodérée à la poursuite de l’enrichissement, même purement légitime, court des risques de commettre des péchés et de se couper des sources de la grâce : c’est le problème de la mondanité, de l’attachement excessif aux choses créées et de la diminution proportionnelle de l’attachement à Dieu. Mais l’Etat ne peut pas interdire à quelqu’un  de continuer à s’enrichir s’il le fait par des moyens licites, sous le prétexte que sa réussite ferait ombrage aux autres : il serait contraire à la justice de priver un individu du fruit légitime de ses efforts [4].
  • Enfin le principe suivant lequel il ne doit pas exister de classes sociales : « a classless society », c’est le projet final du socialisme. Là non plus le « socialisme africain » de Nyerere ne comporte pas d’atténuation par rapport au socialisme originel. Il relève pourtant du simple bon sens de dire que l’existence de différentes classes sociales au sein des nations, l’existence d’une élite dans une société, est non seulement une « nécessité historique », dans le sens que même les sociétés qui ont tenté d’abolir l’aristocratie ont mécaniquement recréé une autre aristocratie [5] ; mais c’est aussi et surtout une véritable « nécessité naturelle » harmonieuse et ordonnée au bien commun : pas simplement une « usurpation » de certains individus mal intentionnés, un mécanisme qui serait dû au fond corrompu de la nature humaine, mais un ordre naturel ordonné à la vertu[6]. Un projet de société « sans classe » est formellement contraire à la doctrine sociale de l’Eglise catholique.

Ces déclarations font-elles de Nyerere un « vrai socialiste » ? Ou bien simplement un honnête homme trompé par une vague apparence de bien, et employant de mauvais mots pour désigner des projets et des désirs qui relèvent du christianisme ? Si l’engagement socialiste de Nyerere pouvait encore faire l’objet d’un doute, la déclaration d’Arusha comporte un passage intitulé « Le socialisme est une foi » (Socialism is a Belief), et disant en substance que le socialisme n’était pas simplement une idéologie abstraite, ou un ensemble de mesures pragmatiques décorrélées les unes des autres, mais bien un système complet qui devait se vivre, et se vivre d’abord à l’échelle individuelle comme une croyance religieuse :

«Socialism is a way of life, and a socialist society cannot simply come into existence. A socialist society can only be built by those who believe in, and who themselves practice, the principles of socialism. (…) The first duty of a TANU member, and especially of a TANU leader, is to accept these socialist principles, and to live his own life in accordance with them. (…) The successful implementation of socialist objectives depends very much up the leaders, because socialism is a belief in a particular system of living, and it is difficult for leaders to promote its growth if they do not themselves accept it.»

Voilà ce qui s’appelle de la dévotion.

Julius Nyerere fut donc un vrai socialiste, en paroles, en pensées et en actes. Il a été le principal artisan de la ruine de son pays, et tandis que le peuple se montrait récalcitrant face à la mise en place de la collectivisation, qui est nécessairement synonyme de spoliation, et de la politique de « villagisation » forcée des habitants des campagnes (il s’agissait d’arracher les populations de leurs habitats ordinairement très dispersés pour les placer dans des villages centraux, construits de toutes pièces et plus faciles à gérer), le régime tanzanien a fait recours à la force armée dans le cadre de « l’opération Dodoma » en 1974. Les belles paroles pacifistes et même « respectueuses de la propriété individuelle » de la déclaration d’Arusha laissent place à la réalité destructrice du socialisme : vols et spoliations, déplacements forcés de populations avec recours à la force, puis effondrement de l’économie.

Se peut-il qu’un vrai socialiste soit un bon chrétien ? Ce n’est pas moi, mais Pie XI qui réponds : c’est impossible.

Le laïcisme de Julius Nyerere

Plus intéressant encore que le sujet du socialisme, qui rends déjà impossible la cause de béatification de Nyerere et son statut de « vénérable », il apparaît que l’intéressé adhérait à d’autres erreurs plus graves encore, également condamnées par le magistère de l’Eglise catholique. Julius Nyerere défends sans aucun filtre toutes les erreurs contenues dans Vatican II, sans le « vernis protecteur » d’une pseudo-orthodoxie destinée à calmer les inquiétudes des catholiques conservateurs : liberté religieuse, liberté de pensée et d’expression, laïcisme, vision humanitaire et naturaliste du rôle social de l’Eglise catholique. Peut-être est-ce principalement pour cela que l’on instruit actuellement sa cause de béatification : il est un parfait zélateur de la nouvelle religion conciliaire, qui a rigoureusement mis en pratique en tant que chef d’Etat la véritable doctrine sociale de Vatican II.

Une des particularités du « socialisme à l’africaine » de Nyerere est qu’il n’est pas hostile à la religion. Le régime autorise toutes les religions, et utilise dans ses discours et ses procédures officielles un registre religieux « œcuménique » capable de mettre d’accord les chrétiens, les musulmans et les païens animistes : partout l’on fait référence à Dieu [7], à des principes et des valeurs communes aux grandes religions. En cela le modèle de société proposé par Nyerere a quelque chose de très ressemblant avec le système américain : il existe en Tanzanie comme aux Etats-Unis une sorte de « religiosité civique » qui ne relève d’aucune obédience religieuse en particulier, mais est susceptible de les mettre toutes d’accord. C’est le « paradis terrestre » que poursuit Vatican II, la « bonne laïcité » qui fait marcher main dans la main toutes les religions dans la poursuite du bien-être de l’humanité.

La séparation de l’Eglise et de l’Etat et la laïcité sont au cœur de la constitution promulguée par Nyerere pour l’état tanzanien, et des principes du TANU d’une manière générale. Dans le quotidien de ce parti unique The Nationalist, en 1965 un éditorial intitulé « Religion and Politics » exprime la même conception de l’union de l’Eglise et de l’Etat que celle du « pape » François, qui dit que les états confessionnels vont « contre l’histoire » et qu’un état doit être laïc [8] :

« History has shown how disastrous it is to mix politics and religion. (…) That is why it is imperative that religion must be isolated from the political life of our country »
« L’histoire a montré combien il est désastreux de mélanger politique et religion. (…) C’est pour cela qu’il est impératif que la religion soit tenue à l’écart de la vie politique de notre pays. » [9]

Pour Nyerere donc, il est inconcevable que l’Eglise se mêle des affaires de l’Etat. Mais qu’en est-il de l’inverse ? L’Etat doit-il laisser l’Eglise tout à fait autonome dans la formation de ses prêtres, dans l’enseignement de la doctrine chrétienne ? Apparemment, non … Julius Nyerere s’est personnellement impliqué pour que l’église de Tanzanie soutienne sa politique socialiste, et pour que les séminaristes soient formés au socialisme. Selon le politologue David Westerlund, Nyerere aurait déclaré dans une discussion avec des supérieurs catholiques au palais présidentiel : « Je serais très heureux si les séminaires pouvaient produire des prêtres socialistes », « I should be very happy if the Seminaries could turn out socialist priests ».

Mais il y a plus encore. De manière autonome par rapport à l’Amérique latine, Nyerere semble avoir développé une sorte de « théologie de la libération » qui fait de l’Eglise un instrument de l’émancipation temporelle des peuples contre les classes supérieures, comme s’il s’agissait de la principale raison de l’Incarnation du Dieu éternel et du principal message de l’Evangile. Il prononce en 1970 un discours ahurissant, d’autant plus ahurissant qu’il est prononcé en dehors du cadre de la politique tanzanienne et dans un contexte purement « catholique », à New York devant les membres de la société missionnaire Mary Knoll :

« Only by activities in these fields can the church justify its relevance in the modern world. For the purpose of the church is Man—his human dignity and his right to develop himself in freedom. For all human institutions including the church, are established in order to serve man. And it is the institution of the church, through its members, which should be leading to attack on any organization, or any economic, social, or political structure which oppresses men, and which denies to them the right and power to live as the sons of a loving God »


« C’est seulement par ses activités dans ces domaines [l’action sociale humanitaire] que l’ Église peut justifier de sa pertinence dans le monde moderne. Car l’objectif de l’Église est l’homme – sa dignité humaine et son droit à se développer dans la liberté. Car toutes les institutions humaines, l’Église incluse, sont établies pour servir l’homme. Et c’est l’institution de l’Église qui, à travers ses membres, devrait pousser pour attaquer toute organisation, ou toute structure économique, politique, sociale qui oppresse les hommes, et qui leur dénie le droit et le pouvoir de vivre comme les fils d’un Dieu d’amour). »

On ne saurait formuler plus clairement le fond de la religion conciliaire. Le but de l’Eglise est l’homme, sa dignité humaine, son droit à se développer dans la liberté :  le but de l’Eglise est le développement naturel de l’homme. L’Eglise ne justifie sa « pertinence » dans le monde moderne que par des activités dans ce champ humanitaire. Ce que par, « only by », est proprement incroyable dans la bouche d’un supposé catholique. Comme si la fin surnaturelle de l’Eglise avait soudainement disparu avec l’entrée dans le monde moderne, et que tout d’un coup cette Eglise n’avait plus de « pertinence » que sur le terrain de l’instauration du socialisme. Comme si le but de l’Eglise n’était pas d’abord et avant tout Dieu et sa gloire, la mise en relation de l’humanité avec Dieu, la glorification de Dieu par le salut des âmes. Nyerere révèle qu’il considère l’Eglise en tant qu’« institution humaine » comme les autres. Et comme toutes les institutions fondées par l’homme, elle doit servir l’homme… «for all humain institution including the Church, are established to serve man ». L’aspect surnaturel de l’Eglise ici occulté :

  • Dans son origine (l’Eglise est fondée par Jésus-Christ en tant que Dieu et en vertu de son autorité divine souveraine, elle est d’institution divine et non point humaine),
  • Dans sa nature actuelle (elle est une société divine et humaine, principalement divine par nature en tant que vivifiée par le Saint-Esprit, et non point simplement divine par origine),
  • Dans sa finalité (elle a pour fin le salut des âmes et la gloire de Dieu, et non point la poursuite du bien-être humain, bien qu’accidentellement l’action de l’Eglise dans le monde est un bienfait objectif pour l’humanité sur un plan purement naturel).

Ce sont bien ces tendances et ces idées que l’on retrouve chez les partisans les plus zélés de Vatican II. La « pertinence » de l’Eglise à notre époque, c’est de s’occuper des migrants, de la dégradation de l’environnement, de la persécution des Yézidis ou des Rohingyas, et de la construction de la « paix mondiale » par la coopération de toutes les religions. Sauver les âmes de l’enfer éternel, promouvoir la restauration de toutes choses en Jésus-Christ en vue de la vie éternelle, c’est apparemment une préoccupation d’intégriste figé dans le passé. Il serait pourtant bien difficile de lire honnêtement les évangiles et d’en conclure que le Christ s’est incarné, est mort sur la Croix et a institué l’Eglise pour l’établissement d’une société sans classes ou la lutte contre le réchauffement climatique !

Conclusion : de nouveaux saints pour une nouvelle religion

A notre avis, le décret sur l’héroïcité des vertus émis en faveur de Julius Nyerere n’a rien d’une bizarrerie ou d’une irrégularité venant de la part des conciliaires. Contenter le patriotisme des tanzaniens ne peut pas constituer en soi un motif proportionné pour que des théologiens, « cardinaux » et « évêques » déclarent qu’un leader socialiste est un modèle de vertu pour l’Eglise universelle et qu’il faut poursuivre son procès en béatification. C’est parce que Nyerere a parlé et agi en conformité avec leurs propres principes, principes faux et condamnés par le magistère de l’Eglise, qu’il est question d’en faire un modèle. Ce ne serait point la première fois que les conciliaires béatifient ou canonisent des personnes qui ne peuvent pas être des saints, en raison de leur vie scandaleuse et indépendamment de leurs possibles bonnes intentions, mais qui ont été des défenseurs zélés de la nouvelle religion conciliaire, religion humanitaire et œcuméniste. En premier lieu bien sûr, tous les « papes » depuis Vatican II : Jean XXIII, Paul VI, et Jean-Paul II sont déjà « saints », Jean-Paul Ier est « bienheureux » et Benoît XVI et François sont « sur la liste d’attente » d’après le propos à peine ironique dudit François [10]. A présent, nous nous demandons quelle sera l’excuse des herméneutes de la continuité lorsque ce qui est pour eux l’autorité de l’Eglise portera sur les autels un socialiste laïciste qui estime que la place de l’Eglise dans le monde moderne ne se justifie que par ses œuvres humanitaires : s’agira-t-il de dire que la condamnation du socialisme par Pie XI n’était pas infaillible ? Ou bien de prétendre avec la FSSPX que les béatifications et canonisations ne sont pas des faits dogmatiques qui exigent l’assentiment absolu de la foi ? Puissent-ils plutôt réaliser qu’il est impossible, sous tout rapport, que l’Eglise canonise un socialiste. Le fait qu’un socialiste soit déclaré « vénérable » est déjà, présentement, un problème grave. Nous prions pour que le peuple chrétien ouvre les yeux, et réalise l’immense supercherie qui est en train de se réaliser sous leurs yeux et sous les apparences de la légitimité hiérarchique catholique : si cette « béatification » pouvait aider à lever le voile qui aveugle tant de catholiques, faute de mieux nous l’appelons de nos souhaits.

Jean-Tristan B. 




[1] Le texte complet est disponible ici : https://www.marxists.org/subject/africa/nyerere/1967/arusha-declaration.htm

[2] La fiducie (trust) est un concept juridique anglo-saxon désignant une opération par laquelle une personne (le constituant) confie une propriété de biens ou de droits à un tiers (le fiduciaire) qui emploie ces propriétés ou ces biens au bénéfice d’autres personnes. Dans ce contexte, il s’agirait de dire que « l’ensemble des citoyens » aurait reçu (de qui ?) les ressources naturelles en fiducie, pour les gérer au bénéfice des générations futures.  

[3] Léon XIII dit la chose suivante dans l’encyclique Rerum novarum que Dieu, qui a « donné la terre aux hommes », ne la leur donne pas sous la forme d’une propriété diffuse universelle, mais il laisse les hommes libres de délimiter des propriétés : « Qu’on n’oppose pas non plus à la légitimité de la propriété privée le fait que Dieu a donné la terre au genre humain tout entier pour qu’il l’utilise et en jouisse. Si l’on dit que Dieu l’a donnée en commun aux hommes, cela signifie non pas qu’ils doivent la posséder confusément, mais que Dieu n’a assigné de part à aucun homme en particulier. Il a abandonné la délimitation des propriétés à la sagesse des hommes et aux institutions des peuples.» Il est donc erroné de prétendre que l’ensemble des citoyens a un droit de propriété (inhérent ou délégué, comme dans le cas d’une fiducie) sur l’ensemble des ressources naturelles.

[4] C’est précisément en cela que le système de « l’état-providence », émanation du socialisme, qui préconise des taux de taxations incroyablement élevés et toujours plus élevés à mesure de l’importance des revenus générés par une personne en situation de « réussite économique », est d’une grande injustice. Par ces mesures, l’entreprenariat est découragé et quasiment criminalisé : comme si ceux qui parvenaient à s’enrichir devaient en avoir honte, et payer à la société une sorte d’amende toujours plus grande à mesure qu’ils arrivent à s’extraire de la condition du commun.

[5] Ce phénomène est désigné par le sociologue Robert Michels, désabusé du socialisme, comme la « loi d’airain de l’oligarchie » : toute organisation quelle qu’elle soit, qu’elle prétende prendre la forme d’une autocratie ou d’une démocratie, aura toujours une minorité de personnes puissantes à sa tête. Elle pourra avoir un point de départ égalitaire utopique : au bout d’un certain temps de développement, une aristocratie se formera. Cette vérité s’applique aussi bien à la pseudo-démocratie occidentale actuelle qu’aux régimes monarchiques de l’Europe chrétienne : même l’absolutisme de Louis XIV repose sur un réseau complexe d’élites sans lesquelles le roi ne peut pas exercer son pouvoir, ou que le roi ne saurait contrarier sans qu’il s’en suive des conséquences fâcheuses pour le bien public. L’absolutisme d’ailleurs doit beaucoup à une caste de légistes et de magistrats qui depuis le XIIIe siècle ont conseillé les rois et défini le cadre conceptuel de cet absolutisme. La nature sociale de l’homme inclut cette nécessité de l’aristocratie, aussi bien à petite échelle dans n’importe quelle groupe humain (entreprise, association) qu’à l’échelle d’une nation entière.

.[6] Toujours Léon XIII dans Rerum novarum : « Dans le corps humain, les membres malgré leur diversité s’adaptent merveilleusement l’un à l’autre, de façon à former un tout exactement proportionné et que l’on pourrait appeler symétrique. Ainsi, dans la société, les deux classes sont destinées par la nature à s’unir harmonieusement dans un parfait équilibre. Elles ont un impérieux besoin l’une de l’autre : il ne peut y avoir de capital sans travail, ni de travail sans capital. La concorde engendre l’ordre et la beauté. Au contraire, d’un conflit perpétuel il ne peut résulter que la confusion des luttes sauvages. Or, pour dirimer ce conflit et couper le mal dans sa racine, les institutions chrétiennes ont à leur disposition des moyens admirables et variés. »

[7] Les peuples animistes d’Afrique croient tous en l’existence d’un Dieu unique, Créateur Tout-puissant, bien qu’ils ne l’adorent pas et qu’ils se préoccupent au quotidien d’autres « entités » (esprits, ancêtres). Les références à Dieu dans l’hymne national ou dans les discours du régime ne devraient pas choquer les animistes tanzaniens.

[8] https://www.la-croix.com/Religion/Pape/Le-pape-Francois-La-Croix-Un-Etat-doit-etre-laique-2016-05-16-1200760526

[9] Les citations qui suivent se trouvent dans cet article de Marie-Aude Fouéré sur « La fabrique d’un saint en Tanzanie » : https://journals.openedition.org/eastafrica/609?lang=en

[10] https://www.leparisien.fr/societe/le-pape-francois-se-dit-sur-liste-d-attente-pour-devenir-saint-17-02-2018-7564872.php