La recherche de la vérité

Sommaire
· Définitions sur la vérité
· Des degrés de certitude
· Les vérités abstraites et spirituelles sont les plus certaines
· Plusieurs points de vue, pas plusieurs vérités
· Relativisme en paroles, réalisme en pratique !
· Une réalité extérieure qui s’impose à nous
· Méthodologie pour la recherche de la vérité


[Jésus dit :] Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité.  Quiconque est de la vérité écoute ma voix. Pilate lui dit : qu’est-ce que la vérité ?

Jean XVIII, 37-38

Pour Ponce Pilate, la question est rhétorique : aussitôt après l’avoir posée, il se détourne de Jésus pour revenir vers les Juifs qui le lui avaient amené. La quête de la vérité ne l’intéresse pas.

Mais pour vous lecteur, nous espérons que la question n’est pas rhétorique : vous cherchez peut-être la vérité, et vous avez de la peine à la trouver, vous avez de la peine même à mettre une définition sur ce terme dans un monde où l’agnosticisme et le relativisme sont devenus des sortes de dogmes religieux, que l’on ne peut pas remettre en cause sans devenir aux yeux des autres un extrémiste.

Celui qui a une quelconque croyance religieuse doit, pour être accepté socialement, présenter sa foi comme n’engageant que lui-même et relevant de son appréciation personnelle des choses, comme si elle ne dépendait pas d’une vérité objective.

Jésus dit pourtant : quiconque est de la vérité, quiconque est du « parti » de la vérité, écoute ma voix. Vous vous demandez peut-être quel est ce parti et s’il vaut la peine d’être rejoint. Dans ce cas, nous espérons que ce qui suit vous sera utile.

Des définitions

Il est rare que nous passions un jour sans prononcer le mot « vérité », sans l’entendre ou le lire, car ce terme est d’un emploi nécessaire pour parler des choses de la vie de tous les jours. En cette époque de « fake news » et de « fact checking », il acquiert même une sorte de caractère polémique : chacun fait profession d’être défenseur de la vérité.

Mais nous ne réfléchissons pas à une définition précise du terme, et lorsqu’il s’agit de réfléchir sur « ce qu’est la vérité », de philosopher sur le sujet, c’est presque toujours pour employer un langage fumeux, revenant à dire qu’il n’y a pas de vérité ou qu’on ne sait pas ce qu’est la vérité.

Sauf lorsqu’il s’agit de dénoncer les « fake news » !

Nous vous proposons une définition précise.

La vérité est la retranscription exacte ou le reflet, dans notre esprit, de la réalité, de ce qui est réellement. En latin :adequatio rei et intellectus, l’adéquation entre la chose (une réalité extérieure indépendante de nous) et l’intellect (notre capacité d’abstraction de sujet pensant).

C’est-à-dire que notre esprit est dans le vrai, que nous disons la vérité, lorsque ce qui est dans notre esprit et ce qui en sort (par la parole) est conforme à la réalité. On dit qu’une proposition ou un principe est « une vérité » lorsque, dans le domaine précis de cette proposition ou de ce principe, l’idée est conforme à ce qui est réellement.

Par exemple : dire que le point d’ébullition de l’eau se situe à 100°C à pression atmosphérique normale, c’est une vérité, continuellement vérifiable par l’expérience. Mais on peut dire aussi que c’est «la vérité» de manière plus générale, dans le sens que sur cette question précise du point d’ébullition de l’eau, il n’y a pas d’autre pensée conforme à la réalité que celle qui consiste à dire que ce point d’ébullition se trouve à 100°C.

Peut-être vous aviserez-vous de douter et de dire : « dire que l’eau bout à 100°C, ce n’est pas vrai, car suivant la pression atmosphérique, le point d’ébullition change». Vous n’avez pas vu la deuxième partie de notre proposition : « à pression atmosphérique normale ». Dire que l’eau bout à 100°C est vrai sous le rapport d’une condition atmosphérique ordinaire ; ce n’est pas vrai sous le rapport d’une autre condition, par exemple si l’on se trouve à 2000 mètres d’altitude.

Le fait qu’une chose puisse être vraie sous un certain rapport et fausse sous un autre rapport, dans un autre référentiel, n’est absolument pas un problème quant à la question de savoir s’il existe une vérité : je suis grand par rapport à une fourmi, je suis petit par rapport à une montagne, il ne s’agit pas de dire que je suis « petit » et « grand » en même temps et sous le même rapport.

L’eau peut bouillir à 100°C sous un certain rapport et à 85°C sous un autre.

Vous direz peut-être : il n’y a pas de « condition atmosphérique ordinaire », cette notion est simplement une convention humaine arbitraire et pas le reflet d’une réalité.

Nous vous répondons : c’est un terme humain qui correspond à une réalité bien qu’il soit entaché d’une certaine imprécision : on pourrait qualifier cette réalité plus précisément en employant des unités de mesure de la pression atmosphérique, de l’altitude, ou autre.

Peut-être que ce n’est pas 100°C mais 99,99999999°C dans la plupart des cas, qu’importe : dans la grosseur du trait, cela reste un principe vérifiable.

Cet exemple nous permets d’établir plusieurs choses :

Premièrement, que les « vérités scientifiques », qui sont censées être les seules propositions recevables par l’esprit de l’homme moderne et civilisé, sont en fait presque toujours entachées d’une certaine imprécision.

Ce n’est pas du relativisme que de le dire : c’est simplement qu’il est difficile de faire correspondre très exactement l’esprit humain avec cette réalité matérielle changeante et complexe qu’est l’univers.

Les vérités de la science physique ne sont pas parmi les vérités les plus « fortes », les mieux établies dans l’esprit humain, parce que leur objet est difficile d’accès.

Il y a des domaines de la réalité qui sont de nature à susciter dans l’esprit humain des pensées beaucoup plus précises et exactes de vérité, parce qu’ils sont plus abstraits et détachés de la matière, donc plus directement conformes à la nature de l’esprit : les mathématiques, la philosophie (nous en reparlerons).

Deuxièmement, que « la vérité » ce n’est pas seulement une grande question métaphysique, cela concerne d’abord et premièrement des choses de la vie ordinaire.

Pour faire cuire vos pâtes vous devez porter l’eau à son point d’ébullition, donc vous devez utiliser des outils particuliers pour chauffer cette eau : cuisinière, plaques de cuisson.

Vous vivez en fonction de cette vérité qui est dans votre esprit : vous savez que la réalité fonctionne ainsi, vous savez qu’il faut chauffer l’eau un certain temps et avec une certaine intensité pour parvenir à votre fin, qui est de faire cuire les pâtes.

Si dans ce domaine précis, vous refusez la vérité, par exemple vous choisissez pour vous une croyance selon laquelle l’eau n’a pas besoin d’être chauffée mais qu’il suffit de chanter dessus pour qu’elle bouille, vous passerez des heures à chanter sur votre eau et il ne se passera rien… c’est dommage.

Il vaut mieux, en toutes choses, chercher à connaître la vérité et à vivre en conformité avec elle.

Troisièmement, que l’on peut déjà à partir de cet exemple expliquer une méthodologie de la recherche de la vérité : pour conformer notre esprit à la réalité (puisque la vérité réside dans cette conformation, dans cette adéquation), il faut 1) se baser sur l’expérience, sur des choses immédiatement constatables, 2) faire des raisonnements.

C’est ce que l’on appelle, dans le premier cas, l’évidence immédiate (l’esprit trouve directement la réalité à l’aide des sens : par exemple, mon thermomètre placé dans l’eau affiche 100°C tandis qu’elle commence à bouillir, je le vois, et je sais que mon thermomètre fonctionne bien).

Dans le second cas, l’évidence médiate ou indirecte : l’esprit trouve la réalité en tirant d’une chose concrète un principe abstrait, en concluant de manière logique à l’existence d’un principe universel : si l’expérience de faire bouillir l’eau avec un thermomètre dans une condition atmosphérique normale donne toujours 100°C, ce n’est pas simplement que mon eau ce jour-là a bouilli à 100°C, c’est que d’une manière générale cet élément qu’on appelle l’eau est déterminé par nature à bouillir à telle température sous le rapport de telle condition atmosphérique.

Du particulier au général : c’est le raisonnement par induction, je remonte au principe à partir d’une multiplicité d’expériences.

Si je me trouve à l’autre bout de la terre mais que les conditions atmosphériques sont les mêmes que l’endroit où j’ai fait bouillir de l’eau la dernière fois, je sais que cette eau que je trouve à l’autre bout de la terre a le même point d’ébullition que l’autre eau : du général au particulier, c’est le raisonnement par déduction.

Des degrés de certitude

Comme nous le disions, cet exemple n’est pas tout à fait heureux : cette vérité sur le point d’ébullition de l’eau, pour pratique qu’elle soit, n’est pas extrêmement précise.

Il est beaucoup plus certain que 2 + 2 font 4 qu’il n’est certain que « l’eau bout à 100°C », car il faut toujours prendre en compte un certain référentiel. Mais alors, il n’y a pas de « vérité absolue et unique » sur ce sujet ?

Ce n’est pas ce que nous disons : sur ce point précis de la réalité, notre esprit s’approche de la réalité très fortement bien qu’il peine à s’y conformer de manière absolue (cf. la définition de la « condition atmosphérique normale »).

Ce qui est imprécis et hésitant, ce n’est pas la réalité en elle-même : c’est l’état de notre esprit, qui cherche à se conformer à cette réalité. Il y a certainement une manière plus précise et exacte de dire que l’eau bout à 100°C dans une pression atmosphérique normale : cette vérité existe, et on s’en rapproche avec cette proposition.

2 + 2 = 4. Voici quelque chose de beaucoup plus certain : parce qu’ici on ne se préoccupe plus des contingences de la matière, mais simplement d’étudier des principes abstraits.

Ceux qui disent : « mais là aussi, ce n’est vrai que selon un certain référentiel » se trompent. L’arithmétique, et les autres disciplines des mathématiques, ne sont pas des conventions sociales : ce qui est conventionnel, c’est d’appeler « deux » le deux, et « quatre » le quatre, d’utiliser le symbole « + » pour exprimer le principe de l’addition, mais derrière les mots et les symboles il y a une réalité abstraite universelle, si bien que l’on peut faire de l’arithmétique dans n’importe quelle langue : le mot change, la réalité désignée est la même.

Aujourd’hui, les mathématiciens s’amusent à faire des thèses entières en prenant des référentiels absurdes, par exemple en partant du principe que 2 + 2 = 5 : c’est simplement un jeu intellectuel, pour des génies un peu désabusés, ce sont de fausses mathématiques parce qu’elles ne reflètent pas la réalité.

Pendant ce temps, on emploie continuellement les vraies mathématiques pour interagir avec la réalité : sans mathématiques, pas d’industrie, pas de fiscalité, pas de comptabilité, pas de progrès technique : et c’est encore la meilleure preuve que la science mathématique correspond à la réalité, pour abstraite et invisible qu’elle soit, que de pouvoir constater à quel point elle a des conséquences pratiques et universelles dans la vie humaine.

Celui qui affecte de se moquer de l’arithmétique en disant qu’elle est une convention arbitraire utilise l’arithmétique tous les jours sans s’en rendre compte, et tout ce qui se passe autour de lui a une certaine part avec les principes de l’arithmétique.

Mais il y a des choses encore plus certaines que les mathématiques. Prenons ce principe :  « Les choses sont ce qu’elles sont, et ne sont pas ce qu’elles ne sont pas » : c’est un truisme, direz-vous.

Oui, c’est une banalité si l’on veut, mais cela reste une vérité métaphysique absolument certaine et universelle : elle s’applique à tout, on ne peut pas lui trouver d’exception. Pour l’exprimer encore plus précisément : « une chose ne peut pas, en même temps et sous le même rapport, être et ne pas être ».

Les mathématiques ne s’appliquent qu’à étudier la réalité sous le rapport de la numération. La philosophie s’applique à étudier la réalité … en tant que réalité : c’est le degré le plus haut de la connaissance. La science physique étudie les lois de la matière, la biologie étudie les lois de la vie, la science mathématique étudie les lois de la numération, etc… tandis que la science philosophique, car il s’agit bien d’une science si l’on est réaliste, étudie les « les lois des lois », les principes qui régissent toutes les dimensions de la réalité.

C’est pourquoi une certitude philosophique, une vérité dans le domaine philosophique, est beaucoup plus certaine qu’une vérité dans le domaine des sciences appliquées : elle est plus directement conforme à la réalité que l’esprit humain essaye de connaître.

Cela ne veut pas dire qu’il est plus facile d’atteindre la vérité en philosophie qu’en mathématiques : cela veut dire qu’il est possible d’exprimer des propositions ayant un degré de certitude absolu, une fois qu’on les a bien comprises.


A gauche de l’image, Pythagore est en train d’écrire. Extrait de la fresque de Raphaël L’école d’Athènes.

Les vérités abstraites et spirituelles sont les plus certaines

« L’eau bout à 100°C dans une condition atmosphérique normale » : c’est une certitude pratique et approximative, qui pourrait être précisée ou discutée dans certaines limites. « Les choses sont ce qu’elles sont, et ne sont pas ce qu’elles ne sont pas », « deux plus deux font quatre » : ce sont des certitudes absolues, indiscutables sous aucun rapport, parce qu’elles ne dépendent pas des contingences de la matière : les vérités abstraites et spirituelles sont plus certaines que les vérités appartenant aux sciences expérimentales, parce que les principes qu’elle étudie sont plus généraux et moins particuliers.

L’esprit humain est capable, par l’effort conjoint de la constatation sensible (évidences immédiates) et du raisonnement (évidences médiates), d’établir en lui de très solides et très indubitables vérités : l’agnosticisme, qui affecte d’être une posture « rationnelle » ou « rationaliste », suivant laquelle on ne peut pas trouver la vérité avec certitude dans des domaines qui dépassent la pure constatation sensible, n’est conforme ni à la raison ni à l’expérience : les deux nous indiquent que les certitudes les plus fortes et les plus solides qui siègent dans l’esprit humain appartiennent à un domaine abstrait et insensible, par exemple les mathématiques, qui sont en elles-mêmes invisibles et purement abstraites mais qui ont des applications pratiques continuelles et splendides dans la vie humaine.

Voici le point de vue que nous défendons, qui est celui du réalisme philosophique, nous préciserons du réalisme spiritualiste : il n’y a pas de séparation étanche entre le « monde » des réalités sensibles et immédiatement accessibles, et celui des réalités invisibles et abstraites.

Il est commun pour les hommes de notre temps de séparer les deux de manière étanche, d’être très réaliste et pragmatique pour ce qui concerne les choses sensibles, et de « planer totalement » lorsqu’il s’agit de parler des choses invisibles et spirituelles :  lorsque l’on parle de philosophie ou de religion, tout d’un coup on abandonne le bon sens et on se livre à des considérations complètement absurdes et insondables.

Tel homme sera dans la vie de tous les jours un entrepreneur brillant, très réaliste lorsqu’il s’agit des affaires et des investissements : il sera dans sa vie privée adepte du yoga, du karma, de l’horoscope, ou de toutes sortes d’autres choses dont la véracité et l’efficacité spirituelle n’est ni prouvée ni prouvable, et il ne prétend pas qu’elles soient prouvées ou prouvables, il y adhère simplement parce que cela lui « parle ».

Nous sommes contre cette distinction : il faut être réaliste aussi bien dans les choses pratiques que dans les choses spirituelles, parce qu’il ne s’agit que d’étudier deux dimensions d’une même réalité.

Chercher à connaître la vérité en matière de philosophie et de religion, c’est chercher à connaître, suivant les données de l’expérience et les principes accessibles par la raison, la réalité telle qu’elle est, et non pas telle que l’on voudrait qu’elle soit.

Plusieurs points de vue, pas plusieurs vérités

« Chacun sa vérité », « j’ai ma vérité, tu as la tienne » : il n’est pas rare d’entendre ces paroles, lorsqu’il s’agit de parler de religion, de morale ou de philosophie.

Elles se basent sur une incompréhension du terme « vérité » : dans ce contexte, on pense souvent que « vérité » signifie simplement une chose à laquelle nous croyons et qui nous tient à cœur, qui nous motive, qui nous plaît, une doctrine avec laquelle nous essayons de guider notre vie.

Mais c’est bien une incompréhension : suivant la définition de la vérité comme l’adéquation entre l’intelligence subjective et la réalité objective, il ne peut pas exister « plusieurs vérités » en même temps et sous le même rapport. Parce qu’il n’existe pas « plusieurs réalités » : nous vivons tous dans une même réalité, que nous cherchons à comprendre et à connaître, et s’il existe plusieurs interprétations ou plusieurs croyances sur le sens qu’il faut donner à cette réalité, ce n’est pas que cette réalité correspond en même temps à ces différentes croyances, mais plutôt qu’il y a des croyances vraies et des croyances fausses : ainsi par exemple dans le débat sur les « fake news », il n’est pas question de considérer que les défenseurs de « théories du complot » et les défenseurs des « versions officielles » aient en même temps raison, qu’ils aient chacun « leur vérité » … au contraire, il est bien évident pour tout le monde que certains ont raison, et que d’autres ont tort, quel que soit d’ailleurs le parti où l’on se place dans la querelle. Ce principe vaut pour tous les domaines de la vie, il vaut donc a fortiori pour la philosophie et la religion.

Il peut exister une multitude de croyances contradictoires, qui guident la vie de peuples entiers depuis de nombreux siècles : telle partie du monde croit en l’islam, telle autre en l’hindouisme.

Ces croyances contradictoires ne peuvent pas être toutes vraies en même temps et sous le même rapport : parce qu’il n’est pas possible, par exemple, que Dieu soit en même temps transcendant (comme dans la doctrine catholique : Dieu est radicalement distinct, indépendant et supérieur par rapport aux créatures) et en même temps immanent (comme dans l’hindouisme : chaque créature « est Dieu », il n’y a pas de distinction radicale entre les deux). Les deux idées s’excluent absolument : elles ne peuvent pas être toutes les deux conformes à la réalité.

Relativisme en paroles, réalisme en pratique !

Beaucoup ont le relativisme sur les lèvres : impossible, dit-on, de savoir si Dieu existe, de savoir s’il y a une vraie religion, de savoir s’il y a une vraie morale, de savoir s’il y a une vraie doctrine politique, de savoir même s’il y a une vraie réalité, une vraie vérité … on affecte de douter de tout, on prétend que le doute est la base de la maturité intellectuelle et du progrès scientifique,  on prétend « qu’il n’y a de science que de réfutable », que ce qui est vrai aujourd’hui sera faux demain, qu’il y a de la fécondité dans la contradiction. On l’affecte et on le prétend : ce sont des paroles.

Dans les faits, personne n’y croit véritablement. Il est impossible de vivre en conformité avec le relativisme : ce serait cesser de vivre. Il est possible d’être relativiste le temps d’une discussion mondaine, pour avoir l’air philosophe : mais les choses se compliquent lorsqu’il est question de faire des affaires, de mener à bien des projets immobiliers, d’investir en bourse, de poursuivre une formation universitaire ou professionnelle, de concevoir des machines, de programmer un site web, d’organiser ses prochaines vacances, d’éduquer des enfants, d’avoir une relation harmonieuse avec son conjoint, de gagner un procès, de gagner un match de football, de trouver un fournisseur d’abonnement téléphonique … en bref, dans tous les domaines de la vie, on ne peut pas être relativiste : il y a une réalité tangible, qui s’impose à nous que nous le voulions ou non, que l’on doit chercher à connaître objectivement et sans préjugés au risque de commettre des erreurs immédiatement dommageables à nos intérêts et ceux de nos proches.

Tout le monde est réaliste, tant qu’il en va de nos intérêts personnels. Si la majorité de nos contemporains ne sont pas réalistes en philosophie et en religion, c’est parce qu’il leur semble qu’une telle démarche irait contre leur intérêt et leur goût : je ne veux pas me soumettre à une autorité ou à un dogme, je ne veux pas qu’on me dise ce que je dois faire, je veux penser librement.

Ce n’est pas un point de vue rationnel : c’est plutôt un rejet de la rationalité, une « démission de l’intelligence », le refus qu’il puisse y avoir une vérité intangible à laquelle il faille se soumettre, parce que s’y soumettre pourrait contrarier notre confort, notre plaisir et notre volonté propre.

Mais dans d’autres domaines, par exemple dans le domaine de la défense des mesures sanitaires contre le covid-19, comme leur intérêt et leur cœur se porte vers ces mesures, il est hors de question pour eux de prétendre qu’il puisse y avoir plusieurs points de vue valables, plusieurs « vérités » acceptables concernant la réalité de la crise sanitaire : ils n’hésitent pas à employer le discours, les méthodes et les procédés des civilisations « inquisitoriales », « dogmatiques », « absolutistes », « dictatoriales » contre ceux qui ne croient pas dans la réalité de la crise sanitaire.

Nous disions « relativisme en paroles, réalisme en pratique » : nous pouvons dire également « libéralisme en paroles, intégrisme en pratique ». Lorsqu’il s’agit de la crise covid, il n’y a plus ni liberté de pensée, ni liberté d’expression, ni liberté de faire ce qui nous plaît au détriment de principes moraux universels et intangibles : les discours complotistes doivent être réfutés, muselés et réprimés, ceux qui enfreignent les mesures doivent être poursuivis et châtiés sévèrement, toute la population doit être éduquée et informée de la réalité de l’épidémie et des mesures à prendre, il faut être prêt à tous les sacrifices pour prendre acte de cette réalité.

En cela les covidistes sont cohérents avec une exigence fondamentale de l’esprit humain : il ne peut pas y avoir plusieurs vérités parce qu’il n’y a qu’une seule réalité qui s’impose à tous qu’on le veuille ou non, et les opinions fausses sont dangereuses parce qu’elles poussent les hommes à agir en difformité avec la réalité, et ainsi faisant à se nuire à eux-mêmes et à nuire à tous les autres. Sur le principe, les catholiques du Moyen-Age n’en disaient pas moins !

Le Pape et l’inquisiteur, Jean-Paul Laurens

Une réalité extérieure qui s’impose à nous

Dans ces domaines pratiques que nous venons d’évoquer, le bon sens nous défend de privilégier notre vision subjective des choses à une réalité objective qui n’est peut-être pas facile à connaître, mais que l’on doit chercher à connaître le mieux possible pour pouvoir espérer quelque succès. Si je veux entreprendre dans un domaine particulier, je dois faire une étude de marché : c’est-à-dire, essayer de connaître le plus objectivement et le plus précisément possible la réalité de ce marché, pour me plier à cette réalité : cette réalité ne dépend pas de moi, mon esprit n’a pas le pouvoir de la modifier ou de la contrôler.

Je dois me positionner en conséquence de cette réalité extérieure, sinon mes investissements seront hasardeux et mes efforts probablement inutiles.

Dans l’entreprenariat, le risque doit être contrôlé, l’ignorance totale n’est pas permise. On ne peut pas se permettre de laisser au hasard, à une croyance injustifiée ou à la fantaisie de notre humeur une affaire aussi grave.

Pourtant c’est ce que beaucoup de gens font en matière de morale et de religion : ils vivent « au hasard », suivant leur fantaisie, suivant des croyances personnelles qu’ils se sont fabriquées ou qu’ils ont trouvé chez un maître quelconque, et qu’ils observent simplement parce qu’elles leur plaisent, parce que cela leur parle.

Et c’est de la folie : parce que s’il y a une réalité objective dans les affaires, on ne comprend pas pourquoi il n’y aurait pas de réalité objective concernant l’ordre du monde, son origine et sa finalité.

Le monde des affaires et le « monde de la religion » appartiennent à un même univers, à une même réalité : c’est simplement que le monde des affaires se circonscrit à un aspect particulier de la vie, tandis que la philosophie, la religion et la morale ont pour objet la vie dans son ensemble.

Quel entrepreneur voudrait d’une doctrine sur sa discipline qui serait belle et pleine d’attrait, mais prouvée par rien du tout, et ayant toutes les chances d’être le simple fruit de la fantaisie de l’esprit humain ? Serait-il prêt à emprunter 300 000€ à sa banque sans avoir une forme de certitude pratique qu’il pourra les rembourser ? C’est cette certitude qu’il lui faut, peu importe ce que lui disent les beaux-parleurs et les charlatans qui lui proposent de le rendre riche en un clin d’œil. Il est prêt à accepter un certain degré de risque et d’inconnu, mais pas à risquer tout sur de belles paroles : « c’est du bon sens ».

Méthodologie pour la recherche de la vérité

Ce qui vaut pour l’entreprenariat vaut pour tout le reste : si vous n’acceptez pour seule règle de votre pensée que le bon sens, vous finirez par trouver la vérité. Et tandis qu’en matière économique vous n’aurez que des certitudes limitées et approximatives, étant donné le caractère contingent et évolutif de votre objet d’étude, en matière de réalités spirituelles universelles, vous pourrez trouver des certitudes indubitables, car votre objet d’étude est immuable et éternel.

Pour qui cherche donc sincèrement la vérité dans ces matières très élevées, il faut avoir à peu près la même approche que lorsque l’on cherche la vérité en matière de conjoncture économique et de compréhension des marchés : il faut utiliser les données de l’expérience et de la raison, en se basant sur des sources fiables. Nos préjugés, nos sentiments, nos répugnances, ne valent pour rien dans cette recherche : il n’importe que de comprendre la réalité telle qu’elle est, et de s’y conformer, sous peine de faire fausse route.

Mais pour autant, ne soyons pas dupes : dans ces matières très élevées, tout ne se limite pas à l’usage de la raison. Raisonner sur l’économie, sur la science physique ou sur les mathématiques ne vous engage à rien : c’est quelque chose de plaisant, vous vous cultivez.

Mais raisonner sur les grandes vérités sur l’origine et la fin de l’univers, sur le sens de la vie humaine, cela pourrait vous engager à des changements concrets dans votre vie, à des sacrifices : peut-être que déjà, il y a un conflit qui s’opère en vous entre votre intelligence qui est attirée par ces démonstrations sensées et raisonnables, et votre partie charnelle et sensible qui ne veut que « profiter de la vie » et laisser de côté ces grandes questions si pesantes et si sérieuses.

Il faut entrer dans la recherche de la vérité avec un cœur humble et sincère : mieux vaut trouver une vérité déplaisante, que de vivre honteusement dans un mensonge qui nous plaît.

Mieux vaut avouer s’être trompé, peut-être s’être trompé la plus grande partie de sa vie, que de continuer avec obstination et orgueil à défendre des choses fausses. Il faut aimer la vérité par principe, même si on n’est pas encore sûr de connaître la vérité, que l’on pense pouvoir se tromper : aimer la vérité par-dessus tout, parce qu’il est bien certain qu’il y a une vérité, et qu’au prix de quelques efforts on peut la trouver.

Parce que l’homme est un être doué d’intelligence et de volonté, qui sont les facultés qui le distinguent du reste du règne animal, il faut que les deux fonctionnent ensemble : la volonté doit dicter à l’intelligence de chercher la vérité comme sa fin, elle doit aimer la vérité et haïr le mensonge. Si la volonté se perd à mi-chemin dans l’amour de quelque chose qui relève du mensonge, l’intelligence ne parviendra pas à voir la réalité.

En parlant de ceux qui aiment la vérité, même s’ils ne l’ont pas encore trouvée, le Christ dit :

« Quiconque est de la vérité écoute ma voix ».


Le Christ quittant le prétoire, Gustave Doré

Jean-Tristan B.


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Prouver l’existence de Dieu

Sommaire
Principes généraux
Preuves philosophiques
Preuves psychologiques et morales


L’être ne peut pas provenir du néant

La théologie catholique, qui reprend à son compte les acquis de la philosophie réaliste grecque (Socrate, Platon et Aristote), énumère traditionnellement 5 preuves ou « voies » qui font conclure par la seule raison qu’il existe un Dieu tout-puissant, créateur et ordinateur du monde : la preuve par la causalité (Dieu cause première), la preuve par le mouvement (Dieu premier moteur), la preuve par l’ordre du monde (Dieu intelligence ordinatrice), la preuve par la contingence (Dieu seul être nécessaire), la preuve par les degrés de perfection (Dieu être parfait et Acte pur). Il existe également, chez Saint Thomas d’Aquin ou chez les apologètes des siècles suivants, des raisonnements et des principes qui complètent ces preuves philosophiques, mais en se basant sur des considérations propres à la nature humaine : les preuves dites « psychologiques », par exemple celle qui fait découvrir l’existence de Dieu à travers l’aspiration des hommes au bonheur parfait, ou encore la preuve de l’existence de Dieu par l’objectivité de la loi morale.

Le Père Réginald Garrigou-Lagrange, spécialiste de la philosophie de Saint Thomas d’Aquin, après avoir longtemps discouru et enseigné sur le sujet, résume toutes les preuves de l’existence de Dieu à un seul principe :

« le plus ne sort pas du moins, ou mieux, le plus parfait ne peut pas être produit par le moins parfait, comme par la cause pleinement suffisante qui en donne raison ; en d’autres termes : le supérieur comme tel ne peut pas s’exprimer par l’inférieur ».

R.P. Réginald Garrigou Lagrange O.P., Dieu accessible à tous, 2015 (réédition), éditions Quentin Moreau, p.12

Nous pouvons reformuler encore plus simplement et universellement ce principe : l’être ne peut pas provenir du néant. Si quelque chose existe, et que cette chose a un jour commencé d’exister, il faut qu’il existe autre chose d’antécédent qui rende raison de son existence. Cette chose antécédente doit contenir en elle-même un principe qui la rend capable de « donner naissance » à la chose suivante : la cause est par nature supérieure à l’effet, parce qu’un être ne peut pas donner à un autre des perfections qu’il ne possède pas lui-même.

Ce principe peut sembler très abstrait, mais en réalité, il s’applique à absolument tout, tout le temps, depuis toujours et pour toujours. Aucune réalité n’échappe à cette loi. A tel point que ceux-là même qui tentent de la nier sont obligés, pour cela, d’employer des idées et des termes qui n’ont aucun sens à moins de ne considérer que le principe qu’ils cherchent à nier est vrai : leur esprit est, comme celui de tous les êtres humains, incapable de fonctionner en dehors des principes premiers de la raison que sont le principe d’identité (une chose est ce qu’elle est, et n’est pas ce qu’elle n’est pas) et le principe de causalité (tout effet a une cause proportionnée qui rends raison de son existence), principes résumés en dernière instance par ce que nous disions plus haut : l’être ne peut pas provenir du néant. Lorsque que quelqu’un dit « ce n’est pas vrai », quelle que soit la chose qu’il cherche à nier, il raisonne suivant le principe d’identité. Lorsque quelqu’un dit « l’être peut provenir du néant », il raisonne suivant le principe de causalité, même s’il raisonne à contre-courant de la réalité.

Nous appliquons sans cesse ce principe dans la vie quotidienne : il ne se passe pas un jour sans que tous les êtres humains ayant l’usage de la raison ne se demandent quelle est la cause d’un phénomène qu’ils observent ou qu’ils subissent, ou bien quelle serait la cause à « activer » pour produire un effet qu’ils cherchent à atteindre. Il est absolument évident aux yeux de tous que si une chose existe, quelle qu’elle soit, elle n’existe pas « par elle-même » simplement mais il existe autre chose d’antécédent qui rends raison suffisante de son existence : « Je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait point d’horloger ». L’horloger est un être qui dispose en lui-même de la faculté de produire l’horloge : on ne peut pas envisager qu’un effet résulte d’une cause qui ne lui est pas supérieure en nature. L’horloge produite, pour parfaite qu’elle soit dans son ordre, est moins parfaite que l’horloger, parce qu’elle n’a pas, entre autres choses, la faculté de donner elle-même naissance à d’autres horloges : l’horloge est définitivement un être inférieur à l’horloger.

L’horloger de Suisse, Norman Rockwell (détail du tableau)

Il est également évident que si l’on veut obtenir un bien, remplir un objectif quelconque, il faudra mettre en œuvre les moyens proportionnés aux fins que l’on se propose d’atteindre, autrement dit ordonner les causes aux effets. Pour créer une horloge, l’horloger sait qu’il doit ordonner tel composant, tel type de métal, d’une manière déterminée au but qu’il se propose d’atteindre.

Dans ces exemples, le principe général admis implicitement par tous est donc le suivant : l’être ne peut pas provenir du néant. Rien ne produit rien : si quelque chose existe, il existe autre chose qui rends raison de son existence. Et si l’on ne fait strictement « rien », il ne se passera strictement rien. C’est suivant ces exigences fondamentales de la réalité que les scientifiques passent leur vie à chercher la cause des phénomènes physiques, biologiques, chimiques ou autre qu’ils observent, qui ne peuvent pas « provenir de nulle part ». C’est suivant cette même exigence que les hommes travaillent en vue d’obtenir certaines fins, et répètent à l’envi « qui ne tente rien n’a rien ».

Ce principe, appliqué à la question de l’existence de l’univers, doit nous mener au raisonnement suivant : l’univers, être contingent et fini qui a un jour commencé d’exister (1), ne peut pas trouver en lui-même la raison suffisante de son existence, pas plus qu’une horloge ne puisse trouver sa raison d’être en elle-même, comme si on pouvait expliquer son existence sans remonter à l’horloger. Pourtant, l’univers existe : il faut nécessairement, pour rendre raison de son existence, qu’il existe un être supérieur qui l’ait causé, car l’être ne peut pas provenir du néant. Un être supérieur, car le plus ne sort pas du moins. Mais cet être supérieur antécédant à l’univers n’est pas simplement un créateur fini, qui aurait pu lui-même être créé par un autre : si l’on pousse le principe d’identité et le principe de causalité jusque dans leurs dernières conclusions, il faut admettre qu’il existe, à l’origine de tout, un être qui seul trouve sa raison d’être en lui-même, qui seul ne soit pas causé, et seul soit absolument parfait et capable de causer tout ce qui existe hors de lui. C’est cet être que l’on appelle Dieu.

(1) L’univers a commencé un jour d’exister, même du point de vue des scientifiques athées. La « théorie de l’Expansion de l’Univers » suppose bien un commencement de l’univers.


Si ces raisonnements ne vous semblent pas encore suffisamment clairs, nous espérons que l’une ou l’autres des preuves vous fera fera ressentir plus clairement combien le bon sens amène à la certitude qu’il existe un Dieu. Des ouvrages d’une grande qualité existent sur le sujet et sauraient vous expliquer mieux que nous le fond de ces grandes questions (voir sur la page Documents la rubrique Apologétique). Nous ne faisons que résumer ce qu’ils disent de manière à toucher un public plus large.

Pour les lecteurs catholiques, nous rappelons que l’Eglise enseigne avec autorité qu’il est possible d’arriver par la seule raison à la certitude absolue de l’existence de Dieu, et non point simplement à une explication probable ou vraisemblable de l’existence de Dieu, comme le pensent fautivement un nombre toujours plus grand de catholiques. Voici à ce sujet un extrait du serment antimoderniste de Saint Pie X (« étrangement » supprimé par Paul VI) :

Et d’abord, je professe que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être certainement connu, et par conséquent aussi, démontré à la lumière naturelle de la raison « par ce qui a été fait » [Rm 1,20], c’est-à-dire par les œuvres visibles de la création, comme la cause par les effets.

Motu proprio Sacrorum antistitum, 1910

Pour être sérieusement antimoderniste, c’est à dire être capable de résister, dans l’ordre religieux ou dans tout les autres domaines de la vie, à ce que le monde moderne comporte de mauvais et de pervers, et être capable de proposer quelque chose de mieux (ce serait peu de choses de simplement dénoncer et condamner, s’il n’y avait pas en contrepartie des propositions positives à émettre), il faut à notre avis commencer par remettre Dieu au centre de tout, et donc remettre Dieu au centre de nos esprits : comprendre à quel point tout vient de Dieu, tout parle de Dieu, tout doit mener à Dieu. Il n’y aura pas de restauration de la société s’il n’y a pas d’abord, à ce niveau, une restauration des intelligences.

Dans ce monde dominé par des doctrines d’inspiration kabbalistique, nous noterons avec intérêt que que la « Genèse » de la Kabbale repose sur le principe suivant lequel l’être primordial créateur, Adam Kadmon, est issu de la contraction de l’En Sof, c’est à dire … du néant (2). Si l’on estime que ces doctrines mettent « tout à l’envers » dans l’ordre des valeurs et des principes fondamentaux de la vie humaine, alors pour « remettre les choses à l’endroit », il faut prendre le problème à la racine : non, il est absolument impossible et absurde que Dieu qui est l’être même ait pu « provenir du néant ». Dire que le « principe premier transcendant » est assimilable au néant, c’est la première et la plus fondamentale des absurdités, contraire au sens commun et à toute forme de réalité. Commencer par remettre l’être suprême, transcendant et créateur au centre de tout, comprendre à quel point son existence est évidente et nécessaire : voici ce que nous devrions faire, pour fonder la lutte contre les principes faux du monde moderne, et proposer en contrepartie les vérités éternelles qui seules sont capables de procurer la paix aux individus et aux sociétés, dès cette vie terrestre, et dans la vie du siècle à venir.

(2) Voici une explication du célèbre kabbaliste Charles Mopsik sur l’En Sof :
« Ce principe ne peut être identifié au Dieu des croyances et des pratiques religieuses. Rien ne saurait le définir et la notion même d’existence ne lui est pas applicable. Aussi, les cabalistes se sont demandé : comment faire pour que ce principe primordial et caché, dont on ignore même s’il existe, puisse vraiment avoir un sens pour nous les hommes ? Ce sont eux qui donnent un sens aux mots et aux choses qu’ils éprouvent. La pure transcendance n’a aucun intérêt et n’est rien (elle est même appelée parfois « néant ») ».


Preuves philosophiques

Les preuves physiques ou philosophiques de l’existence de Dieu sont des preuves a posteriori. Cela veut dire qu’elles s’appuient avant tout sur l’observation du monde et l’expérience. Ces données expérimentales sont par exemple : l’existence du monde, le changement, les enchaînements de causes, la contingence des êtres, l’ordre de l’univers. En plus cette expérience incontestable, elles utilisent les premiers principes de l’être qui sont tout autant incontestables. Ces principes sont : 1° le principe d’identité (une chose est ce qu’elle est et pas une autre) et le principe de non-contradiction (une chose ne peut pas, en même temps et sous le même rapport, être et ne pas être) qui sont identiques mais formulés différemment (l’un positivement, l’autre négativement), 2° le principe de causalité (du néant, sans cause, rien ne provient ou tout ce qui commence d’être, donc tout ce qui est contingent, a une cause proportionnée), 3° le principe de raison suffisante (tout ce qui est à de quoi être), 4° le principe de substance (il n’y a pas de changement sans chose qui change), enfin 5° le principe de finalité (aucun agent n’agit si ce n’est en vue d’une certaine fin, et tout ordre suppose un ordonnateur). Ces principes sont saisis intuitivement et immédiatement par l’intelligence (dès ses premiers pas chez l’enfant, l’intelligence les saisit au contact du réel, sans évidemment les formuler ainsi… mais comme exigence foncière et vitale de la raison) en tant que réalités premières, nécessaires et universelles sans lesquelles toutes les autres réalités ne seraient pas (et que ces réalités supposent donc forcément). Tous nos actes (fonctions vitales, connaissances, pensées, opérations extérieures, science etc.), du plus élémentaire au plus complexe, les suppose et les implique. Ce sont des évidences, au même titre (et même plus fondamentalement) que nos observations. A partir de ces données évidentes (observation et principes) mises en relations, on formule un raisonnement qui nous donne une conclusion déjà implicitement contenue ces données. Sans être une évidence au sens propre (une réalité qui n’exige pas de démonstration, étant antérieure à toutes les réalités pour nous), l’existence de Dieu découle naturellement de données évidentes, et jouit à ce titre d’une certitude absolue. Sa saisit appartient aussi aux données du sens commun, c’est-à-dire aux réalités auxquelles l’utilisation naturelle et spontanée de l’intelligence peut parvenir sans difficulté. Affirmer l’existence de Dieu et de ses attributs est inévitable et obligatoire pour rendre compte du réel en bonne intelligence. C’est ce qu’exprime bien le Père Jolivet:

Dieu tel que la raison le démontre ne représente pour nous qu’une hypothèse nécessaire. Mais nous ajouterons deux remarques. Nous observons, en premier lieu, qu’une hypothèse nécessaire, c’est-à-dire telle qu’en dehors d’elle le réel ne puisse être intelligible, est une véritable preuve. De toutes les choses qui ne s’éprouvent pas, soit qu’elles dépassent essentiellement l’expérience sensible, soit que par accident elles échappent à notre expérience individuelle, nous ne pouvons avoir d’autre preuve que rationnelle, mais quand cette preuve est donnée, nous la tenons pour décisive… Par suite, une expérience que conclut la raison fondée sur l’expérience peut bien recevoir, si l’on veut, le nom « d’hypothèse ». Cette hypothèse en fait est une certitude puisque sans elle le réel serait inintelligible. Que cette existence soit ensuite éprouvée, c’est un surcroît de preuve, mais ce n’est pas une condition sine qua non de la valeur de nos conclusions rationnelles. Par elle-même, et en dehors de l’expérience supplémentaire, la preuve vaut toujours. Il nous semble que l’hésitation de certains philosophes sur ce point provient d’une confusion entre l’hypothèse scientifique et l’hypothèse métaphysique. La première exige, en effet, d’être vérifiée par l’expérience pour avoir le droit d’être affirmée vraie, parce qu’elle a pour objet le monde de la contingence. Les lois physiques ne sont pas des expressions de la raison absolue: elles pourraient être autres sans contradiction. Très souvent même elles ne sont que de pures expressions symboliques du réel phénoménal. Par suite, dans le domaine physique, l’expérience sensible est le seul critère valable de l’hypothèse. Il n’en va pas de même au point de vue métaphysique. Les lois ou les existences métaphysiques que démontre la raison fondée sur l’expérience, ont une valeur absolue, parce que la démonstration porte, non plus sur les phénomènes, ou monde de la contingence radicale, mais sur les principes universels et premiers de l’être, c’est-à-dire sur le monde intelligible, domaine absolu de la raison soustraite à la contingence. L’hypothèse, en cet ordre, quand elle est nécessaire, c’est-à-dire, d’une part, quand elle est la seule possible, et que, d’autre part, sans elle, la contradiction s’installe au sein de l’être, devient une certitude, et même, en droit, la plus haute certitude dont nous soyons capables. Et l’expérience directe (quand elle est possible) des réalités conclues par la raison métaphysique, ne peut rein y ajouter qu’un surcroît accidentel et nullement requis.

Père René Jolivet, Etudes sur le problème de Dieu dans la philosophie contemporaine, Vitte, 1932

Ou encore le Père Garrigou Lagrange :

Il faut choisir: Dieu, ou l’absurdité radicale.

R.P. Réginald Garrigou Lagrange O.P., Dieu accessible à tous, 2015 (réédition), éditions Quentin Moreau

Ainsi, nous remontons, à partir des seules évidences exposées ci-dessus, sans présupposés indus, des effets à la cause. Et ainsi nous nous élevons des choses qui sont mues au premier Moteur immobile, des causes subordonnées à la Cause première, des êtres contingents à l’Être nécessaire, des degrés de perfection au souverain Parfait, de l’ordre de l’univers à l’Intelligence ordinatrice.

L’exposé qui suit reprend en substance les travaux de l’abbé Robert et du chanoine Texier, dont vous trouverez les liens dans notre bibliothèque. Nous nous sommes permis d’ajouter des choses entre parenthèses ou dans le texte lui-même.

Le premier moteur

L’observation la plus vulgaire et l’expérience scientifique la plus rigoureuse proclament que les choses de cet univers sont en mouvement. En effet, les choses les plus microscopiques (atomes, électrons, molécules) comme les immensités de l’univers (planètes, étoiles, galaxies) sont en mouvement. Elles bougent, elles croissent et s’altèrent, elles naissent et meurent. Mais ce mouvement, d’où vient-il? Appartient-il essentiellement aux êtres qui se meuvent? En d’autres termes, les choses de ce monde sont-elles elles-mêmes le principe adéquat du mouvement dont elles sont le sujet? Sont-elles à la fois moteur d’où le mouvement procède et le mobile qui le reçoit? On ne saurait le soutenir sans contredire le bon sens et la raison.

Qu’est-ce que le mouvement? Nous appelons de ce nom toute mutation ou tout changement en vertu duquel une chose va d’un lieu à un autre (mouvement local), ou bien passe d’un état à un autre pour acquérir ce qu’elle n’avait pas et pour devenir ce qu’elle n’était pas (mouvement substantiel ou de génération/corruption; mouvement quantitatif ou d’accroissement/diminution; mouvement qualitatif). Soit un bloc de marbre dont on fait une statue. Avant le changement, le bloc possède une aptitude réelle à devenir un objet d’art, après le changement, il est le chef-d’oeuvre admiré de tous. Pendant le changement, il passe d’un état à un autre, de l’état de perfection possible et réalisable dont il était auparavant susceptible, à l’état de perfection actuelle et réalisée que maintenant il possède de fait, de l’état inachevé à l’état achevé, il passe  » de la puissance à l’acte », pour parler le langage des philosophes. Ce passage de la puissance à l’acte est le mouvement.

Mais est-il possible que le bloc de marbre informe passe de lui-même de la puissance à l’acte, ou mieux, se transforme en statue? Le bon sens et la raison répondent négativement, puisque aucun être ne peut se donner une réalité ou une perfection qu’il n’a pas. La bloc de marbre, pur devenir oeuvre d’art, doit subir l’action du ciseau manier par l’intelligence et la force du sculpteur. Il faut donc admettre que, pour passer d’un état à un autre, toute chose doit recourir à une cause extérieure, autrement dit: tout être en mouvement est mû par un autre. D’autre part, on le constate facilement, le monde est composé d’êtres qui sont à la fois moteurs et mobiles, moteurs par rapport à un mobile qu’ils meuvent, mobiles par rapport à un moteur qui les meut.

Cependant allons-nous remonter par la pensée de moteur en moteur indéfiniment et sans nous arrêter jamais (à la fois dans le temps et actuellement)? Ne devons-nous pas plutôt conclure qu’il doit exister nécessairement au-dessus de tous ces moteurs dont l’un pousse et meut l’autre, un moteur premier, indépendant, qui les domine tous qui imprime à tous et à chacun d’eux, par l’intermédiaire de certains autres, le mouvement que lui-même ne reçoit pas, parce qu’il n’a pas besoin de le recevoir, entendu qu’il en est la source inépuisable? Sans lui le mouvement des autres est inexpliqué et inexplicable. Or ces mouvements innombrables sont donc lui est aussi. Lorsqu’on voit, échelonnés sur le flanc d’une colline, une série de réservoir dont le supérieur alimente l’inférieur, on en conclut, sans qu’on ait besoin de le voir et sans crainte d’erreur cependant, qu’il y a quelque part là-haut, sur le sommet, un réservoir plus vaste, un réservoir-source dont les eaux jaillissantes se répandent sur les bassins inférieurs, de l’un à l’autre jusqu’au dernier. Supprimer cette source; tous les bassins qu’elle alimentait seront à sec. Ainsi en est-il de toute série de moteurs actuellement et essentiellement subordonnés. Supprimer le premier, les autres n’agissent plus; ils n’existent plus, du moins comme moteurs. Or ce premier moteur, source de tout mouvement, nous l’appelons Dieu.

Premier moteur indépendant et dont dépendent tous les autres, Dieu ne peut donc pas changer, il est immuable. Le changement étant le passage de la puissance à l’acte, ce premier moteur est forcément un acte pur, c’est à dire pure perfection. Il ne peut rien perdre ni rien acquérir puisqu’il est déjà la plénitude de la perfection. Il donne sans rien recevoir.

La cause première

La science et l’expérience s’accordent encore pour admettre dans le monde une série de causes efficientes subordonnées. Les créatures les plus petites ou les plus imparfaites comme les créatures les plus complexes, un grain de sable, un moucheron, un homme ou un ange par exemple, exigent tout un ensemble d’influences cosmiques et de conditions naturelles dépendantes les unes des autres, nécessaires à leur production (naissance, apparition), à leur conservation et à leur action. Il en va ainsi pour absolument tous les êtres organiques et inorganiques qui s’étalent sous nos yeux.

Mais ces influences dépendantes l’une de l’autre, ces causes subordonnées, ne peuvent pas être causes d’elles-mêmes, car la cause est avant l’effet (au moins d’une antériorité de nature, si ce n’est d’une antériorité de temps) et le sujet (la pierre, le grain de sable, l’homme…) qui subit l’effet est incapable de se donner lui-même ce qu’il n’a pas; et, si ces causes subordonnées se donnaient l’existence, elles seraient antérieurs à elles-mêmes, ce qui est absurde et impossible.

Il faut donc admettre que cet ensemble presque infini (des milliards de milliards à la seconde partout dans l’univers!) de causes subordonnées et dépendantes l’une de l’autre, n’existant par par soi, dépendent de causes supérieures et antérieures qui, à leur tour, sont subordonnées à d’autres. Mais on ne peut aller à l’infini dans la série des causes! Tôt ou tard, on se heurte à une cause non causée qui a l’être par soi et qui le donne et le conserve aux autres, sans laquelle aucune existence ne subsiste. Cette source première de tout être et de toute activité, cause première de toutes choses, à la fois dans le passé et dans le présent, nous l’appelons Dieu.

L’être nécessaire

Tous les êtres qui nous entourent, et nous-mêmes, nous pourrions ne pas exister: l’existence de ces personnes et de ces choses n’est pas nécessaire, car elles n’ont pas en elles-mêmes, dans leur nature, une explication suffisante de leur existence. Elles sont contingentes. La nature d’un arbre, par exemple, fait qu’il est arbre, c’est-à-dire un végétal à tige ligneuse; elle nous dit ce qu’il est (son essence), s’il existe, mais elle n’exige pas qu’il soit (son existence): elle n’explique pas le fait de son existence: voilà la constatation tirée de l’expérience et de la réalité.

Or, pour tout ce qui existe, il y a nécessairement une explication de cette existence. Si cette explication ne se trouve nullement dans la nature de cet être, elle réside en un autre. N’étant pas son existence et n’exigeant pas en soi d’exister, cet être a nécessairement reçu son existence car on ne peut pas se donner ce qu’on a pas.

Donc, aucun des êtres qui nous entourent ne possédant en lui-même cette explication, elle se trouve nécessairement dans un autre Être distinct du monde et qui, par sa nature, suffit à expliquer et leur existence et la sienne propre: car cet Être a pour nature même d’exister, il est l’Existence, il ne peut pas ne pas exister; Il est est nécessaire; c’est Dieu. Et si dans un seul point du temps et de l’espace rien ne fut alors éternellement rien ne serait puisque du néant sans cause rien ne provient. Or des choses sont donc cet Être existant par soi existe forcément et cette existence est forcément éternelle. Le temps implique nécessairement l’éternité comme le contingent implique le nécessaire.

L’être souverainement parfait

Parmi les êtres créés qui composent l’univers, nous observons une certaine gradation, différents degrés de perfection. Nous constatons de la vie, de la beauté, de la bonté, de la sainteté, de la sagesse à divers degrés dans divers créatures. En revanche, toutes ces créatures ne sont pas La Vie, La Beauté, La Bonté ou La Sainteté, ils y participent simplement selon leurs propres limites, sans en épuiser jamais les richesses. Les uns sont supérieurs ou inférieurs au autres, aucun n’est absolu, tous sont relatifs.

Or, toute comparaison et toute gradation supposent un dernier terme, une source plénière : le relatif suppose un absolu; l’imparfait, un parfait; le fini, un infini. Sans cela, ces degrés de perfection seraient inexplicables et n’auraient aucune raison d’être. N’étant pas eux-mêmes la perfection souveraine (La Vie, La Bonté…), ils n’ont pu se la donner ou la tirer du néant, ils l’ont forcément reçue d’un autre.

Il doit donc y avoir quelque part une plénitude d’être, c’est-à-dire un être absolu, simple et sans gradation ni composition, parfait et infini, d’où tous les autres découlent comme de leur source unique. « Il y a quelque chose, écrit saint Thomas, qui est le Vrai, le Noble, et par conséquent l’être par excellence, qui est cause de ce qu’il y a d’être, de bonté et de perfection dans tous les êtres et c’est cette cause que nous appelons Dieu. »

L’intelligence ordinatrice

On constate aisément dans le monde qui nous entoure, dans chaque être et en nous-mêmes, un ordre merveilleux. Que l’on étudie l’instinct des animaux; que l’on contemple les merveilles du monde astral et des globes innombrables qui enchevêtrent leurs mouvements de toutes sortes à des vitesses vertigineuses et avec une constance extraordinaires; qu’on se transporte dans le monde biologique et qu’on envisage le corps humain: notre œil, appareil photographique si merveilleusement organisé et impossible à reproduire comme tel; notre oreille, piano microscopique si prodigieusement accordé; notre cœur, nos appareils respiratoires, digestifs et autres qui sont autant d’usines si complexes, si efficaces et si parfaitement agencées; que l’on admire la vie en général, son dynamisme interne avec la reproduction, l’assimilation nutritive, la croissance, la régénération physiologique! autant de réalités qu’aucune intelligence humaine n’a jamais su réaliser et ne saura jamais réaliser. on reste toujours frappé de cette adaptation continuelle de moyens en vue d’une fin. La science nous montre sans cesse davantage que tout obéit à des lois de plus en plus générales qui mettent l’unité dans la variété; tout constitue un organisme puissant et grandiose où chaque rouage, chaque organe est parfaitement adapté à son but; cet ordre est universel dans la monde. Cet ordre est aussi essentiel au monde. S’il n’existait pas ou s’il existait autrement, le monde serait différent de ce qu’il est.

Or tout ordre dénote une fin, un but qu’on désire atteindre et des moyens proportionnés pour l’atteindre. Il suppose donc une intelligence qui a vu ce but et proportionné ces moyens. En effet, si vous trouver un livre dans la rue, vous comprenez rapidement qu’un être intelligent a eu l’intention d’écrire ce livre en disposant les lettres et les mots de manière à donner un sens à son oeuvre. Un seul mot, une seule phrase supposeraient déjà l’action d’une telle intelligence. Si un ami vous suggérait que ce livre s’est fait progressivement, par la force du temps et le travail des siècles, ou bien par une rencontre fortuite de papier (déjà confectionné de manière fortuite à partir d’un arbre coupé et transformé de manière fortuite lui aussi), d’encre (évidemment produite par hasard elle aussi), d’une pointe de stylo quelconque (qui aurait eu la chance d’être bougé pour former les lettres par hasard et surtout d’avoir de l’encre en sa pointe, la chance!) et de beaucoup d’autre conditions… vous le prendriez pour un fou. Et pourtant combien l’univers (et même la moindre portion de matière inerte avec ses atomes, ses molécules, ses propriétés; ou le moindre organisme vivant avec son ADN qui exige une minutieuse, extraordinaire et inimaginable correspondance entre chaque nucléotide et chaque chaînon, puis entre chaque brin moléculaire et entre chaque chromosome… au sein d’un noyau cellulaire tout aussi complexe. Une seule erreur empêcherait l’être vivant d’être ce qu’il est et pourtant les êtres se succèdent depuis des générations! ) est-il plus complexe qu’un simple livre… combien donc l’univers a-t-il été créé par une intelligence et une puissance infiniment plus grandes que celles d’un homme. L’ordre du monde exige donc une intelligence pour le concevoir, en même temps qu’une puissance pour le réaliser. De tout évidence cette intelligence n’est pas l’intelligence humaine : c’est une intelligence bien supérieure à la nôtre, puisque nous avons beaucoup de peine à découvrir, les unes après les autres, et toujours avec admiration, les diverses lois de ce monde immense, depuis les infiniment grands jusqu’aux infiniment petits. Et la puissance qui a réalisé cet ordre est aussi bien supérieures à la nôtre car nous n’apprendrons que peu à peu à agir partiellement que les forces de la nature. Comme cet ordre est essentiel au monde et non surajouté aux êtres, il doit nécessairement venir de l’auteur du monde. Or cet auteur du monde doit avoir, comme il a été déjà démontré, une nature infinie, nécessaire et parfaite.

Donc il existe un esprit infini, une intelligence parfaite et toute-puissante, créatrice et conservatrice du monde et de son ordre. Au spectacle de la nature, Dieu nous apparaît comme « l’invisible évident ».

Un athée demanda à l’astronome Athanasius Kircher S.J. qui avait fait la belle mappemonde
posée sur sa table. — Personne, répondit le savant, elle s’est faite par elle-même. — Quelle folie, allons !
Je ne suis pas un enfant… — Tu ne crois pas que cette mappemonde s’est faite par elle-même. Pourquoi
donc dis-tu que le monde n’a pas été créé par Dieu mais s’est fait tout seul ?

Père Tomaso Dragone, Explication du catéchisme du saint Pie X, « Question 1: Qui nous a créés?, Exemple »

Preuves psychologiques et morales

Ces preuves ne sont que des confirmations des preuves précédentes. Elles montrent par certains faits combien l’idée de Dieu et le sentiment de son existence sont naturels à l’homme. C’est donc qu’il peut y arriver aisément par l’examen des choses et l’utilisation de son esprit. Elles montrent aussi l’existence de Dieu comme nécessaire pour l’exécution logique et raisonnable de diverses actions ou tendances qui entrent dans l’activité proprement humaine, rationnelle et libre: les actions et tendances religieuses et morales qui sont naturelles à tous les hommes.

Le consentement universel

Malgré les négations peu sincères ou trop intéressées de quelques groupes ou personnes isolés, tous les peuples, à toutes les époques et sous toutes les latitudes ont reconnu (bien que se trompant souvent sur sa vraie nature) l’existence d’un Dieu, être suprême, créateur et conservateur du monde.

Vouloir expliquer une affirmation aussi constante et aussi universelle par la duperie, la crainte ou l’ignorance ne présente évidemment aucune valeur scientifique.

La seule explication possible et solide, c’est que tous les hommes se servent de la lumière naturelle de leur intelligence: s’appuyant sur le principe de causalité, ils ont conclu que le monde où ils vivaient était un oeuvre et que, pour faire et conserver cette oeuvre, il fallait un ouvrier infini et tout-puissant. La croyance en Dieu est donc une sorte de cri de la nature, conclusion légitime de l’exercice normal de nos facultés intellectuelles.

On dit souvent que le consentement universel au sujet de l’existence de Dieu est l’effet des « préjugés de l’éducation », de « l’ignorance de peuples » et des « superstitions de la foule ».

Mais si l’éducation a été la cause de la propagation de la croyance en Dieu, il faut admettre que les éducateurs (les parents ou leurs légitimes représentants) ont cru unanimement à l’existence d’un être suprême communément appelé Dieu. Dans ce cas, comment expliquer cette unanimité parmi les éducateurs, puis parmi les anciens éducateurs de ces éducateurs, et ainsi de suite? D’ailleurs, les préjugés et l’éducation varient chez tous peuples. Une cause aussi disparate aurait-elle pu produire un effet toujours identique, invariable, comme le consentement universel?

L’ignorance des peuples est la cause des erreurs et des absurdités concernant la nature de Dieu (polythéisme, panthéisme, idolâtrie, anthropomorphisme etc.). Mais pour constater son existence, le bon sens de chaque homme, si inculte qu’on le suppose, suffit à la rigueur.

La peur et la superstition n’ont pas non plus inventé l’existence de Dieu. En effet, la crainte, bien loin de créer l’idée de Dieu, la suppose déjà existante. Au reste, cette crainte conduit plutôt à la négation qu’à l’affirmation de Dieu, car l’impie nie Dieu parce qu’il en a peur. Enfin, la peur produite par des phénomènes impressionnants (tempêtes, orages, catastrophes naturelles, etc.) et supposément inexpliquées dans des temps reculés, reste une réaction passionnelle, brève et changeante. Comment un simple sentiment réactif et changeant (donc propre à chaque individu et très divers selon les lieux et les temps) aurait pu donner lieu à un système de croyance plus ou moins cohérent, justifié tant bien que mal selon les peuples et affirmer avec constance. Les activités religieuses (amour, sacrifice, prière, vertu, spiritualité) relèvent d’un ordre supérieur à la sensibilité et ne peut donc s’expliquer entièrement par elle.

La constatation d’une loi morale

Tous les hommes reconnaissent, de quelque façon, la loi morale de la conscience, avec son obligation et ses sanctions.

Or il n’est pas de loi sans législateur; pas de sanction sans rémunérateur sage, puissant et juste: sans cela la morale n’a plus de sens.

C’est donc que les hommes reconnaissent plus ou moins confusément l’existence d’un maître suprême et législateur en même temps que rémunérateur de l’homme.

Les aspirations vers l’infini

Tous les hommes aspirent à une vérité toujours plus complète et claire, à un bonheur toujours plus parfait, comme s’ils étaient faits pour l’infini: « Malgré moi, l’infini me tourmente » dit le poète. C’est donc que dans la nature humaine, il y a de façon universelle un mouvement de tendance vers une fin dernière parfaite. De plus, ce désir de bonheur total et d’infini n’est jamais comblé sur terre. La vie apporte toujours son lot de souffrances et le bonheur dont on peut profiter est toujours limité en intensité et en durée.

Or une tendance naturelle, comme celle-ci, exige et suppose un objet réel.

Ces aspirations éprouvées dans toute l’humanité exigent donc qu’existe un être infini et parfait pour les combler: Dieu.

L’existence de l’âme

Sommaire
· L’enseignement du sens commun
· Le principe vital, la gradation des êtres et des vies
· Un principe évident et incontestable
· L’intelligence et la connaissance spéciale des choses
· La volonté libre
· La spiritualité de l’âme
· L’immortalité de l’âme
· Conclusion


L’âme, son existence et sa nature

Poser la question de l’âme, de son existence et de sa nature, c’est se demander ce qu’est l’homme et ce qui fait sa spécificité. La réponse doit être solidement fondée car elle commandera en grande partie son comportement. Si l’homme est une bête comme les autres, il ne saurait avoir d’autres soucis que sa propre conservation matérielle et son bon plaisir. S’il a une âme spirituelle faisant de lui un être personnel et responsable, il vivra en réfléchissant et se posera la haute question de sa raison d’être et du sens de sa vie. Si cette âme est immortelle et survit à la vie physique, il devra, à moins d’être inconscient, préparer cette entrée dans l’éternité.

Nous montrerons que l’homme a bel et bien une place particulière dans le monde, qu’il a une âme spirituelle et immortelle qui le distingue des autres êtres et qu’il doit impérativement en tenir compte.

L’enseignement du sens commun

Pour la philosophie traditionnelle, la connaissance naturelle et spontanée du monde, fournie par l’expérience sensible éclairée par les premiers principes du réel (identité, causalité etc…), s’appelle le sens commun. On l’appelle familièrement bon sens.
Ce bon sens nous dit que l’homme est essentiellement différent des animaux. 

  • Il a des idées abstraites, il pose des actes libres
  • Il a conscience d’exister et perçoit en lui un principe irréductible à son corps
  • L’homme est un être culturel qui progresse et développe une civilisation

Il est donc doté d’un corps et d’un esprit, ou « âme spirituelle », qui font de lui une personne ; c’est un animal rationnel. Du reste, la majorité des peuples ont cru et croient à l’existence et à l’immortalité de l’âme, c’est pour cela qu’ils entourent la mort de cérémonies solennelles. Ce témoignage du sens commun rend au moins légitime la question posée et refuse les négations a priori. Nous nous demanderons :

  • Si l’homme possède un principe vital qui le distingue essentiellement des autres
  • Si ce principe vital est spirituel et immortel

Le principe vital, la gradation des êtres et des vies

Pour savoir avec certitude si une chose existe, il faut faire des observations pour espérer soit la voir directement, soit découvrir les traces de son existence. Il faut ensuite utiliser des principes évidents et incontestables de la raison et du réel pour tirer des conclusions conformes à la réalité, c’est-à-dire des conclusions vraies (voir la notion de vérité). Qu’est-ce que nous observons ?

  • Nous observons que nous existons et que d’autres êtres existent. Nous distinguons ces êtres par leurs qualités extérieures et immédiatement sensibles (forme, odeur, couleur, bruit, texture…). Ces qualités particulières et concrètes font de ces êtres des individus particuliers et concrets.
  • Nous observons des types et des familles d’êtres. Certains sont inanimés (de in, « sans, privé de » anima, « âme, ce qui fait qu’on vit »), tels sont les minéraux, les gaz, les liquides. Nous disons que ce sont des choses. D’autres sont animés (possession d’une âme) par un principe vital qui les fait vivre, ils se nourrissent, assimilent la nourriture, se développent, se reproduisent et meurent ; tels sont les plantes, les animaux et les hommes. Ce sont des êtres vivants. C’est la classification et la gradation des êtres, fruit d’observations élémentaires confirmées par la connaissance scientifique.
  • Nous observons aussi des différences parmi ces êtres vivants. Certains ne font que vivre (nutrition, croissance, reproduction, mort), ce sont des végétaux. D’autres possèdent, en plus des fonctions vitales essentielles, des sens qui leur permettent d’avoir une connaissance sensible, connaissance qui se borne aux qualités extérieures qui frappent les sens : forme, couleur, son etc…, ce sont des animaux. 
  • Nous observons que cette connaissance sensible est beaucoup plus développée chez les animaux que chez les hommes. Songez par exemple à l’ouïe et au flair d’un chien ou encore à la vue perçante de certains rapaces qui peuvent percevoir à plusieurs dizaines de mètres et en plein vol des petits mulots dans les herbes sèches. De plus, les animaux, sans avoir rien appris, savent faire en naissant tout ce qu’ils auront à faire durant leur vie, ils sont instinctivement et biologiquement conditionnés pour cela. Un petit chiot élevé seul par des hommes développera rapidement les tendances et les facultés propres aux chiens. Le petit d’homme ne sait quant à lui presque rien faire en naissant, pas même se diriger vers le sein maternel, il doit être protégé et éduqué plus que tout autre. Un homme qui grandirait sans éducation serait très vite abruti et irrattrapable. Malgré ces handicaps, les hommes mangent, chassent, élèvent et dominent les animaux les plus rapides et les plus forts, ils leur sont supérieurs. Si ce n’est pas grâce à leurs capacités sensorielles et instinctives, à quoi est-ce dû ?

Nous allons voir que ce qui explique la supériorité de l’homme sur les autres animaux, c’est :

  • Son intelligence, qui lui procure une connaissance spéciale des choses
  • Sa volonté, qui lui permet de se déterminer librement

L’homme est un être vivant car il se nourrit et se reproduit. Il est aussi un animal, car il a une connaissance sensible. Mais n’est-il que cela ? Actuellement, vous voyez l’aspect extérieur du texte et des lettres qui sont sous vos yeux, vous pouvez toucher et sentir les touches de votre clavier, et entendre le son produit par votre ordinateur. Vous pouvez même, grâce à vos sens internes, associer chacune de ces données sensibles à un même objet, l’ordinateur. Mais vous bornez-vous à cela, comme le ferai le chien qui est sur vos genoux ? Evidemment non ! Vous mettez, derrière chaque mot, un concept abstrait qui exprime une réalité, vous concevez la nature et la raison d’être de l’ordinateur indépendamment des qualités concrètes et particulières du vôtre, vous avez l’idée d’ordinateur. C’est une connaissance intellectuelle, elle est immatérielle.

Les fonctions et les opérations de chaque être montrent que le principe vital qui les anime est différent et proportionné à ces opérations. Pour faire une chose, il faut être capable de la faire, en avoir la force et le pouvoir ; pour se déplacer par soi-même, il faut avoir la force motrice ou faculté motrice; pour voir, il faut avoir la vue. La faculté possède toujours une relation proportionnée à son objet : L’objet de la vue est la couleur et les yeux captent la lumière renvoyée par les choses vues ; cette lumière est faite d’ondes qui appartiennent aux phénomènes physiques car elles sont mesurables. L’objet de la vue (couleur par la lumière) étant matérielle et sensible, la vue est une faculté purement matérielle et sensible. Si les animaux ont une connaissance sensible que les végétaux n’ont pas, c’est qu’ils possèdent une faculté et un principe que les végétaux n’ont pas, on l’appelle âme sensitive. De même, l’homme, pour expliquer ses opérations intellectuelles, doit posséder un principe proportionné et de même nature, on l’appelle âme spirituelle. C’est la gradation des vies :

  • Vie végétative ou êtres animés d’une âme végétative
  • Vie sensitive ou êtres animés d’une âme sensitive
  • Vie spirituelle ou êtres animés d’une âme spirituelle

Un principe évident et incontestable

Voici un principe incontestable sans lequel la démonstration serait incompréhensible. Il est évident par lui-même, nous l’utilisons et l’expérimentons tous quotidiennement, sans même en avoir conscience.

  • Agere sequitur esse, « l’agir suit l’être ».

Il signifie que tout être agit et opère en fonction de ce qu’il est, de sa nature. Ainsi la nature d’un être est connue par la nature des opérations qui lui sont propres et la nature des opérations est révélée par les caractères de leur objet. Il montre aussi que tout effet (l’acte, l’agir, l’opération) a nécessairement une cause proportionnée ; si un effet a une perfection que la cause ne peut lui fournir, cette perfection supplémentaire n’a ni cause ni raison d’être et par conséquent ne peut exister. Il est donc lié au principe de causalité qui nous dit que du néant, sans cause, rien ne provient. Ainsi pour savoir si un objet est dur ou mou, nous utilisons notre toucher, nous ne tendons pas l’oreille ; pour chauffer, nous prenons du feu, pas de la glace ; pour chasser des animaux véloces, nous dressons un chien, pas un canard ou un perroquet ; pour résoudre un problème mathématique, nous demandons de l’aide à un homme, pas à notre chat. De même, un médecin légiste pourra, à partir d’un impact de balle dans un mur, en déduire la nature de la force, de la balle, et de l’arme car la nature de l’impact est une conséquence de la nature de la force, de la balle et de l’arme. L’impact est proportionné à la balle et à la force. Un pistolet à eau ne peux par exemple rien contre un mur en béton. ceci ne témoigne que d’une chose : l’agir suit l’être et toute effet a une cause proportionnée. Les opérations réalisées sont des effets de la nature des êtres et des facultés, cette nature est toujours proportionnée à l’opération. Si ce rappel paraît ridicule, c’est tout simplement parce que ce principe est premier et évident et qu’il est impossible de s’en passer dans nos actions les plus extraordinaires comme dans nos agissements les plus courants. Cette impression de ridicule témoigne aussi du ridicule dont font preuve les négateurs de ce principe. Souvent, ils le nient par indifférence, obstination ou peur d’en tirer des conclusions qui leur déplaisent. De fait, les conclusions qui s’imposent pourraient remettre en cause de façon vertigineuse tout le sens de leur vie.

Si nous montrons que l’homme a des activités proprement spirituelles et irréductibles à la matière, nous montrons que la faculté qui produit ces opérations est elle-même spirituelle et qu’elle trouve sa source dans un principe irréductible à la matière. Nous appelons ce principe âme spirituelle. C’est ce qu’il reste à montrer.

L’intelligence et la connaissance spéciale des choses

Continuons nos observations et voyons si l’homme possède, comme nous l’avons affirmé, une connaissance essentiellement différente et supérieure à celle des animaux. 

Les animaux, surtout les vertébrés et les mammifères supérieurs, sont dotés de sens plutôt perfectionnés qui leur donnent des informations sur le monde extérieur. Ces informations sont centralisées et exploitées par leur cerveau. En revanche, ces sens captent uniquement des informations sur les qualités matérielles des choses, leurs caractères physiques. Ces qualités connues par les sens sont extérieures, concrètes et particulières, elles ne permettent que de connaître des individus particuliers. Les animaux les plus développés peuvent aussi se former une image de choses vues, c’est l’imagination ; ils peuvent se souvenir des choses vues, c’est la mémoire ; ils peuvent même associer des images entre elles et réaliser des opérations complexes. Cependant, ces images ne dépassent jamais les caractéristiques matérielles et l’aspect sensible et singulier des choses, les animaux n’accèdent jamais à l’immatériel et à l’universel.

L’homme, lui, possède aussi des sens et toute sa connaissance prend nécessairement racine dans le sensible. Mais, par son intelligence, il peut dépasser cet aspect sensible pour sonder la nature (l’essence) des choses. Parmi toutes les qualités particulières et concrètes captées par les sens, l’intelligence discerne une note générale, une nature commune à une catégorie d’êtres qu’elle exprime par une idée abstraite qui transcende l’espace, le temps et les apparences. Ainsi, nous connaissons des hommes petits, grands, barbus, chétifs, corpulents, blancs, noirs, bruns, roux, ou encore amputés d’un membre. Parmi ces caractères individuels qui frappent les sens, l’intelligence (de inter/intus « parmi, dans », legere « lire ») lit et abstrait l’idée générale d’homme, animal rationnel, commune à tous. Ce concept d’homme est immatériel et universel car il est détaché des spécificités matérielles de chaque homme (taille, couleur, corpulence) et s’applique à tous les hommes. Cette idée contient la raison d’être de l’homme, sa nature profonde, décantée et épurée des caractères sensibles et généraux de l’homme ou image commune de l’homme (sa forme générale, ses membres, sa taille moyenne, sa consistance…) que certains animaux peuvent percevoir. L’idée, contrairement à l’image, ne fait plus aucune référence au sensible. On peut imaginer l’une : en fermant les yeux, on se représente très bien l’image commune de l’homme ; on doit penser l’autre : impossible de se représenter de manière imagée « l’animal » en général, sans imaginer côte à côte tous les animaux que nous connaissons. Impossible aussi de se former une image sensible de « la rationalité ». On peut en revanche les penser et les définir. L’intelligence peut ainsi définir par le jugement et utiliser par le raisonnement des notions purement abstraites et universelles, détachées de toutes caractéristiques matérielles et circonstancielles. Par exemple, l’idée d’être, de justice, de devoir, de beauté, de bonté ou encore d’immatérialité, comme nous venons de le démontrer.

L’animal, lui, est incapable d’abstraire et de généraliser des idées car il n’a pas d’intelligence. Pour en être certain, continuons nos observations et essayons de discerner les signes de cette connaissance spéciale (intellectuelle, spirituelle) des choses. Ces signes, la parole, le progrès, la religiosité, entre de nombreux autres, sont des conséquences immédiates de l’intelligence, de sorte que tout être intelligent les manifeste ; ils en sont aussi des signes, de sorte que leur manifestation prouve l’existence d’une intelligence.

— La parole peut être vocale, écrite ou mimée. Dans chacun des cas, elle est un moyen par lequel l’homme exprime ses pensées et communique ses idées. Ce moyen (lettres, agencement des lettres, son associé aux lettres etc…) est purement conventionnel et abstrait, il dépend de la volonté et de l’entente des hommes. De fait, une même idée peut être exprimée différemment selon les pays (alphabets différents, langue différente…). Parmi ces signes nés de décisions et d’articulations abstraites, l’homme saisit le sens profond et abstrait des idées communiquées et les communique à son tour. Le langage manifeste donc bien la présence d’une intelligence. L’animal, lui, ne possède pas de langage construit, rationnel et articulé ; les cris qu’ils poussent expriment des émotions corporelles ou instinctives, pas des idées ; il ne parle pas car il n’a rien à dire !


Le progrès,  surtout dans le domaine technique, est un fait proprement humain. L’homme utilise la roue, disque muni d’un axe de rotation, depuis plusieurs millénaires. Peu à peu, des nouveaux outils ont fait leur apparition, l’horloge au XIIIè siècle, la locomotive à vapeur au XIXè, et ce jusqu’aux très récents téléphones portables. Les abeilles, organisées de façon très complexe (la reine ; les ouvrières réparties en nettoyeuses, soignantes, fabricantes de cire et de gelée royale, collectionneuses et réceptionneuses de pollen ; les mâles), fonctionnent ainsi depuis toujours, elles n’ont jamais changé leur manière de faire car elles en sont incapables, elles obéissent à leur instinct ; entièrement déterminé depuis sa conception, chaque individu reproduit le mode de vie de ses prédécesseurs. Seul l’homme progresse car le progrès nécessite de procéder à des opérations purement intellectuelles et immatérielles. Pour progresser, il faut d’abord idéaliser et conceptualiser le but recherché, c’est-à-dire percevoir, au-delà de notre expérience sensible quotidienne et immédiate, une raison plus haute à atteindre ; par exemple, se déplacer plus rapidement et plus facilement, en vue d’être efficace, fait émerger l’idée générale et abstraite d’outil, objet fabriqué et ordonné en vue d’une opération déterminée. Ensuite, il faut, parmi les matériaux qui nous entourent, discerner les plus aptes à la réalisation du but ; ce discernement s’opère par un raisonnement à propos de la relation commune qu’entretiennent ces matériaux au but recherché. Enfin, il faut concevoir l’activité qui permettra d’orienter les moyens choisis vers leur fin, il faut percevoir la manière dont ces matériaux peuvent être agencés et organisés pour orienter ces moyens en vue d’atteindre la fin recherchée. Toutes ces opérations, conceptualiser la fin et l’idée, discerner l’aptitude et ordonner les moyens, établir une relation au but, toutes ces opérations intellectuelles et spirituelles sont des conditions sine qua non au progrès. C’est pour cela que seul l’homme progresse, car seul l’homme possède une intelligence immatérielle. Nous n’avons jamais trouvé la trace d’un outil pensé et conservé comme tel chez le singe. S’il peut recourir à un bâton occasionnellement pour résoudre un problème par association d’images, il ne tire aucun enseignement général de son expérience et ne peut pas concevoir l’idée d’outil. Chez les hommes, cet enrichissement se transmet par l’éducation et au fil des générations par l’instruction, augmentant le capital collectif de la pensée. C’est pourquoi toute société humaine développe une civilisation. Si quelqu’un vous parle de l’intelligence des babouins ou des macaques, demander lui : où est leur civilisation ? 

La religiosité est si caractéristique de l’homme que certains le définissent comme un animal religieux. Toutes les civilisations montrent des signes de croyances religieuses ; au contraire, aucun animal n’a jamais fourni un seul signe de religiosité. La religion est fondée sur des réalités spirituelles. Dieu est mystérieux et surnaturel, c’est un pur esprit (voir l’existence de Dieu), il dépasse par conséquent toute conception sensible. De plus, la religion implique des rites qui régissent les relations entre l’homme et Dieu, ces rites (prières, sacrifices, génuflexions etc…) expriment toujours des réalités spirituelles très élevées : l’adoration, le remerciement, le repentir, la demande, l’immortalité.

Tous ces signes montrent bien que l’homme possède une connaissance spéciale des choses, qu’il la possède grâce à son intelligence et que cette connaissance est abstraite et immatérielle, c’est-à-dire spirituelle. S’il possède, comme les animaux, des sens qui lui fournissent des informations sensibles, il peut aller au-delà et sonder la nature profonde et la raison d’être des choses. Ce type de connaissance n’est pas d’un degré supérieur à celle des animaux, comme si l’homme avait des facultés sensorielles plus aiguisées et plus performantes, elle est d’une nature radicalement et absolument différente. De fait, elle a des conséquences tout aussi radicalement et essentiellement différentes : le langage articulé, la religiosité, le progrès, la science, l’art, la morale ou la civilisation. Cette connaissance d’un ordre radicalement différent n’exige-t-il pas l’existence d’un principe tout aussi radicalement différent ? Pour avoir une connaissance abstraite et universelle des choses, indépendamment des conditions de la matière, ne faut-il pas posséder une faculté tout aussi indépendante de ces conditions ? Comment nos sens, faits pour connaître les choses immédiates, sensibles et singulières, pourraient-ils s’élever comme par magie à une connaissance immatérielle ? Ce serait comme dire qu’un singe pourrait devenir un génie du rang de Dante ou de Michel-Ange ou qu’une paire de lunettes de soleil permettrait de sonder les reins et les cœurs de chacun; il y aurait manifestement abîme et disproportion entre la cause et l’effet.

La volonté libre

L’homme possède aussi une volonté qui lui permet de se déterminer librement et qui fait de lui une personne responsable, capable de dire : je choisis, je décide, je dois, j’ai mal fait; capable d’assumer la conséquence, le mérite ou le démérite de ses choix.

La matière inerte (minéraux, astres…) n’a pas la capacité de se mouvoir par elle-même et sa mise en mouvement obéit à un stricte déterminisme régi par des lois. Si vous lâchez un caillou à deux mètres du sol, celui-ci, en fonction des conditions extérieures (température, vitesse du vent, poids et forme du caillou etc…), tombera nécessairement en obéissant aux lois de la gravité sans qu’« il » puisse faire autrement. Il n’a pas de volonté libre. Remarquez ici que tous les corps (objets, minéraux, végétaux, animaux, hommes…) sont soumis aux lois physiques. L’homme et le chat, pas plus que le caillou, ne pourront éviter une chute. Même l’oiseau qui vole y est soumis et ce n’est qu’avec des forces physiques qui contrebalancent la gravité (courants d’air chaud, mouvement et constitution des ailes, nature et instinct de l’oiseau) qu’il peut voler. L’homme a su, malgré de médiocres prédispositions, à partir de l’observation du vol d’oiseau, abstraire l’idée de vol et concevoir l’idée lointaine d’objet volant. En se projetant dans l’avenir et en dépassant toutes les possibilités de sa nature sensible et instinctive, par l’exercice de son intelligence et la seule force de sa volonté, par une aspiration et une motion spirituelle, l’homme a réussi à voler avec un outil, l’aéroplane, appareil de navigation aérienne. A-t-on déjà vu des progrès d’une telle complexité chez un animal quelconque ?

Les êtres doués de connaissance tendent et agissent toujours en vue d’un bien connu car on ne peut rien vouloir qu’on ne connaisse au préalable. Ainsi le chien, s’il ne ressent pas la faim ou s’il ne renifle pas une odeur alléchante, c’est-à-dire, s’il n’a aucune connaissance sensible du bien (la nourriture), il ne peut pas s’y porter. De même, si nous imaginons un homme sourd-muet, aveugle, sans sensibilité ni odorat, dépourvu de tout moyen de connaissance, il sera comme paralysé et absolument incapable d’agir en vue d’un bien quelconque. Il sera réduit à l’état de légume.

Si nous agissons toujours en vue d’un bien connu, notre action sera nécessairement proportionnée et conforme à ce bien. A l’aide de simples observations et de ce principe élémentaire, nous verrons que l’homme possède, contrairement aux animaux, une volonté libre.

  • Les animaux, simplement dotés d’une connaissance sensible, ne peuvent que tendre vers des biens sensibles. Cette tendance est leur appétit sensible ou instinct. Celui-ci les incline aveuglément vers les biens matériels qui correspondent à leur nature. Cette inclination est irrésistible, ils ne peuvent pas passer outre et dépasser leurs tendances sensibles. Un chien est par exemple incapable, s’il a faim et est en bonne santé, c’est-à-dire si aucun mouvement corporel plus important n’y contrevient, de ne pas manger sa nourriture pour une raison plus haute. Il pourrait se « laisser mourir » à la mort de son maître (ce qui est rare), mais cette tristesse serait purement sensible. Elle correspondrait à la perte d’un bien sensible et n’aurait pas de comparaison possible avec un jeûne ou une grève de la fin, qui eux sont entrepris pour des motifs spirituels et par une motion spirituelle. Ce n’est pas un simple sentiment qui fait entreprendre ces actions, mais une action volontaire et soutenue dans le temps, dans laquelle la domination de l’esprit sur le corps et les sensations est manifeste. A l’inverse, dans la tristesse mortelle du chien, c’est simplement qu’une sensation plus forte domine sur ses sensations instinctives ordinaires. Vous ne verrez jamais votre chien jeûner et dépasser ses inclinations sensibles et naturelles pour un bien spirituel supérieur. Il ne se lèvera pas un jour, de bonne humeur, ayant pris la ferme résolution de se mettre au régime. L’homme lui, indépendamment des désirs de son corps, peut décider librement de se mettre au régime, puis décider librement d’y mettre un terme, et enfin choisir à nouveau de s’y remettre. Les animaux ne sont donc pas libres, ils ne peuvent pas faire de choix libres et conscients, leur instinct les détermine et les ordonne irrésistiblement aux biens sensibles qui conviennent à leur nature. 
  • Les hommes, dotés d’une connaissance sensible et d’une connaissance intellectuelle, possèdent logiquement deux tendances : un appétit sensible et instinctif qui les porte vers des biens sensibles, un appétit intellectuel qui les porte vers des biens spirituels connus par leur intelligence. Ainsi, un homme affamé et décharné devant un plat chaud aura du mal à ne rien manger. De même, l’instinct et les passions de l’homme le pousse parfois à agir de manière aveugle et incontrôlée. Cet appétit sensitif lui rappelle qu’il possède un corps, des sens, des passions, au même titre que les animaux. En revanche, l’homme, par son intelligence et sa raison, connaît des biens spirituels vers lesquels il peut tendre en posant des actes délibérés. Il peut donc se comporter instinctivement ou de façon raisonnée et délibérée. La lutte entre ses passions sensibles (amour, désir, espoir, désespoir, jouissance, haine, aversion, audace, crainte, souffrance, colère, paresse, sensualisme etc…) et sa raison qui lui dit ce qu’il doit faire est parfois violente et signifie clairement l’existence en lui de deux principes irréductibles : l’un matériel, l’autre spirituel. Quand un étudiant doit rendre un devoir, il sait qu’il faut le faire, que c’est précisément son devoir et que c’est ce qui est bien. Sa paresse et sa sensualité, sa recherche de confort ou de plaisirs immédiats (regarder des séries, dormir et se prélasser, etc.) paraissent parfois l’empêcher de fournir un effort volontaire pour ce bien spirituel supérieur. En revanche, malgré l’effort et la motion spirituelle contre-instinctive à fournir, il peut le faire : il a le choix. S’il va à l’encontre de ce que lui dicte son appétit sensible et qu’il suit ce que lui dicte sa raison, on dit familièrement qu’il se fait violence. Malgré cette souffrance corporelle immédiate, il en retire, une fois son devoir rendu et bien fait, une fois sa note reçue, une satisfaction et une joie intérieure plus profonde et plus haute qu’un simple plaisir sensible. C’est la joie qui découle du devoir bien fait, cette joie est une conséquence spirituelle (on peut souffrir et être joyeux) d’une cause spirituelle (choix libre à l’encontre de l’appétit sensible). Pareillement, respecter les conventions et les marques de respect en société (saluer un ami; se tenir modestement à table ou en classe; observer le silence; obéir, révérer ou remercier un supérieur; etc.) montre que l’homme agit délibérément, même lorsque ce conventions vont à l’encontre de ses désirs immédiats (être patient en attendant le repas quand on a faim; ne pas frapper un homme que nous n’apprécions pas; être capable de se sacrifier et de souffrir pour le bien d’un ami, d’une famille, d’une patrie, d’une vérité; etc.). Cette connaissance de biens spirituels permet donc à l’homme de choisir librement en agissant même contre son instinct ; nous en avons d’innombrables témoignages, l’homme peut, nous l’avons dit, se sacrifier volontairement en faisant le don de sa vie par honneur ; il peut décider de faire une grève de la faim par idée de justice ; il peut souffrir les châtiments corporels les plus déplaisants tout en demeurant paisible et profondément joyeux par amour, tels ont été les martyrs de la foi. Dès qu’il pose un acte réfléchi et volontaire, il aurait aussi pu ne pas le faire, c’est la liberté psychologique qui le rend responsable de ses actes. Sa libre détermination dépasse donc les fatalités de la matière et de la sensibilité. Elle est réellement indépendante des conditions matérielles. Elle suppose nécessairement une faculté et un principe du même ordre, tout aussi indépendant de la matière. Du reste, l’existence de sociétés humaines et de lois démontrent la réalité de la liberté humaine, et partant, de la spiritualité de son âme. A quoi serviraient les lois si les hommes n’étaient pas libres mais entièrement déterminés par leur instinct ? A rien, puisqu’elles sont justement là pour donner un ordre et indiquer la voie à suivre pour atteindre le bien commun. Si elles indiquent la voie à suivre, c’est précisément que l’homme peut ne pas la suivre et qu’il doit s’y conformer librement. A-t-on déjà vu les animaux, depuis des milliers d’années qu’ils vivent parmi nous, rédiger un code de lois ? A-t-on déjà retrouver une seule ligne ou un seul symbole qui exprimerait un ordre à suivre ? Si rien de tel n’existe, c’est précisément parce que les animaux sont instinctivement déterminés à agir conformément à leur fin et qu’ils n’ont nulle besoin qu’on la leur rappelle explicitement et qu’on les encourage à y concourir! Enfin, qui prendrait au sérieux une groupe d’homme faisant comparaître des animaux devant un juge ? Ce serait absurde, car nous savons très bien que le juge a pour fonction de punir la violation d’une loi. Or, si la violation d’une loi est punie, c’est qu’elle procède d’un acte libre que nous pouvons légitimement attribué à un homme responsable. Rien de tel pour les animaux, totalement dépourvus de liberté!

La spiritualité de l’âme

Nous avons montré que l’homme était un être tout à fait singulier. En effet, parmi les êtres corporels que nous observons dans le monde, lui seul possède :

  • Une intelligence qui lui offre une connaissance spéciale des choses
  • Une volonté qui lui permet de se déterminer librement

De plus, ces deux facultés ont l’air très nobles et capables de très grandes choses dont les fruits sont visibles à travers les civilisations. Elles échappent aux propriétés de la matière, la volonté au déterminisme, l’intelligence aux bornes du donné sensible, concret et immédiat. Malgré leur distinction, elles sont aussi intimement liées et dépendantes l’une de l’autre. Elles constituent une unité et procèdent d’un unique principe. Si l’homme ne pouvait opérer de choix en fonction de son intelligence, celle-ci serait impuissante et inutile; à l’inverse, tout choix suppose nécessairement un discernement intellectuel préalable. Cette unité correspond à une identité, un « moi » qui permet de dire « je » et qui demeure identique tout au long de la vie, malgré les évolutions du corps et le renouvellement des cellules. Cette substance unique possède ces deux facultés et est de même nature. Nous l’appelons âme, et cette âme est spirituelle. Voyons cela plus en détail.

Appliquons à ces observations des principes évidents et incontestables pour tout homme droit et honnête qui sait que leur négation annihile par le fait même toute intelligibilité du réel, tout bon sens quotidien et condamne toute entreprise à l’absurde.

L’âme correspond à la structure propre de l’être vivant, elle est le principe vital d’unité qui fédère les organes entre eux et fait que l’être vit, qu’il possède les propriétés propres à la vie. « Avoir une âme » et être « vivant » sont deux synonymes. Cette âme semble donner aux êtres vivants des propriétés et des facultés différentes. La nature de ces propriétés et de ces facultés ne peut s’expliquer que par la nature même du principe duquel elles procèdes, en l’occurrence l’âme (ce qui fait que l’être est un et vivant et qu’il possède l’énergie nécessaire pour agir). Car comme nous l’avons vu, on ne peut donner ce qu’on n’a pas, le mode d’agir suit le mode d’être, tout effet a une cause proportionnée et toute faculté est proportionnée à son objet.

La connaissance sensible est donc le fruit d’une faculté proportionnée, la faculté sensible ou sens. Si un être possède une connaissance sensible des choses, c’est parce qu’il a des sens, agere sequitur esse, l’agir suit l’être. Or les animaux et les hommes possèdent un telle connaissance. Donc les animaux et les hommes ont des sens, faculté nécessairement de même nature que les objets connus : corporels, corruptibles, matériels.

La connaissance intellectuelle est aussi le fruit d’une faculté proportionnée. Si un être possède une connaissance intellectuelle des choses, c’est-à-dire une connaissance dont l’objet propre est l’être, la nature des choses, nature que nous avons vu être spirituelle, universelle, détachée des particularités sensibles, c’est parce que cet être a une intelligence. Or, nous l’avons établi avec certitude, parmi les êtres corporels, seul l’homme possède une intelligence, faculté qui procède nécessairement d’un principe de même nature que les objets connus : immatériels, incorruptibles. De plus, pas sa volonté, l’homme peut se déterminer librement en vue de biens spirituels, il peut le faire en allant contre son instinct et ses inclinations sensibles. Donc l’homme possède un principe de vie qui permet de rendre compte de ces opérations intellectuelles, l’homme a une âme spirituelle.

Une réflexion droite et honnête conduit donc aux mêmes enseignements que ceux du sens commun. Elle nous apprend que l’homme est bien composé de deux éléments intimement unis qui font de lui une personne.

  • Un élément matériel, son corps, qui lui donne des sens et le soumet aux lois physiques.
  • Un élément spirituel, son âme intelligente et libre, qui l’affranchit des lois physiques et font de lui un être essentiellement supérieur et différent des autres.

L’immortalité de l’âme

Il est désormais certains que l’homme possède une âme et que cette âme est spirituelle. L’immortalité de l’âme humaine est une conséquence de sa spiritualité.

Nous avons dit que les êtres vivants possédaient tous une âme. Cette âme est le principe qui fait d’eux des êtres cohérents, unifiés et doués de fonctions vitales. La mort est donc propre aux êtres vivants et correspond à la cessation de l’exercice des fonctions vitales. La mort est la perte du principe vital d’unité qui permettait leur exercice. Il faut donc rappeler la nature du principe vital de chaque être vivant pour savoir ce qu’il advient de lui après sa séparation d’avec le corps.

  • Chez les végétaux, il maintient l’unité organique et permet l’exercice des fonctions vitales essentielles (nutrition, croissance, reproduction). A la mort, les parties de l’organisme se désagrègent et se décomposent ; le principe vital, purement lié aux activités matérielles, n’a plus de raison d’être et disparaît.
  • Chez les animaux, il maintient l’unité organique, permet l’exercice des fonctions vitales et fait fonctionner les sens. Principe de vie matériel sans facultés spirituelles à exercer, il n’a plus rien à faire : comme chez les végétaux, il disparaît avec la désagrégation du corps.
  • Chez l’homme, le principe de vie est spirituel, nous l’avons amplement démontré. Spirituel, il n’a pas les caractéristiques de la matière, il n’est donc ni divisible, ni corruptible, ni réductible en particules désagrégées. De plus, nous avons déjà prouvé que ce principe de vie permet des activités proprement spirituelles. Ces activités le différencient essentiellement des autres êtres corporels et lui permettent de penser l’abstrait et l’universel, de se déterminer librement au-delà du déterminisme de la sensibilité, d’aimer un bien spirituel. Séparé du corps, ce principe de vie a donc encore une raison d’être puisqu’il réalisait ces activités proprement spirituelles sans l’aide directe et immédiate du corps et des sens. Séparée du corps, l’âme peut donc encore penser et aimer le bien spirituel connu. Par sa nature indivisible et incorruptible, l’âme humaine ne peut pas être soumise à la décomposition corporelle ; Par ses activités spirituelles, elle conserve une raison d’être. Elle est donc immortelle, c’est-à-dire non soumise à la corruption et à la disparition, nécessairement maintenue dans l’existence pour l’éternité. Nous disons qu’elle est subsistante par soi, per se subsistens. La vie, si elle commence au berceau, ne s’arrête donc pas à la tombe… Pensons-y!

De plus, partout et toujours, on a cru à une vie à venir. Partout et toujours, les hommes ont aspiré au bonheur parfait et à l’éternité. Partout et toujours, ils ont cru que leurs choix libres leur apporteraient du mérite ou du démérite qui sera gage d’une récompense ou d’une peine toutes deux éternelles. Voyant souvent le mal triompher ici-bas, les méchants écraser les bons, la justice bafouée de toute part, les hommes pleins de bon sens et remplis de sagesse ont compris qu’il existait une vie éternelle après la mort, vie dans laquelle la justice et les droits de chacun seront rétablis conformément à la vérité. Si cela n’était pas vrai, à quoi bon être honnête si c’est pour être moqués et méprisés. Si cela n’était pas vrai, à quoi bon l’existence d’une loi naturelle sans juge pour la sanctionner ? D’ailleurs, Dieu étant le législateur suprême et le souverain maître de toutes choses, la bonté et la justice, ils ont compris que c’était auprès de lui que se consumerait leur véritable bonheur. Partout et toujours, ils ont prié et vénéré les morts. Cette idée si élevée, qui semble avoir été le ferment des plus grandes civilisations, qui semble faire l’unanimité parmi l’immense diversité du genre humain, cette idée semble plus tenir du sens commun que du hasard. Le matérialisme qui proclame que la mort est une fin totale est contraire à la réflexion et au sens commun de l’humanité. Disons-le, il est absolument certain que l’âme humaine est immortelle, c’est-à-dire qu’elle survit à la vie physique. Elle continuera nécessairement une existence personnelle et continuera d’exercer ses très hautes activités de connaissance et d’amour dans l’autre vie. Cette conclusion n’est que le fruit d’observations incontestables et de réflexions de bon sens : L’âme humaine est spirituelle et immortelle !

Conclusion

Notre âme spirituelle, de laquelle procède les facultés intellective et volitive, nous confère une place toute particulière parmi les autres êtres corporels. Elle nous permet de nous poser des questions et d’y répondre, elle nous permet de saisir le vrai et de chercher le bien ; en somme, elle fait toute notre dignité et nous rend responsables de nos actes. Si nous sommes dignes et responsables, si notre âme est immortelle, si nous pouvons nous poser des questions et y répondre ; ne devons-nous pas vivre avec dignité et responsabilité ? Ne devons-nous pas nous demander ce qu’il adviendra de cette âme ? C’est ce qu’ont fait les grands hommes et les grands héros. Mus par une haute idée de l’homme, de sa dignité et du sens de sa vie, ils ont vécu au service de causes justes. Contre toutes les épreuves et les contrariétés, ils ont eu soif de justice et savaient qu’un jour ou l’autre, ils en répondraient devant l’Eternel.

Jésus l’a dit : « Que sert à l’homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme ? » (S. Mt. XVI, 26)

Mathis C.

Illustrations : Le Poème de l’âme – Louis Janmot