Saint François de Sales : précurseur de l’œcuménisme ?


saint François de Sales 6

Paul VI a affirmé, à l’occasion de la publication de sa lettre Sabaudiae Gemma (1967), lors du 400ème anniversaire de la naissance de Saint François de Sales :

Vous connaissez certainement ce saint. C’est l’une des plus grandes figures de l’Église et de l’Histoire. Il est le protecteur des journalistes et des publicistes parce qu’il rédigea lui-même une première publication périodique. Nous pouvons qualifier d’« œcuménique » ce saint qui écrivit les controverses afin de raisonner clairement et aimablement avec les calvinistes de son temps. Il fut un maître de spiritualité qui enseigna la perfection chrétienne pour tous les états de vie. Il fut sous ces aspects un précurseur du IIe concile œcuménique du Vatican. Ses grands idéaux sont toujours d’actualité. 

Cette proclamation est évidemment fallacieuse. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer l’enseignement de Vatican II sur l’œcuménisme avec l’enseignement de l’Église catholique prêché et suivi par saint François de Sales.

Vatican II et l’oecuménisme

Le document Unitatis Redintegratio (1964), ou Décret sur l’Œcuménisme, contient une hérésie flagrante contre le dogme catholique qui enseigne que hors de l’Eglise il n’y pas de salut. Le Concile affirme :

En conséquence, ces Églises et communautés séparées, bien que nous croyions qu’elles souffrent de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut, dont la vertu dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Église catholique.

Unitatis Redintegratio, n. 3

L’Eglise catholique enseigne comme un dogme qu’il n’y a pas de salut hors de l’Eglise. Le Concile affirme la proposition exactement contradictoire au dogme catholique, à savoir qu’il y a un salut hors de l’Eglise catholique, que ces religions non-catholiques peuvent procurer le salut à leurs adhérents, et sont en effet le moyen par lequel ceux-ci sont sauvés.

L’Œcuménisme découle donc essentiellement d’une erreur sur la nature de l’Église. Selon cette fausse théorie, les « églises séparées » (schismatiques et hérétiques) font encore partie de l’unique Église du Christ et participent à ce titre à la communion des saints. Ces communautés séparées, imparfaitement unies à l’Église catholique, n’en seraient pas moins porteuses de grâces et de vérités pour le salut. Par conséquent, elles procureraient aussi le salut. En réalité, L’Église catholique est l’unique et véritable Église de Jésus Christ, seule détentrice et dispensatrice de la doctrine et des moyens du salut. Il est impossible de se sauver en dehors d’elle. Certaines personnes de bonne volonté, sans être des membres visibles de l’Eglise catholique, peuvent être implicitement membre de l’âme de l’Église. Pour cela, il doivent avoir une volonté droite et ignorer de manière non-coupable les vérités de la foi, comme l’enseigne Pie IX. Mais alors ils se sauvent malgré leur religion et pas grâce à celle-ci, comme si elle contenait des « moyens de salut ».

Il existe, bien sûr, ceux qui se trouvent dans une situation d’ignorance invincible concernant notre très sainte religion. Observant avec sincérité la loi naturelle et ses préceptes que Dieu inscrit sur tous les cœurs, prêts à obéir à Dieu, ils mènent une vie honnête et droite, et peuvent, avec l’aide de la lumière et de la grâce divine, acquérir la vie éternelle. Car Dieu voit parfaitement, il scrute, il connaît les esprits, les âmes, les pensées, les habitudes de tous, et dans sa bonté suprême et sa clémence il ne permet point qu’on souffre les châtiments éternels sans être coupable de quelque faute volontaire.

Pie IX, Quanto conficiamur, encyclique à l’épiscopat italien, 10 août 1863 ; DENZINGER (1957) 2865

L’œcuménisme a par exemple conduit à la déclaration doctrinale de Balamand (1993) signée par Jean-Paul II, dans laquelle on peut lire :

L’Église catholique et l’Église orthodoxe se reconnaissent mutuellement comme Églises sœurs et responsables ensemble du maintien de l’Église de Dieu dans la fidélité au dessein divin, tout particulièrement en ce qui concerne l’unité.

Documentation Catholique 90, 1993, 711-714

C’est ce qui faisait dire à ce même Jean-Paul II, apôtre zélé de l’œcuménisme :

Par la grâce de Dieu, ce qui appartient à la structure de l’Eglise du Christ n’a pourtant pas été détruit, ni la communion qui demeure avec les autres Eglises et Communautés ecclésiales

Ut Unum Sint, 1995, n.11

S’il y a plus d’éléments d’unité que d’éléments de division entre l’Église catholique et les groupes hérétiques et schismatiques, pourquoi se faire la guerre ? Si ces groupes procurent aussi les moyens de salut aux âmes, pourquoi être catholique ? Pourquoi se convertir ? Rien ne presse en effet, il suffit de faire le vœu pieux que dans un lointain futur, si par miracle les volontés et les cœurs s’y résolvent, ces « Églises sœurs » se réuniront toutes un jour ! En attendant, chacun est libre de choisir celle qui lui plaît le plus, pourvu qu’il ne lance aucun anathème sur ses frères et qu’il se refuse à tout prosélytisme, quand bien même il serait bien intentionné et convaincu d’avoir raison. C’est une forfaiture empreinte de lâcheté faite sous couvert de bienveillance et d’amour. C’est un refus de prendre en compte la réalité (nous avons une fin dernière objective, il faut l’atteindre par les bons moyens), ce qui exigerait trop de responsabilité. C’est se complaire dans une union factice et hypocrite qui apaise la conscience et permet de se reposer en abandonnant l’effort pour le bien et le zèle pour le salut des âmes. Ce fût exactement l’attitude du « bon pape »… Jean XXIII alors qu’il était encore Mgr Roncalli (extrait de « Un œcuméniste dans les Balkans (1925-1939)  », par M. l’abbé Francesco Ricossa) :

Le Père Tanzella rapporte le cas du journaliste bulgare Etienne Karadgiov. “Orthodoxe”, il s’était présenté à Mgr. Roncalli pour être aidé à poursuivre ses études. Karadgiov nous dit :

« II m’accueillit avec beaucoup de bonté, m’écouta attentivement, et me dit : “très bien, mais on ne doit pas heurter la susceptibilité des orthodoxes. Ils ne doivent pas penser que nous autres les catholiques nous venons ici dans le but de faire du prosélytisme, de vouloir attirer la jeunesse. Les orthodoxes sont nos frères, et nous voulons vivre en harmonie avec eux. Nous nous trouvons dans ce pays pour montrer notre amitié à ce peuple et l’aider. Si tu veux donc étudier en Italie, tu dois d’abord demander l’autorisation à l’Église orthodoxe à laquelle tu appartiens”. J’écrivis, et la réponse fut négative. Mgr. Roncalli jugea opportun de m’envoyer en Italie par l’intermédiaire de l’œuvre Pro Oriente qu’il avait lui-même fondée avec Mgr. Francesco Galloni. L’œuvre avait pour but de financer le séjour en Italie des jeunes catholiques bulgares désirant acquérir des diplômes en ce pays. Moi, j’étais orthodoxe, et Mgr. Roncalli, qui de par sa position ne figurait pas comme fondateur de l’œuvre, fit pour moi une exception. “Un jour viendra, où les diverses Églises seront unies ; ce n’est qu’en s’unissant pour combattre les maux du monde, me dit-il, qu’elles pourront espérer gagner”.

J’ai ensuite étudié en Italie, où j’eus comme camarades d’études et d’internat les parlementaire Bettiol et Fanfani. Mgr. Roncalli suivait de loin mes études, comme si j’avais été son propre fils. Lorsque je parvins à la dernière année, il m’écrivit : “Si tu reviens en Bulgarie avec le diplôme d’une université catholique, comment vas-tu faire pour trouver un emploi ? Tes concitoyens sont presque tous orthodoxes, et ils ne vont pas avoir une grande sympathie pour toi. Je te conseille par conséquent de te présenter dans une Université laïque”. II écrivit au Père Gemelli, recteur de l’Université catholique de Milan, et je passai à Pavie où j’obtins le diplôme.

Entre-temps, j’avais décidé de devenir catholique. Je lui fis part de ma décision, et il me dit : “Mon fils, ne sois pas pressé. Réfléchis. Tu auras toujours le temps de te convertir. Nous ne sommes pas venus en Bulgarie pour faire du prosélytisme” »

Le Père Tanzella rapporte cet épisode comme s’il s’agissait de nouveaux fioretti de St. François. Des fioretti, certes, mais au contraire, dans lesquels la dernière recommandation du Christ : « Allez, enseignez toutes les nations… » n’est pas considérée comme valide. “Il y a toujours le temps” pour entrer dans l’Église, vivre en grâce de Dieu, quitter le schisme et l’hérésie… car un successeur des Apôtres n’est pas envoyé dans le monde “pour faire du prosélytisme” (c’est-à-dire pour convertir), mais pour laisser les âmes dans les ténèbres de l’erreur : voici le nouveau credo œcuméniste de Mgr. Roncalli.

Fidèle à cette lâcheté et infidèle à Jésus-Christ, Bergoglio, quelques années avant d’installer une statue de Luther au Vatican (en 2017, à l’occasion des 500 ans de la réforme), s’exprimait en ces termes auprès de son ami Eugenio Scalfari (journaliste athée du journal La Reppublica) qui retranscrit l’entretien (numéro du 1er octobre 2013) :

Le Pape entre et me serre la main, nous nous asseyons. Le Pape sourit et me dit : « Certains de mes collaborateurs qui vous connaissent m’ont averti que vous allez essayer de me convertir. »

A ce trait d’esprit, je réponds : mes amis vous prêtent la même intention à mon endroit.

Il sourit et répond : « Le prosélytisme est une pompeuse absurdité, cela n’a aucun sens. Il faut savoir se connaître, s’écouter les uns les autres et faire grandir la connaissance du monde qui nous entoure. Il m’arrive qu’après une rencontre j’ai envie d’en avoir un autre car de nouvelles idées ont vu le jour et de nouveaux besoins s’imposent. C’est cela qui est important : se connaître, s’écouter, élargir le cercle des pensée. Le monde est parcouru de routes qui rapprochent et éloignent, mais l’important c’est qu’elles conduisent vers le Bien« .


L’exemple de saint François de Sales

L’œcuménisme tel que défendu par Vatican II a été condamné par Pie XI dans l’encyclique Mortalium Animos (1928). Mais il n’a pas fallu attendre Pie XI pour que les catholiques croient qu’il n’y a point de salut hors de la communion de l’Eglise catholique et romaine, pour qu’ils croient que l’hérésie est une peste mortelle à extirper par tous les moyens, et que pour convertir les hérétiques et les schismatiques il était erroné et dangereux « d’insister sur ce qui nous unit au lieu de parler de ce qui nous divise » : voyons comment saint François de Sales vivait sa foi sur ce point là.

Alexandre VII, dans sa bulle de canonisation rédigée en 1665, écrit :

« En outre, armé du glaive de la parole divine, il attaqua, par ordre de l’évêque, l’hérésie de Calvin qui régnait dans le Chablais et les pays circonvoisins. Il est impossible d’exprimer avec quelle ardeur, quelle constance, quelle allégresse, quelle ferme confiance en Dieu, quelle inébranlable charité pour le prochain, il a combattu l’hérésie et soumis les errants au joug de la vraie foi. »

(IX)

« Jamais il ne prit conseil de la politique mondaine, ni du respect humain; mais se ressouvenant du conseil de l’Evangile, lorsqu’il ne pouvait pas paraître au grand jour et rendre un témoignage public à la foi, il s’abritait quelques instants dans sa solitude, pour reparaître, après un peu de silence, et s’élever plus vivement que jamais contre l’hérésie. »

(XIII)

« il s’appliqua à la défense de l’Eglise avec plus de soin et de zèle que jamais; et, comme on avait mis des obstacles à ce qu’il travaillât à la conversion des hérétiques par le ministère de la prédication, il se mit à les instruire par écrit, et composa plusieurs petits ouvrages de controverse où il attaquait l’hérésie jusque dans ses derniers retranchements. Il fit tant qu’il parvint à ériger une paroisse à Thonon, et que, peu après, il ramena à la lumière de la vérité plusieurs hommes distingués par leur science, dont l’autorité servait d’un grand appui au mensonge, et dont la conversion contribua beaucoup à la propagation de la religion catholique dans ces contrées. »

(XVIII)

« Elevé à cette nouvelle dignité, qui donnait un surcroît d’autorité à son zèle, il se livra tout entier au soin d’augmenter la religion catholique et de diminuer l’hérésie. »

(XXIII)

Pie IX, en 1877, en élevant saint François de Sales au rang de docteur de l’Eglise, écrit :

« Que la doctrine de François ait été très grandement appréciée de son vivant on le peut encore déduire de ceci : de tous les courageux défenseurs de la vérité catholique qui fleurissaient en ce temps-là, Clément VIII, Notre Prédécesseur de sainte mémoire, ne choisit que le seul Evêque de Genève. Il lui ordonna d’aller trouver Théodore de Bèze, propagateur passionné de la peste calviniste, et d’agir avec celui-ci dans le seul but qu’une fois cette brebis ramenée au bercail du Christ, il en reconduisit beaucoup d’autres. François, non sans péril pour sa vie, s’acquitta si bien de sa mission que l’hérétique, troublé dans son bon droit, confessa la vérité. Pourtant, au regard de son crime et, le jugement de Dieu lui demeurant impénétrable, il s’estima indigne de revenir dans le giron de l’Eglise. »

« Il est également manifeste que lui-même résolut beaucoup de questions avec une abondance de doctrine auprès des Pontifes Romains, des Princes, des Magistrats et de Prêtres, ses coopérateurs dans le ministère sacré. Son succès fut tel que grâce à son zèle, ses exhortations et ses avertissements, ses conseils furent souvent mis en œuvre et c’est ainsi que des contrées entières furent purgées de la corruption hérétique, le culte catholique rétabli et la religion accrue. »

« En outre, pour vaincre l’obstination des hérétiques de son époque et encourager les catholiques il écrivit, avec non moins de bonheur que sur l’ascétisme, le livre des « Controverses » qui contient une parfaite démonstration de la Foi catholique ; puis il écrivit d’autres traités et discours sur des vérités de Foi et aussi son « Vexillum Crucis. »  Par de tels écrits il combattit si énergiquement pour la cause de l’Eglise qu’il ramena en son sein une multitude innombrable d’égarés et restaura le Foi de fond en combles sur toute la province du Chablais. »

Il n’y a donc rien de commun entre l’œcuménisme de Vatican II fermement condamné par Pie XI et le zèle tout apostolique dont fit preuve saint François de Sales. L’œcuménisme est une démolition de la vérité et de la foi catholique. Pour ses défenseurs, toutes les confessions chrétiennes ont une certaine légitimité, et donc un droit à prendre place, malgré leurs divergences doctrinales, au sein d’une grande et unique église. L’œcuménisme suppose donc une certaine égalité des différentes confessions. D’un point de vue pratique, c’est renoncer à convaincre et à convertir. « Au mieux » (et c’est déjà terrible), c’est renoncer aux droits de la vérité objective sur tous et s’accommoder d’une union purement extérieure. Au pire, c’est renoncer entièrement à la vérité en retranchant des pans entiers de la doctrine pour créer une nouvelle religion convenable pour tous. L’œcuménisme fait  primer l’accord subjectif des hommes ici-bas sur l’adhésion aux vérités objectives de la révélation divine. C’est une forme de naturalisme : refuser notre dépendance envers Dieu et rejeter ses droits pour exalter une union humaine naturelle prétendument suffisante pour le salut. Il se traduit donc nécessairement par le relativisme. En effet, il juge légitimes des vérités contradictoires, en même temps et sous le même rapport. De plus, il nie la possibilité de s’affirmer comme l’unique et véritable Église de Jésus-Christ. Il mène à l’indifférence à l’égard des diverses religions, faisant croire que le salut est possible dans chacune d’elle. A l’inverse, saint François de Sales désirait ramener toutes les âmes égarées dans le giron de l’Église catholique. Il savait que l’Église catholique était l’Église de Jésus-Christ et qu’en dehors d’elle nul ne pouvait se sauver. Il savait que la foi est le socle fondamental sur lequel se bâtit tout l’édifice des vertus surnaturelles qui mènent au vrai Dieu. Il n’a jamais fait d’accommodements sur les principes de la foi, il les a exposés avec zèle et charité. Il n’a jamais jugé qu’un hérétique fût dans son bon droit, encore moins que sa secte était une partie de l’Église de Jésus-Christ. Il n’a jamais, comme Mgr. Roncalli, Wojtyla (Jean-Paul II) ou Bergoglio, refusé de faire du prosélytisme. Il aimait trop les âmes pour cela, il avait un désir trop ardent de leur salut pour accepter qu’elles se perdissent dans la voie de l’erreur et le chemin de la damnation. Il a donc placardé ses écrits contre les protestants sur les murs de Chablais, a fini par convertir la population et a été loué par l’Église pour cela.

Mathis C.


L’anneau de l’œcuménisme

Paul VI offre son anneau épiscopal au primat anglican (1966)

Le 24 mars 1966, une rencontre de la plus haute importance est organisée entre Paul VI et l’archevêque anglican de Cantorbéry, Michael Ramsey. Vatican II est le Concile de l’œcuménisme : environ trois mois après la clôture du Concile, la rencontre (organisée par le « secrétariat pour l’unité des chrétiens ») fait en quelques sortes office d’ouverture du « dialogue œcuménique » avec les anglicans au niveau de la hiérarchie ecclésiastique. Paul VI prépare pour cette occasion un geste fort, qui a visiblement surpris Ramsey lui-même.

Après avoir dirigé conjointement avec Ramsey un « service liturgique œcuménique », Paul VI a demandé à Ramsey de retirer son anneau. Paul VI prend ensuite la main droite de Ramsey, et impose sur son doigt, en lieu et place de l’anneau qu’il vient de retirer, l’anneau épiscopal qu’il portait personnellement en tant qu’archevêque de Milan. Ramsey, après avoir pris le temps de réaliser la portée du geste, aurait apparemment « fondu en larmes », et les deux hommes se sont ensuite tenus un moment dans les bras [1]. Ramsey portera l’anneau pour le restant de sa vie, et le lègue ensuite à l’archevêché de Cantorbéry. Aujourd’hui encore, il est de coutume lorsque « l’archevêque » de Cantorbéry rencontre le « Pape » de porter cet anneau spectaculairement offert par Paul VI dans la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs.

Que signifie ce geste ? Que signifient les larmes de Ramsey ? C’est ce que nous nous proposons d’étudier présentement.

On sait que d’autres cadeaux ont été échangés entre les deux protagonistes. Si l’histoire a bien retenu l’affaire de l’anneau épiscopal, il semble difficile de savoir précisément quels autres présents les deux hommes ont pu échanger. Certains témoignages font état du fait que Paul VI aurait offert à Ramsey … un calice. C’est l’affirmation du « cardinal » Francesco Coccopalmerio [2], président du « Conseil pontifical pour les textes législatifs » entre 2007 et 2018, qui en fait un argument en faveur de l’abandon de la doctrine de l’Eglise sur les ordinations anglicanes, à laquelle il ne croit déjà plus lui-même, comme beaucoup d’œcuménistes. Nous aurions pu parler du « calice de l’œcuménisme » si nous étions plus certains que cette donation ait vraiment eu lieu. Retenons simplement la chose comme possible et vraisemblable : ce serait en effet cohérent avec l’imposition de l’anneau épiscopal, comme nous allons le voir.

Qu’est-ce qu’un anneau épiscopal ?

L’anneau en or porté par les évêques est l’un des symboles par excellence de l’épiscopat, aux côtés de la mitre, de la crosse et de la croix pectorale. L’usage pour les évêques de porter un anneau en signe de leur dignité est attesté dès le IVème siècle. L’imposition de l’anneau devient peu à peu une partie intégrante de la liturgie du sacre épiscopal : on le trouve dans d’anciens sacramentaires du VIIIe et du IXe siècles [3]. Dans le rituel pontifical romain, on trouve le texte suivant pour l’imposition de l’anneau : « reçois l’anneau, qui est le sceau de la fidélité : aussi longtemps que tu gardes intégralement, paré d’une foi pure, l’Épouse de Dieu, c’est à dire la Sainte Église » .

Extrait du Pontificale Romanum

Cet anneau revêt également une symbolique nuptiale : l’évêque est comme marié à la Sainte Eglise, qu’il doit protéger et aimer fidèlement comme un mari aime et protège son épouse. L’anneau est d’ailleurs porté sur l’auriculaire, de la même manière que l’anneau nuptial. Comme ordinairement le sacre épiscopal s’accompagne de l’imposition d’une juridiction ordinaire sur un diocèse, la symbolique retient surtout les « épousailles » entre l’évêque et son Eglise particulière, son diocèse, bien que le sacre puisse prendre lieu dans un autre cadre (par exemple lorsqu’un prêtre reçoit le sacre épiscopal à l’occasion de sa promotion au cardinalat, il n’est pas lié à une Eglise locale mais à l’Eglise universelle). En signe de respect pour la dignité épiscopale, il est de coutume pour les fidèles ou les clercs de rang inférieur de baiser l’anneau de l’évêque pour le saluer.

Que peut signifier l’imposition de l’anneau par Paul VI ?

Ce geste ne peut signifier qu’une chose, et le monde entier n’a pas compris autre chose que cela : Paul VI exprime le fait qu’il considère Ramsey comme un évêque. Ramsey le comprend et en est ému aux larmes : c’est en effet un « immense progrès » dans la voie vers « l’union des églises » en comparaison à l’époque de Pie XII. Paul VI offre à Ramsey, il faut même dire impose à Ramsey un objet qui est attribut par excellence de l’épiscopat, et dont l’imposition n’a lieu normalement que dans le cadre liturgique très solennel du sacre épiscopal. Un objet qui a une symbolique nuptiale, signifiant la force de l’union qui doit lier l’évêque à la Sainte Eglise : en prenant en compte cette signification, on notera que Paul VI ne considère pas simplement Ramsey comme validement évêque, mais qu’il le considère aussi comme membre de l’Eglise. Il ne faut pas s’en étonner, cette idée est conforme à la nouvelle doctrine de Vatican II sur la communion imparfaite, sur le fait que les baptisés sont tous membres de l’Eglise même les schismatiques [-> voir article dédié].

Il serait hors de propos de prétendre que Paul VI a simplement voulu offrir un objet précieux à son interlocuteur en signe de la grande sollicitude qu’il lui porte, ou bien par convenance en raison du rang de l’invité. Il aurait pu offrir un tableau, un manuscrit précieux, et encore serait-il difficilement concevable qu’aucun de ces objets ait pu être offert sans qu’il n’y ait dans ce don une signification symbolique particulière. Et comme nous le notions, il ne s’agit pas simplement d’un cadeau, Paul VI impose lui-même l’anneau à l’évêque (ce qui est une manière plus directe et plus personnelle de reconnaître sa qualité d’évêque, que s’il avait simplement offert l’anneau par un intermédiaire), de manière publique et avec l’intention que le geste soit vu et commenté.

Le geste et l’anneau qui en est l’objet sont aujourd’hui encore, du côté anglican comme du côté conciliaire, le symbole qui marquent le point de départ du « dialogue œcuménique » entre ces deux confessions. De plus si l’offrande du calice, rapportée par Coccopalmerio, est bien avérée, c’est un signe supplémentaire et encore plus explicite en faveur de l’idée selon laquelle il considère le primat anglican comme véritablement évêque (le calice est symbole par excellence du sacerdoce et du pouvoir exclusivement sacerdotal de confectionner l’eucharistie). Paul VI reconnaît manifestement le primat anglican comme véritablement évêque, doué de la plénitude du sacerdoce : où est le problème, dira-t-on ? Les schismatiques peuvent bien être validement prêtres et évêques. Mais les anglicans ne sont pas comparables aux schismatiques d’Orient sur la question des rites d’ordination.

Le problème se situe au niveau de la foi catholique elle-même : le Pape Léon XIII a enseigné infailliblement pour dire que les ordinations anglicanes étaient absolument invalides, en clair un catholique est tenu à croire qu’il est impossible que « l’archevêque de Cantorbéry » soit prêtre et évêque. Les néo-modernistes rejettent frontalement cet enseignement qui est un obstacle à leur conception de l’œcuménisme : Francis Clark peut par exemple écrire, dans la revue Gregorianum en 1964, que « le problème des ordinations anglicanes » est « un obstacle particulièrement regrettable à de meilleurs rapports entre l’Eglise catholique et les Eglises de la Communion anglicane » [4]. Le « cardinal » Johannes Willebrands, qui fut l’un des organisateurs de la rencontre entre Paul VI et Ramsay en tant que membre du « secrétariat pour l’unité des chrétiens », et ensuite spécialisé dans le « dialogue œcuménique » avec les anglicans, n’est pas d’un avis différent. Il déclare en 1985 que la discussion sur la validité des ordres anglicans est marquée par un « nouveau contexte » lié au « développement de la pensée » chez les anglicans et les catholiques concernant la nature de l’Eglise, de l’Eucharistie et du Sacerdoce : derrière ce langage mystifiant, il faut comprendre qu’il s’agit pour ces personnes de dire que l’on peut encore discuter de la validité des ordinations anglicanes, et donc qu’ils ne croient pas à la définition de Léon XIII [5]. Willebrands ne fait d’ailleurs que s’appuyer le « rapport final » de la Commission internationale anglicane-catholique romaine (ARCIC), une instance officielle de dialogue oecuménique [6]. Paul VI manifeste, dans ses actes plus que dans ses paroles, qu’il est totalement aligné sur leurs positions. Yves Congar peut dire en effet, dans son article sur l’œcuménisme de Paul VI (Publications de l’Ecole Française de Rome, 1984), que ce dernier « désirait rouvrir la question des ordinations anglicanes » [7]. Mais cette question est-elle seulement « rouvrable » ?

Léon XIII et les ordinations anglicanes : un débat définitivement tranché

Le 18 septembre 1896, le Pape Léon XIII publie une lettre apostolique au sujet des ordinations anglicanes, suite à long examen impliquant les travaux d’une commission ad hoc composée de théologiens soutenant l’une ou l’autre des positions (pour ou contre la validité des ordinations anglicanes) [8]. Déjà à cette époque, les précurseurs de Vatican II souhaitaient que l’Eglise reconnaisse la validité des ordinations anglicanes à une fin œcuménique : ce sont dans ces milieux modernistes ou crypto-modernistes que l’opinion se diffuse et prends de la force, alors même que plusieurs décisions ecclésiastiques importantes font état de l’invalidité des rites anglicans (la pratique continuelle de l’Eglise catholique à l’égard des prêtres anglicans qui se convertissent au catholicisme était de les réordonner systématiquement) et que l’opinion commune était en faveur de l’invalidité.

Paradoxalement, la lettre apostolique est publiée suite à la requête de personnalités qui étaient convaincues que l’examen de la question pencherait en faveur d’une déclaration de l’Eglise sur la validité des ordinations anglicanes : Fernand Portal côté catholique, et Lord Halifax (Charles Lindley Wood) côté anglican, pionniers du « dialogue œcuménique ». Fernand Portal sera plus tard sanctionné pour modernisme, sous le pontificat de saint Pie X (en 1908). Il est considéré aujourd’hui encore comme un des pères de l’œcuménisme défendu par Vatican II. Ce « retournement de situation » rappelle d’ailleurs la publication de l’encyclique Mirari vos (1832) par Grégoire XVI suite aux requêtes de Lamennais, Montalembert et Lacordaire qui pensaient tout bonnement que le Pape allait bénir leurs idées libérales. Ici, le sujet est plus précis et restreint que dans Mirari vos, et la réponse en est d’autant plus claire.

Par plusieurs formules sans équivoque, Léon XIII indique dans la lettre apostolique son intention de trancher le débat définitivement, c’est-à-dire qu’il engage son infaillibilité. Pour rappel, selon le Concile Vatican I, les conditions pour qu’un enseignement soit dit ex cathedra sont les suivantes : il faut que le Pape parle

  • En tant que Pape (et pas en tant que personne privée)
  • A l’Eglise universelle (plutôt qu’à un groupe restreint de personnes)
  • En définissant
  • Sur une question relative à ce qu’il faut croire (la foi) ou à ce qu’il faut faire (les mœurs) [9]

La question ici est de savoir ce qu’il faut croire en tant que catholique concernant la validité des ordinations anglicanes, question qui a une importance pratique de premier ordre puisqu’elle conditionne l’accès aux sacrements pour une nation entière, séparée de Rome depuis longtemps. Bien que la matière de l’enseignement ne soit pas directement une vérité révélée, elle tombe dans le domaine de ce que l’on appelle les « faits dogmatiques », des faits qui sont connexes à des vérités révélées et qui peuvent également faire l’objet de définitions infaillibles du magistère de l’Eglise. Ici le fait dogmatique est que les ordinations anglicanes sont invalides, les vérités révélées connexes étant les suivantes :

  • La forme d’un sacrement doit signifier explicitement la grâce qu’il procure
  • La grâce propre du sacrement de l’Ordre est le pouvoir de consacrer l’Eucharistie

Léon XIII manifeste donc son intention de s’exprimer en tant que Pape, à l’intention de tous les chrétiens, pour trancher sur cette question (c’est à dire pour définir) :

« C’est donc avec bienveillance que Nous avons consenti à un nouvel examen de la question, afin d’écarter à l’avenir, par l’autorité indiscutable de ce nouveau débat, tout prétexte au moindre doute. »

Placuit igitur de retractanda causa benignissime indulgere: ita sane, ut per summam novae disquisitionis sollertiam, omnis in posterum vel species quidem dubitandi esset remota.


Le cadre dans lequel le Pape s’exprime (lettre apostolique) est suffisamment démonstratif en lui-même de l’intention d’enseigner en tant que Pape à l’Eglise universelle : ce document n’est pas une lettre privée, destinée à un nombre restreint de destinataires, dans laquelle le Pape exprime ses opinions personnelles. Par endroits, le Pape prends la peine de préciser qu’il s’exprime en vertu de sa suprême autorité : « c’est en qualité et avec les sentiments de Pasteur suprême que Nous avons entrepris de montrer la très certaine vérité d’une affaire aussi grave ». C’est un document donnant l’occasion d’une définition dogmatique et qui a vocation à être promulgué dans toute la chrétienté. Le préambule de la lettre contient la formule caractéristique des bulles qui établissent une décision disciplinaire ou dogmatique précise : « ad perpetuam rei memoriam », « à la mémoire éternelle de la chose », qui peut se comprendre comme une invocation « pour que la chose [définie dans cette bulle] soit perpétuellement remémorée ».

Léon XIII va même jusqu’à dire que la question a en réalité déjà été tranchée par l’autorité suprême de l’Eglise, et que ce n’est que par ignorance de ces définitions que certains catholiques ont pu croire que la question pouvait être sujette à de libres débats :

« Cela étant, il est clair pour tous que la question soulevée à nouveau de nos jours avait été bien auparavant tranchée par un jugement du Siège Apostolique ; la connaissance insuffisante de ces documents explique peut-être comment certains écrivains catholiques n’ont pas hésité à discuter librement sur ce point.»

Quae quum ita sint, non videt nemo controversiam temporibus nostris exsuscitatam, Apostolicae Sedis iudicio definitam multo antea fuisse documentisque illis haud satis quam oportuerat cognitis, fortasse factum ut scriptor aliquis catholicus disputationem de ea libere habere non dubitant.

La définition de Léon XIII n’est donc qu’un rappel ou une clarification d’un enseignement catholique. Les formules d’ordination utilisées par le rite anglican, pour l’ordination sacerdotale comme pour le sacre épiscopal, présentent un défaut de forme et un défaut d’intention : ce qui fait l’essence du sacrement à conférer n’est pas mentionné dans l’Ordinal anglican. Le pouvoir exclusivement sacerdotal  de consacrer et d’offrir le sacrifice eucharistique n’est pas mentionné dans la nouvelle forme du rite, ce qui le rend invalide. Le Pape délivre donc la définition suivante :

«  C’est pourquoi, Nous conformant à tous les décrets de Nos prédécesseurs relatifs à la même cause, les confirmant pleinement et les renouvelant par Notre autorité, de Notre propre mouvement et de science certaine, Nous prononçons et déclarons que les ordinations conférées selon le rite anglican ont été et sont absolument vaines et entièrement nulles. »

Itaque omnibus Pontificum Decessorum in hac ipsa causa decretis usquequaque assentientes, eaque plenissime confirmantes ac veluti renovantes auctoritate Nostra, motu proprio certa scientia, pronunciamus et declaramus, ordinationes ritu anglicano actas, irritas prorsus fuisse et esse, omninoque nullas.

Il ne saurait être envisageable, au regard de la foi catholique, d’admettre la moindre discussion sur une définition aussi claire et aussi définitive de la part de l’autorité enseignante infaillible de l’Eglise. « Rome a parlé : la cause est entendue », disent les catholiques. « Rome a parlé … on peut encore en discuter » disent de leur côté les modernistes comme Congar, Willebrands ou Coccopalmerio, parce qu’ils n’accordent pas l’assentiment de leur foi aux définitions du magistère de l’Eglise. Ils sont chaleureusement encouragés dans cette négation du magistère par l’exemple de Paul VI, qu’ils n’hésitent pas à invoquer pour invalider l’enseignement de Léon XIII et de ses prédécesseurs : ils savent, autant que quiconque, qu’un geste peut en dire plus que de longs discours, et que les « grands gestes œcuméniques » de Paul VI donnent raison à leur fausse théologie.

Jean-Tristan B.


[1] Des articles qui relatent cette rencontre : https://www.lemonde.fr/archives/article/1966/03/24/double-rencontre-entre-paul-vi-et-le-dr-ramsey_2700655_1819218.html, http://www.natcath.org/NCR_Online/archives2/2003d/101703/101703e.htm

[2] https://www.thetablet.co.uk/news/7068/anglican-orders-not-invalid-says-cardinal-opening-way-for-revision-of-current-catholic-position-. Francesco Coccopalmerio a d’ailleurs été ordonné prêtre par Montini, le futur Paul VI, le 28 juin 1962 à Milan, et a occupé divers postes de responsabilité pour l’archidiocèse de Milan.

[3] Article de la Catholic Encyclopedia sur les anneaux : https://www.newadvent.org/cathen/13059a.htm

[4] https://www.jstor.org/stable/23572984?seq=1

[5] https://www.usccb.org/committees/ecumenical-interreligious-affairs/anglican-orders-report-evolving-context-their

[6] https://www.anglicancommunion.org/media/105260/final_report_arcic_1.pdf

[7] https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1984_act_72_1_2442

[8] Une traduction en français est disponible à cette adresse : https://laportelatine.org/documents/magistere/leon-xiii/lettre-apostolique-apostolicae-curae-1896; l’original en latin sur le site du Vatican : http://www.vatican.va/content/leo-xiii/la/apost_letters/documents/litterae-apostolicae-apostolicae-curae-13-septembris-1896.html

[9] Constitution dogmatique Pastor Aeternus (Concile du Vatican, 18 juillet 1870) :
« Le Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu’une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par toute l’Église, jouit, par l’assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église. »