Saint Louis-Marie Grignon de Monfort (1673-1716): sa vie, son héritage, sa spiritualité

Sommaire

Le 28 avril est un grand jour pour les dévots de Marie. C’est la fête de saint Louis-Marie Grignon de Monfort (1673-1716). Voici un résumé de sa vie, de son héritage, et de sa spiritualité.

Le jeune Louis-Marie

Saint Louis-Marie Grignon de Monfort est né à Montfort-sur-Meu, tout proche de Rennes, le 31 janvier 1673. Il fait son entrée au collège des jésuites Saint Thomas Becket de Rennes à 12 ans : son obéissance, son intelligence et sa charité rayonnent. Aîné d’une fratrie de huit enfants (dont un fils se fit dominicain et trois filles devinrent religieuses), Louis-Marie n’était pas destiné au sacerdoce par son père, qui s’opposa violemment à sa vocation au départ. Néanmoins, en écoutant les récits d’un prêtre local, l’abbé Julien Bellier, sur sa vie de missionnaire itinérant, il fut enflammé de zèle pour prêcher des missions.

La consécration à Marie et le séminaire

À 19 ans, il se consacre entièrement à Marie en faisant le vœu de tout lui confier et de ne jamais plus rien posséder en propre. Il se dira désormais « Louis-Marie de Monfort, esclave indigne de Jésus en Marie ». Il rejoint ensuite Paris à pied en 1693, puis entre au séminaire de Saint-Sulpice en 1695. Son séjour à Saint-Sulpice lui donne l’occasion d’étudier la plupart des ouvrages disponibles sur la spiritualité et, en particulier, sur la place de Marie dans la vie chrétienne, surtout après sa nomination en tant que bibliothécaire. Il a également eu le temps de développer des compétences de catéchiste, notamment auprès de la jeunesse désœuvrée de la paroisse Saint-Sulpice.

Les Filles de la Sagesse

Ordonné prêtre en juin 1700, il célèbre sa première Messe à l’autel de la Sainte Vierge de l’église Saint-Sulpice, puis devient aumônier de l’hôpital général de Poitiers en 1701, avant d’en prendre la direction en 1703. Cette même année, il fonde avec Marie-Louise Trichet la Congrégation des Filles de la Sagesse. La règle de la Congrégation s’exprime en ces termes, montrant que la Croix est au cœur de la spiritualité monfortaine: « La Congrégation de la Sagesse est particulièrement chargée de montrer Jésus-Christ au monde, comme la Sagesse de Dieu, Sagesse qui, par les douleurs, l’indigence, et la folie de la croix, est venue combattre la sagesse orgueilleuse du monde, son estime des richesses et son amour du plaisir« . Avant Vatican II, ces religieuses étaient répandues tout autour du globe, avec trois objectifs principaux, toujours selon la Règle : « 1° l’instruction et l’éducation de la jeunesse ; 2° le soin des pauvres et des malades ; 3° le renouvellement des âmes dans les retraites« . Aujourd’hui, les Filles de la Sagesse de la Maison Sainte-Anne, installée au lieu-dit Saint-Maurice, à 17 km du lieu natal de saint Louis-Marie, forment une communauté restée entièrement fidèle à l’esprit montfortain. Elles expliquent par ailleurs avec raison qu’elles sont « dociles au Magistère des légitimes successeurs de saint Pierre et refusent de suivre la doctrine et les réformes qui ont ravagé l’Église depuis Vatican II ». Vous en apprendrez plus sur leurs activités en visitant ce très bon site.

Les missions dans l’Ouest et l’influence contre-révolutionnaire

Entre 1705 et 1716, saint Louis-Marie se consacre à sa vocation de missionnaire dans l’Ouest de la France (Poitou, Bretagne, Anjou, Rochelle), en donnant plus de 200 missions. Il fut rapidement éprouvé par la Croix. Son grand succès a attiré la jalousie d’une partie du clergé, et au début du carême 1706, il lui fut interdit de prêcher davantage de missions dans le diocèse de Poitiers. Il décida donc de partir faire un pèlerinage à Rome, pour demander au Saint-Père, le pape Clément XI, ce qu’il devait faire. Le Pape reconnut sa véritable vocation et, lui disant qu’il y avait de la place pour son apostolat en France et que cet apostolat était même nécessaire, le renvoya avec le titre de Missionnaire Apostolique. Il fut très vite connu à travers la région et au sein des foyers les plus modestes comme « le bon Père de Monfort ». L’impressionnant Calvaire de Pontchâteau, érigé en 1709 à son initiative et avec l’aide d’une foule nombreuse, est un signe admirable de son œuvre dans la région (cf. photo ci-dessous). A nouveau interdit temporairement et injustement de prêcher à cette époque, il approfondit le mystère de la participation au Sacrifice de la Croix et rédige un chef d’œuvre spirituel, la Lettre circulaire aux amis de la Croix.

Saint Louis-Marie fonde officiellement la Compagnie de Marie en 1713, dans l’objectif de former des missionnaires pour évangéliser l’Ouest. Les Pères René Mulot (1683-1749) et Adrien Vatel ont fait partie de ses plus fidèles disciples, continuant son œuvre après sa mort. Le Père de Monfort est un grand artisan de l’attachement puissant de l’Ouest français au catholicisme, encore en partie aujourd’hui. C’est pour cela que l’histoire lui attribue une grande part dans la résistance farouche et courageuse à la Révolution française (1789) dans ces contrées (chouannerie, guerres de Vendée). En effet, l’évangélisation des diocèses de Luçon, La Rochelle, Angers et Nantes a permis d’affermir la foi et de faire fleurir une vie chrétienne solide parmi la population, ce qui sema les germes féconds d’une admirable fidélité au catholicisme sur plusieurs générations, et alimentera largement la résistance à la Révolution d’inspiration satanique (non serviam, le refus de Dieu). Les « Mulotins », nom donné aux missionnaires monfortains à partir du nom du Père René Mulot (supérieur de la Compagnie de Marie de 1722 à 1749), ont évangélisé la future Vendée militaire. Malgré leur petit nombre (4 en 1723, et jusqu’à 13 en 1749, sans jamais aller bien au-delà), les missions se succèdent sans interruption jusqu’à la Révolution : on n’en compte pas moins de soixante-dix à quatre-vingts par décennie sur l’ensemble de la région (soit environ 500 missions entre 1720 et 1789), surtout dans les campagnes (cf. carte ci-dessous).

Les notes prises par le Père Pierre-François Hacquet sont très instructives à cet égard. Il dirige de nombreuses missions entre 1740 et 1780 (il prêche dans 274 missions pendant cette période), et il recense les peuples qui ne sont pas réceptifs à la prédication des missionnaires. C’est notamment le cas du sud de la Vendée et des Deux-Sèvres, dont nous savons qu’elles ne prendront presque pas part à l’insurrection de mars 1793. A l’inverse, les lieux où le Père Hacquet trouve un peuple docile et fervent seront des terres d’insurrection contre-révolutionnaire. Il y a donc un lien direct entre succès des missions et terre d’insurrection.

La persécution et le rappel à Dieu

Au fil des missions, saint Louis-Marie Grignon de Monfort est persécuté par les jansénistes, qui veulent empêcher son zèle de répandre le sang du sauveur par le cœur de Marie. Il subit trois tentatives d’assassinat et un empoisonnement, qui l’affaiblira jusqu’à sa mort. Sa vie est une vie de dénuement absolu, de persécution universelle et de don total à Dieu par Marie : il a bien fait toutes choses, sans jamais se plaindre. Son dicton : « PAS DE CROIX, QUELLE CROIX! » (réfléchissons-y…).

Lors de sa dernière mission à Saint-Laurent-sur-Sèvre (diocèse de La Rochelle), il rend son âme à Dieu le 28 avril 1716, à 43 ans, sous les coups de la maladie et de l’épuisement, en chantant paisiblement avec les fidèles qui l’assistaient : « Allons, mes chers amis, Allons en Paradis… » Louis-Marie a été béatifié par Léon XIII en 1888, puis canonisé par Pie XII en 1947.

La spiritualité monfortaine

La spiritualité monfortaine a deux piliers: 1) la Croix et 2) la sainte Vierge. Ces deux piliers s’unissent dans la notion de « saint esclavage de Jésus en Marie », par lequel on accepte de renoncer à tout en sacrifiant sa volonté propre en tout et en confiant tout ce que nous sommes, tout ce que nous avons et tout ce que nous faisons à Marie, en vue d’accomplir la volonté de Dieu. Saint-Louis-Marie Grignon de Monfort est l’auteur d’un grand classique de la vie spirituelle : le Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge. Cette œuvre n’a cependant été découverte et publiée qu’à partir de 1843 – soit plus d’un siècle après sa mort! -, participant grandement au renouveau extraordinaire de la piété mariale qui s’est observé dans la seconde moitié du XIXème siècle et le début du XXème.

Voilà l’essentiel de sa pensée sur Marie :
1. Pleine de grâce, elle est le trésor de Dieu. En la louant, on loue le chef d’œuvre de Dieu.
2. Elle a engendré le chef de l’Eglise, elle engendre aussi logiquement les membres, nous.
3. Jésus est venu par Marie. Il s’est incarné avec le consentement de Marie, il s’est fait connaître par Marie, il a fait son premier miracle par Marie, il s’est donné sur la croix par Marie. Ainsi, nous devons de la même manière aller à Jésus par Marie, connaître Jésus par Marie, nous donner à Jésus par Marie. Dieu l’a voulu ainsi.
4. Marie est comme une « relation à Dieu ». Elle est toute relative à Dieu et fait tout pour Dieu et en vue de Dieu. Elle fait sa volonté en absolument tout, sans exception. En l’aimant, en apprenant d’elle et en moulant notre cœur sur le sien par une véritable dévotion à une si bonne mère, on est sûr de grandir en sainteté !

Vie de saint François de Sales

SOMMAIRE

. Vie de saint François de Sales
. Canonisation
. Docteur de l’Église
. Méditations sur saint François de Sales
. Un précurseur de l’œcuménisme et de Vatican II ?


Vie de saint François de Sales, évêque et docteur de l’Eglise (R.P. René Moreau, S. J.)

Prime enfance (1567-1573)

François de Sales, seigneur de Nouvelles, homme de guerre et diplomate habile, avait épousé la fille unique de Melchior de Sionnaz, qui lui avait apporté en dot la seigneurie de Boisy, à condition qu’il en prît le nom. Il habitait cependant au château de Sales, près de Thorens, dans le duché de Savoie, que gouvernait alors Charles-Emmanuel. C’est là que, six ans après son mariage, Dieu lui donna un premier fils, qui devait être le saint évêque de Genève. L’enfant, nommé François, comme son père, naquit le 21 août 1567. Dès sa toute petite enfance, il montra de singulières dispositions pour la piété. Les premiers mots qu’il prononça de lui-même furent : « Le bon Dieu et maman m’aiment bien. » Il avait joie à être porté à l’église, où il semblait ne s’ennuyer jamais, à imiter les cérémonies de la messe, à réciter des prières. Il chérissait aussi les pauvres et leur donnait, comme d’instinct, ce qu’il avait en mains. Et cependant il avait ses défauts, contre lesquels ses parents, excellents chrétiens l’un et l’autre, réagirent vigoureusement : la vanité, qui l’entraîna un jour à un petit vol, châtié immédiatement par son père, malgré l’aveu spontané du coupable ; la gourmandise, dont ses historiens citent un assez beau trait ; surtout une fougue et une impétuosité qui ressemblaient bien à la colère, mais qu’il combattit si bien et si longtemps, qu’il devint le modèle de la douceur et de la patience. Un jour, Mme de Chantal le priait « de s’émouvoir un peu sur le sujet de quelque traverse que l’on faisait à ce monastère de la Visitation. Il me répondit, raconte-t-elle : « Voudriez-vous que je perdisse en « un quart d’heure ce que j’ai eu bien de la peine à acquérir « en vingt ans? » Il ne devint donc un saint, comme il enseigna plus tard à faire, que par une correspondance exacte et généreuse aux grâces que Dieu lui donnait avec abondance et une lutte persévérante contre lui-même.

Les études et les premiers germes de sainteté (1573-1592)

Dès l’âge de six ans, François fut mis au collège, d’abord à la Roche, puis à Annecy jusqu’à treize ans ; il s’y montra aussi intelligent et ardent au travail que pieux et charitable. Ses humanités achevées, M. de Boisy résolut d’envoyer son fils terminer ses études à Paris, où la jeune noblesse savoyarde fréquentait le collège de Navarre. Mais François, qui avait entendu dire qu’on formait mieux dans ce collège à briller dans le monde qu’à plaire à Dieu, obtint par ses instances d’aller de préférence au collège de Clermont, — devenu plus tard Louis-le-Grand, — où professaient les Jésuites. II y passa six ans, deux en rhétorique, où il eut pour professeur le Père Sirmond, et quatre en philosophie. Dans le temps qu’il étudiait, Dieu, pour perfectionner sa vertu, permit qu’il fût en butte à une terrible tentation de désespoir. Ce jeune homme, si pur et si pieux, s’imagina qu’il se méprenait sur l’état de son âme, qu’il était destiné à la damnation éternelle. Cette affreuse persuasion ruina même ses forces physiques ; il tomba gravement malade. Mais sa charité héroïque et sa dévotion à la sainte Vierge le sauvèrent.

Aux pieds de Notre-Dame, dans l’église de Saint-Étienne-des-Grès, tandis qu’il récitait le Souvenez-vous avec toute la dévotion de son cœur et faisait vœu de chasteté perpétuelle, son âme et son corps furent subitement guéris. Sa philosophie était achevée ; sur l’ordre de son père, François  partit alors pour l’université de Padoue, renommée dans toute l’Europe à cause de ses cours de jurisprudence. Il s’en réjouit : depuis l’âge de onze ans, il avait obtenu la permission, accordée par M. de Boisy, comme à un désir enfantin et sans conséquence, de recevoir la tonsure. Mais ce n’était pour lui qu’un premier pas vers un but que de plus en plus il aspirait à atteindre. Il savait quelle opposition il rencontrerait dans son père, qui fondait sur son fils aîné toutes ses espérances mondaines. Mais à Padoue du moins, il lui serait possible de commencer, avec l’étude du droit, celle de la théologie. C’est ce qu’il fit, en même temps que, sous la direction du Père Possevin, il faisait de grands progrès en sainteté. Reçu docteur avec les plus grands éloges du célèbre jurisconsulte Pancirole, François revint en Savoie en 1592.

Retour en Savoie et ordination (1593)

M. de Boisy songea immédiatement à établir le fils dont il était si justement fier. Mais celui-ci déclina les projets de mariage et les offres d’un siège au sénat de Chambéry, et par ces refus fut amené à révéler sa résolution d’être à Dieu par le sacerdoce. Alors commença une lutte pénible entre le père et le fils; enfin la foi profonde de M. de Boisy fut victorieuse de son ambition paternelle. Il donna son consentement sans réserve avec sa bénédiction. François, qui à son insu avait été pourvu, grâce à Mgr de Granier, évêque de Genève, de la haute dignité de prévôt, — ou doyen, — du chapitre cathédral, fut rapidement ordonné prêtre (le 18 décembre 1593). Dès le premier moment, il se montra non seulement digne de ses fonctions, mais, — par sa science, sa profonde et touchante piété, son zèle infatigable, sa tendre et compatissante charité, son éloquence simple, chaude et prenante, — l’honneur et le modèle de tous ses confrères.

La conversion du Chablais (1594-1598)

Il ne tarda pas à donner la mesure de toutes ses vertus dans une circonstance qui les mit en pleine valeur. Le duc de Savoie venait de reconquérir, sur les Bernois, le pays du Chablais, qu’ils lui avaient enlevé depuis 1536 et qu’ils avaient presque entièrement gagné au protestantisme. Pour le convertir, il fallait des apôtres prêts à tout, et même au martyre. François s’offrit à cette tâche ; il la remplit avec un dévouement que ne rebuta pas un insuccès de sept mois, avec un courage qui, à plusieurs reprises, affronta une mort certaine, avec une apostolique habileté qui multiplia les industries et surtout les marques de dévouement désintéressé. Enfin il eut raison des résistances les plus acharnées ; au bout de quatre ans il remettait aux mains de son évêque le pays ramené par lui à la foi. Et le vieux prélat, au comble du bonheur, salua en lui le coadjuteur que Rome lui accordait et aux mains de qui il remettrait avec confiance le gouvernement de son peuple.

Évêque de Genève (1602), prédicateur doux, charitable et zélé

Le jour vint bientôt, de fait, où François lui succéda. Mgr de Granier mourait le 17 septembre 1602, laissant le souvenir de belles vertus et particulièrement de la plus sainte pauvreté. Sacré le 8 décembre suivant, fête de l’Immaculée Conception, son coadjuteur donnerait des exemples plus admirables encore. Il ne vécut que pour son église et spécialement pour  les plus petits, les plus malheureux et les plus misérables enfants de cette église. Il avait enjoint aux prêtres et aux religieux d’Annecy, sa résidence, d’envoyer à son confessionnal non seulement les pauvres et les misérables pour qu’il les consolât et les secourût, mais encore les personnes atteintes de quelque maladie infecte qui blessait la vue ou l’odorat. « Ce me sont roses, » disait-il. Mais ce n’était pas seulement à l’église qu’il recevait ceux qui désiraient une audience : sa demeure était toujours ouverte à tous les visiteurs, quels qu’ils fussent. Un gentilhomme était venu de Normandie lui proposer quelques cas de conscience. Il frappa à la porte au moment où l’évêque se mettait à table ; sans retard il fut admis ; il fut écouté pendant dix, heures d’horloge. En vain le moment (du souper arrive, on avertit l’évêque, on lui envoie message sur message : « Nonne anima plus est quam esca? Une âme ne vaut-elle pas plus qu’un souper? » répond-il aimablement. Et rien ne trahit en lui l’impatience ou la lassitude. Il ne se donnait pas moins aux foules, distribuant la parole divine avec une sorte de prodigalité. Déjà, à peine était-il prêtre, son père lui en faisait un reproche.

« Un jour, racontait-il, mon bon père me prit à part et me dit : « Prévôt, tu prêches trop souvent! J’entends, même en des jours ouvriers, sonner le sermon et toujours on me dit : C’est le prévôt, c’est le prévôt… Tu rends cet exercice si commun, qu’on n’en fait plus de cas et on n’a plus autant d’estime de toi. » Mais non, l’estime au contraire s’augmentait. Partout, en Savoie, en France, à Chambéry comme à Paris, où il passa l’année 1618 et prêcha trois cent soixante-cinq fois, on demandait à entendre cette parole qui par sa simplicité, sa grâce comme par sa forte et solide doctrine et sa persuasive piété, tranchait sur l’éloquence emphatique et subtile à la mode en ce temps. On ne se lassait pas de l’entendre, mais surtout à l’entendre on devenait meilleur.

Rencontre avec sainte Jeanne de Chantal (1604)

C’est au cours d’une station de Carême qu’il donnait à Dijon en 1604 que Dieu le mit en rapports avec celle qui devait être sa fille d’élection et, avec lui, fonder l’ordre de la Visitation. Il la reconnut au pied de sa chaire, sans l’avoir jamais vue, car une vision lui avait montré les traits de Jeanne-Françoise de Chantal (1572 – 1641) en lui révélant les desseins de Dieu sur elle. Avec une prudence toute céleste, une pitié attentive aux premières faiblesses, une énergie toute détrempée de tendresse, un zèle qui ne tolérait aucune défaillance, enfin dans une paix suave qui réprimait tout empressement et se nourrissait d’indifférence sereine, il la mena doucement et vigoureusement à la perfection où Dieu  l’appelait. Tels furent toujours, et pour tous et toutes, les caractères de sa direction. Hommes de cour ou de guerre, grandes dames ou religieuses ou femmes du peuple, il leur dépensait les trésors de sa pensée et de son cœur, fort dans sa tendresse et tendre dans ses plus rigoureuses exigences. Selon sa comparaison, il excelle à présenter aux lèvres la coupe la plus amère en parfumant ses bords d’un miel embaumé. Dans sa correspondance infinie, dans le Traité de l’Amour de Dieu, écrit pour ses chères filles de la Visitation, dans l’Introduction à la Vie dévote, composée d’abord de lettres adressées à Mme de Charmoisy, et véritable code de la piété dans le monde, c’est toujours par la séduction de son sourire paisible qu’il appelle, qu’il engage, qu’il force aux plus vaillantes résolutions.

Mort en odeur de sainteté (1622)

Au mois de novembre 1622, le duc de Savoie convoqua le saint évêque à l’accompagner à Avignon, où il voulait saluer le roi Louis XIII. Saint François de Sales partit, quoiqu’il se sentît bien fatigué ; il pensait obéir à Dieu en obéissant à son souverain. Mais quand il revenait de ce voyage, où la vénération des peuples lui avait partout fait cortège, à Lyon, le 27 décembre, il fut frappé soudain d’apoplexie ; néanmoins la connaissance ni la parole ne lui furent point enlevées. Jusqu’au dernier moment il supporta avec sa patience ordinaire les tourments qu’inventèrent les médecins dans l’espoir de l’arracher à l’envahissement du mal. Enfin, au soir de la fête des Saints Innocents, dont son âme, pure comme la leur, avait toujours eu la grâce, il rendit dans la paix son âme à Dieu, en disant : « Jésus ! »

Notice récapitulative


Canonisation

Bulle ou décret de la canonisation de saint François de Sales, prince et évêque de Genève, du pape Alexandre VII (19 avril 1665).


Docteur de l’Eglise

Décret Urbis et Orbis de la sacrée congrégation des rites : Première déclaration du Doctorat de saint François de Sales (19 juillet 1877).

Bref du pape Pie IX élevant saint François de Sales à la dignité de docteur de l’Eglise (1877)


Méditations sur saint François de Sales

Méditation du Père Hamon

Méditation de saint Alphonse de Liguori


Un précurseur de l’œcuménisme et de Vatican II ?

Comparaison entre l’exemple de saint François de Sales et la fausse doctrine de Vatican II sur les « chrétiens séparés » et le prosélytisme.

Saint Denis de Paris

Saint Denis

Pour nous qui sommes Parisiens, et nous sentons spécialement attachés au souvenir et à l’intercession du martyr saint Denis, premier évêque de Paris, il nous semble important de tirer au clair la question de sa véritable identité, au regard de ce que l’histoire peut nous apprendre :  pendant très longtemps, les Français et même les catholiques du monde entier à leur suite ont cru que Denis de Paris était l’aréopagite Denys cité dans les Actes des Apôtres, un des Athéniens qui s’est converti au Christ à la suite de la prédication de saint Paul. Il nous semble qu’il s’agit d’une erreur, et qu’il n’y a pas à craindre de verser dans le rationalisme en l’affirmant.

C’est l’occasion pour nous de parler d’un thème qui a son importance dans l’époque actuelle de recul de la foi et de confusion universelle des esprits : il serait à notre avis une erreur, plus ou moins grave et dangereuse, de réagir au rationalisme et au relativisme ambiant par le fidéisme, c’est-à-dire par la séparation étanche entre le domaine de la raison et celui de la foi, en dépréciant excessivement la raison  et toute sorte de connaissance scientifique. Une des manifestations du fidéisme peut être, pour ce qui se rapporte à la vie des saints, de croire sans examen à tous les récits populaires ou traditionnels (pas au sens de la Tradition ecclésiastique, mais d’une tradition humaine) se rapportant auxdits saints.

S’il n’est pas rationnel de remettre en cause sans raison, par principe, un récit traditionnel comportant des miracles ou des faits extraordinaires et glorieux (comme si les chrétiens des générations précédentes étaient par défaut des menteurs ou des rêveurs), il peut être rationnel de le faire s’il y a une preuve interne ou externe au récit qui le rend difficile ou impossible. Le fait qu’un « consensus » des chrétiens à l’échelle de plusieurs siècles adhère à ce récit, ou que le martyrologe romain lui-même le rapporte, n’est pas de nature à engager l’infaillibilité de l’Eglise : l’infaillibilité nous garantit qu’un document comme le martyrologe ne contient rien de contraire à la foi et aux mœurs, mais ne garantit pas l’absence d’erreur historique ou relevant d’un autre domaine contingent.

Il nous apparaît donc que saint Denis de Paris n’est pas l’Athénien disciple de saint Paul, mais un évêque missionnaire envoyé en Gaule par le Pape au IIIe siècle, aux côté de 6 autres compagnons que l’histoire a aussi retenus comme fondateurs de diocèses français : Saturnin de Toulouse, Gatien de Tours, Trophime d’Arles, Paul de Narbonne, Austremoine de Clermont, Martial de Limoges. D’autres évêques semblent avoir été envoyés de Rome à la même époque : Lucien de Beauvais et Rieul de Senlis entre autres. C’est le récit de saint Grégoire de Tours, et il nous semble plus fiable que celui de l’abbé Hilduin de Saint-Denis, qui est à l’origine de la tradition d’identifier Denis de Paris et Denys l’Aréopagite. Nous présenterons brièvement différents éléments à l’appui de cette opinion

Grégoire de Tours : Saint Denis envoyé en Gaule à l’époque de la persécution de Dèce (250)

Voici le passage des Histoires de saint Grégoire de Tours, le célèbre historien des Francs, concernant les sept évêques missionnaires :

« Sous l’empereur Dèce il s’éleva contre le nom chrétien un grand nombre de persécutions, et on fit un si grand carnage des fidèles qu’on ne pourrait les compter. Babylas, évêque d’Antioche, avec trois petits enfants, Urbain, Prilidan et Épolone ; Sixte, évêque de la ville de Rome ; Laurent, archidiacre, et Hippolyte, reçurent le martyre pour avoir confessé le nom du Seigneur. Valentinien et Novatien, alors les principaux chefs des hérétiques, à l’insinuation de l’ennemi de Dieu, attaquèrent notre foi. Dans ce temps sept hommes, nommés évêques, furent envoyés pour prêcher dans les Gaules, comme le rapporte l’histoire de la passion du saint martyr Saturnin. « Sous le consulat de Décius et de Gratus, comme le rappelle un souvenir fidèle, la ville de Toulouse eut pour premier et plus grand évêque, saint Saturnin. » Voici ceux qui furent envoyés : Gatien, évêque à Tours ; Trophime à Arles ; Paul à Narbonne ; Saturnin à Toulouse ; Denis à Paris, Strémon [Austremoine] en Auvergne et Martial à Limoges. Parmi ces pontifes, Denis, évêque de Paris, subit divers supplices pour le nom du Christ, et, frappé du glaive, termina sa vie en ce monde. Saturnin, déjà assuré du martyre, dit à deux prêtres : « Voici que je vais être immolé, et le temps de ma destruction approche ; je vous prie, jusqu’à ce que je termine ma vie, de ne pas m’abandonner. » Ayant été pris, on le conduisit au Capitole, et, abandonné par les deux prêtres, il fut emmené seul. Se voyant ainsi délaissé, on raconte qu’il fit cette prière : « Seigneur Jésus-Christ, exauce-moi du haut de ta sainte demeure ; que cette Église n’obtienne jamais d’avoir un évêque pris entre ses citoyens. » Nous savons que jusqu’à présent sa prière a été exaucée. Attaché à la queue d’un taureau en fureur, et précipité du haut du Capitole, il termina sa vie. Gatien, Trophime, Strémon, Paul et Martial, vivant dans une éminente sainteté, après avoir gagné les peuples à l’Église et répandu partout la foi chrétienne, moururent en confessant paisiblement le Seigneur. Ceux qui sont sortis du monde par la voie du martyre, et ceux qui sont morts sans trouble dans leur foi sont unis dans le royaume des cieux. »

Premier livre des Histoires [1]

La liste traditionnelle des évêques de Paris : 4 évêques entre Denis et Victorinus

L’abbé Jean Lebeuf (1687-1760), auteur d’une histoire de la ville et du diocèse de Paris, mentionne un Catalogue ou liste des évêques de Paris établie vers l’an 940. Il n’en a pas trouvé de plus ancienne, on peut considérer par défaut qu’il s’agit de la liste traditionnelle, retenue par tradition orale. Dans cette liste, succèdent immédiatement à saint Denis : Mallon, Maxe, Marcus, Adventus, Victorinus. Ce dernier, Victorinus, était évêque de Paris en 346, date à laquelle il témoigne en faveur de Saint Athanase dans la querelle qui l’oppose aux sympathisants de l’arianisme qui l’on chassé d’Alexandrie. Entre saint Denis et Victorinus la liste traditionnelle des évêques de Paris ne mentionne que quatre évêques. Il est a priori invraisemblable de penser que presque trois siècles se soient écoulés et qu’ils n’aient comptés que six évêques pendant ce temps (dans l’hypothèse d’un Denis vivant à l’époque apostolique) : une fois qu’une église est établie par un évêque, et malgré les persécutions et mises à mort récurrente des évêques en ces temps-là, il est rare qu’il y ait eu des périodes de vacance qui s’étendent sur plus de quelques années. Il serait plus vraisemblable que les évêques de Paris se soient succédés de de manière continue pour des périodes allant d’une dizaine à une trentaine d’années. L’abbé Lebeuf ne fait d’ailleurs pas de difficulté d’admettre que Denis est venu à Paris vers le milieu du IIIème siècle. [2]

La première vita de Sainte Geneviève (520)

Sainte Geneviève est connue pour avoir eu une grande dévotion à l’évêque martyr de Paris, elle a notamment fait construire une chapelle sur l’emplacement de son tombeau. La première « vie de sainte Geneviève » dont on ait la trace, écrite 18 ans après sa mort (que l’on situe généralement le 3 janvier 502), évoque brièvement saint Denis comme un évêque envoyé par le Pape pour évangéliser la Gaule. Le pape mentionné dans cette première vita est saint Clément, qui règne entre 92 et 99 selon Eusèbe de Césarée : il y a discordance avec la version de Grégoire de Tours, mais cela ne concorderait pas vraiment non plus avec la version d’un Denis disciple de saint Paul. Saint Clément, quatrième Pape de l’Eglise catholique, appartient bien à l’époque apostolique : les témoignages de saint Irénée et de Tertullien (IIème siècle) concordent pour dire qu’il a connu personnellement saint Pierre et qu’il a reçu de lui les ordres sacrés. Mais si Denis l’Aréopagite pouvait encore être vivant à la fin du Ier siècle, il aurait été un vieillard (la prédication de saint Paul à Athènes a lieu entre 50 et 52), et on pourrait se demander pourquoi le Pape enverrait un homme de cet âge fonder un diocèse en terre étrangère, d’autant que ce saint Denys est considéré en Orient comme le premier évêque de l’Eglise d’Athènes : c’est dans l’ordre du possible, mais la concordance n’est pas idéale

Les philologues estiment généralement que cet alinéa sur l’origine romaine de la mission de saint Denis est une interpolation tardive d’un copiste, car il n’est pas présent dans d’autres vitae de sainte Geneviève de la même époque. Interpolation ou non, le texte ne fait pas mention du lien entre saint Denis et saint Paul, qui mériterait pourtant d’être relevé dans le cas où la tradition de l’époque en ferait état. Il est possible que cette mention sur la mission de Saint Denis soit un souvenir authentique de son origine romaine (envoyé par le Pape pour évangéliser la Gaule), et que le nom précis du Pape de l’époque ait été oublié et confondu avec une figure mieux connue comme celle de saint Clément.

La première Passion de Saint Denis (c. 490)

La toute première vie ou « Passion » de saint Denis (Gloriosae martyrum passiones) a visiblement été écrite peu de temps avant la première vita de Sainte Geneviève,  étant donné que l’auteur de cet écrit mentionne la « Passion de Saint Denis » comme une de ses sources. D’après son incipit, elle a été rédigée à la fin du Ve siècle, du vivant de sainte Geneviève donc et peut-être sous l’impulsion de celle-ci (on estime que c’est en 475 que sainte Geneviève fit construire une église sur le tombeau de saint Denis). Cette première Passion, plus ancienne trace écrite des traditions concernant saint Denis, ne fait aucun lien entre ce Denis et le disciple de saint Paul : c’est un argument assez fort en la défaveur de cette idée.

L’auteur dit lui-même dans un long préambule qu’il est obligé de se fier à des traditions orales assez imprécises, en l’absence de documentation écrite. A notre avis, comme nous le disions plus haut, la tradition orale a retenu l’origine romaine de la mission de saint Denis, et oublié le Pape de l’époque en l’amalgamant à un autre pape plus connu, sans souci de concordance chronologique. L’auteur de cette première Passion ne mentionne d’ailleurs ni Clément ni aucun autre nom : il ne sait pas qui était le Pape de l’époque. Ce serait donc l’auteur de la vita de sainte Geneviève, ou bien le copiste de l’époque carolingienne, qui est à l’origine de cette attribution, et pas l’auteur de la première vie de saint Denis. [3]

Cette vie mentionne un détail intéressant qui fait référence au contexte du IIIe siècle bien plus qu’à celui du premier siècle : la ville de Paris aurait été occupée à l’époque par des Germains, et saint Denis a concentré sa prédication sur cette population. On sait en effet qu’au début de la deuxième moitié du IIIème siècle, soit précisément à l’époque de la mission des sept évêques mentionnés par Grégoire de Tours, a lieu une invasion de la Gaule par les Alamans et les Francs. Repoussés une première fois par l’empereur Gallien, les Francs reviennent en Gaule dans les années 260. En 275, les Francs gagnent de nouvelles positions en Gaule, et c’est en 277 qu’ils sont « définitivement » repoussé par l’empereur Probus. Durant cette période allant grossièrement de 250 à 275, qui est a priori l’époque de la mission de saint Denis, une occupation de Paris par les Francs est un fait historique tout à fait vraisemblable.

Une association tardive (VIIIe-IXe siècle)

Pour autant que l’on puisse en juger, il n’existe pas de trace d’une association entre Denis de Paris et le disciple athénien de saint Paul avant le VIIIe siècle au plus tôt. La deuxième Passion de saint Denis, qui est une réécriture de la première, date du milieu du VIIIe siècle ou du début du IXe siècle selon les avis, et est le premier document à mentionner l’association. Peu de temps après, l’abbé Hilduin de Saint-Denis écrit aussi une vie du saint tutélaire de son abbaye, à la demande de l’empereur Louis le Pieux, et abonde particulièrement dans le sens de l’identification entre Denis de Paris et l’Aréopagite. Hilduin n’est pas l’auteur de l’association, puisqu’il reprend à son compte une tradition qui a déjà cours à son époque, mais il en sera le principal illustrateur et propagateur.

Par ailleurs il est établi désormais que les écrits attribués à Denys l’Aréopagite ne peuvent pas dater de l’époque apostolique : entre autres choses, ils contiennent un extrait des écrits du néoplatonicien Proclus (412-485), on fixe à présent leur rédaction entre la fin du Ve siècle et le début du VIème. A partir de l’époque d’Hilduin, l’hagiographie confonds peu à peu trois Denis en une seule personne, et l’abbaye ainsi que la ville de Paris retirent un prestige particulier de l’aura des écrits du Pseudo-Denys. Dans la suite des siècles les Français resteront attachés à cette tradition, étant donné le lien particulier qui unit saint Denis à la monarchie française (comme en atteste le cri de guerre des armées du roi de France : Montjoie ! Saint-Denis !). Cependant dès le XVIIe siècle, dans une époque de progrès de la méthode historique [cf. Dom Mabillon et les Mauristes], cette identité est mise en doute et l’opinion savante se rattache de plus en plus à celle du récit de saint Grégoire de Tours, faisant de saint Denis un compagnon du glorieux martyr saint Saturnin, envoyés en mission depuis Rome au milieu du IIIème siècle.

Ce ne serait pas déshonorer la France et son histoire glorieuse que d’admettre qu’il y ait pu avoir une erreur sur l’identité du premier évêque de Paris et protecteur particulier des rois de France. Sachons plutôt réconcilier cet héritage français avec la vérité historique telle que nous pouvons le connaître aujourd’hui, sans chercher à augmenter par des mythes sans fondement une gloire et des mérites qui sont déjà bien réels. L’évêque Denis est venu sur nos terres pour prêcher aux peuples la Vérité, et il est mort pour le témoignage de la Vérité : soyons ses vrais disciples en plaçant la Vérité au-dessus de tout, y compris de l’attachement à des traditions ou à des opinions qui flattent nos affections, mais ne sont pas faites pour l’honneur de Dieu si elles ne sont pas conformes à la réalité.

Jean-Tristan B.


[1] Disponible en ligne à cette adresse : https://fr.wikisource.org/wiki/Histoires_(Gr%C3%A9goire_de_Tours)/1

[2] Le livre de l’abbé Lebeuf sur la ville et le diocèse de Paris : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k751079/f30.item

[3] Une étude sur les différentes Passions de saint Denis est disponible dans ce mémoire d’Angélique Monnier : https://serval.unil.ch/resource/serval:BIB_S_31132.P001/REF